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2. L’article de Luce et les critiques qu’il suscita anticipaient sur les débats d’aujourd’hui. Cf.
Robert T. Elson, Time Inc. The Intimate History of a Publishing Enterprise, 1923-1941, New
York, Atheneum, 1968, p. 460-465 ; et surtout W. A. Swanberg, Luce and His Empire, New
York, Charles Scribner’s Sons, 1972, p. 180-184, 306-308, 438-439. On consultera le site
officiel du Project for a New American Century : http://www.newamericancentury.org.
3. Cf. Robert Kagan, William Kristol, « Toward a neo-Reaganite Foreign Policy », Foreign
Affairs, juil.-août 1996, vol. 75 (4), p. 18-32. Cf. également William Kristol, Lawrence
F. Kaplan, The War Over Iraq : Saddam’s Tyranny and America’s Mission, San Francisco
(Calif.), Encounter Books, 2003.
patron de presse anticommuniste, patriote et très influent fondateur du Time 2.
Dirigé par William Kristol, ex-directeur de cabinet de Dan Quayle (vice-président
de George Bush) et rédacteur en chef du Weekly Standard, le groupe des signa-
taires comprenait les principaux théoriciens néoconservateurs : Donald Kagan ;
Jeb Bush, frère du président ; I. Lewis Libby, proche de Dick Cheney ; Dan
Quayle ; Francis Fukuyama, philosophe de l’histoire ; Elliott Abrams ; Zalmay
Khalilzad ; Norman Podhoretz ; Paul Wolfowitz. Parmi leurs alliés conservateurs
(mais non néoconservateurs au sens strict) qui signèrent l’acte fondateur du 3 juin
figuraient aussi Gary Bauer (droite chrétienne), William J. Bennett (conservateur
moral) et Donald Rumsfeld (ex- et futur ministre de la Défense).
Les neocons avaient en commun l’inquiétude et l’aversion que suscitaient
chez eux le « relativisme moral » de Bill Clinton et sa politique étrangère trop
prudente qui, selon eux, exposait l’Amérique à ses ennemis et frôlait la trahison.
Sa diplomatie était dénoncée comme une gestion réactive des crises à travers des
opérations sporadiques ad hoc, ce qu’ils appelaient avec dédain « crisis manage-
ment » ou « international social work ». L’arbre, dans ce contexte tactique, leur
semblait cacher la forêt, les crises régionales comme Haïti, la Somalie, le Rwanda
et les Balkans masquaient les intérêts profonds de l’Amérique et les vrais dangers.
De plus, l’échec coûteux des États-Unis à Mogadiscio (Somalie) en octobre 1993
– mission mandatée par l’ONU – allait renforcer leur détermination à s’affranchir
des Nations unies et à réaffirmer l’indépendance nationale en augmentant les
moyens militaires. Il est vrai que l’impuissance des troupes de l’ONU dans les
guerres des Balkans, notamment à Srebrenica en 1995, justifiait ce souci d’indé-
pendance.
En 1996, Robert Kagan et William Kristol publièrent un article remarqué dans
la revue Foreign Affairs 3, émanation du Council on Foreign Relations qui, basé à
New York, est depuis 1945 un haut lieu de pouvoir et de dialogue interne à l’es-
tablishment. Ils y dressaient un constat d’échec de la diplomatie démocrate des
années 1990 tout comme des alternatives offertes par les Républicains : « En
matière de politique étrangère, les conservateurs sont à la dérive. » Ils clamaient
leur mépris pour le « multilatéralisme wilsonien » de Bill Clinton, le néoisola-
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