5 Aurélien Broussal 씰 24 ans 씰 Préparateur physique et professeur de sport 씰 Diplômé en Masters (préparation physique, mentale et ingénierie de la performance) des universités de l’INSEP, Lyon et Montpellier SAUVEZ VOTRE GENOU ! Parmi les nombreuses pathologies frappant les judokas, il en est une particulièrement répandue et redoutée : la rupture du ligament croisé antérieur du genou. Pourtant, il n’y a pas de fatalité. Apprenez les gestes simples qui peuvent protéger votre genou. E nroulements de jambes, changements brusques d’appuis, rotations du genou pied fixé au sol… Les circonstances d’entorse grave du genou en judo sont omniprésentes et associées parfois à une prédisposition de certains combattants (fragilité articulaire, instabilité naturelle, etc), on finit par devenir fataliste et par refuser de se poser la question, tout en acceptant en son for intérieur que la forte probabilité de rupture, à un niveau élevé de pratique, soit quasiment inéluctable. Cette blessure représente de nombreux mois éloignés des tatamis (surtout en cas d’opération !), de la souffrance, de la rééducation, des doutes, des renoncements… Pourtant, la majeure partie de ces blessures aurait pu être évitée. Un travail simple de prévention pourrait diminuer significativement l’exposition au risque. Suivez nos conseils et vous aurez beaucoup plus de chances de l’éviter… ou de ne pas rééditer. L’une des causes principales de rupture du LCA (ligament croisé antérieur) est désormais clairement identifiée chez le judoka : le déséquilibre de force entre l’« agoniste » et l’« antagoniste » de la cuisse, qui favorise une fragilité articulaire lors d’une sollicitation anormale du genou. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que toute articulation est maintenue par une série de fibres qui « tirent » dans un sens, et par une série de fibres qui « tirent » dans le sens opposé. Pour l’articulation de la cuisse, ce couple est composé de l’ensemble des quadriceps, les muscles du « devant » de la cuisse qui s’occupent de l’extension du genou (action agoniste), et de l’ensemble des ischios-jambiers, les muscles de l’arrière de la cuisse qui s’occupent de la flexion du genou (action antagoniste de la précédente). Or, la pratique du judo faisant appel à une sollicitation plus importante des quadriceps (tous les mouvements en flexion de jambe, comme ippon-seoi-nage par exemple, qui demande un maintien puissant des quadriceps), ces derniers sont souvent sur-développés en comparaison avec les ischios-jambiers. La culture du renforcement musculaire du judoka, plaçant souvent le squat (ou la presse) comme cœur de cible du développement des membres inférieurs, vient aggraver ce déséquilibre ! Un second problème peut expliquer le nombre important de ruptures du LCA chez les judokas : l’absence de travail de la qualité physique d’équilibre. Le sportif placé régulièrement en équilibre instable développe la sensibilité de ses différents capteurs corporels ainsi que la capacité des différents étages articulaires à s’organiser lors d’une contrainte inhabituelle. En clair, lors d’une situation dangereuse, l’organisme sera plus réactif, et se placera plus facilement dans un mode de protection (en alliant contractions réflexes préventives et repositionnement des segments corporels). Deux priorités s’imposent donc : • Rééquilibrer la musculature de la cuisse, par un travail de renforcement des ischios-jambiers. • Effectuer régulièrement un travail en équilibre instable pour que les structures musculaires et articulaires deviennent « intelligentes » ! FÉVRIER-MARS 2007 L’Esprit du Judo 95 P P R E N D R 5 A E (A) • 5 progressif et explorer toutes les dimensions et orientations du muscle. •Notre échauffement : talons/fesses en variant l’ouverture du pied •Le travail devra s’effectuer jambe par jambe afin de ne pas créer (ou entretenir) des déséquilibres entre la jambe droite et la jambe gauche •Les ischios-jambiers sont des muscles contribuant au maintien de l’articulation, leur renforcement doit également être envisagé de manière isométrique (voir lexique). Le principe fondamental du travail sur le corps, c’est la variété. Un unique programme ne remplit son office que quelques semaines, après le corps s’habitue et l’efficacité disparaît. À charge pour vous, donc, pratiquant lambda ou enseignant, d’aller chercher d’autres exercices proches pour varier vos programmes. (B) 1. RÉÉQUiLiBRER PAR LE RENFORCEMENT MUSCULAiRE a structure particulière des ischios-jambiers •Dans la pratique sportive, les « ischios » sont LL’échauffement demande une approche spéciale : principalement sollicités en contraction excenlocalisé devra être plus que jamais (C) trique (voir lexique), notamment dans les mouvements de jambes à grande amplitude: après avoir maîtrisé le travail concentrique puis isométrique, et en contrôlant parfaitement les charges et le mouvement, un renforcement excentrique doit aussi être envisagé. Ces principes exposés, voici quelques exercices faciles à mettre en œuvre… Les exercices de proprioception, le travail d’équilibre peut être pratiqué n’importe où et n’importe quand, sans limite. Si vous souhaitez l’intégrer à un cours de judo, ils seront à leur place après l’échauffement ou entre deux études techniques, par séquence de 5 mn. (D) Le pratiquant va renforcer directement ses ischios-jambiers. Attention : le placement du bassin est primordial. Contracter les fessiers, et basculer le bassin vers l’avant. Il faut éviter au maximum de creuser le dos. > D’abord sans ballon, en statique (A) > Puis avec ballon, en statique (B) > Avec ballon en le faisant rouler par flexion/extension de jambes (C) > Avec ballon, d’une seule jambe (D) LEXiQUE Proprioception : désigne la capacité du cerveau humain de connaître à tout instant la position du corps dans l’espace. La plupart des stimuli qui remontent des articulations vers le cervelet ne passent pas par le cortex et restent donc inconscientes. Contractions musculaires excentriques : contractions où les insertions musculaires s’éloignent (quand on déplie, le bras ou la jambe) Contractions musculaires isométriques : contractions où les insertions musculaires ne bougent pas (quand on maintient la contraction sans bouger). Les salles de musculation sont souvent équipées d’une machine de renforcement des ischiosjambiers. Qu’elles prennent cet aspect ou non, elles sont très simples à utiliser. Cependant, il faut garder à l’esprit la logique d’utilisation de l’ischio-jambier dans la discipline judo : souvent la contraction est localisée à l’une des deux jambes, et excentrique. Deux précisions s’imposent alors : > Le travail s’effectuera jambes alternées -> Après une phase de renforcement concentrique préparatoire, le muscle pourra être replacé dans une logique excentrique (ici : descente d’une charge lourde à deux jambes, une seule jambe freine la remontée) PHOTOS : A. BROUSSAL Kinesthésie : C’est l'ensemble des sensations perçues par les systèmes nerveux (c'est-à-dire la tension des muscles, leur relâchement, le mouvement des articulations, les positions des différentes parties du corps, la direction, la dynamique, le ralenti, l'arrêt, l'équilibre, etc.). Contractions musculaires concentriques : contractions où les insertions musculaires se rapprochent (quand on plie le bras ou la jambe, par exemple) 96 L’Esprit du Judo FÉVRIER-MARS 2007 Le travail de renforcement musculaire sera efficace à raison de 2 fois par semaine (avec au moins un jour d’écart) pour des séances de 20 mn. On privilégiera des séries longues sollicitant l’endurance de force, jusqu’à la saturation des muscles. Pendant le cours de judo, des séquences peuvent être intégrées à la phase d’échauffement renforcement musculaire classique, ou à la fin du cours, si il n’a pas été particulièrement intense. 2. ÉVEiLLER « L’iNTELLiGENCE » DE L’ARTiCULATiON d’une articulation, c’est sa capa- stabilité des différentes parties du corps dans L’intelligence cité à la prise d’information interne directe, diverses configurations. ce qu’on appelle « proprioception » et « kinesthésie » (voir lexique). L’entraînement des qualités proprioceptives et kinesthésiques conduit les muscles et articulations à devenir capables de s’organiser lors d’une situation inhabituelle pour mieux se protéger. Il s’agit donc, en produisant diverses perturbations, de stimuler la QUAND ET COMMENT ? Voici quelques illustrations de travail préventif en équilibre précaire, avec plus ou moins de matériel. Le pratiquant se place en situation d’équilibre instable, dans des circonstances les plus proches possibles de son activité de judoka (en l’occurrence : pieds nus), et tente de stabiliser la situation. On peut imaginer une progression de la difficulté : > Sans matériel tout d’abord, sur les deux pieds puis sur un pied, transférer le poids de corps sur l’avant (plante des pieds), l’arrière (talons), les côtés (intérieur ou extérieur) > Même exercice les yeux fermés, puis mains dans le dos > Même exercice en ajoutant du matériel : tapis de gymnastique (varier la densité en en superposant plus ou moins), ou encore sur ballon plat type « dyn air »