REINTRODUIRE DES VAUTOURS EN EUROPE LES ALPES : UNE POSITION CLE OBJECTIFS ET STRATEGIE : ELEMENTS DE REFLEXION Jean-Pierre CHOISY jean-pierre.choisy@pnr-vercors 1/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. 2002 PNR du Vercors INTRODUCTION La réintroduction des vautours concerne les politiques agricoles, de développement touristique, et elle est concernée par elles : importance du contexte humain pour réussir. Mais, par nature, elle se place d’abord dans le cadre de politiques de conservation et restauration de la biodiversité : européennes, nationales, locales. Celles-ci reposent sur des valeurs1. Ces niveaux supérieurs de la hiérarchie des niveaux d’analyse et de décision sont hors de notre propos, qui se situe à ceux des objectifs et des stratégies visant à les atteindre. OBJECTIFS Localement, le retour des Vautours est un grand objectif de reconstitution faunistique et écologique. À l’échelle continentale ou mondiale, l’objectif est une contribution à la pérennité des espèces concernée. Cette contribution, toujours importante, l’est d’autant plus pour les deux espèces aux effectifs mondiaux réduits : Gypaète et Vautour moine. Une question fondamentale est : dans quelle partie de l’Europe peut-on fonder des noyaux de population de vautours sans qu’il s’agisse d’une introduction d’espèces biogéographiquement étrangères au territoire ? Deux écueils opposés sont à éviter : - il n’est pas question de renouveller pour ces oiseaux les aberrations à l’origine de la présence sur en Europe des Faisans, Rat musqué, Ragondin, Sika, Mouflon, Poisson-chat, etc ; - les rares données sur leurs répartitions passées, jalons biogéographiques et écologiques précieux, ne sauraient être des références limitatives. En effet, lorsqu’on a commencé à écrire sur les vautours d’Europe, leurs aires de répartition étaient sans aucun doute depuis longtemps artificiellement fragmentées. En outre on ne dispose pas de témoignages écrit de présence ou absence sur l’ensemble de l’Europe du sud à cette époque, mais simplement de rares textes concernant des régions bien plus réduites. L’image de leurs aires de répartitions résiduelles globales dans ce proche passé en est donc très probablement encore minorée. STRATEGIE La poursuite des objectifs doit tirer le meilleur parti possible de moyens relativement réduits et même d’une véritable pénurie d’oiseaux à lâcher, sauf pour le Vautour fauve. La première question est donc : dans quelles régions des réintroductions permettent d’optimiser à l’échelle continentale leur efficacité pour le retour des vautours à l’échelle continentale ? La seconde est : où doit-on lâcher au sein d’une de ces régions ? Il ne s’agit que d’un changement d’échelle : stratégie continentale et stratégie régionale. Le succès d’une opération particulière dans un massif retenu par la stratégie dépend étroitement d’une approche pertinente des conditions écologiques locales et du contexte humain. Mais ce niveau tactique de la hiérarchie des niveaux d’analyse et de décision est hors de mon propos, de même que celui de la mise en œuvre des moyens opérationnels. Tout au plus ces niveaux serontils être brièvement évoqué lorsqu’ils peuvent avoir une incidence sur la stratégie. 1 Au moins implicitement. 2/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors AIRES BIOGEOGRAPHIQUES A l’échelle continentale, il n’y a lieu de discuter ni les limites occidentales (aucun des quatre vautours d’Europe ne s’est jamais implanté au-delà de l’Atlantique), ni les limites orientales (les quatre espèces nichent plus à l’est), ni les limites méridionales (tous atteignent le sud du continent et trois, au-delà encore) . L’analyse portera donc sur les limites septentrionales des aires biogéographiques des vautours d’Europe, ainsi que sur leurs discontinuités éventuelles. I. - LIMITES SEPTENTRIONALES Il n’y a jamais eu de vautours sous les hautes latitudes alors que, plus au sud, certains nichent à haute altitude2. On n’en discutera pas ici le déterminisme écologique. Constatons simplement que la Scandinavie et les régions de latitudes analogues sont en dehors des aires biogéographiques passées, actuelles et potentielles des vautours. Plus au sud la vaste région de plaines et reliefs mous de l’Europe moyenne3 constitue la limite septentrionale absolue des trois nicheurs rupestres : Gypaète, Vautour fauve et Percnoptère. Le climat cantonne-il la nidification de certains Vautours encore plus au sud ? Pour le Gypaète, rien ne permet de le supposer. Les stations historiques les plus nordiques où l’on mentionne la nidification du Vautour fauve atteignent la limite géomorphologique évoquée plus haut : le sud-ouest de l’Allemagne jusqu’au Moyen Age (Glutz et al. in Cramp) et le sud de la Pologne jusqu’au XIX° siècle et même jusqu’en 1914 (Tomialojc in Cramp). Pourtant, il est généralement admis que les climats ensoleillés sont plus propices à cette espèce, notamment par leurs ascendances. La nidification au-delà des Alpes du sud pourrait s’expliquer par des stations localement plus favorables que le climat régional à la mauvaise saison (faces des massifs d’exposition sud, etc.) et/ou une abondance particulière de charognes, permettant aux vautours fauves de se nourrir avec relativement peu d’heures favorables au vol pendant quelques mois par an. Il se peut aussi qu’on s’exagère beaucoup l’héliophilie du Vautour fauve et qu’il n’ait pas de problème majeur pour nicher beaucoup plus au nord que les Alpes du sud, surtout dans les massifs calcaires externes. Même le Percnoptère, tropical et méditerranéen mais migrateur, donc échappant aux rigueurs hivernales, a niché jusqu’à la fin du XIX° en Haute-Savoie, près de Genève. Peut-être nichait-il encore plus au nord dans un passé plus ancien n’ayant pas laissé de traces dans la littérature ? Constatons que les stations septentrionales de nidification du Vautour moine, aux confins de la Pologne et de la Slovaquie (Glutz et al., Tomialojc, in Cramp), buttent sur la même limite géomorphologique que le Vautour fauve, alors qu’il niche sur arbre. Limite climatique? Ou bien conséquence de la densité humaine, forte depuis des siècles dans les plaines d’Europe centrale et occidentale ? A la belle saison, la répartion potentielle des espèces est beaucoup plus large : en altitude : même pour les espèces autres que le Gypaète la haute montagne est, alors , exploitable, même par les nicheurs, si elle n’est qu’à un ou quelques dizaines de kilomètres du nid ; - en latitude : les non nicheurs peuvent aussi estiver durablement dans des zones bien plus lointaines : potentiellement, toutes les montagnes, basses ou hautes, au sud des plaines d’Europe moyenne, sous réserve que la nourriture y soit présente. Occasionnellement, ils font des incursions dans celles-ci, voire plus au nord encore. - 2 Les températures peuvent y être aussi basses que dans les régions arctiques en hiver, quand commence la reproduction des vautours. Mais ils n’y subissent pas une extrême réduction de la longueur du jour nécessaire à la longue recherche de cadavres sur des superficies d’autant plus vastes que la productivité primaire est réduite. 3 De la moitié nord-ouest de la France à la Russie, en passant par la plaine germano-polonaise. 3/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors II. – CONTINUITE, DISCONTINUITES La continuité biogéographique se situe à une tout autre échelle que la continuité écologique. Une aire biogéographique est, dans la très grande majorité des cas, l’enveloppe de biotopes plus ou moins discontinus4. Un obstacle éco-éthologique n’introduit une discontinuité biogéographique que s’il est d’une certaine dimension, fort variable selon les aptitudes au déplacement de l’espèce considérée5 : des vautours fauves nicheurs ayant couramment un rayon d’action de plusieurs dizaines de kilomètres autour du nid, un hiatus de vingt ou trente kilomètres dans les parois rocheuses ne saurait être considéré comme rompant la continuité de l’aire biogéographique. Les autres vautours étant capables de déplacements du même ordre de grandeur, il est hautement invraisemblable que les énormes hiatus actuels tronçonnant d’est en ouest les aires de répartition des vautours d’Europe aient d’autres causes que des destructions par l’Homme, directes ou indirectes, récentes à l’échelle de temps de l’évolution des grands Vertébrés. Les données les plus anciennes ne remontent généralement qu’à quelques siècles et concernent des aires déjà artificiellement très morcelées. Certes, il existe des discontinuités naturelles d’aires biogéographiques. Mais elles s’expliquent par de vastes obstacles écologiques6. On en chercherait vainement de même ampleur spatiale que les vides séparant actuellement les fragments des aires de répartition des vautours en Europe. PRIORITES STRATEGIQUES La stratégie doit être modulée avec opportunisme : un contexte humain local, ou régional, temporairement défavorable dans une zone prioritaire ne doit pas interdire d’agir ailleurs. Ainsi : - la sauvegarde des populations existantes, dont certaines dans une situation préoccupante, voire critique, devrait être la priorité absolue. Mais il n’est pas possible de passer à la réalisation tant que les causes de destruction locales ne sont pas maîtrisées ; si c’est dans les gorges des Causses qu’on a commencé la réintroduction du Vautour fauve, ce n’est pas que cette localisation ait été géographiquement la plus pertinente à l’échelle européenne. C’est que, dans les années 1970-80, le contexte humain, tant naturalistes que population locale, s’y prêtait bien davantage qu’ailleurs. Plus tard, pour le Vautour moine s’y ajoutait le précédent local de la réussite de la réintroduction du Vautour fauve. L’achèvement des réintroductions en cours est la priorité à très court terme : il s’agit également de populations encore fragiles, mais dans des régions où le contexte humain permet une bonne efficacité des lâchers. On les poursuivra donc jusqu’à ce que soient atteints des effectifs assurant le développement ultérieur spontané des populations fondées. Toutes autres choses étant égales par ailleurs, sont prioritaires les massifs offrant des potentialités actuelles7 importantes, continues sur de vastes étendues. 4 Ainsi, les aires biogéographiques du Colvert Anas platyrhynchos, du Pinson Fringilla coelebs et de l’Alouette Alauda arvensis couvrent toute l’Europe ou presque, quoique eaux, forêts et prairies y soient discontinues. 5 Par exemple, entre les Préalpes occidentales et le Massif Central le Rhône constitue : - la limite biogéographique nord-est pour l’espèce Lacerta hispanica, petit lézard ibérique ; - une limite entre populations de Chamois R. rupicapra, empêchant des échanges journaliers ou des transhumances régulières, franchissable par des jeunes émancipés en phase de dispersion : la recolonisation spontanée du Massif Central est actuellement en cours à partir des Préalpes ; - un simple repère visuel pour les Vautours, aussi inexistant en tant qu’obstacle que n’importe quel cours d’eau à l’intérieur des Alpes ou du Massif Central. 6 Par exemple entre les populations des toundras arctiques du Lagopède Lagopus mutus et celles des hautes montagnes méridionales. 7 Ne pas se focaliser sur le passé local : sur certains versants où le Vautour fauve pouvait, vers 1850, chercher des cadavres dans des pâturages, de nos jours, le Lynx chasse en forêt. Inversement, il y a des massifs où, il y a 4/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors Tout cela posé, la priorité est : tronçonner les plus grands hiatus entre populations actuelles d’une même espèce par des réintroductions médianes et non pas les grignoter par les extrémités. En Europe continentale, avant le début des réintroductions, un énorme hiatus artificiel8 centré sur les Alpes séparaient les populations pyrénéo-ibériques de celles des Balkans, à l’exception de populations résiduelles de Percnoptère en France méditerranéenne et en Italie. Le choix des Alpes pour le Gypaète, plus récemment celui des Préalpes françaises du sud pour le Vautour fauve et le Vautour moine, ont donc été particulièrement pertinents. L’importance géographique des Alpes et de leurs bordures dans une stratégie de réintroduction des Vautours en Europe est confirmée par l’observation dans les récents noyaux de population de vautours fauves des Préalpes françaises d’oiseaux originaires tant de l’ouest de l’Europe (Espagne, Pyrénées, Massif Central) que de l’est (Abruzzes, Croatie). Les stratégies propres aux diverses espèces ont des singularités propres, dont on va discuter. I. - GYPAETE GYPAETUS BARBATUS Ce sont essentiellement les massifs élevés où existent d’importantes populations de chamois et de bouquetins hors forêts qui lui offrent toute l’année des os accessibles en suffisance. Plus bas, le milieu est souvent plus boisé et, surtout, l’Homme tolère rarement des densités d’Ongulés sauvages suffisantes. Mais ce n’est qu’une moyenne statistique et non pas un déterminisme altitudinal direct et absolu : aussi en dessous de la haute montagne existent aussi des massifs actuellement très favorables. Dans les Alpes, le Gypaète s’installe dans les massifs de lâcher et dans quelques autres particulièrement favorables (deux couples nicheurs en Vanoise), surtout s’il ne sont pas trop éloignés (philopatrie). Ailleurs dans la chaîne, l’observation occasionnelle d’oiseaux non fixés à un territoire, possible dans tous les massifs, est presque partout encore exceptionnelle. Le développement des effectifs joint au comportement territorial des adultes devrait assurer à long terme une recolonisation spontanée de tous les massifs des Alpes où l’espèce trouvera os, sécurité, sites de nidification. Dans la mesure où des oiseaux seraient disponibles sans porter atteinte à l’opération en cours, la création d’un nouveau point de lâcher à l’extrême ouest des Alpes aurait un intérêt tout particulier : diminuer rapidement le hiatus entre la population de cette chaîne et celle des Pyrénées. Secondairement l’élargissement de l’aire de présence dans les Alpes françaises, encore très centrée sur les massifs internes, en serait accélérée9. Lorsque le Gypaète aura élargi son occupation actuelle dans les Pyrénées et les Alpes, une population dans les gorges du sud du Massif Central auraient, par rapport aux Pyrénées orientales, une position analogue à celle des canyons du sud de l'Aragon par rapport celles des massifs du centre de la chaîne. Donc, des lâchers de Gypaètes dans l’extrême ouest des Alpes et dans les gorges du sud du Massif Central serait une contribution majeure au développement d’un transit entre Alpes et Pyrénées. Le retour du Chamois et du Bouquetin dans ce massif10 contribuerait beaucoup à en augmenter les potentialités pour cette espèce. cinquante ans seulement, le Gypaète n’aurait pu se nourrir en dehors de la saison de présence des transhumant mais où de nos jours, abondent Chamois et Bouquetin, fournissant des os toute l’année. 8 De 1000 à 2100 km selon les espèces. 9 Dans le Parc Naturel Régional du Vercors, les falaises du Glandasse et du cirque d’Archiane, à l’extrémité sud de la plus réserve nature de France, de la Réserve Naturelle des Hauts Plateaux du Vercors, constituent un site particulièrement favorable à l’espèce occupant une telle position géographique (cf. visite de Michel Terrasse, Hans Frey, Marteen Bijleveld en 2001). L’espèce y a déjà été observée, ainsi que sur cinq autre sites du Vercors et du Diois : à proximité immédiate et jusqu’à 20 et 25 km de là. 10 En cours pour le Chamois, projets de réintroduction pour le Bouquetin. 5/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors II. - PERCNOPTERE NEOPHRON PERCNOPTERUS Dans les quatre noyaux de population de Vautour fauve issus de réintroductions en France, on assiste au retour spontané du Percnoptère : estivage durable, puis nidification, cette dernière pour l’instant seulement dans les deux populations les plus anciennement réintroduites. Il arrive même que l’estivage commence alors que les vautours fauves sont encore maintenus en volière. Ces faits suggèrent l’hypothèse d’une évolution du Percnoptère comme finisseur de restes : carcasses entamées par de grands Vautours ou/et des Carnivores, avec extension ultérieure aux déchets de l’Homme. En France, le contraste entre les effectifs pyrénéens et ceux du midi méditerranéen suggère que ces derniers représentent les pauvres restes d’une ancienne communauté de plusieurs espèces de vautours, ayant réussi à vivoter après l’élimination des plus grandes espèces. Pour la restauration de la situation de l’espèce en Europe, l’état actuel des connaissances conduit à préconiser la stratégie suivante : - concentrer les moyens en faveur des populations subsistantes, que ce soit sur les territoires de reproduction, ceux d’hivernage, ou en migration. La réintroduction n’est qu’un des moyens envisagés. On ne développera pas davantage car elle n’a encore été réalisée nulle part ; - ailleurs, suivre le retour spontané de l’espèce là où on réintroduit le Vautour fauve. III. - VAUTOUR FAUVE GYPS FULVUS Au contraire de l’espèce précédente, l’absence de comportement territorial, l’extrême grégarisme, font que, seuls, de nouveaux lâchers peuvent créer de nouveaux noyaux de population sans attendre des décennies, voire des siècles. A. - CHOIX DES REGIONS DE REINTRODUCTION Sont prioritaires les régions offrant sur de vastes étendues, simultanément : - abondance de sites de nidification : des parois rocheuses riches en corniches, vires et cavités. La grégarité de l’espèce, nichant en colonie, exige cette abondance de sites. Elle se rencontre plus souvent dans les massifs calcaires, ou dolomitiques, qu’ailleurs ; - altitude modérée des sites de nidification potentiels : ils doivent être bien représenté également en dans les étage collinéens et/ou méditerranéens, à Quercus pubescens ou/et Quercus ilex, etc. (donc bien dessous de 1000 m.). Les plus hauts doivent doit se situer au maximum au niveau du bas de l’étage de végétation montagnard à Hêtre Fagus et/ou Pinus sp. etc. (à l’adret au plus 1300 ou 1400 m.) ; - domaine vital potentiel en grande partie en dessous de la haute montagne ; - climat régional méridional, sans être nécessairement méditerranéen. L’ensoleillement importe davantage que la douceur de la température de l’air ; - position géographique scindant les hiatus entre les populations des gorges des Causses et des Balkans. Deux grandes régions des Alpes, répondent aux exigences exposées plus haut : les Préalpes occidentales (Préalpes françaises du sud) et les Alpes méridionales (massifs périphériques du versant 11 12 italien des Alpes centrales et orientales) . La réintroduction y est commencée . : Diois, Baronnies et 11 Ailleurs des potentialités existent : faces méridionales et orientales des Préalpes du nord, certains sites de massifs cristallins, des vallées internes, de la bordure italienne des Alpes occidentales. Mais les potentialités sont plus localisées, moins continues. Ces massifs sont donc moins prioritaires. 6/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors gorges du Verdon dans les Préalpes, Frioul dans les Alpes méridionales. De ce fait, le plus grand hiatus entre les populations de l’ouest et de l’est de l’Europe, naguère d’environ 1000 km, a été réduit de moitié. Le transit est en train de se rétablir de l’Espagne aux Balkans : les Préalpes échangent des vautours fauves avec les gorges des Causses, les Pyrénées, l’Espagne, mais aussi avec l’Italie et la Croatie. Sous réserve de faisabilité locale, la poursuite de cette réduction impose comme priorité géographique actuelle l’ouest des Alpes méridionales : le nord-ouest de la Lombardie. Alors, de l’Espagne à la Croatie, il n’y aurait plus aucun hiatus dépassant 250 km, ce qui devrait induire une intensification des échanges. La priorité suivante serait l’Apennin Toscan ou ses environs : cette position géographique faciliterait le transit entre Alpes et les Abruzzes. Des vautours des Préalpes ont déjà été vus près de Modène. Pour poursuivre l’élaboration d’une stratégie européenne de réintroduction du Vautour fauve la priorité d’étude actuelle est donc l’analyse des potentialités écologiques des divers massifs des Alpes méridionales. Ceci doit venir avant l’étude, tactique, des contraintes et ressources de faisabilité liées aux contextes humains locaux actuels. Susciter de telles analyses, dont l’importance dépasse de beaucoup le cadre local, pourrait être un grand objectif du Réseau Alpin des Espaces Protégés. B. – AU SEIN D’UNE MEME REGION 1. – LACHER DANS PLUSIEURS MASSIFS Six étés après le premier lâcher dans les Préalpes, la surface prospectée à la belle saison par les oiseaux du Diois et des Baronnies couvre plus de 5000 km2. C’est le double de l’aire prospectée par ceux des gorges des Causses au bout de vingt ans, en dépit d’effectifs trois fois moins élevés. On le doit avant tout à la création de deux noyaux de populations distants de 40 km. Des oiseaux dont le conjoint couvent dans l’un des sites fréquentent couramment l’autre. Ces faits conduisent à, désormais, vivement préconiser, pour une même grande région, une stratégie de réintroduction POLYCENTRIQUE. Pour optimiser l’effet souhaité, la distance entre les deux sites de réintroduction devrait être comprise entre 40 et 70 km (extrêmes : 30 à 100 km). 2. – RESSOURCES ALIMENTAIRES Cette espèce vit quasi-exclusivement de charognes d’Ongulés. De nos jours, en Europe, l’accès aux cadavres de bétail est généralement nécessaire : il est rare que l’Homme tolère d’importantes populations d’Ongulés sauvages, surtout hors des forêts, aux altitudes modérées où l’espèce se cantonne à la mauvaise saison. Toutefois il convient de remarquer que subsister essentiellement à partir d’animaux sauvages est, parfois, possible : on en connaît au moins un cas, dans le nord-est de l’Espagne. Ceci suppose que la biomasse des Ongulés reste à la disposition des vautours. C’est concevable dans les situations suivantes : - chasse laissant le cadavre sur le terrain : chasse exclusivement pour le trophée, ou tirs d’élimination pour raison économiques (sanglier, femelles et jeunes de Cervidés, etc.). Un compromis pourrait être de ne récolter la venaison que des seuls animaux d’âge ≤ 2 ans, en laissant aux vautours les corps des animaux plus vieux ; - populations d’Ongulés non chassées. A altitude modérée, ce n’est guère envisageable à l’échelle d’un massif que pour le Bouquetin : du fait d’un habitat beaucoup plus rupestre que celui de toutes les autres espèces d’Ongulés, un contrôle des effectifs peut, bien souvent, ne pas être économiquement nécessaire, surtout dans des massifs à faibles densités humaines. Les deux options peuvent se combiner dans un même massif : la seconde pour le Bouquetin, la première pour les autres Ongulés. 12 Pour l’ensemble des trois sites des Préalpes, cent trente oiseaux l’hiver 2001-02, puis à la belle saison 2002, cent cinquante à deux cents oiseaux, visiteurs inclus, dont trente-trois couples nicheurs et dix-huit jeunes envolés. 7/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors IV. - VAUTOUR MOINE AEGYPIUS MONACHUS En 2003 ou 2004 doit commencer la réintroduction du Vautour moine dans les Préalpes occidentales du sud. L’espèce commence déjà à s’y montrer dans les noyaux de population de vautours fauves : en 2000, un immature né dans les gorges des Causses, a fréquenté la population de vautours fauves des Baronnies pendant un mois au printemps ; en 2002 six ou sept vautours moines ont séjourné dans les Alpes occidentales du 4 juin au 14 septembre : plus d’un jour sur quatre dans les Préalpes drômoises, passant du noyau de population de vautours fauves du Diois à celui des Baronnies et inversement. Les deux oiseaux de juin étaient différents de ceux de juillet et août. Trois de ces oiseaux étaient bagués, deux bagues ont été lues : immatures nés en 2000 et 2001 dans les gorges des Causses. Un individu identifié en juillet et août, l’est à nouveau dans les gorges Causses le 10 septembre, puis dans les Baronnies les 12 et 13 septembre. C’est probablement le même qui est vu le 14 sur les Hauts Plateaux du Vercors. Deux individus, non bagués, ont été observés dans les gorges du Verdon le 20 juillet. Enfin un oiseau lâché juvénile dans les gorges des Causses en 2000 et marqué par décoloration, contrairement aux précédents, à été vu dans le nord des Alpes occidentales : du 8 au 23 août Valais (Suisse), puis Haute Savoie (France). Ces observations confirment - le bien-fondé global du projet de réintroduction dans les Préalpes ; l’attrait des populations de vautours fauves, et/ou de leurs charniers pour cette espèce ; le rôle des Baronnies « plaque-tournante » des échanges de vautours autres que le Gypaète, tant entre populations des Préalpes qu’entre celles-ci et les populations plus à l’ouest, du fait de son antériorité, d’effectifs plus élevés et de sa position géographique ; l’intérêt d’une stratégie de réintroduction polycentrique, comme pour le Vautour fauve (cf. page précédente § B, 1). Néamoins, le faible nombre d’oiseaux disponibles actuellement n’a permis de retenir que deux sites : Baronnies et gorges du Verdon. Le hiatus entre les populations occidentales et celle des Balkans, de 2100 km avant la réintroduction dans les gorges des Causses, sera réduit à moins de 1300 km par l’opération dans les Préalpes. La priorité géographique de réintroduction suivante serait à mi-chemin entre les Préalpes de Provence et la Grèce, donc en Croatie, de préférence dans une population de vautours fauve. Alors, de l’Espagne à l’Anatolie, aucun hiatus ne dépasserait celui qui existe actuellement entre les populations ibériques et celle des gorges des Causses. Ce hiatus devrait lui-même être réduit : une réintroduction en Catalogne favoriserait le développement du transit entre les actuelles populations d’Espagne et les noyaux de population en cours de développement et de création du Massif Central à l’ouest des Alpes. La recolonisation spontanée des sierras du centre et du nord de l'Espagne en serait facilitée. PERSPECTIVES A LONG TERME La pénurie d’oiseaux à lâcher13 ne permet pas autant que pour l’espèce précédente de multiplier les opérations dans une même grande région. Sans être aussi territorial que le Gypaète, le Vautour moine, beaucoup moins grégaire que le Vautour fauve, devrait montrer une bien plus grande aptitude à recoloniser spontanément d’autres massifs sans attendre des siècles. Pour la même raison, ses effectifs locaux n’atteindront jamais ceux du Vautour fauve. Mais l’aire de nidification potentielle du Vautour moine dans les Alpes est très probablement plus étendue que celle du Vautour fauve, surtout dans le contexte actuel de retour massif des Ongulés sauvages, pour deux raisons au moins : - nichant dans un arbre, il n’est pas dépendant de la présence de parois rocheuses ad hoc à altitude modérée ; - nourriture : le Vautour moine peut vivre même de cadavres de taille modeste. Prospectant jusqu’aux forêts claires, il peut bien davantage que les autres vautours exploiter les charognes de toutes les espèces d’Ongulés sauvages. Disposer de charognes de bétail est pour lui un avantage appréciable. Ce n’est pas une nécessité. 13 Les effectifs ibériques de Vautour moine sont environ cinquante fois plus faibles que ceux du Vautour fauve. 8/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors POUR CONCLURE La faute majeure serait d’introduire une espèce étrangère au territoire de lâcher en croyant réintroduire une espèce autochtone. Vu l’aptitude aux déplacements des quatre vautours du Paléarctique occidental (cf. supra AIRES BIOGEOGRAPHIQUES) la réintroduction d’un des quatre vautours entre la Méditerranée et les grandes plaines d’Europe moyenne ne risque nulle part d’être un objectif biogéographiquement aberrant14. Ceci ne signifie pas qu’elle y soit partout possible à l’échelle écologique. Le contexte humain peut également être localement défavorable à une époque donnée. Donc, localement un échec tactique est toujours possible. Bien analysé, il constituerait une expérience riche d’enseignements scientifiques ou/et technique. Courir ce risque est le seul moyen pour savoir avec certitude jusqu’où, vers le nord, peuvent nicher les vautours d’Europe autres que le Gypaète. Toutefois, un échec tactique peut avoir des conséquences stratégiques négatives graves lorsque les oiseaux disponibles sont rares, voire très rares : Gypaète, Vautour moine, Percnoptère. C’est pourquoi on ne réintroduira ces espèces que dans les régions à l’évidence prioritaires sur la base des connaissances actuelles. Au contraire, l’abondance du Vautour fauve en Espagne15 autorise une stratégie hardie et ambitieuse, multipliant les noyaux de population dans les grandes régions favorables à l’espèce, à des distances telles que l’espace entre eux soit régulièrement parcouru (cf. p. 6, § 1, LACHER DANS PLUSIEURS MASSIFS). Les priorités régionales seraient : Préalpes : une quatrième réintroduction, à mi-chemin des Baronnies et du Verdon. La continuité de prospection estivale actuelle, du Vercors au Ventoux, serait ainsi étendue du Vercors aux Préalpes de Provence, sur dix mille kilomètres carrés ; Alpes méridionales : plusieurs réintroduction à l’ouest du Frioul, au moins jusqu’au abords du Lac Majeur. Cette relative abondance du Vautour fauve permet même des expériences. Par exemple : - réintroduire en dehors des deux grandes régions prioritaires, une fois celles-ci repeuplées, bien entendues : Préalpes plus au nord que le Diois, sites rocheux d’altitude comparables de vallées internes, massifs cristallins, etc. ; - créer une fréquentation estivale de massifs de haute montagne à importantes populations d’Ongulés sauvages et/ou de bétail transhumant, telle celle qu’on observé dans les Hohe Tauern. Ceci par lâchers d’immatures, en juin. Pour que ces oiseaux puissent, à la mauvaise saison, rejoindre des noyaux de populations pérennes, ces expérience ne devrait pas commencer à plus 200 km de celles-ci, dans un premier temps au moins ; - favoriser l’installation spontanée de vautours fauves libres fréquentant plus ou moins régulièrement le massif : en entretenant dans une vaste volière un groupe de vautours fauves non relâchables16 et un charnier à proximité. Il serait très intéressant de vérifier si l’attraction de percnoptère et/ou de vautour moine, observée dans les Préalpes du sud se manifeste également, surtout dans le premier et le dernier cas. Si oui, ce serait le moyen d’accélérer le leur retour dans des régions où la pénurie d’oiseaux disponibles ne permet pas de lâcher dans un avenir prévisible. Bien entendu, le succès n’est jamais garanti : c’est le propre d’une démarche expérimentale. Mais, si ces expériences sont menées avec des moyens suffisants et, surtout, soigneusement suivies, leurs résultats seront du plus grand intérêt, quels qu’ils soient. + + + + 14 La seule exception pourrait être les îles : classiquement le nombre d’espèces à écologie voisine diminue, souvent avec élargissement de niche des espèces subsistantes. Ceci pourrait concerner les vautours. 15 Quelque vingt mille couples. 16 Long passé en captivité, handicap physique, etc. 9/9 Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé 2002 Objectifs et stratégie : éléments de réflexion J.-P. Choisy, sept. PNR du Vercors