4/5
Le recours au vécu moteur apparaît comme un moyen de connaissance du réel qui correspond aux
caractéristiques de la pensée de l'enfant au stade préopératoire. Selon Piaget (1937) et Inhelder
(1966b), la perception du réel jusqu à sept ou huit ans reste essentiellement égocentrique : dans
ses jugements perceptifs, l'enfant ne tient compte que de son seul point de vue et de ses
impressions immédiates. Or l'expérimentation motrice constitue précisément une situation dans
laquelle on met en valeur ce que l'enfant ressent intimement à travers ses propres actions et la
résonance affective qu'elles entraînent. Il s'ensuit que, dans le contexte des classes maternelles
et de première année du primaire, les expériences motrices habilement aménagées par le
pédagogue prennent une valeur de référence fort influente pour les enfants qui les vivent, que le
pédagogue pourra mettre à profit.
2.4 L'ACTIVITE MOTRICE COMME MOYEN D'INTEGRER UN CONTENU D'APPRENTISSAGE
En amenant l'enfant à participer activement et pleinement au processus d'apprentissage, la
pédagogie basée sur l'expérimentation non seulement confère au processus et au contenu de
l'apprentissage une signification et une résonance authentiquement personnelles, mais elle fait en
sorte que l'élève devienne l'agent de construction de ses connaissances. Tout se passe comme si,
à travers les situations d'apprentissage fondées sur l'activité motrice, le sujet interagissait avec le
contenu de connaissance (Werner et Burton, 1979). Nous retrouvons ici l'idée énoncée plus haut
selon laquelle le fait d'être un acteur, construisant activement ses savoirs, a un effet
extraordinairement plus dynamisant et fécond sur le processus d'apprentissage que le fait d'être
le récepteur passif d'un message. Plus totalement une personne est engagée dans le processus
d'acquisition d'une connaissance, plus la qualité et l'intégration de cette connaissance sont grandes.
Plusieurs études ont montré que le recours à des scénarios d'apprentissage dans lesquels l'enfant
est physiquement actif favorisait l'assimilation de l'objet de connaissance et son application à la
compréhension d'autres notions (Penman, Christopher et Wood, 1966; Humphrey, 1967; Cratty 1972,
1973; Bledsoe, Purser et Frantz, 1974). L'intérêt de telles recherches tient à ce qu'elles s'articulent
pour la plupart autour de situations réelles d'apprentissage qui, abordées de manière traditionnelle,
posent systématiquement des difficultés à plusieurs élèves. Ces travaux tendent à montrer que si la
difficulté initiale d'apprentissage est transposée dans une situation nouvelle présentée comme un
défi, généralement ludique, sur le plan moteur ou perceptivomoteur, et que la résolution de
cette difficulté n'est pas présentée comme le but de l'exercice, mais plutôt comme une façon de
relever le défi moteur, alors l'élève parvient à se donner des moyens inédits supplémentaires
pour résoudre le problème initial dans le contexte de l'exercice.
Cratty (1971) cite le cas d'élèves qui, aux prises avec des difficultés de reconnaissance et
d'identification des lettres de l'alphabet, parviennent à se tirer d'affaire après avoir vécu divers jeux
spécialement conçus dans lesquels ils devaient épeler le son ou le mot entendu en sautant dans les
cases d'une marelle comportant chacune une lettre de l'alphabet (voir la figure 6.1, p. 136).
L'action est en outre un moyen privilégié de mettre à l'épreuve et de remanier le savoir et les
savoir-faire. Par les tâtonnements qu'elle suppose, l'activité motrice dans laquelle un sujet
s'engage pour relever un défi ou pour résoudre une énigme mathématique, par exemple, donne
lieu à des rétroactions qui informent sur les effets des actions entreprises, inspirent de nouvelles
manières de percevoir le problème, engendrent de nouvelles stratégies de résolution de ce
problème et réorientent constamment l'apprentissage spontané ou dirigé (George, 1983;
Humphrey, 1985). De plus, le savoir fondé sur la découverte empirique améliore la pensée créative
grâce à l'établissement de correspondances intersensorielles entre les apprentissages, ce qui favorise
une plus grande flexibilité de leurs applications (Szekely, 1950a, 1950b).
Enfin, dans la conception piagétienne du développement de la pensée chez l'enfant, l'action
directe sur les éléments du réel sert de fondement à la représentation mentale de cette réalité et
des opérations intellectuelles qui, au stade opératoire, permettront à l'enfant non seulement
d'objectiver sa perception du réel, mais encore d'anticiper les résultats de l'action sur ces
éléments. Quand nous demandions aux enfants de tous les niveaux de prévoir la surface de section
d'un corps géométrique, tel qu'un cylindre de pâte à modeler (avec coupure perpendiculaire à la
longueur) ou bien de prévoir ce que donnera le rabattement d'un des côtés du cube en carton, etc.,