248 Margot Poletti rLudovic Le Bigot rFrançois Rigalleau
La répétition dans le langage est fréquemment observée dans la
communication entre humains en contexte naturel. Depuis une trentaine
d’années, un phénomène de répétition se situant au niveau de la syntaxe
fait l’objet de nombreuses recherches : l’amorçage syntaxique. Plusieurs
revues de littérature ont notamment été publiées sur ce thème (Branigan,
2007 ; Ferreira & Bock, 2006 ; Pickering & Ferreira, 2008). Cette multitude
de travaux semble pourtant limitée au monde anglo-saxon, même si
des recherches existent sur l’amorçage syntaxique en espagnol ou en
néerlandais. Les travaux portant sur le français demeurent rares (nous
en mentionnons dans ce travail), et une motivation importante de cette
revue est de permettre à un large public francophone de connaître ces
travaux. Nous nous sommes inspirés des revues de question publiées en
anglais, mais en tentant de proposer une revue originale. Les premières
observations ont décrit l’amorçage syntaxique comme une réutilisation
involontaire des éléments structurels d’une phrase antérieurement perçue
ou produite. Ce phénomène a été appelé «répétition syntaxique »ou
«persistance syntaxique », mais les études ultérieures ont conduit à
privilégier l’expression «amorçage syntaxique », qui témoigne mieux du
caractère sans doute inconscient du phénomène. En effet, la perception
ou la production d’une structure favorise sa production ultérieure car
la première occurrence de cette structure fonctionne à la manière d’une
«amorce »facilitant la production ultérieure de la structure dans une
nouvelle phrase, appelée phrase «cible ». Nous allons envisager dans un
premier temps la découverte du phénomène, et pourquoi il est qualifié
de «syntaxique ». Nous nous appliquerons ensuite à le situer au niveau
théorique, en envisageant sa place dans les modèles de production, le type
de mémoire qu’il implique, ainsi que le lien qu’il peut refléter entre la
compréhension et la production du langage.
QU’EST-CE QUE L’AMORÇAGE SYNTAXIQUE ?
Premiers travaux
Les individus produisant un énoncé ont tendance à utiliser des mots ou
des groupes de mots déjà produits dans le discours, par eux ou par leur(s)
interlocuteur(s). Levelt et Kelter (1982) ont réalisé une des premières
expériences démontrant la répétition d’éléments syntaxiques. Une de leurs
expérimentations consistait à appeler des commerçants au téléphone pour
leur demander l’heure de fermeture de leur magasin, en utilisant deux
formes de questions ne différant que par l’ajout d’une préposition en début
L’année psychologique, 2012, 112, 247-275