Puissances et tensions dans le monde - Hachette

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Puissances etLestensions
chemins de la puissance
dans le monde
SUJET 1 : CORRIGÉ
Les chemins de la puissance
SUJET 1
Séries L, ES – Pondichéry – Mars 2005
ÉTUDE CRITIQUE De DOCUMENT (L, ES)
Analyse de document (s)
La puissance des États-Unis en 1991
Après avoir présenté l’auteur et les circonstances de ce discours, montrez
que ce document est révélateur d’un nouveau contexte international et qu’il
rend compte de la place de la puissance américaine dans le monde de l’après
« guerre froide ». Vous évoquerez aussi les limites de ce document.
Document. Extraits d’un discours sur le nouvel ordre mondial, prononcé
au Congrès par George Bush, président des États-Unis (6 mars 1991)
[…] Nous avons gagné la guerre. Nous avons libéré un petit pays, dont
beaucoup d’Américains n’avaient jamais entendu parler, du joug de l’agression
et de la tyrannie, et nous n’avons rien demandé en échange […]. Maintenant
nous rentrons chez nous, fiers, confiants, la tête haute. Nous avons beaucoup à
faire chez nous et à l’étranger, et nous le ferons. Nous sommes américains […].
Notre engagement en faveur de la paix au Moyen-Orient ne s’arrête pas
à la libération du Koweït. Ce soir, laissez-moi définir quatre objectifs clés :
premièrement, nous devons travailler ensemble à mettre sur pied des accords
de sécurité mutuelle dans la région. […] Deuxièmement, nous devons agir
pour contrôler la prolifération des armes de destruction massive et les missiles
utilisés pour les envoyer. L’Irak requiert une vigilance particulière. Jusqu’à ce
que l’Irak convainque le monde de ses intentions pacifiques, […] il ne doit pas
avoir accès aux instruments de guerre. Troisièmement, nous devons travailler à
créer de nouvelles occasions pour la paix et la stabilité au Moyen-Orient […].
Israël et plusieurs pays arabes ont pour la première fois affronté ensemble le
même agresseur. Désormais, il devrait être clair pour toutes les parties que faire
la paix au Moyen-Orient demande des compromis […]. Une paix globale doit
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Puissances et tensions dans le monde
être fondée sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité des Nations
unies et le principe du territoire en échange de la paix. Ce principe doit être
élaboré pour assurer la sécurité et la reconnaissance d’Israël et, en même temps,
les droits politiques légitimes des Palestiniens. Toute autre solution manquerait
aux deux critères d’équité et de sécurité. Le moment est venu de mettre fin au
conflit israélo-arabe […]. Quatrièmement, nous devons favoriser le développement économique pour le bien de la paix et du progrès […].
À tous les défis offerts par cette région du monde, il n’y a pas de solution
unique, pas de réponse seulement américaine […]. Maintenant nous voyons
apparaître un nouvel ordre mondial […]. Un monde où les Nations unies,
libérées de l’impasse de la guerre froide, sont en mesure de réaliser la vision
historique de leurs fondateurs. Un monde dans lequel la liberté et les droits de
l’homme sont respectés par toutes les nations […].
Ce soir, en Irak, Saddam Hussein marche parmi les ruines, sa machine
de guerre écrasée […]. Le Koweït est libre ; les États-Unis et leurs alliés ont
réussi le premier test de l’après guerre froide sur la voie d’un nouvel ordre
international.
Corrigé
Travail préparatoire
■■ Comprendre le sujet et la consigne
• Le sujet invite à étudier la puissance américaine en 1991. Au « désordre
mondial » résultant de la résurgence de la guerre froide au milieu des années
1970, succède une nouvelle ère qui s’ouvre avec la chute du bloc soviétique. Le
champ libre est laissé aux États-Unis, puissance victorieuse de la guerre froide
qui étend désormais son leadership à toute la planète. Intervenant au lendemain de l’éclatement du bloc de l’Est (fin 1989), la crise du Golfe permet l’esquisse d’un nouvel ordre international. À cette occasion, les Américains se sont
comportés comme des « mercenaires » de la communauté internationale selon
le chercheur Alain Joxe, dans le sens où la cause défendue a pu faire l’unanimité, quand bien même les motivations étaient diverses. Mais, ce faisant, les
États-Unis ont aussi acquis une position hégémonique dans la région la plus
vitale pour les intérêts du monde industrialisé, ce qui accroît leurs responsabilités dans le processus de paix qui s’est engagé au Moyen-Orient, notamment
entre Israël et ses voisins.
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Les chemins de la puissance
SUJET 1 : CORRIGÉ
• La consigne est précise, en demandant d’abord de présenter le document,
en insistant sur l’auteur (attention de ne pas confondre George Bush avec son
fils George W. Bush, président de 2001 à 2009 !), ainsi que sur les circonstances
dans lesquelles celui-ci a prononcé ce discours, qui renvoient non seulement à
la date et au contexte précis de la première guerre en Irak, mais aussi au cadre
plus large de la fin de la guerre froide. Il s’agit ensuite de faire le point sur la
chute de l’URSS et le rapprochement américano-soviétique, qui va justement
laisser le champ libre aux Américains pour intervenir au Moyen-Orient. Enfin,
il faut étudier le programme du « nouvel ordre mondial » sans en oublier ses
limites et la remise en cause de cette vision de G. Bush, qui espérait instaurer la
sécurité collective avec le leadership des États-Unis.
■■ Analyser le document
• Ce discours du président George Bush au Congrès américain, le 6 mars 1991,
est fondamental puisqu’il explique la situation internationale qui se met en
place à ce moment charnière de l’histoire du xxe siècle. Après avoir évoqué la
victoire contre l’Irak lors de la guerre du Golfe, G. Bush annonce la politique
américaine qui sera menée au Moyen-Orient et définit ce qu’il entend par
« nouvel ordre mondial ». Le discours est très ambigu à ce sujet : nouvel ordre
mondial fondé sur une gestion onusienne des conflits ou nouvel ordre mondial
sous l’égide des États-Unis ?
• Il s’agit d’un document de lecture complexe car George Bush s’y exprime
surtout par allusions, ce qui exige une très bonne maîtrise des connaissances
personnelles et une bonne compréhension préalable des événements au
Moyen-Orient. En outre, le document est très récent et son auteur est l’un des
principaux acteurs des événements : il faut donc être capable de prendre du
recul par rapport à des assertions qui ne sont pas forcément objectives.
■■ Mobiliser ses connaissances
• Ce sujet requiert des connaissances à la fois générales sur les relations internationales au tournant des années 1990 et très précises sur la situation du MoyenOrient. Pour cela, il faut se référer à la question « Les chemins de la puissance »
et, plus spécifiquement, au chapitre sur « Les États-Unis et le monde depuis
1918 ». La question sur « Le Proche et le Moyen-Orient : un foyer de conflits »
est également utile pour la compréhension du document.
• « Superpuissance », « hyperpuissance », « multilatéralisme » et « unilatéralisme » sont des notions qui doivent être maîtrisées.
■■ Construire son plan
La consigne invite à organiser l’analyse du texte en trois parties :
I. L’avènement d’une nouvelle ère pour les relations internationales.
II.La fondation, par l’unique superpuissance, d’un nouvel ordre mondial
multilatéral.
III. La contestation d’un ordre international dominé par les États-Unis.
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Puissances et tensions dans le monde
Ce texte est constitué d’extraits du discours prononcé par George Bush au Congrès
américain, formé par le Sénat et la Chambre des représentants, le 6 mars 1991.
Successeur de Ronald Reagan, dont il a été le vice-président dès 1981, et républicain
comme lui, il est élu président des États-Unis en novembre 1988. Sa politique
intérieure poursuit celle de son prédécesseur, et ses succès les plus indéniables
concernent la politique étrangère. En effet, son unique mandat s’inscrit dans le
contexte de la fin de la guerre froide, l’obligeant à redéfinir le rôle des États-Unis,
qui, avec l’effondrement du bloc soviétique, restent alors la seule superpuissance
en lice. Il se heurte également à la question de l’instabilité du Moyen-Orient,
qui lui permet d’illustrer la mission de paix que sa nation s’est assignée dans le
monde.
Les circonstances dans lesquelles George Bush prononce ce discours sont ici
très particulières, puisqu’il s’agit de justifier l’intervention américaine en Irak. En
effet, le 2 août 1990, les forces irakiennes avaient envahi le Koweït, notamment pour
s’emparer de ses richesses en hydrocarbures et parce que l’Irak n’a jamais reconnu
l’indépendance, en 1961, de ce micro-État. Celui-ci, de surcroît, refusait d’annuler
la dette colossale contractée par l’Irak dans les années 1980, au moment de la guerre
contre l’Iran. Ne pouvant tolérer l’émergence d’une puissance régionale dominante
dans cette région pétrolière stratégique, les États-Unis décident d’intervenir, à la
tête d’une coalition de 30 pays et avec l’accord de l’ONU. Le 17 janvier 1991 est
lancée l’opération « Tempête du désert », qui marque le début de la première guerre
du Golfe, laquelle s’achève victorieusement six semaines plus tard. George Bush
veut en faire l’illustration du « nouvel ordre international » qu’il souhaite. Il s’agit
d’étudier la mise en place de ce nouveau contexte international, puis de définir ce que
le président américain qualifie de « nouvel ordre mondial » et enfin de montrer que
ce système va subir de fortes contestations.
George Bush déclare que les Nations unies sont « libérées de l’impasse de la
guerre froide », alors que le bloc soviétique achève de s’effondrer. Après la chute du
Mur de Berlin le 9 novembre 1989, les démocraties populaires d’Europe de l’Est se
détachent de la tutelle soviétique, puis, en 1990, les Républiques baltes reprennent
leur indépendance. En mars 1991, l’URSS est à l’agonie, sur le point d’éclater : le
Conseil d’assistance économique mutuelle, ainsi que le pacte de Varsovie vont être
dissous respectivement le 28 juin et le 1er juillet ; il ne reste quasiment plus qu’à
enterrer officiellement l’URSS, ce qui sera fait en décembre. Dans ce contexte,
l’opposition entre les États-Unis et l’URSS fait place au rapprochement, d’autant
plus que cette dernière compte sur l’aide étrangère pour assurer sa transition vers
l’économie de marché. Dès le mois de décembre 1989, George Bush et Mikhaïl
Gorbatchev annoncent à Malte l’avènement d’une « ère nouvelle » dans les relations
internationales.
Mikhaïl Gorbatchev cherche désormais la conciliation avec les États-Unis, et,
dès le 17 août 1990, Moscou proteste contre la « perfidie » de son ancien allié
Saddam Hussein. Par la suite, des diplomates soviétiques vont tenter de faciliter les
négociations, mais surtout Moscou vote en faveur de toutes les résolutions des Nations
unies contre l’Irak : la guerre froide a bien pris fin. L’Irak ne peut plus compter sur
la rivalité des deux Grands, et l’ONU n’est désormais plus l’otage des droits de
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Les chemins de la puissance
SUJET 1 : CORRIGÉ
veto américain et soviétique au Conseil de sécurité. Les États-Unis apparaissent
alors comme le leader d’un monde réunifié autour du droit et de la démocratie,
« dans lequel la liberté et les droits de l’homme sont respectés par toutes les
nations ».
L’effondrement du communisme au début des années 1990 consacre donc
le triomphe des États-Unis, devenus puissance dominante d’un « nouvel ordre
mondial » qu’ils cherchent à promouvoir. Ils s’efforcent de proposer un système
fondé sur la coopération – « pas de réponse seulement américaine » – et l’acceptation
par tous les pays de règles communes, dont le respect est confié à l’ONU avec le
soutien de la puissance complète. Mais le discours de George Bush témoigne d’une
certaine ambivalence, puisque ce dernier, d’une part, se félicite que les Nations unies
puissent enfin « réaliser la vision historique de leurs fondateurs », mais, d’autre part,
insiste sur le rôle que les États-Unis peuvent s’attribuer dans le monde en s’engageant
pour la paix, notamment au Moyen-Orient.
Depuis la fin des années 1980, l’ONU a retrouvé une certaine marge d’action,
avec l’arrêt du blocage systématique du Conseil de sécurité dû à l’opposition des
deux Grands. Elle cherche donc à amplifier son action et réaffirme d’ailleurs son
rôle lors de la première guerre du Golfe et du conflit yougoslave. Mais, si l’agression
irakienne au Koweït a été condamnée à l’unanimité par la résolution 660 du Conseil
de sécurité, ce sont les États-Unis qui prennent l’intervention en main, et l’action
onusienne atteint rapidement ses limites. D’ailleurs, l’ONU, telle qu’elle est
présentée dans le document, est constituée par « les États-Unis et leurs alliés », ce
« nous » employé par George Bush, puis par les autres…
En fin de compte, davantage que le recours à l’ONU, c’est la capacité des ÉtatsUnis à assumer une fonction de « gendarme du monde » qui est mise en avant dans
le document : « Nous avons beaucoup à faire chez nous et à l’étranger, et nous
le ferons. » La volonté d’établir un monde unipolaire centré sur la domination
américaine ressort déjà clairement des quatre objectifs que s’est fixés le pays quant
au règlement de la paix au Moyen-Orient.
Le premier consiste à mettre en place des « accords de sécurité mutuelle dans
la région » afin de renforcer leurs alliances politiques et militaires dans le cadre
d’accords bilatéraux avec l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, l’Oman, le Qatar
et les Émirats arabes unis, et ce contre les « États voyous » que sont l’Iran, l’Irak,
ainsi que le Yémen. La première guerre en Irak va aussi favoriser le renforcement des
bases militaires américaines dans la région, en particulier au Koweït, au Qatar et en
Arabie Saoudite.
Toujours dans l’idée de contrôler l’Irak, les États-Unis se fixent comme second
objectif d’éliminer toutes les « armes de destruction massive » dans ce pays. À l’issue
de la première guerre du Golfe, les Irakiens se sont retirés du Koweït, mais Saddam
Hussein reste au pouvoir et rétablit son autorité par la répression. Il châtie notamment,
avec brutalité et en toute impunité, les insurrections kurdes dans le Nord et chiites au
Sud, faisant même usage d’armes chimiques. Cependant, soupçonné de produire des
armes de destruction massive et d’avoir des liens avec le terrorisme international, il
devra autoriser des inspecteurs de l’ONU à enquêter sur son armement au cours des
années 1990.
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Puissances et tensions dans le monde
Troisième objectif : George Bush évoque, dans son discours, le règlement du
conflit israélo-palestinien, ce qui est indispensable pour garantir la paix dans la
région. Depuis plusieurs années, les États-Unis tentent de s’ériger en arbitre de
cette confrontation, ayant notamment organisé les accords de Camp David en 1978.
À partir de 1991, la diplomatie internationale tente d’établir un nouveau processus
de paix, dans lequel les États-Unis continuent d’exercer un rôle important : la
Conférence internationale de Madrid réunit, le 31 octobre 1991, les principaux
protagonistes sous la surveillance des États-Unis. L’OLP (Organisation de libération
de la Palestine), créée en 1964, se montre, en effet, prête à négocier, car, ayant
soutenu Saddam Hussein, elle se trouve, à ce moment-là, en position de faiblesse.
Enfin, le dernier objectif consiste à « favoriser le développement économique »
de la région, dans une louable perspective d’instaurer une paix fondée sur la
prospérité, ce qui n’est pas sans intérêt pour les États-Unis. En fait, les entreprises
américaines vont en profiter pour renforcer leur influence, sans qu’aucun projet réel
de développement économique soit élaboré.
Notons, à ce propos, que l’un des principaux motifs des interventions américaines
dans la région réside dans le fait que le golfe Persique renferme la moitié des réserves
mondiales de pétrole. En cela, l’action des États-Unis au Moyen-Orient illustre
l’ensemble des interventions américaines extérieures : le thème de la défense de la
paix et du monde libre masque bien souvent des entreprises visant principalement à
la sauvegarde de leurs propres intérêts.
L’universalisme des valeurs américaines est rejeté, particulièrement au MoyenOrient. Malgré la volonté affichée, en 1991, de pacifier la région, les États-Unis
doivent toujours faire face à une forte instabilité dans cet espace, renforcée par
le développement de l’islamisme radical et de l’antiaméricanisme au cours des
années 1990. Il est d’ailleurs probable que, à la suite de l’intervention de 1991, le
stationnement durable de nombreuses forces armées américaines dans la région, et en
particulier en Arabie Saoudite, à proximité des lieux saints de La Mecque et Médine,
y a contribué. En cela, il est difficile de dire que les objectifs fixés dans ce discours
par George Bush ont été atteints.
Malgré tout et jusqu’à la fin des années 1990, les États-Unis préfèrent agir sous
couvert de l’ONU, et le « nouvel ordre mondial » qui semble se mettre en place est
certes façonné par eux, mais avec l’appui des Nations unies. L’antiaméricanisme
atteint son paroxysme avec les attentats du 11 septembre 2001 organisés par Oussama
Ben Laden et son organisation al-Qaida. Ces attentats meurtriers vont complètement
changer la donne. Ils mettent brutalement fin à l’illusion de la sécurité pour les
États-Unis et créent un profond traumatisme en révélant l’hostilité à l’égard de la
nation américaine. Désormais, le pays se considère en « guerre » contre le terrorisme
international, ou même en « croisade » pour la liberté, selon les termes du président
G. W. Bush, qui n’est autre que le fils de George Bush. Les espoirs d’une gestion
multilatérale des crises internationales vont alors être largement déçus en 2003,
quand les États-Unis, s’estimant menacés, déclenchent une guerre préventive contre
l’Irak en se passant de l’accord des membres du Conseil de sécurité de l’ONU.
Celle-ci se retrouve marginalisée dans un rôle simplement humanitaire, tandis que
l’unilatéralisme se renforce.
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Les chemins de la puissance
SUJET 1 : CORRIGÉ
Ce discours est révélateur de la place nouvelle des États-Unis dans le monde
à la fin de la guerre froide. Si le président américain G. Bush semble entendre par
« nouvel ordre mondial » un ordre multipolaire fondé sur un rôle accru de l’ONU,
son discours préfigure déjà la volonté de mettre en place un monde unipolaire, dans
lequel la scène internationale serait régie par les États-Unis, acteur hégémonique et
incontournable agissant unilatéralement pour assurer leur sécurité et celle du monde
entier.
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