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Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé J.-P. Choisy, sept. 2002
Objectifs et stratégie : éléments de réflexion PNR du Vercors
REINTRODUIRE DES VAUTOURS EN
EUROPE
LES ALPES : UNE POSITION CLE
OBJECTIFS ET STRATEGIE : ELEMENTS DE
REFLEXION
Jean-Pierre CHOISY
Sont disponibles auprès de <jean-pierre.choisy@pnr-vercors > :
- un exposé de l’état actuel des méthodes de réintroduction du Vautour fauve en France ;
- un bilan sur les quatre espèces dans les Préalpes françaises du sud à la fin de l’été 2002.
- des informations actualisées régulièrement sur la population du Diois. Pour informations
relatives aux deux autres massifs prendre contact avec: <[email protected]> et
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Reintroduire des vautours en Europe. Les Alpes : une position clé J.-P. Choisy, sept. 2002
Objectifs et stratégie : éléments de réflexion PNR du Vercors
INTRODUCTION
La réintroduction des vautours concerne les politiques agricoles, de développement touristique,
et elle est concernée par elles : importance du contexte humain pour réussir. Mais,
par nature, elle se place d’abord dans le cadre de politiques de conservation et restauration de
la biodiversité : européennes, nationales, locales. Celles-ci reposent sur des valeurs
1
. Ces
niveaux supérieurs de la hiérarchie des niveaux d’analyse et de décision sont hors de notre
propos, qui se situe à ceux des objectifs et des stratégies visant à les atteindre.
OBJECTIFS
Localement, le retour des Vautours est un grand objectif de reconstitution faunistique et
écologique. À l’échelle continentale ou mondiale, l’objectif est une contribution à la pérennité
des espèces concernée. Cette contribution, toujours importante, l’est d’autant plus pour les deux
espèces aux effectifs mondiaux réduits : Gypaète et Vautour moine. Une question fondamentale
est : dans quelle partie de l’Europe peut-on fonder des noyaux de population de vautours
sans qu’il s’agisse d’une introduction d’espèces biogéographiquement étrangères au
territoire ? Deux écueils opposés sont à éviter :
- il n’est pas question de rééditer pour ces oiseaux les aberrations à l’origine de la présence sur
en Europe des Faisans, Rat musqué, Ragondin, Sika, Mouflon, Poisson-chat, etc ;
- les rares données sur leurs répartitions passées, jalons biogéographiques et écologiques
précieux, ne sauraient être des références limitatives. En effet, lorsqu’on a commencé à écrire
sur les vautours d’Europe, leurs aires de répartition étaient sans aucun doute depuis
longtemps artificiellement fragmentées. En outre on ne dispose pas de témoignages écrit de
présence ou absence sur l’ensemble de l’Europe du sud à cette époque, mais simplement de
rares textes concernant des régions bien plus réduites. L’image de leurs aires de répartitions
résiduelles globales dans ce proche passé en est donc très probablement encore minorée.
STRATEGIE
La poursuite des objectifs doit tirer le meilleur parti possible de moyens relativement réduits et
même d’une véritable pénurie d’oiseaux à lâcher, sauf pour le Vautour fauve. La première
question est donc : dans quelles régions des réintroductions permettent d’optimiser à
l’échelle continentale leur efficacité pour le retour des vautours à l’échelle continentale ?
La seconde est : doit-on lâcher au sein d’une de ces régions ? Il ne s’agit que d’un
changement d’échelle : stratégie continentale et stratégie régionale.
Le succès d’une opération particulière dans un massif retenu par la stratégie dépend étroitement
d’une approche pertinente des conditions écologiques locales et du contexte humain. Mais ce
niveau tactique de la hiérarchie des niveaux d’analyse et de décision est hors de mon propos, de
même que celui de la mise en œuvre des moyens opérationnels. Tout au plus ces niveaux seront-
ils être brièvement évoqué lorsqu’ils peuvent avoir une incidence sur la stratégie.
1
Au moins implicitement.
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AIRES BIOGEOGRAPHIQUES
A l’échelle continentale, il n’y a lieu de discuter ni les limites occidentales (aucun des quatre
vautours d’Europe ne s’est jamais implanté au-delà de l’Atlantique), ni les limites orientales (les quatre espèces
nichent plus à l’est), ni les limites méridionales (tous atteignent le sud du continent et trois, au-delà encore) .
L’analyse portera donc sur les limites septentrionales des aires biogéographiques des vautours
d’Europe, ainsi que sur leurs discontinuités éventuelles.
I. - LIMITES SEPTENTRIONALES
Il n’y a jamais eu de vautours sous les hautes latitudes alors que, plus au sud, certains nichent à
haute altitude
2
. On n’en discutera pas ici le déterminisme écologique. Constatons simplement
que la Scandinavie et les régions de latitudes analogues sont en dehors des aires
biogéographiques passées, actuelles et potentielles des vautours. Plus au sud la vaste région de
plaines et reliefs mous de l’Europe moyenne
3
constitue la limite septentrionale absolue des
trois nicheurs rupestres : Gypaète, Vautour fauve et Percnoptère.
Le climat cantonne-il la nidification de certains Vautours encore plus au sud ?
Pour le Gypaète, rien ne permet de le supposer. Les stations historiques les plus nordiques
l’on mentionne la nidification du Vautour fauve atteignent la limite géomorphologique évoquée
plus haut : le sud-ouest de l’Allemagne jusqu’au Moyen Age (Glutz et al. in Cramp) et le sud de
la Pologne jusqu’au XIX° siècle et même jusqu’en 1914 (Tomialojc in Cramp). Pourtant, il est
généralement admis que les climats ensoleillés sont plus propices à cette espèce, notamment par
leurs ascendances. La nidification au-delà des Alpes du sud pourrait s’expliquer par des stations
localement plus favorables que le climat régional à la mauvaise saison (faces des massifs
d’exposition sud, etc.) et/ou une abondance particulière de charognes, permettant aux vautours
fauves de se nourrir avec relativement peu d’heures favorables au vol pendant quelques mois par
an. Il se peut aussi qu’on s’exagère beaucoup l’héliophilie du Vautour fauve et qu’il n’ait pas de
problème majeur pour nicher beaucoup plus au nord que les Alpes du sud, surtout dans les
massifs calcaires externes. Même le Percnoptère, tropical et méditerranéen mais migrateur, donc
échappant aux rigueurs hivernales, a niché jusqu’à la fin du XIX° en Haute-Savoie, près de
Genève. Peut-être nichait-il encore plus au nord dans un passé plus ancien n’ayant pas laissé de
traces dans la littérature ? Constatons que les stations septentrionales de nidification du Vautour
moine, aux confins de la Pologne et de la Slovaquie (Glutz et al., Tomialojc, in Cramp), buttent
sur la même limite géomorphologique que le Vautour fauve, alors qu’il niche sur arbre. Limite
climatique? Ou bien conséquence de la densité humaine, forte depuis des siècles dans les plaines
d’Europe centrale et occidentale ?
A la belle saison, la répartion potentielle des espèces est beaucoup plus large :
- en altitude : même pour les espèces autres que le Gypaète la haute montagne est, alors ,
exploitable, même par les nicheurs, si elle n’est qu’à un ou quelques dizaines de
kilomètres du nid ;
- en latitude : les non nicheurs peuvent aussi estiver durablement dans des zones bien plus
lointaines : potentiellement, toutes les montagnes, basses ou hautes, au sud des plaines
d’Europe moyenne, sous réserve que la nourriture y soit présente. Occasionnellement, ils font
des incursions dans celles-ci, voire plus au nord encore.
2
Les températures peuvent y être aussi basses que dans les régions arctiques en hiver, quand commence la
reproduction des vautours. Mais ils n’y subissent pas une extrême réduction de la longueur du jour nécessaire à la
longue recherche de cadavres sur des superficies d’autant plus vastes que la productivité primaire est réduite.
3
De la moitié nord-ouest de la France à la Russie, en passant par la plaine germano-polonaise.
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II. CONTINUITE, DISCONTINUITES
La continuité biogéographique se situe à une tout autre échelle que la continuité écologique.
Une aire biogéographique est, dans la très grande majorité des cas, l’enveloppe de biotopes plus
ou moins discontinus
4
. Un obstacle éco-éthologique n’introduit une discontinuité
biogéographique que s’il est d’une certaine dimension, fort variable selon les aptitudes au
déplacement de l’espèce considérée
5
: des vautours fauves nicheurs ayant couramment un rayon
d’action de plusieurs dizaines de kilomètres autour du nid, un hiatus de vingt ou trente
kilomètres dans les parois rocheuses ne saurait être considéré comme rompant la continuité de
l’aire biogéographique. Les autres vautours étant capables de déplacements du même ordre de
grandeur, il est hautement invraisemblable que les énormes hiatus actuels tronçonnant d’est
en ouest les aires de répartition des vautours d’Europe aient d’autres causes que des
destructions par l’Homme, directes ou indirectes, récentes à l’échelle de temps de l’évolution
des grands Vertébrés. Les données les plus anciennes ne remontent généralement qu’à quelques
siècles et concernent des aires déjà artificiellement très morcelées. Certes, il existe des
discontinuités naturelles d’aires biogéographiques. Mais elles s’expliquent par de vastes
obstacles écologiques
6
. On en chercherait vainement de même ampleur spatiale que les vides
séparant actuellement les fragments des aires de répartition des vautours en Europe.
PRIORITES STRATEGIQUES
La stratégie doit être modulée avec opportunisme : un contexte humain local, ou régional,
temporairement défavorable dans une zone prioritaire ne doit pas interdire d’agir ailleurs. Ainsi :
- la sauvegarde des populations existantes, dont certaines dans une situation préoccupante, voire critique, devrait
être la priorité absolue. Mais il n’est pas possible de passer à la réalisation tant que les causes de destruction
locales ne sont pas maîtrisées ;
- si c’est dans les gorges des Causses qu’on a commencé la réintroduction du Vautour fauve, ce n’est pas que
cette localisation ait été géographiquement la plus pertinente à l’échelle européenne. C’est que, dans les années
1970-80, le contexte humain, tant naturalistes que population locale, s’y prêtait bien davantage qu’ailleurs. Plus
tard, pour le Vautour moine s’y ajoutait le précédent local de la réussite de la réintroduction du Vautour fauve.
L’achèvement des réintroductions en cours est la priorité à très court terme : il s’agit également
de populations encore fragiles, mais dans des régions le contexte humain permet une bonne
efficacité des lâchers. On les poursuivra donc jusqu’à ce que soient atteints des effectifs assurant
le développement ultérieur spontané des populations fondées.
Toutes autres choses étant égales par ailleurs, sont prioritaires les massifs offrant des
potentialités actuelles
7
importantes, continues sur de vastes étendues.
4
Ainsi, les aires biogéographiques du Colvert Anas platyrhynchos, du Pinson Fringilla coelebs et de l’Alouette
Alauda arvensis couvrent toute l’Europe ou presque, quoique eaux, forêts et prairies y soient discontinues.
5
Par exemple, entre les Préalpes occidentales et le Massif Central le Rhône constitue :
- la limite biogéographique nord-est pour l’espèce Lacerta hispanica, petit lézard ibérique ;
- une limite entre populations de Chamois R. rupicapra, empêchant des échanges journaliers ou des
transhumances régulières, franchissable par des jeunes émancipés en phase de dispersion : la recolonisation
spontanée du Massif Central est actuellement en cours à partir des Préalpes ;
- un simple repère visuel pour les Vautours, aussi inexistant en tant qu’obstacle que n’importe quel cours d’eau à
l’intérieur des Alpes ou du Massif Central.
6
Par exemple entre les populations des toundras arctiques du Lagopède Lagopus mutus et celles des hautes
montagnes méridionales.
7
Ne pas se focaliser sur le passé local : sur certains versants le Vautour fauve pouvait, vers 1850, chercher des
cadavres dans des pâturages, de nos jours, le Lynx chasse en forêt. Inversement, il y a des massifs où, il y a
cinquante ans seulement, le Gypaète n’aurait pu se nourrir en dehors de la saison de présence des transhumant mais
où de nos jours, abondent Chamois et Bouquetin, fournissant des os toute l’année.
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Tout cela posé, la priorité est : tronçonner les plus grands hiatus entre populations actuelles
d’une même espèce par des réintroductions médianes et non pas les grignoter par les extrémités.
En Europe continentale, avant le début des réintroductions, un énorme hiatus artificiel
8
centré
sur les Alpes séparaient les populations pyrénéo-ibériques de celles des Balkans,
à l’exception de populations résiduelles de Percnoptère en France méditerranéenne et en Italie.
Le choix des Alpes pour le Gypaète, plus récemment celui des Préalpes françaises du sud pour le
Vautour fauve et le Vautour moine, ont donc été particulièrement pertinents.
L’importance géographique des Alpes et de leurs bordures dans une stratégie de
réintroduction des Vautours en Europe est confirmée par l’observation dans les récents
noyaux de population de vautours fauves des Préalpes françaises d’oiseaux originaires tant
de l’ouest de l’Europe (Espagne, Pyrénées, Massif Central) que de l’est (Abruzzes,
Croatie). Les stratégies propres aux diverses espèces ont des singularités propres, dont on va
discuter.
I. - GYPAETE GYPAETUS BARBATUS
Ce sont essentiellement les massifs élevés existent d’importantes populations de chamois et
de bouquetins hors forêts qui lui offrent toute l’année des os accessibles en suffisance. Plus bas,
le milieu est souvent plus boisé et, surtout, l’Homme tolère rarement des densités d’Ongulés
sauvages suffisantes. Mais ce n’est qu’une moyenne statistique et non pas un déterminisme
altitudinal direct et absolu : aussi en dessous de la haute montagne existent aussi des massifs
actuellement très favorables. Dans les Alpes, le Gypaète s’installe dans les massifs de cher et
dans quelques autres particulièrement favorables (deux couples nicheurs en Vanoise), surtout s’il
ne sont pas trop éloignés (philopatrie). Ailleurs dans la chaîne, l’observation occasionnelle
d’oiseaux non fixés à un territoire, possible dans tous les massifs, est presque partout encore
exceptionnelle. Le développement des effectifs joint au comportement territorial des adultes
devrait assurer à long terme une recolonisation spontanée de tous les massifs des Alpes
l’espèce trouvera os, sécurité, sites de nidification.
Dans la mesure des oiseaux seraient disponibles sans porter atteinte à l’opération en cours,
la création d’un nouveau point de lâcher à l’extrême ouest des Alpes aurait un intérêt tout
particulier : diminuer rapidement le hiatus entre la population de cette chaîne et celle des
Pyrénées. Secondairement l’élargissement de l’aire de présence dans les Alpes françaises, encore
très centrée sur les massifs internes, en serait accélérée
9
. Lorsque le Gypaète aura élargi son
occupation actuelle dans les Pyrénées et les Alpes, une population dans les gorges du sud du
Massif Central auraient, par rapport aux Pyrénées orientales, une position analogue à celle des
canyons du sud de l'Aragon par rapport celles des massifs du centre de la chaîne. Donc, des
lâchers de Gypaètes dans l’extrême ouest des Alpes et dans les gorges du sud du Massif
Central serait une contribution majeure au développement d’un transit entre Alpes et
Pyrénées. Le retour du Chamois et du Bouquetin dans ce massif
10
contribuerait beaucoup à en
augmenter les potentialités pour cette espèce.
8
De 1000 à 2100 km selon les espèces.
9
Dans le Parc Naturel Régional du Vercors, les falaises du Glandasse et du cirque d’Archiane, à l’extrémité sud de
la plus réserve nature de France, de la Réserve Naturelle des Hauts Plateaux du Vercors, constituent un site
particulièrement favorable à l’espèce occupant une telle position géographique (cf. visite de Michel Terrasse, Hans
Frey, Marteen Bijleveld en 2001). L’espèce y a déjà été observée, ainsi que sur cinq autre sites du Vercors et du
Diois : à proximité immédiate et jusqu’à 20 et 25 km de là.
10
En cours pour le Chamois, projets de réintroduction pour le Bouquetin.
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