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Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé J.-P. Choisy, sept. 2002
Objectifs et stratégie : éléments de réflexion PNR du Vercors
II. – CONTINUITE, DISCONTINUITES
La continuité biogéographique se situe à une tout autre échelle que la continuité écologique.
Une aire biogéographique est, dans la très grande majorité des cas, l’enveloppe de biotopes plus
ou moins discontinus
. Un obstacle éco-éthologique n’introduit une discontinuité
biogéographique que s’il est d’une certaine dimension, fort variable selon les aptitudes au
déplacement de l’espèce considérée
: des vautours fauves nicheurs ayant couramment un rayon
d’action de plusieurs dizaines de kilomètres autour du nid, un hiatus de vingt ou trente
kilomètres dans les parois rocheuses ne saurait être considéré comme rompant la continuité de
l’aire biogéographique. Les autres vautours étant capables de déplacements du même ordre de
grandeur, il est hautement invraisemblable que les énormes hiatus actuels tronçonnant d’est
en ouest les aires de répartition des vautours d’Europe aient d’autres causes que des
destructions par l’Homme, directes ou indirectes, récentes à l’échelle de temps de l’évolution
des grands Vertébrés. Les données les plus anciennes ne remontent généralement qu’à quelques
siècles et concernent des aires déjà artificiellement très morcelées. Certes, il existe des
discontinuités naturelles d’aires biogéographiques. Mais elles s’expliquent par de vastes
obstacles écologiques
. On en chercherait vainement de même ampleur spatiale que les vides
séparant actuellement les fragments des aires de répartition des vautours en Europe.
PRIORITES STRATEGIQUES
La stratégie doit être modulée avec opportunisme : un contexte humain local, ou régional,
temporairement défavorable dans une zone prioritaire ne doit pas interdire d’agir ailleurs. Ainsi :
- la sauvegarde des populations existantes, dont certaines dans une situation préoccupante, voire critique, devrait
être la priorité absolue. Mais il n’est pas possible de passer à la réalisation tant que les causes de destruction
locales ne sont pas maîtrisées ;
- si c’est dans les gorges des Causses qu’on a commencé la réintroduction du Vautour fauve, ce n’est pas que
cette localisation ait été géographiquement la plus pertinente à l’échelle européenne. C’est que, dans les années
1970-80, le contexte humain, tant naturalistes que population locale, s’y prêtait bien davantage qu’ailleurs. Plus
tard, pour le Vautour moine s’y ajoutait le précédent local de la réussite de la réintroduction du Vautour fauve.
L’achèvement des réintroductions en cours est la priorité à très court terme : il s’agit également
de populations encore fragiles, mais dans des régions où le contexte humain permet une bonne
efficacité des lâchers. On les poursuivra donc jusqu’à ce que soient atteints des effectifs assurant
le développement ultérieur spontané des populations fondées.
Toutes autres choses étant égales par ailleurs, sont prioritaires les massifs offrant des
potentialités actuelles
importantes, continues sur de vastes étendues.
Ainsi, les aires biogéographiques du Colvert Anas platyrhynchos, du Pinson Fringilla coelebs et de l’Alouette
Alauda arvensis couvrent toute l’Europe ou presque, quoique eaux, forêts et prairies y soient discontinues.
Par exemple, entre les Préalpes occidentales et le Massif Central le Rhône constitue :
- la limite biogéographique nord-est pour l’espèce Lacerta hispanica, petit lézard ibérique ;
- une limite entre populations de Chamois R. rupicapra, empêchant des échanges journaliers ou des
transhumances régulières, franchissable par des jeunes émancipés en phase de dispersion : la recolonisation
spontanée du Massif Central est actuellement en cours à partir des Préalpes ;
- un simple repère visuel pour les Vautours, aussi inexistant en tant qu’obstacle que n’importe quel cours d’eau à
l’intérieur des Alpes ou du Massif Central.
Par exemple entre les populations des toundras arctiques du Lagopède Lagopus mutus et celles des hautes
montagnes méridionales.
Ne pas se focaliser sur le passé local : sur certains versants où le Vautour fauve pouvait, vers 1850, chercher des
cadavres dans des pâturages, de nos jours, le Lynx chasse en forêt. Inversement, il y a des massifs où, il y a
cinquante ans seulement, le Gypaète n’aurait pu se nourrir en dehors de la saison de présence des transhumant mais
où de nos jours, abondent Chamois et Bouquetin, fournissant des os toute l’année.