chap 1 les troubles psycho-organiques

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Université catholique de Louvain
Faculté de Médecine
PSYCHIATRIE GENERALE
DE L’ADULTE
J.P. ROUSSAUX et Ch. REYNAERT
2012
TABLE DES MATIERES
2012
INTRODUCTION
Ière partie : CLINIQUE GENERALE
Chap I
Troubles psycho-organiques
1. Troubles psycho-organiques acquis
1.1. La confusion mentale aiguë (delirium)
1.2. Troubles psycho-organiques chroniques et
les démences
2. Le retard mental
Chap. II
Troubles psychopathologiques
1 Troubles de l’humeur
2. Troubles psychotiques
2.1 Les bouffées délirantes
2.2 Le groupe des schizophrénies
2.3 La paranoïa
3. Troubles névrotiques et anxieux
3.1 Introduction
3.2. L’apport de la psychanalyse dans l’approche des
troubles névrotiques et anxieux
3.3 Les entités nosographiques
4. Troubles de la personnalité
1. Introduction
2. Les personnalités pathologiques dérivées de la
psychose
3. Les personnalités pathologiques dérivées de la névrose
4 Les états limites ou border-line
5 Les personnalités anti-sociales (psychopathie)
Chap III
Trouble des conduites
1. Assuétudes
1.1. Généralités
1.2. Troubles liés à l’utilisation de l’alcool
1.3 .Troubles liés à l’utilisation des drogues illicites
1.4. Troubles liés aux abus de médicaments
2. Troubles des conduites alimentaires
3. Troubles sexuels
Chap IV
Les troubles psychosomatiques
IIème partie : QUESTIONS SPECIALES
Chap V.
Suicide et tentatives de suicide
Chap VI
Internement non-volontaire
Chap VII
Troubles psychopathologiques de la périnatalité
Chap VIII
Psychothérapies
Annexes :
-
M.M.S.E.
Hamilton depression
Hamilton Anxiété
CAGE (alcool)
INTRODUCTION
2012
Ce syllabus collectif est destiné à l’étude de la psychiatrie générale de l’adulte, à l’intention des
étudiants en médecine. Il est aussi utilisé comme outil de référence en psychologie, criminologie et
en soins infirmiers psychiatriques. La base de la matière – la psychiatrie clinique – peut être exposée
à partir d’un texte commun. Néanmoins si la partie diagnostique concerne tous les étudiants, les
futurs médecins et infirmiers seront plus attentifs aux parties thérapeutiques, tandis que les futurs
psychologues et criminologues s’intéresseront davantage aux aspects psychopathologiques.
Certains aspects seront davantage développés dans des cours à option spécifiques dans chaque
faculté ou école. La psychopharmacologie fait l’objet d’un syllabus séparé. Notre démarche
essentiellement clinique, considère chaque troubles selon la perspective biopsychosociale. La
structuration de l’ouvrage correspond à une inspiration psychodynamique tout en tenant compte de
l’usage clinique francophone prépondérant ainsi que de la nosographie contemporaine internationale
(DSM IV ou CIM 10). De nombreuses classifications des maladies mentales sont possibles suivant
les objectifs recherchés, les situations et les références théoriques. Notre objectif est que l'étudiant
puisse se familiariser avec diverses approches nosographiques qu’il devra maîtriser par la suite, que
ce soit dans la lecture d’articles de recherche ou dans l’échange clinique multidisciplinaire. Les
classifications utilisées peuvent s’inspirer d’objectifs structurels, symptomatiques, thérapeutiques,
statistiques ou neuro-biologiques. Outre les facteurs historiques et culturels, cette diversité des
points de vue explique la variété des classifications en psychiatrie et constitue une difficulté objective
à l’étude de cette discipline..
Il s’agit ici de la 10ème édition du syllabus. Nous nous excusons par avance des éventuelles erreurs
(de détails), omissions, obscurités que pourrait comporter ce texte. Nous serions reconnaissants
aux étudiants de nous faire part de leurs remarques et suggestions d’améliorations pour la
prochaine édition. Un formulaire anonyme leur sera remis à cet effet à l’examen final de la session
de juin.
En complément des références bibliographiques spécifiques qui suivent chaque chapitre, nous
pouvons recommander de se reporter aux ouvrages psychiatriques
bibliothèque.
1) Psychopathologie de l’adulte
Q. Debray et al,
Masson, 1998 et rééd.
2) Cas Cliniques
H. Loo et J.P. Olie
Ed. Médecine-Sciences - Flammarion
0 - 1 –1
suivants, disponibles en
3) Introductory Textbook of Psychiatry
Andreansen N.C. et Black D.W.
A.P.A. 2001
4) Abrégé de Psychiatrie de l’adulte
Th. Lemperiere et A. Feline
Masson 1993 et rééditions
5) D.S.M. IV
A.P.A. 1994 – Trad. Franç. Dunod 1996 (la version Mini est recommandée pour le 2ème cycle).
Actuellement une version DSM IV Text Revised est disponible depuis 2000.
6) Classification Internationale des Troubles Mentaux et des Troubles du comportement
C.I.M. 10 – OMS
Masson 1993
7) Vocabulaire de Psychanalyse
J. Laplanche et J.B. Pontalis
P.U.F. 1989, réédité en poche
8) Synopsis of Psychiatry (7th edition)
Kaplan H.I., Sadock B.J., Grebb J.A.
Williams and Wilkins 1994, réédité
Existe aussi en traduction française.
9) Psychiatry for medical students
R.J. Waldinger
American Psychiatric Press 1977
10) Essential Psychomarmacology (2e Ed .)
S.M. Stahl
Cambridge University Press, 2000
Enfin, les œuvres littéraires, théâtrales et cinématographiques décrivent minutieusement des destins
qui constituent des exemples frappants de troubles psychiques, ce qui permet de dépasser
l’abstraction du tableau clinique.
Citons pour les romans :
- L’idiot, les Frères Karamazov (F. Dostoïevsky)
- La peau de chagrin (H. de Balzac)
- Le livre brisé (S. Doubrowski)
- L’assommoir (E. Zola)
- Au-dessous du volcan (M. Lowry) …
Pour le cinéma :
- Vol au dessus d’un nid de coucou (M. Forman)
- La Femme de ma vie (R. Warnier)
- Un ange à ma table (J. Campion)
- Répulsion, Le locataire, Lune de fiel. (R. Polanski)
- Breaking the Waves (L. von Trier)
- Family life . Lady bird. My name is Joe. (K. Loach).
- A beautiful mind – un homme d’exception (R. Howard)
- Spider (D. Cronenberg)
- Girl, interrupted – Une vie volée (J. Mangold)
0 - 1 –2
-
Shutter Island (M. Scorsese)
Sans queue ni tête (J. Labrune)
The note book (N’oublie jamais) (N. Cassavetes)
Pour le théâtre :
- Hamlet, Othello, MacBeth (Shakespeare)
- L’amante anglaise (M. Duras)
- Le Misanthrope (Molière)
- Qui a peur de Virginia Woolf (H. Pinter)
0 - 1 –3
1
ère
partie
Clinique générale
CHAP 1 LES TROUBLES PSYCHO-ORGANIQUES
2012
1. TROUBLES PSYCHO-ORGANIQUES ACQUIS
Ces tableaux pathologiques sont les versants d'une décompensation organique
cérébrale, sur le mode AIGU (CONFUSION) ou CHRONIQUE (DEMENCE).Si
l'appellation de "syndromes psycho-organiques" implique la notion de perturbations
psychiques et organiques, elle a généralement été comprise dans le sens d'une
étiologie organique plus ou moins évidente par opposition aux "syndromes psychosomatiques". La tendance actuelle est moins dichotomique et tendrait à considérer une
origine multifactorielle.
1.1 CONFUSION MENTALE AIGUE (Delirium)
1.1.1. Synonymes
Delirium - Acute Brain Syndrome - Syndrome psycho-organique aigu.
Il faut noter que le terme de "delirium" en usage chez les anglo-saxons se traduit par
« confusion mentale » : on retrouve encore cette signification dans l'expression
delirium tremens, correspondant à l'état confusionnel accompagnant le sevrage
alcoolique. Le terme de « délire » se traduit plutôt par « delusion » dans la littérature
psychiatrique anglo-saxonne.
1.1.2. Définition
a) Il s'agit d'un trouble aigu, le plus souvent réversible, constitué par un
obscurcissement de la conscience : il atteint donc la capacité d'être présent au monde,
aux autres et à soi-même. L'obnubilation de la conscience entraîne secondairement
des troubles de l'attention, de la mémoire et une désorientation dans le temps et dans
l'espace. Cette fermeture aux influences de l'environnement peut aller jusqu'à la
stupeur.
b) Cet état s'accompagne souvent d'une dimension oniroïde avec agitation. Ce délire,
proche du rêve nocturne comporte surtout des hallucinations visuelles dont les
contenus sont le plus souvent désagréables, voire monstrueux (par ex.: animaux
effrayants ou "zoopsies" dans le delirium tremens). Le discours est décousu, émaillé
de persévérations (répétitions).
I-1-1
c) Les signes physiques sont constants: fièvre, tachycardie, déshydratation... Les
perturbations du rythme veille/sommeil sont fréquentes avec somnolence diurne et
agitation nocturne.
Le D.S.M.IV propose les critères suivants:
A. Perturbation de la conscience avec diminution de la capacité à mobiliser, focaliser
ou déplacer l'attention.
B. Modification du fonctionnement cognitif (déficit de la mémoire, désorientation,
perturbation du langage) ou bien survenue d'une perturbation des perceptions, qui
n'est pas expliquée par une démence pré-existante.
C. La perturbation s'installe en un temps court (habituellement quelques heures ou
quelques jours) et tend à avoir une évolution fluctuante au cours de la journée.
D. Mise en évidence, d'après l'histoire de la maladie, l'examen physique, ou les
examens complémentaires que la perturbation est due aux conséquences d'une
affection médicale.
1.1.3. Etiopathogénie
Tout facteur susceptible d'affecter l'homéostasie psycho-organique peut contribuer au
développement d'une confusion mentale.
a) Facteurs somatiques :
En pratique, toute cause interne qui va perturber le fonctionnement cérébral
- intoxications endogènes: troubles métaboliques, endocriniens ou rénaux.
- étiologies neuro-méningées: crises d'épilepsie, A.V.C., traumas, méningites...
- étiologies infectieuses, cardiaques, respiratoires, etc . . .
Chez une personne à l'homéostasie cérébrale fragile, une étiologie aussi banale
qu'une rétention urinaire ou une déshydratation peut déclencher un état confusionnel.
b) Facteurs médicamenteux et toxiques exogènes :
-
Sevrage ou surdosage de sédatifs ou d’alcool. Le delirium tremens du sevrage
alcoolique est un type particulièrement dangereux et fréquent de confusion
mentale, parfois associé à d’autres encéphalopathies alcooliques.
-
Les intoxications "accidentelles" ou professionnelles (solvants, insecticides,
champignons...) ainsi que des intoxications médicamenteuses, en particulier chez
les personnes âgées fragilisées sur le plan organique.
I-1-2
Etiologies psychiatriques et facteurs psychosociaux
- Il n'est pas exceptionnel, particulièrement chez le vieillard, qu'aucune étiologie
organique ne puisse être mise en évidence. Une bouffée confusionnelle peut survenir
brusquement, le plus souvent sur une personnalité considérée comme fragile, à la
suite soit d'une émotion vive, d'un violent traumatisme psychologique (décès d’un
conjoint) ou d'une catastrophe (accident d’autocar...)
1.1.4. Evolution clinique
La confusion est un syndrome aigu, potentiellement létal. Auparavant, les décès
étaient d'ailleurs fréquents au cours du délirium tremens.
- Actuellement, l'évolution la plus fréquente se fait vers la récupération, en quelques
jours à quelques semaines, pour autant que l'affection déclenchante soit réversible.
Cependant, la confusion reste un syndrome grave dont l' évolution peut être fatale
en particulier chez le vieillard.
- Après rémission, il persiste souvent une amnésie lacunaire.
1.1.5. Traitement
-
L'hospitalisation sera le plus souvent nécessaire (surveillance et recherche de
l'étiologie). Le patient doit rester dans une atmosphère calme, un endroit
bien
éclairé, le jour et la nuit.
-
assurer l'hydratation, si possible par voie orale, et le traitement de l'affection
déclenchante.
-
utilisation modérée de sédatifs, en fonction de l'agitation. En cas de sevrage
d'alcool ou de benzodiazépines, thérapeutique substitutive (benzodiazépines,
Distraneurine,...)
1. 2.- Les troubles psycho-organiques chroniques et les démences
Le terme de démence est un terme qui date du XIXème siècle pour évoquer tout
affaiblissement mental. Esquirol disait: "L'homme en démence est privé des biens dont
il jouissait autrefois. C'est un riche devenu pauvre..." . Il s'agissait donc d'une
détérioration acquise après la naissance (en pratique après 18 ans) de toutes les
composantes de la vie psychique (fonctions symboliques). On considérait la démence
I-1-3
comme un trouble chronique le plus souvent irréversible et on distinguait une démence
présénile (avant 65 ans) de la démence sénile (après 65 ans).
Actuellement, on considère la démence comme un syndrome psycho-organique
détériorant progressivement le fonctionnement psychique et le personnalité du sujet.
Ce syndrome peut être causé par de multiples affections. On parlera d'ailleurs de
divers syndromes démentiels dont certains peuvent être plus ou moins réversibles
(environ 10 à 15% des cas). La distinction liée à l'âge (présénile ou sénile) perd de son
importance par rapport aux distinctions étiologiques.
1.2.1. Etiologie - Epidémiologie
1.2.1.1 Démences dégénératives
Ces démences sont actuellement irréversibles et d'origine encore mal connue en
particulier leurs facteurs génétiques.
a) démences corticales (troubles des fonctions symboliques)
. maladie d'Alzheimer (45 % des démences au-delà de 65 ans, 65% si on considère
les formes mixtes) caractérisée par les plaques séniles dégénératives (description
par Alzheimer en 1906). On estime la prévalence de la maladie d’Alzheimer à 5 %
pour l'ensemble des personnes âgées (plus de 65 ans) avec un accroissement
régulier jusqu’à 20 % à 80 ans. La maladie semble connaître un pic d'incidence vers
80-85 ans pour décroître ensuite.
.
maladie de Pick : atrophie fronto-temporale, ayant un facteur génétique plus
marqué et se manifestant plus précocement (pic vers 60 ans). Manifestations
comportementales (désinhibition).
b) démences sous-corticales (ralentissement et troubles moteurs)
. démence accompagnant parfois la maladie de Parkinson.
. chorée de Huntington : maladie rare d'origine génétique autosomiale dominante
1.2.1.2.
. Les
Démences vasculaires (très partiellement réversibles)
démences
vasculaires
(multi-infarct
dementia
et
encéphalopathie
de
Binswanger) sont attribuables à l'hypertension artérielle ou au diabète, et sont
souvent
accompagnées
d'atteintes
périphériques
cardiaques ou claudication intermittente).
I-1-4
d'artériosclérose:
troubles
-
Elles représentent 20 % des causes de démences, 40 %
si on considère les
démences d’origine mixte: vasculaire et dégénérative primaire.
1.2.1.3. Autres causes de syndromes démentiels (plus souvent réversibles)
Un moyen mnémotechnique pour retenir ces causes de syndromes psychoorganiques pouvant prendre une allure pseudo démentielle : l'anagramme
DEMENTIA
D Drogues : benzodiazépines, barbituriques, anticholinergiques, antihistaminiques...
E Entendre (Ears, Eyes): mauvaise audition et mauvaise vision
M Métabolisme: affection endocrinienne (dysthyroïdie, diabète), troubles hydroélectriques...
E Emotions: dépression, régression, symptômes psychotiques...
N Nutritionnelle : déficience en thiamine (B1) du syndrome de Korsakoff, vitamine B 12
ou acide folique
T Toxiques: aluminium, métaux lourds
Trauma: hématome sous-dural, hydrocéphalie à basse pression de l’adulte
Tumeurs cérébrales
I
Infections : syphilis, tuberculose cérébrale, SIDA
A Artériopathie: cardiopathies (arythmies, décompensation...)
1.2.2. Symptômes et évolution
L'évolution peut être fort différente suivant l'étiologie.
Le tableau 1 permet de distinguer entre démence corticale et sous-corticale
I-1-5
Tableau 1. DISTINCTION CLINIQUE ENTRE LES DEMENCES CORTICALES ET SOUS-CORTICALES
Caractéristiques
Démence sous-corticale
Démence corticale
Fonctions mentales
Langage
Mémoire
Processus de pensée
Personnalité
Affect
Motricité
Parole
Posture
Equilibre
Vitesse
Mouvements anormaux
Intact
Oubli, difficulté à se souvenir
Lent
Apathique
Dépressif
Aphasie
Amnésie, difficulté à apprendre
Vitesse normale
Euphorique ou indifférente
Normal
Dysarthrique
Anormale
Anormal
Réduite
Fréquents (chorée,
tremblements, rigidité,
Normale*
Normale*
Normal*
Normale*
Absents
ataxie)
Anatomie pathologique
Cortex
Ganglions de base
Neurotransmetteurs
Epargné
Atteints
GABA et dopamine
Atteint
Epargnés
acétylcholine
Le tableau 2 distingue la démence vasculaire de la maladie d'Alzheimer.
DISTINCTION CLINIQUE ENTRE LA DEMENCE VASCULAIRE ET LA MALADIE D’ALZHEIMER
Caractéristiques
Démence vasculaire
Début
Evolution
Antécédents personnels
Soudain
Atteinte cognitive
Affect
Examen neurologique
En escalier
Hypertension artérielle
Athérosclérose
Accident vasculaire cérébral
Focale et non homogène
Labilité émotionnelle
Signes focaux
Maladie d’Alzheimer
Graduel
Lente et progressive
Non spécifiques
Vitesse normale
Euphorique ou indifférente
Homogène et globale
Anxieux, puis plat
Signes symétriques non
localisateurs
La maladie d'Alzheimer se caractérise par une évolution lentement progressive (8 à 10
ans en moyenne) débutant par des troubles mnésiques et de la désorientation spatiotemporelle. Au stade avancé, les grandes fonctions symboliques sont atteintes:
aphasie, apraxie, agnosie. Le patient présente alors des troubles des conduites
(inversion du rythme veille/sommeil, saleté, négligence, incontinence) ainsi que des
complications psychiatriques: délire, hallucinations, dépression grave...
Dans la maladie d'Alzheimer probable, plusieurs stades peuvent être distingués selon
une échelle G.D.S. (Global Deterioration Scale, Reisberg, 1982) en fonction de
l'atteinte de certaines fonctions.
I-1-6
Les niveaux 1 et 2 correspondent au vieillissement normal (plaintes subjectives)
Le niveau 3 est incertain (syndrome amnésique sénile) car il commence à y avoir des
signes objectifs. 20% de ces personnes vont évoluer vers une maladie d'Alzheimer.
Le niveau 4 correspond à un Alzheimer probable (démence légère).
Les 10 signes proposés par l'Association Alzheimer américaine tendent à se retrouver :
1. Perte de la mémoire immédiate avec effet sur les relations sociales ; diminution
d'abord pour les noms propres et les événements récents (mémoire de fixation).
2. Problèmes dans les activités quotidiennes.
3. Problème de langage: manque de mots, aphasie,
4. Désorientation spatiale et temporelle.
5. Erreurs de jugement.
6. Problèmes de pensée abstraite.
7. Mauvais rangement des objets.
8. Changement d'humeur ou de comportement: dépression, colère, attitude puérile,
incontinence affective
9. Changement de personnalité.
10. Perte de l'esprit d'entreprise.
Le niveau 5 (démence modérée) confirme cette évolution. Les niveaux 6 et 7
(démence sévère) imposent souvent l'entrée en institution.
Tableau 3 : Evolution (GDS : Global Deterioration Scale)
Niveau GDS
Déclin cognitif
1. Concenttation
et calcul
3
Léger
100-7...
2. Mémoire récente
3. Mémoire
ancienne
“
4
Net
40-4...
5
Marqué
20-2...
6
Majeur
Incompréhens
ion de la tâche
7
Perte totale
Stupeur
Souvenirs
partiels
Incertitude
:adresse,
année, chef
d’état temps
Oublis
marqués : nom
des écoles
Désorientation
temporelle et
spatiale
Très rares
souvenirs
Aucun
souvenir
“
(parfois pays,
métier,...)
Oublis
majeurs :
année, lieu,
nom des
proches
Assistance
ADL
. nourriture
. habillage
. toilette
. incontinence
Réponses en
peu de mots.
Mot pour un
autre.
Persévération
“
“
(le conjoint se
souvient mieux)
Erreurs nettes
dans le temps
(mois)
4. Orientation
Petites erreurs
dans le temps
(date ou
heure)
5. Fonctionnement
quotidien
Difficultés
d’apprentissag
e
. travail
. voyage
Erreurs :
. finances
. invitations
. commerce
Assistance
légère : choix
des vêtements
activités
domestiques
Quelques
manques
de mots
Diminution de
verbalisation
ou
confabulations
Pauvreté du
langage
Périphrases
6. Langage
Perte totale
: identité du
conjoint,
identité
propre
Assistance
continue
Perte totale
:
. mot unique
. écholalies
. cris
L’évolution est plus souvent irréversible. Néanmoins à un stade précoce, une
stabilisation peut être atteinte. Les cas d’emblée très graves ont plus souvent un
I-1-7
mauvais pronostic vital.
1.2.3. Diagnostic différentiel chez le vieillard
Essentiellement entre la confusion (tableau n° 4) e t la démence, mais également vis-àvis de la dépression grave, qui peut présenter un tableau de pseudo-démence (tableau
n° 5).
Tableau 4 : Distinction clinique entre la démence et la confusion mentale
Démence
Confusion mentale
début insidieux
décours chronique, détérioration
progressive, irréversible
niveau de conscience bien conservée
au début
niveau de vigilance normal au
début
atteinte élective de la mémoire
immédiate
début brutal
décours aigu, réversible
obnubilation de la conscience d'emblée
agitation ou stupeur
difficulté à tester
Tableau 5 : Diagnostic différentiel entre dépression et démence
Dépression
Démence
Début
aigu
insidieux
Préoccupation de la famille
souvent (à cause du changement vague
brutal)
durée des symptômes
brève
longue
Evolution (dégradation)
rapide
lente
Antécédents personnels
fréquente
-
Plaintes
exagération
dénégation
(pour
garder
la
façade, il cache)
tests cognitifs (8 x 13)
mauvais
mauvais
attitude
“je ne sais pas”
essai acharné
survenue
d’un
plateau
dans oui
non (dégradation constante et
l’évolution : récente
progressive)
mémoire
bien conservée
récente : pertes nettes
dyspraxie, agnosie
non
oui
problème de langage
non
oui
traitement antidépresseur
amélioration au bout de deux peu de résultats, parfois même
semaines
aggravation
I-1-8
2.5. Traitement
- conserver dans un milieu familier le plus longtemps possible. Au stade 4 et 5, des
soins à domicile peuvent être suffisants. Au stade 6 et 7, il est le plus souvent
nécessaire de conseiller l'institution spécialisée pour protéger le reste de la famille:
l'accompagnement doit être continu.
- si possible traitement étiologique (hypertension, diabète, infection, ...)
-
au stade léger et modéré, intérêt de la mobilisation psychique. Mettre en contact
avec la ligue Alzheimer. Envisager un mandataire ou une mesure de protection des
biens.
- si nécessaire, antidépresseur SSRI (Cipramil par ex.), sédation très prudente et
restauration du rythme veille/sommeil (Trazolan, p.ex.)
- traitement médicamenteux symptomatique de la maladie d'Alzheimer : les
inhibiteurs de la cholinestérase : donepezil
(Aricept); rivastigmine (Exelon),
gallontamine (Reminyl). Ces traitements s’avèrent encore d'efficacité limitée mais
retardent certainement la dégradation irréversible due à la maladie.
I-1-9
2. LE RETARD MENTAL
2012
2.1
DEFINITION
Le retard mental affecte un individu chez qui l’on constate une lenteur importante du
développement de l’intelligence et des compétences sociales, et donc, à chaque étape
de la vie, un niveau inférieur de leur fonctionnement par rapport à la moyenne de la
population.
Par définition, le dysfonctionnement doit s’être installé significativement avant l’âge de
18 ans.
Quelques commentaires
1. L’intelligence et le Q.I. Il existe une diminution de rendement importante de
beaucoup de fonctions constitutives de l’intelligence, notamment de celles que l’on
considère comme les plus fines ; abstraction ; induction de lois ; créativité ;
raisonnement....
Cette
diminution
est
appréciée
cliniquement
et
psychométriquement.
Le quotient intellectuel s’obtient en divisant l’âge mental mesuré par l’âge réel du
sujet.
L’âge mental s’obtient en se référant à des tables qui transforment les points
obtenus au test en nombres de mois ou/et d’années. Les tests ont été construits de
telle manière que la moyenne de la population obtienne le résultat 100.
Q.I.=
AgeMentalMesuré
x100
AgeRéel
Pour un enfant surdoué qui réalise, à l’âge réel de 12 ans, les tests normalement
attendus à l’âge de 18 ans (p. ex. baccalauréat) on obtiendra un Q.I. de (18 : 12) x
100 = 150. Par contre, un enfant retardé mental de 12 ans qui ne peut pas encore
lire (normalement possible à 6 ans) aura un Q.I. de (6 : 12) x 100 = 50.
2. Les compétences sociales de façon variable, selon les âges de la vie et les cultures,
on attend de chacun :
- qu’il ne pèse pas trop sur ses groupes sociaux d’appartenance : autonomie des
gestes quotidiens (s’habiller... prendre le bus) ; autodétermination de projets (p. ex.
les loisirs) ; performances adaptées en milieu scolaire et professionnel ;
I-2-1
- qu’il participe à la vie sociale : place positive prise dans le groupe ; responsabilité
sociale, etc....
Toutes ces fonctions sont défaillantes chez la personne qui a un retard mental, mais
pas toujours de façon homogène.
3. Installation significative avant l’âge de 18 ans si une limitation intellectuelle et
sociale diffuse s’installe après cet âge, on doit parler de démence. Cependant,
lorsque le problème fait suite à un traumatisme (p. ex. accident de roulage), on
préférera souvent éviter le terme de démence et invoquer une « détérioration
mentale post-traumatique » ou un « syndrome psycho-organique chronique » ou
encore parler de « patients cérébro-lésés avec troubles du comportement ».
Par ailleurs, le D.S.M.-IV pose le diagnostic double de retard mental et de démence
chez le mineur d’âge lorsqu’une agression physique (traumatisme, infection...)
survient après l’âge de stabilisation du Q.I. (+ 4 ans) et vient altérer de façon
significative et largement irréversible les fonctions intellectuelles et les aptitudes
sociales déjà acquises.
4. La personnalité peut fonctionner en bonne concordance avec le niveau de
développement cognitif atteint (« retard harmonique »), ou présenter des troubles
en dissociation avec celui-ci (« retard dysharmonique »).
5. Les termes « retard mental » et « handicap mental » ne sont pas synonymes. Le
handicap, c’est la conséquence des problèmes fonctionnels lorsqu’ils s’expriment
dans le monde social : c’est le désavantage résultant de la rencontre de la personne
dysfonctionnant et des attentes sociales. Il est éventuellement réductible par
l’éducation spécifique de la personne et le réajustement des demandes sociales
(milieu protégé).
En résumé, il faut définir le handicap mental comme retard mental en situation
sociale.
Nous adopterons la définition de l’American Association for Mental Retardation :
Le handicap mental (H.M.) désigne un état de réduction notable du
fonctionnement
actuel
d’un
individu.
Il
se
caractérise
par
un
fonctionnement intellectuel significativement inférieur à la moyenne,
associé à des limitations dans au moins deux domaines du fonctionnement
adaptatif : communication, soins corporels, compétences domestiques,
I-2-2
habiletés sociales, utilisation de ressources communautaires, autonomie,
santé et sécurité, aptitudes scolaires, loisirs et travail
2.2. ETIOPATHOGENIE
2.2.1 L’ETIOLOGIE
A. Facteurs somatiques (40 %)
a) origine prénatale
1. Génétique :
-
syndrome de Down (mongolisme ou trisomie 21)
-
syndrome de Klinefelter (xxy)
-
syndrome du x fragile
-
phényl-cétonurie
2. Agression intra-utérine
b) origine périnatale
c) origine post-natale
-
syndrome alcoolo-fœtal
-
infection (rubéole, cytomegalovirus)
-
malnutrition
-
accident anoxique, prématurité extrême
-
infection (herpès)
-
hypothyroïdie
-
infections cérébrales (méningite – encéphalite)
-
traumatismes cérébraux
B. Facteurs psychosociaux (20 %)
Un environnement intensément et longuement défavorable, surtout dans la toute
première partie de la vie de l’enfant, peut finir par provoquer un R.M., qui reste
léger dans la majorité des cas, mais néanmoins définitif. C’est la conséquence de
la longue sous-stimulation intellectuelle et de la déprivation émotionnelle, ou
parfois du franc rejet, dont l’enfant est l’objet. Ces circonstances se trouvent chez
les mères malades mentales non assistées, dans les situations très précaires de
guerre ou d’émigration.
I-2-3
C. Origine actuellement inconnue (40 %)
1. Un nombre relativement élevé de R.M., surtout légers, reste actuellement
d’origine mystérieuse : entre 20 et 40 % selon les auteurs.
- Pour certains d’entre eux, on pourrait avoir affaire à la simple distribution
polygénique de l’intelligence : les personnes concernées sont à l’extrême la
plus défavorable d’une courbe de Gauss, et ont dépassé vers le bas la
frontière arbitrairement définie du Q.I. 70 ;
- Pour d’autres, on découvrira probablement des micro-traumatismes
chromosomiaux, des maladies génétiques, ou encore des agressions intrautérines non décelées. C’est le plus probable lorsque l’on constate aussi
des modifications anatomiques (microcéphalie)
2. L’autisme, et certaines psychoses infantiles précoces, s’accompagnent
souvent d’un retard mental dont il est difficile de dire :
- s’il s’agit d’un artefact, la personne étant très malaisément testable ;
- s’il fait partie de la maladie dès l’origine ;
- s’il est la conséquence des difficultés d’apprentissage et d’insertion sociale
de la personne.
2-2-2 LA PATHOGENIE
A. Lorsqu’il y a atteinte somatique, son extension n’est pas le déterminant exclusif du
déficit du fonctionnement cérébral. En effet, le cerveau humain est capable de
produire des circuits fonctionnels compensatoire d’autant plus qu’il y sera stimulé
pas un environnement de qualité.
Un accident à la naissance dans un milieu culturellement pauvre sera donc plus
lourd de conséquences que le même accident survenant dans un milieu
apportant les stimulations adéquates.
A égalité d’atteinte primaire du tissu cérébral, et en référence entre autres à la
qualité de la vie et de l’environnement, la trisomie du 21 peut produire un adulte
harmonieux au retard modéré vivant en famille ou, au contraire, un adulte
automutilateur, agressif au retard sévère et confirmé en institution..
B. Inversement, même lorsque l’étiologie est environnementale, il peut s’ensuivre à la
longue une certaine atteinte cérébrale pas nécessairement réversible (pauvreté
des connexions et spécialisations neuronales).
I-2-4
C. Les lésions ou dysfonctions cérébrales existantes ainsi qu’un mode relationnel
particulier entre l’entourage et la personne R.M. conduisent à une organisation
particulière de l’intelligence et de la personnalité de celle-ci : chez beaucoup, nondéveloppement de la curiosité et l’envie de comprendre ; «dépendance des
« objets premiers » c’est-à-dire d’images parentales archaïques (« Maman m’aime
et est toute-puissante... si je suis sage, c’est la félicité... sinon, la vengeance peut
être terrible ») ; passivité . Une minorité de personnes R.M. évoluent davantage,
mais sans dépasser la première phase de l’organisation psychique œdipienne :
guère d’identifications fines, vraiment intériorisées, à une image d’adulte à la fois
rival et investi. Une petite minorité évolue suffisamment pour s’attacher
progressivement à un partenaire du même âge.
D. Conscience du handicap : le jeune handicapé, surtout adolescent, perçoit
souvent, ses différences morphologiques éventuelles, et surtout ses différences
de performances, ses « ratages » par rapport à la moyenne des autres. Il perçoit
également quelque chose du vécu de son entourage à propos de sa personne.
Son image de soi peut en être altérée !
Il s’ensuit souvent une phase de blessure narcissique, de dépression, de vague
agressivité dirigée contre le destin et l’entourage :
E. Agressivité : vu la dépendance aux parents, la personne R.M. ressent souvent
son agressivité comme interdite et la refoule. Ce refoulement contribue à expliquer
la passivité de beaucoup de personnes R.M., qui a la valeur d’une formation
réactionnelle. Ailleurs, l’agressivité s’exprime encore de loin en loin, indirectement,
dans un acte manqué. Ailleurs encore, elle ne se refoule pas, et le caractère
devient difficile, avec beaucoup d’affrontements à l’entourage.
F. Acceptation ou déni de la différence : Au fil du temps, ces sentiments pénibles
continuent à se vivre tels quels ou à s’aggraver chez une minorité mais la majorité
finit par se donner une perception plus nuancée de soi, qui intègre également la
prise en compte des richesses humaines existantes. Quelques-uns refoulent et
dénient la perception de leurs manques et se conduisent comme s’ils avaient les
mêmes compétences que tout le monde, jusqu’à des convictions tenaces, quasi
délirantes à ce sujet.
I-2-5
G. La famille : corollairement, l’entourage vit une aventure intérieure similaire :
perception des richesses mais surtout des déficits et invalidités de la personne
R.M.... remaniement de l’image de soi, le plus souvent par la négative, au moins
transitoirement : blessure narcissique, dépression, agressivité...
Au fil du temps, la mauvaise image de soi s’aggrave (désespoir, isolement), se
stabilise (on vit vaille que vaille, avec un abcès froid d’amertume, de honte,
d’infériorité souvent non communiquée), ou se répare (deuil de la colère et de
l’injustice ressentie, foi retrouvée - et réaliste - dans ses capacités propres et celles
de la personne R.M.). Une minorité de parents dénie l’existence ou en tout cas la
profondeur du R.M. et exige trop de rendement de la personne R.M, parfois même
en sacrifiant tout leurs loisirs à un apprentissage exagéré.
Il est également fréquent que l’investissement massif par la mère du jeune
handicapé entraîne un sentiment d’abandon ou de désintérêt pour les autres
enfants de la famille et aussi pour le père, avec des conséquences
psychopathologiques et familiales défavorables.
2-3
CLINIQUE
2-3-1
LES GRANDS CRITERES
A. Existence d’un certain degré de retard intellectuel
1. Catégories du D.S.M.-IV et C.I.M. (OMS)
Retard mental léger : le Q.I. se situe approximativement entre 70 et 50 ;
l’observation clinique et l’anamnèse confirment l’évaluation psychométrique.
Retard mental modéré : le Q.I. se situe entre 50 et 35 + confirmation clinique
Retard mental sévère : le Q.I. se situe entre 35 et 20 + confirmation clinique
Retard mental profond : le Q.I. est inférieur à 20 ... si tant est qu’il soit vraiment
évaluable + confirmation clinique.
2. L’évaluation du fonctionnement de l’intelligence
- critères cliniques : débrouillardise au quotidien, raisonnement, créativité...
testés et observés en consultation et évalués via l’anamnèse personnelle et
familiale ;
I-2-6
- critères psychométriques : quand c’est possible, on recourt à des tests
faisant appel à la verbalisation, le plus connu est le test de WESCHLER. Si ce
n’est pas possible, on recourt à des tests non verbaux (p. ex. tests de Raven).
Il ne faut néanmoins pas perdre de vue le biais culturel de beaucoup de ces
tests, qui défavorisent les immigrés, les classes socio-économiquement
pauvres, les minorités ethniques, etc... Par ailleurs, les résultats fluctuent en
fonction de l’état du sujet, et des conditions matérielles et physiques de
passation du test !
B. Existence d’une diminution des compétences sociales
Elle s’évalue, elle aussi, et par des critères cliniques, et par des mesures
standardisées : il existe plusieurs échelles d’évaluation (PAC, Vineland, etc...)
C. La personnalité : harmonique ou dysharmonique
1. « Harmonique » signifie que le développement affectif correspond à l’âge
mental de la personne. On considérera donc souvent comme “normaux” une
certaine immaturité affective, une certaine dépendance aux parents ou à leurs
substituts, un conformisme aux exigences de l’entourage, une certaine
passivité...
2. Dysharmonique
- l’âge mental ne correspondant à l’âge réel, il peut exister des exigences (en
matière de liberté de déplacement de boisson alcoolisée, de vie sexuelle)
normales pour l’âge réel mais que la personnalité R.M. ne pourra assumer de
façon sûre et paisible.
-
De plus une très grande variété de troubles mentaux sont susceptibles de
coexister avec le R.M., soit qu’ils soient générés indépendamment de lui,
soit qu’ils en soient la conséquence,
-
Troubles du registre dépressif, ou anxieux, impulsivité, agressivité,
personnalité asociale
-
Coexistence d’une psychose : Ici, la perception du réel non seulement est
appauvrie par la limitation cognitive, mais est également distordue. Il
s’ensuit : comportements incohérents ; délire ; agitation ; angoisses
I-2-7
intenses... ou au contraire, les symptômes négatifs des psychoses :
pétrification, isolement, apragmatisme...
D. Existence éventuelle de troubles associés : neurologiques, morphologiques, somatiques généraux (cardiaque – thyroïdiens)
I-2-8
I-2-9
2-4 DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS
I. Fonctionnement intellectuel limite (D.S.M.-IV) : le Q.I. se situe dans la fourchette
71-84. Nous nous limiterons à discuter ces cas lorsque le problème est primaire, c’està-dire causé chez l’enfant par une faiblesse de l’équipement intellectuel. Pour ces
sujets, le diagnostic n’est pas aisé. La clinique sera d’un grand secours. Le type de
tests employés sera également déterminant. Si la compétence sociale est souvent
mieux sauvegardée, les difficultés d’apprentissage, elles, sont bien réelles. Les échecs
répétés vont influencer l’image de soi. Un sentiment dépressif, un sentiment
d’injustice, un vague besoin de s’opposer viennent encore alourdir le fonctionnement.
Ces enfants sont également anxieux à l’idée de déplaire ; on les voit, par exemple,
répondre trop vite à ce qui leur est demandé et se tenir de façon crispée à ce qu’ils ont
répondu.
II. Déficits sensoriels méconnus : amblyopie, hypo-acousie …L’enfant s’efforce de les
compenser vaille que vaille dans la vie quotidienne, mais ne peut pas effectuer les
apprentissages scolaires au rythme des autres. L’hypo-acousie entraîne le plus
souvent des troubles de la parole ou/et du langage, réversibles si l’on remédie à la
cause.
III. Inhibitions intellectuelles durables de certaines névroses sévères. On pensera
notamment à la névrose obsessionnelle, avec ses doutes et ses inhibitions, ses rituels.
IV. Syndromes mentaux d’origine organique : une multitude d’agents peuvent léser le
tissu cérébral et provoquer des détériorations souvent dysharmoniques, aiguës
(confusion mentale) ou chroniques (démences), des comportements, de l’intelligence
et des fonctions instrumentales : attention, mémoire, conscience (troubles du
repérage) ; qualité de la pensée (cohérence) ; fonctions cognitives les plus fines
(jugement) ; apprentissages ; équilibre émotionnel...
Toute chute brutale des performances, notamment chez l’enfant, doit nous alerter et
nous en faire rechercher activement les causes. Elles peuvent être organiques (depuis
l’intoxication au plomb jusqu’à la tumeur au cerveau). Il peut également réagir à une
situation sociale insupportable : maltraitance, abus sexuel, graves conflits chez les
parents...
I-2-10
2-5 EPIDEMIOLOGIE
La prévalence proposée par le D.S.M.-IV est de 1% des naissances. Dans les pays non
industrialisés cependant, les chiffres sont beaucoup plus élevés (5 à 8%) : un véritable
fléau !
Le retard léger est le plus fréquent : environ 85% de l’ensemble des personnes HM.
Il est inégalement réparti selon les classes sociales : les populations défavorisées socioéconomiquement accumulent davantage de risques.
Le retard modéré concerne environ 10% des personnes H.M. La trisomie du 21 en
regroupe une bonne part à elle seule.
Le retard sévère : 4%
Le retard profond : 1%
Plus on descend dans l’échelle de gravité, plus l’étiologie franchement organique devient
fréquente, plus existent également des déficits somatiques et neurologiques associés.
2.6 LA PREVENTION ET LA PRISE EN CHARGE
2.6.1. LA PREVENTION
A. La prévention primaire (éviter le R.M.)
1. Certains facteurs de risque peuvent être supprimés ou réduits préventivement :
- Il est essentiel d’informer les parents avant la grossesse, sur les risques de la
prise d’alcool, de certains médicaments, du contact avec des enfants malades...
La vaccination (contre la rubéole, rougeole...) apparaît essentielle de même que
le dépistage de la phénylcétonurie et d’autres troubles du métabolisme ;
- Les soins donnés au bébé en néonatologie, outre leurs qualités techniques,
doivent favoriser l’installation d’un lieu positif parents-enfants, et donc une
stimulation correcte de celui-ci ;
- Certaines consultations de l’Office National de l’Enfance (O.N.E). organisent des
espaces de jeux durant leurs consultations ou laissent la possibilité d’une
consultation conjointe avec un psychologue. Ces actions de prévention peuvent
faire grandir chez les parents leur sentiment de compétence, ressentir leur prise
sur l’éducation. De manière analogique, l’enfant peut y développer une « prise
sur son monde ».
2. Toute grossesse identifiée comme à risque (somatique ou/et sociale) devrait être
accompagnée de près, par un généraliste et un service d’obstétrique soucieux
d’une prise en charge globale.
I-2-11
3. D’un point de vue éthique, s’il se pratique un examen anténatal de la santé du
fœtus, ses conséquences pratiques éventuelles - avortement ou maintien de la
grossesse - doivent rester de l’appréciation de chaque couple. Il est essentiel
qu’il en demeure ainsi et que ce ne soient pas les médecins qui décident à la
place des parents du bonheur qu’ils auront ou non à vivre avec une personne
R.M. ou du droit de cette personne à la vie.
4. Après naissance d’un enfant R.M, il faut rechercher soigneusement les causes
et évaluer les facteurs de risques pour les grossesses suivantes (e.a. conseil
génétique)
B. La prévention secondaire (limiter l’extension du R.M.)
1. Dépistage attentif des premiers signes de retard de développement et des signes
associés (malformations,...), surtout si l’on se trouvait dans un contexte à risques,
pour pouvoir mettre en route stimulations précoces et autres remédiations : le
soutien apporté aux parents évite bien des risques, jusqu’à celui de l’évolution
psychotique.
2. Lorsque le diagnostic de retard est posé, il devrait toujours s’accompagner d’un
projet d’intervention. L’enfant est en devenir, tout n’est pas dit par un diagnostic.
Quelles remédiations, quel type de guidance, quelles formes de supports apporter
aux
Parents ? Comment favoriser l’insertion sociale (valorisation des rôles sociaux) de
l’enfant, sa participation, dans la mesure du possible, aux milieux ordinaires - la
crèche, les classes maternelles - même si des mesures de soutien doivent y être
mises en place ?
2.6.2 .LA PRISE EN CHARGE
1° - Nous nous limiterons à exposer quelques grands principes, la prise en charge
effective étant du registre d’une consultation spécialisée multidisciplinaire
- L’être humain reste capable de développement, tout au long de sa vie, même
lorsqu’il existe des déficits d’une partie de son équipement : s’en souvenir, en
invitant la personne R.M., à donner le meilleur d’elle-même dans un
environnement riche en accueil et en stimulations ;
I-2-12
- L’inverse est vrai aussi malheureusement : l’être humain peut se détruire tout au
long de sa vie, en tout ou en partie, et notamment si son contexte de vie est
défavorable. A nous donc de prévenir, en permanence, une possible détérioration
supplémentaire de l’intelligence de la personne R.M., ou l’apparition de troubles
affectifs surajoutés ;
- La personne R.M. reste capable, dans une certaine mesure, de projets personnels,
d’une vision du monde autonome, d’un exercice de sa liberté ; il demeure très
grave et lourd de conséquences d’affirmer qu’elle ne sait rien et est toujours
d’accord avec nos projets. Il nous faut donc nous souvenir de notre devoir
d’interpellation de ses idées et de respect pour ses projets ;
- Le soutien apporté en permanence aux parents est essentiel. A partir d’une paix
intérieure mieux retrouvée en eux ; ils constituent des agents essentiels pour :
restaurer une image de soi positive chez la personne R.M. ; la stimuler sans les
surstimuler ; reconnaître et sa part de liberté et son droit à l’affirmation de soi ;
préparer son avenir.
Un problème délicat se pose lorsque les parents veulent garder à la maison une
personne R.M. - peu importe son âge - dont le handicap apparaît lourd à gérer
ou/et lourd pour eux et/ou pour sa fratrie. Il faut écouter leurs “raisons” avec
beaucoup d’empathie et de délicatesse et ne pas prendre de décisions à leur
place. Néanmoins, et pour peu que l’on se soit montré écoutant et compréhensif,
on devra attirer leur attention sur ce qui suit : une personne R.M. qui n’a pas eu de
préparation à la vie sociale se montre très souvent démunie, désespérée et peu
reclassable à la mort de ses parents : l’expérience montre que sa fratrie ne la
reprend que rarement à domicile ; avoir une vie sociale, avec des gens de son
âge, est le plus souvent un enrichissement et un épanouissement pour la personne
R.M. ; lorsqu’il y a envahissement de la vie familiale par la problématique de la
personne R.M., la fratrie en souffre parfois beaucoup dans sa propre croissance
personnelle mais en s’en défendant souvent farouchement...
Tout ceci invite à mettre le jeune R.M. dans un monde social qui le prépare à son
avenir : fréquentation scolaire, mouvement de jeunesse, séjours dans la famille
élargie, voire mise en internat pour des raisons positives. Les associations de
parents d’enfants jouent un rôle important dans le soutien mutuel apporté aux
parents (self-help).
I-2-13
- Le R.M. n’est pas nécessairement repéré autour de la naissance. Le diagnostic est
beaucoup plus tardif pour les formes légères. Lorsqu’il y a suspicion, la mise au
point devrait être complète et gagne donc à être faite par une équipe
multidisciplinaire
(pédiatres,
neuropédiatres,
généticiens,
psychologues
et
pédopsychiatres). Ces spécialistes doivent faire le point, non seulement sur les
déficits, mais aussi sur le potentiel positif et de la personne R.M., et de son
environnement naturel.
-
Par la suite, plus le R.M. est important, plus l’accompagnement lui-même
devra rester multidisciplinaire. On gagne énormément à ce que cette
multidisciplinarité soit effective, c’est-à-dire harmonieusement organisée. Il
doit donc exister un coordinateur du programme, qui constitue une
personne de référence pour la personne R.M. et sa famille : souvent, il
existe un bénéfice à ce que ce coordinateur change une fois pendant le
cycle de vie (passage minorité d’âge - majorité) ou deux fois (passage
enfance - adolescence - majorité).
-
Aide précoce : il convient de veiller soigneusement à la qualité de la
communication du diagnostic, maladroitement faite, elle laisse dans le
psychisme des parents une trace définitivement traumatisante. Il est
important d’écouter leurs idées et sentiments les plus difficiles … puis,
progressivement, attirer leur attention sur la qualité humaine rémanente de
leur enfant, et la part de richesses qu’il porte, attirer leur attention aussi sur
l’aide sociale qui leur sera accessible.
-
Il conviendra de distinguer les prises en charge de personnes avec R.M.
léger, qui seront maintenues aussi longtemps que possible dans un
environnement scolaire et ensuite professionnel normal, sans que ce
maintien ne constitue
un fardeau trop lourd pour elles-mêmes ou leur
entourage
2° Plus particulièrement, concernant les personnes à R.M. grave ou profond
- Le diagnostic se fait souvent très rapidement, peu après de la naissance, d’autant
qu’il se surajoute souvent d’autres déficits neurologiques et somatiques.
- Tout ce qui a été dit sur le soutien aux parents reste essentiel.
- La personne R.M. nécessite beaucoup d’actes techniques visant à stimuler tout ce
qui est possible dans son développement : kinésithérapie, psychomotricité,
I-2-14
stimulation des apprentissages nécessaires à la vie quotidienne. Dans les cas les
plus graves, il faut mettre en place un nursing de qualité qui prend place dans des
relations humaines bien personnalisées. Si la personne ne peut pas s’exprimer
verbalement, on sera particulièrement attentifs aux petits signes d’irritabilité
(mauvaise humeur ; apparition ou recrudescence d’automutilation) qui peuvent
signifier une souffrance sociale (p. ex. arrivée dans un groupe de vie, d’un
« nouveau », vécu comme menaçant), mais aussi une souffrance physique (otite,
reflux gastro-œsophagien, pneumonie par régurgitation …)
- occupation : la manière de s’occuper pendant la journée sera conditionnée par la
gravité du R.M., bien sûr, mais aussi par des habitudes sociales prises par la famille
ou/et l’entourage. En allant du plus passif au plus actif :
- Petites occupations quotidiennes : regarder la T.V. ; aide au ménage (depuis le
domicile, ou un centre spécialisé)
- Fréquentation de l’enseignement spécial
type 2, encore accessible aux R.M.
sévères
- Participation à des petits programmes d’activités récréatives, depuis des centres
spécialisés
- lieux de vie :
- Une minorité d’entre eux vit dans sa famille d’origine, soit sans en sortir, soit en
fréquentant pendant la journée les centres spécialisés.
- Une plus grande partie vit en institution résidentielle, parce que les soins sont trop
compliqués, ou que la famille est moralement épuisée et qu’elle veut assurer tout
ce qui est possible comme socialisation.
. Pour les mineurs : internats des I.M.P. (le plus souvent) ; hôpitaux pédopsychiatriques
(rarement).
. Pour les majeurs : homes occupationnels ou de nursing (le plus souvent) ; hôpitaux
psychiatriques (rarement).
3° Un problème particulier : la vie sentimentale e t sexuelle des personnes R.M.
adolescentes et adultes.
I-2-15
Cette vie sentimentale et sexuelle existe telle qu’évoquée dans le film « Le 8
ème
jour » de J. Van Dormael, et il importe de ne pas pratiquer la politique de l’autruche
à son sujet. Y faire face pose régulièrement des problèmes éthiques, que chacun
doit résoudre en son âme et conscience. En voici quelques applications :
- Même si, comme nous l’avons déjà dit, beaucoup de personnes R.M. restent
largement dépendantes de leurs premiers objets d’attachement - les parents et leurs
substituts -, une dimension d’elles-mêmes, inconstamment et avec une intensité
variable, peut chercher la rencontre amicale ou amoureuse avec un pair, R.M. lui
aussi ou non.
On peut accueillir ce mouvement vers l’autre, et lui donner suite dans des actes
quotidiens tels fêtes, excursions, sorties ensemble. Il ne s’agit néanmoins pas de le
provoquer artificiellement, ni d’imaginer tout de suite qu’ils veulent la rencontre
totale, y inclus sexuelle, là où ils ont souvent l’affectivité d’un enfant de 10, 11 ans...
- Certains manifestent une vie sexuelle active, indépendante d’une rencontre
profonde avec un partenaire aimé, et on doit éduquer l’expression de leur sexualité
comme on le ferait avec n’importe qui.
C’est entre autres à cause d’eux que se posent de très délicats problèmes de
contraception. S’il y a vie en collectivité, cette contraception peut même concerner
les autres, qu’ils pourraient solliciter abusivement.
Mais, le cas échéant, jusqu’à quel point a-t-on le droit de l’imposer ? Le minimum
minimorum en ce domaine est de ne pas confondre « imposition » et « non
information » !
- Une minorité, essentiellement parmi les R.M. légers ou modérés, demande à avoir
une vie de couple ordinaire, avec un partenaire consentant.
S’il s’agit d’une demande profonde et stable, nous pensons qu’il faut y donner suite.
Mais alors, dans ces conditions, faut-il accepter qu’il y ait des enfants, l’encourager,
tenter d’en limiter le nombre, ou s’y opposer ? Autre question éthique délicate, qui
ramène d’ailleurs la question de la contraception, et d’une éventuelle contrainte de
celle-ci. Il importe en tout cas de rester objectifs, sans se laisser entraîner par un
contre-transfert idéaliste (qui ferait d’eux de parents potentiels merveilleux et aussi
compétents que la moyenne des autres), ni pessimistes (qui en ferait de purs
incapables ou/et amènerait des positions eugéniques).
I-2-16
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Rioux Marcia H. : New Research Directions and Paradigms : Disability is not Measle,
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I-2-17
Chapitre II : Troubles psychopathologiques
2012
1. LES TROUBLES DE L’HUMEUR
La dépression nerveuse est fréquente : dans nos populations, une personne sur
quatre ferait un état dépressif pathologique au moins une fois dans son existence.
Alliant troubles psychiques et physiques, elle n’est pas toujours facile à dépister. Il
est fondamental de la repérer et de la soigner : le traitement le plus efficace s’appuie
sur la pharmacothérapie combinée à une approche psychothérapeutique.
1.1. Introduction
Tout praticien, généraliste ou spécialiste, sera confronté à des patients présentant un trouble
de l'humeur ou une problématique dépressive : dans quelles circonstances ?
Tout d'abord à son cabinet de consultation, en visite à domicile ou à l'occasion d'une
hospitalisation suite à un trouble de l'humeur ou à une de ses complication les plus
fréquentes (tentative de suicide, somatisations anxio-dépressives, assuétude) ou encore à la
demande d'un congé de maladie pour l'un ou l'autre symptôme présenté de façon isolée,.
Une dépression masquée à expression essentiellement somatiques peut ne pas attirer
l'attention du généraliste qui a multiplié les mises au point somatiques et les traitements
symptomatiques sans grands résultats et qui finit par convaincre son patient qu'il ne souffre
d'aucune maladie réelle. Les dépressions secondaires à des affections médicales ou à
d'autres troubles psychopathologiques sont aussi des pièges car l'affection à l'avant-plan
mène souvent à la méconnaissance des symptômes dépressifs associés.
Tantôt sur-
diagnostiquée (un patient qui pleure n’est pas forcément dépressif), tantôt sousdiagnostiquée, cette affection aux visages multiples a des contours parfois difficiles à saisir
en dehors des formes caractéristiques et ce, surtout une fois passée la phase aiguë ou dans
les formes chroniques résiduelles.
1.2. Définition
L’humeur peut s’appréhender comme une tonalité affective de base ou fondamentale
qui varie au cours de l’existence et en fonction du contexte. Cette tonalité va de la
tristesse à l’euphorie avec tous les degrés d’intensité. Sur le plan psychopathologique
les variations de l’humeur peuvent aboutir à des troubles de nature dépressive, mixte ou
hyperthyme (maniaque ou hypomane).
1.3. Comment situer la problématique dépressive dans la population générale ?
II - 1 - 1
Cette question apparemment simple qui intéresse au premier chef le médecin ou le
travailleur en santé mentale, se heurte à différents écueils si l'on ne s'en tient pas aux
formes les plus évidentes et les plus marquées de dépression.
1° Des définitions plus au moins strictes des différents troubles dépressifs existent (avec
des critères d'inclusion et d'exclusion bien délimités) et sont utilisées dans les
enquêtes épidémiologiques. Cependant leur recouvrement plus au moins large avec
des entités cliniques proches comme les personnalités dépressives, les traits de
caractère dépressif, les troubles anxieux et a fortiori anxio-dépressifs, peut faire varier
les taux d'incidence retenus. La question de savoir si la dépression s'inscrit dans un
continuum avec les formes dépressives mineures ou dans un continuum avec les
troubles anxieux qui constitueraient ainsi une étape préalable au développement de la
dépression avérée (ou une forme atténuée de celle-ci) sont des questions qui n'ont
que des réponses partielles.
2° L'intensité des phénomènes dépressifs peut être variable et les fluctuations normales
de l'humeur sont à prendre en considération en fonction des contextes et événements
de vie. Ainsi la réaction de deuil, bien que présentant des caractéristiques communes
à certaines dépressions ne peut-elle être considérée comme un trouble que dans la
mesure où elle excède en durée ou en intensité les normes de la culture où elle se
manifeste. Ainsi, notre culture en minimisant l'importance du deuil et en effaçant tant
que faire se peut ce qui nous confronte à la mort, ne facilite certes pas ce travail
d'élaboration de la perte d'un être cher, et peut à son tour aboutir à un deuil
pathologique et à un trouble dépressif authentique.
Des affects dépressifs ne constituent pas en soi une pathologie et peuvent colorer
également divers tableaux psychopathologiques ou tout simplement la tonalité
affective du sujet à un moment donné de son histoire.
3° L'impact du trouble dépressif sur les aptitudes à tenir ses rôles sociaux et familiaux et
sur l'aptitude à réaliser son travail est aussi pris comme critère de différenciation entre
divers troubles dépressifs. Le niveau d'exigence et de productivité ne faisant que
croître, ainsi que divers facteurs de stress, on assiste à une augmentation de
différentes formes de dépression que ce soit sous ce vocable ou sous un autre plus
acceptable dans notre culture : surmenage, plaintes somatiques multiples ,
hypotension, vertiges, lombalgies, céphalées, troubles graves du sommeil, asthénie,
II - 1 - 2
fatigue chronique etc. D'où l'intérêt de repérer correctement ces dépressions dites
« masquées » afin qu'elles puissent aussi bénéficier d'un traitement approprié.
1.4. Epidémiologie, l’éthiopathogénie et facteurs de risques
On s'accorde aujourd’hui à trouver un taux de prévalence de la dépression de 10% à
16%, un taux plus élevé pour le sexe féminin est systématiquement retrouvé dans toutes
les études et dépend de plusieurs facteurs, notamment dans une différence dans
l'expression des symptômes dépressifs et dans la manière de faire face à la dépression ou
de demander de l’aide. (ANGST, DOBLER-MIKOLA, 1984.)
Par contre le risque de survenue d'un épisode dépressif au cours de la vie a été estimé
par plusieurs auteurs entre 8 et 12% chez l'homme et entre 20 et 26% chez la femme.
L’OMS estime qu’en 2020, la dépression sera la cause principale de morbidité après les
maladies cardiaques !
Un épisode dépressif peut survenir à tout âge, avec un âge moyen d'apparition au début
de la quarantaine : un premier épisode avant 40 ans dans 50% des cas, un pic de
fréquence à l’adolescence et un premier épisode après 60 ans dans 10% des cas
Les études épidémiologiques portant sur des populations normales confirment le fait qu'un
grand nombre de syndromes dépressifs demeurent non traités même quand ils ont été
diagnostiqués.
La dépression est une affection récidivante, 5 à 20 % ne présenteront qu'un seul épisode;
le nombre moyen d'épisodes (toutes formes de dépression confondues) est de l'ordre de 5
à 6 sur une vie.
Un épisode dépressif non traité dure en moyenne 4 à 8 mois, mais la dépression peut se
chronifier d'emblée dans 10 à 20% des cas, le risque augmentant avec l'âge.
Les facteurs favorisants ou de risque comprennent : le sexe (2x plus de femmes), les
antécédents familiaux de trouble de l’humeur et d’alcoolisme, les carences affectives
précoces et la perte des parents avant l’âge de13 ans. Le risque est un peu plus élevé
pour les groupes socioéconomiques défavorisés, mais ceux-ci courent un risque accru de
pas être pris en charge pour leur dépression.
II - 1 - 3
La dépression constitue donc une affection psychopathologique fréquente, la plus
fréquente après l'anxiété avec laquelle elle se combine volontiers. Pour certains auteurs
d'ailleurs les états anxieux constituent un continuum avec les dépressions au sein d'une
entité qui les englobe, celle des troubles affectifs ou de l'affect.
Une conception
hiérarchique des affections psychiatriques fait que la dépression est considérée comme un
trouble plus grave que l'anxiété, et lorsque les deux affections coexistent, le diagnostic de
trouble dépressif prendra le pas sur celui d'anxiété ou sera taxée de comorbidité dans la
logique du DSM IV par exemple. Une dépression nettement améliorée, voire considérée
comme révolue peut se prolonger par une anxiété résiduelle et persistante. Inversement
un état anxieux peut constituer le premier pas vers le développement d'une dépression
avérée. L'ICD-10 ont repris la terminologie des troubles anxio-dépressifs, où la
symptomatologie reste modérée et ne permet pas de faire la distinction entre dépression
ou anxiété
Avant de décrire la symptomatologie centrale des dépressions majeures ( ce qui est une
traduction de l'anglais « Major »’ c’est-à-dire typiques et n'a pas la connotation d'intensité
que le terme a en français), qui entraînent des perturbations sur la capacité de tenir les
rôles sociaux habituels et sur l'aptitude au travail, il importe d'opérer une série de
distinctions importantes entre les diverses formes de dépression, car elles ont un impact
direct sur le type de prise en charge thérapeutique à proposer et ont un décours spontané
assez différent.
En effet, certaines dépressions non traitées finissent par s'amender spontanément, non
sans souffrances ni sans risques et avec une morbidité non négligeable.
De nombreuses formes de dépression ont un décours cyclique ou récurrent dont il faut
tenir compte dans un projet de prise en charge (les formes bipolaires et saisonnières en
sont un exemple).
D'autre part les troubles dépressifs sont potentiellement graves, avec un coût social
important (20% du coût des maladies mentales et 4% du coût total des maladies).
Le risque suicidaire reste important, 15% des déprimés majeurs vont se suicider un jour et
cette incidence ne fait qu'augmenter chez les adolescents et jeunes adultes ; mais ce
risque est également tributaire de la présence ou non de facteurs de protection liés à la
culture, à l'organisation sociale et au support dont le déprimé peut bénéficier. Outre les
différents facteurs personnels sociologiques et psychodynamiques de vulnérabilité, il y a
une différence : liée à la culture par exemple en Afrique chez les populations restées
traditionnelles le suicide n’existe quasi pas et par contre lorsque ces populations
II - 1 - 4
s’occidentalisent, le risque augmente ; au Japon, le suicide est valorisé et connaît un taux
élevé, y compris chez les jeunes, des convictions religieuses ou philosophiques vont ainsi
protéger (ou non) du suicide.
1.5.Aspects neurobiologiques des troubles de l’humeur
a) facteurs génétiques
Une vulnérabilité génétique joue un rôle important dans le déterminisme des troubles de
l’humeur (TH), surtout les formes bipolaires (Bip).
Le risque de TH pour un enfant dont un des parents est Bip I est de 25% et est de 50 à
75% si les deux parents sont Bip. Le taux de concordance pour un trouble Bip I est de 33
à 90% selon les études pour les jumeaux monozygotes et de 5 à 35 % pour les dizygotes.
L’impact du facteur génétique est variable d’une famille à l’autre et il y a des patients où
aucun antécédent familial n’a pu être mis en évidence.
Lorsqu’un des parents a présenté un trouble dépressif majeur, le risque est de 10 à 13%
pour les descendants ; le taux de concordance pour un trouble dépressif majeur est de
50% pour des jumeaux monozygotes et de 10 à 25% pour des dizygotes.
Le mode de transmission de cette vulnérabilité génétique reste encore à élucider, on
trouve une association de certains troubles Bip I et des marqueurs génétiques sur des
chromosomes, notamment, 5,11,X dans d’autres cas, il y aurait des facteurs polygéniques
en cause.
b) facteurs neurochimiques
Les Neuromédiateurs suivants sont impliqués dans la dépression et la manie : Sérotonine
(5 HT), Noradrénaline (NA) et Dopamine (DA).
Ceux-ci ont une activité diminuée dans la dépression et augmentée dans la manie.
Les catabolites de ces monoamines ont été étudiés dans diverses études avec des
anomalies. Le catabolite de la HT , l’acide 5 hydroxy-indolacétique, dosé dans le LCR, est
diminué chez certains patients déprimés , mais pas chez d’autres, et chez des patients
,agressifs contre eux-mêmes (suicidaires) ou contre autrui, violents ou anxieux. Ceci
refléterait dès lors une relation entre une diminution de la neurotransmission 5HT et une
dimension psychopathologique plutôt qu’avec une catégorie diagnostique.
II - 1 - 5
c) facteurs neuroendocriniens
Un dysfonctionnement au niveau hypothalamique, se reflétant dans des perturbations de
la régulation de divers axes neuroendocriniens est observé dans les troubles de l’humeur
ainsi qu’une diminution de l’immunité.
On
observe
une
hyperactivité
de
l’axe
hypothalamo-hypohyso-surrénalien
avec
hypercortisolémie et perturbation du test de freination à la dexamétasone chez des
déprimés ainsi qu’une diminution de sécrétion de la thyréostimuline, de l’hormone de
croissance de la FSH, de la LH et de la testostérone.
d) sommeil
Le sommeil est perturbé dans les deux tiers des cas de trouble de l’humeur avec des
modifications du tracé EEG : augmentation du sommeil paradoxal (MOR : mouvements
oculaires rapides) dans la première moitié de la nuit avec réduction de la latence
d’apparition du premier MOR. ; réduction de la phase IV du sommeil lent.
e) neuroplasticité cérébrale
Au niveau cérébral, plusieurs zones interviennent dans la régulation de l’humeur. Le
cortex préfrontal est lié aux fonctions exécutives comme la mémoire, la prise de décision,
la planification et le jugement, le cortex singulaire antérieur joue un rôle dans des
fonctions cognitives comme l’anticipation des récompenses, la prise de décisions,
l’empathie et l’émotion et il intègre les stimuli émotionnels et les fonctions d’attention.
L’amygdale joue un rôle prépondérant dans le traitement de la mémorisation des réactions
émotionnelles et l’hippocampe dans l’apprentissage et la mémoire contextuels. Les études
du flux sanguin régional chez le patient dépressif montrent en quelque sorte une
hypoactivité des cognitions et une hyperactivité des émotions. Nous retrouvons le noyau
dépressif clinique qui est la rupture de continuité entre nos émotions et nos interprétations
cognitives.
Une des découvertes les plus récentes de la physiologie cérébrale est la découverte de la
neuroplasticité. Ainsi, dans la dépression, il n’y aurait pas seulement des variations
fonctionnelles des neurotransmetteurs mais aussi des variations de structure au niveau
des neurones cérébraux. L’imagerie cérébrale nous a ainsi montré une atrophie de
II - 1 - 6
l’hippocampe chez le patient dépressif qui récupère progressivement après traitement
(pharmacologique, psychothérapeutique ou par exercices physiques !)
Nous comprenons donc aujourd’hui grâce à l’évolution des connaissances en
neurosciences que psychothérapie, réappropriation des sensations corporelles et
pharmacothérapie sont complémentaires.
1.6. Distinctions à établir au sein des troubles de l’humeur
1° Formes UNI et BIPOLAIRES de dépression
Les formes Bipolaires se caractérisent par une alternance d'épisodes dépressifs et
d'épisodes maniaques ou hypomanes et forment ce qu'on appelle la psychose maniacodépressive. Un seul épisode maniaque ou hypomane suffit à déterminer le caractère
bipolaire de l'affection, même si comme c'est souvent le cas plusieurs épisodes dépressifs
ont précédé l'éclosion du premier épisode maniaque.
Les formes Unipolaires comprennent par définition les déprimés qui ne font que des
épisodes dépressifs. Au fil du temps un certain nombre d'Unipolaires vont rejoindre le
groupe des Bipolaires , en moyenne il y a trois accès dépressifs avant le premier accès
maniaque. Les formes Unipolaires sont les plus fréquentes, avec de degrés de gravité et
de durée très variables et un décours cyclique ,sauf dans une minorité de cas.
2° DEPRESSION PRIMAIRE OU SECONDAIRE
La dépression est susceptible de survenir dans le décours d'un nombre important
d'affections psychiatriques et somatiques, comme complication de celles-ci. Parmi cellesci les pathologies anxieuses de type phobique, troubles paniques ainsi que la névrose
post-traumatique ou les troubles obsessifs compulsifs constituent le lit de pathologies
secondaires comme l'alcoolisme et la dépression.
On distingue donc les dépressions dites primaires et d'autres secondaires.
Cette distinction a été établie dès 1972 par l'Ecole de Saint-Louis et se base sur les
antécédents psychiatriques et médicaux.
• La dépression primaire se définit comme n'ayant jamais été précédée par un
trouble psychiatrique autre qu'un trouble de l'humeur (que celui-ci soit uni- ou bi-
II - 1 - 7
polaire).
Une anamnèse révélant des troubles anxieux et des troubles de la
personnalité ne met pas en cause le diagnostic de trouble primaire.
• La dépression secondaire désigne toutes les dépressions se caractérisant par une
morbidité psychiatrique antérieure différente des troubles de l'humeur, comme
l'alcoolisme, les psychoses, et ainsi de suite.
Sont également considérées comme dépression secondaires celles qui surviennent
dans le décours d'une affection médicale (des manies secondaires plus rares
existent cependant):
Troubles mentaux organiques : démences, Sclérose en plaque, toxiques
Troubles endocriniens : thyroïde, surtout hypothyroïdie, surrénales (Addison
ou Cushing), hyper- ou hypo-calcémies
Effets de drogues ou de médicaments : hallucinogènes, réserpine,
antihypertenseurs, Sibélium, méthyl-dopa, etc.
Maladies virales : grippe, hépatite, mononucléose infectieuse
Des affections néoplasiques dont ils peuvent être le premier symptôme :
pancréas, œsophage, TD.
Dans le décours d'une affection médicale invalidante ou douloureuse, lorsque la
dépression suit l'évolution de l'affection médicale, dite principale. Les affections
douloureuses chroniques se compliquent souvent de dépression.
Ces dépressions secondaires sont souvent sous diagnostiquées (donc non traitées) ou la
dépression est diagnostiquée, mais pas la maladie sous-jacente (diagnostic différentiel
indispensable)
Cette distinction primaire-secondaire se retrouve dans les classifications comme le DSM
ou l’ICD, sous la rubrique des critères d’exclusion ou dans une logique de comorbidité (un
deuxième diagnostic est porté sur l’Axe I ou l’Axe II).
Exemple : Episode récurrent majeur – Trouble obsessionnel compulsif.
3° DEPRESSION RECURRENTE OU NON, CARACTERE SAISONNIER EVENTUEL
II - 1 - 8
•
L'épisode peut être unique ou se répéter au fil de l'existence, les formes bipolaires qui
débutent plus jeune ont un nombre d'épisodes nettement plus élevé que les Unipolaires
en l'absence d'un traitement prophylactique (Bip. I : 11 épisodes, Bip. II : 8 épisodes,
Unipolaire : 4 épisodes) selon ANGST.
•
Le caractère saisonnier des formes bipolaires et unipolaires peut être noté, avec une
mention spéciale pour les dépressions saisonnières, survenant dans la période de
novembre ou de mars, avec une symptomatologie légère à modérée.
4° DEPRESSIONS AVEC FACTEUR PRECIPITANT OU NON
Un certain nombre d'épisodes dépressifs ou maniaques surviennent dans le décours d'un
événement de vie qui précipite l'accès dépressif. Cet événement peut être un "stresseur
psycho-social" objectif habituellement reconnu comme pouvant avoir une répercussion sur
l'humeur ou être plus lié à structure psychodynamique profonde du sujet et avoir un côté
plus subjectif, c'est-à-dire compréhensible du seul point de vue du patient.
Exemples : décès d'êtres proches, séparations, déménagements, naissances, perte
d'emploi, etc., sont repris dans des échelles d'événements de vie et constituent des
facteurs de stress reconnus; par contre un fait apparemment anodin peut dans le contexte
d'une histoire particulière constituer un événement de vie dont la survenue ou le sens
prend une dimension inassumable et peut être à l'origine d'un épisode dépressif. Les
déceptions, les désillusions brutales, la rupture d'un lien affectif peuvent enclencher le
mouvement de bascule vers la maladie. Le côté réactionnel ne doit pas préjuger du degré
de gravité du trouble, même si dans certaines formes plus névrotiques de dépression la
fréquence d'un facteur déclenchant est plus grande.
Le post-partum
se caractérise par une incidence nettement plus élevée de troubles
psychiatriques dans l'année qui suit l'accouchement avec une proportion non négligeable
de dépressions dont une fraction va évoluer en trouble Bipolaire.
Cette manière de prendre en compte l’existence d’un événement de vie comme facteur
précipitant remplace la distinction entre dépressions réactionnelles opposées à des
dépressions endogènes qui avaient une connotation plus déterministe ou étiologique.
II - 1 - 9
5° DEPRESSIONS A CARACTERE FAMILIAL OU SPORADIQUES
La nature familiale des troubles de l'humeur a été relevée de longue date, surtout pour les
formes majeures de dépressions, et au sein de celles-ci, plus particulièrement les formes
Bipolaires. Kraepelin faisaient des antécédents familiaux et de l'évolution temporelle de la
dépression des critères de diagnostic différentiel primordiaux.
Au sein des troubles primaires de l'humeur, les bipolaires ont l'incidence familiale la plus
haute, ils commencent plus jeune (premier épisode vers 25 ans); ont un nombre plus
élevé d'épisodes dans leur vie et font plus d'épisodes avec éléments psychotiques (délire,
hallucinations, …);
ils font aussi un nombre plus élevé d'épisodes au cours de leur
existence et constituent donc les formes les plus sévères de troubles de l'humeur. Par
contre ils sont fortement susceptibles de répondre favorablement à un traitement
prophylactique par le Lithium ou des substances alternatives comme la carbamazépine ou
le valproate. Le gros problème étant la compliance à un traitement de ce type au très long
cours.
Quant aux dépressions unipolaires et primaires Winokur a proposé une classification
familiale qui s'appuie sur l'hypothèse d'une vulnérabilité génétique à la dépression
différente en fonction de l'histoire familiale, de la symptomatologie, du sexe et de l'âge du
premier épisode, de la présence ou non de marqueurs biologiques perturbés pendant
l'épisode dépressif.
1.7. Symptomatologie cardinale d’un épisode dépressif
Si le vécu dépressif constitue une expérience psychologique inévitable qui fait partie de la
vie, c'est lors de la perte de l'objet d'amour ou d'investissement et à des moments de
confrontation avec la déception au sens fort du terme que le sujet va prendre la mesure de
sa déréliction, seul et abandonné, sans illusion , avec une désespérante lucidité.
Chez l'animal des modèles comportementaux de type "learned hopelessnes" et
"helplessnes" sont utilisés comme paradigme de la dépression expérimentale.
Les expériences naturelles que constituent la dépression anaclitique suite à des carences
affectives précoces, durables et intenses, révèlent la vulnérabilité fondamentale et
essentielle de l'être humain (et même des primates).
II - 1 - 10
La capacité de se déprimer dans certains contextes fait partie de notre humanité.
D'un point de vue phénoménologique la dépression constitue une modification profonde
de l'être humain dans sa relation au monde : et tout d'abord sur base d'un trépied qui
associe l'anhédonie ou perte de la capacité de se réjouir, l’anhormie ou la perte de
l'élan vital qui pousse l'individu à accomplir des choses ou faire des projets , à penser et
imaginer , à agir;
et la dysrythmie ou perturbation
de la relation au temps qui
brusquement se fige , le présent n'en finit pas de durer, le futur est impensable, il ne peut
être appréhendé et donc toute anticipation est difficile.
Les symptômes aussi manifestent cette altération de la temporalité, les cycles biologiques
sont désynchronisés, sommeil, hormones, activité physique.
Le déprimé, de façon pathognomonique, mais non dans tous les cas, peut présenter une
aggravation de ses symptômes le matin et une amélioration vespérale.
Un épisode dépressif majeur ou typique, se caractérise toujours par des altérations dans
la sphère physiologique, émotionnelle, cognitive, et comportementale, avec une difficulté
ou une incapacité à tenir ses rôles sociaux habituels (professionnel, familial, loisirs et
autres). Il faut aussi une certaine constance des symptômes, des crises de désespoir
intenses mais qui ne durent que quelques heures ou une instabilité d'humeur en fonction
des circonstances et sporadiques sont plus souvent à situer dans d'autres problématiques.
Le diagnostic différentiel n’est pas toujours aisé à établir.
Les symptômes se manifestent donc dans les sphères suivantes :
• Une symptomatologie à expression somatique et des troubles physiologiques :
sommeil, appétit, fatigue, douleurs et dysfonctionnement de S.N. autonomique, gastrointestinal, circulatoire, urinaire, etc.
• Une symptomatologie à expression psychique et émotionnelle, souffrance psychique :
dégoût de la vie, tristesse, état émotionnellement pénible avec anxiété ou vide affectif,
incapacité d'avoir des émotions normales (ne sait plus se réjouir ni s'attrister).
• Une symptomatologie à expression psychique et cognitive : mémoire, concentration,
indécision, orientation négative de toutes les pensées, monoidéïsme et ruminations,
sentiment d'abandon et autodépréciation.
II - 1 - 11
• Une agressivité qui se retourne contre soi-même (idéation suicidaire, conduites
dangereuses, culpabilité) plus rarement contre autrui, irritabilité et intolérance,
facilement taxés d'égoïsme. Le déprimé n'en sort plus avec lui-même et reste centré
de façon malheureuse sur lui-même. Il n'est pas plus capable de se distraire que de
s'intéresser à son entourage et d'aimer.
• Dans les formes les plus sévères et psychotiques, il y a altération du rapport à la
réalité, avec possibilité de délire, d'hallucinations, de confusion mentale, de catatonie.
1.8. Classification des dépressions
Selon des critères internationaux, utilisés en épidémiologie, en recherche neurobiologique,
et dans l'évaluation des psychotropes on retrouve classiquement la distinction entre
troubles Bipolaires et Unipolaires déjà décrite. Au sein des troubles Unipolaires, on
distingue : le Trouble Dépressif Majeur, la Dysthymie et le Trouble Dépressif Atypique
1.8.1 Critères diagnostiques des dépressions (adapté des critères du DSM-IV)
A) DUREE : TOUS LES JOURS ET AU MOINS PENDANT 2 SEMAINES avec un
changement par rapport au fonctionnement antérieur.
Ce qui implique une certaine
stabilité du malaise et des symptômes.
Au moins 5 des symptômes suivants sont requis, ce qui implique une grande variété des
tableaux cliniques (Soit 1°, soit 2°, sont obligatoires).
1°)
Humeur dépressive (irritabilité chez enfant et adolescent)
Ceci n'inclut pas des changements brusques d'humeurs (passage d'un affect à
l'autre: de l'anxiété à la dépressions et à colère), déprimé, triste, cafardeux,
sans espoir, au bout du rouleau . Le trouble de l'humeur doit être évident,
persistant, mais pas nécessairement prédominant. D'autres plaintes peuvent
donc se trouver à l'avant-plan.
2°)
Diminution marquée de l'intérêt ou du plaisir dans toutes ou presque toutes
les activités (y compris les activités usuelles et passe-temps, l'activité
professionnelle).
3°)
Perte ou gain de poids; troubles de l'appétit : anorexie ou perte de poids
parfois importante et à l'avant-plan, dans d'autres cas c'est l'augmentation de
l'appétit et la prise de poids qui sont à l’avant-plan.
4°)
Troubles du sommeil :
II - 1 - 12
Insomnie (réveil au milieu de la nuit ou 2h avant l'éveil normal, les
difficultés d'endormissement plus typiques de l'anxiété)
Hypersomnie
5°)
Agitation ou Ralentissement psychomoteur (pas uniquement subjectif). Cet
état peut aller jusqu'à la stupeur dans la mélancolie.
6°)
Perte d'Energie, Fatigue (Incapacité de soutenir un effort physique ou
intellectuel) manque d'allant et d'entrain, tout est un effort.
7°)
Sentiment d'indignité (honte, perte d'estime de soi)
ou de culpabilité excessive ou inappropriée (parfois délirante dans les formes
graves, auto-accusations (à l'opposé au rejet sur autrui de la responsabilité de
son état)
8°)
Troubles de la cognition : diminution de l'aptitude à penser ou à se
concentrer et indécision qui se traduisent par un ralentissement de la pensée
(pas de baisse logique des associations ou incohérence), par une grande
difficulté à faire des synthèses, à apprendre quelque chose de neuf, les
troubles de mémoire et la distractibilité possible sont des causes fréquentes
d'erreurs et de diminution notable du rendement intellectuel.
Des épreuves neuropsychologiques appropriées peuvent mettre ces troubles
en évidence.
9°)
Pensées récurrentes de mort, idéation suicidaire, souhait d'être mort, projet de
suicide ou tentative de suicide. 60% des patients ont des idées suicidaires et
15% vont tenter de se suicider.
B) Exclusion de tout diagnostic de trouble organique ayant initié la dépression, d'un deuil
normal, d'un trouble psychotique (parano, schizo, etc.) (Cfr distinction 1°/2°).
x
L'intensité de l'épisode peut être légère, moyenne, sévère (existence d’échelles
d’Intensité : HAMD).
x
L'épisode peut être psychotique congruent à l'humeur ou non congruent à l'humeur,
selon que les thèmes du délire ou des hallucinations sont typiquement dépressifs :
culpabilité, inadéquation personnelle, mort, maladie, ruine, punition méritée etc ou non.
x
L'épisode peut avoir un caractère saisonnier ou non, suivre ou non un post-partum
1.8.2. Episode d'intensité Mélancolique (endogénomorphique) : qui constitue une forme
sévère de dépression mais avec bonne réponse au traitement.
II - 1 - 13
Les critères selon le DSM IV, comprennent :
A) Un des deux éléments suivants :
1) Perte de plaisir pour toutes ou presque toutes les activités
2) Absence de réactivité aux stimuli habituellement agréables. (Ne se sent pas mieux,
même de façon temporaire lorsque qu’un événement agréable se produit)
B) Au moins 3 des symptômes suivants:
1)
qualité distincte de l'humeur (différent de ce qui est vécu après un deuil par
exemple)
2)
Dépression régulièrement plus marquée le matin
3)
Réveil matinal précoce (au moins 2h plus tôt que l'heure habituelle de réveil)
4)
Agitation ou ralentissement psychomoteur marqué
5)
Anorexie ou perte de poids significative
6)
Culpabilité excessive ou inappropriée
L'absence de perturbation significative de la personnalité avant la survenue du premier
épisode dépressif majeur et la bonne réponse antérieure à un traitement antidépresseur
somatique spécifique et adéquat sont des critères du DSM-III-R qui ne figurent plus dans le
DSM-IV et illustrent le fait que ces classifications comportent une part de convention et ne
sont donc pas à prendre au pied de la lettre.
La reconnaissance d'un épisode mélancolique est importante, car il dure souvent plusieurs
mois pour une récupération totale et nécessite un traitement au long cours pour prévenir les
rechutes.
1.8.3. Episode dépressif catatonique
Celui-ci se caractérise par un état de stupeur ou une catalepsie (immobilité motrice, flexibilité
cireuse) ou à l’inverse une activité motrice excessive et sans but.
Le négativisme peut être extrême avec refus actif de soins, de nourriture, de tout contact,
mutisme, résistance à toute mobilisation ou maintien d’une posture rigide.
Des mouvements volontaires bizarres se manifestent par des postures, des mouvements
stéréotypés, du maniérisme ou une mimique grimaçante.
On peut remarquer l’écholalie ou l’échopraxie.
Le diagnostic différentiel est à faire avec la schizophrénie catatonique
II - 1 - 14
1.8.4. Dépression saisonnière :
La dépression saisonnière se présente de façon caractéristique avec de l'hypersomnie, de
l'hyperphagie et une augmentation de la consommation d'hydrates de carbone et prise de
poids ; cette forme répond favorablement à un traitement par photothérapie. Ces cas de
dépressions augmentent avec la latitude et sont tributaires du changement de durée
d'exposition à la lumière. Certains facteurs d'environnement sont particulièrement néfastes
pour des patients sujets à la dépression saisonnière, comme le travail dans des locaux sans
lumière naturelle.
En effet seule une exposition journalière à une lumière vive pendant
environ 2h les met à l'abri de la dépression.
1.8.5. Distinction entre rechute et récidive dans la dépression
•
Le patient peut se trouver en rémission complète (sans symptômes plus de 6 mois) ou
en rémission partielle (symptômes résiduels légers) ou encore être qualifié de déprimé
chronique si l'épisode a duré plus de deux ans.
La rechute désigne la réapparition des symptômes dépressifs au cours d’un même
épisode après une rémission, la récidive désigne un nouvel épisodes dépressif après
une période suffisamment longue que pour être qualifiée de guérison
•
Dépression et anxiété : la présence d'une anxiété d'intensité très variable n'est pas un
critère diagnostic de la dépression majeure mais a un impact thérapeutique important et
intervient dans l'estimation de l'aptitude à reprendre le travail et dans l’évaluation du
risque suicidaire. L'anxiété est une dimension que l'on retrouve dans de nombreuses
pathologies somatiques et psychiatriques.
De nombreuses plaintes somatiques, de même qu'un état pénible de tension peuvent
relever de la composante anxieuse de la dépression alors que certaines douleurs
(céphalées, lombalgies, …), et une tonalité hypochondriaque des plaintes est plus
typiquement dépressive (parfois hypochondrie délirante qui nécessite un diagnostic
différentiel).
•
L’estimation de l'intensité de l'état dépressif actuel et de son évolution sous
traitement se fait à l’aide de diverses échelles en auto ou hétéro évaluation: l'échelle
d'Evaluation de l'Intensité de la Dépression de Hamilton (HAMD)constitue un instrument
II - 1 - 15
utile surtout s'il a été appliqué au plus fort de la dépression. Elle sert de référence pour
l’évaluation des traitements psychotropes. L’échelle de Montgommery et Äsberg
(MÄDS) a plus d’items exclusivement dépressifs. L’échelle de Beck est une échelle
d’auto-évaluation qui explore préférentiellement les troubles cognitifs de la dépression
L'intensité de l'anxiété peut être de son côté estimée par l'échelle d'intensité de l'anxiété
de Hamilton (HAD).
Les états anxio-dépressifs et dysthymiques (dépression de moindre intensité mais au
décours chronique) sont aisément évaluables par ces deux instruments en plus de
leurs caractéristiques diagnostiques propres.
•
Le médecin ou le clinicien est souvent confronté à des symptômes résiduels d'un
épisode dépressif et a donc intérêt lorsqu'il doute portant sur le diagnostic à faire
décrire les symptômes et le vécu du patient au plus fort de sa maladie. Le traitement
lui-même masque certains symptômes comme l'insomnie et l'anxiété.
1.8.6. La névrose dépressive et les dépressions chroniques
Les dépressions non majeures d'emblée avec une évolution au long cours sont à
distinguer des dépressions majeures qui se chronifient (dépressions résistantes ou
insuffisamment traitées).
La névrose dépressive ou la dysthymie constitue des modalités chroniques de
dépression d'intensité légère à modérée mais incapacitante, avec des complications
fréquentes ainsi qu'une destruction de la vie sociale qui se caractérise par la perte de
l'emploi, la séparation ou le divorce et des assuétudes secondaires (alcool et
médicaments).
Dans l'évolution, on note la possibilité d'épisodes majeurs surajoutés
(forme double de dépression associant dysthymie et épisode dépressif majeur) ainsi que
des tentatives de suicides et suicides fréquents et une mauvaise adaptation sociale. Le
pessimisme et une faible estime de soi rendent ces patients peu productifs et peu
performants. Il est à noter que l'on tient compte du début des troubles : avant (début
précoce) ou après (début tardif) 21 ans, de même que du caractère primaire ou
secondaire du trouble.
Critères proposés dans le DSM IV pour la dysthymie
A)
Humeur dépressive pendant au moins 2 ans (jamais absent plus de 2 mois
consécutifs).
II - 1 - 16
B)
Pendant la période dépressive au moins 2 des symptômes suivants :
-
perte d'appétit ou hyperphagie
-
insomnie ou hypersomnie
-
baisse d'énergie ou fatigue
-
faible estime de soi
-
difficultés de concentration ou difficulté à prendre des décisions
-
sentiment de perte d'espoir
Le traitement de ce type de dépression est d'emblée médicamenteux (antidépressifs à
dose adéquate) et psychothérapeutique au long cours avec un pronostic bien souvent plus
réservé que pour formes majeures qui comprennent des épisodes bien délimités dans le
temps.
La question de savoir si ce type de dépression n’est pas plus proche d’un trouble de la
personnalité (Trouble de Personnalité Dépressive)reste une question pertinente qui fait
l’objet de nombreuses études.
1.8.7. Dépressions atypiques ou non classées ailleurs
Une série de nouvelles entités dépressives sont encore à l'étude et n'ont pas encore des
critères de diagnostic suffisamment établis dans les classifications actuelles , mais ont un
intérêt clinique et thérapeutique.
1°)
Trouble dysphorique pré-menstruel ou de la phase lutéale tardive qui perturbe le
travail ainsi que les activités sociales et les relations avec autrui : humeur
dépressive, anxiété, labilité émotionnelle marquées; diminution d'intérêt pour les
activités. Amélioration nette les premiers jours des règles.
2°)
La dépression récurrente brève : avec répétition de nombreuses périodes
dépressives d'une durée de quelques jours.
3°)
La dépression mineure, d'intensité moindre que l'épisode majeur et sans la
chronicité de la dysthymie.
4°)
La dépression de la phase résiduelle d'une schizophrénie.
5°)
Les dépressions survenant dans la phase aiguë des différentes psychoses.
6°)
Les cas indécidables entre troubles primaires ou secondaires à une maladie
somatique ou une substance toxique (alcool, médicament ou autre).
II - 1 - 17
L'évolution d'un trouble dépressif :
L'épisode peut être unique ou récurrent
Récurrent avec rémission totale entre les épisodes ou rémission partielle.
Il peut ou non être surimposé à un trouble dysthymique préexistant et ensuite évoluer avec
rémission ou non entre deux épisodes.
Le caractère saisonnier ou non des épisodes peut être spécifié.
Les différentes formes de dépression peuvent accompagner des troubles de personnalité,
des névroses ou des psychoses et se compliquer fréquemment d’assuétudes diverses,
considérées comme des comorbidité dans la logique du DSM IV. Plusieurs diagnostics sur
l’Axe I et/ou sur l’Axe II.
1.8.8. Troubles de l’adaptation accompagnés d’humeur anxieuse ou dépressive
Ceux-ci surviennent volontiers de façon réactionnelle à la survenue d'un ou de plusieurs
facteurs de stress identifiables dans les (3) mois qui précèdent : outre les facteurs de
stress familiaux, de nombreux facteurs de stress professionnels sont régulièrement
évoqués par les patients. Lorsque ceux-ci se prolongent pendant des mois ou que le
patient ne peut s'y soustraire, la situation peut se dégrader et évoluer dans le sens d'un
trouble dépressif plus typique.
Cette bascule va se dessiner ou non, en fonction de
l'équation personnelle du patient , avec sa vulnérabilité psychologique et neurobiologique,
avec la présence ou non de facteurs protecteurs personnels, relationnels et
environnementaux. Ses ressources seront aussi variables à des moments différents de
son histoire. Ainsi un ensemble de stresseurs psychosociaux vont tantôt donner lieu à
l'absence de conséquences psychopathologiques évidentes, ou à des problèmes
psychosomatiques ou encore des troubles dépressifs légers à graves.
1.8.9. Troubles bipolaires
Les formes Bipolaires se caractérisent par une alternance d'épisodes dépressifs et
d'épisodes maniaques ou hypomanes et forment ce qu'on appelait la psychose maniacodépressive. Un seul épisode maniaque ou hypomane suffit à déterminer le caractère
bipolaire de l'affection, même si comme c'est souvent le cas plusieurs épisodes dépressifs
ont précédé l'éclosion du premier épisode maniaque.
II - 1 - 18
Si les formes Unipolaires comprennent par définition les déprimés qui ne font que des
épisodes dépressifs, au fil du temps un certain nombre d'Unipolaires vont rejoindre le
groupe des Bipolaires. En moyenne il y a trois accès dépressifs avant le premier accès
maniaque. Ces formes sont les plus fréquentes avec des degrés de gravité et de durée
très variables et un décours cyclique.
Les formes Unipolaires de type Maniaque sont très rares et doivent exclure une maladie
organique sous-jacente.
Les
troubles
schizo-affectifs
se
distinguent
par
la
présence
de
symptômes
schizophréniques entre des phases maniaques ou dépressives et sont classés tantôt du
côté des troubles bipolaires, tantôt du côté des troubles schizophréniques (ce qui est le
cas dans le DSM-IV et le CIM-10).
L'épisode présent du trouble de l'humeur est lui-même est défini comme Maniaque,
Hypomane (forme atténuée de l’état maniaque), Dépressif (avec diverses possibilités
caractéristiques des épisodes dépressifs majeurs) ou Mixte (mélange de symptômes
dépressifs et maniaques).
Le trouble Bipolaire est donc une affection récurrente, qui débute souvent chez le jeune
adulte, avec une incidence familiale élevée, de troubles bipolaires et unipolaires.
Au sein d'une même famille la gravité d'expression du trouble peut être fort différente et on
distingue : les Bipolaires I avec au moins un accès maniaque typique, et les Bipolaires II
avec seulement un ou plusieurs accès hypomanes.
Le statut des patients qui font un virage maniaque à la suite d’un traitement par
antidépresseurs reste encore à définir et constituerait les Bipolaires III.
L' intervalle entre 2 épisodes est très variable et les formes Bipolaires à plus de
4 épisodes par an sont dites à cycles rapides., ceux -ci sont plus fréquents chez les
femmes et surtout précipités par l’utilisation des antidépresseurs lors des phases
dépressives.
Le caractère saisonnier ou non des épisodes peut être spécifié.
II - 1 - 19
A. La symptomatologie de l’Episode Maniaque se calque en négatif sur celui de la
dépression avec une élévation persistante et anormale de l’humeur pendant une période
délimitée.
Tableau : Critère d’un Episode maniaque selon le DSMIV
A. Une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est élevée de façon
anormale et persistante, pendant au moins une semaine (ou toute autre durée si une
hospitalisation est nécessaire).
B. Au cours de cette période de perturbation de l’humeur, au moins 3 des symptômes
suivants (4 si l’humeur est seulement irritable) ont persisté avec une intensité
suffisante :
(1) augmentation de l’estime de soi ou idées e grandeur.
(2) réduction du besoin de sommeil (le sujet se sent reposé après seulement 3 heures
de sommeil…).
(3) plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler constamment.
(4) fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent.
(5) Distractibilité (l’attention est trop facilement attirée par des stimuli extérieurs sans
importance ou insignifiants…).
(6) augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou
sexuel) ou agitation psychomotrice.
(7) engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé de
conséquences dommageables (la personne se lance sans retenue dans des
achats
inconsidérés,
les
conduites
sexuelles
inconséquentes
ou
des
investissements commerciaux déraisonnables…).
Le patient se montre euphorique ou parfois irritable et même agressif.
Il est inflatif, surestime ses capacités et a des idées de grandeur qui peuvent être
délirantes.
Les perturbations de sommeil montrent de l’insomnie, réduction du besoin de sommeil et
impression d’être reposé après quelques heures de sommeil. Il y a accélération du temps
vécu avec fuite des idées ou sensation subjective que les pensées défilent. Il vit à du 100
à l’heure, est impatient et met à bout son entourage par le rythme effréné de son action,
présente agitation psychomotrice variable. Sa communicabilité est augmentée, il parle
II - 1 - 20
beaucoup, haut et fort et coupe la parole à tout moment à son interlocuteur. La logorrhée
peut être manifeste.
Il est très distractible et se laisse distraire par des stimuli extérieurs sans importance. Son
discours peut apparaître décousu avec des digressions et des coq à l’âne où il perd le fil
de ce qu’il veut dire.
Il est hyperactif, et son activité peut être orientée vers un but social, professionnel ,ou
sexuel.
Mais comme il peut s’engager sans mesure, ni réalisme dans des activités agréables, il se
lance dans des aventures sentimentales, financières ou fait des achats inconsidérés sans
commune mesure avec ses besoins ou ses revenus et peut se ruiner rapidement.
B. La Cyclothymie consiste en une alternance d'épisodes hypomanes et dépressifs
pendant au moins deux ans. Elle se caractérise comme la dysthymie par l'évolution
chronique de symptômes de faible intensité.
Les cyclothymes présentent des alternances typiques mais sans que les
phases
dépressives ou hypomanes n'atteignent jamais une intensité suffisante pour interférer de
façon significative avec leur fonctionnement social, professionnel ou familial. Certains
patients ont de très longues phases discrètement hypomanes et sont appréciés en
fonction même de cette particularité sur le plan social et dans la vie privée: joviaux,
entreprenant, avec un bon contact, une imagination vive, une activité débordante sans
jamais aucun signe de fatigue (ils ont besoin de très peu de sommeil), ils constituent de
très bons éléments dans divers secteurs de la vie professionnelle ou culturelle, avec une
assurance et un optimisme à toute épreuve , parfois ils prennent un peu trop de risques ,
ce qui peut selon le cas tourner ou non à leur avantage. Leur créativité et leur imagination
lorsqu'ils sont brillants dans le domaine, intellectuel ou artistique, peut faire d'eux des
figures tout à fait exceptionnelles. Mais la médaille a son revers et ils peuvent avoir des
périodes de dépression et de contre-performance avec tous les risques inhérents à ce
type de virage de l'humeur.
Des troubles Bipolaires mixtes sont constitués par un mélanges de symptômes
dépressifs et maniaques et comportent un risque suicidaire non négligeable.
Une série de troubles Bipolaires Atypiques sont des catégories résiduelles qui
constituent les formes qui s’écartent des catégories précitées , par des tableaux atypiques
sur le plan de la durée, des symptômes, de l’évolution ou sous l’influence de la
médication.
II - 1 - 21
Les troubles Bipolaires commencent souvent au début de l’âge adulte. Le diagnostic
différentiel entre ces troubles et une crise d’adolescence est parfois délicat. En effet,
l’abus de substance, l’alcoolisme et un comportement antisocial peuvent masquer un
épisode maniaque souvent suivi d’une phase dépressive.
1.9. Les traitements des troubles de l’humeur
1.9.1 Traitement de la dépression
L'état dépressif s'améliore et guérit sous l'effet du traitement, dans la grande majorité des
cas. Le traitement « idéal » et le plus efficace est toujours double : il repose à la fois sur
une approche psychothérapeutique et un traitement médicamenteux d’antidépresseurs à
poursuivre pendant plusieurs mois après guérison (ce qui ne veut pas dire à vie !). Aussi,
lorsqu'un résultat valable n'est pas obtenu au bout de quelques semaines, cela veut dire
que la thérapeutique n'est pas bien adaptée, qu'il s'agit d'un état dépressif grave ou
particulier ou qu’on a négligé l’aspect psycho relationnel.
A.
La relation thérapeutique
Elle est capitale, primordiale. Le praticien est parfois la dernière tentative de conciliation
du déprimé avec l'existence avant la résignation voire la tentative de suicide. Même en
dehors du désir de suicide immédiat, le déprimé doit pouvoir donner sa confiance avant de
livrer le fond du problème : la cause de la dépression réactionnelle, l'angoisse de la
névrose, les idées délirantes.
Ce contact attentif n'est pas une option de spécialité.
Même s'il se sent incapable de prendre en charge le malade, le praticien doit poser un
diagnostic exact avant de l'orienter avec empathie.
Elle se réalise dans une double perspective :
-
écoute qui laisse le champ libre à la parole du sujet, le rôle du thérapeute étant de
l'aider à s'exprimer
-
neutralité dans une atmosphère bienveillante.
Voici quelques principes du traitement psychothérapeutique qui peuvent parfaitement
être appliqués en médecine générale :
Le but du traitement est une restauration de l’estime de soi et une reprise par le patient
d’un sentiment de contrôle sur sa vie. Cadre de sécurité et étapes doivent être respectés.
ƒ
Le cadre : il est important d’établir un programme comprenant une série de rendezvous à intervalles réguliers et rapprochés.
II - 1 - 22
ƒ
Les étapes : en début de traitement, le patient n’a pas assez d’énergie pour s’investir
dans une remise en question de lui-même. A ce stade, le thérapeute se doit d’être
assez actif, chaleureux et empathique. L’antidépresseur peut représenter un signe
concret du fait que le médecin prend en considération la souffrance du patient.
ƒ
Après un mois, en phase de stabilisation, le patient pourra commencer à faire luimême un travail de réflexion qui l’amènera à donner un sens à l’expérience
dépressive. Le thérapeute doit alors soutenir le malade à jeter un regard critique mais
constructif et déculpabilisant sur son existence. Il est utile d’amener le patient à parler
des circonstances et des affects qui ont précédé la maladie et des réactions (ou du
manque de réactions !) de son entourage. En effet, un épisode dépressif qui se
chronifie est souvent une dépression « utilisée » comme moyen de communication
dans le réseau relationnel.
ƒ
A la fin de l’épisode dépressif : ce n’est qu’au stade de la guérison que le patient sera
vraiment en mesure de décider ou non de poursuivre une psychothérapie plus
approfondie, psychanalytique, systémique... ou autre.
B. Les antidépresseurs
Le traitement médicamenteux de la dépression s’articule autour de l approche
psychothérapeutique. Le traitement médicamenteux repose sur la prescription de thymoanaleptiques ou antidépresseurs.
En effet, les déprimés reçoivent encore trop souvent des anxiolytiques pour leur anxiété,
des somnifères pour leurs insomnies, des vitamines et des remontants pour leur fatigue,
des explorations physiques pour leurs symptômes somatiques.
Le médecin doit toujours prévenir le patient du délai nécessaire à l'action de
l'antidépresseur : entre 3 à 5 semaines après la première prise. Il faudra également
informer le patient au début du traitement des effets secondaires qui risquent de survenir
d'amener le patient à interrompre son traitement. Le traitement antidépresseur ne peut
être présenté comme le seul acte thérapeutique face à la dépression.
Dans la majorité des cas, il est essentiel de donner ces explications également aux
proches du patient (idéalement en sa présence pour ne pas l’infantiliser), qui accueilleront
les premiers les inquiétudes et doléances du malade, ils pourront ainsi être un support
social adéquat ( ni hyper protecteur ni rejetant).
Tous les antidépresseurs vont dans le sens d’augmenter la quantité et/ou la fonctionnalité
d’un ou de deux ou de trois des trois neurotransmetteurs incriminés dans la dépression
Noradrénaline, Sérotonine et Dopamine
ƒ
Les antidépresseurs tricycliques
Le premier tricyclique est l’imipramine (TOFRANIL®), ses principaux dérivés sont les
clomipramine (ANAFRANIL®) et l’amitryptiline (REDOMEX®, TRYPTIZOL®). La dosulépine
(PROTHIADEN®) aussi est un tricyclique. Les tricycliques ont l’inconvénient de leurs
effets secondaires atropiniques : sécheresse de bouche, hypotension, tachycardie,
constipation, dysurie, troubles de l’'accomodation visuelle, hypotension orthostatique,
tremblements des doigts,. Il faut également noter une prise de poids par stimulation de
l’appétit.
II - 1 - 23
Les molécules apparentées entraînent moins d’effets secondaires et sont soit des
tétracycliques comme la maprotiline (LUDIOMIL®), la miansérine (LERIVON®), soit
d’autres molécules comme la viloxazine (VIVALAN®).
Les avantages des Tricycliques et apparentés sont :
x
une efficacité établie dans le traitement de la dépression
x
30 ans d'expérience, bon marché
x
Les désavantages des tricycliques sont les suivants :
ƒ
x
risque létal très élevé en cas d'overdose
x
contre-indications nombreuses en raison des effets atropiniques :
x
glaucome, prostatisme, troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
Les IMAO
Les inhibiteurs de la mono-amine-oxydase sont des molécules de maniement délicat à
cause des contre-indications à leur associer de nombreuses substances
médicamenteuses et alimentaires. Les inhibiteurs sélectifs de la mono-amine-oxydase de
type A ne comportent plus cet inconvénient. C’est le cas du moclobémide (AURORIX®).
ƒ
Les SSRI ou ISRS
Les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine sont actuelemen le plus
prescrits (avec d’ailleurs le risque de banalisation…) : la fluvoxamine
(FLOXYFRAL®), la fluoxétine (PROZAC®), la trazodone (TRAZOLAN®), le citalopram
(CIPRAMIL®, SIPRALEXA®), la sertraline (SERLAIN®), la paroxétine (SEROXAT®)
ƒ
Le RIMA inhibiteur spécifique et réversible de la mono-amine-oxydase le moclobémide
(AURORIX®).
ƒ
Le NARI inhibiteur de la recapture de la noradrénaline, la Réboxétine (EDRONAX®)
préconisé dans les dépressions adynamiques ou en association avec un SSRI
ƒ
Les SNRI inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline : la
venlafaxine (EFEXOR®) et la duloxétine (CYMBALTA®).
ƒ
Le NDRI inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine : le
bupropion (WELLBUTRIN®).
L’avantage principal des molécules récentes est qu’elles sont moins dangereuses et
dépourvues des effets secondaires des tricycliques classiques, notamment les troubles
cardiovasculaires, la prise de poids et l’hypotension orthostatique. Les effets secondaires
propres à ces molécules consistent essentiellement en céphalées et nausées et troubles
de la sexualité, en particulier les SSRI.
ƒ
Choix de l’antidépresseur
II - 1 - 24
Le praticien peut être guidé dans son choix par les éléments anamnestiques (résultats des
prises antérieures) et les éléments cliniques (effet recherché plus stimulant ou plus
sédatif, contre-indications à éviter).
Rappelons que les antidépresseurs doivent être
prescrits à doses progressives et être maintenus au minimum 2 à 3 mois après
l’amélioration clinique. Le délai d’action peut être assez rapide pour certains malaises
somatiques mais il est d’environ 15 jours pour une amélioration de fond. Il paraît indiqué
de prévenir les patients pour qu’ils ne soient pas trop déçus par une absence d’action
immédiate.Les molécules plus récentes (Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la
Sérotonine, les inhibiteurs de la recapture Sérotonine et de la Noradrénaline et inhibiteur
de la recapture de la Noradrénaline et de la dopamine /noradrénaline) possèdent une
efficacité équivalente dans la plupart des dépressions mais sont nettement plus coûteux.
Ils sont également plus confortables puisqu’ils ont des effets indésirables limités et une
toxicité réduite en cas d’ingestion volontaire. Ce meilleur confort est important dans la
mesure où la plupart des patients déprimés arrêtent prématurément leur traitement suite
aux effets indésirables. La non compliance au traitement étant la pierre d’achoppement de
tous les psychotropes. D’autre part, ces antidépresseurs peuvent être prescrits à des
doses actives alors que les tricycliques demandent une augmentation progressive de la
dose et ne sont donc pas pris à la dose efficace dans la plupart des cas, et certainement
pas lors de prises au long cours chez des patients pour lesquelles un traitement préventif
des récidives est indiqué (Ex. : patients qui font de nombreux épisodes récurrents).
C.
Les psychothérapies spécifiques
Rappelons le bien, celles-ci ne doivent être entamées que lorsque l'épisode dépressif est
déjà fortement amélioré et dans la suite de la prise de conscience déjà entamée par le
praticien de première ligne
Le choix du type de psychothérapie n'est pas toujours aisé. Quelquefois, on proposera
une association de deux types de psychothérapie (par ex. : une thérapie de couple et une
thérapie individuelle).
II - 1 - 25
-
La thérapie de couple sera privilégiée si les problèmes dépressifs sont manifestement
liés à des désaccords ou des malentendus au sein du couple et si les deux membres
de celui-ci en sont bien conscients.
-
La thérapie familiale sera préférée si les symptômes du patient qui se sent triste ou
déprimé sont l'expression d'un malaise plus large lié à un dysfonctionnement de la
communication et des échanges au sein de la famille.
-
Une psychothérapie d'inspiration psychanalytique sera envisagée face à un patient qui
rencontre des problèmes liés à son fonctionnement psychique personnel face au
travail, à sa vie sentimentale ou aux décisions à prendre dans sa vie, et
particulièrement s'il se retrouve pour une nouvelle fois confronté aux mêmes
problèmes, liés à ce que nous appelons la compulsion inconsciente à la répétition.
-
Une psychanalyse peut lui être conseillée, mais le sujet devra cependant être
conscient de l'intérêt de cette démarche dans laquelle il est essentiel qu'il
s'implique avec motivation.
-
L’approche corporelle par massage, relaxation et encouragement à une pratique
sportive sans compétition est un traitement adjuvant qui peut participer au retour de
perceptions agréables et de confiance en soi.
D.
L'hospitalisation psychiatrique
Les approches thérapeutiques décrites précédemment permettront de prendre en charge
la grande majorité des troubles dépressifs en clinique ambulatoire.
L'hospitalisation psychiatrique, qui ne doit jamais être présentée comme une sanction,
sera envisagée pour les « cas » les plus lourds mais aussi lorsque les difficultés
relationnelles sont trop importantes et qu’un éloignement temporaire des protagonistes
s’avère utile.
- épisode dépressif majeur, avec composante psychotique délirante, que l'on
appelle encore souvent dans la psychiatrie française, la mélancolie délirante.
- idéation suicidaire marquée chez un patient présentant des troubles du sommeil,
des troubles des fonctions cognitives et qui ne dispose pas d'un entourage
susceptible de l'entourer à domicile
- comorbidité d'un état dépressif grave associé à des troubles alcooliques ou de
toxicomanie aux médicaments et où le risque suicidaire est majeur
- antécédents d'épisodes dépressifs majeurs s'étant accompagnés de tentatives de
suicide graves ou antécédents actuels de tentatives de suicide gravissimes
II - 1 - 26
Dans les cas résistants, l’hospitalisation permet aussi l’utilisation sous anesthésie
générale d’électrochocs (ou convulsivothérapie ou électronarcose) qui donnent parfois des
résultats très rapides.
1.9.2. Traitement de la manie
L'abord thérapeutique du patient en phase maniaque floride sera toujours délicat et
difficile. En règle générale, le patient sera amené par sa famille qui aura été alertée par
ses extravagances, ses dépenses inconsidérées, ses démarches intempestives. Souvent
aussi, ce sera la police qui sera appelée devant les débordements pulsionnels du patient :
propositions sexuelles, attentats à la pudeur, excès éthyliques, altercations, violences, ...
Lorsque le maniaque est finalement contraint à rencontrer un médecin, le contact est
difficile : il ne se sent pas malade, ne comprend pas pourquoi il est là. Il se sent léger,
heureux, voit la vie en rose. Rien ne l'intimide. Il est d'une familiarité excessive avec tous,
les objections sont écartées d'un geste, les difficultés abolies. Son humeur est versatile et
il peut passer à des accès de colère, comme à des accès d'angoisse en quelques
instants.
Devant pareil état, de longues négociations sont, le plus souvent, aussi infructueuses
qu'épuisantes.
Il y a peu de risque de passages à l'acte auto.- ou hétéro-agressifs.
Néanmoins, le sujet risque de détruire son image sociale et de se mettre, lui et les siens,
dans des difficultés souvent très graves et qui mettent en danger son avenir. Il faut mettre
un frein au désordre maniaque et seule une hospitalisation en milieu psychiatrique peut
être envisagée. Dans certains cas, l'agitation du patient sera telle qu'elle nécessitera une
médication et un isolement immédiat. Dans d'autres cas, la position ferme et décidée du
psychiatre ou du médecin coupera court aux manipulations verbales du maniaque. Le
recours à la mise en observation est quelques fois nécessaire.
Si une médication doit être prescrite en urgence, la voie intramusculaire sera préférée à la
voie orale.
L'attitude thérapeutique sera évidemment différente en présence d'un premier épisode ou
en présence d'un patient bipolaire connu. Dans ce cas, il est important de connaître les
médications psychotropes déjà prises par le patient, les doses tolérées et suffisantes.
II - 1 - 27
En situation aigüe, on prescrit généralement un cocktail sédatif (par ex. : Haldol, DHB,
Temesta).
Pendant l'hospitalisation, le traitement utilisera les effets des neuroleptiques pour calmer
l'agitation et les troubles du comportement du patient et pour rétablir la régularité du cycle
nycthéméral.
La base du traitement sera que le patient finisse par établir une relation de confiance avec
un soignant pour assurer le traitement de fond qui consiste en un stabilisateur de
l’humeu .Le plus classique et le plus ancien consiste en l'utilisation des sels de lithium. qui
permet aussi diminuer l'intensité de l'épisode maniaque.
1.9.3.
Les
traitements
prophylactiques
des
troubles
bipolaires :
les
thymorégulateurs
Il existe plusieurs médications thymorégulatrices :
1° Les sels de Lithium
Les sels de Lithium sont utilisés depuis plus de 30 ans comme traitement prophylactique
des troubles bipolaires.
L'instauration d'un traitement impose cependant une mise au point médicale préalable :
-
examen somatique général avec recherche de goître, d'hypertension artérielle, de
dysthyroïdie
-
bilan cardiaque avec ECG et recherche de troubles de la repolarisation et du
rythme cardiaque
-
bilan rénal avec dosage de l'urée, de la créatinine et recherche d'albuminurie
-
bilan ionique avec ionogramme sanguin pour dépister un déséquilibre sodique ou
potassique
-
bilan thyroïdien (T3, T3RU, TSH, T4)
Le but du traitement est d'obtenir un taux plasmatique de Lithium entre 0,7 et 1 mmol/l qui
correspond à la "fourchette" entre l'efficacité du traitement et le risque toxique.
II - 1 - 28
La posologie initiale doit être initiée en trois prises réparties sur la journée sous forme de
carbonate de Lithium (Maniprex®) ou de glutamate de Lithium (Neurolithium®), entre 1 g
et 1,5 g par jour.
Ce traitement au Lithium doit être surveillé régulièrement par un dosage plasmatique et
intraérythrocytaire de Lithium, après une semaine de prise, puis tous les 15 jours jusqu'à
obtention du taux idéal, puis par la suite tous les mois puis tous les deux mois.
Le taux plasmatique doit rester entre 0,7 et 1 mmol/l et le taux intraérythrocytaire doit
représenter un tiers du taux plasmatique.
Les effets secondaires de la cure prophylactique au Lithium sont nombreux :
- tremblement digital, accompagné parfois de dysarthrie
- troubles digestifs (nausées, dyspepsie, diarrhées)
- soif, polydypsie et polyurie
- troubles thyroïdiens (goitre euthyroïdien)
- prise pondérale (effet insuline-like du lithium)
- apathie et indifférence
L'intoxication hyperlithiémique, en cas de surdosage, de régime hyposodé ou de tentative
de suicide, est très grave. Elle se marquera au début par des vomissements et des
diarrhées, un tremblement ample des mains, une dysarthrie, des vertiges et un
ralentissement idéatoire.
En cas d'intoxication grave et aigüe, on observe, outre ces signes précurseurs, une
confusion mentale qui cède la place rapidement à un coma avec fasciculations
musculaires, nystagmus et crise d'épilepsie grand mal. On peut observer une oligoanurie
qui peut nécessiter une dialyse extrarénale.
L'intoxication au Lithium est une urgence vitale qui peut conduire à la mort. Elle impose un
envoi aux soins intensifs.
Les contre-indications au traitement au Lithium doivent être bien connues :
-
le régime sans sel (la déplétion hydrosodée provoque la réabsorption tubulaire
massive du Lithium, l'hyperlithiémie et la pénétration intracellulaire du Lithium)
II - 1 - 29
-
l'hyponatrémie
-
la prescription de diurétiques favorisant l'excrétion du sodium
-
l'insuffisance rénale
-
les désordres ioniques
-
la grossesse : le Lithium peut provoquer de graves effets tératogènes chez le
foetus, particulièrement dans les six premiers mois de la grossesse. Il doit
obligatoirement être arrêté devant tout risque de grossesse
2° Les anti-épileptiques
A. La carbamazépine (Tegretol®)
De nombreuses études mettent en évidence que la carbamazépine a les mêmes
propriétés thymorégulatrices que le Lithium sans en avoir pour autant les effets
secondaires et les contre-indications.
La dose quotidienne efficace varie de 400 à 600 mg répartis en 2 à 3 prises.
Si les effets secondaires de la carbamazépine sont moins graves que ceux des sels de
Lithium, ils existent et il faut les connaître :
- effets sur le SNC : vertiges, céphalées, somnolence, fatigue, ataxie
- nausées, vomissements
- réactions allergiques cutanées
- DXJPHQWDWLRQGHVǶ*7HWGHVWUDQVDPLQDVHV
- leucopénie et thrombocytopénie
Les dosages réguliers doivent être réalisés pour éviter tout risque de surdosage. Ils
doivent être accompagnés de dosage des enzymes hépatiques, des globules blancs et
des plaquettes.
On conseillera donc la carbamazépine aux patients qui ne réagissent pas aux sels de
Lithium, ou qui ont des effets secondaires ou des contre-indications à leur usage. Enfin,
en cas de grossesse ou de femme désirant être enceinte, on préférera également la
carbamazépine qui ne présente pas d'effet tératogène.
II - 1 - 30
B. Le valproate (Depakine ®)
Il s'agit du troisième médicament utilisé comme thymorégulateur même s'il semble, à
l'usage, moins efficace que les sels de Lithium et la carbamazépine.
Le valproate a peu d'effets secondaires, si ce n'est une légère action sédative, une
tendance à potentialiser les autres psychosédatifs et des risques de confusion mentale
chez les sujets âgés.
La posologie journalière est de 2 à 3 comprimés par jour.
C. Lamotrigine (Lamictal, Lambipol en psychiatrie) est une molécule particulièrement
prometteuse dans les formes à dominante dépressive. Il faut commencer par de petites
doses car il y a un risque de complications cutanées graves au début du traitement
1.9.3. Remarques complémentaires sur le traitement des troubles dépressifs
A. Le traitement de l’épisode dépressif.
La dépression est une maladie récurrente dans plus de 80 % des cas. La dépression sera
résistante au traitement et connaîtra un décours chronique dans au moins 15 % des cas,
une partie des dépressions résistantes au traitement ne vont heureusement pas durer
suffisamment longtemps pour se transformer en dépression chronique.
Le délai d’action d’un traitement médicamenteux antidépressif est de l’ordre de 3 à 4
semaines, cette durée peut encore être allongée lorsque le patient est plus âgé.
Le traitement est idéalement combiné, psychothérapeutique et médicamenteux mais doit
aussi tenir compte des souhaits du patient. La thérapie de soutien et une écoute attentive
et empathique est au minimum souhaitable dans tous les cas. Certaines formes de
psychothérapie plus spécifique peuvent être utilisées seules si le patient ne souhaite pas
un traitement médicamenteux et à condition que sa dépression ne soit pas trop sévère.
Il est à noter que la dépression a souvent des conséquences sur le milieu du travail, le
milieu conjugal et familial et une prise en charge globale de tous les aspects de la
dépression est souvent nécessaire.
B. Les traitements des formes sévères de dépression.
II - 1 - 31
Le recours à l’hospitalisation s’indique lorsqu’il y a un risque de suicide important, lorsqu’il
y a peu de soutien social ou lorsqu’il y a de nombreuses problématiques psychiatriques ou
psychosociales surajoutées.
Dans les dépressions avec caractéristiques psychotiques, les neuroleptiques doivent être
systématiquement prescrits, associés ou non à l’antidépressif.
Dans les formes sévères et résistantes, après avoir utilisé plusieurs combinaisons de
traitement, les tricycliques et les IMAO, on peut procéder à un traitement par électrochocs.
Les traitements par photothérapie sont indiqués lors de dépression saisonnière.
C. Quelles sont les causes de résistance au traitement antidépressif dans la
dépression chronique?
La question ne se pose que lorsque la dépression est chronique, en effet, au bout de
quelques mois la plupart des épisodes dépressifs se résolvent spontanément. Lors d’une
dépression résistante les points suivants sont à prendre en considération :
1.
L’erreur de diagnostic, la mauvaise estimation des comorbidités somatiques et
psychopathologiques. Notamment l’alcoolisme qui rend inopérant le traitement
antidépressif ou une pathologie médicale sous-jacente insuffisamment prise en
charge (Ex. : hypothyroïdie, douleur chronique, etc ..)
2.
La dose insuffisante, la durée insuffisante du traitement ou l’arrêt prématuré de la
médication. Deux cas d’espèces peuvent survenir, d’une part le traitement est
arrêté prématurément car le patient a l’impression que le traitement inutile car il n’a
pas un effet thérapeutique immédiat, d’autre part le patient a répondu
favorablement dans les 3-4 semaines qui suivent le début du traitement mais
l’évolution spontanée de son épisode requérait une médication de plusieurs mois et
après une amélioration il arrête son traitement et une rechute rapide peut se
produire.
II - 1 - 32
3.
La non-compliance au traitement dans tous les aspects de celui-ci, c’est-à-dire à la
fois médicamenteux et psychothérapeutique, l’absence de prise en charge
psychologique et relationnelle avec une problématique sous-jacente qui n’a pas été
suffisamment estimée (névroses, phobies, troubles de la personnalité, etc ..).
4.
Le mauvais support social familial et conjugal, le fait d’être isolé, sans emploi en
situation de précarité sociale et économique, de même que des conflits familiaux et
conjugaux importants peuvent contribuer à la chronification d’un épisode dépressif.
D. Quelles sont les autres indications des antidépresseurs?
Les troubles anxieux constituent une indication de plus en plus documentée
1. Les attaques de panique
Le traitement idéal est un traitement par inhibiteur de la recapture de la Sérotonine ou
l’Anafranil qui est un tricyclique qui agit essentiellement sur la Sérotonine. Les doses
recommandées sont plus faibles que pour la dépression.
2. Les phobies sociales
Plusieurs types d’antidépressifs ont été proposés, notamment les inhibiteurs de la
monoamine-oxydase dont notamment le Moclobémide et les inhibiteurs sélectifs de la
Sérotonine.
3. Le trouble obsessionnel compulsif.
Les inhibiteurs spécifiques de la Sérotonine ou l’Anafranil sont les traitements
médicamenteux de choix. Il est à noter que la dose prescrite est nettement plus élevée
jusqu’à 3 fois celle utilisée dans la dépression et la latence des effets du traitement est
plus longue ; on ne peut conclure à l’absence d’effets qu’au bout d’une imprégnation qui
a duré au moins 3 mois.
4. L’anxiété généralisée.
Divers antidépressifs sont à l’étude dans cette indication notamment les SSRI et la
Venlafaxine.
NB : L’anxiété-symptomatique et de courte durée fait plus souvent l’objet d’une
prescription de Benzodiazépine
II - 1 - 33
NB : Ces indications ne préjugent pas de l’intérêt des traitements psychothérapeutiques
avec lesquelles les antidépresseurs peuvent être combinés.
1.10 Conclusions
Affection fréquente, handicapante mais susceptible de traitements efficaces et en général
de bon pronostic, les troubles de l’humeur gagnent à être plus souvent et plus
précocement diagnostiqués.
Une prise en charge correcte et intensive va diminuer
notablement la morbidité, et permettre une reprise des activités professionnelles et
sociales plus rapide et dans de meilleures conditions. Les deux complications
psychiatriques les plus fréquentes des troubles de l’humeur sont d'une part les assuétudes
(alcool et/ou médicaments de façon épisodique au début, ensuite de façon plus chronique)
et de l'autre les suicides et les tentatives de suicide, surtout dans les formes bipolaires,
récurrentes et dysthymiques. Une troisième complication est la chronification des
symptômes somatiques sans que la souffrance morale ne soit reconnue. Une
collaboration étroite et respectueuse entre intervenants médicaux de première ligne,
psychiatres et psychologues occupe dans ce créneau une place de choix pour dépister et
soigner cette affection complexe dont la fréquence ne cesse d’augmenter dans nos
sociétés.
II - 1 - 34
BIBLIOGRAPHIE
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ANGST J. — The origins of depression : current concepts and approaches,
1983, Springer-Verlag. 471 pages.
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ANGST J. — The course of Major Depression, Atypical Bipolar Disorder,
and Bipolar Disorder in : New Results in Depression Research; Ed. H. Hippius et Al
pp. 26-35.
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BECH P., KASTRUP M., RAFAELSEN O.J. — Echelles d'anxiété, de
Correspondance avec le DSM-III,
manie, de dépression et de schizophrénie.
1989, Masson, 76 pages.
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DOHRENWEND B. S. et DOHRENWEND B.P. — Stressful Life Events.
Their nature and effects. 1974, John Wiley & Sons, Inc., 340 pages.
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Titre original de l'ouvrage : DIAGNOSTICAL AND STATISTICAL MANUAL OF
DSM-IV. Critères diagnostiques –4è Edition Masson 1996
MENTAL
DISORDERS;
Fourth
Edition,
1993,
The
American
Psychiatric
Association, Washington. DC.
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PHILLIPS K.A., GUNDERSON J.G., HIRSCHFELD R.M.A. — A review of
the Depressive Personality, Am. J. Psych., 1990, 147, 830-37.
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Castren E.-“is mood Chemestry” Nature Neuroscience Rewiews 2005
H.I.KAPLAN ET B.J. SADOCK
Livre de poche de psychiatrie clinique. Pages 121-138
Ed.Pradel
II - 1 - 35
Cas cliniques
Fausse dépression
Une jeune femme de 23 ans est envoyée chez le psychiatre parce qu’elle a tenté, il y a 3
jours, de se suicider en prenant une vingtaine de comprimés de temesta, benzodiazépine
de type anxiolytique. Le médecin traitant estime qu’elle est très déprimée et qu’il faut
absolument l’hospitaliser et mettre en place un traitement antidépresseur.
Lors de l’entretien, la patiente apparaît de fait extrêmement désemparée, pleure tout le
temps. Elle vit extrêmement mal la rupture avec son fiancé qui lui a déclaré trois jours
auparavant qu’il ne l’aimait et qu’il ne se marierait pas avec elle, comme prévu, dans deux
mois.
Apprenant par la suite que celui-ci entretient une relation avec une autre femme, elle a
tenté de se suicider. Interrogé par le psychiatre, il apparaît de fait qu’elle ne peut supporter
l’idée de voir son fiancé l’abandonner et quelque part, lui échapper !
Cependant, depuis une semaine, même si elle pleure beaucoup quand elle y pense, elle
continue à travailler comme secrétaire de direction et, ainsi peut-elle, ne ressent pas de
difficultés à exécuter ses activités habituelles. “ Heureusement qu’il me reste mon travail
!”. Elle continue à bien dormir, ne se réveille pas plusieurs fois pendant la nuit, ne se sent
pas particulièrement fatiguée, ne présente pas de troubles des fonctions cognitives (ni
problème de mémoire ni de concentration à son ordinateur, elle mange normalement).
Dans ce cas clinique, il y a manifestement une grande détresse vécue par la patiente à la
suite de cette rupture sentimentale et il ne faut pas prendre sa tentative de suicide à la
légère. Cependant, il ne s’agit en aucun cas d’un état dépressif grave ou dépressif majeur
mais d’une réaction aiguë à ce deuil sentimental. Il y aura probablement lieu ni
d’hospitaliser en psychiatrie ni de lui mette en place un traitement médicamenteux
antidépresseur. Par contre, une approche psychothérapeutique pour l’aider à assumer ce
deuil, et surtout à comprendre pourquoi elle est atteinte si fortement, permettra sans doute
à cette patiente de reprendre assez vite en main en son existence.
Dépression majeure
Monsieur X est directeur adjoint d’une grande entreprise de communication. Il travaille
énormément, plus de 60 heures par semaine mais, dit-il, adore son travail. Il y a 6 mois,
son épouse, lasse de ne quasiment jamais le voir, a demandé le divorce et s’est séparée
de lui. Le patient dit avoir bien “digéré” la chose et a voulu garder et est parvenu à garder
de bons contacts avec son épouse.
Le motif de la consultation chez son médecin traitant est surtout motivée par une fatigue
anormale alors que le patient insiste pour dire qu’il n’a pas plus de travail que d’habitude
II - 1 - 36
et des problèmes marqués de concentration et d’attention. Il estime mettre beaucoup plus
de temps que d’habitude pour clôturer ses dossiers et s’en trouve ainsi handicapé dans sa
vie professionnelle.
Devant l’insistance du patient, le médecin traitant accepte de lui faire une prise de sang
pour vérifier la biologie courante et demander en même temps des tests de dépistage de
la toxoplasmose, de la mononucléose, de l’hépatite.
Quinze jours plus tard, à la deuxième consultation, il s’avère que tous les tests sanguins
sont normaux y compris les tests de sérologie virale.
La fille aînée du patient l’accompagne et explique au médecin traitant qu’elle a
l’impression que “papa n’est plus comme avant”, le trouve plus renfermé sur lui-même,
plus triste. Elle persiste dans ses dires malgré les dénégations du patient qui estime qu’il
n’est pas du tout triste ni déprimé.
En réinterrogeant le patient, il s’avère que cette fatigue dont il se plaint s’installe dès le
lever et qu’elle disparaît seulement vers la fin de l’après-midi et la soirée. Le patient
reconnaît également dormir mal, se réveiller plusieurs fois pendant la nuit, et devoir de
plus en plus souvent prendre un somnifère pour passer une nuit complète. En le mettant
sur la balance, le médecin généraliste observe une perte de six kilos et demi par rapport à
un examen de routine de l’année précédente.
Le diagnostic psychiatrique posé est bien celui de dépression majeure. En effet, même si
l’humeur dépressive est surtout mise en évidence par l’entourage, il est clair que le trouble
dépressif s’exprime surtout par des troubles des fonctions cognitives, une fatigabilité
matinale importante, une asthénie généralisée que par une idéation suicidaire, une
humeur triste.
La prise en charge devra associer à la fois un traitement médicamenteux antidépresseur
et une prise en charge psychothérapeutique de soutien.
Dysthymie
Madame Y se présente à la consultation spécialisée de cardiologie pour d’incessantes
palpitations qui l’handicapent jour et nuit, dit-elle. Elle se plaint également de jambes
lourdes, d’œdème malléolaire, non objectivé par le clinicien, également de plaintes
diverses dans la sphère digestive : dyspepsie, éructations, lourdeur gastrique. L’E.C.G.
s’avérant tout à fait normal, tout comme l’examen clinique et cardiologique, le cardiologue,
devant ce tableau polymorphe de plaintes somatiques fonctionnelles, conseille à la
patiente d’aller voir un neurologue. Après une longue discussion finalement, celle-ci
accepte.
Quelques jours plus tard, la patiente se retrouve en consultation de psychiatrie. Le mot du
cardiologue est sans équivoque : patiente hypochondriaque majeure souffrant de toutes
les plaintes somatiques fonctionnelles du monde. Pouvez-vous faire quelque chose pour
elle ?
Lors de l’examen psychiatrique, la patiente, à nouveau, insiste sur l’ampleur et les
désagréments de ses plaintes somatiques. Néanmoins petit à petit, le psychiatre parvient
II - 1 - 37
à parler d’autre chose que de plaintes somatiques. Ses plaintes somatiques sont
présentes dans la vie de la patiente depuis 3 ans. Elles sont apparues quelques mois
après son licenciement pour réduction de personnel. Depuis lors, elle n’a plus retrouvé
d’activités professionnelles.
Quand on l’interroge mieux, la patiente reconnaît être fatiguée en permanence, ne plus
savoir vaquer à ses occupations quotidiennes que très superficiellement et avec effort.
Elle reconnaît avoir pris en deux ou trois ans plus de quinze kilos. Les nuits sont bonnes.
Néanmoins, elle a le sentiment de ne plus pouvoir se concentrer et d’avoir des trous de
mémoire et des difficultés énormes de concentration. Quant à savoir si elle se sent triste
ou déprimée, elle répond par la négative, mais reconnaît néanmoins que, depuis lors, elle
n’est “plus comme avant”.
Nous nous trouvons dans cette situation devant un cas typique de trouble dépressif de
type dysthymique qui s’est installé à bas bruit à la suite du licenciement de la patiente. Ce
trouble s’est manifestement chronifié et dure maintenant depuis plus de 3 ans. La patiente
n’a pas réellement la conscience d’être déprimée et ne présente pas les troubles
Habituels de l’idéation suicidaire ou du désespoir du dépressif grave. On note par contre
une réelle perte d’espoir en l’avenir, une fatigue qui s’insinue partout, des troubles des
fonctions cognitives et ce sentiment de ne plus pouvoir fonctionner comme auparavant et
d’avoir des difficultés à vaquer à ses occupations.
II - 1 - 38
2. TROUBLES PSYCHOTIQUES :
2012
2.1. LES BOUFFEES DELIRANTES
L’ensemble des syndromes psychotiques avec délire aigu est repris dans le tableau en
2.1.4. Nous décrirons ici le tableau le plus caractéristique : la bouffée délirante. La
notion de "bouffée délirante polymorphe" a été introduite par V. Magnan en 1866.
Très utilisée dans l’espace culturel francophone, l'entité nosologique de ce syndrome
est spécifiquement française, là où d'autres écoles psychiatriques (notamment
américaine) parleraient de schizophrénie aiguë ou de psychose réactionnelle brève.
Ainsi, le D.S.M.IV distingue le "trouble psychotique bref" (d'une durée de moins d'un
mois ) du "trouble schizophréniforme" (d'une durée de moins de 6 mois). L'intérêt de
ces distinctions est de pouvoir différencier les épisodes psychotiques aigus et les
troubles chroniques (comme la schizophrénie ou la paranoïa). Le terme de trouble
schizophréniforme présente comme intérêt majeur de différer l'attribution d'un
diagnostic de schizophrénie toujours traumatisant pour le patient et sa famille, et
parfois démotivant pour certaines équipes thérapeutiques.
Il s'agit d'une flambée psychotique affectant le plus souvent le sujet adulte ou
adolescent, mais elle peut aussi se rencontrez chez l'enfant. L'épisode survient
brutalement quasi toujours après un traumatisme psychologique ou dans une situation
déstabilisante pour l'individu (par exemple : fin de scolarité, succès ou échec
inattendu, rupture sentimentale, éloignement brusque des proches), même si le
caractère déstabilisant de l'événement n'apparaît pas toujours comme tel à l'entourage
ou au patient lui-même. Magnan le décrivait comme "un coup de tonnerre dans un ciel
serein".
2.1.- SYMPTOMES
On peut rencontrer tous les symptômes psychotiques aigus (aussi bien de la lignée
schizophrénique que maniaco-dépressive) dans ce syndrome, ce qui justifie
l’appellation de polymorphe choisie par MAGNAN.
- idées délirantes, délire mal organisé de persécution, mystique ou mégalomaniaque
- hallucinations auditives et cenesthésiques (corporelles, courants électriques)
- dépersonnalisation : dédoublement, perte de soi, de son identité sexuelle
- variation brusque de l'humeur d'un moment à l'autre (oscillation rapide de
l’exaltation maniaque à la dépression suicidaire)
II-2- 1
- angoisse très intense, panique
- agitation (le plus souvent) mais parfois sidération jusqu’à la catatonie (avec délire
inexprimé)
- insomnie majeure
- risque de suicide ou d'automutilation (peut arrêter complètement le délire)
2.1.2- EVOLUTION
Il s’agit d’un accès psychotique nécessairement bref, ce qui implique une
disparition des symptômes parfois en quelques jours, le plus souvent en quelques
semaines (attention aux critères temporels du D.S.M.-IV!). Ce sera un accident
unique dans 50 % des cas, sans répétition de l’accès aigu dans la suite de la vie de
la personne. Cependant pour les autres 50% des cas, la guérison rapide ne met
pas à l'abri d'une récidive. En fait, la personnalité prémorbide et les antécédents
familiaux de psychose chronique permettent d'anticiper très imparfaitement le
devenir : soit évolution intermittente (25 %) avec transformation possible en
psychose maniaco-dépressive classique (trouble bipolaire), soit évolution vers une
chronicité psychotique (25 %) de type schizophrénie avec délire, hallucination,
éventuellement déficit ou encore paranoïa.
2.1.3.- TRAITEMENT
Les neuroleptiques sont indiqués dans la phase aiguë, si nécessaire sous forme
d’injection. Le choix se portera sur des neuroleptiques classiques à effets plus
sédatifs ou plus anti-psychotiques suivant la symptomatologie dominante.
Une psychothérapie individuelle et familiale, même brève, s’est toujours révélée
favorable quant à l’évolution.
Les entretiens doivent commencer dès que possible. Le cas clinique suivant en
offre une illustration. La psychothérapie, en tant qu’intervention thérapeutique
spécialisée visera à élucider pour le sujet la “nécessité intérieure de tomber
malade” et permettra, dans les meilleurs cas, de se libérer de cette contrainte, ce
qui constituera une diminution certaine du risque de rechute psychotique.
II-2- 2
2.1.4. Tableau récapitulatif des délires aigus
1. a) Trouble psychotique bref : (durée < 1 mois) =
Bouffée délirante polymorphe
b) Trouble schizophréniforme : (durée 1 à 6 mois)
2) Exacerbation aigüe de Psychose chronique
-
schizophrénie (durée > 6 mois)
-
paranoïa ( + tardif ; chronique ; pas d’hallucination ; pas de déficit)
3) Trouble de l’humeur
-
délire mélancolique aigu
-
délire maniaque aigu
4) Confusion mentale aiguë (syndrome psycho-organique aigu)
-
intoxication
volontaires
(ecstasy)
ou
involontaire
du
fonctionnement
(surdosage
médicamenteux)
-
sevrage (Alcool – Delirium Tremens)
-
tout
facteur
de
décompensation
cérébral
(déménagement, infection, insomnie …)
5) Psychose du post-partum
2.1.5 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Follin S.
Vivre en délirant
Les empêcheurs de tourner en rond, Paris, 1993
Grivois H.
Psychose naissante, psychose unique ?
Masson, Paris, 1991.
5.- CAS CLINIQUE : Bertrand ou le successeur désigné
1°La filiation paternelle :
Paul, le père du patient, est âgé de 55 ans. Il est issu d'une famille d'industriels
actifs dans les engrais. L'affaire familiale a été fondée par la grand-mère
maternelle qui avait été laissée libre par son mari, rentier, de fonder une activité
qui l'occuperait.
L'oncle maternel et le père de Paul se sont occupés de l'affaire jusqu'à leur décès,
survenu à quelques mois de distance, lorsque Paul était âgé de 25 ans. La
vocation de Paul était de faire des études de médecine et de devenir généraliste.
Au moment du choix réel de ses études, il avait été convaincu, en particulier par sa
grand-mère, de choisir les sciences économiques. Après quelques mois d'études,
II-2- 3
il avait dû abandonner celles-ci contre son gré en raison d'une maladie grave du
père (cancer).
Il avait alors fait des stages pratiques à l'étranger et son service militaire afin d'être
prêt le plus vite possible pour la reprise de l'affaire familiale.
Désigné de tout temps par la grand-mère fondatrice comme le successeur, il
reprend la direction de l'entreprise au décès de son père et de son oncle, à l'âge
de 25 ans.
Il se marie à l'âge de 30 ans.
Paul apparaît comme un personnage assez anxieux et tendu, extrêmement
ponctuel et soucieux des convenances. Il est très respectueux de l'autorité
médicale.
Après avoir développé intensément son affaire, il l'a revendue et se trouve
actuellement à la tête d'une chaîne d’entretien automobile.
2° La filiation maternelle :
La mère de Bertrand, Andrée, est âgée de 46 ans ; elle a une sœur aînée de 47
ans. Cette sœur aînée est divorcée et la mère d'un enfant autiste d'une vingtaine
d'années.
Andrée a eu de bons contacts avec son père jusque dans les dernières années.
Par contre, elle s'est sentie depuis toujours, rejetée par sa mère, qui aurait préféré
sa sœur. La mère l'appellerait « la folle », appellation qu'elle aurait étendu
récemment à l'ensemble de la famille de Paul et Andrée en les désignant comme
les « quatre fous de Z ».
Les rapports entre Andrée et son père se sont tout à fait dégradés il y a 4 ans
lorsque Paul a racheté la maison située en Ardennes, dans laquelle les beauxparents passaient leurs vacances et qui se trouvait en indivision entre sa bellemère et ses frères.
Monsieur Paul a fait des frais dans cette maison et en a quelque peu réglementé
l'accès à sa belle-famille. La situation était tellement tendue que les parents
d'Andrée ne s'y sont pas rendus cet été pour les vacances, mais ont loué un
appartement voisin. Les ponts semblent tout à fait rompus entre Andrée et sa
famille. Par contre, les enfants ont gardé un certain contact avec leurs grandsparents ; en particulier, Bertrand est le préféré de sa grand-mère alors que son
frère, Emeric, est le préféré de son grand-père.
Depuis 4 ans, Andrée est en traitement chez un psychiatre pour "dépression". Elle
a été soignée par antidépresseurs et anxiolytiques.
Encouragée par ce psychiatre, elle a repris depuis un an des activités comme
étudiante à l'école des Beaux-Arts.
Andrée se montre une personnalité anxieuse, extrêmement peu sûre d'elle et se
questionnant sur sa responsabilité quant aux difficultés que connaît Bertrand
actuellement "C'est sûrement de ma faute si Bertrand est comme cela. Est-ce
héréditaire ?
C'est sûrement très dur pour un jeune d'avoir une mère
dépressive...”.
II-2- 4
3° Histoire personnelle :
Très peu connue. La grossesse et la naissance sont sans particularité. Très tôt,
Bertrand se serait intéressé aux questions des finances. D'après son père, dès
l'âge de 12 ans, il aurait posé des questions telles que : « Qu'est-ce qu'une
hypothèque ? Qu'est-ce qu'une obligation ? ... etc ». Son père l'aurait alors
encouragé très précocement à entamer des études d'économie.
Depuis le début de ses études, Bertrand travaille très dur. Il dit ne pas avoir de
temps pour s'occuper de sa vie sentimentale et n'a donc pas d'amie. Pendant les
vacances, il fait des voyages avec son frère ou des amis. Depuis 3 ans, il n'aurait
plus eu de vacances familiales.
4° Histoire de la maladie :
La maladie éclate le 2 décembre . Bertrand rentre très excité chez lui, après qu'un
examen qu'il avait réussi et qu'avait annulé son professeur (à cause de tricherie
collective) lui ait été finalement compté comme valable. Il avait obtenu 16/20 à cet
examen.
Il rentre chez lui et dit « C'est grave ». Il est très énervé et se met à interpeller sa
mère : « Papa est une femme, papa n'est pas un homme, papa ne sait pas faire
l'amour ». Il quitte sa mère, monte dans sa chambre, se montre très agité.
Sa mère appelle le père à son bureau, qui regagne rapidement le domicile et qui,
dans une conversation avec son fils, lui propose de rencontrer un psychologue
industriel, qui lui a déjà servi de conseiller à plusieurs reprises dans ses affaires.
Ce psychologue propose au père de garder avec lui Bertrand. L'idée du père et du
psychologue est que ce sont les conflits avec la mère qui sont à l'origine du
problème de Bertrand. Les deux hommes et Bertrand vont passer le w.e. en
Ardennes dans la villa familiale. Là, Bertrand est tout à fait insomniaque et il
défèque sur le tapis, en criant : « Maintenant, je peux tout salir ».
Il met la table pour une assemblée nombreuse. Il se montre très agité et mal à
l'aise. Dans ses conversations avec le psychologue, il aurait expliqué qu'il avait
peur des femmes et qu'il ne supportait pas qu'on le touche. En conséquence, le
psychologue propose alors d'effectuer rapidement un voyage en Thaïlande afin de
vaincre cette peur du toucher par les femmes. Là, il a des expériences sexuelles
au bordel. Néanmoins, il est inquiété par des propos pédophiles tenus par le
psychologue.
De retour en Belgique, il séjourne à l'hôtel avec son père sans jamais rentrer à la
maison, pour éviter les contacts avec la mère. Il est finalement hospitalisé dans
une clinique de la périphérie, le 26.12., sur l'insistance de la mère.
Il reçoit alors de très fortes doses de neuroleptiques et montre des effets
secondaires extra-pyramidaux très importants, qui nécessitent l'interruption du
médicament.
Après une rencontre avec un médecin en qui il a confiance, le père demande le
transfert dans notre service hospitalier de psychopathologie.
II-2- 5
5° Séjour en clinique :
Entrée le 5.1 via les urgences psychiatriques. Le patient est agité et montre un
syndrome extra-pyramidal important.
Un entretien avec le père et ensuite avec la mère a été réalisé. Bertrand montre
une irritation importante, macule les murs et les vitres de sa chambre avec de la
nourriture, pousse des cris, se montre agressif envers les autres patients. Il
découvre perpétuellement son sexe afin de l'exhiber.
Il est saisi d'une logorrhée, fait appel à son père téléphoniquement et en criant à
travers le couloir. Tout en pensant que son père est le plus grand homme
d'affaires du monde, il le ressent comme menacé. En particulier, il a l'impression
que deux Mercedes blindées ne seraient pas suffisantes pour lui épargner le sort
du patron des patrons allemand ou de l'administrateur délégué de la Deutsche
Bank, abattus par des terroristes. Les pas ou les bruits de chaise qui s'entendent à
travers le plafond sont interprétés comme des signes de l'attaque et de l'avance
des terroristes. A côté de ce délire floride, il ne semble pas y avoir d'hallucinations.
On peut noter des phénomènes d'échopraxie et d'écholalie en présence de
l'assistant. (Le médecin interroge : « Comment allez-vous aujourd'hui » ? B.
répond en penchant la tête de la même façon: « Comment allez-vous aujourd'hui
? »).
Le patient reçoit alors de très faibles doses d'HALDOL et de NOZINAN.
Immédiatement, il développe une pneumonie bilatérale sur une fausse déglutition
et doit être transféré le 13.1. dans les Soins Intensifs où il restera jusqu'au 2.2. Là,
pendant une semaine, il est entre la vie et la mort et reste sous intubation.
Pendant la deuxième semaine, désintubé, le patient reste agité mais ne reçoit que
du VALIUM (IV) sans aucune neuroleptisation. Son discours est toujours
incohérent et tourne autour des mêmes thèmes.
Le 2.2., il est transféré en Médecine Interne, où il reçoit fréquemment la visite de
son père qui le dorlote. Bertrand continue à être attaché à son fauteuil et reçoit
une nourriture parentérale.
Le 6.2., il est transféré à nouveau dans notre unité. Là, il se montre plus calme
jusqu'au 10.2. où il reçoit une visite de ses grands-parents maternels ainsi que
d'une tante, sœur de sa mère. Cet après-midi là, il redevient très agité et très
incohérent. Il agresse le nursing et ouvre la bouche d'incendie et inonde le couloir.
Le lendemain et le surlendemain, son agitation se poursuit. En particulier, il est
extrêmement inquiet pour la survie de son père. Son agitation connaît un comble
lorsque le père quitte l'unité après sa visite quotidienne.
Le 13.2., nous décidons de structurer différemment le séjour et les visites: pendant
les deux semaines à venir, les parents ne rendront plus visite directement à
Bertrand, mais pourront avoir des nouvelles quotidiennement au téléphone en
s'adressant aux médecins. Les parents, de plus, seront reçus une fois par semaine
par ces deux médecins. Il sera évité tout contact direct entre Bertrand et n'importe
quel membre de sa famille, comme parents, grands-parents, frère ou tante.
Parallèlement, un entretien quotidien avec Bertrand et les deux médecins, est
prévu à heure fixée. A cet effet, les parents sont priés de fournir une nouvelle
montre à Bertrand, afin de structurer son emploi du temps et son rapport à la
parole donnée (l’heure du rendez-vous).
II-2- 6
Entretien avec les parents le vendredi 13.02.
Nous expliquons le nouveau setting aux parents. L'entretien tourne essentiellement
autour des antécédents paternels et maternels tels qu'ils ont été exposés
précédemment. Il apparaît, concernant les parents essentiellement, deux éléments :
* concernant le père : il s'est montré très « allergique » (sic) concernant les problèmes
de santé mentale rencontrés chez son propre cousin, qui était mongolien et qui se
trouvait très souvent chez sa grand-mère maternelle.
Ce garçon polarisait toute
l'attention et perturbait le père.
De même, sa belle-sœur ayant amené son fils autiste dans la villa familiale, Paul s'est
montré particulièrement gêné de cette présence et a prié sa belle-soeur de ne plus la
lui imposer les jours de fête. Cette exclusion semble avoir eu un rôle déterminant
dans l'affrontement entre Paul et ses beaux-parents.
Il est donc justifié ici de se demander si Bertrand, en faisant le fou, n'a pas trouvé un
point particulièrement sensible chez le père.
* du côté de la mère apparaît à l'avant-plan une culpabilité quant à sa responsabilité
dans les difficultés actuelles de Bertrand.
Nous tentons de rassurer la mère et de lui faire reprendre place dans le setting
thérapeutique. En particulier, nous n'acceptons pas de rencontrer le père sans elle.
Parallèlement à l'entretien avec les parents, nous rencontrons quotidiennement
Bertrand et nous abordons les thèmes relatifs à son avenir. Nous n'admettons pas
ses divagations pseudo-économiques et exigeons qu'il parle de lui-même. S'il fait
mine d'enlever ses vêtements ou se montre violent, nous lui demandons de s'habiller
et d'arrêter sa violence sous peine de l'interruption de l'entretien.
Nous essayons d'envisager avec lui ce que signifie pour lui faire le fou. Sans succès
apparent. En nous appuyant sur ce que les parents, en particulier le père, nous ont
raconté de son choix déterminé d'études, nous parlons à Bertrand de sa liberté à lui de
choisir librement et nous essayons avec lui d'envisager un avenir. Il continue à parler
de grandes affaires mirifiques, tout en se montrant très inquiet pour la santé de son
père.
2ème entretien avec les parents le 19.02.
Nous interrogeons les parents sur les inquiétudes de Bertrand concernant la santé du
père. Ils nous expliquent alors tous les deux que c'était devenu un sujet de
conversation commun dans la famille que d'envisager la mort du père, qui suit un
régime en permanence. Tout un scénario avait d'ailleurs été déjà discuté en détail
avec Bertrand qui, en raison de ses études d'économie, était destiné à reprendre
l'affaire : contacter le notaire X, faire savoir à l'étranger ce qu'il convenait de faire des
comptes, liquider telle société avec l'aide de tel conseiller financier.
La mère s'était mise aussi à croire en la possibilité d'une issue fatale mais tentait
néanmoins d'empêcher le père et le fils de discuter longuement et ostensiblement de
ce problème.
Peu avant l'éclosion de sa maladie, Bertrand aurait confié à ses parents combien il
était touché par ces « préparatifs mortuaires ».
II-2- 7
3ème entretien avec les parents le 26.02.
Nous sommes au bout des 15 jours prévus de séparation entre Bertrand et sa famille.
L'état de Bertrand s'est remarquablement bien amélioré et il peut assister à la réunion
avec les parents, sans manifester de troubles du comportement.
Le père, la mère et le fils sont rassurés sur leurs états de santé respectifs. La famille
parle de l'avenir et de la liberté face à laquelle se trouve Bertrand quant à son choix
des études et d'activités futures. Nous essayons de mettre en avant la mère et de la
valoriser.
Les entretiens quotidiens avec Bertrand nous avaient appris sa crainte majeure : « si
mon père décède, je devrais moi aussi abandonner mes études pour me consacrer à
la gestion de l'affaire familiale et sacrifier ainsi mes intérêts propres, tout comme mon
père avait été amené à le faire dans sa jeunesse ». La rupture d'équilibre psychique
provoquée par la séquence réussite, puis annulation et enfin restitution de la note
initiale à l'examen, associé avec les craintes pour les capacités à vivre du père, ont
précipité le jeune homme dans une crise aiguë de désidentification.
Après l'entretien et avec notre accord, la famille quitte l'Unité pour aller manger
ensemble brièvement. Tout se passe bien.
Catamnèse 4ème rencontre avec la famille le 15.04.
Nous mettons au point un projet de départ pour la mi-mars.
La famille est revue le 15 avril en consultation. Nous apprenons que la famille a passé
de bonnes vacances de Pâques, Bertrand va reprendre ses études dès septembre.
Les parents seuls sont désireux de poursuivre une thérapie de couple.
Aujourd’hui, Bertrand n'a pas montré de rechute depuis 4 ans et n’a poursuivi aucun
traitement. Il a terminé ses études très brillamment. Il n’a toujours pas de petite amie.
II-2- 8
2.2. LES SCHIZOPHRENIES
2012
2.2.1.- GENERALITES
Le terme a été forgé par le psychiatre suisse Eugen Bleuler en 1911, à partir de la
racine grecque "skhizein" (fendre-scinder) et "phrên" (esprit). D'emblée par ce
néologisme, Bleuler mettait la dissociation au centre de sa conception de la maladie. Il
s'inscrivait ainsi dans le renouveau psychologique inauguré par Sigmund Freud, par
opposition à la conception descriptive du décours de l'affection telle que la préconisait
Emil Kraepelin. Celui-ci avait isolé en 1899 l'entité morbide de la "démence précoce",
caractérisée par le début « précoce » de la maladie (entre 15 ans et 30 ans) et par
l'évolution chronique entraînant un déficit global des fonctions mentales (pseudodémence).
Aujourd'hui, même dans ses formes déficitaires résiduelles, la schizophrénie ne peut
être considérée que comme une pseudo-démence, puisque l’entièreté des fonctions
mnésiques et la plupart des fonctions intellectuelles sont conservées, même si elles
sont entravées par les symptômes de la maladie (comme l'autisme et la dissociation).
Enfin, notons que chez l’enfant, des psychoses dites d’apparition tardive (après l’âge
de 6 ans) sont décrites. Distincte des bouffées délirantes et des épisodes maniaques
(très rares), leur symptomatologie présente bien des analogies avec la schizophrénie
des adultes. Le D.S.M.-IV introduit une distinction selon la durée d’évolution:
« schizophrénie » (durée de plus de 6 mois) ou « troubles schizophréniformes » (durée
de 1 mois à 6 mois). En fait, il n'est pas sûr qu'il s'agisse de la même entité morbide :
la symptomatologie infantile est analogue mais l'évolution est plus favorable, puisque
la chronification des symptômes psychotiques ne touche qu'une minorité de cas chez
l’enfant.
La schizophrénie (sous toutes ses formes) est une affection fréquente, sa prévalence
s’élève dans le monde (indépendamment des races et des cultures) à environ 1 % de
la population générale. Etant donné le caractère très invalidant de cette affection, le
coût social (défaut de production plus coût du traitement) en est extrêmement élevé.
La schizophrénie est une affection dont l’étiologie s’avère multiple. De très
nombreuses hypothèses étiologiques ont été avancées.
Citons en quelques unes :
1°
Génétique
: Sans doute, plusieurs gènes sont-ils responsables de la
transmission d’une prédisposition à la maladie. On parle d’une vulnérabilité génétique
qui s’exprimera d’autant plus que les facteurs de milieu sont défavorables.
II-2 -9-
a) des jumeaux homozygotes adoptés, élevés dans des familles différentes ont 46%
de concordance quant à la présence de la maladie.
b) les enfants de deux parents schizophrènes présentent 48% de chance de
présenter des symptômes de schizophrénie.
c) les enfants qui ont un seul parent schizophrène présentent 14% de chance de
développer l'affection eux-mêmes.
2° Neurobiologie
: les patients présentent une augmentation des récepteurs
dopaminergiques (en particulier D2) qui sont la cible du traitement par les
neuroleptiques de la première génération. Sans doute, d'autres anomalies d’autres
neurotransmetteurs (Serotonine, GABA) interviennent-elles également mais elles
ont été moins étudiées.
3° Hypothèse communicationnelle : elle a été développée par l'école de Palo-Alto
(Weakland-Bateson). Les familles dont un enfant est schizophrène présenteraient
des troubles communicationnels importants et en particulier un mécanisme de
« double bind » : sans pouvoir s’y soustraire, l'enfant serait soumis très
précocement à des messages contradictoires (« viens ici que je te croque » ou
« j'exige que tu sois indépendant ») qui entraîneraient une incapacité d'unification
de son moi (dissociation). Un tel mécanisme n'est certainement pas explicatif de
toute la schizophrénie et il apparaît aujourd’hui qu’il n'est pas spécifique de cette
affection.
4° Hypothèse psychodynamique : c’est essentiellement la psychanalyse de S. Freud et
de ses élèves qui a développé une théorie de la genèse psychotique. Précocement
déçu dans ses premiers investissements sur des objets externes, l'enfant reporterait
sur lui-même sa libido (narcissisme) à tel point que le monde extérieur s'en
trouverait presque totalement désinvesti au profit de la personne propre (autisme).
Le délire est conçu comme une tentative de guérison, pour concilier l’inconciliable.
Plus récemment, Jacques Lacan a tenté d'expliquer ce phénomène psychotique par
un défaut fondamental d'accès à la dimension symbolique (forclusion). Les théories
psychanalytiques donnent une bonne explication des phénomènes observés et de
bonnes clefs pour une possible psychothérapie, mais s’avèrent insuffisantes pour
expliquer la causalité plurifactorielle de l'affection.
5° Hypothèse neurodéveloppementale intégrative de D aniel Weinberger
Dans
un
article
de
synthèse,
cet
auteur
développe
un
modèle
neurodéveloppemental de la schizophrénie dans lequel une lésion précoce (intraII-2 10
--
utérine ou périnatale) modifierait la maturation normale du cerveau et en particulier
inhiberait le développement du cortex préfrontal et dorsolatéral, ce qui altérerait le
fonctionnement du circuit entre le tronc cérébral (neurones dopaminergiques), le
cortex préfrontal (altéré) et le système limbique (exerçant un feed back négatif sur le
tronc
cérébral).
Il
y
aurait
alors
hyperproduction
de
neurotransmetteurs
dopaminergiques à partir du tronc cérébral désinhibé.
Les modifications endocrinologiques combinées à la tension psychique de certaines
adolescences difficiles ou les problèmes du début de l'âge adulte provoqueraient
une décompensation plus ou moins brutale du circuit déficient.
L'hypothèse de Weinberger est très séduisante : elle permet de ne pas se laisser
enfermer dans une seule hypothèse. C’est bien la conjonction d’une hérédité, d’une
déficience cérébrale, d’une décompensation à motivation psycho-sociale qui
entraînerait l’éclosion de la maladie manifeste Ainsi, Tim Crow a proposé de diviser les
schizophrénies en deux types distincts :
-
le type I où les symptômes productifs seraient importants, avec un début brutal,
une forte participation de D2, une bonne efficacité des neuroleptiques,
-
le type II où les symptômes négatifs de retrait (déficit) seraient prépondérants, avec
un élargissement ventriculaire (perte de masse cérébrale), un décours chronique
peu influencé pour les neuroleptiques classiques.
Il s'agit d'une intéressante tentative de réunification des différentes théories
étiopathogéniques de la schizophrénie.
2.2.2.- DESCRIPTION CLINIQUE
La symptomatologie de la schizophrénie peut être divisée en deux grands groupes de
symptômes, les positifs (productions pathologiques) et les négatifs (déficits
pathologiques).
1° Symptômes positifs
a)
le délire : il s'agit d'une anomalie du discours du patient qui présente une
explication aberrante de la réalité commune. Cependant, dans l’histoire
personnelle du sujet, le délire a un sens bien précis, qu’il sera très importantde
comprendre dans la psychothérapie. Dans la schizophrénie, il est le plus
souvent morcelé sans grande cohérence interne par opposition au délire
systématisé de la paranoïa.
Les délires les plus fréquents sont le délire de persécution (« une bande de
voyous m'en veut et me persécute" », de relation (« j'ai vu sa voiture rouge et
II-2 11
--
j'ai compris ce qu’il me voulait »), d'influence (« mes pensées sont téléguidées
par le radar de la C.I.A. ») ou encore de vol de la pensée (« vous pouvez lire
dans mon cerveau »). Le sentiment d’une effraction par les autres dans les
limites de la personne propre (disparition de l’intimité) sont pathognomoniques
de la psychose (« je ne dois rien vous dire, vous le savez très bien, même
avant moi » ; « il a des caméras spéciales qui me filment à travers mes
vêtements et qui me projettent nue sur internet ».
b)
les hallucinations : ce sont des perceptions sans objet. Les hallucinations les
plus fréquentes dans la schizophrénie sont les hallucinations auditives
(j'entends une voix moqueuse qui me dit des injures ; la voix répète sur un ton
ironique mes propres pensées et en fait même un commentaire dévalorisant).
Le contenu en est le plus souvent moqueur ou injurieux. Il existe aussi des
hallucinations visuelles (halo autour des personnes), gustatives (goût de terre
ou de brûlé dans la bouche), olfactives (ça sent le cadavre ici) ou encore
tactiles (p. ex. courant électrique sur le front ou dans les parties génitales).
Plus rarement, les hallucinations sont extracampines (mon œil gauche entend
des choses horribles, ma main voit que vous mentez).
c)
troubles du comportement et de la motricité :
- excentricité dans l'habillement ;
-
agitation, agressivité ;
-
augmentation du tonus musculaire jusqu’à la rigidité (catatonie)
d) troubles de la pensée : la dissociation ou discordance. La pensée s'exprime
dans un discours incohérent, décousu, avec des passages du coq à l'âne, sans
fil conducteur logique apparent. Souvent le patient s'interrompt subitement par
des silences (barrages) et reprend sur un tout autre sujet. Par exemple : « D'où
venez-vous ? Qui peut le dire ? (silence). Probablement de la nuit des temps !
(silence). Vous avez un bien beau bureau. Combien est-ce que ça va me
coûter ? Vous me regardez bizarrement parce que je suis étranger ». Ce
défaut des associations est un trouble cognitif fondamental qui est mis aussi en
évidence dans les épreuves de coordination .
e)
Angoisse majeure de mort d’anéantissement (la question du psychotique est
celle de son existence même)
II-2 12
--
2° Symptômes négatifs
a) autisme : le patient est replié sur lui-même, vit en solitaire ou a très peu de
contacts sociaux, aucune activité sexuelle ou récréative.
b) émoussement affectif : le patient présente peu d'expressivité, ou encore une
indifférence importante à ce qui arrive à lui ou à ses proches. Le patient apparaît
froid, sans réaction, impassible et inadéquat aux circonstances de la vie
quotidienne..
c) ambivalence : le patient se trouve bloqué avec des sentiments contradictoires
entre lesquels il ne peut choisir ce dont il ne peut assumer la coexistence
(haine/amour ; désir de proximité/de distance ; attirance/répulsion).
d) altération du sentiment de la personne propre (Ego)
- dévitalisation « je suis un arbre mort »
- aliénation : « je n'existe plus », « je est maintenant un autre »
- écholalie (répétition du discours de l'autre) ou échopraxie (comportement en
miroir).
e) apragmatisme : incapacité de se débrouiller dans les problèmes quotidiens
(payer le loyer, le gaz, l'électricité).
f)
aboulie : incapacité de se décider, de travailler, d'entreprendre quelque chose
(faire des plans et les réaliser).
g)
Anhédonie : incapacité de se réjouir, à organiser des loisirs plaisants
2.2.3.- FORMES
E. Bleuler a décrit quatre formes principales de schizophrénie, selon les symptômes
qui y prédominent. Ces formes n’ont qu’une entité descriptive de l’état actuel du
patient. Un même patient peut connaître plusieurs formes au cours de sa maladie.
1° Schizophrénie paranoïde
Forme la plus courante, le délire et les hallucinations y sont à l’avant-plan,
l'angoisse y est très importante. Le début est souvent brutal. Le pronostic est
relativement favorable.
2° Schizophrénie catatonique (ou catatonie)
Augmentation du tonus musculaire jusqu'à la rigidification ou l’excitation clastique.
Elle peut se présenter sous deux aspects : stuporeuse (position fœtale, sans
réaction) ou agitée.(agitation - grimaces - stéréotypies). Elle devient aujourd'hui
plus rare.
II-2 13
--
N.B. : la catatonie doit être considérée comme un syndrome non spécifique de la
schizophrénie puisqu'elle peut aussi se rencontrer dans le cadre d'une mélancolie
grave ou d’une bouffée délirante aiguë.
3° Schizophrénie hébéphrénique ou désorganisée (ou hébéphrénie)
C'est ici la dissociation et les troubles affectifs qui sont ici à l’avant-plan. Le début en
est souvent précoce (13 à 19 ans). L’évolution est insidieuse, sur une personnalité
prémorbide déjà très anormale. Le comportement est en général infantile. L’évolution
est souvent défavorable, avec un syndrome déficitaire important.
4° Schizophrénie simplex
C’est l’autisme tardif de l’adulte (vers 40 ans). Cette dernière forme rare n’a pas été
retenue dans la classification du D.S.M.IV, qui a par contre introduit les deux autres
formes suivantes (5° et 6°).
5° Schizophrénie indifférenciée :
Celle qui ne peut être classée dans les 3 premières formes retenues par le DSM IV.
6° Schizophrénie résiduelle :
Après l’épisode aigu, disparition de la plupart des symptômes positifs et persistance
des symptômes négatifs (aussi appelé : syndrome déficitaire schizophrénique).
2.2.4.- EVOLUTION
1° Mode de début
-
brutal : à la suite d'un événement déclenchant, traumatisant (deuil, déplacement ou
emprisonnement) ou même heureux (réussite d'un examen). Les hallucinations et
le délire sont aigus.
Le diagnostic différentiel doit être établi par rapport à la
Bouffée Délirante Polymorphe de Magnan (trouble psychotique bref – d’une durée
inférieure à 1 mois). Le pronostic est bon.
-
insidieux : baisse du rendement intellectuel, retrait des relations sociales, arrêt des
activités de loisir, isolation, intérêt pour les sciences occultes, plaintes
hypochondriaques constituent le mode d'entrée typique dans l'hébéphrénie. Le
pronostic est considéré comme mauvais par évolution chronique avec constitution
d'un déficit permanent. Les symptômes négatifs sont prépondérants. Dans ces cas,
l’hérédité est souvent positive, la personnalité prémorbide schizotypique et l’on
II-2 14
--
peut
détecter
des
anomalies
cérébrales
(hypofrontalité
et
élargissement
ventriculaire) de façon inconstante.
-
prodromes : ils sont multiples et aspécifiques. Ils représentent plutôt des facteurs
de vulnérabilité. Par contre, il est très utile de détecter précocement la psychose
débutante afin de réduire la période de non-traitement, déstructurante au niveau
psychologique, social et sans doute aussi cérébral.
2°. Décours
Actuellement, même dans l'école américaine, qui avait tendance à promouvoir la
notion de schizophrénie aiguë, il est admis qu'une durée de six mois de présence des
symptômes est nécessaire avant de pouvoir poser le diagnostic de schizophrénie
(D.S.M. IV), dont il sera toujours fait usage avec la plus extrême circonspection, en
raison du retentisement personnel et familial d’un tel diagnostic. Si un retour à la
normalité se fait endéans les 6 mois, on conclura à un « Trouble schizophréniforme »,
mais pas à une schizophrénie !
Le décours présente soit des poussées successives avec des intervalles libres où le
patient apparaît comme normal, soit une détérioration progressive par paliers.
La
différence de capacité existentielle entre le moment de début de la maladie et l'état
stabilisé terminal pathologique constitue finalement le « déficit schizophrénique »
(l’étudiant universitaire devient aide-jardinier).
Dans 50 % de cas, le déficit est d’intensité moyenne (c’est-à-dire une diminution
globale des capacités existentielles). Malheureusement, dans 10% des cas de
schizophrénie, l’évolution déficitaire sera sévère, réalisant le tableau de la démence
précoce de Kraepelin et nécessitant une prise en charge institutionnelle continue.
II-2 15
--
Intensité
des
Symptômes
Déficit
Final
10% Grave
50% Moyen
40% Nul
Normalité
temps
2.2.5.- VIGNETTE CLINIQUE
1° Jeanne L.
Elle est âgée de 18 ans lors de son pr emier épisode. Elle se trouvait
alors dans un pensionnat pour jeunes filles, très strict sur le plan de
la morale et de la discipline.
Jeanne L., peu avant la fin de l’année, a été envahie par le
sentiment que la directrice lui envoyait des messages par télépathie.
Elle entendait distinctement sa voix qui la traitait de “sale pute,
mauvaise fille de mauvaise vie”. La radio et la télévision faisaient
également des allusions très claires à son égard, toujours
concernant sa sexualité. Ainsi, s’il était question de “transgression”
c’était elle qui était visée par le présentateur. La patiente devint
totalement insomniaque, très anxieuse et agitée. Elle quitta le
pensionnat de nuit pour se réfugier auprès d’un prêtre de sa famille
pour lui demander l’absolution. Hospitalisée dans un asile pour
femmes pendant plusieurs mois et traitée par neuroleptiques
(Haldol) ses voix disparurent mais le délire de relation resta présent,
même s’il était très atténué et n’angoissait plus terriblement la
patiente. Elle séjourna ensuite dans une communauté thérapeutique
II-2 16
--
d’où elle pu obtenir un travail simple (employée au classement)
réservé
à
la
resocialisation
des
handicapés,
dans
une
administration.
Depuis 20 ans, elle travaille au même poste, n’a aucune relation en
dehors du travail. Une psychothérapie mensuelle ainsi qu’un
traitement neuroleptique léger ont été maintenu.
A l’âge de 38 ans, la patiente a pu se marier avec un homme qui luimême avait connu des difficultés psychologiques (alcoolique
abstinent). Elle a renoncé à avoir des enfants. La patiente reste
préoccupée par les commentaires sur sa vie à la radio et à la T.V.,
en particulier de l’usage trop fréquent de la lettre P....La
psychothérapie
de
soutien
consiste
en
une
interprétation
systématique des contenus projetés et est associée à la prescription
de doses variables d’Haldol, en fonction de l’importance du délire et
de l’angoisse.
2.2.6.- TRAITEMENT
Une prise en charge multifocale et intégrée tentera de rendre son autonomie à la
personne malade.
1 °. Chimiothérapie
-
les neuroleptiques ou tranquillisants majeurs, ont tous une action sédative et
antipsychotique. Néanmoins, certains seront plus sédatifs (Nozinan), et d’autres
plus incisivement antipsychotiques (Haldol, Impromen, Orap). Plus récemment, des
neuroleptiques « atypiques » (Risperdal – Ziprexa) ont été introduits. Ils produisent
moins d’effets extra-pyramidaux et seraient plus actifs contre les symptômes
négatifs.
-
effets secondaires :
*aigu : syndrome extrapyramidal avec crises oculogyres, protraction de la langue,
torticolis spasmodique.
*syndrome de Parkinson iatrogène (akinésie, tremblements, hypertonie)
*possibilité de prescription d'un correcteur (Tremblex ou antiparkinsoniens de
synthèse)
-
deux graves complications sont liées à l’usage des neuroleptiques :
* dyskinésies tardives irréversibles (tics de la face, mouvements reptiformes des
extrémités) pour des doses élevées et prolongées
II-2 17
--
* syndrome malin des neuroleptiques (catatonie iatrogène avec forte température et
élévation des C.P.K.).
-
pour les patients peu compliants, prescription de formes retard, à injecter une fois
par mois (Clopixol – Impromen – Haldol)
2 °. Traitement institutionnel
-
section psychiatrique des hôpitaux généraux (services A) pour les traitements
aigus, hôpitaux psychiatriques pour les traitements à moyen (A) ou à long terme (T)
des patients déficitaires.
-
communautés thérapeutiques à visée de réinsertion active (réhabilitation)
- foyers d'accueil au long cours (jour + nuit) pour les patients chroniques (Maison de
Soins Psychiatriques : MSP).
- centre de jour (psycho- et ergothérapeutique) ou de nuit (hébergement) avec aide à
la réinsertion.
- ateliers protégés
- « Services de Santé Mentale » selon la loi de 1975 : ils sont chargés du traitement
ambulatoire et gratuit des malades mentaux (chaque équipe comporte un poste de
psychiatre, de psychologue, d’assistant social et de secrétaire).
- sectorisation psychiatrique des grandes villes (système intégré de soins
psychiatriques consacré à un secteur de la ville).
- habitation protégée (maisons ou appartements “intégrés” dans le tissu urbain,
supervisés par une équipe médico-psycho-sociale).
- système de soins à domicile (réforme « 107 » en 2011) et en réseau
3 °. Psychothérapie
-
individuelle : d'inspiration psychanalytique ou cognitivo-comportementale à visée
plus directement réadaptative
-
familiale systémique, toujours indiquée si le patient vit encore dans sa famille
d’origine
-
thérapie de groupe (hélas peu répandue en Belgique francophone)
4 °. Approche corporelle (kinésithérapie spécialisée)
- relaxation, remobilisation et massages : expérimenter pour le patient un
fonctionnement corporel agréable et favoriser le réinvestissement du corps propre.
- enveloppement (packing), travail face au miroir de restauration du schéma corporel.
II-2 18
--
5 ° Electrochoc (ou électro-narcose ou sismothérapi e ou « électro-convulsive
therapy - ECT »
Le nombre de synonymes exprime bien l’actuelle mauvaise acceptation sociale de ce
traitement, qui représente pour les patients et leur famille, le sceau de la folie et du
pouvoir psychiatrique coercitif.
Avant l’ère des neuroleptiques, l’E.C.T. constituait
le seul traitement efficace
disponible, mais il a été trop souvent employé dans les troubles du comportement et
sans l’accord du patient ou de sa famille. Actuellement, l’électrochoc reste seulement
indiqué dans les cas de catatonie résistante aux neuroleptiques ou encore contre le
syndrome malin des neuroleptiques. Il s’agit d’une méthode efficace et sûre, mais qui
ne prévient pas les rechutes. Il peut entraîner des troubles de mémoire plus ou moins
transitoires. Rappelons enfin que dans la mélancolie résistante aux antidépresseurs, il
représente une bonne indication et permet une amélioration rapide.
6° Soutien aux familles – Associations de patients
Des
associations
de
soutien
aux
familles
de
schizophrènes
peuvent
être
recommandées. Elles fournissent des renseignements, des explications, des
possibilités de rencontre, une assistance sociale et juridique pour les familles
(SIMILES). Il existe des associations d’usagers des services de santé mentale,
agissant en faveur de la prise en compte des souhaits, revendications et droits des
« consommateurs » de services psychiatriques (PSYTOYENS).
N.B.: le traitement de la schizophrénie s’avère complexe. Suivant la gravité du cas,
l’assistance thérapeutique sera intensifiée. Si les neuroleptiques et les nouvelles
modalités institutionnelles facilitent la prise en charge, l’élément essentiel du
traitement demeure la capacité à nouer une relation de confiance avec le patient
et son entourage, pour le long terme.
2.2.7.- TROUBLES SCHIZO-AFFECTIFS
Aussi appelée “schizophrénie affective” (Kasanin, 1933) ou “trouble schizo-affectif”
(D.S.M.IV), cette affection comporte une symptomatologie à la fois évocatrice des
troubles de l’humeur (P.M.D.) et de leur évolution cyclique mais aussi des épisodes
dissociatifs aigus avec délire, hallucination, parfois catatonie. L’humeur est souvent
exaltée lors de l’épisode aigu alors que la dépression accompagne la diminution du
délire. Le diagnostic se fera sur la persistance de symptômes schizophréniques
II-2 19
--
(éventuellement résiduels) en dehors des périodes de troubles de l’humeur. Le risque
suicidaire est
particulièrement
immédiatement après.
important
dans la phase de
“descente”
ou
Cependant, le pronostic est considéré généralement plus
socialement favorable que pour les autres schizophrénies en raison de la plus longue
durée des intervalles libres de symptômes.
Cette affection répond à la prophylaxie par les thymorégulateurs et surtout par le
Valproate ou la Carmabazépine qui doit être complété par tout le dispositif de la prise
en charge de la schizophrénie. Il est aussi possible qu’il ne s’agisse pas d’une entité
absolue, mais bien d’un tableau pathologique résultant de la combinaison d’une
schizophrénie et du retentissement affectif particulier résultant de la maladie
schizophrénique. Il s’agit encore aujourd’hui d’un diagnostic d’exclusion, même s’il
gagne en popularité chez les cliniciens.
II-2 20
--
8.- REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
-
Conférence de consensus (France)
Stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques (440 p.)
Etiditions Frison-Roche, Paris, 1994
-
Jablensky A., Sartorius N. et coll.
Schizophrenia : manifestations, incidence and course in different cultures.
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De Boeck, Ed. 1999
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De Neuter P.
« Les folles passions de Louis II de Bavière », Ed. Point hors ligne, Paris 1993
II-2 21
--
2.3.
LA PARANOÏA
2012
2.3.1.- INTRODUCTION
Durant le 19ème siècle, la paranoïa était à peu près synonyme, non seulement de
délire mais également de troubles intellectuels. A cette époque, 80 % des cas d’asiles
étaient catalogués comme paranoïa.
Aujourd’hui, la paranoïa est d’abord considérée comme l’expression ultime d’un
caractère. L’évolution vers une forme délirante n’est pas obligatoire et le caractère
paranoïaque peut rester socialement acceptable : le patient peut d’abord être perçu
comme un observateur fin, énergique, ambitieux et capable. Lorsque le patient
consulte, c’est parce qu’il s’y voit contraint suite à des troubles du comportement
(altercations) ou encore qu’il développe finalement un délire systématisé. Dans les
deux cas, il est fréquent que la demande soit adressée au médecin par l’entourage
plutôt que par le patient lui-même. Parfois le vécu persécutoire peut amener l’individu
au découragement, à de la fatigue, et à une forme de dépression agressive.
2.3.2 La personnalité paranoïaque
1°.
Description
La personnalité paranoïaque se distingue par 4 critères essentiels. Ceux-ci
peuvent généralement être mis en évidence dès le début de l’âge adulte.
1) L’individu est méfiant. Il est constamment sur ses gardes, persuadé qu’on lui
veut du mal. Il ne peut croire en la loyauté ou la fidélité de ses proches. Même
lorsque ceux-ci se montrent chaleureux à son égard, il ne peut croire en
l’authenticité de leurs sentiments (critère a).
2) La personnalité paranoïaque est également marquée par la rigidité
psychique. L’individu ne peut mettre en cause sa manière d’appréhender les
événements. Comme pour le Duc de Saint-Simon, on pourrait dire de lui qu’il
est « immuable comme Dieu et d’une suite enragée » (critère b).
3) Il rapporte tout événement à sa personne et y déchiffre le plus souvent une
intention hostile à son égard (critère c) : on parle ici d’hypertrophie du Moi.
4) Enfin, on note une fausseté du jugement (par jugement , il faut entendre la
décision mentale par laquelle nous posons le contenu d’une assertion comme
vérité) (critère d). Ainsi, une religieuse était persuadée d’être haïe par la mère
supérieure de son couvent. A partir de cette assertion, elle pouvait expliquer en
-II.2.22.-
quoi toutes les règles du monastère lui étaient défavorables. En effet, ces
règles étaient imposées par la mère supérieure.
a.
La méfiance :
- Suspicion permanente, impression de préjudice, d’intention hostile
- Mise à distance de l’autre : soit par une politesse excessive,
soit par une agressivité qui peut être
déguisée
b.
c.
d.
La rigidité psychique :
-
Ton péremptoire
-
Intolérance
-
Personnage « à principes »
L’hypertrophie du moi :
-
Confiance en soi excessive et systématique
-
Tendance à tout rapporter à soi
-
Orgueil démesuré
-
Obstination
La fausseté du jugement :
Le raisonnement paranoïaque est correct mais il est basé sur une conviction a
priori qui est fausse, mais qu’il ne peut pas remettre en question.
Dans le D.S.M.-IV., la personnalité paranoïaque est reprise sur l’axe II (301-0)
et sera étudiée également dans le cadre des personnalités pathologiques . Toute
personnalité paranoïaque n’évoluera pas vers la psychose paranoïaque (trouble
délirant chronique)
2°
La personnalité paranoïaque est un type de perso nnalité reposant
essentiellement sur la projection
La projection constitue le mécanisme de défense essentiel du paranoïaque:
c’est le nœud de la formation des symptômes.
Un certain vécu intérieur se trouve frappé d’interdit, rejeté au dehors (projeté),
tout en subissant une déformation (retournement en son contraire) et, sous
cette forme seulement, admis enfin à la conscience. Le cas le plus net est celui
de la persécution : l’amour inavouable que le patient porte à un autre homme se
transforme en une haine que l’autre lui porterait. Le sentiment originaire « j’aime
un homme » se transforme d’abord par négation en « je ne l’aime pas, je le
hais » puis par projection en « ce n’est pas moi qui le hais, c’est lui qui me
-II.2.23.-
hait ». Beaucoup d’homophobies militantes sont des travestissements d’une
homosexualité.
Le sentiment inacceptable est ainsi placé hors du sujet et attribué à un autre
(mécanisme de défense projectif du paranoïaque).
On comprend ainsi que la psychanalyse puisse établir un lien entre
l’homosexualité et la paranoïa. Néanmoins, il s’agit plus d’une relation
spéculaire (en miroir) à l’autre, conçu comme rival, que d’une homosexualité
“généralisée” au sens strict. La paranoïa s’amorce dans une régression ou une
fixation purement spéculaire de l’altérité, contemporaine de la constitution
subjective au stade du miroir (J. Lacan). Le rival est perçu comme un alter-ego
menaçant l’existence et la place légitime du paranoïaque. Le but du malade
sera de se libérer du rival persécuteur en l’éliminant plus ou moins
symboliquement, ce qui peut entraîner un risque pour cette personne (paire de
claque, seau d’eau, jet d’acide, coup de couteau, « meurtre passionnel »).
3°.
La relation avec le soignant
Le patient établit avec le soignant une relation où l’on retrouve la suspicion, la
mise à distance, l’obstination, une mauvaise compliance.
La méfiance est généralement d’autant plus nette que c’est son entourage qui
l’a poussé à consulter. L’expérience thérapeutique du soignant l’aidera à travers
la bonne distance par rapport au patient.
Face à un patient paranoïaque, on est souvent inquiet ou mal à l’aise car son
agressivité revendicative est toujours perceptible et sa position, celle de la pure
victime vertueuse..
2.3.3 La paranoïa délirante (« Trouble délirant » du DSM IV)
L’affection se manifeste habituellement après 40 ans. Le début est insidieux et
progressif, pour se cristalliser subitement dans une croyance délirante
inébranlable. La paranoïa consiste essentiellement dans un délire systématisé,
sans hallucination et sans variation importante de l’humeur. La conviction
délirante est absolue et sans faille.
1°.
Les caractéristiques communes des délires paran oïaques
a.
Le délire paranoïaque éclot sur un terrain caractériel paranoïaque.
b.
Tout événement prend un sens et est interprété.
-II.2.24.-
c.
Le délire est logique : les prémisses sont fausses, mais le raisonnement
est correct.
d.
C’est un délire systématisé : le délire s’organise autour d’un noyau
stable et s’enrichit au rythme des interprétations. Finalement, toute
perception est interprétée en fonction du thème délirant, le monde est
organisé selon un système.
2°.
Les différents types de délires paranoïaques
Classiquement, les délires sont classés selon 5 thèmes principaux :
a.
Le délire de persécution : il s’agit d’un besoin de tout interpréter en
raison d’un sentiment de persécution, d’intention hostile ou de malveillance.
b.
Le délire de jalousie : le patient pense être trompé. Il surveille et épie
son rival supposé et s’intéresse assidûment à une personne de même sexe,
dont il veut « tout savoir ».
c.
Le délire érotomaniaque : le patient est fermement persuadé d’être aimé
secrètement ou inconsciemment d’une personne, qu’il encourage à reconnaître
sa passion. Le paranoïaque passe alors par la séquence de l’espoir, du dépit et
enfin de la rancune. L’espoir (d’être aimé et de recevoir un signe tangible de
l’autres), le dépit (qu’il ne se déclare pas et soit si lâche) et enfin la rancune (de
lui avoir fait croire en son amour et maintenant de l’abandonner).
d.
le délire mégalomaniaque : inflation et sentiment de toute puissance
(inatteignable !).
e.
Le délire de revendication : il apparaît à l’occasion d’une injustice vraie
ou supposée, dont le patient se croit la victime. On retrouve ici les quérulents
processifs
qui
vont
de
procès
en
procès
ou
encore
les
délirant
hypochondriaques qui manifestent une préoccupation outrancière par rapport
au bon fonctionnement d’un organe ou du corps en général. Ces derniers
peuvent aussi intenter des procès interminables à leur médecin en fonction
d’erreurs médicales supposées (oubli de pince ; installation d’un petit appareil
de contrôle etc…)
2.3.4.- DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
Si le caractère paranoïaque ne pose pas de difficulté de diagnostic, le tableau
paranoïaque délirant est à distinguer clairement de la schizophrénie paranoïde, en
tenant compte de l’absence de dissociation, d’autisme, d’hallucination et d’évolution
pseudo-démentielle. Le délire a un caractère plus systématisé, plus cohérent, mono-II.2.25.-
idéïque. Le début est plus tardif (plus de 40 ans) et l’évolution plus lente que dans la
schizophrénie.
Une “paranoïa aiguë” sans caractère prémorbide typique, peut survenir dans le cadre
d’une consommation de cocaïne. Des idées de persécution, de jalousie ou
d’hypochondrie, sans délire très organisé, peuvent se rencontrer chez le vieillard, au
cours d’une affection démentielle.
2.3.5.- TRAITEMENT
Le traitement sera d’autant plus efficace qu’il est précoce. Il s’appuie sur la
psychothérapie de soutien, l’accompagnement conjugal ou familial, les neuroleptiques
et éventuellement l’hospitalisation, libre ou contrainte.
1°.
La personnalité paranoïaque
L’attitude du praticien est essentielle et délicate. En effet, il lui faut être attentif à la
souffrance du patient, sans pour autant justifier ou même renforcer son attitude.
D’autre part, si le médecin prend une position trop critique ou trop tranchée, il risque de
rompre toute relation thérapeutique.
Comme dans le cas de Blanche, le médecin peut également encourager à un
aménagement des conditions de vie (contacts sociaux, professionnels, familiaux),
parfois avec l’aide de l’entourage.
Sur le plan chimiothérapique, des neuroleptiques incisifs s’avèrent utiles mais d’un
effet limité (Haldol ®, Impromen ®). C’est par l’association d’une médication et d’une
psychothérapie à caractère exploratoire et de soutien que l’on pourra espérer pour le
patient une existence plus harmonieuse et décontractée. Dans ce cadre-là, un
médecin ou un psychologue clinicien formé à la psychothérapie pourra tenter une
déconstruction des fortifications intérieures et éviter une accentuation de la
rigidification du caractère.
2°.
La paranoïa délirante
Celle-ci nécessite une prise en charge spécialisée. Lorsqu’il existe un persécuteur
désigné, ou une jalousie délirante, l’hospitalisation peut devenir incontournable, avec
ou sans le consentement du patient (loi du 26.6.90 sur la protection de la personne du
malade mental). Les neuroleptiques doivent être utilisés à fortes doses mais n’auront
qu’un effet superficiel sur le noyau délirant, qui le plus souvent persistera, même si la
conviction s’est relativisée.
-II.2.26.-
2.3.6.- PRONOSTIC
Le pronostic est en général mauvais en raison de la rigidité psychique.
Pour les cas constitués et fixés, l’évolution s’avère chronique et l’on ne peut compter
que sur une atténuation de la conviction délirante. Outre le danger d’un passage à
l’acte hétéro-agressif, existe le danger d’abus alcooliques répétitifs.
Par contre, quand la paranoïa n’est pas encore figée en un délire parfaitement
systématisé, un traitement combiné (neuroleptiques + psychothérapie) peut influencer
le décours et soit le stabiliser, soit même permettre une rémission des symptômes.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES UTILES POUR APPROFONDIR LA QUESTION
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Publications des Facultés universitaires Saint-Louis - Bruxelles - 1981
De Waelhens A.
La psychose
Editions Nauwelaerts - Louvain - 1972
Follin S.
Vivre en délirant
Les empêcheurs de penser rond- Paris - 1992
Grivois H.
Psychose naissante, psychose unique ?
Masson – Paris - 1991
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De la psychose paranoïaque dans ses Rapports avec la Personnalité - Thèse
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-II.2.27.-
CAS CLINIQUES
1°.
Un cas d’expertise de paranoïa délirante : Mons ieur E.
Monsieur E. est né en 1925 dans un pays de l'est de l'Europe, dans une famille de fermiers
aisés. Il est le 3e enfant d'une fratrie de 4. Son père, actuellement âgé de 92 ans, a toujours été
en bonne santé.
Alors qu'E. avait 14 ans, sa mère, qu'il adorait, meurt terrassée par la fièvre typhoïde. Un an
plus tard, éclate la 2e guerre mondiale. En 1942, il est déporté par les Allemands comme
travailleur dans une ferme allemande. Là, il est apprécié pour son courage et son sérieux, et il
apprend l'allemand.
En 1945, libéré par les alliés, il choisit de ne pas retourner dans son pays d'origine, devenu
communiste. Il émigre en Belgique suite à la signature d'un contrat d'engagement comme
mineur de fond et s'installe dans une bourgade houillère du « Pays noir ». Dans l'exploitation
minière, il est bien aimé des ingénieurs et de ses collègues ouvriers. Il apprend le français.
En 1950, il est promu porion (responsable de 30 à 35 ouvriers). Ayant fait la connaissance en
1948 d'Henriette A. , il l'épouse en 1950. A partir de 1953, il ouvre, sous le nom de sa femme,
un café-cantine (continu 24 h. sur 24) qui lui rapporte beaucoup d'argent. En 1957, suite à la
méconduite supposée de sa femme, il demande la séparation; en 1958, le divorce est prononcé
et il est pensionné du charbonnage après de longues démarches pour se faire reconnaître une
invalidité pulmonaire qui ne le gênera plus guère par la suite. Monsieur E., seul et pensionné,
continue l'exploitation très prospère du café jusqu'en 1962. Il rencontre Suzanne S., en instance
de divorce, qui a un enfant de 5 ans, Jean-Marie. Ensemble, ils reprennent la gérance d'un
magasin d'alimentation dont, malgré un dur labeur, il ne retire que peu de gains et qu'il décide
bientôt d'abandonner (1963).Il ouvre alors un bar avec "serveuse" le long d'une route, qui lui
sera, dit-il, un excellent rapport. En 1965, il se marie avec sa concubine, Suzanne S.
En 1967, Monsieur E. consulte pour « dépression nerveuse » un médecin généraliste. L'origine
de cette dépression aurait été le comportement entêté et contrariant de sa femme. Il ne suit pas
de traitement et ne se représente plus en consultation. En 1969, naît Maurice, le fils ardemment
désiré. Dès l'année suivante, débutent les conflits avec le beau-fils, Jean-Marie, qui a alors 14
ans. Celui-ci commencerait à traiter Monsieur E. de sale immigré. « Depuis que mon fils est né,
c'est alors qu'ont commencé mes misères » dit-il. Les relations avec sa femme ne font que se
dégrader : Monsieur E. a le sentiment d'être exploité et il est très jaloux. Il imagine de quitter sa
femme mais se décide finalement à rester pour l'éducation de son fils, Maurice.
-II.2.28.-
En 1976, quand son fils Maurice lui apprend que « Jean-Marie a caressé Maman », il comprend
subitement tout ce qui se tramait autour de lui. Sa femme serait l'objet d'un chantage de la part
de son propre fils, Jean-Marie. Elle devrait lui verser de l'argent pour qu'il ne révèle pas le
secret infamant de leurs relations sexuelles incestueuses. A travers de multiples indices, des
paroles où il comprend des sous-entendus, des regards de connivence ou de crainte, Monsieur
E. se persuade totalement de la réalité de la relation incestueuse entre le fils et la mère, et des
visées de son beau-fils sur sa fortune. Il décrit Jean-Marie comme un garçon sans-gêne, qui
« se promène torse nu dans la maison pour faire admirer ses muscles ». Il accroît son contrôle
sur les dépenses du ménage et ne permet plus d'aparté « entre le fils et la mère ».
En 1978, son beau-fils se marie à l'âge de 21 ans. C'est Monsieur E. qui finance la cérémonie
et l'installation des jeunes époux dans une commune voisine, dans l'espoir de voir s'éloigner le
fils de la mère.
Après le mariage, de nouveaux doutes assaillent Monsieur E. : sa femme n'aurait-elle pas eu
des relations sexuelles avec son propre père, avec son frère, avec l'ami de sa mère, avec un
cousin ? Lui-même n'a plus de relations sexuelles avec sa femme. Bientôt, il se sent menacé
par tous ces hommes amants de sa femme. Il est convaincu que son beau-fils a saboté les
pièces les plus coûteuses de sa nouvelle voiture. Son beau-fils est à la tête de la conspiration
qui a pour but de le supprimer lui, dans un premier temps, son fils Maurice dans un deuxième
temps, en vue de s'accaparer définitivement de sa fortune.
Le lundi 14 mai 1979, il va faire part de ses craintes d'être assassiné au commissaire de police
de l'arrondissement qui, selon le patient, ne l'écoute pas et refuse d'intervenir. Monsieur E.
comprend alors que le commissaire est à la solde de son beau-fils Jean-Marie et qu'il doit se
taire. L'après-midi même, le petit Maurice que les autres essayeraient de détourner de son
père, refuse de faire ses devoirs avec lui. La signification est très claire : le complot consiste à
persuader Maurice que Monsieur E. n'est pas son vrai père. Le soir même, Monsieur E. place
dans le coffre de sa voiture la carabine 22 L.R. qu'il avait achetée 3 mois auparavant. Il est
alors tout à fait convaincu de ne pouvoir compter que sur lui-même pour se défendre. La nuit
est très agitée. Néanmoins, le mardi se passe dans une surveillance active mais sans heurts.
Le mercredi 16 mai, alors qu'il conduisait sa femme et son beau-fils à leur travail, Monsieur E. a
la certitude subite que son beau-fils assis sur la banquette arrière prépare un mauvais coup : il
va sans doute le poignarder dans le dos avec son couteau de poche. Comme Monsieur E. ne
le quitte pas du regard dans le rétroviseur, la voiture fait un écart et Jean-Marie le traite de
« conducteur du dimanche ». C'est une provocation et le signal qu'il va passer à l'attaque
physique. Monsieur E. s'arrête alors au bord de l'autoroute, prend sa carabine dans le coffre et
abat son beau-fils sur la banquette arrière. Selon lui, il aurait agit en pure légitime défense.
-II.2.29.-
L'épouse s'étant enfuie dans la campagne, il se rend immédiatement à la gendarmerie pour y
faire sa déposition. Là, il est arrêté, puis conduit en prison, ce qu'il considère comme la plus
grande injustice.
Conclusion de l'expertise
Monsieur E. est atteint de paranoïa. La personnalité prémorbide est tout à fait en relation avec
l'aboutissement pathologique : mémoire toute puissante, intelligence (il parle couramment 4
langues), opiniâtreté, orgueil, méfiance, isolement socio-culturel (transplantation). Les premiers
signes semblent avoir été la dépression passagère de 1967, expression de sa souffrance par
rapport à l’hostilité qu’il ressent autour de lui. La maladie s'est alors développée régulièrement à
partir de la naissance du fils, Maurice, en 1969. Il est bien remarquable que l'activité,
l'intelligence, la volonté soient restées bien conservées, alors que le jugement s'altérait et qu'un
délire de persécution et de jalousie, centré sur le personnage de son beau-fils (le rival), se
systématisait.
A partir de 1978, Monsieur E. s'est vraiment senti menacé et a vécu dans un état d'angoisse
délirante, pour sa vie et celle de son fils Maurice. Le jour du crime, c'est bien pour se sauver, lui
et son fils, qu'il a abattu son beau-fils Jean-Marie, comme en légitime défense.
Un traitement à base de fortes doses de neuroleptiques (Halopéridol) n'a que peu influencé la
nature ni l'intensité du délire de Monsieur E.
Du point de vue pénal, l’état mental de Monsieur E. le rendant incapable du contrôle de ses
actions, l'internement dans un établissement de défense sociale fut alors décidé par la Justice.
Dix ans plus tard, le patient y séjournait encore, son état ne s'étant quasiment pas modifié.
2°.
Un cas de consultation de personnalité paranoïa que : Blanche
Blanche est une femme de 64 ans, mariée depuis l'âge de 19 ans à un militaire et mère de 6
enfants, actuellement hors de la maison. Elle se présente à la consultation de psychiatrie sur le
conseil de son médecin généraliste en raison d'une « dépression rebelle ». Elle se plaint de
découragement, de fatigue, d'insomnie. Le découragement concerne essentiellement la relation
au mari : quoi qu'elle tente pour l'intéresser ou « être gentille avec lui », il se détourne d'elle,
l'abandonne seule à la maison, soit pour rendre visite à d'anciens amis de l'armée, soit pour
faire son jardin et bavarder avec la voisine. Si le mari est l'objet de reproche, c'est finalement la
voisine qui apparaît comme la cause de tous ses maux.
-II.2.30.-
Blanche pourrait encore accepter tout ce que lui fait vivre son mari (faible salaire, nombreux
enfants, déménagements multiples) mais cette dernière avanie de son amitié avec la voisine,
« ça ce n'est plus possible, ça dépasse les bornes ». Elle a le projet de « remettre cette femme,
cette enjôleuse, cette putain à sa place et de lui dire ses quatre vérités ». Elle pense qu'il sera
peut-être nécessaire de la gifler pour lui faire bien comprendre ...
Dans l'entretien, nous apprenons encore que l'ennemie représente à peu près une image en
négatif de Blanche : elle a toujours vécu depuis son enfance dans le quartier où Blanche et son
mari viennent de s'installer, elle paraît en très bon accord avec son mari et avec ses enfants
(Blanche reproche à ses enfants de ne plus s'occuper d'elle et d'être des ingrats), elle est
grassouillette (Blanche est maigre), blonde aux cheveux longs (Blanche est grise et coupée
court), toujours souriante (pour Blanche, la situation ne prête pas à sourire) ... La voisine est
enjouée, elle part régulièrement en vacances, reçoit des amis et ...bavarde avec le mari de
Blanche par dessus la clôture.
Dans le décours des séances de psychothérapie de soutien, il sera possible à Blanche de
prendre conscience de la fascination qu'exerce sur elle sa voisine, et de surmonter cette rivalité
morbide en s'appropriant quelques unes des caractéristiques si enviées chez l'autre : Blanche
peut se permettre un peu de coquetterie, d’acheter des vêtements, d'aller chez le coiffeur. Elle
sera encouragée à augmenter sa vie sociale personnelle en fréquentant des clubs d'activités
pour les retraités, à accepter mieux la vie propre de ses enfants et de ne pas attendre de leur
part une gratitude exprimée pour les sacrifices qu'elle s'était imposés pour eux. Plus avant dans
la thérapie, il fut également possible de parler des situations de rivalité éprouvée dans la petite
enfance
(vis-à-vis du frère né la même année qu'elle) puis dans l'adolescence lors du
remariage du père laissé veuf par le décès de sa mère alors que Blanche avait 9 ans. La
patiente a pu gagner une certaine distance par rapport à ces situations traumatisantes
anciennes et récentes, et ainsi abandonner son attitude agressive, génératrice d'un tableau
pseudo-dépressif, mais indubitable expression d’une structuration paranoïaque de sa
personnalité.
-II.2.31.-
3. TROUBLES NÉVROTIQUES ET ANXIEUX
2012
3.1. INTRODUCTION
Nous allons prendre ce chapitre concernant les troubles anxieux par le biais du concept de
névrose et de l’angoisse qui en est l’élément commun.
Ce chapitre comprend deux parties. La première est une introduction à la compréhension de
l’angoisse grâce à la théorie psychanalytique. La deuxième est l’exposé des différentes
entités nosographiques.
Nous tacherons de faire le lien entre la nosographie
psychanalytique, qui nous semble la plus intéressante pour l’approche psychodynamique de
ces troubles psychiques et les nosographies anglo-saxonnes (DSM IV) qui jouissent d’une
reconnaissance internationale mais sont aussi plus objectivantes et réductrices.
Essayons de différencier les notions de peur, de frayeurs et d’angoisse :
-
La peur suppose un objet déterminé en présence duquel on éprouve ce sentiment.
-
La frayeur est un état provoqué par un danger actuel auquel on n’est pas préparé
(surprise).
-
L’angoisse est sans objet contrairement à la peur.
-
L’angoisse est un état d’attente de danger, de préparation au danger, connu ou inconnu.
Ce qui fait donc peur c’est la possibilité d’une apparition de l’angoisse.
La peur est à
comprendre à partir de l’angoisse. L’angoisse est le fondement de la peur, elle est le
phénomène fondamental, le moteur même des états de peur. En entrant, dans la peur, en
connexion avec le monde sur le mode de la fuite ou de l’attaque, le sujet ou le vivant cherche
à éviter le danger de la réaction catastrophique qui se définit par l’impossibilité même
d’entrer en relation efficace avec le monde.
II - 3
- 1 41
3.2. L’APPORT DE LA PSYCHANALYSE DANS L’APPROCHE DES
TROUBLES NÉVROTIQUES ET ANXIEUX
3.2.1. LA NÉVROSE, LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE.
A l’instar de l’ approche philosophique, la théorie psychanalytique permet un compréhension
de l’angoisse comme phénomène universel qui n’est pas forcément pathologique. Bien au
contraire, l’angoisse est appréhendée comme un élément central du psychisme : il s’agit de
l’affect de base à partir duquel tout le psychisme va se construire. L’angoisse est une
réaction face à une situation de danger. Il y a selon Freud, trois grands dangers : le monde
extérieur, la libido (énergie sexuelle au sens large), la crainte des interdits (surmoi).
L’angoisse névrotique est proche de l’angoisse des enfants, elle est liée au désir et à la
sexualité.
Il en découle qu’au niveau thérapeutique, il ne suffit pas d’avoir comme unique
visée sa disparition.
Au contraire, une élaboration de l’angoisse considérée comme un
signal d’un danger profond, ouvre vers la compréhension de nos conflits inconscients.
En réduisant tous les troubles à une série de symptômes, le DSM a peut-être permis une
simplification des repères nosographiques. Mais ce faisant, cette approche nous prive de la
valeur fondamentale des symptômes psychiques, à savoir qu’ils ont un sens et qu’ils sont
une construction (inconsciente) que tout sujet humain connaît pour faire face au conflit entre
ses désirs et les interdits qui les concernent (conflit intrapsychique présent chez tout être
humain) . Le DSM IV conduit à une faillite de la psychiatrie psychodynamique. Il n'arrive
pas à rendre compte de la réalité humaine.
Les différentes révisions ainsi que le
développement de la notion du spectre des troubles anxieux ne peuvent que l'ébranler.
Nous pensons qu’il est important de garder le terme de névrose étant donné qu’il renvoie
aux théories psychanalytiques et donc à l’idée d’inconscient et de sexualité.
Points
indispensables dans l’approche de l’angoisse.
3.2.2. DÉFINITION DU CONCEPT DE NÉVROSE
Les névroses sont des maladies du système nerveux considérées comme fonctionnelles et
non lésionnelles. Il s’agit d’un trouble essentiellement psychologique tout en sachant qu’il y
a toujours plus d’un facteur étiologique à la source d’un trouble mental (il existe des facteurs
facilitants génétiques ou neuroendocriniens). Les névroses, même si elles se déclenchent à
l’adolescence ou l’âge adulte sont généralement acquises au cours de l’éducation.
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- 2 41
La névrose telle que décrite en psychopathologie est une accentuation quantitative de
phénomènes propres au psychisme normal. Il n’y a pas de discontinuité qualitative entre un
sujet souffrant d’une névrose qu’on pourrait qualifier de pathologique et un sujet « normal »
dont on peut dire qu’il a une névrose commune. La névrose de distingue de la psychose
dans laquelle le sens de la réalité est perturbé et de la perversion dans laquelle il n’y a pas
eu un refoulement suffisant des pulsions.
3.2.3. LES QUATRE TYPES DE NÉVROSE
Etant donné la fuite impossible face au danger des désirs puisqu’il s’agit d’un danger interne,
le psychisme se construisant a des réactions de défenses psychiques comme le refoulement
(c’est-à-dire rendre inconscient des désirs interdits).
Lors de cette construction du
psychisme, il peut y avoir en fonction de l’intensité, création de symptômes ou de structure
névrotique plus ou moins problématique qui sont également, en quelque sorte, des défenses
contre l’angoisse.
Classiquement, on distingue quatre types de névroses qui se différencient par le style de
leurs symptômes mais qui sont toutes des tentatives de se protéger de l’angoisse,
phénomène de base. Cette distinction repose sur des tableaux cliniques différents, des
mécanismes pathogéniques différents et débouche sur des approches thérapeutiques
souvent différentes.
La névrose d’angoisse présente comme symptômes l’angoisse à l’état pur, qu’elle soit
angoisse constante ou crise d’angoisse. Dans la névrose phobique, l’angoisse se fixe sur
des objets extérieurs (ex : phobie de l’ascenseur, agoraphobie…) ou des situations
extérieures (ex : examen, présentation publique, …). L’intérêt très concret de ce mécanisme
est que l’angoisse ainsi projetée à l’extérieur permet au névrosé phobique d’éviter l’objet ou
la situation. La névrose obsessionnelle se caractérise par toutes sortes de contraintes allant
des compulsions (rites de lavage ou de vérifications) aux obsessions (idées obsédantes dont
on reconnaît le caractère absurde mais dont on ne peut se débarrasser). Il s’agit dans ce
cas-ci d’essayer de contrer l’angoisse par des comportements. Dans la névrose hystérique,
l’angoisse est convertie, transformée en symptômes corporels (ex conversion sous forme
d’anesthésie ou de paralysie.)
Au-delà de la différence des symptômes, les sujets souffrant de ces
névroses se
différencient par un style relationnel différent et correspondent à des problématiques de fond
II - 3
- 3 41
différentes. À titre didactique, voici une approche simplifiée de ces névroses considérées
comme l’amplification d’une peur fondamentale à chaque fois spécifique.
Il existe quatre peurs fondamentales. Avant de les expliciter, il convient de préciser ce que
nous entendons par « peur fondamentale » et par « amplification » :
-
une peur fondamentale est une peur que chacun d’entre nous connaît pour l’avoir
déjà vécue à minima ;
-
l’amplification d’une peur fondamentale est telle qu’elle envahit toute la vie de la
personne et permet de rendre compte de ses émotions, de ses paroles, de ses
gestes ; cette peur amplifiée handicape la personne dans sa vie quotidienne.
Chacun d’entre nous a déjà fait face à la peur de la séparation, lors d’un deuil, d’un voyage
à l’étranger… On se sent séparé d’une personne aimée par les aléas de la vie, sans pour
autant douter de son amour.
La deuxième peur fondamentale est la peur qu’un tiers nous empêche d’obtenir ce que
nous désirons. Ainsi, lorsque nous nous rendons chez le banquier afin de solliciter un prêt,
nous nous sentons énervés, énervés parce qu’il pourrait refuser notre demande et ainsi nous
empêcher d’obtenir ce que nous souhaitons.
La troisième peur fondamentale est la peur de mal faire. Un étudiant en médecine est
« stressé » lorsqu’il doit faire sa première ponction pleurale. En fait, il a peur de la rater et de
nuire au patient, il a peur de lui faire mal…
La dernière peur fondamentale est la peur de ne pas être aimé. Lorsque nous sommes
invités à une soirée où nous ne connaissons pas grand monde, nous nous sentons nerveux
en y allant : comment cela va-t-il se passer ? Les gens seront-ils sympas ? En un mot, vontils m’apprécier ?
La névrose est l’amplification d’une de ces quatre peurs fondamentales. La névrose
d’angoisse est l’amplification de la peur de la séparation ;
la névrose phobique est
l’amplification de la peur qu’un tiers nous empêche d’obtenir ce que nous désirons ; la
névrose obsessionnelle est l’amplification de la peur de mal faire ; la névrose hystérique est
l’amplification de la peur de ne pas être aimé.
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- 4 41
Néanmoins, il faut constater que dans la vie de tous les jours, les gens ne savent pas de
quoi ils ont peur, ils ressentent plutôt un malaise diffus. En ce sens, il convient mieux de
parler d’angoisse.
Tout être humain connaît l'angoisse.
Ces différentes manières, décrites comme
pathologiques, de vivre l'angoisse et de s'en défendre par des processus inconscients
existent en réalité chez tous les êtres humains, y compris donc chez les gens normaux. Il n'y
a donc pas de transition tranchée dans ce domaine, entre le normal et le pathologique. C'est
l'intensité de l'angoisse, l'intensité de tel ou tel phénomène de défense contre celle-ci, la
souffrance éprouvée par le patient, la perturbation éventuelle suscitée dans sa vie familiale,
professionnelle et sociale qui fait désigner comme pathologiques certains tableaux cliniques.
Tout être humain vit non seulement l'angoisse, mais vit aussi inconsciemment les trois
principaux types de défense décrits contre cette angoisse : phobique, obsessionnel et
hystérique. De manière atténuée, ces trois réactions de défense et l'angoisse elle-même
sont présentes chez tous.
Il en va de même dans les cas pathologiques. Dans toute névrose, nous trouverons donc
présentes, à la fois, les quatre sortes de névroses. Ce qui permet les distinctions cliniques,
c'est que chez beaucoup de patients, un mode de défense est fortement privilégié et amplifié
par rapport aux autres, donnant ainsi un aspect particulier à la clinique.
Nous devons donc garder clairement présent à l'esprit :
-
que les quatre formes de névroses ne sont pas exclusives les unes des autres ;
-
que le même patient peut présenter donc à la fois des traits névrotiques de plusieurs
catégories différentes ;
-
que le même patient peut passer en cours d'évolution d'un type clinique à l'autre ;
-
que, cependant, le cas le plus fréquent, est que chez un patient déterminé, un type
clinique de névrose prédomine et reste prédominant.
La névrose n'est pas un phénomène dont l'intensité soit stable dans le décours du temps.
Selon l'importance des frustrations rencontrées, selon aussi l'importance des satisfactions
obtenues dans son milieu familial, professionnel et social, l'angoisse vécue par un sujet
variera beaucoup. Il s'agit d'ailleurs d'un phénomène banal : qui n'a ses bons et mauvais
jours, ses bonnes et mauvaises périodes ?
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Pour ces raisons, les troubles névrotiques, dans leur immense majorité, sont variables dans
le temps. Ils peuvent apparaître et disparaître, augmenter ou diminuer d'intensité.
Il sera donc toujours important, au niveau clinique, de repérer chez un patient si on a affaire
à un trouble névrotique chronique fluctuant peu, à un trouble névrotique intermittent
apparaissant par périodes dans la vie du sujet, ou enfin à un trouble névrotique récent,
d'apparition accidentelle dans la vie du patient. L'attitude thérapeutique variera en effet
selon cet aspect de déroulement dans le temps.
Ce sont ces variations d'intensité dans le temps qui conduisent également certains auteurs à
faire la distinction, chez les patients, entre la personnalité névrotique stable de base et les
phénomènes névrotiques aigus de décompensation.
Dans la clinique pratique, toutes les nuances et formes de transition peuvent être
rencontrées.
3.2.4. L’ESSENCE DE L’ANGOISSE D’APRÈS LA THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
Au delà de la nosographie, l’important est de comprendre la source et le mécanisme de
l’angoisse qui est à l’œuvre dans la névrose. Nous ne parlerons donc pas ici des angoisses
psychotiques comme les angoisses de morcellement. Pour la psychanalyse, l’angoisse est
un affect fondamental, celui autour de quoi tout s’ordonne. C’est à Freud que nous devons
l’isolement nosographique d’une pathologie où l’angoisse est le noyau central : il s’agit de la
névrose d’angoisse caractérisée par « une angoisse librement flottante ».
Voici un résumé des idées principales que Freud a découvertes lors de l’analyse de sujets
présentant cette névrose d’angoisse. L’angoisse est considérée par Freud comme un signal
de danger. Elle se distingue de la peur par le fait que le danger n’est pas connu. Cette peur
incompréhensible intéresse particulièrement Freud. Il s’agit en fait de l’angoisse névrotique.
Il l’opposera à l’angoisse de réel (ou angoisse devant quelque chose de réel comme par
exemple la peur du lion - « realangst »). La question que Freud va se poser concerne le
danger de ces angoisses incompréhensibles. Par exemple, l’angoisse du train est encore
compréhensible mais déjà moins logique vu le risque relatif mais quand il s’agit d’angoisse
des araignées, le lien logique disparaît. Freud s’étonnera également que l’enfant présente
des angoisses alors qu’il n’a pas encore appris ce qu’est un danger extérieur (par exemple
un enfant peut se promener sur un toit sans avoir la moindre angoisse mais avoir des
angoisses à d’autres moments). Donc, Freud en conclut qu’il y a une autre source de
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l’angoisse que le danger extérieur. Il y a une source intérieure à l’angoisse. L’angoisse
névrotique est bien liée à un danger mais à un danger intérieur et Freud ajoutera que le
danger intérieur est bien plus difficile à maîtriser puisqu’il n’y a pas moyen de lui échapper.
Quel est ce danger intérieur ? Il s’agit pour Freud de la libido, à entendre comme énergie
sexuelle au sens large, envies, désirs. L’on pourrait se demander en quoi la libido pourrait
être un danger ?
Pour simplifier, la libido peut devenir un danger quand elle se voit
contrariée par les contraintes et les menaces extérieures. Le principe du plaisir rencontre le
principe de réalité. Pour expliquer cela, l’enfant mû par ses désirs et envies rencontre des
menaces appelées par Freud menaces de castration à entendre dans le sens symbolique et
non réel (même si l’on retrouve parfois des menaces bien réelles de castration ex : « si tu
continues
à te tripoter, on va te le couper »).
Le plus souvent, il s’agit pour l’enfant
d’entendre des menaces parfois subtiles et fréquentes ( ex : si tu continues à …, on te laisse
ici - menace de séparation). La simplification suivante permet de mieux comprendre : les
punitions ou les menaces de séparation sont des menaces de castration. Elles vont lier la
pulsion ou l’envie à un sentiment de danger. Quand resurgit la pulsion, il y une réaction
d’angoisse (l’angoisse est un signal de danger). Pour éviter l’angoisse, le refoulement va
repousser les désirs, les fantasmes et créer l’inconscient. Il est important d’ajouter qu’on ne
peut pas réduire cela à un simple conditionnement comportemental. En effet, il n’y a pas de
relation directe entre l’objectivité du danger et l’angoisse. Telle ou telle menace ou punition
sera perçue de manière individuelle et ce en fonction des pulsions et des fantasmes que
l’enfant va construire.
La conséquence thérapeutique est qu’il sera souvent nécessaire
devant chaque patient de rendre conscient le complexe pulsion-menace qui est toujours une
construction subjective et individuelle de tel ou tel psychisme face à tel ou tel environnement
extérieur.
3.2.5. CONSÉQUENCES POUR LA THÉRAPEUTIQUE
D’où vient l’angoisse névrotique, c’est-à-dire une manifestation d’angoisse éprouvée dans
une situation qui, objectivement, ne le justifierait pas ? Elle vient d’un danger qui est à la fois
extérieur et intérieur : le psychisme est débordé par un état d’excitation et de tension
psychique interne. Cet état de tension est lié à la réapparition d’un facteur traumatique
(menace de castration), lui-même en lien avec la pulsion.
Par conséquent, l’approche psychanalytique a pour visée de rendre consciente la motion
pulsionnelle inconsciente afin de retrouver l’origine du danger et son aspect traumatisant.
Une fois ce danger connu, c’est-à-dire découvert par l’analyse, ce danger perd de sa force
par le simple fait qu’un danger connu est beaucoup moins désorganisant qu’un danger
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inconnu. Tant que le danger est inconnu, il garde toute sa puissance. Il est illusoire de
penser que l’on peut toujours faire l’économie de rechercher ce qui est profondément enfoui
dans l’inconscient en prônant une thérapeutique où la confrontation et le dépassement des
peurs est le seul objectif (désensibilisation, immersion). Même si les thérapies
comportementales peuvent être d’un aide importante en cas de symptômes focalisés, il est
parfois nécessaire de conseiller une psychanalyse ou une thérapie analytique notamment
quand
l’angoisse
est
importante
et
les
symptômes
multiples.
L’approche
psychopharmacologique peut parfois être un complément nécessaire pour permettre au sujet
de remonter à la source inconsciente à l’origine de la puissance de l’angoisse.
3.3. LES ENTITÉS NOSOGRAPHIQUES
3.3.1. LA NÉVROSE D’ANGOISSE
A. ÉPIDÉMIOLOGIE
C’est une affection fréquente dont la prévalence pour la vie serait comprise entre 4 et 8%. Le
sex-ratio est de 2 femmes pour 1 homme.
Ainsi, pour l’anxiété généralisée, on relève une prévalence pour la vie située entre 3% chez
l’homme et 6% chez la femme. Pour le trouble panique, ce chiffre varierait de 1,5 à 3,5%
selon les enquêtes.
L’âge moyen de début de ce trouble se situerait entre 21 et 26 ans.
Les enquêtes familiales confirment toutes l’augmentation du risque pour les parents du
premier degré et le risque plus élevé pour le sexe féminin, en tout cas pour le trouble
panique.
B. DESCRIPTION CLINIQUE
Cliniquement, la névrose d’angoisse se manifeste dès la fin de l’adolescence ou chez
l’adulte jeune par des manifestations paroxystiques (crises d’angoisses ou attaques de
panique) sur fond d’anxiété permanente. Les équivalents somatiques sont multiples et
beaucoup plus fréquents que la grande crise d’angoisse. Ils constituent un des motifs les
plus fréquents de consultation médicale.
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1° L’attente anxieuse
C’est le symptôme le plus constant. Il s’agit d’un état d’alerte et de tension, une inquiétude
permanente sans objet défini mais qui peut se concrétiser pour n’importe quel prétexte. Les
peurs sont multiples. Les soucis quotidiens sont démesurément grossis dans leurs
conséquences.
L’anxieux, inquiet, douteur et indécis, rumine interminablement, appréhende le pire pour lui
et ses proches (maladie grave, accident).
Très dépendant de son entourage, ayant sans cesse besoin d’être rassuré, il supporte mal
les séparations et les abandons qui sont souvent l’occasion de réactivations dramatiques de
l’angoisse.
Le terrain anxieux se caractérise par un déséquilibre des régulations neurovégétatives et
humorales, une hyperesthésie sensorielle (intolérance aux bruits), une hyperréactivité
(pleurs faciles, frissons, tremblements, crises vasomotrices et sudorales, irritabilité).
2° La crise d’angoisse
Henry Ey parlait « d’ictus émotif » ce qui traduit bien le début brutal, l’intensité de la
désorganisation, la brièveté d’un accès qui survient sans facteurs déclenchants
immédiatement repérables. La crise submerge brutalement le patient et survient à n’importe
quel moment, alors qu’il est seul ou en public, souvent elle le réveille la nuit en sursaut.
L’angoisse est libre, flottante, sans objet précis : sentiment de danger, de catastrophe
imminente, impression de désorganisation, de déréalisation, de dépersonnalisation,
d’impuissance et de détresse ; parfois peur de mourir, de s’évanouir ou de perdre son
contrôle ou la raison. Parfois il y a des distorsions perceptives auditives ou visuelles.
À la sensation de malaise intense s’associent de façon constante des symptômes
somatiques qui traduisent essentiellement la perturbation brutale du système nerveux
autonome. Le patient est pâle, haletant, couvert de sueurs, tremblant, tachycarde, en proie à
une agitation panique ou immobile, prostré dans l’attente de la catastrophe.
Les symptômes physiques subjectifs sont très accusés : constriction thoracique, gêne
respiratoire, palpitations, vertiges, nausées, brouillard visuel, paresthésies, troubles gastrointestinaux, bouffées vasomotrices. La crise est de durée variable, de quelques minutes à
quelques heures. Le pic d’angoisse est atteint en quelques minutes et la durée excède
rarement une demi-heure (jusqu’à quelques heures). Elle cède en général assez
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brusquement avec parfois débâcle polyurique ou diarrhéique. Une crise intense peut laisser
le sujet épuisé pour des heures. Elle peut rester isolée, ou le plus souvent se renouveler.
3° Les équivalents somatiques
Leur sémiologie polymorphe et trompeuse est dominée par la fréquence des accidents
cardio-respiratoires :
•
Manifestations cardio-vasculaires : crises de palpitations, accès de tachycardie,
lipothymies, précordialgies ...
•
Manifestations respiratoires : dyspnée, poids sur la poitrine et sensation de
constriction, syndrôme d’hyperventillation aboutissant à une crise tétaniforme,
sensations d’étouffement, accès de toux nerveuse, soupirs …
•
Manifestations digestives : boule dans la gorge (spasmes pharyngés), difficultés de
déglutition, dyspepsie, barre épigastrique, « creux à l’estomac », spasmes gastriques
ou intestinaux, colite spasmodique, coliques, spasmes ano-rectaux avec ténesme ou
épreintes, crises de hoquet, faim ou soif paroxystiques, diarrhée, constipation …
•
Manifestations génito-urinaires : douleurs abdomino-pelviennes, cystalgies à urines
claires, pollakiurie, impériosité mictionnelle, crises polyuriques, troubles sexuels à
type d’inhibition (frigidité, éjaculation précoce, impuissance) …
•
Manifestations cognitives : difficultés de concentration, troubles de la mémoire …
•
Manifestations neurologiques, sensorielles ou musculaires : céphalées, lombalgies,
algies posturales, prurit, crises de tremblements, bourdonnements d’oreille, crises
vertigineuses avec sensation de dérobement des jambes ou d’instabilité à la
marche …
•
Troubles du sommeil : difficultés d’endormissement, réveils nocturnes fréquents,
cauchemars, rêves pénibles, sommeil non récupérateur, terreurs nocturnes …
•
Fatigue confinant parfois à l’épuisement.
C. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
La crise d’angoisse pose souvent un problème d’urgence médicale. Une anamnèse précise
et un examen clinique sérieux et complet permettent d’éviter des erreurs parfois graves de
conséquences dans un sens comme dans l’autre :
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- 10 41
• Devant un tableaux anxieux, il faut savoir reconnaître une affection organique dont il
peut constituer la manifestation initiale : crise d’angor, infarctus du myocarde,
prolapsus de la valve mitrale, embolie pulmonaire, crise d’asthme, épilepsie temporale,
hyperthyroïdie, vertige labyrinthique (maladie de Ménière), hypoglycémie, porphyrie
aiguë, phéochromocytome…
• À l’inverse, devant un équivalent somatique, il faut savoir reconnaître l’origine anxieuse
des manifestations d’angoisses si l’on veut éviter la multiplication des investigations
dont la négativité ne rassurera qu’un temps l’anxieux, enclin à privilégier une cause
organique et à mieux s’identifier à des diagnostics peu précis et douteux comme la
spasmophilie, l’hypoglycémie idiopathique, le colon irritable ou l’aérophagie
• Enfin une difficulté supplémentaire vient de l’intrication de facteurs émotionnels et
organiques comme par exemple une pathologie anxieuse séquellaire après un
authentique accident cardiaque.
L’angoisse peut se rencontrer dans toute la pathologie mentale. Il est sans doute plus difficile
de distinguer une névrose d’angoisse :
Des névroses structurées :
Névrose phobique : craintes systématisées permanentes, stables,
thèmes particuliers : nosophobie, thanotophobie .
Hystérie de conversion : symptôme fixe, stable, livré avant tout comme
étant d’origine somatique.
Névrose obsessionnelle.
De l’angoisse psychotique :
Angoisse
de
discordante,
dépersonnalisation
sentiment
et
d’hostilité,
de
néantisation,
ambivalence,
affectivité
opposition,
négativisme, éléments délirants hypochondriaques sur un mode
paranoïde …
De la mélancolie anxieuse :
Délire de dépréciation de soi et des autres, douleur morale intense.
De la dépression : la comorbidité est importante. Ce qui importe, c’est de
reconnaître la dépression et la traiter.
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D. CLASSIFICATION DSM IV
1° Attaque de panique
Une période bien délimitée de crainte ou de malaise intense, dans laquelle au minimum 4
des symptômes suivants sont survenus de façon brutale et ont atteint leur acmé en moins de
10 minutes :
Palpitations, battements de cœur ou accélération du rythme cardiaque
Transpiration
Tremblements ou secousses musculaires
Sensations de « souffle coupé » ou impression d’étouffement
Sensation d’étranglement
Douleur ou gêne thoracique
Nausée ou gêne abdominale
Sensation de vertige, d’instabilité, de tête vide ou impression d’évanouissement
Déréalisation (sentiments d’irréalité) ou de dépersonnalisation (être détaché de soi)
Peur de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou
Peur de mourir
Paresthésie (sensations d’engourdissement ou de picotements)
Frissons ou bouffées de chaleur.
2° Trouble panique
Pour entrer dans la catégorie du trouble panique, les patients doivent présenter à la fois:
1.
des attaques de panique récurrentes et inattendues ;
2.
au moins une des attaques s’est accompagnée pendant 1 mois
(ou
plus) de l’un (ou plus) des symptômes suivants :
Crainte persistante d’avoir d’autres attaques de panique
Préoccupations à propos des complications possibles de l’attaque ou
bien de ses conséquences (par exemple : perdre le contrôle, avoir une
crise cardiaque, « devenir fou »).
Changement de comportement important en relation avec les attaques
On distingue toujours trouble panique avec ou sans agoraphobie.
L’agoraphobie se définit comme l’anxiété liée au fait de se retrouver dans des endroits ou
des situations d’où il pourrait être difficile (ou gênant) de s’échapper ou dans lesquelles on
ne pourrait ne pas trouver de secours en cas d’attaque de panique soit inattendue soit
facilitée par des situations spécifiques ou bien en cas de symptômes à type de panique. Les
peurs agarophobiques regroupent typiquement un ensemble de situations caractéristiques
incluant le fait de se retrouver seul en dehors de son domicile, d’être dans une foule ou dans
une file d’attente, sur un pont ou dans un autobus, un train ou une voiture.
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Les situations sont soit évitées (p.ex. restriction des voyages) soit subies avec une
souffrance intense ou bien avec la crainte d’avoir une attaque de panique ou des symptômes
à type de panique ou bien nécessitant la présence d’un accompagnement.
Les attaques de panique ne sont pas dues aux effets physiologiques directs d’une substance
ou d’une affection médicale générale et ne sont pas mieux expliquées par un autre trouble
mental, tel une phobie sociale, une phobie spécifique, un trouble obsessionnel compulsif, un
état de stress post-traumatique ou un trouble anxiété de séparation.
3° Trouble Anxiété Généralisée
Anxiété et soucis excessifs (attente avec appréhension) survenant la plupart du temps
durant au moins 6 mois concernant un certain nombre d’évènements ou d’activités (tel le
travail ou les performances scolaires).
La personne éprouve de la difficulté à contrôler cette préoccupation.
L’anxiété et les soucis sont associés à 3 (ou plus) des 6 symptômes suivants (dont au moins
certains symptômes présents la plupart du temps durant les 6 derniers mois) :
•
•
•
•
•
•
Agitation ou sensation d’être survolté ou à bout
Fatigabilité
Difficulté de concentration ou trou de mémoire
Irritabilité
Tension musculaire
Perturbation du sommeil (difficultés d’endormissement ou sommeil
interrompu ou sommeil agité et non satisfaisant)
L’objet de l’anxiété et des soucis n’est pas limité aux manifestations d’un trouble de l’axe I,
p.ex. l’anxiété ou la préoccupation n’est pas celle d’avoir une attaque de panique (comme
dans le trouble panique), d’être gêné en public (comme dans la phobie sociale), d’être
contaminé (comme dans le trouble obsessionnel compulsif), d’être loin de son domicile ou de
ses proches (comme dans le trouble anxiété de séparation), de prendre du poids (comme
dans l’anorexie mentale), d’avoir de multiples plaintes somatiques (comme dans le trouble
somatisation) ou d’avoir une maladie grave ( comme dans l’hypochondrie) et l’anxiété et les
préoccupations ne surviennent pas exclusivement au cours d’un état de stress posttraumatique.
L’anxiété, les soucis ou les symptômes physiques entraînent une souffrance cliniquement
significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres
domaines importants.
La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une
affection médicale générale.
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Pour être complets, citons encore, sans les décrire :
Trouble anxieux dû à une affection médicale généralisée
Trouble anxieux induit par une substance
Trouble anxieux non spécifié
Trouble de l’adaptation avec anxiété
Cette multiplication des « étiquetages » révèle bien la pauvreté de cette classification qui a
fait disparaître la notion de névrose et a éclaté ses composantes en de multiples entités,
effaçant au passage l’hystérie.
Concernant les attaques de panique et l’anxiété généralisée, on peut dire qu’ils
correspondent assez grossièrement à ce que reprend la notion de névrose d’angoisse telle
que nous l’avons décrite.
E. TRAITEMENT
1° Dans la crise aiguë d’angoisse , l’attitude calme, compréhensive et rassurante du
médecin favorise l’apaisement et permet au patient de verbaliser son angoisse. Les
Benzodiazépines sont souvent utiles per os (Lorazepam – Temesta£ expidet en prise sublinguale, Alprazolam - Xanax£, …) ou parfois en IM (Diazépam, Lorazepam, …) pour obtenir
une sédation rapide. Il faudra revoir ultérieurement le patient afin de mettre au point avec lui
des mesures thérapeutiques d’ensemble nécessaires.
2° Le traitement de fond
vise à réduire l’angoisse dans l’intervalle des poussées et à
prévenir le retour de celles-ci. Il associe :
a) Une prise en charge psychothérapeutique :
-
Avant tout la psychothérapie de soutien que tout praticien doit être à même
d’assurer : écoute patiente permettant au malade de se confier, dédramatisation des
manifestations anxieuses, compréhension rassurante évitant les attitudes trop
directives ;
-
Les thérapies cognitivo-comportementales. Les thérapies comportementales
comprennent des techniques de relaxation qui doivent permettre de contrôler
l’anxiété et des méthodes d’exposition à des situations anxiogènes dont la finalité est
de minimiser l’anxiété ressentie dans ces moments. La thérapie cognitive identifie les
pensées irrationnelles qui contribuent à l’émergence de sentiments anxieux et les
modifie par la réorganisation des attitudes inadaptées ;
II - 3
- 14 41
-
La psychothérapie de type analytique est, pour des raisons évoquées dans
l’introduction à ce chapitre des névroses, une approche de choix même si elle reste
difficile d’accès pour des patients entièrement pris par les manifestations somatiques
de leur trouble et qui attendent une prise en charge rapidement efficace.
Signalons que l’angoisse flottante de la névrose d’angoisse est très sensible à l’effet placebo
(jusqu’à 65% de réponses favorables dans certains essais cliniques !) et à toutes les formes
de soutien psychologique.
b) Une prise en charge pharmacologique :
-
Les benzodiazépines sont supérieures au placebo dans l’anxiété généralisée. Leur
efficacité se manifesterait plus sur les symptômes somatiques et neurovégétatifs que
sur les symptômes psychiques, à l’inverse des antidépresseurs. Elles gardent une
place importante en raison de leur bonne tolérance et de leur rapidité d’action avec
un effet maximum obtenu après 2 semaines de traitement. Le risque est bien entendu
la dépendance ! Tout arrêt sera donc progressif en raison du risque de sevrage. Elles
seront idéalement utilisées comme traitement d’appoint aux antidépresseurs ;
-
De nombreux médicaments développés et utilisés à l’origine dans le traitement de la
dépression, les SSRI (Inhibiteurs Sélectifs de Recapture de la Sérotonine) en
particulier, se sont montrés efficaces dans le traitement du trouble panique et de
l’anxiété généralisée. Les travaux sur l’efficacité et la sécurité d’emploi des
antidépresseurs en ont fait les traitements de première intention de ces troubles.
Comme de nombreux patients ont une dépression associée, les SSRI traitent donc
les deux problèmes simultanément. Chacun des cinq SSRI (Fluoxétine - Prozac£,
Paroxétine - Seroxat£,
Sertraline - Serlain£, Fluvoxamine - Floxyfral£ et S-
Citalopram - Sipralexa£) a des avantages et des inconvénients pour un patient
donné souffrant de trouble panique ou de trouble anxiété généralisée. Toutefois,
dans les études à grande échelle, ils ont tous une efficacité équivalente et mettent
trois à huit semaines pour fournir quelque amélioration.
Ces patients ont tendance à être plus sensibles aux SSRI (et aux antidépresseurs en
général) que les patients déprimés. On observe facilement nervosité et même aggravation
transitoire de paniques au début du traitement. Il faut donc commencer par des doses plus
faibles que celles qui sont utilisées chez les déprimés, pour ensuite atteindre une posologie
équivalente, voire plus élevée, si le patient le supporte.
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La clomipramine est le tricyclique le plus utilisé dans le trouble panique ; elle est très
efficace. Les antidépresseurs tricycliques ont peu ou pas d’avantages sur les SSRI, bien que
certains patients répondent à ces premiers et pas aux derniers. Leurs effets indésirables et
en particulier les effets anticholinergiques, l’hypertension orthostatique et la prise de poids,
en font des traitements de deuxième intention dans le trouble panique comme dans l’anxiété
généralisée.
Les IMAO (Inhibiteurs de la Mono-Amine Oxydase) irréversibles classiques sont un
traitement efficace du trouble panique. Il existe d’ailleurs quelques observations qui semblent
montrer qu’ils sont même plus efficaces que la clomipramine. Les essais cliniques avec les
inhibiteurs réversibles de la MAO-A (RIMA) concluent à leur efficacité dans cette indication.
Ils sembleraient moins efficaces que les IMAO classiques, mais ce fait n’est pas
formellement établi. Les inconvénients des IMAO classiques en font des produits de
troisième intention. Il s’agit d’hypotension orthostatique, de prise de poids, de troubles
sexuels et de l’obligation d’un régime alimentaire (pauvre en tyramine), avec le risque de
crise hypertensive induite par l’accumulation de tyramine. Les RIMA sont plus sûrs, avec
moins d’effets indésirables, mais ont sans doute une efficacité moindre.
Enfin, la venlafaxine (Efexor£ exel) inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline est efficace aux doses de 75 à 225 mg.
-
La buspirone (Buspar£) est active surtout sur les symptômes psychiques de
l’anxiété généralisée après 2 à 3 semaines de traitement.
3.3.2. LA PHOBIE SOCIALE
Les phobies sociales appartiennent au champ plus vaste de l’anxiété sociale, dont on peut
considérer qu’elle touche occasionnellement la plupart des individus.
Ainsi, la timidité
concernerait 30-60 % des sujets, le trac invalidant de la prise de parole en public, environ 30
% et la personnalité évitante 1 à 2 %. Mais de récents travaux épidémiologiques permettent
de penser qu’environ 10 % de la population générale souffre de manifestations invalidantes
d’anxiété sociale, ce qui ferait de ce trouble, le troisième en fréquence dans le champ
psychiatrique, après la dépression et l’alcoolisme.
A. DÉFINITION
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une phobie ?
Une phobie est une peur intense, irraisonnée,
incontrôlable, suscitée par certaines situations. Pour le phobique, le désagrément est tel à
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l’idée de se trouver confronté à l’objet de ses peurs qu’il organise sa vie de manière à
l’éviter. La phobie sociale est la peur d’être humilié, honteux dans une situation sociale.
L’exposition à la situation anxieuse provoque de l’anxiété et parfois des attaques de panique.
La personne reconnaît le caractère irrationnel de la peur. La peur anticipative altère le
fonctionnement social. Ces troubles surviennent souvent à la fin de l’enfance ou au début de
l’adolescence. Ils évoluent de manière chronique, ils peuvent entraîner une invalidation par
leur effet sur le fonctionnement professionnel et les activités sociales habituelles et surtout
par les évitements que le sujet émet. La phobie sociale se caractérise par :
-
Des peurs sociales intenses.
C’est une peur déchirante. C’est l’intensité de
l’angoisse qui fait la phobie sociale : « Dans ces cas-là, tout bascule autour de moi.
J’ai l’impression que l’horizon se renverse, que j’ai la tête à l’envers, avec la
sensation affreuse d’être au fond d’un entonnoir vers lequel tous les regards
convergent. Mon cœur cogne comme pour s’échapper de ma poitrine, mes tempes
battent.
J’entends tous les bruits comme s’ils étaient amplifiés par une sono
monstrueuse. Mes mains tremblent, mes genoux se dérobent. ». Cette peur peut
être tellement forte que la personne peut présenter un discours « pseudoparanoïaque » ;
-
Des évitements sociaux ou une souffrance anxieuse majeure. Certains phobiques
réduisent leur espace vital (certains ne sortent plus que la nuit).
-
Handicap social et altération de la qualité de vie. Souvent, ils occupent une sousposition sociale (par exemple, avec un diplôme universitaire, ils se retrouvent
veilleurs de nuit). Ils ont peur d’accepter une relation affective. Certains se coupent
de leurs amis.
B. LA PHOBIE SOCIALE, UN MAL INCONNU , QUI SE CACHE…
Si la phobie sociale a été décrite dès 1909 par Janet sous le terme de « phobie de situations
sociales », elle n’est répertoriée que depuis 1980 dans le DSM. On parlait jusqu’alors très
peu de phobie sociale. Contrairement à d’autres modes de souffrance psychologique, la
phobie sociale reste discrète.
Elle ne dérange pas, le principal problème de la phobie
sociale, c’est de passer inaperçue, un peu à l’image des enfants trop sages et discrets, dont
on finit par réaliser qu’ils ne sont pas sages mais déprimés, qu’ils ne sont pas discrets mais
inhibés.
Le phobique social se cache donc : dans notre profession, par exemple, certains
candidats médecins phobiques sociaux optent pour une spécialité qui ne les oblige pas à
discuter avec leurs patients.
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Nombre de phobiques sociaux donnent l’impression d’être froids et distants. Cela s’explique
par la tension anxieuse qu’ils ressentent dans les situations d’échange et par le désir qu’ils
ont de tenir autrui à distance, afin de ne pas révéler leur vulnérabilité. Ainsi, un certain
nombre d’entre eux arrivent à donner le change, préférant passer pour des snobs
antipathiques que pour des timides maladifs. Ce concept est proche du trouble de
personnalité évitante. Beaucoup de comportements agressifs sont également explicables par
ce mécanisme. Mieux vaut passer pour un « râleur » ou une « brute » que pour une victime.
De la même manière, certains misanthropes ne sont que des phobiques sociaux…Pour le
phobique social, aucun échange n’est anodin. D’ailleurs, nous-mêmes, ne préférons-nous
pas dire « je n’ai pas envie », « je ne peux pas » ou « ce n’est pas la peine », plutôt que «
ça me fait peur ». C’est plus confortable.
C. TYPES
Il y a deux types de phobie sociale. La phobie sociale peut être généralisée ou spécifique.
Elle est dite spécifique quand elle tient lieu dans une situation particulière telle que « écrire
en public », « parler en public », « utiliser les toilettes publiques », « manger en public »,
« utiliser le téléphone ».
Elle est dite généralisée quand l’inconfort se retrouve dans la
plupart des situations sociales. En pratique, la distinction n’est pas toujours aisée à réaliser.
D. PRÉVALENCE
Elle touche toute la population mais celle-ci se retrouve préférentiellement dans des
professions plus introverties : informaticiens, écrivains,…
Sa prévalence est de 2 à 4 % de la population générale.
À la différence des autres troubles anxieux où les femmes prédominent, la phobie sociale se
retrouve autant chez les hommes que chez les femmes.
Environ une personne sur sept en souffre à un moment donné ou l’autre de sa vie. Souvent
le phobique n’ose pas consulter, considérant son « problème » comme une timidité
excessive, comme « un trait de personnalité ». Il consultera souvent lors des complications
(attaque de panique ou dépression, alcoolisme,…).
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E. DE LA TIMIDITÉ À LA PHOBIE SOCIALE…
La timidité : c’est un trait de personnalité. Face à toutes « les premières fois », le timide a
peur qu’on le juge. Plus il va rencontrer, plus la peur va diminuer.
Le trac est l’anxiété de performance (chaque fois que le public attend quelque chose de
vous).
« La confiance fournit plus à la conversation que l’esprit » (La Rochefoucauld)
Normal
Pathologique
Paroxystique
TRAC,appréhension
ponctuelle
PHOBIE SOCIALE
Chronique
TIMIDITE
PERSONNALITE EVITANTE
Différence timidité-phobie sociale :
Timidité
Phobie sociale
1) Qualité de vie peu altérée
1) Qualité de vie très altérée.
2) Peur de l’échec, peur de ne pas réussir ce 2) Peur de la catastrophe sociale, peur d’être
qu’il entreprend
ridiculisé.
3) Peut parler de son trouble à des proches
3) Dissimule son trouble même à des
proches. Ils paraissent bizarres, distants,
froids.
4) L’anxiété diminue avec la répétition des 4) L’anxiété peut augmenter avec la répétition
contacts (habituation).
des contacts.
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Différence trac-phobie sociale :
Trac
Phobie sociale
1) Anxiété anticipatoire
1) Anxiété anticipatoire
( à l’holter, le cœur augmente parfois jusque
140-150)
2) Diminue au moment de l’intervention
2) Ne diminue pas pendant l’intervention
3) Soulagement après l’intervention
3) Haute après l’intervention
4) Habituation au fur et à mesure des 4) Sensibilisation au fur et à mesure des
interventions.
interventions.
F. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
1. La timidité (40-60 % de la population)
2. Le trac invalidant (30 % de la population)
3. La personnalité évitante (cfr critères DSM IV) : 1% de la population, accompagnant
souvent la phobie sociale
4. La dépression
5. Les troubles de personnalité (schizoïde, schizotypique, dépendante, …), voire la
schizophrénie ou encore un trouble délirant paranoïde.
6. Une attaque de panique peut toujours mimer un maladie physique (infarctus,
asthme,…).
G. ORIGINES DE LA PHOBIE SOCIALE
Près de la moitié des personnes ont des symptômes pendant l’enfance et elles en ont
presque toutes avant l’âge de 20 ans.
Il y a une part d’inné et d’acquis :
inné : très jeunes, certains enfants se montrent très anxieux par rapport aux visages non
familiers.
Des études prospectives tendent à démontrer que cette anxiété pourrait déjà
s’installer in utéro chez certains enfants.
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Certains enfants ne supportent pas le bruit.
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L’anxiété sociale est souvent corrélée à ce « tempérament hypersensible » de l’enfant.
L’éducation peut alors augmenter ou diminuer cette émotivité.
acquis :
-
environnement familial : le modèle parental, le style éducatif allant dans le sens d’une
absence de contacts extérieurs.
socialisation.
Dans ces familles, il y a peu d’expériences de
Un parent phobique social est un modèle d’anxiété sociale pour
l’enfant.
-
événements de vie : la phobie sociale débute souvent à l’adolescence. Après un
événement traumatisant, la phobie sociale tend à se figer. Le traumatisme n’est pas
responsable de la phobie sociale mais a été un facteur déclenchant. On retrouve
aussi des défauts physiques, à l’origine de la phobie sociale : par exemple, l’acné
peut déclencher des véritables troubles anxieux durables.
-
par ailleurs, la société actuelle tend à compliquer de plus en plus la vie des
phobiques sociaux. Il n’y a peut-être pas plus d’anxieux sociaux qu’avant mais ceuxci sont plus souvent mis à mal dans une société qui exige un changement
permanent.
Quels sont les liens entre timidité et phobie sociale ?
Y a-t-il un facteur génétique qui
expliquerait une hyperactivation du système sympathique, à l’origine de la phobie sociale ?
Pourrait-on prévenir la phobie sociale par un système scolaire moins « intellectualisant » et
ouvert à d’autres formes d’expression ?
H. COMORBIDITÉ - COMPLICATIONS
Certaines études estiment à près de 70 % des cas le pourcentage des sujets phobiques
sociaux souffrant d’autres problèmes.
- Autres troubles anxieux : le phobique social souffre souvent d’autres troubles anxieux,
comme l’anxiété généralisée ou l’agoraphobie, la peur de s’éloigner de chez soi ( on est plus
protégé chez soi, loin du regard des autres …) ou encore une phobie spécifique.
- Le trouble panique : l’attaque de panique (sensation d’étouffement ou d’étranglement,
essoufflement, accélération du rythme cardiaque, sentiment d’irréalité, l’impression de
devenir fou ou de mourir) peut survenir de façon inattendue, surprenante. Arrive alors le
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cercle vicieux de la peur de l’attaque de panique, qui renforce le phobique social dans son
isolement.
- La dépression (50-70 % des cas): le phobique social a toujours des affects dépressifs. Le
phobique social se condamne à ne pas être en société. Il souffre de sa solitude ( à la
différence du trouble de personnalité de type schizoïde, par exemple). L’éternelle
inadéquation entre ses espoirs et ses échecs amène souvent le phobique à une véritable
dépression. Repli sur soi, doute permanent sur ses capacités, usure nerveuse suscitée par
la peur devant des tas de situations, difficultés à nouer des relations gratifiantes avec autrui
et finalement un univers socio-professionnel de plus en plus appauvri, amènent le phobique
à la dépression. Dans ce contexte, on ne sera pas surpris de retrouver des idéations
suicidaires, des tentatives de suicide et une augmentation du nombre de suicides.
- L’alcoolisme et autres toxicomanies (20-40 % des cas) sont des complications
fréquentes de la phobie sociale. En effet, celui-ci a trouvé dans ces drogues « un moyen »
de tenter l’aventure sociale. A ses dépends, puisque sans sa drogue, la phobie sociale
persiste.
I. TRAITEMENT
« Aller vers les autres, ce n’est pas avoir de la culture mais de la confiance en soi ».
Nous avons préféré utiliser le terme de « prise en charge » que de traitement car la phobie
sociale n’est pas une pathologie somatique. La réussite de la prise en charge comprendra
autant la motivation du patient, les résistances de celui-ci, les renforcements de l’entourage
( à perpétuer cette conduite) que la qualité du thérapeute. Le but étant plutôt un mieux-être
qu’une guérison. Le phobique social guéri deviendrait tout simplement un timide. La phobie
sociale est une pathologie chronique.
a) Psychothérapie
Nous développerons ici la thérapie cognitivo-comportementale, la principale étudiée dans ce
trouble, mais il existe d’autres approches psychothérapeutiques.
1° l’exposition
De la prise en charge, retenons que le phobique doit affronter ses peurs pour s’en sortir. Or
c’est bien là que le bas blesse pour le phobique : ces peurs l’empêchent de sortir de sa peur.
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Le phobique social a envie de rentrer en contact avec d’autres personnes
mais son
angoisse l’en empêche. L’exposition, pour être efficace, doit être progressive et prolongée.
Un des éléments clés de l’exposition sera la thérapie de groupe.
Celle-ci permet au
phobique social d’affronter le regard de l’autre et de dépasser « sa terrible peur de perdre la
face ».
Outre la thérapie de groupe, des techniques de relaxation ( sophrologie, relaxation
progressive de Jacobson,…) sont utiles pour diminuer les réactions orthosympathiques
présentes dans l’activation anxieuse.
2° L’entraînement à la communication
Les ateliers d’habilités sociales sont d’une aide importante pour le phobique. C’est lui
apprendre à se comporter en société. Les théories de l’apprentissage rendent compte du
fait que le comportement social est une conduite apprise : on donne au phobique les outils
qui l’ont bloqué dans son développement social (on lui apprend à regarder dans les yeux, on
lui apprend à dire ce qu’il pense, …).
« L’homme vraiment libre, c’est celui qui sait refuser une invitation à dîner sans
donner de justification ».
3° Approche cognitive
Ces techniques vont permettre de travailler la partie inconsciente (irrationnelle) des peurs.
Marc Aurèle (philosophe stoïcien) écrit que « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les
choses (les événements) mais les opinions qu’ils en ont ».
La thérapie cognitivo-comportementale (restructuration cognitive) permettra au patient de se
rendre compte de l’irrationalité de sa peur et donc de pouvoir l’affronter. Il pourra, une fois
qu’il a appris à s’auto-observer, repérer la pensée irrationnelle au départ de la conduite
anxieuse et la remplacer alors par des pensées plus réalistes. Dans le trouble phobique, le
patient a tendance :
-
à surévaluer la visibilité de son malaise (ainsi dans les thérapies de groupe, les
autres vont pouvoir renvoyer au phobique qu’ils l’ont trouvé bien, ce qui lui permettra
progressivement de changer son raisonnement « faussé ») ;
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-
à surévaluer le caractère négatif du jugement des autres et les conséquences
possibles du jugement négatif des autres,
-
à surévaluer les conséquences négatives possibles du jugement négatif des autres.
b) Médicaments
Outre les techniques « psychothérapeutiques », on propose souvent, au départ, pour les
phobies sociales sévères, en combiné, un traitement médicamenteux avec des
antidépresseurs de type sérotoninergique. La paroxétine est le médicament le plus utilisé et
reconnu dans cette indication, ceci à doses progressives, la dose étant légèrement
supérieure à celle de la dépression (30 à 40 mg par jour). Les anxiolytiques ne devraient pas
être prescrit dans l’anxiété sociale. Par ailleurs, l’anxiété de performance peut bénéficier d’un
traitement par les béta-bloquants (musicien, acteur, homme politique, …). Cette médication
permet d’éviter une trahison du corps mais elle ne marche pas dans les véritables phobies
sociales.
Quels sont les résultats de la thérapie ?
80 % des phobiques sociaux vont bénéficier de la thérapie. Ils arrivent à surmonter leur
anxiété sociale. Les rechutes existent chez ceux qui arrêtent de faire des efforts. Dès lors, on
leur recommande de rester vigilants. Entre 10 et 20 % des patients ne répondent pas à la
thérapie.
Des phobiques sociaux s’en sont sortis, loin de la psychiatrie, pris dans une passion qui
leur a permis de s’épanouir.
J. TOUT CELA POSE DES QUESTIONS … RÉFLÉCHISSONS ENSEMBLE…
Nous venons de voir la « phobie sociale » d’un point de vue psychiatrique. C’est-à-dire sous
la lorgnette du « normal et du pathologique ». D’autres considèrent la phobie sociale comme
un état, une façon d’être. Car, même en faisant de ce « mal » une pathologie psychiatrique,
le traitement n’est pas toujours très convaincant. D’ailleurs, le phobique social consulte peu
le psychiatre. La phobie sociale serait-elle une façon d’être au monde ? Sartre ne disait-il
pas que « l’enfer, c’était les autres » ? D’autres vous diront que notre société est le siège de
la phobie sociale. Une société qui nous implique toujours plus, qui nous demande un
développement physique, intellectuel, spirituel et qui nous demande d’être heureux. Les
exigences deviennent tellement fortes que le phobique social est dépisté, démasqué. On
peut encore replacer la phobie sociale au niveau culturel. La culture japonaise fabrique de la
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phobie sociale (importance sociale +++, peur d’incommoder autrui). Autre regard, autre vue.
Cette pathologie serait-elle la construction d’un lobbying pharmaceutique ? La différence
entre la timidité et la phobie sociale ne serait-elle que l’affaire d’un médicament (en
l’occurrence, les SSRI) ? Rien n’est simple en psychiatrie. Ne fuyons-nous pas tous nos
zones d’ombre ? Faut-il les voir ou pas ?
Jules Renard ( grand anxieux social) : « il ne disait rien mais on voyait bien qu’il
pensait des bêtises ».
K. Critères DSM IV de la phobie sociale
A) Peur importante et persistante d’une ou plusieurs situations sociales ou de performance,
dans lesquelles le sujet est exposé à des personnes qu’il ne connaît pas ou à l’observation
attentive d’autrui. Le sujet craint de se conduire d’une manière (ou montrer des signes
d’anxiété) qui va l’humilier ou l’embarrasser.
B) La confrontation sociale redoutée provoque systématiquement l’anxiété, qui peut prendre
la forme d’une attaque de panique, soit liée à la situation soit prédisposée.
C) Le sujet reconnaît que sa peur est excessive et irrationnelle.
D) Les situations sociales ou de performance redoutées sont évitées, ou, sinon, elles sont
vécues avec une anxiété intense ou une détresse.
E) L’évitement, l’anticipation anxieuse ou la détresse dans ces situations sociales ou de
performance, interfèrent avec le fonctionnement de la vie de tous les jours, le
fonctionnement professionnel (ou scolaire), ou les activités et les relations sociales, ou il
existe une détresse liée à la conscience d’avoir cette phobie.
F) Chez les sujets de moins de dix-huit ans, la durée est d’au moins six mois.
G) La peur ou l’évitement ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance
(par exemple drogue ou médicament) ou à une maladie médicale ou ne correspond pas à un
autre trouble mental (panique avec ou sans agoraphobie, anxiété de séparation,
dysmorphophobie, personnalité schizoïde).
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H) S’il existe une maladie médicale ou un autre trouble mentale, la peur du critère A) n’est
pas liée à celle-ci ou celui-ci. Par exemple, le sujet ne craint pas de bégayer (s’il est atteint
de bégaiement), de trembler ( s’il a une maladie de Parkinson), de révéler un comportement
alimentaire anormal ( s’il présente une anorexie mentale ou une boulimie).
Préciser s’il s’agit d’une forme généralisée : les peurs concernent la plupart des situations
sociales.
Considérer aussi le diagnostic additionnel de Personnalité évitante.
3.3.3. LA PHOBIE SPECIFIQUE
A. DIAGNOSTIC (critères DSM IV)
Peur persistante et intense à caractère irraisonné ou bien excessive, déclenchée par la
présence ou l'anticipation de la confrontation à un objet ou une situation spécifique (p. ex.
prendre l'avion, les hauteurs, les animaux, avoir une injection, voir du sang).
L'exposition au stimulus phobogène provoque de façon quasi systématique une réaction
anxieuse immédiate qui peut prendre la forme d'une attaque de panique liée à la situation ou
facilitée par la situation. NB : chez les enfants, l'anxiété peut s'exprimer par des pleurs, des
accès de colère, des réactions de figement ou d'agrippement.
Le sujet reconnaît le caractère excessif ou irrationnel de la peur. NB : chez l'enfant, ce
caractère peut être absent.
La (les) situation(s) phobogène(s) est (sont) évitée(s) ou vécue(s) avec une anxiété ou une
détresse intense.
L'évitement, l'anticipation anxieuse ou la souffrance dans la (les) situation(s) redoutée(s)
perturbent de façon importante les habitudes de l'individu, ses activités professionnelles (ou
scolaires) ou bien ses activités sociales ou ses relations avec autrui, ou bien le fait d'avoir
cette phobie s'accompagne d'un sentiment de souffrance important.
Chez les individus de moins de 18 ans, la durée est d'au moins 6 mois.
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L'anxiété, les attaques de panique ou l'évitement phobique associé à l'objet ou à la situation
spécifique ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental tel un Trouble
obsessionnel-compulsif (p. ex. en réponse à des stimulus associés à un facteur de stress
sévère), un trouble anxiété de séparation (p. ex. évitement scolaire), une phobie sociale (p.
ex. évitement des situations sociales par peur d'être embarrassé), un trouble panique avec
agoraphobie ou une agoraphobie sans antécédents de trouble panique.
B. ÉPIDÉMIOLOGIE
Selon les études, la prévalence sur la vie varie entre 11,3 et 19,8 %.
Ce trouble est plus fréquent chez la femme, sauf la phobie de type sang-plaie-accident.
C. TRAITEMENT
A. Psychothérapie si nécessaire, souvent de type cognitivo-comportemental.
B. Pharmacothérapie inefficace.
3.3.4. LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE
A. DIAGNOSTIC
Dans la névrose obsessionnelle, on constate la présence de compulsions et/ou
d’obsessions, c’est à dire de pensées ou d’impulsions qui s’imposent de façon insistante
dans la conscience du patient. L’obsession et la compulsion sont égodystoniques, ce qui
signifie qu’elles sont ressenties comme étrangères à sa propre personne : non désirées, non
acceptées, incontrôlables. Un sentiment d’angoisse ou de honte est également ressenti par
le patient
et l’amène souvent
à prendre des mesures
contre l’idée ou l’impulsion
initiale.Peu importe la force du symptôme, l’individu le reconnaît clairement comme absurde
et irrationnel. Les obsessions ou les compulsions sont à l'origine d'une perte de temps
considérable et interfèrent avec les activités habituelles. Il y a lieu de relever que le tableau
clinique est caractérisé par des symptômes consciemment perçus par le patient, mais contre
lesquelles il ne peut résister par sa volonté.
B. ÉPIDÉMIOLOGIE
Selon les études, la prévalence sur la vie varie entre 2,5 et 3 %.
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Il y a une répartition égale dans les deux sexes.
C. PSYCHODYNAMIQUE
La névrose obsessionnelle illustre
l’exacerbation de caractéristiques que tout individu
connaît à un moindre degré. A titre exemplatif,
-
L’ambivalence est le fait de ressentir de l’amour et de la haine à l’égard de la même
personne. Ces émotions se suivent tellement rapidement qu’elles paraissent
simultanées. Dans l’évolution normale d’une personne, une bonne partie de la haine
est neutralisée ou transformée en un désir de gagner contre l’autre (et donc plus de
le détruire). Chez le patient obsessionnel, la vie affective est marquée par une grande
difficulté à juguler la haine. Il vit l’ambivalence d’une façon consciente et est envahi
par un sentiment de doute paralysant.
-
La pensée magique : la personne croit que le simple fait de penser à un évenement
peut le rendre réel sans devoir poser un acte concret. L’étudiant craint que le simple
fait de penser un échec puisse le conjurer. Chez le patient obsessionnel,
cette
pensée est particulièrement présente. C’est pour cette raison qu’une pensée
agressive l’inquiète beaucoup.
-
Le jugement moral : c’est la partie de la personnalité qui donne le sentiment de
bonne ou mauvaise conscience. En temps normal, la personne a mauvaise
conscience lorsqu’elle pose un acte contraire à ses convictions. Le patient
obsessionnel a une anxiété coupable et se demande souvent ce qu’il a peut-être mal
fait par rapport à sa conscience. Il a un doute permanent sur les actes qu’il pose et
sur les pensées éventuellement mauvaises qui l’habitent. En conséquence, il apparait
comme trop consciencieux, scrupuleux et rigide.
D. TRAITEMENT
a) Psychothérapie
La psychothérapie est un lieu de soutien et de dédramatisation du symptôme. Elle permet
d’analyser les événements déclenchants celui-ci. Elle soutient le fonctionnement social du
patient. Elle permet au patient d’aborder des pensées anxiogènes et des affects dépressifs
sans crainte d’être jugé.
L’écoute ne consiste pas uniquement dans le fait de répertorier des symptômes mais de
reconnaître le patient avec toute sa difficulté subjective.
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Le rythme des rencontres permet au patient de déployer sa parole et assouplit ainsi le cours
de sa pensée.
b) Pharmacothérapie
1° Les antidépresseurs sérotoninergiques à relativement haute dose.
Du fait des puissantes propriétés de la clomipramine sur la recapture de la sérotonine, il a
été émis l’hypothèse que cet effet anti-TOC était lié à ses propriétés de blocage de la
recapture de la sérotonine. Cette hypothèse est solidement étayée par la constatation que
les cinq SSRI sont également efficaces. Et bien que la clomipramine soit aussi métabolisée
en un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline, rien ne prouve le rôle du blocage de la
recapture de la noradrénaline dans le mécanisme d’action de la clomipramine. En particulier,
les inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline les plus sélectifs comme la Désipramine
ont une efficacité faible ou nulle sur le TOC. Certaines données récentes montrent même
que l’inhibition de la recapture de la sérotonine est nécessaire pour traiter la dépression,
éventuellement associée au TOC. Chez les patients qui souffrent d’une telle comorbidité, les
SSRI améliorent les deux syndromes, tandis que la désipramine non seulement n’améliore
pas le TOC lui-même, mais en plus se révèle moins efficace que les SSRI sur la dépression
associée. Cela montre que, si de manière générale, la dépression implique la sérotonine, la
noradrénaline ou les deux, la dépression associée au TOC est particulièrement
sérotoninergique.
Bien que l’utilisation des SSRI montre qu’il existe des similitudes entre le traitement du TOC
et celui de la dépression, il n’en reste pas moins qu’il existe de grandes différence entre les
deux. Les doses utilisées dans le TOC sont en effet très supérieures à celles qui sont
prescrites dans la dépression. Par ailleurs, l’apparition d’un effet thérapeutique lors de
l’instauration d’un traitement par SSRI, est souvent beaucoup plus tardive dans le TOC, six à
douze semaines, voire davantage, que dans la dépression.
On constate également des différences en ce qui concerne les réponses au traitement. Alors
que de nombreux patients déprimés guérissent sous SSRI, la réponse moyenne des patients
atteints de TOC avoisine seulement 35% de réduction de symptômes après douze semaines
de traitement. Le taux de rechute est plus élevé et la rechute plus précoce après l’arrêt du
traitement dans le TOC par rapport à la dépression.
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Une autre importance de taille entre TOC et dépression réside dans le mécanisme d’action
des SSRI, avec pour le premier une réponse thérapeutique qui semble moins dépendante de
la disponibilité immédiate de 5-HT que pour la seconde. Ainsi, lorsque l’on soumet des
déprimés à un régime sans tryptophane, ce qui produit une diminution brutale de la synthèse
de 5-HT, les patients qui avaient alors répondu aux SSRI voient leur état se dégrader jusqu’à
ce que la synthèse de 5-HT soit restaurée. Au contraire, la déplétion en tryptophane des
patients souffrant de TOC et ayant préalablement répondu à un SSRI n’entraîne aucune
aggravation de leurs symptômes. Les SSRI semblent donc agir par le biais d’un mécanisme
différent dans le TOC par rapport à la dépression. En réalité, ils agissent certainement par
l’intermédiaire de voies sérotoninergiques différentes.
En résumé, les SSRI améliorent indubitablement les symptômes de la dépression comme ils
améliorent ceux du TOC. Toutefois, dans le deuxième cas, on s’aperçoit par rapport à la
dépression que la réponse passe spécifiquement par la sérotonine et non pas par l’inhibition
de la recapture de la noradrénaline, que dans le TOC elle apparait plus tardivement, qu’elle
est moins importante, qu’elle dépend moins de la disponibilité en sérotonine au niveau de la
synapse et qu’enfin, le risque de rechute à l’arrêt du traitement est plus important.
Du fait que les SSRI ne donnent pas de bons résultats chez tous les patients atteints de
TOC, voire n’en donnent pas du tout chez certains d’entre eux, les psychopharmacologues
ont tenté d’augmenter leurs effets au moyen de différentes substances susceptibles de
potentialiser l’action de la sérotonine.
Ainsi, il est possible pour certains patients de
potentialiser le traitement avec un neuroleptique atypique.
2° Les anxiolytiques lors des périodes de stress importants.
3° Rarement les neuroleptiques atypiques.
E. CLASSIFICATION DSM IV
Les critères diagnostiques du trouble obsessionnel compulsif (TOC) selon le DSM- IV
mettent l’accent sur les symptômes observables et ne s’intéressent pas à la notion de conflit
intrapsychique tel que décrit plus haut dans les quelques considérations psychodynamiques.
A. Existence soit de compulsions, soit d'obsessions.
Obsessions définies par :
II - 3
- 30 41
-
Pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes qui, à
certains moments de l’affection, sont ressenties comme intrusives et
inappropriées et qui entraînent une anxiété ou une détresse importante ;
-
Les pensées, impulsions ou représentations ne sont pas simplement des
préoccupations excessives concernant les problèmes de la vie réelle ;
-
Le sujet fait des efforts pour ignorer ou réprimer ces pensées, impulsions ou
représentations ou pour neutraliser celles-ci par d’autres pensées ou actions ;
-
Le sujet reconnaît que les pensées, impulsions ou représentations
obsédantes proviennent de sa propre activité mentale (elles ne sont pas
imposées de l’extérieur comme dans le cas des pensées imposées).
Compulsions définies par :
-
Comportements répétitifs (p.ex. lavage des mains, ordonner, vérifier) ou actes
mentaux (p.ex. prier, compter, répéter des mots silencieusement) que le sujet
se sent poussé à accomplir en réponse à une obsession ou selon certaines
règles qui doivent être appliquées de manière inflexible ;
-
Les comportements ou les actes mentaux sont destinés à neutraliser ou à
diminuer le sentiment de détresse ou à empêcher un événement ou une
situation redoutés ; cependant, ces comportements ou ces actes mentaux
sont soit sans relation réaliste avec ce qu’ils se proposent de neutraliser ou de
prévenir, soit manifestement excessifs.
B. À un moment durant l'existence de ce trouble, le sujet a reconnu que les obsessions
ou les compulsions étaient excessives ou irraisonnées.
C. Les obsessions ou les compulsions sont à l'origine de sentiments marqués de
détresse, d'une perte de temps considérable (prenant plus d’une heure par jour) ou
interfèrent de façon significative avec les activités habituelles du sujet, son
fonctionnement professionnel ou ses activités ou relations sociales habituelles.
3.3.5. LA NÉVROSE HYSTÉRIQUE
A. DÉFINITION
Si nous nous référons au Dictionnaire de la Psychanalyse de Laplanche et Pontalis,
« L’hystérie est une classe de névroses présentant des tableaux cliniques très variés. Les
deux formes symptomatiques les mieux isolées sont l’hystérie de conversion, où le conflit
psychique vient se symboliser dans les symptômes corporels les plus divers, paroxystiques
(exemple : crises émotionnelle avec théâtralisme) ou plus durables (anesthésies, paralysies
II - 3
- 31 41
hystériques, etc.), et l’hystérie d’angoisse où l’angoisse est fixée de façon plus ou moins
stable, à tel ou tel objet extérieur (phobies). »
Ainsi, le refoulement hors de la conscience de désirs, de fantasmes ou de souvenirs
inacceptables par le malade est suivi d’un retour du refoulé qui s’impose au patient sous une
forme déguisée suite à la conversion de l’énergie psychique en énergie somatique. La
conversion hystérique crée ainsi ces phénomènes tels que décrits dans la définition de
Laplanche et Pontalis.
Dans cette névrose, le bénéfice primaire de la formation de symptôme consiste en la
diminution, voire la disparition totale de l’angoisse liée au conflit. Les bénéfices secondaires
peuvent être compris comme suit : « Aussi longtemps que je suis malade, on s’occupe de
moi. ». Ces mêmes bénéfices secondaires, s’ils sont importants, contribuent à la
perpétuation des symptômes et des plaintes.
B. HISTORIQUE
Dans l’Antiquité, l’hystérie, selon son étymologie est une maladie qui trouve son origine dans
l’hystera (la matrice). Ainsi, à partir de cette définition, l’hystérie se caractérisait par deux
traits : déficit fonctionnel d’un organe sexuel et déficit concernant les femmes.
Au Moyen-âge, le christianisme a bouleversé cette étiologie. Ce qui était appelé hystérie
prend le nom de possession diabolique.
Avec la Renaissance s’instaure un retour à l’antiquité : l’hystérie est une maladie, et elle
relève de causes internes et naturelles. C’est de ce fait que peut naître une science
théorique et thérapeutique. À partir du XVIIème siècle vont apparaître trois courants distincts
s’intéressant à l’étiologie hystérique.
Un courant organiciste en Grande-Bretagne (Jorden, Burton et Cullen) va émettre
l’hypothèse que l’hystérie vient d’un trouble nerveux du cerveau.
Sydenham et Pinel, un anglais et un français, donnent à l’hystérie un fondement
psychique. De ce fait, cette maladie est curable car elle n’est non pas une maladie
organique du cerveau mais un désordre des passions, ayant des conséquences
somatiques.
II - 3
- 32 41
Mesmer, Braid et, surtout Charcot vont démontrer, dès la fin du XVIIIème siècle, le
pouvoir de l’hypnose sur les symptômes hystériques. Au XIXe siècle, Charcot va
innover dans ce domaine. Selon lui, le symptôme n’est pas l’expression
d’une
émotion cachée mais il est à réduire à un ensemble de signes, chacun n’ayant de
valeur que dans son rapport aux autres. Dans ce contexte, l’hystérie a pour étiologie
l’hérédité, soit une dégénérescence, mais les symptômes ont pour causes
occasionnelles des agents provocateurs tels que des chutes brutales, paroles
offensantes, … et la voix de l’hypnotiseur. La suggestion a ainsi le pouvoir de faire et
défaire le symptôme.
Assistant à de nombreuses leçons cliniques de Charcot à la Salpêtrière, Freud va découvrir
cette innovation médicale et débuter les travaux qui donneront naissance à la psychanalyse.
L’intérêt de Freud à cette époque porte essentiellement sur l’inconscient et la sexualité
infantile.
C. L’APPORT FREUDIEN
En 1895, Freud écrit avec Breuer « les études sur l’hystérie ». À cette époque, Breuer traite
une patiente, Anna O., qui permit à Freud de parfaire ses conceptions théoriques et
thérapeutiques. Ainsi, « la cause de la plupart des symptômes hystériques mérite d’être
qualifiée de traumatisme psychique ». Le souvenir d’un choc, devenu autonome, agit à la
manière d’un corps étranger dans le psychisme. Nous pouvons dès lors affirmer que
l’hystérique souffre de réminiscences. Dans ce cas, l’affect lié à l’incident causal n’a pas
trouvé de décharge d’énergie par la voie verbale ou somatique parce que la représentation
psychique du traumatisme était absente, interdite ou insupportable. Freud affirme alors dans
ce cas qu’un « noyau d’un second conscient » est constitué. Celui-ci serait à la source des
phénomènes somatiques. Le mécanisme de défense qui préside à la formation du
symptôme hystérique est qualifié alors de refoulement d’une représentation incompatible
avec le moi. En parallèle, Freud affirme que le traumatisme en cause est toujours lié à une
expérience sexuelle précoce vécue dans le déplaisir, y compris chez les jeunes garçons. De
ce fait, l’hystérie n’est pas exclusivement féminine.
Les difficultés rencontrées dans les cures ont conduit Freud à la mise en place d’une
seconde topique de l’appareil psychique. En ce qui concerne « des nouvelles études sur
l’hystérie », celles-ci ne verront jamais le jour. Lacan traitera, à travers ses lectures des
textes de Freud, de l’évolution de ce concept.
II - 3
- 33 41
Nous traitons principalement dans ce chapitre de l’hystérie de conversion. Celle-ci se
distingue classiquement par l’intensité des crises émotionnelles et la diversité des effets
somatiques qui tiennent la médecine en échec.
D. CLINIQUE
1° Les symptômes somatiques
Les symptômes hystériques de conversion ont d’abord été décrits sur le plan médical. Il ne
s’agit toutefois pas des manifestations les plus fréquentes de l’hystérie, aussi nous les
passerons rapidement en revue.
-
Les accidents paroxystiques :
o
La grande crise, décrite par Charcot (crise d’agitation spectaculaire dont la
symbolique sexuelle est souvent présente)
o
Autres : va de la crise nerveuse d’agitation à l’évanouissement, spasmophilies
(dont les liens avec l’hystérie sont évidents), narcolepsies (états de sommeil
diurnes)
-
Les troubles d’allures neurologique :
o
Les paralysies sont les troubles les plus fréquents : elles peuvent toucher les
deux membres inférieurs, un membre, les cordes vocales, etc.
o
Les anesthésies
o
Les manifestations algiques (posent des problèmes avec les douleurs
hypochondriaques)
2° Les symptômes psychiques
Les symptômes psychiques se suffisent le plus souvent à eux-mêmes. Ils sont par ailleurs
plus fréquents que les classiques accidents de conversion. En voici un bref aperçu :
-
La séduction et l’avidité affective
o
Besoin d’attirer l’attention sur soi
o
Egocentrisme
o
Dépendance affective
o
Erotisation de la relation
o
Manque de contrôle émotionnel
II - 3
- 34 41
o
Provocation
o
Etc.
La fuite ou l’amnésie
-
o
Les troubles de la mémoire
o
Distractivité : le patient ne peut pas se concentrer sur une activité
o
Somnanbulisme
o
Etats seconds : fugues amnésiques
E. ETABLISSEMENT D'UN DIAGNOSTIC DE CONVERSION HYSTERIQUE
Il y aura lieu de toujours passer l'anamnèse et l'examen clinique simple, afin de ne pas
pousser à la médicalisation outrancière de troubles psychiques à expression somatique.
Les éléments sur lesquels on peut s'appuyer sont :
- localisation aberrante, anorganique des atteintes ;
- mobilité des symptômes ;
- mise en avant théâtrale des atteintes ;
- circonstances particulières d'apparition ;
- personnalité prémorbide de type histrionique.
Le diagnostic différentiel devra s'exercer vis-à-vis de maladies nerveuses comme la
sclérose en plaque, certaines tumeurs cérébrales, ou encore une épilepsie temporale.
Des troubles métaboliques tels que l'hypoglycémie et l'hypocalcémie doivent être
exclus.
Il faut se rappeler qu'il convient de se montrer très vigilant quant aux promesses de
"trouver quelque chose" par des "examens de plus en plus poussés". De même, on
n'annoncera jamais au patient qu'il n'a rien parce que le médecin ne détecte pas de
causalité organique. Le trouble psychique est bien présent et la souffrance du patient
reste une réalité subjective, qu’elle en soit l’étiologie, dont le médecin ne peut doute s’il
veut pouvoir la traiter.
Enfin, l'hystérie doit être distinguée des affections psychosomatiques : celles-ci
provoquent le plus souvent des lésions tissulaires tels l'ulcère duodénal ou la colite
ulcéreuse. De plus, les personnalités de base s'opposent comme l'eau et le feu.
II - 3
- 35 41
F. TRAITEMENT
La psychothérapie est le traitement de choix de l'hystérie. La psychanalyse, qui a été
découverte par et pour les hystériques, s'y révèle efficace pour peu que le malade soit
prêt à s'y engager. Tous les types de psychothérapie, individuelle (brève, de soutien) ou
de groupe peuvent se révéler profitables.
Dans le cadre d'une psychothérapie de soutien, il sera possible d'orienter le patient vers
un mode de vie plus satisfaisant en lui permettant de mieux identifier ses désirs latents
et de réaliser ses choix.
Une adjonction médicamenteuse prudente pourra être réalisée à l'aide d'anxiolytiques
(ne pas allonger le temps de prescription) ou d'antidépresseurs sérotoninergiques ou
IMAO de la nouvelle génération (les tricycliques sont mal tolérés).
L'enrôlement dans des groupes théâtraux ou d'expression artistique ou encore une
réorientation professionnelle vers une activité plus valorisante au regard des autres,
peuvent contribuer à l'amélioration de la situation.
G. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
S. Freud
Le cas Dora
in Cinq Psychanalyses P.U.F.
F. Breuer et S. Freud
Etudes sur l'hystérie
P.U.F.
L. Israël
L'hystérique, le sexe et le médecin
MASSON
L. Israël
La victime de l'hystérique
L'Evolution Psychiatrique Vol. XXXII, 3, 1967, pp.517-546
F. Brion et S. Brion
Hystérie, simulation …
II - 3
- 36 41
3.3.6. L’ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
A. ORIGINES
L’état de stress post-traumatique (PTSD : post traumatic stress disorder) est une autre forme
de trouble anxieux.
Trouvant le cadre des névroses dépassé, certains cliniciens et théoriciens – surtout nordaméricains) ont participé à une revalorisation de la notion de réaction, réaction
psychologique à l’événement vécu et ce plus particulièrement dans le champ des troubles
anxieux. Il faut dire que cet espace nosographique contient les troubles classiquement
répertoriés sous le terme de névrose. Cela a donné place aux descriptions du DSM-IV et du
PTSD (post-traumatic stress disorder).
Ce courant de pensée a certainement omis de s’appuyer sur des descriptions plus
anciennes d’états psychiques organisés et durables, déterminés, provoqués ou occasionnés
par un événement soudain et violent débordant les capacités de défense de l’individu
(névrose traumatique, névrose d’effroi et névrose de guerre).
Des deux axes de description, il faut surtout se focaliser sur le facteur étiologique,
l’événement traumatique, qui inaugure le trouble. Chez les uns, il s’agit de la cause
(l’événement provoque le trouble) et chez les autres il s’agit d’une péripétie qui le déclenche
(l’événement est resitué face à l’état antérieur, présent et ultérieur).
B. ÉTIOLOGIE
L’état de stress post-traumatique succède souvent à un événement psychologiquement
traumatisant hors du commun et qui ne laisserait pratiquement personne indemne.
L’événement ou le stimulus qui déclenche ce syndrome est souvent brutal, accablant et
dangereux pour l’individu ou pour le groupe. Ce syndrome est souvent observé chez les
victimes d’actes de violence particulièrement odieux (viol, agression, attentat terroriste,
massacre ethnique). Il se retrouve aussi fréquemment chez des individus exposés par leur
situation professionnelle à des situations particulièrement dangereuses. Toutefois, ce
syndrome peut se manifester chez n’importe quel individu.
II - 3
- 37 41
Quoique certaines personnes soient particulièrement résistantes et échappent à ce
syndrome à la suite d’un événement traumatisant auquel elles ont survécu, il faut rester
vigilant : il en est dont l’apparente sérénité n’est qu’une manière de nier l’événement.
L’existence d’une relation entre des éléments de la personnalité et une prédisposition à l’état
de stress post-traumatique n’a pu être prouvée, mais les individus présentant des
antécédents de troubles mentaux semblent courir un risque plus élevé, tout comme ceux qui
ne bénéficient pas d’un soutien familial ou social solide.
Les bases biologiques de l’état de stress post traumatique sont
encore à leurs
balbutiements. Quelques résultats suggèrent l’existence d’une hyperactivité du système
noradrénergique, avec des réactions de sursaut exagérées, et une hyperactivité du système
nerveux autonome. Le rôle de l’hippocampe a également été évoqué (diminution de volume,
peut-être due à une réponse anormale au stress).
C. DIAGNOSTIC
Suivant le DSM IV, les symptômes sont décrits comme suit :
-
Exposition à un événement traumatique où deux éléments sont présents :
1.
2.
-
l’intégrité du sujet ou d’une autre personne a été menacée
la réaction du sujet s’est traduite par une peur intense, un sentiment
d’impuissance ou d’horreur
Suite à cette confrontation, le sujet va re-vivre d’une ou plusieurs façons cet
événement (intrusion). L’intrusion se manifeste à travers des souvenirs, des fashbacks ou des rêves répétitifs et envahissants qui provoquent de la détresse.
-
Le sujet va également développer une stratégie d’évitement persistant des stimuli
associés au traumatisme, comme il témoignera d’un émoussement de la réactivité
générale.
-
Le sujet sera également envahit de symptômes physiques, signes d’une activation
neurovégétative : difficulté d’endormissement ou sommeil interrompu, irritabilité ou
accès de colère, difficultés de concentration, hyper vigilance ou réactions de sursaut.
-
Ces symptômes traduisent un changement face à l’état antérieur. La perturbation
dure plus d’un mois. Elle occasionne une souffrance cliniquement significative. Cet
état de stress suite à un événement traumatique provoque une altération du mode de
vie sur les plans sociaux, professionnels ou dans d’autres domaines importants.
II - 3
- 38 41
D. COMPLICATIONS
La comorbidité avec d’autres troubles psychiatriques, en particulier la dépression, l’abus de
substances (drogue et alcool) est la règle plutôt que l’exception.
Un syndrome des survivants marqué par un sentiment de culpabilité d’avoir survécu ou
d’avoir pu effectuer des actes permettant la survie.
E. RÉPERCUSSIONS FAMILIALES ET CONJUGALES
Les répercussions de l’état de stress post-traumatique sur le contexte de l’individu sont
souvent largement négligées. De plus, le manque d’intégration de l’entourage dans la prise
en charge aggrave ces conséquences.
Dans la plupart des situations, l’entourage familial et le conjoint se préoccupent très fort au
début de la victime pour ensuite attendre un rapide apaisement des signes. On voit souvent
ce phénomène d’incompréhension et de banalisation des problèmes de la victime. L’inverse
peut également se présenter à travers une attitude de surprotection de la victime qui
accentue les phénomènes phobiques et d’évitement.
Des problèmes sexuels et affectifs extrêmement handicapants peuvent se développer
(baisse de la libido, abstinence sexuelle, vaginisme) et détruire le couple.
L’état de stress post-traumatique à tendance à provoquer une altération grave du
fonctionnement social et professionnel. La plupart se retrouve tôt ou tard écarté du marché
de l’emploi ou à la charge de la sécurité sociale ou de la collectivité. Ils se montrent
incapables de continuer à travailler, ne sont plus performants, voire font de multiples fautes
professionnelles.
Avec le développement de séquelles psychopathologiques, l’isolement social, la perte de
l’activité professionnelle, les phénomènes d’évitement, l’impact sur la vie affective du couple
va être majeur. La qualité des relations au sein du couple, de la famille, avec les enfants, va
s’altérer. Dans de nombreuses situations, ces problèmes amèneront tôt ou tard à une
séparation, ce qui aggravera l’isolement social de l’individu.
II - 3
- 39 41
F. TRAITEMENT
1° L’approche psychothérapeutique constitue la base du traitement.
En cas de catastrophe macro sociale, une des techniques les plus étudiées est de réaliser
un débriefing psychologique. Il s’agit de regrouper les survivants d’une catastrophe afin de
constituer un groupe de soutien où chaque membre raconte sa propre histoire et tire profit de
l’expérience partagée. Les objectifs du débriefing sont schématiquement : permettre à ces
victimes de libérer leurs émotions devant ceux qui ont vécu la même expérience (abréaction
cathartique), prendre conscience qu’ils sont comme les autres victimes, aborder des
questions pratiques et les sensibiliser aux risques de développer des symptômes psycho
traumatiques.
En cas de catastrophe individuelle, un abord psychologique précoce est indiqué en vue
d’éviter ou de diminuer les affections psycho-traumatiques secondaires.
2° Le traitement pharmacologique.
À cause de la grande fréquence d’une comorbidité d’abus de substance, les
benzodiazépines doivent être évitées la plupart du temps.
Comme c’est le cas pour tous les autres sous-types de troubles anxieux, les Inhibiteurs
Sélectifs de la Recapture de la Sérotonine (SSRI) seraient le traitement de choix. De
nombreux essais sont en cours sur ces produits.
En dépit d’une certaine efficacité, les antidépresseurs tricycliques et IMAO sont relégués en
deuxième et troisième ligne.
Pensée psychanalytique
Europe
//
D.S.M. IV
E.U.
Compréhension psychogénétique
SENS (histoire singulière)
Description des symptômes
Diagnostic
Classification
Attitude thérapeutique
Traitement médicamenteux
II - 3
- 40 41
Quatre types
DSM IV
AXE I
•
Névrose d’angoisse
- Anxiété généralisée
- Le trouble panique
- Stress post-traumatique
•
Névrose phobique
- Agoraphobie
- Phobie spécifique
- Phobie sociale
•
Névrose obsessionnelle
- T.O.C.
- Hypocondrie
•
Névrose hystérique
- Troubles de conversion
- Troubles de somatisation
- Troubles dissociatifs
DSM IV
Quatre types
AXEII
•
Névrose d’angoisse
- Personnalité dépendante
•
Névrose phobique
- Personnalité évitante
•
Névrose obsessionnelle
- Personnalité obsessionnelle
- Compulsive
•
Névrose hystérique
- Personnalité histrionique
- Personnalité narcissique
Quatre types
DSM IV
AXEII
•
Névrose d’angoisse
- Insécurité de base = peur de « tout »
peur des séparations
•
Névrose phobique
•
Névrose obsessionnelle Δ Stade anal
•
Névrose hystérique
Δ Stade oral -
Δ Stade œdipien
II - 3
= peur d’être agressé, peur qu’un tiers
ne nous empêche d’obtenir ce que nous
désirons
= peur d’agresser
peur de faire mal
= peur « d’aimer »
peur de ne pas être aimé
- 41 41
4. TROUBLES DE LA PERSONNALITE
2012
4.1.-
INTRODUCTION
La notion de personnalité se réfère à l'organisation psychique de l'individu. Les traits de
personnalité sont constitués des modalités habituelles de réaction, de réflexion, de
perception. Le caractère désigne le comportement (le versant extérieur de la personnalité)
dans la vie relationnelle. On parle ainsi de caractère agressif ou passif. Le tempérament
décrit la personnalité selon des facteurs biologiques. Ainsi, Galien avait une théorie de 4
tempéraments : sanguin, colérique, mélancolique et lymphatique.
En fait, la notion de personnalité pathologique pose avec acuité le problème de la
distinction entre le normal et le pathologique en psychiatrie, et des glissements de l'un à
l'autre. Plusieurs grandes théories psychologiques ont développé un système de
classification des troubles de la personnalité.
Ainsi, la psychanalyse a-t-elle dérivé la personnalité dépendante du stade oral, la
personnalité obsessive-compulsive (ou obsessionnelle) du stade anal, la personnalité
hystérique (ou histrionique) du stade phallique, selon la progression de la psychogénèse
de l'individu. Kretschmer a proposé une typologie mettant en relation la morphologie du
corps et la structure psychologique (le pycnique cyclothyme s'oppose au leptosome
schizothyme, tout comme la P.M.D. s'oppose à la schizophrénie) Pour Kretschmer, il
n'existerait que des transitions quantitatives entre la psychose et la normalité.
Les traits de personnalité ne constituent des troubles de la personnalité que lorsqu'ils sont
rigides, inadaptés et responsables soit d'une altération significative du fonctionnement
social ou professionnel, soit d'une souffrance subjective.
Néanmoins, les classifications adoptées par le D.S.M. IV et par l'ICD 10 ne paraissent pas
satisfaisantes, en particulier par leur manque de spécificité.
Une modification de la
classification actuelle est envisagée pour un avenir proche (DSM V), afin d’introduire des
critères en rapport avec les altérations des grandes fonctions psychologiques.
Nous avons choisi de regrouper les personnalités pathologiques en deux grandes
catégories dérivées des concepts classiques de névrose et de psychose. Ensuite, en
accord avec le DSM IV, nous classerons dans les personnalités pathologiques deux
entités qui constituent vraisemblablement des affections psychopathologiques spécifiques
(il s'agit des états limites et de la psychopathie).
II-4-1
Enfin, nous tenons à attirer l'attention sur le fait que les troubles de la personnalité sont
extrêmement fréquents dans la population et conditionnent l'attitude des patients non
seulement vis-à-vis de l’entourage familial et professionnel, mais encore vis-à-vis de toute
tentative thérapeutique médicale ou psychologique. Le diagnostic de personnalité
pathologique peut être concomitant à un autre diagnostic psychiatrique (p. ex. dépression
sur base d’une personnalité histrionique décompensée).
Tableau : LE GRADIENT PSYCHOPATHOLOGIQUE
NORMALITE
TROUBLE DE LA
PATHOLOGIE
PERSONNALITE
PSYCHIATRIQUE
Dans le trouble de la personnalité ou
personnalité pathologique, les traits
deviennent rigides, inadaptés,
sources de souffrance personnelle,
familiale ou de préjudice
professionnel et social
Les traits s’accentuent et constituent
des symptômes d’une affection
psychiatrique majeure
Personnalité histrionique
Hyperexpressivité
Demande d’attention
Abattement si négligée
Hystérie (névrose hystérique)
Conversion
Crises exito-motrices
Dramatisation
Troubles de la mémoire
Paranoïa (psychose paranoïaque)
se sent en danger de mort
- mégalomanie
-conviction inébranlable
- délire de persécution
AVEREE
Chaque personne montre certains
traits de personnalité qui sont lui sont
propres mais qui restent dans les
limites de la normale : p.ex.
amabilité, égoïsme, extraversion,
avarice, colérique etc… Ces traits
peuvent être exprimés ou réprimés
selon les circonstances
Une Personne ( la « starlette »)
Expressive
Extravertie
Démonstrative, inattendue,
divertissante, légère, futile …
Une personne (le « boss »)
Méfiante (rusée),
Sûre de soi, persévérante,
Autoritaire,
Rigoureuse,
Susceptible.
4.2.-
Personnalité paranoïaque
Méfiance systématique négative
Hypertrophie du moi
Autoritarisme, rigidité
Soupçon systématique de préjudice
LES PERSONNALITES PATHOLOGIQUES DERIVEES DE LA PSYCHOSE
4.2.1. La personnalité paranoïaque
Ce type de personnalité a déjà été décrite comme personnalité prémorbide de la paranoïa.
Elle est caractérisée par :
-
hypertrophie du moi : orgueil, surestimation de soi (il a toujours raison !)
-
psychorigidité, intolérance, autoritarisme (vis-à-vis du conjoint ou des collaborateurs)
-
souvent, il se sent incompris ou mal jugé, non reconnu à sa vraie valeur. Néanmoins, il
est persuadé que sa modestie apparente et son opiniâtreté finiront par convaincre les
sceptiques. Personnes connues pour leur susceptibilité.
II-4-2
-
méfiance : il soupçonne la recherche d'intérêt personnel des autres et vérifiera toujours
les assertions des autres. Jalousie vis-à-vis du conjoint, doute quant à sa fidélité.
-
tendance à cacher sa pensée et ses actes pour ne pas donner des armes contre lui.
-
soupçonne les autres d'intentions préjudiciables à son égard.
-
troubles du jugement : raisonnement correct mais sur des prémisses fausses (p. ex.
nuisance créée par un voisin dans une intention de préjudice). Querelle de limites de
terrain, menée jusqu'au tribunal (quérulence).
-
avantage social transitoire : organisé, méfiant, sûr de lui, il progressera dans les
structures très hiérarchisées. Il est incapable d’un travail d’équipe et se révèle un tyran
familial
-
une décompensation éventuelle se manifesterait par une dépression, par une évolution
vers la paranoïa délirante, ou encore par un alcoolisme !
N.B.personnalité sensitive :
•
introduite par Kretschmer, il s'agit d'une personnalité à forte tendance interprétative
(projective) associée à une asthénie : hyperémotif scrupuleux, tourmenté, insatisfait,
éternelle victime.
•
peut décompenser en délire sensitif de relation (impression ou « sensation » que
tout le comportement des autres est adressé à soi)
4.2.2. La personnalité schizoïde
Personnalité pré-autistique qui n'apprécie pas les relations interpersonnelles (y compris
sexuelles). Peu d'activités visibles, indifférent à la louange ou au reproche. Le sujet est
considéré comme froid, détaché et il vit en solitaire. Une variante mineure constitue la
personnalité évitante, à composante anxieuse.
Vignette clinique : Le patient est âgé de 41 ans et est issu d’un milieu agricole. Il n’a
jamais vraiment quitté le toit paternel. Il a obtenu un graduat en comptabilité.. Il exerce le
métier de fonctionnaire au Ministère des Finances où il travaille seul dans un bureau.
Jamais de relation amicale ni affective, jamais de sexualité active.
La décompensation survient après l’obtention d’une promotion qui le met en relation avec
les contribuables récriminateurs… Il ne peut faire face, s’angoisse, se déprime et
commence à consommer régulièrement de l’alcool. Il doit arrêter son travail et sera
prépensionné à 48 ans. La symptomatologie s’améliore dès l’arrêt du travail.
II-4-3
4.2.3 La personnalité schizotypique :
- tendance à l’interprétation (sentiment que les événements sont dirigés vers lui et ont
un sens) sans délire ni hallucinations (critique reste possible).
-
croyances superstitieuses, intérêt pour sectes, télépathie, sciences occultes.
-
discours et pensées étranges, loin du sens commun.
- comportement et présentation de soi occasionnellement excentrique : « type
bizarre ».
-
difficulté de contact social élargi.
Ce type de personnalité serait en continuité avec le syndrome schizophrénique. L'hérédité
serait la même.
4. 3.- LES PERSONNALITES PATHOLOGIQUES DERIVEES DE LA NEVROSE
4.3.1. La personnalité histrionique (ou hystérique)
C'est une forme de personnalité dérivée directement du concept de névrose hystérique.
Cette personnalité se caractérise par les traits suivants :
- émotivité excessive avec une expressivité corporelle prédominante : le corps parle !
- demande d'attention perpétuelle, sexualisation de la relation, souci de plaire.
- transformation
des
événements
habituels
en
catastrophes
ou
aventures
extraordinaires.
-
possibilité d'une bonne intégration socio-professionnelle dans des postes de contacts
(serveuse, réceptionniste), d'expressivité (public-relation) et de scène (acteur).
-
Complications : dépression, névrose hystérique, alcoolisme ou abus de médicaments.
La personnalité narcissique, individualisée par le D.S.M. IV est une accentuation
égocentriste(self grandiose) de la personnalité histrionique. La personnalité dépendante
(avec fixation orale) en est également une variante plus passive.
II-4-4
4.3.2. La personnalite obsessive-compulsive (ou obsessionnelle)
Elle est dérivée du concept de névrose obsessionnelle de la psychanalyse. pour qui elle
représente le résultat d'une fixation anale dans la psychogénèse. Elle est caractérisée par
:
- souci d'ordre de propreté, de rangement, méticulosité, ponctualité, scrupulosité.
- caractère économe jusqu'à l'avarice (rétention) ou le goût immodéré pour les
collections :
- rigidité psychique, tendance à l'intellectualisme et au pédantisme précision et recherche
ridicule).
Au départ, ces caractéristiques peuvent favoriser l'intégration sociale et professionnelle (p.
ex. : comptable). Cependant, la méticulosité diminue les chances d'occuper un poste de
leadership. Il existe également un risque de dépression par épuisement dans la
scrupulosité, p. ex. lorsque le rythme du travail l’exige. Le recours à l’alcool peut aider à
desserrer le carcan des contraintes.
Les traits de personnalité peuvent être compris comme des formations réactionnelles de
contre-investissement suite aux refoulements qui interdisent la satisfaction anale, faite de
saleté et d'agressivité.
N.B. La personnalité psychasthénique
Il s'agit d'une entité française introduite par Pierre Janet, contemporain de S. Freud. Il
s'agit d'une personnalité proche de l'obsessionnel compulsif, avec scrupules, doutes,
rumination mentale. En outre, le psychasthénique ressent de la fatigue de façon
permanente, surtout accentuée le matin au lever (trait dépressif). Souvent, il existe une
tendance à abuser de psychostimulants (tabac, café, alcool, vitamines diverses...) pour
combattre cette langueur... Des décompensations dépressives ou anxieuses sont
fréquentes, de même que les assuétudes.
4.4.
LES ETATS LIMITES OU PERSONNALITE BORDER-LINE
Il ne faut pas faire de ce trouble de la personnalité un « fourre-tout » où l'on pourrait
entasser tous les cas pour lesquels des diagnostics de psychose (schizophrénie limite) ou
de névrose (névrose marginale) n'ont pu être posés. Il s'agit d'une pathologie spécifique,
étudiée en France par Bergeret dans ses relations avec la dépression et aux U.S.A. par
II-4-5
Kernberg dans ses investissements objectaux précoces. Le terme souvent employé de
« personnalité abandonnique » décrit la crainte majeure de ces patients : être
abandonnés, laissés seuls, sans amour. Pour attirer l'attention et aussi s’en punir, ils sont
prêts à s'automutiler (coupure, grattage, brûlure) ou à faire des tentatives de suicide à
répétition.
- angoisse : la perte du sens de la vie et abandon par les personnes investies par le
patient
-
sentiment de vide intense et d’ennui
-
alternance de rejet (dévaluation) et d’adoration (idéalisation,) des personnes investies
- tentatives de suicide, automutilation volontaire, chantage affectif vis-à-vis des proches
et de l’équipe thérapeutique
- variations rapides de l'humeur, dysphorie, explosions de colère incontrôlée
-
troubles de l'identité par clivage du moi (coexistence de tendances opposées) et
dévalorisation de soi
-
Cependant, il y a préservation du sens de la réalité contrairement à la psychose.
Le traitement est symptomatique, médicamenteux et psychothérapeutique, en profondeur
(contrôle du transfert, interprétations directes, surveillance drastique de l’acting-out). Le
thérapeute devra se garder très soigneusement d’un envahissement de sa propre vie par
le patient et ne jamais croire qu’il en sera le sauveur définitif.
4.5.
LA PERSONNALITE ANTISOCIALE (OU PSYCHOPATHIE OU SOCIOPATHIE)
Définition
Le psychopathe est un inadapté permanent aux normes et aux lois de la vie en société,
caractérisé par une conduite répétitive de “passages à l’acte”, destinés à apporter une
satisfaction immédiate, sans prendre en considération à long terme ni son propre bien ni
celui d’autrui.
Caractère
L'intolérance aux frustrations, l'impulsivité, l'instabilité, l'inadaptation courent comme un fil
rouge au travers de toute la vie du psychopathe. Dans l'enfance : irritabilité, colère, fugue
(enfant « caractériel »). Dans l'adolescence : petite délinquance (vol de vélomoteur),
conflits avec l'autorité scolaire.
A l'âge adulte : instabilité des liaisons affectives et de l'emploi, absence de sens moral.
II-4-6
Etiologie
Généralement, ces patients sont issus de milieux instables où les possibilités
identificatoires vis-à-vis des parents sont restreintes. Il n'y a pas d'intériorisation de la loi
parentale, soit parce qu’elle n’est pas représentée de façon crédible (père alcoolique ou
lui-même transgresseur systématique) soit parce que l’identification est impossible (père
« parfait », trop dur, trop lointain). D’un point de vue psychanalytique, il s’agit d’un défaut
de constitution de l’instance du SUR-MOI.
Complications
Perversions sexuelles (pédophilie), toxicomanie et alcoolisme (le plaisir tout de suite).
Crise d'agitation. Délinquance et récidives. Dépressions. Suicide.
Traitement
- Prise en charge essentiellement sociale (il y a plus de psychopathes dans les prisons
que dans les hôpitaux !)
- Guidance psychothérapeutique et traitement symptomatique (sevrage, antidépresseurs,
anxiolytiques...)
-
Vie en communautés spécialisées à visée psycho-éducative.
BIBLIOGRAPHIE :
Daillet A.
Psychopathies et trouble de la personnalité antisociale
Acta psychiatrica Belgica, n° 97, pp. 65 – 78, 1997
4. 6.
POUR CONCLURE
Il serait possible de citer et de décrire encore au moins une centaine de personnalités
pathologiques identifiées et agrégées par différents auteurs dans l’histoire de la
psychiatrie. Nous nous sommes contenté de décrire les plus fréquentes. et les catégories
les plus utilisées dans la psychiatrie belge. Sans doute, les Etats limites (Border-line) et la
Psychopathie constituent-ils des entités pathologiques à part entière qui débordent le
cadre strict des personnalités pathologiques. De toute façon, il y a lieu de bien déterminer
le diagnostic différentiel entre ces affections et d'une part les névroses (existence de
symptômes névrotiques résultant de conflits psychologiques) et d'autre part les psychoses
(absence du respect de la réalité dans les délires et les hallucinations).
II-4-7
Si cela est nécessaire, le diagnostic sera aidé par la réalisation de tests projectifs
(Rorschach - TAT - Szondi).
Le traitement psychothérapeutique de soutien sera avantageusement accompagné d'une
médication adaptée au symptôme cible (anxiolytique, antidépresseur ou neuroleptique à
faibles doses). De toute façon, il s’agira de prise en charge de très longue durée, puisque
les symptômes sont très intimement intriqués à la personnalité même (de base) du patient.
Il s’agit plus d’une problématique de l’être plus que de l’avoir, Comme l’atteste le langage
populaire qui dira : celui-là est un asocial alors que celui-ci a une dépression …
II-4-8
Chapitre III : Trouble des conduites
1. LES ASSUETUDES
2012
1.1. GENERALITES
Assuétude traduit le terme anglais ADDICTION, qui désigne toute consommation
habituelle d'un produit psychotrope, en pratique l'alcool, les drogues, les médicaments.
L'utilisation de produits modifiant l'affectivité ou la conscience est répandue dans toutes
les civilisations humaines de toutes les époques.
Toute assuétude est fonction de trois critères : premièrement la personnalité,
deuxièmement la société dans laquelle elle se développe, y compris « la courroie de
transmission » entre ces deux pôles, c'est-à-dire la famille et troisièmement le produit
utilisé lui-même.
Produit
Assuétude
Personnalité
Société
Famille
1.1.1. Personnalité
Caractérisée par une importance des traits oraux (au sens psychanalytique) : comme le
petit enfant qui réclame la tétée, l'individu veut sa satisfaction immédiatement, dans un
court-circuit des étapes de l'obtention du plaisir. Néanmoins, il ne semble pas exister de
personnalité alcoolique spécifique qui déterminerait le recours aux psychotropes (p. ex.
pas de personnalité « pré-alcoolique »).
Famille :
Transmet à l'individu les valeurs d'une société. Certaines familles ont particulièrement
III-1-1
repris à leur compte un des idéaux de notre société de consommation : "A chaque trou,
son bouchon", le whisky qui détend et remonte, la cigarette qui relaxe, le somnifère qui
endort, l'aspirine qui ôte la douleur, etc ...
1.1.2. Société
Dans le monde occidental, l'alcool est le premier agent psychotrope. L'opium n'était pas
réprouvé dans la Chine traditionnelle, le haschisch est d'usage courant en Afrique et au
Moyen-Orient. Par contre, l'alcool est sévèrement prohibé dans les pays islamiques. La
feuille de coca connaît un usage millénaire dans les Andes, afin de diminuer la sensation
de faim et de fatigue des pasteurs andins. Ainsi, chaque culture possède ses interdits, ses
permissions. Chaque société prend une position spécifique vis-à-vis de l'usage des
produits et promeut un « bon usage » de certains produits. Le caractère licite (alcool) ou
illicite (héroïne - cocaïne) des produits va déterminer une partie du tableau clinique : chez
nous, tout consommateur d'héroïne est nécessairement « hors-la-loi » et passible
d'emprisonnement.
1.1.3. Produit
Par ses caractéristiques pharmacologiques propres, ce produit contribue à déterminer un
décours spécifique des troubles. Le plus souvent, le nom de la maladie a été dérivé de
celui du produit (on parle d'alcoolisme, d'héroïnomanie, de cocaïnomanie, etc ...). Trois
paramètres spécifient le rapport individu-produit :
Dépendance physique :
L'organisme ne peut plus se passer du produit pour éviter les troubles du sevrage (ex. : le
sevrage de l'alcool peut entraîner un delirium tremens). L'apparition d'un sevrage signe la
dépendance physique et comporte toujours anxiété, insomnie, nausées, vomissements,
tremblements.
Dépendance psychique :
L'individu ne peut plus envisager de vivre sa vie sans consommer le produit. Par exemple,
tel jeune homme ne peut pas inviter pour une danse s'il n'a pas bu 3 verres d'alcool. L’effet
de facilitation (désinhibition) et l’anxiolyse représentent des expériences agréables que la
personne aura tendance à répéter pour obtenir les mêmes effets positifs.
III-1-2
Tolérance :
Nécessité d'augmenter la dose pour obtenir le même effet (typique de l'héroïne).
Une
drogue
dite
dure,
comme
l'héroïne,
à
cause
de
ses
caractéristiques
pharmacologiques mêmes (dépendance psychique et physique rapide, plus tolérance)
déterminera la forme spécifique de l'héroïnomanie : nécessité d'injecter toutes les six
heures sous peine de souffrir d'un syndrome de sevrage et d'augmenter la dose pour
obtenir le même effet.
Ceci implique l'achat ou l'obtention quotidienne du produit (« en trouver ») et son
payement (environ 40 € le gramme) à partir de vol, prostitution ou revente. Les
caractéristiques pharmacologiques du produit, en plus de son caractère illicite, vont
influencer de façon déterminante le décours de l'assuétude. Dans les pages qui suivent,
nous reprendrons une classification selon le produit utilisé : tout d'abord l'alcool, ensuite
les drogues illicites, enfin l'abus de médicaments.
TABLEAU DES EFFETS DES DIFFERENTS PRODUITS
Produits
Tolérance
Alcool
Dépendance
Psychique
+
Amphétamines
+
Dépendance
physique
(sevrage)
Intoxication
(Over-Dose)
+
+++
+++
++
+
++
Caféïne
+
+
-
+
Cannabis
-
+
-
+
Cocaïne
++
+++
+
++
-
+
-
+
Nicotine
+
+
+
-
Opiacés
++
+++
+++
+++
Hallucinogènes
(LSD)
(Héroïne)
Benzodiazépines ++
+
+
+
Barbituriques
++
+
+
+++
Meprobamate
+
+
++
+
N.B. : le nombre de croix n'a qu'un caractère indicatif de l'intensité des phénomènes
cliniques observés
III-1-3
1.1.4. Nosographie
Dans un dossier de classification internationale pour la recherche, le D.S.M.-IV a introduit
une classification selon le type de produit : alcool, opiacés, cocaïne etc... Pour chaque
type de produit, il distingue deux « modalités de rapport » au produit :
1°
La dépendance (Substance Dependance)
avec spécification de l'existence d'une dépendance physiologique (=
physique) attestée par la présence de tolérance et de manifestation
de sevrage à l'arrêt. Cependant, la dépendance physiologique n'est
pas indispensable pour déterminer un diagnostic de dépendance
dans le cadre du D.S.M.-IV, puisqu’une dépendance psychologique
très importante peut déterminer l’attribution du diagnostic.
2°
L'abus (Substance Abuse)
Troubles sociaux (légaux) ou professionnels ou familiaux ou
personnels dus à la consommation d'un produit et persistance
malgré cela de la consommation.
D’un point de vue plus clinique, et en fonction de l'usage francophone, nous avons préféré
garder le terme d'alcoolisme pour l'ensemble des troubles liés à la consommation de
l'alcool, en spécifiant l'existence d'une dépendance physique ou non. Nous avons procédé
parallèlement pour la toxicomanie, terme réservé chez nous aux drogues illicites. Pour les
médicaments en vente libre ou non, les termes de dépendance (phamacodépendance) et
d'abus de psychotropes sont habituels et seront donc retenus ici.
1. 2.- TROUBLES LIES A L'UTILISATION DE L'ALCOOL
La consommation récréative d'alcool n'est pas considérée comme pathologique dans
notre civilisation occidentale où elle est pratiquée couramment par la majorité des
individus adultes. De même, chez nous, l'ivresse simple constitue une altération de l'état
de conscience qui ne relève pas de la psychopathologie. Certaines situations excluent les
boissons alcoolisées (conduite automobile) ou certaines circonstances permettent l'ivresse
(« guindaille », carnaval).
Nous allons considérer tant les troubles provenant de l'intoxication somatique que les
troubles du comportement.
III-1-4
1.2.1. Ivresse pathologique
Facteurs favorisants :
- épilepsie, psychopathie, schizophrénie, affaiblissement somatique, ...
Symptomatologie :
- méconnaissance de la situation réelle
- émotions excessives : colère, angoisse
- crise excito-motrice : il cogne, hurle, brise, ...
- les troubles disparaissent avec la fin de l'intoxication
- pas de traitement, hors une sédation forcée en cas d'auto- ou d'hétéro-agressivité ou
encore de comportement dangereux.
1.2.2. Coma éthylique
-
résulte d'une ingestion massive d'alcool
-
alcoolémie supérieure à 3 g/l (maximum autorisé pour la conduite automobile 0,5 g/l)
-
hypothermie, dépression respiratoire, hypoglycémie, collapsus cardio-respiratoire
- indication de traitement hospitalier en urgence
1.2.3. Sevrage alcoolique
-
survient chez un patient dépendant
-
se développe 8 à 24 heures après la dernière ingestion
-
symptômes :
- tremblements des mains
- nausée ou vomissement
- anxiété, insomnie
- transpiration, accélération du rythme cardiaque
- possibilité de crise épileptique Grand-Mal
-
traitement : sédation, hydratation massive, vitamine B
1.2.4. Delirium tremens
-
5% des personnes en sevrage d’alcool développent un D.T.
-
survient chez un alcoolique confirmé avec plusieurs années de pratique (attention :
possible chez le sujet jeune puisque l’alcoolisme peut débuter à l’adolescence)
-
il s'agit d'un accident de sevrage (arrêt brusque de l'alcoolisation :trop peu d'alcool
dans le sang !)
-
ce sevrage brutal peut être volontaire (décision subite de l'alcoolique d'arrêter sa
III-1-5
consommation)
ou
involontaire
(maladie,
opération,
accident
qui
empêche
l'approvisionnement)
Symptomatologie :
-
hallucinations visuelles (zoopsies : petits animaux, comme des araignées, des souris,
des oiseaux, qui courent sur les murs ou au plafond) et auditives (le patient entend des
appels, des cris, des ordres).
Ces hallucinations sont favorisées par l'isolation sensorielle (chambre noire et
silencieuse)
-
agitation (courses, cris, affairement)
-
insomnie quasi totale...
-
tremblement important de tout le corps, perte de l'équilibre, chutes
-
température
augmentée
et
déshydratation
(soif,
sueurs
profuses,
troubles
électrolytiques qui peuvent être mortels)
Traitement spécifique : le trépied - vitaminothérapie B - hydratation - sédation
A effectuer en urgence (sinon 5 à 10 % de décès) :
- vitamine B1 – B3 – B6 en injection I.M.
-
hydratation massive et contrôle électrolytique
-
sédation (Distraneurine ou Tiapridal ou Valium ou Nozinan)
1.2.5. Syndrome de Korsakoff
II est constitué d'une triade :
* amnésie antérograde (oubli au fur et à mesure)
* fausses reconnaissances et fabulations : le patient ne se rappelle plus d’une visite à
l’autre l’identité et la fonction du médecin. Il doit inventer pour combler les trous de sa
mémoire
* désorientation spatio-temporelle (où êtes-vous ici ? quelle est la date d’aujourd’hui ?)
Il s'agit d'une atteinte spécifique de la mémoire de fixation après des années d'intoxication
chronique à l'alcool. Cette altération du système nerveux central est souvent
accompagnée d'une polynévrite des membres inférieurs ou parfois supérieurs (déficit
moteur et sensitif du système nerveux périphérique.: anesthésie en botte, sensation de
brûlure, paralysie des releveurs du pied).
L'étiologie en est le manque de vitamine B1 associé à l'alcoolisme pour une triple cause :
faiblesse de l'apport alimentaire, mauvaise résorption gastrique et intestinale, utilisation
accrue au niveau hépatique. Détérioration cérébrale spécifique : lésion nécrotique des
III-1-6
corps mamillaires et du thalamus.
Une complication rare est le syndrome de Wernicke : ataxie, nystagmus et confusion
mentale
Une fois constitué , le syndrome de Korsakoff n'est que rarement réversible (dans 20 %
des cas). Le seul traitement consiste en une cure longue et massive de vit. B1, associé à
des exercices de stimulation cognitive (rééducation neuropsychologique).
N.B. : rarement, le syndrome de Korsakoff peut avoir une étiologie autre que l'alcoolisme,
comme une intoxication au CO ou une anoxie prolongée.
2.6. Alcoolisme chronique ou dépendance à l'alcool
A. Définition et généralités
Etat de tout individu atteint dans son intégrité corporelle ou psychique ou dans sa situation
sociale, à cause d'une consommation régulière d'alcool.
La consommation régulière
d'alcool peut-être discontinue ou encore continue et entraîne en ce cas une dépendance
physique.
La nosographie du D.S.M.IV. tend à fusionner les notions de dépendance physique et
psychique, pour ne plus considérer que l'intensité des phénomènes. Le terme d'alcoolisme
se trouve remplacé par celui de « dépendance à l'alcool ».
Lors d'un usage massif et prolongé, les troubles physiques seront particulièrement
marqués au niveau des systèmes digestif et nerveux (central et périphérique)
-
Foie hépatite et stéatose (réversible), cirrhose (irréversible)
-
Estomac : gastrite qui entraîne la pituite matinale (vomissement glaireux au réveil)
-
Pancréas : pancréatite (insuffisance pancréatique avec diabète)
-
SNP : polynévrite des membres inférieurs
-
SNC troubles liés au sevrage : tremblements, nausées, excitabilité
Des modifications psychiques (SNC) liées à l'intoxication chronique pourront également
apparaître :
-
labilité de l'humeur avec apparition de phases dépressives (80% des alcooliques)
-
amnésie : palimpsestes alcooliques (« l'amnésie du lendemain » ou black-out)
-
irresponsabilité, versatilité, excitabilité
III-1-7
Afin d'évaluer au mieux la situation clinique du patient, nous avons développé un
modèle qui prend en compte ses capacités sociales (travail, intégration), affectives
(relations amoureuses), ainsi que l'autonomie par rapport à la famille d'origine. Nous nous
pencherons d’abord sur le processus d’autonomisation avant d’en exposer les avatars
dans l’alcoolisme, dont nous proposerons une typologie.
B. L'autonomisation par rapport au milieu parental : trois critères
Le passage de l'adolescence à l'âge adulte nécessite l'accomplissement de trois
tâches, qui signent l'autonomisation effective d'une personne par rapport à son milieu
d'origine. Peu importe l'ordre de réalisation car de fait elles sont souvent simultanées.
L'accomplissement effectif de ces tâches dépend dans une large mesure de la
« croyance » des parents en la capacité de réalisation dont disposent leurs adolescents.
La première tâche consiste à s'assurer une indépendance financière, par l'exercice
d'une profession, suite à l'obtention d'un diplôme ou d'une formation professionnelle, sans
laquelle les notions d'indépendance et de liberté ne seraient que des leurres.
La
profession, en plus de l'indépendance financière, procure un enracinement dans la
communauté.
La deuxième tâche implique l'établissement d'une relation affective relativement
stable avec un ou une partenaire exogamique. Cette liaison constitue l'aboutissement
d'un processus individuel de maturation dans l'identité sexuelle, supposant un
déplacement des premiers investissements objectaux. Cette tâche est également corrélée
à l'établissement d'un groupe social relationnel et d'une organisation personnelle des
loisirs. Nous avons appelé « haubans socio-familiaux », ces deux modes d'ancrage dans
la vie affective et professionnelle.
Enfin, la troisième tâche consiste en la séparation et l'éloignement géographique
par rapport à la famille d'origine.
La distance choisie par l'individu est certainement
révélatrice de ses loyautés ou de ses nécessités intérieures : certains changent d'étage
dans le même immeuble, d'autres émigrent vers d'autres continents.
Le travail psychique qui sous-tend ces processus d'individuation, de sexuation et
de séparation s'avère considérable et susceptible de différents avatars. En particulier, en
fin d'adolescence, l'utilisation importante d'alcool compromet, altère ou même interdit la
III-1-8
réalisation des tâches à accomplir. Par contre, si l'alcoolisation abusive débute après la
mise en place de l'autonomisation, c’est-à-dire quand les trois tâches se trouvent
accomplies, la pathologie connaît un décours tout différent, marquée par la chronification
progressive et l'occupation élective de la scène conjugale par l'alcoolisme.
Enfin, poussée à l'extrême des capacités de l'individu et de son entourage,
l'alcoolisation aura pour conséquence la mise en marche d'un processus régressif de
désautonomisation, de régression, qui ramène l'alcoolique vers sa famille d'origine ou ses
substituts.
Ces trois moments de l'alcoolisation dans son rapport à la dynamique de
l'autonomisation vont constituer les trois types de situation clinique que nous allons
examiner dans la suite de notre travail.
C. Le type I : l'alcoolisme précoce du jeune adulte ou alcoolisme toxicomaniaque
Il s'agit d'un alcoolisme précoce du jeune qui n'a pas encore accompli les tâches de
l'autonomisation.
L'alcool est absorbé de façon d'abord discontinue, massive,
s'accompagnant de comportements violents de type délinquant et souvent d'épisodes de
perte de conscience.
Tout comme dans les toxicomanies à l'héroïne qui lui sont
contemporaines dans la classe d'âge, cet alcoolisme vise à la « défonce ». Il s'agit d'un
équivalent toxicomaniaque.
Quand l'initiation alcoolique précède la mise en place de l'autonomie, elle empêche une
gestation correcte de l'autonomisation : le jeune alcoolique n'obtiendra pas de qualification
professionnelle ni de relation affective stable et, en conséquence, restera bloqué dans sa
famille d'origine, dont il dépendra très largement quant à son intendance et à ses finances. Le
patient vit dans un état de dépendance primaire par rapport à sa famille. La problématique
se joue dans la verticalité, entre la famille et le patient. La famille essaie de procurer un
travail, parfois de simple complaisance (jardinier chez la grand-mère) à l'adolescent, qui
échouera répétitivement. La pathologie ira en s'aggravant au fur et à mesure que le hiatus
d'autonomisation par rapport à la classe d'âge ira en s'accroissant.
A ce moment, quand les haubans socio-familiaux ne sont pas encore assurés, le
retentissement destructif de l'alcoolisation s'avère le plus important : accidents de
circulation, problèmes judiciaires, incapacité professionnelle primaire. C'est sans doute
dans ce type d'alcoolisme que la composante génétique s'avère la plus prégnante, comme
l'a montré Goodwin.
Les troubles familiaux et en particulier l'alcoolisme des parents
III-1-9
seraient prédictifs quant à l'abus de substances psychotropes par les enfants.
D'un point de vue thérapeutique, il nous paraît avantageux, face à certaines
manifestations provocatrices adolescentaires, de maintenir le jeune et sa famille dans une
structure de soins aspécifique, c'est-à-dire non exclusivement spécialisée dans les
problèmes d'assuétudes, afin de ne pas précipiter une identification précoce à l'alcoolique
ou au toxicomane. Dans le cas spécifique d'un alcoolisme de type I, l'effort thérapeutique
portera sur l'accomplissement des tâches de l'autonomisation. Le prix à payer pourra être
un séjour dans une communauté thérapeutique spécialisée qui s'avérera indispensable,
tant pour réaliser une coupure par rapport à la famille d'origine que par sa fonction
éducative à la socialité.
Cas clinique n° 1 : Jacques C.
Il s'agit d'un jeune homme de 23 ans, enfant unique d'une famille aisée. Après avoir
échoué à plusieurs reprises dans ses études au niveau des humanités, il a entrepris sans
succès divers apprentissages techniques, sans jamais les mener à terme.
De cette
époque date la surconsommation alcoolique, en groupe de pairs, à l'extérieur de la
maison. L'alcoolisation a amené plusieurs accidents de moto et la destruction totale de la
voiture prêtée par la mère. Finalement, sans formation
professionnelle,
engagé par son père pour de menus travaux dans son entreprise.
Jacques
est
Sans affectation
précise, il reçoit la tâche de la secrétaire du père. Quand il se présente au travail, son
irrégularité donne lieu à des réprimandes violentes du père, sans toutefois amener un
véritable licenciement.
Si Jacques donne de nombreux soucis à sa mère, il lui procure également beaucoup de
joie et d'affection et elle l'entoure de soins vigilants. Souvent la nuit, à son appel, c'est elle
qui va le rechercher dans un café ou chez un ami. Bien convaincue qu'une mère ne peut
jamais mettre un enfant à la porte, Madame C. demande néanmoins une consultation
dans notre Centre, suite au dernier accident de Jacques qui souffrait d'une commotion
cérébrale. Les entretiens thérapeutiques réunirent d'abord Jacques et ses parents. Après
quelques mois, les parents seuls poursuivirent tandis que Jacques commençait un travail
rémunéré dans une autre ville.
D. Le type II : l'alcoolisme conjugué ou banal de l'âge adulte
Il s'agit là de l'alcoolisation abusive la plus commune dans notre société belge.
III-1-10
La
pathologie est essentiellement fonction de deux éléments : la durée du recours massif
à
l'alcool et la présence d'un co-alcoolique.
L'alcoolisme type II débute chez un adulte qui a déjà accompli ses tâches
d'autonomisation : engagé professionnellement et socialement, il a noué une relation
affective stable, il a souvent des enfants et s'est séparé, même imparfaitement, de sa
famille d'origine.
Confronté à un problème X, d'ordre somatique ou psychique,
professionnel ou conjugal, la personne a recours à l’alcoolisation comme auto-médication
de son angoisse, de sa dépression ou de son ennui.
Dans un premier temps, c'est parce que l'alcool se montre relativement efficace et
avantageux dans la résolution de la problématique du sujet, que celui-ci poursuit. Tant du
fait du phénomène physique de tolérance, que pour pouvoir « affronter » les problèmes
croissants laissés sans solution réelle, le sujet augmente sa consommation. Ce n'est que
dans un deuxième temps qu'il se trouve confronté aux conséquences négatives de son
alcoolisation (accidents de voiture, somnolence diurne, problèmes financiers) : alors
seulement l'intervention active du conjoint de l'alcoolique lui permettra de poursuivre son
alcoolisation.
Le conjoint de l'alcoolique tente toujours « d'arranger les choses »,
« d'arrondir les angles »: en fait, il n'en finit pas de glisser sa main protectrice entre la tête
de l'alcoolique et le mur de la réalité.
De plus, la tentative de vicariance du conjoint garantit paradoxalement la persistance du
symptôme, en annulant tous les phénomènes de rétroaction négative qui auraient pu le
limiter.
Bien involontairement, le co-alcoolique permet la pleine efflorescence du
syndrome alcoolique, momentanément délivré de toute entrave. Ce n'est que lorsque
cette tentative nécessairement désespérée échoue et que le co-alcoolique s'effondre,
qu'une demande de traitement est émise, le plus souvent par le co-alcoolique
décompensé (82 % des demandes de consultation dans notre Centre de consultation).
Il s'agit alors de ne pas se tromper de personne : c'est le co-alcoolique qui initie la
consultation et c'est d'abord sa demande spécifique qui doit être entendue et considérée.
D'emblée, le co-alcoolique est notre premier demandeur d’aide, même si l'alcoolique
deviendra notre patient dans un deuxième temps.
Dans l'alcoolisme de type II, la prise en charge nous semble dès lors spécifiquement et
électivement conjugale. En particulier, la cure de désintoxication pourra être menée avec
le soutien de la famille ou pendant un séjour limité en clinique. L'essentiel du travail
III-1-11
thérapeutique ambulatoire porte sur l'élaboration d'un projet thérapeutique cohérent avant
la mise en place d'une cure et l'accompagnement du couple (ou de la famille) en postcure. Ces traitements s’étendent fréquemment sur plusieurs années.
Cas clinique n° 2 : Pierre G.
Aîné d'une famille de 5 enfants, Pierre G. était destiné par sa mère à la prêtrise.
Après avoir terminé des études supérieures, il se marie à 26 ans.
Peu après,
naissent successivement trois enfants. A chaque naissance, Pierre marque le coup
: chaque fois, il a l'impression que l'enfant, bien que désiré par les deux conjoints,
l'éloigne de son épouse en focalisant complètement l'attention de celle-ci. Employé
apprécié, il boit de l'alcool dans sa voiture en parcourant le journal, avant de rentrer
à la maison « pour supporter les cris et le désordre ». En fait, depuis la naissance
du premier enfant, le couple a abandonné très largement la vie
sociale
et
les
loisirs auxquels ils se consacraient ensemble auparavant. Ecroulé dans un fauteuil,
Pierre G. reste des soirées entières prostré devant la télévision et ne participe plus à
la vie familiale.
Dégoûtée par l'aspect et l'odeur de son mari, Madame G. se
consacre totalement à l'éducation des enfants.
En outre, comme son mari est
devenu négligeant dans les affaires financières du ménage, elle s'occupe de la
gestion. Finalement, quand il frappe violemment l'aîné des enfants, Madame G.
atteint la limite de ce qu'elle pouvait supporter et prend contact avec nous en vue
d'une consultation. Le traitement se déroula pendant trois ans selon les modalités
d'une thérapie de couple.
D. Le type III : l'alcoolisme désinséré
Il convient d’abandonner le terme de « dépassé » pour désigner ce troisième type
d'alcoolisme, particulièrement afin d'éviter l'équivoque analogique avec un coma dépassé,
là où elle induirait la notion d'alcoolisme sans retour, sans guérison possible. De fait, chez
l'alcoolique désinséré, ce qui est dépassé, c'est la capacité de maintenir une autonomie,
telle que nous l'avons définie plus haut.
La réalité clinique que nous avons voulu identifier par le terme d'alcoolisme dépassé,
concerne l'alcoolique qui, à la fin de l'adolescence, a effectivement réalisé les tâches de
l'autonomisation et mis en place les haubans socio-familiaux de l'amour et du travail.
Ensuite, dans l'évolution de sa maladie, il les a rompus, il a perdu son travail et son
conjoint et il a fait en sens inverse, à reculons, le chemin parcouru de l'adolescence vers
III-1-12
l'âge adulte. Le patient régresse vers un statut adolescentaire secondaire où il se retrouve
dépendant de sa famille d'origine (souvent réduite à la seule mère) ou d’une institution
sociale (« bonne mère » de secours), tant pour le logement que pour le ménage, ainsi que
pour une partie de ses finances et de son environnement affectif.
Souvent le patient connaît une dégradation de son état général, de ses capacités
psychiques de résistance aux frustrations, aux contrariétés.
le hiatus entre l'âge
biologique et l'âge de maturation (autonomisation, responsabilité, indépendance) montre
un écart maximal et est en lui-même générateur de douloureux conflits (à 37 ans, on ne se
fait plus entretenir par sa mère, attraper quand on rentre tard, ...).
Cette situation est connue comme très grave par les cliniciens car les deux protagonistes
évoluent dans un univers duel où la loi n'est plus transcendante mais apparaît comme
arbitraire ou fantaisiste. Les retours du débit de boissons sont de plus en plus tardifs, il n'y
a plus d'heures pour le lever, toutes les contraintes limitatives ont disparu. Seulement une
décompensation parentale ou un signal d'arrêt somatique (délirium, coma alcoolique,
hémorragie) peuvent créer une modification de l'organisation de tutelle.
D'un point de vue thérapeutique, l'alcoolisme dépassé exige une prise en charge lourde, à
la mesure de la destruction psychosociale qui le caractérise. Les leviers thérapeutiques
les plus puissants, tels que séjours hospitaliers, communautés thérapeutiques, centres
ambulatoires de réinsertion doivent être mobilisés. Le
chemin de l'autonomisation doit
être parcouru à nouveau en sens inverse et le recours à des centres spécialisés s'avère
toujours nécessaire. Dans ces prises en charge, il est indispensable de travailler avec le
parent à nouveau esseulé, afin qu'il comprenne et soutienne la démarche, longue et
difficile, entreprise par le malade.
Cas clinique n° 3 : Henriette A.
Mariée à 21 ans, Madame Henriette A. donne naissance à cinq enfants. Très occupé par
sa vie professionnelle, son mari lui laisse toutes les responsabilités de l'éducation et de la
gestion quotidienne de la famille.
De caractère anxieux, Madame A. éprouve des
difficultés d'endormissement qu'elle atténue par la consommation croissante de vin de
Porto. Après quelques années, elle consomme déjà le matin afin de calmer ses malaises
et ses tremblements. Plusieurs cures de désintoxication, ambulatoires et hospitalières,
sont entreprises sans résultats durables.
Excédé par la situation, Monsieur A. quitte son épouse dès l'émancipation du dernier
III-1-13
enfant. A 52 ans, démunie de ressources propres suffisantes, Madame A. se réfugie chez
sa mère âgée de 78 ans. Là, elle mène une vie anarchique dans un pavillon de jardin où
lui est déposée sa nourriture. C'est en état de coma éthylique qu'elle est amenée au
Service des Urgences de l'hôpital.
Après une cure de désintoxication, la patiente
séjournera 9 mois dans une communauté thérapeutique.
F. En guise de conclusion
La proposition de classer les abus d'alcool en trois types représente une manœuvre
réductrice de la réalité clinique. Néanmoins, il nous semble que notre modèle se révèle
utile d'au moins deux points de vue. D'une part, il permet une identification plus précise
de la demande de traitement qui s'avère toujours une demande de l'autre, le non
alcoolique, qu'il soit un des membres du couple des géniteurs, le conjoint, le parent isolé
ou l'instance de remplacement parental. De même, l'attention se porte d'emblée sur la
scène électivement familiale où se joue le drame de l'alcoolique. D'autre part, le modèle
aide à choisir une stratégie thérapeutique définie et réalisée en fonction de la
problématique identifiée, en dehors de toute référence à de pseudo critères biopsychologiques.
Néanmoins, la question de la réalité de l'autonomisation pour certains alcooliques de type
II doit être posée sérieusement : tous les cliniciens connaissent de ces patients très
instables dans leur emploi, mariés du bout des lèvres et vivant dans la même rue, voire le
même immeuble que leur famille d'origine, à qui ils rendent visite quotidiennement. Peuton parler à leur égard de type II alors qu'ils n'ont pu réaliser qu'une autonomie factice, une
pseudo-autonomie ? Nous serions tentés de répondre par l'affirmative, l'autonomisation
en tant que concept positif abstrait, (c’est une sorte d’idéal, pas un “défaut” comme les
identifie la clinique) ne permettant jamais qu'un rapport asymptotique à lui-même.
G. . Traitement
Comme nous venons de l'exposer, le traitement de l'alcoolique sera fonction non
seulement de son état de dépendance à l'alcool mais aussi et surtout de son insertion
socio-familiale.
La pathologie alcoolique est une pathologie chronique, dans laquelle la rechute doit être
prévue et acceptée tant par le patient et sa famille que par l'équipe soignante. En règle
générale, la demande de traitement sera faite par le co-alcoolique décompensé.
Cependant, l'arrêt de la boisson ne peut être décidé que pour l'alcoolique lui-même, qui
III-1-14
désire tenter de vivre sans recourir à des boissons alcoolisées. Donc, si c'est le coalcoolique qui initie la consultation, c'est l'alcoolique qui « choisit » le moment de sa
désintoxication.
Lorsqu’une dépendance physique s’est installée (présence d’un syndrome de
sevrage à l’arrêt de la consommation), il n’y a que très peu de chance (moins de 10 %)
pour que l’alcoolique puisse reprendre une consommation sociale (normale ou sans
ennuis). La décision de l’abstinence complète doit être prise par l’alcoolique lui-même,
quand cette situation lui a été expliquée par l’intervenant. Le conjoint, parfois la famille
sera toujours associée aux entretiens. Il arrive que le patient alcoolique ne désire pas
pratiquer d’emblée l’abstinence complète et veuille poursuivre une consommation réduite.
Il est légitime d’essayer cette méthode pour les alcooliques non-physiquement
dépendants, après avoir éclairé le patient et sa famille sur les risques encourus. Un
programme de consommation modérée peut lui être conseillé, tout en conservant un
contact thérapeutique régulier.
III-1-15
DOUZE CONSEILS POUR UNE CONSOMMATION MODEREE DE BOISSONS
ALCOOLISEES
1°
Boire beaucoup de liquide non alcoolisé (toujours un verre à la main !). Avoir
toujours à disposition des réserves suffisantes de ses boissons non alcoolisées
préférées, à bonne température.
2°
Ne jamais boire de boissons alcoolisées par soif, mais seulement par goût, pour le
plaisir et par petites gorgées.
3°
Préférer des boissons faiblement alcoolisées (comme la bière ou le vin). Jamais
d'alcool fort.
4°
Choisir des produits de qualité supérieure, coûteux (par ex. : un grand cru
millésimé). Devenir un connaisseur plutôt qu'un avaleur.
5°
Ne jamais boire de boissons alcoolisées ni quand on est seul ni en compagnie
d'un groupe de grands buveurs.
6°
Ne jamais boire de boissons alcoolisées à jeun, mais au cours d'un repas.
7°
Fixer d'avance la quantité maximale que l'on s'autorise et ne jamais la dépasser.
8°
Ne pas boire de boissons alcoolisées si l'on est triste, contrarié, tendu ou
anxieux. L'alcool n'est pas un bon médicament et s'avère inefficace à long terme
pour améliorer le moral.
9°
Pour les situations stressantes, avoir un « truc » qui assure une certaine détente :
marcher, manger, parler, jouer, etc . . .
10°
Pour pouvoir consommer moins d'alcool, il faut une certaine quantité de
satisfactions qui proviennent d'autres sources que l'alcool : amour, travail,
hobby, sport, etc . . .
11°
Vous n'êtes pas engagé dans un combat solitaire, votre entourage familial bien
mis au courant de votre tentative
et votre médecin que vous consulterez
régulièrement constituent des recours en cas de difficulté.
12°
Si la consommation d'alcool ne peut être maintenue modérée et qu'elle entraîne
des conséquences négatives, il faut se résoudre à l'abstinence de toute boisson
alcoolisée. Dans ce cas, l'abstinence n'est pas un but mais seulement un moyen
qui permet d'atteindre certains buts d'existence spécifiques à chaque personne.
Attention : Ni le malade ni l'intervenant ne doivent se faire d'illusion : cette procédure,
si elle peut servir à la personne considérée comme buveur excessif ou abusant
occasionnellement d'alcool, n'est que rarement (un cas sur 10) une solution à long
terme pour l'alcoolique dépendant.
Le traitement de l'alcoolique peut être résumé dans le tableau séquentiel qui suit :
III-1-16
Traitement séquentiel de l'alcoolisme
NIVEAU I
ASPECIFIQUE
1er recours
NIVEAU II
NIVEAU III
SPECIFIQUE
Elaboration d'un
projet
thérapeutique
ASPECIFIQUE
SPECIFIQUE
HOPITAL
AMBULATOIRE
(Consultation)
Désintoxication
14 jours
Désintoxication
ambulatoire
CSM ou polyclinique
spécialisée
III-1-17
CENTRE DE JOUR spécialisé
(par ex. : "L'Orée")
RESIDENTIEL
Alcoolique
Famille
Medecin généraliste
Médecin du travail
Ecole
CPAS
Eglise
Service d'Urgence
Détention préventive
NIVEAU IV
(Hôpital : 1 à 3 mois)
(Communauté thérapeutique : par ex. :
"Le Solbosch"
"Les Hautes Fagnes"
"L'Espérance")
Groupe d'entraide (Self Help)
Nous voudrions encore attirer l'attention sur deux modalités particulières de
« traitement ».
1°
(a)
Le traitement médicamenteux
le DISULFIRAM ( ANTABUSE ® ) crée un blocage de la chaîne de la
métabolisation de l'alcool. Quand il a pris de l'alcool, le patient traité par Antabuse
s'intoxique par l'acétaldéhyde et présente des palpitations, des vomissements et un
flush du visage. Le recours à cette substance peut être utile dans le cadre d'une
thérapie de soutien en vue d'une réinsertion sociale devant s'accompagner
d'abstinence totale. L'implant d'Antabuse est déconseillé (irritation locale et rejet,
déresponsabilisation du patient, inefficacité objective).
(b)
plusieurs substances, certaines encore expérimentales, diminueraient l'appétence
pour l'alcool, en agissant sur différents neuro-récepteurs (récepteurs GABA :
ACAMPROSATE ; récepteurs aux opiacés : NALTREXONE , récepteurs
sérotoninergiques : FLUOXETINE ou PAROXETINE. L’acamprostate (Campral ® )
augmente significativement l’abstinence en cas d’alcoolisme type II.
Le Naltrexone n’est pas commercialisé en Belgique et se révèle d’un usage
compliqué.
Les anti-dépresseurs (SSRI) ont une action démontrée sur la dépression sous-jacent
à de nombreux alcoolismes secondaires à des états dépressifs, mais sans doute pas
d’action directe sur l’alcoolisme primaire lui-même.
2°
Les Alcooliques Anonymes (A.A.)
Il s'agit d'un groupe d'entraide d'anciens buveurs qui se reconnaissent alcooliques et
se réunissent régulièrement (1 à 3 x/semaine) pour parler de leurs difficultés à
assumer une abstinence complète et volontaire. Si le patient est motivé par cette
méthode d'auto-traitement, les résultats peuvent être excellents. Chaque médecin
ou psychologue actif dans le champ de l'alcoologie devrait aussi assister à une
réunion ouverte de ces groupes A.A., afin d'en mieux connaître les mécanismes et
procédures.
Une organisation similaire regroupe les conjoints ou les parents d'alcooliques dans
le même but d'entraide, par le partage de l'expérience de vie auprès d'un alcoolique
(ALANON). Enfin, un groupe destiné aux enfants d'alcooliques fonctionne également
(ALATEEN). Dans chaque région, le numéro de contact est repris dans l'annuaire
téléphonique comme premier numéro (A.A.).
III-1-18
1.3.- TROUBLES LIES A L'UTILISATION DE DROGUES ILLICITES
La notion même de « drogue » est intimement liée à la position de la société envers le
produit qu'elle positionne comme illicite.
Il est important de distinguer l'usager occasionnel (récréatif) de l'usager habituel
présentant une dépendance physique ou psychique grave au produit.
En règle générale, les drogues dites douces (cannabis, LSD) ne provoquent pas de
dépendance physique, ni de tolérance par opposition aux drogues dures (morphine,
héroïne), qui provoquent ces deux phénomènes.
En Belgique, on estime à environ 25.000 le nombre de toxicomanes aux drogues dures. Ils
sont concentrés dans les grands centres urbains. Il n'y a pas actuellement
d'accroissement de ce nombre de consommateurs réguliers, mais par contre, il existe une
augmentation importante du nombre d'utilisateurs occasionnels tant des drogues douces
que dures.
Nous allons passer en revue les différentes drogues les plus couramment utilisées chez
nous.
1.3.1. Cannabis (chanvre indien)
Haschisch (résine), marijuana (feuilles). Le plus souvent, elle se fume mais elle peut aussi
s'ingérer per os (rare). Elle crée une sensation de bien-être et d'euphorie. Les utilisateurs
rapportent une hypersensibilité sensorielle (p. ex. pour écouter de la musique). Cette
drogue a souvent été considérée « porte d'entrée vers la toxicomanie ».
L'utilisation occasionnelle, bien que légalement interdite en Belgique, n'est plus poursuivie
et ne devrait pas faire l'objet d'un traitement spécifique dans le réseau de traitement de la
toxicomanie. Il s'agit aujourd'hui d'une expérience « courante » à l'adolescence. Si
l'utilisation inquiète les parents ou devient exclusive d'autres activités chez le jeune, une
consultation concernant le retentissement personnel et familial de la consommation sera
au mieux indiquée auprès d'une instance non spécialisée en problèmes de toxicomanie
(médecin ou psychologue généraliste).
III-1-19
1.3.2. Les hallucinogènes
Les hallucinogènes sont soit semi-synthétiques comme le L.S.D. (acide lysergique
diéthylamide) ou semi-naturels comme la mescaline (produite du cactus peyotl) ou les
champignons hallucinogènes.
Le L.S.D. est un hallucinogène qui provoque, entre autres, une distorsion des perceptions.
Il ne provoque pas de dépendance physique et on n'observe pas de symptômes de
sevrage. Par contre, une dépendance psychique se développe rapidement. Les effets du
LSD durent environ 12 heures.
Les premiers symptômes sont d'ordre neurovégétatif : hypertension artérielle et
tachycardie, sudation et mydriase. On observe un délire hallucinatoire, l'audition et la
vision pouvant fusionner et les émotions passées revenir à l'esprit et provoquer une
distorsion temporelle. Le L.S.D. provoque le plus souvent un état d'euphorie. La personne
intoxiquée est incapable de penser et déraisonner de façon cohérente.
Des personnes « sensibles » (prédisposition à la psychose ?) peuvent présenter jusqu’à
plusieurs semaines après la prise de LSD, des « Flash back » (retour des hallucinations
pendant quelques minutes à quelques heures).
1.3.3. Cocaïne (forme injectable et inhalation) et crack (se fume)
Ce sont des dérivés de la feuille de COCA (Amérique du Sud). Ils procurent un sentiment
mégalomaniaque de force et de puissance. Ils augmentent l'éveil et l’agilité intellectuelle.
Encore relativement peu répandus chez nous mais en augmentation, les prix sont à la
baisse. La cocaïne est souvent mélangée à l'héroïne pour l'injection (Speed-ball). La
cocaïne a été traditionnellement utilisée dans les milieux de la mode ou de la
communication (pub, media) afin de stimuler l'éveil et la créativité. A l'arrêt de la prise, les
malades présentent souvent des signes cliniques de dépression grave, résistante aux
traitements antidépresseurs classiques.
1.3.4. Dérivés opiacés (morphine, héroïne)
L’héroïne constitue la drogue dure de loin la plus utilisée en Belgique.
Ces produits s'injectent (héroïne), se fument (opium, fumette) ou s'inhalent par la
muqueuse nasale. Ils procurent un sentiment de bien-être, d'apaisement, de distanciation
III-1-20
par rapport aux difficultés et malheurs quotidiens. L’héroïne est 10 fois plus puissante que
la morphine.
Par auto-injection I.V. (le « fix »), l'héroïne provoque un « flash » (sensation de chaleur
corporelle). Un dose très importante provoque l'Over-Dose (arrêt respiratoire). C'est un
type de suicide très courant chez l'héroïnomane. Inversement, l'arrêt brusque des prises
crée l'état de manque après 6 heures (sevrage) qui motive le toxicomane à se procurer le
produit à tout prix (vol, prostitution, vente de drogues).
La toxicomanie à l'héroïne par voie I.V. s’accompagne d’un cortège de complications
physiques dues au manque d'hygiène : SIDA, hépatite, abcès, phlébite, endocardite. C’est
pourquoi, actuellement, la plupart des utilisateurs fument l'héroïne et évitent l’injection. Il
s’agit là d’un succès de la prévention du SIIDA.
1.3.5. Les amphétamines et l'ecstasy (X.T.C.)
Les amphétamines sont encore trop souvent prescrites, soit occasionnellement pour
donner un coup de pouce au tonus psychique (pour aider un étudiant en blocus), soit,
hélas, trop systématiquement par certains médecins comme traitement d'un état dépressif
(!), soit plus souvent encore dans des cures d'amaigrissement. Enfin, les amphétamines
sont utilisées en auto-médication comme drogues de substitution par les cocaïnomanes.
Leur arrêt nécessitera souvent une hospitalisation en milieu spécialisé avec administration
de neuroleptiques, afin de calmer le rebond anxieux majeur et la dépression qui suivent
l’arrêt.
Depuis quelques années, les amphétamines ont connu un regain d'intérêt considérable
par le développement important de leur utilisation dans les grandes villes sous la forme
d'XTC ou ecstasy (3,4 méthylebedioxy-métamphétamine) qui est ingéré oralement, sous
forme de pilule.
Le portrait-robot de l'utilisateur de l'XTC est celui d'un adolescent ou d'un jeune adulte,
sans grand problème psychiatrique ou social et adepte de sorties festives et collectives en
discothèques, disposant largement d'argent de poche et utilisant l'XTC comme drogue de
week-end.
Les consommateurs se trouvent dans un bien-être physique intense et ressentent une
levée des inhibitions sociales. L'XTC “défonce” avec éclat, facilite la drague, rend l'esprit
III-1-21
clair et donne un relief extraordinaire à la fête. Le consommateur se sent plus fort, plus
audacieux et surtout plus réceptif aux sensations. Ses effets durent de 3 à 5 heures.
Contrairement à ce qu'on a cru précédemment, la prise régulière d'amphétamines
provoque non seulement une dépendance psychique extrêmement importante mais
également une dépendance physique . En cas de sevrage brutal, on peut observer de
l’angoisse, des troubles dépressifs avec perturbations du sommeil, des atteintes des
fonctions cognitives, des troubles délirants paranoïdes aigus et des passages à l'acte
auto-agressifs (accidents, impulsions suicidaires) ou hétéroagressifs (bagarres).
L'XTC peut conduire à des délires d’allure schizophrénique. L'XTC peut exacerber des
troubles dépressifs chez un individu déjà vulnérable et provoquer des altérations de la
perception, avec leur cortège d'accidents de toute nature, et particulièrement les accidents
de la route. A long terme, l'XTC peut, comme la cocaïne, amener le développement d'une
paranoïa.
En cas de trouble psychopathologique grave, l'hospitalisation psychiatrique est la règle,
ou, à tout le moins, une surveillance de 48 à 72 heures est indispensable pour éviter un
passage à l'acte auto- ou hétéro agressif.
1.3.6. Inhalants
Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de drogues illicites, nous envisageons ici
l'utilisation de détachants (Sassi), colles de montage de maquettes, éthers
Tous ces produits sont utilisés de façon plus ou moins régulière par des adolescents
parfois très jeunes, souvent dans des groupes sociaux ou scolaires limités (contagion de
contact). Ils provoquent une ivresse qui peut aller jusqu'au coma. Il existe un danger de
séquelles hépatiques graves (nécrose aiguë du foie).
1.3.7. Quel traitement ?
Nous insistons sur le fait que toute utilisation de drogues ne peut être taxée de
toxicomanie. Un essai occasionnel des substances psychotropes (du moins des drogues
douces) appartient à l'expérience banale de l'adolescent d'aujourd'hui, comme celle d'une
ivresse alcoolique faisait partie de l'expérience existentielle normale du jeune homme
d'autrefois.
III-1-22
La toxicomanie est une affection psychique complexe, nécessitant une prise en charge
médicale, psychologique et sociale. Alors que les usagers occasionnels seront maintenus
autant que possible dans des structures d'accueil aspécifique (école, église, médecin
généraliste ou psychologue), il est indispensable de diriger le toxicomane avéré
(dépendant physiquement du produit) dans un centre spécifique de traitement.
Le sevrage ne sera pas réalisé d'emblée mais seulement après l'élaboration d'un projet
thérapeutique cohérent. Le sevrage peut être réalisé en ambulatoire (assez difficile pour
une toxicomanie avérée) ou dans le cadre d’un séjour hospitalier de durée limitée (deux à
trois semaines).
En Belgique, nous disposons de possibilité de prise en charge ambulatoire spécialisée,
avec ou sans produit de substitution de l'héroïne (maintenance à la méthadone).
Le patient peut entrer pour plusieurs mois (3 mois à 1 an) dans une communauté
thérapeutique où la la reprise de la vie sociale en groupe et ensuite la reprise d’une vie
professionnelle est mise en avant. La psychothérapie individuelle et familiale est toujours
indiquée. Le traitement d'une toxicomanie avérée s'étend sur plusieurs années (Claude
Olivenstein faisait l’approximation d’une année de traitement par année de toxicomanie).
Particulièrement importants pour le médecin de premier ligne, les traitements de
substitution s’appuient sur la prescription médicale d’un opiacé de synthèse qui permettra
à l’usager de drogue de ne pas être confronté brutalement au syndrome de sevrage et aux
difficultés de l’abstinence. Par delà la prescription, leur efficacité repose sur la qualité de la
relation thérapeutique qui va s’instaurer avec le patient et sur l’aide psychosociale qui y
sera associée. Ces traitements ne sont indiqués qu’en cas de dépendance à l’héroïne. Les
médicaments les pus utilisés sont la méthadone et dans certains cas, la buprénorphine
(Temgésic). Par rapport à l’héroïne, la méthadone a l’avantage d’avoir une bonne
résorption orale et une durée d’action de 24 heures, ce qui permet de s’en tenir à une prise
unique de 40 à 80 mg. par jour dans un sirop à retirer quotidiennement en pharmacie.
Les traitements de substitution ont de nombreux avantages.
Tout d’abord, ils permettent aux patients qui le souhaitent de sortir de l’illégalité et de la
marginalité y afférente. Libéré du besoin immédiat d’héroïne, le toxicomane n’est plus
obligé de se procurer de l’argent pour sa prochaine dose et peut donc consacrer son
énergie à son réinsertion. Bon nombreux d’entre eux retrouvent alors une stabilité affective
et relationnelle qui rend possible la recherche d’un emploi.
En diminuant sensiblement le risque d’injection et de partage de seringues, les traitements
III-1-23
de substitution contribuent à réduire la transmission de maladies liées à l’usage d’héroïne
injectable, telles que le Sida et l’hépatite virale. Ils sont donc très utiles au maintien d’une
santé correcte des usagers de drogues et ont également des avantages au niveau d’une
politique de santé publique. Actuellement, une stratégie de réduction des risques a
remplacé la visée exclusivement curative.
Quand elle est prise durant une longue période, la méthadone provoque peu d’euphorie,
de somnolence ou de dépression. Son usage est tout à fait compatible avec une vie
normale. Certains patients seront alors maintenus en traitement de substitution durant de
nombreuses années, parce qu’on sait que l’arrêt de prise de méthadone s’accompagne
souvent d’une rechute de consommation d’héroïne.
Les traitements de substitution permettent de maintenir une relation thérapeutique
pendant plusieurs années. Cette relation pourra les aider à se stabiliser, à préserver leur
santé et à se réinsérer. Ce sont des traitements très accessibles, de coût limité, et
susceptibles de toucher un grand nombre d’héroïnomanes. Ils ne constituent cependant
pas une panacée. Certains patients, après une période de stabilisation, poursuivent une
consommation
problématique
de
différents
produits,
licites
ou
illicites
(alcool,
médicaments, héroïne, cocaïne...). La polytoxicomanie qui en découle est d’un abord
thérapeutique difficile et illustre parfois tragiquement les limites des traitements de
substitution.
1.4.- TROUBLES LIES A L'UTILISATION DE MEDICAMENTS
Les médicaments utilisés sont dans la grande majorité des cas des psychotropes mais
aussi parfois des laxatifs ou des diurétiques voire très rarement tout autre produit investi
particulièrement par le patient. Ces médicaments peuvent être soumis à la prescription
médicale (benzodazépines, méprobamate) ou libre à la vente (p. ex. Sanalepsi “calmant
végétal”).
Les produits les plus souvent utilisés aujourd'hui sont les benzodiazépines qui n'ont pas
en elles-mêmes un pouvoir addictif très important (mesuré par le rapport du nombre de
cas de dépendance par rapport au nombre d'utilisateurs) mais qui représentent néanmoins
un danger très certain en raison du nombre absolument gigantesque d'utilisateurs dans
notre pays. Jusqu'il y a peu, la Belgique en était en effet le premier consommateur au
monde (!) par habitant (500.000.000 de comprimés vendus par an !).
Les problèmes liés à la prise excessive de médicaments psychotropes peuvent être
classés de la façon suivante :
III-1-24
1.4.1 Abus de médicament
Peut donner des conséquences légères (somnolence) ou plus graves (accidents de la
circulation - négligences familiales ou professionnelles) voire catastrophiques (over-dose).
1.4.2 Pharmaco-dépendance
Elle est attestée par le phénomène de tolérance (p. ex. prise quotidienne de 40 à 100 mg.
de Valium sans endormissement) ou encore par l'apparition de phénomènes de sevrage
(nervosité, angoisse, insomnie, parfois épilepsie) à l'arrêt de consommation du produit.
La dépendance peut être très importante pour certains produits, comme les barbituriques
(actuellement peu prescrits) ou le meprobamate (Pertranquil) dont certains patients
consomment quotidiennement jusqu'à 30 à 50 comprimés à 400mg. Après l’arrêt brutal
des prises, ces derniers développent souvent un delirium avec épilepsie grand mal.
1.4.3 L'intoxication aiguë
Elle est soit volontaire (suicide) ou involontaire (diminution des facultés de discrimination)
et induit une somnolence qui peut aller jusqu'au coma avec dépression respiratoire.
1.4.4 Traitement
Il dépendra comme pour l'alcool et la toxicomanie du degré de désinsertion socioprofessionnelle et affective atteint par le patient. Une psychothérapie de soutien, une
thérapie familiale, un traitement anti-dépresseur ou anxiolytique contrôlé (à base de
neuroleptiques légers) pourront contribuer à l'amélioration de la situation. Il est à
remarquer que pour les patients le rapport aux médications est fondamentalement
perturbé et qu'il existe un risque non négligeable d'utilisation aberrante de toute
médication prescrite. Il s'agit de toute façon d'un effort thérapeutique au long cours.
1.5. La dépendance au jeu
Il s’agit d’une assuétude sans produit ingéré, mais dont l’objet électif est une situation
d’excitation ludique, recherchée pour le joueur pathologique, tout comme le toxicomane
recherche sa drogue ou l’alcoolique son alcool. On peut observer des manifestations de
dépendance psychique (envie compulsive de jouer) de tolérance (nécessité d’augmenter
la mise) et même parfois de dépendance physique (apparition de signes de sevrage en
III-1-25
cas d’incapacité de jouer). Les jeux utilisés sont multiples : jack-pot, cartes, roulette,
flipper, bingo, courses de chevaux, paris sportifs et actuellement les jeux sur ordinateur
(« cyberdépendance »).
La dépendance au jeu peut amener à un retrait des contacts sociaux, familiaux ou
conjugaux, parallèlement à une déconfiture financière (accumulation de dettes,
détournements professionnels). Les voies cérébrales sont les mêmes de celles des autres
assuétudes. D’un point de vue psychologique, il s’agit souvent d’une tentative de
restauration narcissique d’un état de toute puissance imaginaire. Le traitement
essentiellement psychothérapeutique s’avère long et difficile. Les complications
dépressives ou suicidaires doivent être traitées spécifiquement.
Bibliographie
-
ROUSSAUX J.P., DERELY M.
Alcoolisme et Toxicomanie
Etudes cliniques, De Boeck, 1989
-
ROUSSAUX J.P., FAORO-KREIT B., HERS D.
L’alcoolique en famille
Ed. De Boeck - Bruxelles – 1996
2
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ème
éd. 2000
OLIEVENSTEIN Cl.
Il n'y a pas de drogués heureux
Laffont (Paris)
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STEINGLASS P.
The alcoholic family
Basic Books, 1987
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ZOLA E.
L'assommoir
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DESCOMBEY, J.P.
Précis d'alcoologie clinique
Dunod, Paris, 1994
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LALLEMAND A. et CHEPENS P.
Les nouvelles Drogues de la génération RAVE
Ed. Grasset, 2002
-
OLIEVENSTEIN Cl.
La drogue, 30 après
Ed. Odile Jacob, 2000
III-1-26
2. LES TROUBLES ALIMENTAIRES
2012
Introduction
D’une façon similaire aux assuétudes, les personnes souffrant de troubles alimentaires
utilisent abusivement une fonction « normale » - se nourrir, pour calmer un malaise, un malêtre.
Il y a aussi recours à un objet ingéré – sans que celui-ci ait des effets psychotropes
immédiats, comme c’est le cas dans les assuétudes. Contrairement à ces dernières, dans
le trouble majeur de cette catégorie, l’anorexie, c’est bien plutôt le défaut de nourriture qui
module l’état psychopathologique particulier de ces patients : l’ivresse alcoolique s’oppose
ici à l’ivresse du jeûne.
Une autre différence fondamentale, est qu’il est possible de vivre dans consommer de
substances psychotropes ; par exemple, il est même relativement sain de vivre dans
l’abstinence d’alcool à fortiori de cocaïne ou d’héroïne ; Par contre, il est tout à fait
impossible de vivre dans l’abstinence complète de nourriture. Aussi, la prise d’aliment doit
être modulée, adaptée, selon les besoins et les possibilités.
Tout comme dans les assuétudes, il y a très souvent une souffrance mentale sous-jacente
dans les troubles alimentaires : la gravité de l’affection basale conditionnera le devenir du
syndrome. Ainsi, une anorexie qui se développe tardivement dans le cadre d’une
dépression aura un tout autre pronostic qu’une anorexie précoce sur base d’une
personnalité borderline.
Nous considérons essentiellement les deux syndromes classiques, l’anorexie et la
boulimie, ainsi que l’hyperphagie incontrôlée ou frénésie alimentaire. Nous envisagerons
ensuite quelques troubles alimentaires mineurs.
L’anorexie et la boulimie sont dites nerveuses quand les motivations de ces
comportements apparaissent prioritairement de nature psychologique, par opposition à
l’anorexie de la phase terminale du cancer et les boulimies des tumeurs de
l’hypothalamus.
L’anorexie se définit aujourd’hui par la crainte de prendre du poids (devenir
« obèse ») et un comportement systématique destiné à réduire ce poids : restriction
alimentaire, exercices excessifs, vomissements provoqués, prise de laxatif etc …
III-2-1
La boulimie est un trouble plus discontinu, dans lequel l’individu s’alimente de
façon tout à fait excessive dans des périodes très brèves, hors du temps prévu
pour les repas pris en commun … Ces épisodes de dévoration sont suivis de
périodes d’auto-dépréciation dépressive
2.1. L’ANOREXIE MENTALE
2.1.1.- Définition et épidémiologie
Le syndrome anorexique (D.S.M.-IV. : Anorexia nervosa) consiste en une crainte
intense et irrationnelle de grossir, une volonté excessive de rester ou de devenir très
mince, un refus alimentaire important et parfois des comportements annexes qui
amènent une perte de poids significative.
L’anorexie mentale apparaît presqu’exclusivement dans les sociétés industrialisées
(abondance de la nourriture ; culture contemporaine de la minceur), 9 fois sur 10 chez
les jeunes filles.
L’âge moyen d’apparition est de17 ans : c’est un trouble typique de la seconde partie
de l’adolescence et du début de l’âge adulte (dans cette tranche d’âge, chez les
femmes, la prévalence serait de 0,5 à 1 %). Il existe néanmoins une petite minorité de
cas qui commence avant la puberté, et un premier “pic” (moins élevé que celui de 17
ans) vers 14 ans : ici, c’est plus souvent réactionnel à un événement identifiable, et
souvent plus bénin. L’installation après 35 ans est très rare et de mauvais pronostic
(complication d’une mélancolie ou d’une schizophrénie).
2.1.2.- Etiopathogénie
a) Dans une minorité de cas, surtout chez les plus jeunes, les anorexiques avouent
clairement (ou montrent à l’évidence, via d’autres symptômes !) leur peur de
grandir, leur volonté de rester dépendantes de leurs parents, leur peur de mourir
un jour et leur volonté que le temps soit suspendu, leur angoisse diffuse face à la
vie et à la société ...
III-2-2
b) Plus fréquemment, ce sont d’autres dynamismes vitaux qui sont opérants. Ils
varient quelque peu d’une personne à l’autre mais néanmoins, grosso modo, on
retrouve toujours plusieurs composantes que voici :
1. Réinvestissement narcissique de la libido : si l’anorexique n’est pas fière de la
forme de son corps, elle l’est par contre de la manière dont elle le dompte et le
maîtrise ; elle se sent soit exceptionnelle, comme un pur esprit qui serait
parvenu à se désincarner... soit comme réalisant l’Idéal d’une culture de la
minceur.
2. Parfois même, jouissances auto-érotiques plus précises, via les sensations
qu’elle se donne (cfr dans d’autres parties du cours, le concept de
« psychosomatique perverse »).
3. Les plaisirs narcissiques ou/et auto-érotiques ressentis peuvent devenir des
esclavages
(dimension
d’assuétude,
d’obligation
de
maintien
ou
de
reconduction des sensations éprouvées, « l’ivresse du jeûne »).
4. Chez certains, à l’inverse, auto-agressivité, haine de soi via l’anorexie (“infâme
carcasse”).
5. Non renoncement aux pulsions agressives dirigées vers la famille d’origine
(fratrie, parents autoritaires) ou vers le conjoint rival (le beau-père par
exemple).
-a- dans certains cas, leur réalisation ne fait l’objet d’aucun conflit névrotique et
s’exprime ici de façon détournée (en référence à d’autres parties du cours, on
peut parler alors d’un trouble de la personnalité).
-b- dans d’autres cas, il y a conflit névrotique ; les désirs agressifs se refoulent
plus ou moins et se réexpriment indirectement par un symptôme-compromis,
l’anorexie, qui blesse autrui et le réduit à l’impuissance (névrose de type plutôt
hystérique).
6. On peut raisonner exactement comme en 5. à propos des pulsions sexuelles
œdipiennes dirigées vers un parent, ou de certaines revendications libidinales
plus archaïques (être dorloté, pris en charge...).
7. Dans certains cas, on a l’impression qu’il ne s’agit pas de défier ni de séduire,
mais plutôt d’offrir aux parents « un os à ronger », c’est-à-dire une zone de
fonctionnement qu’ils vont investir avec leur dimension protectrice/autoritaire.
Ils se centrent là-dessus, ce qui permet à la personne anorexique de
développer des zones de fonctionnement autonome...
III-2-3
Ou alors, l’anorexique ne veut rien d’autre que d’adhérer au souhait (secret,
préconscient) de sa famille, qui a besoin de ce symptôme pour maintenir son
homéostasie.
On parle ici parfois d’anorexie sacrificielle, ou conformiste, ou, en référence à
d’autres parties du cours, de « psychosomatique psychotique » (au sens très
large du terme, redisons-le).
2.1.3.- Clinique
a) Symptômes individuels
-
Classiquement caractérisée par les 3 A : Anorexie, Amaigrissement, Aménorrhée.
-
Refus de maintenir un poids corporel normal
1
au vu de l’âge et de la taille ;
crainte intense de grossir ; perception inexacte de son propre corps (trop grand,
trop gros)… donc : lutte contre la sensation de faim ; se nourrit très peu (ou
erratiquement) ; éventuellement se purge ou/et se fait vomir, se dépense en
exercices physiques épuisants...
-
après la puberté : aménorrhée, atténuation des caractères sexuels secondaires ;
avant la puberté : peu ou pas de croissance pubertaire ; éventuelles complications
somatiques.
-
symptômes psychiques conséquents de la faible estime de soi, et de la fatigue
déniée : humeur dépressive, irritabilité, isolement
b) Examens paracliniques biologiques
Dans les cas graves, la perte de poids et certains comportements aberrants (p. ex.
purge)
peuvent
altérer
certains
paramètres:
p.
ex.
anémie,
leucopénie,
hypochlorémie, hypokaliémie, abaissement des taux hormonaux (thyroïdie, hormones
sexuelles).
1
Normal ? Les critères de cette normalité varient quelque peu et ont quelque chose d’arbitraire. Le D.S.M.IV
parle d‘anorexie lorsque le sujet ne veut pas se maintenir à au moins 85 % de ce qu’indiquent les tables pour
la moyenne des gens de son âge et de sa taille. Pour d’autres auteurs, la limite est mise à 75 %.
III-2-4
c) Contexte relationnel
-
beaucoup de personnes anorexiques « offrent » spectaculairement ou subtilement
leur problématique à leur famille, et pourtant, dénient être anormales, dissimulent
aux soignants ce qu’elles font, et refusent de consulter des psy, ou se rendent
passivement chez ceux-ci, soit disant pour obéir à leur famille. Elles tentent
d’expliquer rationnellement leur conduite, en faisant référence à un événement qui
les a choquées ou aux impératifs de la culture.
-
on a décrit, probablement de façon trop rigide, des « familles types »
d’anorexiques, quelque peu caricaturales ; on peut retenir néanmoins, surtout à
propos des adolescents, que :
- Assez souvent, la question du pouvoir est mal négociée dans la famille. Au
moins un des parents, plus souvent la mère, est manifestement ou subtilement
très autoritaire.. ou couve trop ses enfants et notamment l’anorexique, au nom
de ses propres angoisses de mort... et on a l’impression qu’un « bras de fer »
souvent non avoué comme tel, est engagé entre l’anorexique et ce parent,
notamment autour du contrôle de l’alimentation. Mais ce jeu relationnel est
néanmoins plus compliqué qu’il n’en a l’air, car bien des anorexiques
revendiquent à la fois sincèrement et leur indépendance (p. ex. droit à gérer leur
corps) et son contraire, c’est-à-dire que l’on s’occupe beaucoup d’elles, mais
ceci, sans l’avouer.
- Parfois, le lien affectif est excessif entre un anorexique et un de ses parents :
dyade fusionnelle Mère-Grand bébé... ou attraction œdipienne réciproque que
père et fille réalisent, et dont ils se défendent, à travers le « chipotage »
alimentaire ; dans ce cas, on voit parfois que la fille « tape dans l’œil » du père
dans d’autres domaines encore (p. ex. brillance intellectuelle).
- Rivalité fraternelle discrète ou déclarée ; exaspération fréquente des autres
membres de la fratrie ; l’anorexie, qui sollicite beaucoup les parents est une
manière de dépasser dans l’attention parentale.
d) Evolution
Elle est variable : pour certains, restitutio ad integrum après un épisode unique de 3 à
8 mois) ; pour d’autres, alternance de décompensation et d’améliorations, ou encore
alternance, en ordre dispersé anorexie-boulimie -normalité ; pour d’autres encore,
III-2-5
stagnation de l’état, voire détérioration progressive au fil du temps. Un « accident
organique » mortel ne peut jamais être exclu, pas plus que le suicide.
2.1.4.- Diagnostics différentiels
Installation insidieuse d’une maladie organique grave (diabète – tumeur cérébrale
sous-hypophysone) ; dépression majeure ; mélancolie ou pré-mélancolie (dont
l’anorexie n’est alors qu’un symptôme) ; schizophrénie (idem) ; phobies sévères
autour de l’alimentation.
Un examen organique clinique et paraclinique soigneux est toujours indispensable.
Par ailleurs, lorsqu’on écoute attentivement, l’anorexique est le seul à avoir des
craintes excessives quant à son grossissement, et à avoir de son corps une image
perturbée de façon aussi spécifique !
2.1.5.- Traitement
L’anorexique, tout comme l’alcoolique, ne demande rien dans un premier temps : ils
ont trouvé une solution à ce qui leur est apparu comme « invivable » dans leur propre
vie. Il convient donc de s’appuyer sur d’autres demandeurs (la famille) qui eux par
contre, ne souhaitent le plus souvent qu’un retour à la situation antérieure (statu-quo
ante).
a) Plus de la moitié des personnes anorexiques ne sont pas spontanément motivées
pour réfléchir sur elles-mêmes, en tant que sujets problématiques, ni avec un psy,
ni même avec un autre médecin qui voudrait les « réadapter ».
On doit donc accepter le fait que beaucoup de consultations du moins au début,
se fassent en présence d’un ou de plusieurs membres de leur famille, et que ce
soient d’abord ceux-ci qui expriment leur inconfort. A cette occasion, on entre en
contact avec la personne anorexique et, avec elle et avec les autres, on parle
relations familiales, projets sociaux, etc... il est toujours possible qu’il en sorte
quelqu’amélioration apaisante...
On écoute aussi cette personne anorexique, sans la menacer ni la critiquer,
exposer l’image qu’elle a de son corps et son projet à propos de celui-ci ; les
membres de sa famille en font autant ; quant au soignant (généraliste, interniste,
pédiatre ou psy.) c’est pour lui l’occasion et d’écouter et de signaler au passage
ses différences de perception (sans obliger ses vis-à-vis à penser comme lui) et
III-2-6
donc aussi pourquoi il refuse d’entrer dans des demandes de régime
supplémentaire, etc...
Avec les membres de la famille, on essaie aussi de mettre au point des attitudes
plus
sereines
d’accompagnement
de
l’alimentation
et,
en
général,
du
grandissement de l’anorexique.
b) Sur base de cette première plate-forme de rencontres :
1. Dans certains cas, il se crée suffisamment d’intérêt, chez l’anorexique et chez
tous, pour que l’on puisse organiser des entretiens scindés : entretiens
individuels avec l’anorexique, entretiens avec sa famille d’origine, voire son
conjoint, et moments de mise en commun. Si l’alliance est bonne, c’est peutêtre seulement maintenant que le soignant non-psy réussira à faire accepter la
co-présence d’un psy, et qu’ensemble, ils mettront au point ce programme ; les
entretiens individuels sont plus ou moins investis par l’anorexique : parfois, ils
demeurent une simple thérapie de soutien (qui permet peut-être déjà des
réorientations sociales) ; dans d’autres cas, il y a investissement d’une thérapie
beaucoup plus profonde. Parfois, dans ce contexte, l’anorexique demande
même à être séparé de sa famille (en « kot »... en appartement protégé... à
l’hôpital psychiatrique) mouvement que l’on doit s’efforcer de soutenir avec
réalisme, en en comprenant les enjeux, sans se précipiter.
2. Dans d’autres cas, plus défavorables, on doit s’en tenir à des rencontres de
groupe familial, parfois même l’anorexique ne veut plus y venir et on doit
travailler à travers sa famille d’origine ou/et actuelle.
c). Quelle que soit l’évolution de ces entretiens de réflexion, un anorexique est
toujours susceptible de se mettre en danger, par une perte dramatique de poids
entraînant un risque vital. Il doit donc toujours rester sous contrôle d’un médecin
(de préférence son généraliste). Si le poids descend en dessous d’une limite
dangereuse, il faut l’hospitaliser (en pédiatrie ou médecine interne s’il y a
consentement ; sinon, s’en référer à la loi de protection du malade mental).
L’hôpital assure une ambiance de dédramatisation, une vie sociale avec les autres
malades et permet une intensification des thérapies de soutien et autres. On peut
aussi prendre sans trop discuter, les mesures nécessaires pour que le corps soit
de nouveau en sécurité, en recourant éventuellement à l’alimentation parentérale
(sonde gastrique).
III-2-7
d) Bien que notre position fondamentale soit accueillante vis-à-vis du behaviorisme,
à des éléments duquel nous recourons à l’occasion, nous sommes sceptiques
quant à l’efficacité de son utilisation dans le domaine de l’anorexie : ici, le « désir
de ne pas manger » est tellement fort que nous ne croyons pas qu’il puisse
rapidement, profondément et stablement, se transformer en un accord de principe
sur un programme comportemental de meilleure alimentation. Par contre, le
behaviorisme peut rendre service, à propos de chapitres connexes de la vie
(meilleure socialisation, sortie progressive de la famille).
e) On propose parfois des antidépresseurs (les SSRI sont mieux supportés ; éviter le
Prozac ® qui est anorexigène) surtout si la composante dépressive est importante.
Dans les cas graves, avec épuisement, il faut vérifier préalablement qu’il ne se soit
pas installé de troubles de la conduction cardiaque surtout pour tricycliques).
2.2. La Boulimie
Elle se rencontre tant chez des personnes obèses que chez des personnes de poids
normal ou encore en alternance avec l’anorexie. Pour calmer son angoisse ou surmonter
une contrariété, la patiente (9/10èmes sont des femmes) absorbe de grandes quantités de
nourriture en un temps très bref. L’accès boulimique survient quand la personne est seule
chez elle : elle consomme massivement des aliments glucidiques ou lipidiques (chocolats,
pain, crèmes, chips...), puis se fait vomir et s’endort apaisée. Souvent par après, la
patiente souffre d’un intense sentiment de culpabilité ou de dégoût de soi-même. Outre les
vomissements, elle pourra essayer de contrôler sa boulimie par la prise d’anorexigènes
amphétaminiques, de laxatifs, voire de diurétiques. Les complications somatiques
fréquentes
en
résultent
:
déchirures
oesophagiennes,
troubles
électrolytiques
(hypokaliémie) ou cardiaques. A plus long terme, la dépression ou l’abus de psychotropes
(amphétamines, BZD, alcool...) peuvent aggraver la situation.
Le traitement est à la fois symptomatique (éviter les régimes impossibles), antidépresseur,
et psychothérapeutique (individuel ou de groupe). Il existe aussi des mouvements
d’entr’aide (self-help : « les outremangeurs anonymes »).
III-2-8
2.3. La frénésie alimentaire
Ou hyperphagie incontrôlée (Binge Eating Disorder : B.E.D.)
2.3.1. Prévalence :
- 20 % des obèses adolescents et adultes
- Trois femmes pour 2 hommes
2.3.2. Description :
-
obésité plus importante
-
difficultés psychologiques accrues : obésité mal acceptée,
-
association fréquente avec des troubles de la personnalité : border-line, personnalité
problématique
antisociale
-
tentatives répétées de régimes restrictifs : comportement alimentaire coercitif (restraint
theory)
-
difficultés dans la socialisation : familiale, professionnelle, élargie (interpersonnal
fragility)
2.3.3. Intervention thérapeutique :
- médicale / diététique
- psychologique individuelle
- familiale / conjugale / sociale
Remarque :
A côté de ces trois principales catégories, il faut aussi noter l’existence de comportements
alimentaires anormaux, certains aberrants, plus ou moins bien définis tels que :
•
l’hyperphagie prandiale décrit le tableau du gros mangeur, bon vivant, surtout chez
l’homme. Le repas est source de plaisir et de convivialité. Les repas de famille ou de
travail influencent cette conduite. D’après Kerneis (1986), de nombreuses obésités se
développent dans ce contexte. Une intervention chirurgicale peut être indiquée
(anneau gastrique ou by-pass).
•
L’alimentations par grignotage, encore appelée « chaos alimentaire » ou anarchie
alimentaire est caractérisée par l’abandon partiel ou total des repas socialisés,
remplacés par de prises alimentaires allant par petites quantités et à des intervalles
irréguliers. Ce phénomène n’est pas rare surtout chez la femme et les adolescents et a
habituellement pour fonction, consciemment ou inconsciemment, de lutter contre
l’ennui, la nervosité et l’anxiété. Ce type d’alimentation peut se traduire ou non par un
III-2-9
poids anormal. Il est le propre tant des anorexiques que de certains obèses ou encore
d’individus de poids normal. Si ce comportement devient compulsif, stéréotypé, il
révélera
une
conduite
névrotique
pathologique,
justifiant
d’une
aide
psychothérapeutique. On le retrouve parfois, de façon obsédante et impulsive, dans
des grignotages nocturnes.
•
Le Night eating syndrome ou syndrome d’alimentation nocturne, décrit par Stunkard en
1955, consiste en un besoin impérieux de manger au cours de la nuit. Le sujet se
réveille régulièrement au milieu de la nuit et ne peut se rendormir qu’après avoir
absorbé une copieuse collation, souvent ingurgitée dans un demi-sommeil. Le
lendemain matin, il ne lui reste que des souvenirs imprécis de ce qu’il aura consommé
durant l’épisode nocturne (excès glucidique ou abus de somnifères désinhibants).
Tableau de synthèse des troubles alimentaires
Anorexia nervosa
Dénomination
Bulimia nervosa
Anorexie mentale
Binge Eating Disorder
Boulimie
Hyperphagie boulimique
courante
Jeüne
et
Troubles du
alimentaire
comportement
Crise
alimentaire
(boulimies)
prédominants
par
restriction Crise
(boulimies)
d’hyperphagie par
des
volontaires
d’hyperphagie Crises
des
compensées volontaires
d’hyperphagie
compensées (boulimies) alternant ou non
vomissements avec
ou
des
périodes
de
autres restrictions alimentaires
vomissements méthodes d’annulation
ou
autres
Absence de mesure régulière
méthodes d’annulation
Maigreur pathologique
Etat pondéral
d’annulation
Poids fluctuant souvent Surcharge
normal
obésité,
pondérale
poids
ou
souvent
fluctuant
Trouble du comportement Ne fait surtout parler d’elle Ne
Intérêt scientifique
alimentaire
reconnu
de que depuis les années 80
longue date
suscite
des
chercheurs que depuis les
années 90
III-2-10
l’attention
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bruch H.
Conversations avec des anorexiques
Payot, 1990
Bruch H.
Les yeux et le ventre : l’obèse et l’anorexique
Payot, 1975
Revue « Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence » ; numéro à thème « Les
troubles des conduites alimentaires », mai-juin 1993
Rodrigue V.
La peau à l ‘envers ou le roman vrai d’une boulimique.
Press Pocket 1989
Van den Broucke, Vandereycken W., Norré J.
Eating disorders ans marital relationships
Routledge, 1997
Flament M., Jeammet Ph.,
La Boulimie, réalités perspectives
Ed. Masson, 2000
III-2-11
3. LES TROUBLES SEXUELS
2012
« Quand deux êtres s’étreignent, ils ne savent pas ce qu’ils font; ils ne savent pas ce qu’ils
veulent; ils ne savent pas ce qu’ils cherchent; ils ne savent pas ce qu’ils trouvent ».
P. Ricoeur.
3.1 INTRODUCTION
Par sexualité, on entendra ici plus que la fonction génitale. Elle désigne aussi la manière dont les individus se situent
par rapport à leur identité (image du soi et du corps) et par rapport à la différence (l’autre en tant que sexué) et agissant
en conséquence dans la société, famille et le couple.
3.1.1. La sexualité : entre nature et culture.
Les troubles sexuels peuvent être présentés et départagés en :
1. Les dysfonctions sexuelles chez l’homme et chez la femme, ce sont des modifications
psychophysiologiques du déroulement de la réponse sexuelle (troubles du désir, de l’excitation et de
l’orgasme). Elles concernent la sexologie et la médecine psychosomatique. (II)
2. Les déviations d’ « objets » qui ne sont plus considérés comme perversions : la masturbation et
l’homosexualité. (III)
3. Les paraphilies, anciennement déviation sexuelle ou perversion sexuelle. Ce sont des déviations du
but de la pulsion sexuelle ou d’objets, elles sont du domaine de la psychiatrie, voire de la justice. (IV)
4. Les troubles de l’identité sexuelle et le transsexualisme. (V)
Au-delà de cette nosographie, ces troubles
doivent impérativement être relus en
fonction d’un modèle relationnel et
contextuel
L’analyse de la réponse sexuelle met en
évidence des articulations anatomophysiologiques précises, celles des
systèmes
nerveux,
endocriniens,
vasculaires
et
musculaires.
Simultanément,
les
apprentissages
familiaux et sociaux, les sentiments positifs
et négatifs, les valeurs, la relation entre les
partenaires (amour…, déception, rancœur,
…) viennent aussi permettre la réponse
sexuelle ou l’inhiber. On se trouve ainsi
face à un gigantesque système de
rétroactions bio, psycho et motivosociologiques, (à bien sûr multiplier par
deux quand on considère le couple).
Sexualité, médecine et psychologie
Le schéma de la réponse sexuelle
Modifications possibles ou non
A l’état
physiologique
L’information
sensorielle
Acquiert une signification
motivante - ou non en se référant:
Ce qui
influence :
•La modulation des
réactions physiologiques
•le comportement émotionnel
Stimuli
•
•
•
•
•
•
pensées
touchers
fantasmes
sons, mots
images
odeurs
Aux
• apprentissages
• conceptions
• valeurs
• expériences passées
Enrichissement possible ou non
3.1.2. Ici nous devons regretter un désintérêt relatif du monde tant médical que psychiatrique pour les difficultés
sexuelles.
Le désintérêt de la plupart des médecins vient sans doute de plusieurs facteurs: l’incompétence (les cours de sexologie
ne sont guère développés), un sentiment d’inutilité ou de recherche de technicisation (la thérapeutique sexologique étant
insuffisamment connue) et l’alibi d’un respect de l’intimité et de non-intrusion dans la vie privée des patients. Il s’agit
bien d’un alibi car, si nous prenons un peu de recul, combien d’interventions et de thérapeutiques médicales n’entrentelles pas directement dans la sexualité de nos patients: prescription banalisée de contraception, fécondation in vitro,
mammectomie, chirurgie de l’utérus, de la prostate, prescription de nombreux médicaments ayant une interférence avec
la fonction sexuelle...
III-3-1
Quant aux psychiatres, ils sont souvent plus à l’aise avec les pulsions sexuelles qu’avec la sexualité actuelle et réelle de
leurs patients. En effet, la psychanalyse a centré son objet d’étude sur l’énergie libidinale et son rôle constitutif dans
l’élaboration de la personnalité plutôt que sur une approche pragmatique des difficultés sexuelles.
Insistons cependant sur l’apport inestimable de la théorie psychanalytique. En effet, une telle dimension éclaire la
conflictualité constitutive de la sexualité, le jeu dialectique entre désir et interdit, entre l’acte et sa signification
imaginaire qui nous renvoie à la dialectique fondamentale de l’existence: le bien et le mal, le plaisir et le déplaisir, la vie
et la mort, …
Quelques praticiens encore fort peu nombreux se sont spécialisés en sexologie. La sexologie, science jeune, doit
constamment regrouper et intégrer des approches aussi différentes que la médecine, la psychologie, la sociologie, la
sociologie, l’éthique, l’art, la poésie,…
Sans être sexologues, tous les médecins et psychologues devraient être en mesure de procéder à une anamnèse
sexologique et d’y apporter une écoute bienveillante tout en réalisant une analyse adéquate de la demande. La demande
est souvent masquée, confuse, intriquée à des symptômes physiques (fatigue, insomnies, douleurs chroniques, ...), aux
conflits conjugaux ou à des plaintes de solitude... (personne âgée).
Il apparaît que les dysfonctions sexuelles sont très fréquentes et souvent corrélées à une baisse de la qualité de vie. Une
étude du JAMA1 évalue la prévalence des dysfonctions sexuelles de 10 à 52% chez les hommes et de 25 à 63% chez les
femmes (population étudiée entre 18 et 59 ans).
3.1.3
Du « normal » et « pathologique »
En sexologie, ce que la majorité des gens qualifie de « normal » (sexuellement correct) recouvre les réactions
généralement rencontrées pour la moyenne de la population.
Nous voyons donc qu’il s’agit d’une normalité toute relative (chaque être humain, chaque couple est unique) mais il est
important de connaître les bases scientifiques et statistiques de la sexologie pour ne pas projeter sur nos patients notre
propre sexualité comme modèle de normalité.
Plus que dans tout autre trouble, la question de la normalité fait référence à des normes socio-culturelles. Remarquons
que notre société envoie en ce domaine des doubles messages. D’un côté, elle se donne une image de libération sexuelle
et de jouissance matérielle mais de l’autre côté, elle promeut des idéaux (de performance, de quantité, de pensées
concrètes…) qui ne favorisent pas une sexualité épanouie (faite de détente et d’intimité vraie qui nécessitent un
investissement dans les valeurs relationnelles).
De plus, l’émergence du virus du sida fait planer une menace sur la sexualité et les comportements amoureux.
Symboliquement, dans l’imaginaire collectif, même dans des populations théoriquement « non-à-risque » (absence de
toxicomanie, d’homosexualité et de partenaires multiples), la sexualité devient une menace et l’amour implique un
danger de mort.
Le clinicien confronté aux critères de normalité devra donc au maximum renvoyer les patients à la notion de
« normalité intérieure » ou mieux de liberté intérieure qui leur est propre, dans leur couple et leur contexte de vie.
Risquons-nous, quand même, à une définition prudente de la sexualité « normale » en nous appuyant sur trois critères :
1. une tension vers le bonheur, voire un plaisir,
2. un sentiment de sécurité,
3. une augmentation de l’estime de soi ou en tout cas une non nuisance à la santé.
Nous le voyons, ces critères éliment toutes les pratiques perverses ou celles où un partenaire est non consentant ou à un
âge où il n’a pas atteint sa maturité sexuelle.
3.1.4 Historique de la sexologie
Citons des grands pionniers de la sexologie.
A) Freud, bien qu’il considère la sexualité comme étant au service de la reproduction, en a élargi le cadre rigide,
présentant la libido comme une énergie fondamentale à tout être humain. Surtout, il a osé parlé de sexualité de façon
scientifique et non plus moraliste. Cependant, certaines de ses théories sont fort contestées, notamment celles
concernant la sexualité féminine qu’il maintient dans un lien de comparaison perdante avec celle de l’homme (position
compréhensible vu sa fonction d’homme à son époque dans une société bourgeoise).
B) L’apport majeur du biologiste Alfred Kinsey (1894-1956) dans la connaissance de la réponse sexuelle consiste en
« la conviction... que les faits sexuels peuvent et doivent être étudiés comme tout autre phénomène humain ». C’est
cette conviction qui l’amena, avec ses collaborateurs, à rencontrer en entrevue quelques 18.000 individus de tous
âges. De ces études, ils tirèrent deux rapports: le comportement sexuel de l’homme (1948) et le comportement sexuel
1
JAMA . February 10, 1999 – Vol 281, n° 6 ; p.537-5 44
III-3-2
de la femme (1953) qui servent, encore aujourd’hui, de documents d’appui et font de Kinsey le père de la sexologie
statistique et scientifique. Ces ouvrages ont fait connaître les comportements sexuels des gens et, par le fait même, ont
servi à déloger des tabous tout en normalisant certaines pratiques, notamment celle de la masturbation que l’on retrouve
chez une très forte proportion d’individus.
C) Le gynécologue William Masters (1915-2001) et la psychologue Virginia Johnson (1925-), s’ils ont pris la relève de
Kinsey, l’ont fait d’une toute autre manière. En effet, alors que Kinsey se servait de questionnaires et de longues
entrevues, Masters et Johnson, en plus d’entretiens relatant les histoires personnelles et sociales, ont utilisé
l’observation directe en laboratoire. Ils voulaient connaître les réactions sexuelles au niveau physiologique et en
dégager les similitudes et les différences entre les hommes et les femmes. Ces recherches à partir des données obtenues,
ont permis de rectifier certains mythes. En particulier ils ont réhabilité l’orgasme clitoridien, considéré comme
névrotique par Freud.
Par la suite, Masters et Johnson ont créé un modèle thérapeutique original des difficultés sexuelles effectué en thérapie
brève, conjugale, avec deux thérapeutes de sexe différents. L’efficacité étonnante de ces thérapies a ainsi donné ses
lettres de noblesse à la sexologie clinique.
D) La psychiatre psychanalyste Helen Singer Kaplan a affiné le modèle de Masters & Johnson par deux aspects. D’une
part elle a montré l’importance de la phase du désir, d’autre part son approche multi-modale combine les aspects
biologiques et les techniques psycho-dynamiques, behaviorales et relationnelles.
3.2. LES DYSFONCTIONS SEXUELLES
3.2.1. Etiopathogénie :
La majorité des dysfonctions sexuelles sont multifactorielles, on peut cependant les classer selon la
causalité principale :
ß organique ou fonctionnelle lorsque la cause première est physiologique. Dans cet ordre, on trouve les
problèmes engendrés par les atteintes aux systèmes nerveux, circulatoire, endocrinien ou musculaire et
par les médicaments. On estime à ce jour que les dysfonctions d’origine organique représenteraient 25 à
40 % de l’ensemble des difficultés sexuelles (Beltrami et Couture, 1988); ces pourcentages varient
fortement selon les points de vue et spécialités des chercheurs.
ß psychogénique lorsque la cause première est psychologique, d’ordre émotif ou cognitif. Selon Kaplan,
l’anxiété est la cause première de la grande majorité des dysfonctions sexuelles. Cette anxiété n’est pas
toujours consciente ni exprimée : « c’est à un niveau inconscient que la réponse sexuelle peut prendre
une signification symbolique dangereuse » (Kaplan 1975, p.14). On peut relever un manque
d’information ou d’apprentissage, des troubles relationnels avec les parents dans la petite enfance, des
premiers rapports sexuels mal vécus ou vécus dans la violence.
ß relationnelle lorsque la difficulté est induite par la relation ou qu’elle n’existe pas en tant que réponse
solitaire ou avec une autre personne. Masters et Johnson (1971) soutiennent que la dimension
relationnelle est toujours présente (conflit de pouvoir, frustration ou hostilité non-exprimées), soit au
niveau de la cause, soit dans le maintien de la dysfonction. Outre la dimension conjugale, on
considérera aussi les dimensions familiale et socio-professionnelle.
ß d’origine sexuelle lorsque la difficulté est secondaire à une autre dysfonction ou à un trouble de la
sexualité (ex. un trouble du désir secondaire à une éjaculation précoce).
Le problème sexuel est fréquemment psychosomatique, l’élément corps/esprit étant dans une relation circulaire très
étroite (Benghozi, 1989; Kaplan, 1975), on a tout intérêt à considérer le patient dans son équation globale.
Contrairement à la médecine classique, la causalité en sexologie est souvent circulaire, chaque étiologie retentissant sur
une autre pour enfermer le patient dans un cercle vicieux.
Exemple de causalité circulaire
Même si un trouble sexuel a une origine organique
évidente, il y aura toujours un retentissement
psychologique et vice versa : une étiologie
psychologique pourra entraîner à la longue, par
l’abstinence sexuelle, des désordres hormonaux et
anatomiques qui aggraveront les choses.
Diabète
Angoisse/ Dépression
Impuissance
III-3-3
Neuropathie
Selon la modalité d’apparition, on peut également qualifier la dysfonction de :
ß primaire lorsque la difficulté sexuelle a toujours été présente;
ß secondaire ou acquise lorsque le fonctionnement, qui était adéquat, devient perturbé à la suite d’un
événement traumatisant ou de situations anxiogènes (deuil ,stress professionnel, pension, …);
ß totale lorsqu’elle est présente en tout temps;
ß partielle lorsqu’elle n’apparaît qu’à un rythme irrégulier (elle doit concerner plus d’un rapport sur
quatre pour être considérée comme pathologique);
ß généralisée lorsqu’elle est présente dans toutes les situations;
ß situationnelle lorsque pour être présente, elle a besoin de circonstances spécifiques ou d’un partenaire
précis;
3.2.2. Description clinique des dysfonctions sexuelles
Rappelons ici le déroulement complet de la réponse sexuelle qui est subdivisé en phases :
Trajectoire des réactions sexuelles au cours
de l ’activité sexuelle
Orgasme
Réactions sexuelles
femme
homme
résolution
Excitation
Phase réfractaire
Désir
¾ Désir = fantasmes et
préliminaires.
¾ Excitation :
sensations
subjectives de plaisir
sexuel et
modifications
physiologiques
correspondantes.
¾ Orgasme : acmé du
plaisir sexuel et
relâchement de la
tension sexuelle.
¾ Résolution :
sentiment général de
.2.2relâchement et de
bien-être, détente
.musculaire.
Temps
C’est dans cet ordre
séquentiel
(désir,
excitation, orgasme), que nous décriront les différentes dysfontions. On devra y ajouter, chez l’homme et la femme, la
dyspareunie (relation sexuelle douloureuse) et, chez la femme, le vaginisme (contraction involontaire des muscles lisses
du vagin).
RESUME DES TROUBLES SEXUELS LES PLUS FREQUENTS
1. Phase de désir
2. Phase d’excitation
(préliminaires)
3. Orgasme
4. Douleurs
Le désir (libido) est diminué ou absent : le patient constate ou déplore son
« manque d’envie » (dépression, poids de tabous … ou problème de couple). 1)
ß Homme : défaut ou absence d’érection = impuissance. 2 a)
ß Femme : absence d’excitation. 2 b)
ß Homme : éjaculation précoce. 3 a)
ß Femme : anorgasmie (frigidité). 3 b)
Dyspareunie (douleurs pendant les relations sexuelles). 4.)
ß Rare chez l’homme (hypochondrie).
ß Fréquente chez la femme.
III-3-4
Symptômes communs : au stade de la consultation (= demande d’aide), la majorité des personnes qui consultent pour
une insatisfaction dans leur vie sexuelle se sentent mal à l’aise, dévalorisées et anxieuses. Cette anxiété a déjà souvent
majoré le trouble sexuel de départ. Il s’agit de l’anxiété de performance et de son corollaire, la peur de l’échec. Cellesci engendrent une « auto-observation » que Masters et Johnson (1971) ont appelé le « rôle du spectateur ». S’installe
alors le cercle vicieux suivant: plus la personne se demande si elle va réussir (ex.: à maintenir son érection), plus elle se
rend compte qu’elle est en train de décrocher de l’activité et donc d’échouer. Si l’individu ainsi a du mal à s’abandonner
et à ré-investir émotionnellement la rencontre sexuelle, on arrive à une impasse. De plus, la personne qui vit une
difficulté sexuelle est hypersensible aux réactions de l’autre, ce qui a un impact sur sa peur du rejet, de l’abandon ou
sur son sentiment de culpabilité. Pour couper cette escalade de renforcements, une prescription classique en sexologie
est l’abstinence jusqu’à la prochaine consultation.
Ces symptômes communs sont présents dans toutes les dysfonctions. Ils ne seront donc pas repris d’une façon
systématique dans la revue des troubles sexuels les plus fréquents.
A. Troubles du désir chez l’homme et chez la femme
Le désir peut être défini par le fait d’anticiper dans l’imaginaire un plaisir escompté dans la réalité. Il y a donc deux
sources, l’interne, c’est le fantasme et l’externe, c’est l’objet réel du désir, le désirable. Pour qu’il y ait anticipation dans
l’imaginaire d’un plaisir, il faut qu’il y ait eu des expériences (réelles ou imaginées) de satisfaction qui s’inscrivent dans
la mémoire et permettent l’anticipation mnésique : c’est la mémoire désirante.
Les personnes atteintes d’un trouble du désir peuvent avoir un rapport sexuel complet mais il sera vécu de façon
mécanique, dans l’ennui, voire le dégoût.
LES TROUBLES DU DESIR PAR DEFAUT : L’inhibition du désir sexuel ou IDS
Tout le monde connaît des périodes de baisse de désir. Le manque de désir s’inscrit dans un phénomène cyclique qui est
physiologique pour autant qu’il ne s’inscrive pas dans une trop grande chronicité.
Exemple bien connu : la grossesse et la naissance du premier enfant sont des étapes parfois difficiles et
délicates sur le plan du désir. La femme, en devenant une mère, peut en oublier son rôle de femme, bien aidée
en cela par le climat hormonal per et post-partum. Cette perte de désir de la femme dans la période du postpartum peut correspondre à la période de « blues » que connaissent les accouchées et à la période de réparation
des tissus sans que cela soit anormal. Cependant, la femme peut, pour différentes raisons, s’enfermer dans le
cercle vicieux du non-désir. Cette période de la vie du couple marque alors le début des difficultés sexuelles
par perte de désir de la femme.
Dans le DSM IV, ce trouble est repris sous la rubrique suivante :
(302.71) Trouble : baisse du désir sexuel
A.
B.
C.
Déficience (ou absence) persistante ou répétée de fantaisies imaginatives d'ordre sexuel et de désir
d'activité sexuelle. Pour faire la différence entre déficience et absence, le clinicien doit tenir compte des
facteurs qui retentissent sur le fonctionnement sexuel, tels que l'âge et le contexte existentiel du sujet.
La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
La dysfonction sexuelle n'est pas mieux expliquée par un autre trouble de l'Axe 1 (à l'exception d'une
autre dysfonction sexuelle) et n'est pas due exclusivement aux effets physiologiques directs d'une
substance (c.à.d. une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou d'une affection médicale
générale.
) En ce qui concerne le point C, nous attirons l’attention de l’étudiant sur le fait que la perspective psychosomatique
proposée dans ce cours prend également en considération la souffrance du trouble sexuel provoqué par des
maladies organiques ou des médicaments (exclus par le point C du DSM IV). Cette remarque prévaut pour les
autres troubles décrits ultérieurement.
La plainte majeure de la personne inhibée est « je voudrais avoir le goût » mais je ne l’ai pas. Cette situation peut
entraîner des comportements d’évitement secondaire surtout dans les couples ou il n’y a pas de communication franche.
C’est le classique : « pas ce soir mon chéri, j’ai mal à la tête ». On utilise souvent la fréquence diminuée comme mesure
d’un manque de désir. Il s’agit d’un indice tout relatif. Toutefois, Beltrami & Couture soutiennent qu’un désir de
III-3-5
contacts sexuels à moins d’une fois par mois dans un couple stable donne une forte indication d’une IDS. C’est bien sûr
la souffrance d’un partenaire ou des deux qui sera le point d’appel définitif.
Epidémiologie de l’IDS.
Cinquante pour cent des consultations des sexologues concernent l’IDS et ils notent au fil du temps une
augmentation progressive de cette plainte avec une majorité de femmes (Hirsch). Cependant, de plus en
plus d’hommes la signalent maintenant, ce qui dénonce ainsi le fameux mythe selon lequel « un homme a
toujours le goût et est toujours prêt ».
Diagnostic différentiel de l’IDS
Le diagnostic différentiel le plus important à poser est celui d’une dépression (Trouble dépressif majeur ou dysthymie).
Il est impératif de distinguer une perte de désir concernant la seule sphère sexuelle d’une perte généralisée d’intérêt et
de perceptions de plaisir dans d’autres sphères de la vie. Il faudra donc rechercher les autres symptômes de la
dépression, souvent « masquée ».
Etiologies organiques de l’IDS
Rappelons le support biologique du désir :
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
Testostérone
Prolactine
Œstrogènes
Progestérone
Dopamine
ƒ
Sérotonine
= hormone du désir
= hormone hypophysaire anti-désir
= positifs pour le désir de la femme.
= hormone plutôt anti-désir
= neurotransmetteur de l’activation aspécifique,
spécifiée sur le plan sexuel par la testostérone et la LHRH
= hormone de la satiété
Toutes les maladies asthéniantes peuvent entraîner une fatigue sexuelle, en particulier les désordres hormonaux
(hypotestostéronémie, hyperprolactinémie,…)
Il y a de multiples médicaments qui peuvent agir sur la sexualité mais jamais à 100 % sur tous les patients. Ici aussi, la
sensibilité individuelle est parfois étonnante. Citons : les anti-androgènes, les anxiolytiques à fortes doses, les
neuroleptiques, les bétabloquants, les antihypertenseurs centraux, les diurétiques, les antiH2 (médicaments de l’ulcère
gastrique), … et paradoxalement certains antidépresseurs (SSRI, …) et les pilules contraceptives.
Etiologies psychosociales de l’IDS.
1) Socio-professionnelle : le surmenage, la fatigue, les soucis professionnels, des problèmes d’argent, le
chômage, une retraite non-préparée, … peuvent, via les réactions physiologiques du stress et/ou via les
cognitions hypersollicitées par les préoccupations concrètes, causer une perte de désir. Le premier
traitement en sera d’abord une prise de conscience par le sujet et son partenaire.
2) Familiale large : être préoccupé par de nombreux enfants, leurs problèmes scolaires, ou par des parents
âgés, leurs problèmes de santé, interfère avec la sexualité, surtout si un ou les deux membres du couple
ont hyperinvesti leur fonction parentale ou filiale. Ces problèmes peuvent être ponctuels ou plus
chroniques dans les familles à transactions psychosomatiques (fusionnelles, avec difficultés de
différenciation). Le traitement impliquera un travail de différenciation du couple conjugal.
3) Conjugale :
ß Les conflits, déclarés ou non, sont à la fois cause et effet de la baisse de désir. La sexualité peut alors
devenir le champ de bataille du couple, les difficultés sexuelles permettant de faire l’économie de
l’expression verbale des conflits.
ß La monotonie : la monotonie quotidienne peut enfermer certains couples dans l’indifférence sexuelle.
Confrontés à l’usure du quotidien, les couples peuvent être entraînés dans un déconditionnement
érotique si, par exemple, l’un des partenaires « se laisse aller » ou si les rapports sexuels sont
stéréotypés.
4) Personnelle : Les conflits personnels, profonds ou superficiels, s’expriment au travers de l’angoisse voire
la culpabilité vis-à-vis de la sexualité. Ainsi en va-t-il de la peur de l’intimité, de la peur de
l’investissement affectif, de fixations œdipiennes, d’influences négatives d’une éducation rigide, d’une
image corporelle négative, de réminiscences de traumatismes comme le viol, l’abus sexuel, le rapt, …
III-3-6
Traitement
Après un respect de la participation somatique (traiter la maladie diagnostiquée) ou iatrogène (changer la médication
causale), le plus souvent ce sont des entretiens de remise en sens dans l’histoire personnelle et de recadrage dans
l’organisation conjugale qui pourront relancer la dynamique et l’imaginaire amoureux et affectif.
Cas clinique
Jacqueline (J) et Pierre (P) n’ont plus de relations sexuelles depuis 2 ans. Ils consultent un thérapeute (Th).
J : « Pierre ne veut plus jamais faire l’amour, je pense que je ne l’intéresse plus du tout »
Th :
« Qu’en pensez-vous monsieur ?»
P:
« Je ne sais pas ce qui ne va pas, j’aime Jacqueline mais je ne ressens plus rien de sexuel. Elle
pense que j’ai une maîtresse. »
Th :
« Est-ce vrai monsieur ? »
P:
« Non, je n’ai d’intérêt sexuel pour personne »
J : « Je voudrais divorcer »
Th. :
« Pourquoi ?»
J : « Je ne supporte plus d’être rejetée ».
P:
reste béat.
L’anamnèse révèle que pour Jacqueline (croyance subjective) un homme est toujours capable de « faire
l’amour ». De plus, dans son histoire personnelle, on relève (histoire de vie) que son père a beaucoup trompé
sa mère. Le relevé chronologique des événements de vie montre que Pierre a eu une promotion il y a deux
ans. En fonction de sa grande exigence intérieure et des difficultés avec son patron et ses subordonnés, cette
promotion a représenté un grand stress qu’il n’a jamais exprimé puisque à la question « Le saviez-vous,
madame ?», J. répond « Non, pas du tout, je ne pensais qu’à une maîtresse, j’en parlais à ma mère et elle
pensait comme moi. Elle me reparlait des infidélités de papa ».
Il est bien évident que, dans ce cas-ci, avant d’entreprendre une sexothérapie, le traitement sera, pour monsieur,
d’exprimer davantage ses sentiments en commençant par se plaindre des exigences de son patron à son épouse le soir,
quant à madame, elle devra se débarrasser de ses mythes et croyances et prendre ses distances par rapport au destin de
sa mère.
B. TROUBLES DE L'EXCITATION SEXUELLE
a) Troubles de l’excitation sexuelle chez l’homme.
Les épisodes isolés de perte d’une érection au mauvais moment sont monnaie courante et universellement répandus. De
tels épisodes isolés ne signifient pas obligatoirement qu’un homme est atteint d’une anomalie de la fonction sexuelle; ils
peuvent représenter une forme passagère de stress physique (grippe, fatigue, abus de nourriture ou de boisson) ou
peuvent être liés à d’autres problèmes tels que la tension nerveuse, le manque d’intimité ou la période d’adaptation à un
nouveau partenaire sexuel. Si l’homme ne vit pas calmement de tels incidents et se sent profondément affecté par cet
« échec » à fournir la « bonne » réaction physique, il prépare le terrain à des difficultés au cours des rapports sexuels
ultérieurs du fait de son anxiété (anxiété de performance).
Nous ne voulons pas retenir l’usage du terme « impuissance » car il risque d’étiqueter l’homme subjectivement dans
d’autres domaines de la vie.
(302.72) Trouble de l’érection chez l’homme = dysfonction érectile.
A. Incapacité persistante ou répétée à atteindre, ou à maintenir jusqu'à l'accomplissement de l'acte sexuel, une
érection adéquate (lubrification, intumescence).
B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
La majorité des difficultés érectiles sont secondaires: il s’agit du problème d’un homme qui après avoir vécu un
fonctionnement adéquat devient incapable d’atteindre ou de conserver une érection suffisante pour permettre une
pénétration.
III-3-7
Etiologie:
Toutes les étiologies mentionnées pour les troubles du désir peuvent être incriminées ici aussi mais on retiendra plus
spécifiquement dans les étiologies organiques : diabète, sclérose en plaques, traumatisme lombo-sacré, chirurgie
prostatique, médicaments, athérosclérose, toxiques divers (tabac, alcool, drogues)…
La neurophysiologie fine et le processus de vascularisation érectile sont actuellement bien connus avec comme
conséquence que les dysfonctions érectiles semblent être passées du champ de la psychiatrie à celui de l’urologie et de
l’andrologie. C’est méconnaître que beaucoup d’ »impuissances » sont d’origine psychologique.
On peut incriminer des causes personnelles, manque de confiance en soi, conflit œdipien et anxiété de castration
(difficulté à se positionner par rapport à leur propre père et mère), éducation prohibitive, peur ou respect excessif de la
femme (impuissance avec la femme aimée) mais aussi méconnaissance des techniques érotiques.
Facteurs relationnels: on peut souvent constater un désinvestissement sensuel et érotique de la partenaire, tout comme
la présence de très nombreux conflits non réglés. De façon générale, les réactions d’une femme face à la défaillance
masculine sont très importantes et varient fortement. Elles vont de l’autocritique à l’intolérance « c’est ma faute, je ne
lui plais plus suffisamment, je ne suis pas assez séduisante » jusqu’à « oh, pauvre chou, ce n’est pas si grave, ne te fais
pas de souci » (le rôle tolérant et protecteur risque même d’augmenter l’atteinte à la virilité masculine mais aussi de
maintenir le symptôme dans ses bénéfices secondaires). Un dysfonctionnement érectile peut aussi très bien convenir à la
partenaire, être ainsi une manière de contrôler son homme: « il est très populaire mais je ne dois pas craindre qu’il aille
voir ailleurs ! ».
Les dysfonctions érectiles étant le plus souvent d’étiologie mixte (organique et psychologique), les entretiens doivent
être menés avec délicatesse mais aussi avec une totale clarté sur les circonstances et le détail des situations sexuelles qui
font difficulté.
La persistance d’érection matinale, si elle n’est pas une mesure assurée est une bon indice qu’il s’agit d’une cause
psychologique. Il est préférable cependant en tout temps de vérifier l’aspect organique à la fois dans une démarche
diagnostique et dans une démarche de réassurance. Le patient a souvent peur d’une introspection psychologique trop
rapide.
Traitement :
La thérapeutique idéale respecte l’influence réciproque des variables somatiques et psycho-sociales. Ainsi,
dans le cas d’un dysfonctionnement érectile dit psychogène, un usage ponctuel d’auto-injections
(Papavérine, Prostaglandine), ou mieux, de Sildénafil (Viagra) ou de Tadalafil (Cialis) peut se justifier s’il
est associé à des entretiens de mise en sens et de prise de conscience corporelle. De même, un
accompagnement psycho-sexuel du patient et de sa partenaire est souvent utile lors d’un dysfonctionnement
érectile dit d’origine organique.
Le traitement psychorelationnel des troubles de l’érection n’a pas toujours besoin d’un « starter » technique
comme l’illustre le cas suivant :
Cas clinique :
Monsieur Z., 35 ans, consulte pour une impuissance apparue progressivement en quelques mois. Il a divorcé
il y a 3 ans et après une période de dépression réactionnelle il va beaucoup mieux. Ces derniers mois, sa
situation a évolué favorablement puisqu’il a eu une promotion professionnelle (il est ingénieur commercial
de formation et il dirige maintenant une petite équipe). De plus, il a rencontré une jeune femme avec qui il a
l’intention de refaire sa vie. Au début, leurs relations sexuelles étaient satisfaisantes mais depuis qu’ils vivent
ensemble ça ne va plus. Un bilan organique a été pratiqué et est normal. Au cours des entretiens, il précise
que lorsque tout va bien entre eux, les relations sexuelles sont tout à fait satisfaisantes mais que c’est après
des altercations qu’apparaissent les manifestations d’érection instable qui interdisent toute pénétration.
L’amie du patient supporte de plus en plus mal cette situation qu’elle vit comme une preuve de désamour. En
fait, l’analyse des caractères nous montre que cette jeune femme a une très forte personnalité et que le patient
émotif et inhibé n’ose pas s’opposer directement à elle. Chez ce patient, on est en droit d’interpréter les
difficultés d’érection comme un langage non verbal. C’est un moyen inconscient de s’opposer à son amie, sa
façon à lui de lui dire non, de la frustrer comme elle-même le frustre par son autoritarisme et son
intransigeance. Le symptôme est donc la conséquence d’un conflit de pouvoir entre les deux protagonistes.
Le symptôme de Monsieur Z. peut donc être considéré comme un compromis entre son désir de s’opposer à
son amie et sa peur de l’affronter directement. La fonction du symptôme est ici de maintenir un équilibre au
sein du couple mais on voit à quel prix et l’on voit aussi qu’une mauvaise solution à un problème devient le
III-3-8
véritable problème. Pour aider le patient à guérir de son symptôme, il faudra tenir compte de cette
signification. Le traitement aura pour but de diminuer la peur d’affrontement du patient par différentes
techniques d’affirmation. Une fois cette peur jugulée, le patient peut exprimer son agressivité de façon
verbale et n’aura donc plus besoin de son symptôme pour faire passer le message à sa compagne. Dans le cas
présent, cette hypothèse a été confirmée par l’évaluation clinique puisque ayant pris conscience de la nature
de l’enjeu le patient a appris progressivement à s’affirmer, ce qui s’est accompagné d’une disparition
complète des troubles.
b). Troubles de l’excitation sexuelle chez la femme.
(302.72) Trouble de l’excitation sexuelle chez la femme
A. Incapacité persistante ou répétée à atteindre, ou à maintenir jusqu’à l’acccomplissement de l’acte sexuel,
une activité sexuelle adéquate (lubrification, intumescence)
B. La perturbation est à l’origine d’une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
Il s’agit d’une difficulté de lubrification cause ou conséquence de manque de désir. Une diminution normale de
lubrification se retrouve pendant la période du post-partum et de l’allaitement et lors de la ménopause où la chute des
œstrogènes peut entraîner une atrophie et une sécheresse vaginale.
Dans les causes organiques, on retrouve également le diabète et des infections génitales rebelles et des mesures
d’hygiène trop fréquentes (certaines femmes obsessionnelles font trop souvent leur toilette intime avec des produits
asséchants).
Dans les causes psychologiques et relationnelles, on retrouve la peur ou le conflit de la relation sexuelle ainsi que de
mauvaises techniques excitatoires.
Le traitement sera d’abord symptomatique: gelée hormonale, hormones si besoin, sexothérapie, éducation sexuelle,
thérapie de couple, ...
C.TROUBLES DE L'ORGASME
a). Ejaculation précoce ou prématurée.
Note : l’orgasme est assimilé à l’éjaculation chez l’homme.
[302.751 Éjaculation précoce
A. Trouble de l'éjaculation persistant ou répété lors de stimulations sexuelles minimes avant, pendant,
ou juste après la pénétration, et avant que le sujet ne souhaite éjaculer. Le clinicien doit tenir
compte des facteurs qui modifient la durée de la phase d'excitation sexuelle tels que l'âge, la
nouveauté de l'expérience sexuelle ou du partenaire et la fréquence de l'activité sexuelle récente.
B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
L’éjaculation rapide peut revêtir plusieurs formes. Certains hommes ont des problèmes de contrôle autant lors des
masturbations que des pénétrations. Certains ont le problème avec toutes les partenaires ; d’autres avec un type de
partenaire. Certains éjaculent avant l’intromission; la majorité le font une minute ou deux après la pénétration. En fait,
le sujet n’est capable d’éjaculer quand il le désire. Ce problème induit facilement une autre dysfonction et une perte
d’estime de soi autant chez le sujet lui-même que chez sa partenaire.
ß Les causes organiques possibles sont la consommation de drogues (amphétamines, hallucinogènes, cocaïne,
nicotine), ou des causes locales (frein court , phimosis) mais le risque d’organicité de l’éjaculation rapide est très
bas et ici une évaluation verbale est habituellement suffisante avant de commencer la thérapie.
ß Les causes psychologiques les plus fréquentes sont: le problème le plus couramment rencontré est :
¾ la dysfonction primaire due à un manque d’apprentissage comme séquelle d’un comportement qui a été
opportun mais qui ne l’est plus. Malheureusement, dans les causes psychologiques plus profondes le patient
ne consulte souvent qu’après des années de déception au stade de résignation voire de répulsion de sa
partenaire et n’est souvent diagnostiquée que de façon indirecte lors d’un trouble psychosomatique du patient
ou de son conjoint.
III-3-9
¾
Dans la dysfonction secondaire, c’est-à-dire le trouble acquis, l’état de la conjugalité a vraiment besoin d’être
cerné et nécessite que les deux partenaires soient rencontrés. Souvent une forte hostilité non reconnue
déstabilise et déstructure le couple, le problème d’éjaculation n’est alors qu’un épiphénomène dans une
dimension conjugale perturbée.
Dans tous les cas, il faudra évaluer la maturité et la stabilité du couple pour dépister ses problèmes d’hostilité éventuelle
mais surtout pour préparer l’épouse à être une co-thérapeute dans la sexothérapie, évaluer et susciter son envie de
participer au traitement.
Traitement:
L’éjaculation elle-même n’est pas contrôlable. L’objectif vise à habiliter l’homme à une prise de conscience des
sensations lors de l’excitation et à repérer la sensation prémonitoire d’éjaculation. Ce traitement comprend des exercices
de respiration et de relaxation somatique pour dé-rigidifier les mouvements du bassins d’abord en solo puis si possible
avec la collaboration de la partenaire.
Ces exercices et changement de position sont bien sûr prescrits progressivement au cours de consultations de couple qui
visent à améliorer la communication et l’expression de l’affection dans le couple.
Exemple clinique de sexothérapie pour éjaculation précoce.
Mr et Mme C., 25 et 26 ans, vivent ensemble depuis 6 ans. Au moment de la première consultation, l’épouse est
réticente et dit se désintéresser quelque peu des relations sexuelles. Le mari, depuis plusieurs années, éjacule
précocement. En réalité, au cours des derniers mois, l’éjaculation est de plus en plus rapide au point de se déclencher
lors de la pénétration. On retrouve ici l’enchaînement « peur de l’échec » - « anxiété anticipatoire » - « aggravation de la
problématique ».
Le premier entretien eut pour objet essentiel d’obtenir l’acceptation de l’épouse de participer activement au traitement.
La première étape des exercices à domicile consistait, pour elle, à pratiquer la technique de la pression (squeeze) à deux
ou trois reprises avant de laisser aller l’éjaculation (le mari étant couché calmement sur le dos). Il était convenu
qu’après avoir éjaculé, le mari s’occuperait d’elle jusqu’à ce qu’elle trouve l’orgasme, sans coït.
Lors du second entretien (trois semaines plus tard), nous pouvions constater que l’épouse était réjouie du fait que son
mari s’était occupé d’elle et qu’elle avait, à plusieurs reprises, obtenu du plaisir. Elle était acquise à l’idée de poursuivre
le traitement dans les étapes ultérieures (passant par un coït avec pression du pénis...).
En parallèle, le couple fut invité à s’exprimer davantage leur émotions, aller au cinéma (voir des films romantiques et
érotiques) en parler ensemble, de reparler ensemble des premiers jours de leur amour, de retrouver des activités
susceptibles de les faire rire. L’humour est contagieux et stimulant sexuellement.
La thérapie fut un succès, le couple est arrivé à un contrôle satisfaisant de l’éjaculation.
Ce cas illustre qu’à travers la prise en charge de l’éjaculation précoce, les partenaires sont bien souvent amenés à
reconsidérer l’attention qu’ils se portent mutuellement, dans d’autres domaines que la sexualité aussi.
b). Anorgasmie chez la femme.
(302.73) Trouble de l'orgasme chez la chez la femme (auparavant Inhibition de l'orgasme
chez la femme)
A. Absence ou retard persistant ou répété de l'orgasme après une phase d'excitation sexuelle normale.
Il existe chez la femme une grande variabilité dans le type ou l'intensité de la stimulation nécessaire
pour déclencher un orgasme. Le diagnostic d’un trouble de l'orgasme chez la femme repose sur le
jugement du clinicien qui estime que la capacité orgasmique de la femme est inférieure à ce
qu'elle devrait être, compte tenu de son âge, de son expérience sexuelle et de l'adéquation de la
stimulation sexuelle reçue.
B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
Beltramy et Couture en 1988 ajoutent trois critères importants:
1. une bonne entente dans le couple,
2. des préliminaires de plus de 20 minutes,
3. et une pénétration d’une durée de 10 à 20 minutes.
Dans cette difficulté, la femme ressent l’intérêt sexuel, a une excitation satisfaisante mais n’arrive pas à l’orgasme.
L’anorgasmie présente plusieurs formes et le vécu de la femme une diversité plus grande encore. Quelques femmes
anorgasmiques prennent peu de plaisir aux relations sexuelles, les considérant comme une obligation inhérente au
mariage ou un moyen de maintenir au minimum une relation. D’autres, au contraire, trouvent les relations sexuelles
III-3-10
stimulantes et satisfaites. Par exemple: « je n’ai jamais eu d’orgasme mais je trouve que c’est agréable d’avoir des
contacts physiques avec mon partenaire ». Un sentiment de complicité étant ce qu’elle recherche, le besoin est alors
comblé.
N’oublions pas que chez la majorité des femmes l’excitation psychologique et le climat affectif apportent plus de plaisir
que les sensations purement physiques. Ce qui compte une fois de plus est de considérer le sentiment subjectif de la
personne. L’orgasme est une éventualité, pas un devoir.
Il faut aussi souligner que la stimulation par pénétration n’est pas toujours suffisante pour conduire à l’orgasme féminin.
De nombreuses femmes ont régulièrement besoin de stimulations supplémentaires (comme par exemple une stimulation
du clitoris). Malheureusement, certaines personnes croient que les « vrais » orgasmes coïtaux sont les seuls valables.
Le partenaire masculin d’une femme anorgasmique peut réagir de façon différente. Il peut éprouver de la sympathie
aussi bien que de l’inquiétude. Bien des hommes se tiennent pour responsable de l’absence d’orgasme de leur
partenaire. Si le partenaire se considère comme le tuteur, l’entraîneur, il peut après quelques tentatives d’initiation se
montrer impatient ou courroucé. D’autres se résignent passivement.
Etiologie(s)
Le risque d’organicité de la dysfonction orgasmique féminine est très bas. Une évaluation verbale est actuellement
suffisante avant de commencer la thérapie. On s’assurera quand même de l’absence de maladie comme la sclérose en
plaques, le diabète, d’autres affections hormonales et on s’assurera sans urgence que la femme soit vue épisodiquement
en consultation gynécologique.
Les causes psychologiques font allusion à une éducation répressive et puritaine, à un manque de connaissance de son
corps et une pauvreté ou une absence de la fantasmatique, un besoin de contrôle (difficulté à s’abandonner), un excès de
romantisme (attente d’un prince charmant édulcoré)…. Les causes relationnelles sont évidemment toujours intriquées,
une hostilité ou un jeu de pouvoir envers le partenaire. Notons le couple caricatural dans sa dynamique éjaculation
rapide du partenaire et anorgasmie de la femme.
TRAITEMENT
La thérapie suivra la cause principale et l’on proposera à nouveau différents types de psychothérapie de préférence avec
le conjoint, des exercices de relaxation et de sensibilisation corporelle, des exercices de Kegel (prise de conscience des
muscles du périnée qui peuvent être contractés plusieurs fois par jour).
Avec des techniques spécifiques, la plupart des sexologues obtiennent des succès thérapeutiques chez 90% des femmes
qui présentent une anorgasmie primaire totale. Elles réussissent à atteindre l’orgasme dans une session thérapeutique
relativement courte. Par contre, le pourcentage de réussite de l’anorgasmie avec partenaire est plus variable et on
comprendra qu’elle dépend de la relation interpersonnelle et de la motivation du couple à améliorer leur vie
relationnelle.
D. TROUBLES SEXUELS AVEC DOULEUR (DYSPAREUNIE).
(302.76) Dyspareunie (non due à une affection médicale générale)
A. Douleur génitale persistante ou répétée associée aux rapports sexuels, soit chez l'homme, soit chez la
femme.
B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
¾ Chez l’homme.
La douleur lors du rapport sexuel d’origine psychologique est rare chez l’homme et il faudra rechercher une cause
organique: infection ou maladie du pénis (phimosis, frein trop court, maladie de la Peyronie, prostatite,...).
¾ Chez la femme
C’est le rapport sexuel douloureux. La douleur apparaît soit au début du rapport, soit au cours, soit à la fin. Ici, on entre
très vite dans un cercle vicieux, la peur de la douleur entraîne une peur de la sexualité, ce qui met la femme sous
tension, diminue son plaisir sexuel et donc augmente la douleur.
Etiologie: il faudra éliminer une cause organique possible (infection vulvaire, vaginale ou du clitoris, cicatrice
d’épisiotomie, d’hystérectomie, inflammation pelvienne,...).
Souvent le problème de douleurs reste présent alors que la cause initiale a disparu. La dyspareunie chez la femme est
souvent d’origine uniquement psychologique ou psychosomatique et correspond à une conversion de conflits sexuels et
de culpabilité.
III-3-11
Les causes sexuelles sont possibles aussi. Dyspareunie secondaire à un vaginisme, à une insuffisance de lubrification ou
à une technique sexuelle abusive.
L’outil le plus important pour différencier une dyspareunie d’origine psychologique d’une autre d’origine physique est
la revue détaillée de la douleur, ses caractéristiques, sa localisation et ce qui la soulage. Une absence de manifestations
de tendresse de la part des parents est souvent relevée dans l’enfance.
Une attention à la réponse habituelle de cette personne devant la douleur en général permet d’autre part de mieux situer
son fonctionnement (céphalées, lombalgies, autres plaintes générales).
Le vaginisme.
(306.51) Vaginisme (non dû à une affection médicale générale)
A.
B.
Spasme involontaire, répété ou persistant, de la musculature du tiers externe du vagin perturbant les rapports
sexuels.
La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
Le vaginisme peut être primaire ou secondaire à un traumatisme comme il peut être global ou situationnel à
l’intromission pénienne alors qu’un tampon peut être inséré. Certaines femmes présentent d’autres dysfonctions
sexuelles mais plusieurs ont une réponse sexuelle très adéquate lorsque la pénétration est hors de cause. Seule la
pénétration est difficile, douloureuse, voire impossible.
En clinique, il faut bien insister sur le fait que les spasmes sont involontaires en réponse aux tentatives de pénétration
vaginale. Le partenaire peut en effet s’étonner que la patiente puisse accepter des tampons hygiéniques ou un examen au
spéculum.
Etiologie: si des causes organiques sont possibles, l’immense majorité des causes est d’ordre psychologique notamment
ambivalence envers la sexualité ou la grossesse et difficulté à se situer par rapport au partenaire.
Traitement: même si des causes inconscientes profondes sont certainement en jeu, le traitement du vaginisme est aussi
local agissant sur le symptôme: dilatation graduel de l’entrée vaginale par la femme elle-même à l’aide d’un doigt, puis
2 doigts, puis 3 doigts ou à l’aide de dilatateur de diamètre croissant (bougie de Heggar). Ces exercices se font d’abord
en imagination dans un climat de relaxation.
Si le partenaire peut participer directement à ces séances de dilatation, l’intimité et la complicité dans le couple bien sûr
ne pourront qu’être augmentées. Comme dans tout problème de tension musculaire, paradoxalement on demandera à la
patiente de serrer le doigt ou la bougie de Heggar; ce n’est qu’en contractant les muscles que l’on peut avoir conscience
de leur existence
Malgré la particularité et la sévérité de ce symptôme focal, dans la grande majorité des cas, cette difficulté répond très
bien à un traitement local. Le pronostic est assez bon si l’on intègre le traitement local à une approche
psychothérapeutique et sexuelle. Dans l’avenir, on ne devrait plus jamais voir des femmes dilatées chirurgicalement par
des opérations gynécologiques !
3.3. LES DEVIATIONS D’ « OBJETS » QUI NE SONT PLUS CONSIDERES COMME
PERVERSIONS : LA MASTURBATION ET L’HOMOSEXUALITE
3.3.1 La masturbation
La masturbation (auto-érotisme ou onanisme) est assez fréquente chez l’enfant et extrêmement fréquente chez
l’adolescent ou le jeune adulte surtout de sexe masculin. Inscrite dans le début de l’organisation de la pulsion sexuelle
génitale, la masturbation n’a rien d’anormal. Françoise Dolto considère même qu’il s’agit d’une façon naturelle de
découvrir et d’investir son corps sexué. L’adolescence c’est une période difficile dans notre culture. Elle est souvent
marquée d’incertitude, de timidité, de tensions diverses. S’y ajoutent des interdits sexuels et les obstacles sociologiques
à trouver aisément un partenaire « disponible ». Notons que beaucoup de personnes se retrouvent dans cette situation.
En effet, notre société compte de plus en plus de sujets qui ne vivent pas en couple (divorcé, veuf, famille
monoparentale, …). On peut ainsi considérer la masturbation comme un moyen de « se faire plaisir », de se détendre, de
diminuer les tensions,… et peut-être aussi comme une façon d’ « entretenir » la fonction génitale et les émotions
sensuelles pour une éventuelle rencontre ultérieure.
Il n’y a donc aucune raison de considérer la masturbation comme inquiétante et pathologique dans la toute grande
majorité des cas. Notre rôle sera donc de dédramatiser, d’écouter avec bienveillance sans culpabilisation et s’il s’agit de
parents inquiets, de les désangoisser, eux, quant à la sexualité de leur enfant.
Dans certains cas rares, la masturbation peut être le symptôme d’autres problèmes importants. Seront considérés
comme pathologiques les cas suivants :
III-3-12
¾
¾
¾
¾
Masturbation d’un jeune enfant en public (lui apprendre la notion d’intimité et s’assurer qu’il n’y a pas eu d’abus
sexuel).
Masturbation régulièrement accompagnée d’imagination à thèmes pervers.
Masturbation compulsive et incoercible sans plaisir utilisée comme mécanismes de défenses obsessionnelles contre
l’angoisse souvent dans le registre des névroses, voire de troubles pré-psychotiques avec vérification anxieuse de
l’intégrité sexuelle.
Masturbation se prolongeant au-delà de l’adolescence comme activité sexuelle unique et principale alors que la
personne vit en couple.
Dans toutes les situations de ce genre, un examen psychologique plus approfondi s’avère nécessaire et un traitement
souvent de type psychothérapie spécialisée.
3.3.1. L’homosexualité
L’homosexualité a donné lieu à de nombreuses discussions souvent passionnées sur la question de savoir s’il faut la
considérer comme normale ou pathologique.
L’Association Américaine de Psychiatre ne considère plus
l’homosexualité comme un trouble psychique depuis 1973. En Belgique, non seulement l’homosexualité n’est pas
illégale, mais elle est « socialement normale » puisque l’on reconnaît l’existence de couples homosexuels (ou lesbiens).
Les discussions actuelles portent sur leur capacité ou non à pouvoir adopter des enfants.
Le désir homosexuel se manifeste chez tous les adolescents homme ou femme. Le plus souvent, il reste peu conscient
dans sa dimension sexuelle physique et se cantonne sous la forme d’amitié fiévreuse plus ou moins passionnée. Chez la
majorité, ces désirs homosexuels sont progressivement recouverts par l’orientation hétérosexuelle. L’homosexualité
peut réapparaître à l’occasion de circonstances particulières où la promiscuité est exclusivement d’un seul sexe (par
ex. : prison, pensionnat, long voyage maritime,…).
L’homosexualité est ainsi potentiellement présente à des degrés divers : de l’homosexualité pure à la bisexualité
(attraction plus ou moins nette pour les deux sexes). D’après Kinsey, la prédominance du désir homosexuel se
rencontrerait dans 13% de la population tandis que 2 à 3% seraient homosexuels exclusivement.
L’étiologie de l’homosexualité reste extrêmement discutée malgré des tentatives épisodiques d’explications hormonales
ou génétiques. Les psychodynamiciens estiment pour la plupart que l’explication psychogénétique est la bonne. Pour
la garçon, on invoque : une fixation excessive à une mère séductrice qui surinvestit son fils, position passive prise face à
un père hypercastrateur ou insignifiant, fixation narcissique érotique, refus de la différence sexuelle et illusion de
maîtrise du désir de l’autre.
La plupart des auteurs pensent que l’homosexualité féminine (lesbiasnisme) serait moins fréquente que l’homosexualité
masculine, en tout cas moins exclusive et mieux acceptée.
En clinique, le problème central tourne autour des motifs pour lesquels le sujet est amené à consulter à propos de son
homosexualité. Souvent, la consultation est motivée par l'entourage. Si le sujet n’a aucun désir de changer
d’orientation, notre rôle sera essentiellement de voir avec la personne concernée comment l’aider à s’aménager une vie
stable avec un minimum de conflits. Si le sujet est très jeune, des entretiens psychologiques pourront être indiqués pour
voir si l’intéressé se trouve simplement dans une phase d’évolution temporaire ou déjà fixée dans une homosexualité
stable.
Certains homosexuels consultent de leur propre initiative, soit parce qu’ils sont bisexuels (certains difficultés sexuelles
de couple hétérosexuel peuvent être dues à une homosexualité latente), soit parce qu’ils souffrent d’angoisse névrotique
à propos de leur tendance et en particulier de craintes quant au sida. D’autres consulteront pour de véritables problèmes
relationnels et affectifs dans leur couple homosexuel.
Tous ces cas justifient une approche psychothérapeutique qui mènera souvent vers une indication de psychanalyse.
Certains évolueront vers l’hétérosexualité, d’autres se fixeront dans une homosexualité sans angoisse.
3.4. LES PARAPHILIES
Dans les paraphilies (ou déviations, déviances, perversions), la réponse sexuelle est adéquate mais « l’objet d’amour »
ou le but recherché ne l’est pas. Il s’agit d’excitations impérativement et exclusivement en réponse à des « objets » ou
des situations anormales et qui interfèrent avec la capacité du sujet à avoir une relation sexuelle emprunte d’affectivité
et de réciprocité. Dans cette catégorie, on peut citer la pédophilie, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le fétichisme, le
sadisme, le masochisme, la zoophilie, le traverstisme, …
III-3-13
On explique les déviations sexuelles adultes par des ratés du refoulement normal de tendances partielles qui n’ont pas
su s’organiser en conduite sexuelle complète. Notons d’emblée que le pervers dans sa conviction d’en savoir plus sur la
jouissance que le commun des mortels ne consultera que dans un cadre médico-légal.
3.4.1. La pédophilie
Les pédophiles, en majorité masculins, sont tentés d’exercer des activités sexuelles envers des enfants pré-pubères des
deux sexes. La pédérastie désigne l’attirance d’hommes adultes envers de jeunes garçons.
Les structures psychologiques qui sous-tendent de telles pratiques sont variées :
¾ Insatisfaction de soi, manque de confiance dans sa valeur sexuée et sa capacité à séduire un partenaire adulte. En
compensation, l’enfant est vécu comme un « partenaire de rêve » donnant facilement son « amour ».
¾ Reproduction de moments et de dynamique relationnelle trouble vécus pendant sa propre enfance. Il y a
répétition : l’abusé devient abuseur (le risque de répétition est d’autant plus grand que le sujet n’a pu élaborer son
traumatisme auprès d’un adulte de confiance).
¾ Structure perverse stricto sensu : envie de se donner des plaisirs spécifiques indéfiniment reproduits en se mettant
au-dessus des lois ; parfois, la volupté de transgresser et d’inciter un plus jeune à la transgression est la jouissance
principale.
On peut distinguer les cas de pédophiles incestueux (80%) de ceux qui ne le sont pas. L’inceste, principalement
père/fille (beau-père/belle-fille dans les familles reconstituées) est plus répandu que l’on imagine. Il connaît des degrés
différents de gravité selon les circonstances qui l’entourent : âge de l’enfant, fréquence des rapports, attouchements ou
rapport complet, atmosphère générale du couple et de la famille, attitude plus ou moins affectueuse à l’égard de
l’enfant, discours plus ou moins justificatif ou culpabilisant accompagnant les pratiques, …
D’autres situations sont le fait de « violeurs d’enfant», étrangers à la famille. La majorité de ces personnes se trouvant
en position d’autorité éducative envers la victime, la procédure est bien plus souvent celle de la séduction que celle de
l’intimidation.
Le médecin ou le psychologue devrait être particulièrement prudent envers toutes ces situations difficiles. Prudent ne
signifie pas inactif, passif, voire de ce fait indirectement complice. Il faut dans tous les cas prendre résolument le parti
de l’intérêt de l’enfant et réussir à le protéger des agressions sexuelles de l’adulte.
Si l’on a accepté de prendre en traitement un pédophile, il faut que les actes s’arrêtent. Si ce n’est pas le cas, il s’agit de
situations ou nous devons lâcher le secret professionnel.
Avant toute décision devant un cas de pédophilie, on sera avisé de s’en référer à des spécialistes et de prendre l’avis
d’une équipe telle que S.O.S. enfants ou celui d’un service de pédiatrie comprenant une équipe multidisciplaire.
3.4.2. Les déviations du mode de satisfaction (ou de but)
Les déviations les plus fréquentes sont les déviations sexuelles dans lesquelles les pulsions non directement génitales
sont érotisées : la vue avec l’exhibitionnisme et le voyeurisme, la douleur avec le sado-masochisme.
Pour qu’on puisse parler de perversion, il faut que le mode de satisfaction déviée soit indispensable pour obtenir la
jouissance et imprime sa marque à l’ensemble de la vie sexuelle de l’individu.
En effet, chez la plupart des individus adultes, les pulsions partielles persistent et ne sont actives que de façon
subsidiaires, par exemple dans les préliminaires à la relation sexuelle génitale ou dans les jeux amoureux (voyeurisme et
exhibitionnisme sains).
En clinique, restons prudents quand un de nos patients vient nous dire que son conjoint est pervers. Les nouvelles
technologies nous amèneront d’ailleurs à nous reposer la question des frontières entre le normal et le pathologique.
Ainsi est-il normal qu’un adulte marié passe des heures devant les sites pornos du réseau Internet ?
3.5. TROUBLES DE L’IDENTITE SEXUELLE : LE TRANSEXUALISME
Il s’agit d’un trouble profond de l’identité sexuelle à différencier du transvestisme (nécessité de porter des habits de
femme pour arriver à la jouissance chez un homme). Ici, la personne se vit comme appartenant effectivement à l’autre
sexe.
DSM IV 302.xx - Trouble de l’identité sexuelle
A.
Identification intense et persistante à l'autre sexe (ne concernant pas exclusivement le désir d'obtenir les bénéfices culturels
dévolus à l'autre sexe).
III-3-14
Chez les enfants, la perturbation se manifeste par quatre (ou plus)
des critères suivants
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
exprime de façon répétée le désir d'appartenir à l'autre sexe ou affirme qu'il (ou elle) en fait partie
chez les garçons, préférence pour les vêtements féminins ou un attirail d'objets permettant de mimer la féminité chez les
filles, insistance pour porter des vêtements typiquement masculins
préférence marquée et persistante pour les rôles dévolus à l'autre sexe au cours des jeux de « faire semblant » ou fan taisies
imaginatives persistantes d'appartenir à l'autre sexe
désir intense de participer aux jeux et aux passe-temps typiques de l'autre sexe
préférence marquée pour les compagnons de jeu appartenant à l'autre sexe
Chez les adolescents et les adultes, la perturbation se manifeste par des symptômes tels que l'expression d'un désir d'appartenir à
l'autre sexe, l'adoption fréquente de conduites où on se fait passer pour l'autre sexe, un désir de vivre et d'être traité comme l'autre
sexe, ou la conviction qu'il (ou elle) possède les sentiments et réactions typiques de l'autre sexe.
B.
Sentiment persistant d'inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d'inadéquation par rapport à l'identité de rôle
correspondante.
Chez les enfants, la perturbation se manifeste par l'un ou l'autre des éléments suivants : chez le garçon, assertion que son pénis ou
ses testicules sont dégoûtants ou vont disparaître, ou qu'il vaudrait mieux ne pas avoir de pénis, ou aversion envers les jeux
brutaux et rejet des jouets, jeux et activités typiques d'un garçon ; chez la fille, refus d'uriner en position assise, assertion qu'elle a
un pénis ou que celui-ci va pousser, qu'elle ne veut pas avoir de seins ni de règles, ou aversion marquée envers les vêtements
conventionnellement féminins.
Chez les adolescents et les adultes, l'affection se manifeste par des symptômes tels que : vouloir se débarrasser de ses caractères
sexuels primaires et secondaires (p. ex. demande de traitement hormonal, demande d'intervention chirurgicale ou d'autres
procédés afin de ressembler à l'autre sexe par une modification de ses caractères sexuels apparents), ou penser que son sexe de
naissance n'est pas le bon.
C.
L'affection n'est pas concomitante d'une affection responsable d'un phénotype hermaphrodite.
D.
L'affection est à l'origine d une souffrance cliniquement significative ou d'une altération du fonctionnement social,
professionnel ou dans d'autres domaines importants.
De tels patients sont souvent demandeurs d’une thérapeutique hormonale et d’une opération chirurgicale destinées à
changer de sexe. Certains équipes multidisciplinaires pratiquent cette intervention en Belgique. Dans le cadre d’une
expertise psychologique ou psychiatrique, il faudra se donner le temps d’analyser la demande et exclure un processus
délirant d’une personnalité psychotique ou borderline. Il est souvent exigé avant une telle opération que les personnes
vivent plusieurs mois dans le rôle social d’une personne de sexe opposé : à leur travail, avec leurs amis, en famille, … et
qu’elles s’y trouvent bien sans rejet ni exclusion de leur entourage.
BIBLIOGRAPHIE
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ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
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Bonnet G .« Les perversions sexuelles », Que sais-je ? n°2144 PUF Paris, 1993.
Ferroul Yves, « Vivre et comprendre : médecine et sexualité », Ed. Ellipses, France, mai 2002.
Filmographie sur l’homosexualité : « Gazon maudit ».
Freud S. « Trois essais sur la théorie de la sexualité », Gallimard, Paris.
Kaplan H .S. « The sexual desire disorders », New-York, Brunner Mazel, 1995.
Masters W.H. et Johnson V.E. « Human sexual Inadequacy », Boston, M.A., Little Brown, 1970.
III-3-15
CHAPITRE IV
: LES TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES
2012
« L'erreur la plus répandue parmi les hommes est de
vouloir entreprendre séparément la guérison du corps et de l'esprit »
Platon (428-387 A.C.)
AVERTISSEMENT
Ce chapitre n’introduit aucune nouvelle « maladie » médicale ou psychiatrique mais propose une
autre lecture des faits pathologiques que celle du découpage classique en organes et grands
systèmes physiologiques selon les diverses spécialités médicales.
Cette perspective psychosomatique devrait susciter chez l’étudiant en médecine l’envie d’élargir
son champ d’investigation à l’approche bio-psycho-sociale dans toutes les situations médicales
chroniques ou bloquées, c’est-à-dire les contextes où notre sujet malade n’évolue pas selon l’état
actuel des connaissances « objectives » concernant sa maladie.
A l’inverse pour l’étudiant en psychologie, ce chapitre se doit d’éveiller sa curiosité pour le lien
1
psychosomatique et le sensibiliser à une attitude de sollicitude envers le corps du patient.
S’intéresser non seulement à l’histoire de la maladie mais aussi dans un même temps à la maladie
dont l’histoire du sujet paraît bien constituer une démarche qui ressort de l’art de guérir.
1. INTRODUCTION
Le terme « psychosomatique » est actuellement employé dans trois sens différents:
1. En un sens restreint, il s’applique à un groupe spécifique de maladies physiques dans
la genèse desquelles les facteurs psychologiques sont importants, on les désigne
alors par le terme de maladie psychosomatique.
2. Plus communément, le terme désigne aussi les manifestations somatiques des
troubles émotionnels. On parle aussi de dysthymies neurovégétatives ou troubles
fonctionnels qui peuvent intéresser toutes les fonctions viscérales (céphalées,
vertiges, dyspnées, constipation, diarrhée, pollakiurie, troubles sexuels…).
3. Dans un sens général, il désigne une approche globale telle que pour n’importe quelle
maladie, la totalité de l’être humain est prise en compte. Cette approche est la
médecine psychosomatique.
Alors que les premiers psychosomaticiens ont recherché une causalité psychique directe
à des faits somatiques, les auteurs actuels sont en recherche de maillons intermédiaires
plus ténus (terrain génétique, éducation, expériences antérieures, événements de vie,
styles de vie, déséquilibres hormonaux et immunitaires, gestion du stress, …) qui, tous
ensemble, en interaction circulaire, participent à l’interface « psyché-soma », ce sont les
variables inter-réagissantes.
De fait, nous savons aujourd’hui que le système nerveux central (dont le cerveau est le
support matériel du psychisme), le système endocrinien et le système immunitaire ne
fonctionnent pas en autarcie ; ils constituent un réseau en communication par le passage
continuel d’informations.
L’état de maladie constitue la résultante d’une désorganisation, d’une rupture d’équilibre.
Et le changement (= stress) induit par les précurseurs de la maladie, voire la maladie (=
stimuli), introduit encore en retour de nouveaux stimuli auxquels le sujet doit s’adapter (cf.
sché
1
Widlöcher D., Allilaire J-F. « La clinique psychosomatique », Rev . Prat., 29, 31, 1er
IV-1
Ainsi, on peut dire qu’il n’y a pas de maladie psychosomatique mais des processus
psychosomatiques. Toutes les maladies ont un substrat somatique mais chez certains
patients à certains moments de leur évolution peut
survenir la participation de facteurs psychologiques.
La démarche psychosomatique en arrive à un
modèle étiologique multifactoriel qui implique une
approche
thérapeutique
pluridisciplinaire
(psychothérapeutique
et/ou
psychopharmacologique,…) adjuvante et intégrée
au traitement organique classique.
stimuli
psychosociaux
En médecine de première ligne, une approche biopsycho-sociale semble indiquée pour 50 à 70%
des patients !
+
programme
psychobiologique
mécanismes
réactionnels
(stress)
expérience
antérieure
précurseurs
de la
maladie
facteurs
génétiques
variables interagissantes
2. HISTORIQUE DE LA MEDECINE PSYCHOSOMATIQUE
Il est bon de nous rappeler que l’histoire de la médecine ne coïncide pas avec l’histoire
des sciences exactes. La médecine est par essence psychosomatique !
Ce n’est que depuis le début du siècle dernier, en réaction à l’essor de la médecine dite
« scientifique » que se sont développés les mouvements psychosomatiques.
Au travers de ce survol historique, on mesurera à quel point les conceptions théoriques
(psychodynamique, biologie du stress, psychométrie) sont diverses. On verra, cependant,
que les apports des différents modèles sont en fait complémentaires et qu’ils apportent
chacun des « outils » thérapeutiques encore bien utiles aujourd’hui pour la pratique et la
rencontre singulière de chaque patient.
2.1. Contribution de l’approche psychodynamique
2.1.1. A LA RECHERCHE D’UN CONFLIT INTRA-PSYCHIQUE SPECIFIQUE A
CHAQUE MALADIE
Sigmund Freud en 1895 développe l’intuition d’une relation entre le psychique et le
somatique via ses célèbres écrits avec Breuer2, les « Etudes sur l’hystérie ».
Pour rappel (Cf. Chapitre relatif aux névroses), dans l’hystérie, les manifestations
somatiques sont par définition non accompagnées de troubles physiologiques ou
lésionnels, on peut vraiment parler d’un « langage du corps » car les symptômes sont en
relation symbolique directe avec les conflits psychiques.
Dans les années 30 à 50, à Chicago, Frans Alexander3 prend, lui, le risque d’incriminer
des « types spécifiques de conflits intrapsychiques » à l’origine de maladies lésionnelles
comme les ulcères duodénaux, la rectocolite hémorragique, l’hypertension, l’asthme
bronchique, le psoriasis, l’eczéma, l’arthrite rhumatismale, l’hyperthyroïdie... L’auteur
classe les maladies suivant deux types de blocages, soit celui des tendances hostiles,
agressives, soit celui des désirs de dépendance affective.
Ainsi, l’hypertension serait liée aux tendances hostiles et agressives bloquées, tandis que
les tendances inhibitrices liées à la dépendance affective de la mère auraient, elles, pour
prototype l’asthme et l’ulcère gastro-duodénal. Ainsi l’hypertendu ne se met-il pas en
colère: sa tension monte, l’asthmatique ne pleure-t-il pas: il développe une crise d’asthme.
2
3
Freud S. Breuer J. Studien über Hysterie,1895; Presses Universtaires de France, Paris, 1956.
Alexander F. La médecine psychosomatique: ses principes et ses applications, Payot, Paris, 1977, 1ère édit.
Org. Norton, New York, 1950.
IV-2
maladie
Quant à l’ulcéreux, derrière une façade d’hyperactivité professionnelle, il cache un besoin
de dépendance et de protection. La cyclicité de sa maladie lui permet d’être dépendant et
régressif lors des poussées ulcéreuses et hyperactif par compensation, pendant les
rémissions.
La théorie d’Alexander comporte déjà clairement des nuances plurifactorielles. Il faut une
conjonction de trois facteurs pour qu’un trouble psychosomatique apparaisse: un type
spécifique de conflit, une prédisposition particulière du corps et une situation actuelle
(anxiété, rivalité, agressivité, hostilité,...) de réactivation d’un conflit ancien (traumatisme
infantile).
2.1.2. A LA RECHERCHE D’UNE PERSONNALITE SPECIFIQUE
Deux mouvements d’obédience psychanalytique, l’un en Europe, représenté surtout par
Marty et de M’Uzan, et l’autre aux Etats-Unis, représenté par Nemiah et Sifnéos, sont
arrivés à une description d’un type de personnalité psychosomatique, un type de
personnalité à risque de contracter des maladies somatiques.
Les patients
psychosomatiques ont été décrits comme présentant une pensée opératoire ou
alexithymiques (a-lexi-thymique = qui ne sait pas lire ses émotions). Selon ces auteurs,
ces patients présentent une pauvreté des capacités associatives et imaginaires, ils n’ont
pas d’angoisses. Les contenus mentaux sont trop « raisonnables », attachés au concret
et ne permettent pas au sujet de s’évader dans ses fantasmes. Le patient vit donc
directement ses émotions dans son corps.
On sait aujourd’hui que tous les patients malades ne présentent pas ce profil type mais si
notre patient le présente, n’oublions pas d’être attentifs à susciter l’expression des
émotions (qu’en pensez-vous ?, que ressentez-vous ?, …).
2.1.3. APPORTS ET LIMITES DU MOUVEMENT PSYCHANALYTIQUE EN
MEDECINE PSYCHOSOMATIQUE
Ces travaux nous ont familiarisés à l’écoute du patient, écoute se situant au-delà des
seuls symptômes, et à porter une attention sur le mécanisme du transfert, à savoir la
relation qui s’établit entre le patient et le soignant. La relation patient-soignant peut-être
mise au service de la guérison !
Aider le patient à exprimer ses émotions et à mettre un sens sur sa maladie fait bien sûr
partie d’une approche thérapeutique mais le message est relativement mal « passé »
dans le monde médical classique, peut-être en fonction d’un jargon trop psychologisant.
2.2. Entre cortex et viscères, ...contribution des biologistes du stress
Comment un fait d’essence psychique
peut-il opérer un saut dans le domaine
corporel ? C’est à l’essai de réponse à
cette question que se sont attelés les
comportementalistes et les biologistes
du stress.
Stimulus
Cortex
Higher Limbic Structures
Hypothalamus
Gn-RH
Cannon (1911) décrit le « syndrome
d’urgence » c’est-à-dire la stimulation du
système nerveux sympathique et de la
médullo-surrénale
en
réponse
IV-3
DA / 5-HT
CRF
Pituitary
Sympathetic
Nervous System
FSH / LH
PRL
Parasympathetic
Nervous System
ACTH
Adrenal
medulla
Testis
Adrenal
cortex
Adrenaline
Noradrenaline
Testosterone
Corticosterone
ACTH / α MSH
β / endorphin
Acetylcholine
passive
coping
Active
coping
conservation /
withdrawal
fight / flight
Summary of the physiological differences between the two behavioural strategies
(D'après Koolhaas & Bohus, in Steptoe, 1989 p.298)
aspécifique à une menace ou une agression aiguë. Cette réponse est adaptative, elle
permet la réaction de lutte ou de fuite, c’est le fameux « Fight or Flight » (remarquons
d’emblée que face à nos stresseurs contemporains, la fuite ou l’attaque, même si bonnes
pour la santé, ne sont pas très bien acceptées socialement !).
Dès 1936, Hans Selye, anatomo-pathologiste et physiologiste, décrit, lui, le « syndrome
général d’adaptation » (réaction d’alarme puis stade de résistance et si le stress perdure,
stade d’épuisement).
Le concept de « stress » est né : c’est l’interaction qui se produit entre une sollicitation
excessive de l’environnement et les capacités de réponse de l’organisme.
Aujourd’hui, l’on a pu montrer que d’autres hormones participent également à la réaction
de stress (les gonadotrophines, la prolactine, les endorphines, l’hormone de
croissances,…) et ce d’après le type de stress et même le type de réaction active ou
passive (Cf. Schéma ci-dessus).
Selye et ses successeurs insistent sur l’intérêt biologique d’une prise de position active
dans la vie4. Si l’on en croit Laborit, l’instauration d’un contrôle actif par l’action
constituerait la protection la plus opérante contre la maladie, comme l’illustre son
commentaire à l’issue d’une intervention pour gastrectomie : « si ce Monsieur avait réussi
à mettre sa belle-mère à la porte, il n’aurait pas dû se faire opérer de l’estomac
aujourd’hui »5.
APPORTS ET LIMITES DES BIOLOGISTES DU STRESS EN MEDECINE
PSYCHOSOMATIQUE
1. Par le biais de ces travaux, démonstration expérimentale est faite de l’existence de
maillons psychophysiologiques: les émotions ou un état mental comme la peur ou la
colère ont un support physiologique ! L’émotion est toujours double, à la fois
psychique et physiologique, transitant par des relais neuro-hormonaux.
2. Démonstration est faite aussi qu’il n y a pas de rupture de continuité entre le
« fonctionnel » et le « lésionnel ». En effet, la théorie du stress pose les jalons de
relais psychophysiologiques qui mènent du fonctionnel (sécrétion neuro-hormonale
non utilisée par la fuite ou l’attaque) au lésionnel (la dysfonction, si elle devient
chronique ou trop intense, peut induire une lésion par exemple un ulcère dit de stress
ou une dépression d’épuisement). Il n’y aurait donc pas, dans cette logique, de rupture
entre la médecine et la psychiatrie.
3. Le terme même de « stress », est un « label » à retenir dans le cadre de la pratique en
médecine psychosomatique. Il s’avère en effet plus positif et plus exact que celui de
« folie » ou de « faille de l’imaginaire ». Pour des patients très défensifs, méfiants et
rationnels, souffrant par exemple d’un côlon irritable, leur expliquer que leur côlon est
« particulièrement sensible au stress » sera infiniment plus constructif que de vouloir
les rassurer en émettant des assertions telles que « vous n’avez rien, » « c’est dans la
tête » ou « ce sont les nerfs ».
4. On peut regretter les extrapolations abusives de travaux réalisés en laboratoire
souvent sur des animaux à l’homme contemporain (pourvu d’un cerveau très cortiqué
support de son psychisme). Ainsi, la position de contrôle actif sur le monde tant
préconisé par les biologistes est sans doute trop simpliste si ramenée uniquement à
une action motrice.
En effet, une action peut aussi être une parole, une
représentation mentale. Pour prendre un exemple très simple, si nous sommes
coincés dans un embouteillage, nous pouvons diminuer le stress en écoutant de la
musique, en nous créant un scénario mental positif…
4
5
Dantzer R., L'illusion psychosomatique, Ed. Odile Jacob, 1989.
Laborit H., Inhibition de l’action. Biologie comportementale et physiopathologie, 2e Ed. Masson, Montréal, 1986
IV-4
2.3. Contribution de la psychométrie vers les études multidisciplinaires
Pour appréhender les problèmes de santé, certains
chercheurs audacieux ont pris le risque de sortir des
Médecine
sentiers battus et de se tourner vers d’autres sciences
psychosomatique
comme l’épidémiologie, la psychologie sociale, la
psychiatrie classique, les statistiques,... Ils se sont
Biologie
Psychanalyse
appuyés sur l’usage d’instruments de mesure, entre
stress
autres des questionnaires. S’initie ainsi, un mouvement
que l’on peut qualifier de psychométrique qui va
permettre, d’une part, l’apport de nouveaux
Psychométrie
mouvements
thérapeutiques
(la
psychothérapie
cognitive, sociale et familiale) et d’autre part des
ψ sociale
ψ fam.syst.
méthodes de quantifications diverses des états ψ cognitive
psychologiques (événements de vie, capacité
d’adaptation, style comportemental, type d’interaction familiale,…). La voie est ainsi
ouverte pour les études de corrélations actuelles qui aujourd’hui tentent de comprendre
les relations entre affects et neurotransmetteurs, neuro-homornes, hormones et système
immunitaire. Ceci favorise la convergence de la médecine psychosomatique et du monde
médical dont la méthode est celle des sciences exactes. Quelques résultats de ces
travaux sont repris dans la section « étiopathogénie ».
3. ETIOPATHOGENIE : facteurs de risque des maladies psychosomatiques
Rappelons ici l’étiologie plurifactorielle développée dans l’introduction. Les lignes qui
suivent ne s’attachent donc à décrire que les composantes psychologiques des affections
psychosomatiques suivant les différentes grilles de lecture des chercheurs évoqués au
point II. Il importe de bien garder à l’esprit la dimension somatique (génétique, terrain
physiologique, fragilité d’organe) concomitantes.
3.1.Les troubles de la catharsis émotionnelle.
Nous pouvons envisager l’étiopathogenèse en suivant le devenir
des émotions et de leur possible conversion en pathologie(s). Les
deux mouvements pionniers en psychosomatique ont relevé des blocages et des
répressions, soit des affects (mouvements psychodynamiques), soit de l’action motrice
(biologistes du stress). On se rend ainsi compte qu’avec des vocabulaires différents, ils
ont décrit des processus relativement similaires.
D’un côté, le discours s’étaie sur le mécanisme de la répression des affects (cf.
alexithymie et pensée opératoire) et sur les avatars de la transformation de l’énergie
libidinale en énergie indifférenciée, qui, faute de « catharsis » 6 et de mentalisation, se
diffuse dans le corps.
De l’autre, l’ensemble du processus s’appuie sur un bouillon d’hormones non utilisées,
non-distillées dans des processus adaptatifs d’attaque ou de fuite, ce qui entraîne comme
résultat que l’énergie (noradrénaline, adrénaline, cortisol, …) en présence se retourne
contre l’organisme, et y induit progressivement dysfonctions puis lésions.
6
"Mot grec passé dans la langue avec le sens figuré que lui a donné Aristote quand il a parlé de la catharsis
des passions représentant une libération par dérivation; Technique psychothérapeutique visant à la
disparition de symptômes par l'extériorisation verbale, actorielle, émotionnelle des traumatismes refoulés;
Breuer pratiqua la catharsis sous hypnose; cette technique fut à l'origine de la psychanalyse (cf.
abréaction)" {in Piéron, Vocabulaire de la Psychologie, Presses Universitaires de France 1979, p.65}.
IV-5
Ce modèle de la dysfonction de la transformation des énergies, ce blocage - qu’il soit
considéré comme psychologique et/ou physiologique - lorsque chronique, s’avère
délétère pour l’organisme et se manifeste par une forme ou l’autre de symptômes
psychosomatiques. Le modèle thermodynamique de la marmite à pression constitue une
synthèse triviale de ce processus de psychosomatisation mais comporte le mérite de
réunir dans une même métaphore d’une part le bon sens commun7, d’autre part, les
conclusions des deux mouvements théoriques pionniers8: Soumis à des stimuli de son
environnement, si le sujet se retrouve dans l’impossibilité de ventiler l’énergie affective et
neurovégétative dont il est le siège, il se retrouve sous tension sans échappatoire avec
une hostilité rentrée (pensons aux patients qui se désignent comme étant des nerveux
rentrés).
L’impossibilité d’élaborer une réponse libératoire peut être habituelle (personnalité
psychosomatique…) ou ponctuelle (chacun d’entre nous !).
Ainsi, on peut voire certains petits enfants (ou adultes) faire une poussée
psychosomatique unique face à des événements extérieurs intenses, dont l'inscription
mentale est l'espace d'un moment impossible à bien métaboliser. Leur "ordinateur
interne" se trouvant saturé lors d'un événement exceptionnel.
Cet événement peut être pénible (déboire professionnel, perte,...) ou heureux (promotion,
rencontre sentimentale, apparition de la puberté, …).
3.2. De la notion de « stress » à celle d’événements de vie stressants
3.2.1. LES EVENEMENTS DE VIE OU « LIFE EVENTS ».
En 1967, l’échelle de « réajustement social » de Holmes et Rahe9, a permis de déterminer
un score de stress pour divers événements de vie dans des domaines aussi variés que la
vie conjugale (séparation, divorce, mariage), la famille (décès, fête de Noël, …), le travail
(conflit, licenciement, retraite), la santé (puberté, accident, maladie, difficultés
sexuelles,…). Le score est établi en fonction de l’effort nécessaire pour s’adapter aux
changements provoqués et ce, pour la moyenne de la population (échantillon
représentatif de la côte ouest des Etats-Unis). Malgré l’apparente simplicité de ce genre
de questionnaire, les implications épidémiologiques en sont considérables car les
corrélations statistiques s’avèrent étonnantes, tant pour les maladies somatiques que
pour les maladies psychiatriques.
D’après diverses recherches menées par ces auteurs, 80 % des sujets ayant obtenu un
score total supérieur à 300 et 53 % des sujets ayant obtenu un score situé entre 150 et
300 en deux ans ont développé une maladie l’année suivante. Parmi ceux qui ont obtenu
moins de 150, il n’y en a plus que 33% qui sont tombés malades l’année suivante
(infarctus du myocarde, cancer, dépression,…).
Evénements biographiques
1. Mort du conjoint
2. Séparation
3. Divorce
4. Prison
5. Mort d’un parent proche
7
Effort d’adaptation exprimé en points
100
73
65
63
63
« Je suis sous pression », « je vais exploser », « La goutte qui fait déborder le vase », « Il me pompe l’air », etc...
Notons au passage que Freud lui-même (1932, XV 80) s’était déjà risqué à l’esquisse d’un modèle
prosaïque similaire puisqu’en 1932 à propos du ça, il écrit « nous l’appelons un chaos, une marmite (einen
Kessel) remplie d’excitations bouillonnantes ... »
9
Holmes T.H., Rahe R.H., The social readjustment rating scale. J. Psychosom. Res. 1968; 11: 213-218.
8
IV-6
6. Blessure, maladie personnelle
7. Mariage
8. Démission, congé
9. Réconciliation conjugale
10. Retraite
11. Modification de l’état de santé d’un membre de la famille
12. Grossesse
13. Difficultés sexuelles
14. Arrivée d’un nouveau membre dans la famille
15. Nouvelle orientation professionnelle
16. Changement dans la situation financière
17. Mort d’un ami proche
18. Modification du type de travail
19. Modification dans la fréquence des discussions avec le
conjoint
20. Emprunt dépassant 25.000 F (1967 !)
21. Obligation de payement inattendue
22. Responsabilités modifiées dans le travail
23. Départ d’un enfant du foyer
24. Difficultés avec les parents
25. Succès personnels démesurés
26. Epouse commençant ou cessant de travailler
27. Début ou fin de l’école
28. Changements dans les conditions de vie
29. Révision de points de vues personnels
30. Difficultés avec le patron
31. Changements de l’horaire ou des circonstances de travail
32. Changement de domicile
33. Changement dans l’école – formation
34. Formes de vacances modifiées
35. Changement dans les activités religieuses
36. Changements dans les activités sociales
37. Emprunts en dessous de 25.000 F.
38. Changement dans les habitudes de sommeil
39. Fréquence modifiée des réunions de famille
40. Changement des habitudes alimentaires
41. Vacances
42. Noël
43. Violations mineures de la loi
53
50
45
45
45
44
40
39
39
39
38
37
36
35
31
30
29
29
29
28
26
26
25
24
23
20
20
20
19
19
18
17
16
15
13
13
12
11
Les épidémiologistes ont également étudié des cohortes de personnes confrontées à tel
ou tel événement stressant spécifique (par ex. un deuil, un divorce) dont ils suivent le
devenir en terme de morbidité.
Bien sûr, ces études sur de grandes cohortes ne se donnent habituellement pas la
possibilité d’investiguer la signification subjective que prend l’événement pour chaque
personne particulière (meaning). Par exemple, le décès du conjoint sera bien évidemment
vécu différemment s’il s’opère dans un climat de culpabilité ou sur un terrain d’entente
préalable; une séparation sera vécue différemment par un sujet selon qu’il en est
l’initiateur ou non, etc.
Le deuil, lorsqu'il ne peut s'élaborer et est vécu sur un mode culpabilisé, se trouve à
l’origine de nombreux cas rencontrés en médecine psychosomatique.
IV-7
Un exemple typique est celui de Madame L, 53 ans, hospitalisée en pneumologie
pour une toux rebelle depuis deux ans et dont la mise au point n’a révélé qu’un
discret reflux gastro-oesophagien laissant les pneumologues insatisfaits. A
l’anamnèse, on apprend que Madame L. est issue d’une famille nombreuse,
qu’elle a elle-même cinq enfants, qu’ils vivent relativement éloignés bien que
venant la voir régulièrement, surtout depuis qu’elle est malade. On apprend
également que son mari alcoolique et violent est décédé il y deux ans et demi.
Lorsque l’on fait préciser les circonstances de la mort du mari, on apprend qu’il est
décédé au domicile après une longue maladie pulmonaire, étant insuffisant
respiratoire sur silicose. Le couple faisait « chambre à part », notamment à cause
de la toux du mari. Cette histoire clinique montre que le symptôme a différentes
fonctions. Il s’agit d’une trace mnésique du mari défunt, il s’agit également d’une
trace de culpabilité, la patiente ayant souhaité plus d’une fois que son conjoint
décède dans le décours d’une de ces beuveries, et enfin il s’agit d’un facteur de
cohésion de la famille, les enfants s’affairant autour du symptôme de la mère.
Mais il est des événements familiaux moins caricaturaux qui impliquent une subtile régulation des
distances relationnelles, comme un déménagement, lequel implique soit un rapprochement, soit un
éloignement des enfants ou de la famille d’origine.
Madame S., 58 ans, consulte pour une rachialgie intense apparue deux ou trois
semaines plus tôt, elle consulte son médecin qui l’examine, lui fait un bilan
radiologique et biologique et lui donne un traitement classique anti-inflammatoire
et antalgique. Echec du traitement, donc examens plus poussés qui ne montrent
rien de plus. Nouveaux traitements, nouveaux échecs, … Madame S. confie alors
qu’elle a récemment accueilli sa mère et qu’elle ne la « supporte pas ». « Sa mère
lui pèse ». Les entretiens centrés sur la relation mère-fille et une prescription
momentanée d'antidépresseurs améliorent la symptomatologie. Mais surtout,
madame S. s’est sentie mieux quand elle a pu s’affirmer par rapport à sa mère,
réussissant ainsi à limiter ses exigences.
3.2.2. LES « MINI-STRESS »
La prise en compte des mini-stress nuance aussi l’étude des événements de vie puisqu’il semble
que la succession de diverses contrariétés mineures puisse jouer aussi un rôle important dans le
déclenchement de perturbations psychologiques. Ainsi, le fait d’attendre dans une file, d’être
immobilisé sur une autoroute, de perdre ses clés, de ne pas arriver à joindre une personne via le
téléphone,... sont autant de mini-stress dont le caractère répétitif peut entraîner un vécu de perte
de contrôle aussi important qu’un grand chagrin. Ce phénomène se retrouve dans le langage
courant sous la forme d’expressions telles « la goutte qui fait déborder le vase ». Les mini-stress
ont été incriminés dans le déclenchement de problèmes médicaux paroxystiques comme l’infarctus
du myocarde, le diabète, et favoriser l’exacerbation de maladies chroniques comme l’asthme, les
maux de tête, la myasthénie et l’urticaire.
En pratique, dans le domaine des événements potentiellement stressants, soyons attentifs à ne
pas projeter notre propre conception de ce qui est ou non stressant et de centrer l’intérêt sur le
vécu du patient. Ainsi, un patient fortement perturbé par le décès de son animal de compagnie
devrait pouvoir rencontrer toute l’empathie de son médecin ou de son psychologue, même si ce
dernier n’est pas particulièrement attaché aux animaux.
3.3. De la notion de « stress » a celle de stratégies d’ajustement
There are no things good or bad, but thinking them makes them so »
Shakespeare, Hamlet
IV-8
Nous en arrivons ici à la représentation interne d’un l’événement dans toute sa dimension
cognitive, émotionnelle et relationnelle et c’est donc le style d’adaptation lorsque inadapté (!) qui
est considéré comme un facteur étiologique.
Ce sont les cognitivistes qui ont essayé de catégoriser la diversité des moyens dont dispose un
individu pour faire face à l’agression. Les auteurs anglo-saxons utilisent le terme de « coping »10
pour désigner la façon dont un individu essaye de faire face aux problèmes pour les surmonter.
L’ajustement correspond aux « efforts accomplis pour essayer de résoudre les problèmes suscités
par les demandes externes ou internes qui s’exercent sur l’organisme et que le sujet perçoit
comme autant de menaces pour son bien être ».
Ce sont les ajustements qui impliquent une prise de conscience active qui paraissent les plus
favorables.
REVUE DES PRINCIPAUX MECANISMES PERMETTANT DE « FAIRE FACE »
I. Ajustements portant sur l’évaluation, l’estimation (Appraisal -focused coping)
1. analyse logique et préparation mentale (se renseigner avant une intervention chirurgicale…).
2. redéfinition cognitive (devant un infarctus : « c’est un signe du ciel, je dois changer de style
de vie ».
3. évitement cognitif ou déni (devant ce même infarctus : « ce n’était rien juste une
indigestion ».
II. Ajustements portant sur le problème (Problem-focused coping)
1. Recherche d’information et de support (mouvement d’entraide entre malades).
2. Mise en place d’actions portant sur la résolution de problèmes (le patient diabétique fait ses
contrôles glycémiques lui-même).
3. Identification de récompenses alternatives
III. Ajustements portant sur les émotions (Emotion-focused coping)
1. Régulation affective
2. Décharge émotionnelle (crier, pleurer, …).
3. Acceptation résignée (passivité…).
3.4. Le support social manquant ou inadéquat
Le « soutien social » (social support) est l’ensemble des relations interpersonnelles d’un individu
lui procurant un lien affectif positif (sympathie, amitié, amour), une aide pratique (instrumentale,
financière) mais aussi des informations et des évaluations relatives à la situation menaçante.
Dans des situations difficiles, le fait de pouvoir « compter sur les autres » est un élément essentiel
pour l’équilibre de l’individu, ce qu’illustrent différents travaux :
1. Dans une étude prospective, les individus bénéficiant d’un soutien social faible ont, neuf ans
plus tard, un risque de mortalité de 1,8 à 4,6 fois plus élevé que ceux qui ont un soutien social
fort. L’impact différentiel le plus net concerne la catégorie des sujets âgés de 60 à 69 ans.
2. Une investigation concernant l’augmentation de mortalité chez les parents israéliens de fils mort
à la guerre montre qu’il n’y a pas d’augmentation de la morbidité chez les parents qui vivent en
couple ; par contre, elle est augmentée chez les parents qui vivent seuls ou séparés, en
particulier chez les mères.
10
To cope with = faire face, combattre avec succès. Le terme même de « coping » désigne soit l’action de l’individu
pour lutter contre les problèmes auxquels il est confronté, soit le résultat de cette action, c’est à dire l’état dans lequel
se trouve l’individu qui a réussi à maîtriser les problèmes en question. « Coping » renvoie plutôt à la traduction
« ajustement », là où « coping style » renvoie au terme « stratégies d’ajustement ».
IV-9
3. Autre exemple, l’incidence de la dépression chez des femmes exposées à des événements
stressants chute de 40 % à 4 % chez celles qui peuvent partager la nature de ceux-ci avec
d’autres personnes (= confident).
Dans toutes ces études, il ne faut pas faire la confusion entre aspect quantitatif et aspect qualitatif.
De plus, un soutien social présent mais inadéquat peut avoir des effets de renforcement du
symptôme. Ainsi, chez les enfants asthmatiques, une extrême dépendance en raison d’une
attitude surprotectrice des parents semble majorer les crises.
♦ L’étude de Taylor11 s’inscrit dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne cette fois le
domaine de la revalidation post-infarctus. Taylor et ses collègues mettent sur pied une étude
comparative dans le cadre de l’épreuve d’effort (sur tapis roulant). Leur schéma expérimental,
audacieux, consiste à constituer trois groupes de patients, selon qu’ils se prêtent à l’exercice
demandé dans l’un ou l’autre des trois contextes suivants: dans le premier cas, l’épouse du
patient se trouve dans la salle d’attente; dans le second, l’épouse entre dans la salle et peut
observer les performances physiques dont son mari est encore capable après l’infarctus; dans
la troisième condition, il est demandé à l’épouse qui a observé les performances de son mari
d’effectuer la même performance physique que son mari sur le tapis roulant. Ce n’est que dans
la troisième condition que les évaluations des maris sur leurs capacités physiques résiduelles
s’avèrent congruentes avec l’évaluation de leur épouse: les deux premières conditions donnent
lieu à une discordance nette entre les conjoints, l’épouse étant convaincue que son mari est
fort diminué physiquement. De telles discordances, expliquent les auteurs, sont à la source de
nombreux problèmes et malentendus après l’infarctus, et contribuent au développement de
mécanismes d’hyperprotection, lesquels retardent et altèrent la qualité de la réhabilitation.
Ces constatations critiques sur le rôle parfois dangereux d'un support social se manifestant par de
l’hyperprotection n’est pas sans évoquer les hypothèses des thérapeutes de famille qui ont décrit
les familles à risque de pathologies somatiques en relevant l’enchevêtrement, l’hyperprotection, la
non résolution des conflits et la rigidité.
Ce n’est donc pas tant l’hyperprotection qui serait toxique que la non expression des émotions,
surtout des émotions négatives (Cf. Cas clinique de Didier, à la fin du chapitre VI).
La possibilité de communiquer ses sentiments ainsi qu’une oscillation équilibrée entre autonomie
personnelle et dépendance relationnelle semble être des gages de santé.
3.5. Des styles de vie comme facteurs de risque
Les styles de vie ou « patterns » constituent la face socialisée, « émergée », du fonctionnement
d’un individu. Deux patterns spécifiques ont été repérés comme facteurs de risque : le pattern A
(maladie coronarienne) et le pattern C (cancer).
3.5.1. PATTERN A ET TROUBLES CARDIO-VASCULAIRES
Dès les premiers travaux consacrés à la personnalité du coronarien, celui-ci est décrit comme un
individu ambitieux, auto-discipliné avec une agressivité réprimée, exigeant envers lui-même. Il
adopte ce style de vie particulier qu’est le style de vie « de type A ». Celui-ci a été reconnu dans
les milieux cardiologiques grâce à de grandes études prospectives
Friedman et Rosenman12 qui ont qu’indépendamment des autres facteurs de risque (hypertension
artérielle, tabagisme, cholestérol, âge, sédentarité,...), le comportement de type A augmente de 2
11
Taylor C.B. & al., Exercice Testing to Enhance Wives' Confidence in Their Husbands' Cardiac Capability Soon After
Clinically Uncomplicated Acute Myocardial Infarction. Am. J. Cardiol. 1985;55: 635-638
12
Rosenman R.H., Brand RJ., Jenkins C.D., Friedman M., Straus R., Wurm M., Coronary heart disease in the Western
collaborative group study: final follow-up experience of 8,5 years. J. Am. Med Assoc. 1976; 23: 872-877.
IV-10
à 3 fois (suivant les cohortes), le risque de maladie coronaire comparativement à des sujets ne
présentant pas le type « A », désigné alors comme « type B », nettement plus flegmatiques,
décontractés et insouciants.
Le comportement de type A est articulé autour des axes suivants: hyperactivité, compétitivité,
impatience, sentiment d’urgence dans le temps, hyperinvestissement professionnel, besoin
d’approbation sociale.
Ainsi, les sujets de type A sont en constante compétition, rationalisant à l’excès, en conflit
permanent, avec une volonté d’affirmer une image de soi performante (refus de la faiblesse et de
la maladie). D’un point de vue biologique, de tels efforts ont comme corollaire l’activation accrue du
système sympathique avec ses composantes physiologiques : décharges d’adrénaline,
hypertension, spasmes, ...
Les derniers travaux se fixent sur des sous-composantes du pattern, certains proposent l’hostilité;
d’autres insistent sur le besoin de contrôle. Les efforts fournis par les sujets sont souvent des
tentatives pour maintenir le contrôle perçu sur l’environnement.
A cette fin, le mécanisme d’adaptation le plus fréquemment utilisé par le coronarien serait le déni,
bien illustré par le cas suivant.
Prenons l'exemple de Roger, peu de temps après son pontage aorto-coronarien
et avant son retour à domicile. Il raconte le contexte de son infarctus, survenu
alors qu'il était déjà en traitement (Cédocard ®) pour douleurs angineuses
(angor). Le patient pêche depuis plusieurs heures sans rien prendre. Il s'énerve
au point de vouloir partir quand soudain survient une "touche". La truite est,
paraît-il, énorme, mais sa ligne trop fragile pour ramener le poisson d'un coup.
Fin stratège, il décide de "l'avoir à l'usure" et de la ramener lentement vers le
bord pour la prendre à l'épuisette; mais ce faisant, les premières douleurs
angoreuses surviennent et persistent. Il essaie de saisir les comprimés qui se
trouvent dans sa poche: impossible, sa main est déjà trop engourdie. Il décrit:
"à ce moment-là, je me suis dit: Roger, la truite ou toi ? " Et bien, ce fut la truite
qui fut l'objet du choix: il l'a ramenée (au terme d'une heure de lutte) et ensuite
seulement à été hospitalisé d'urgence, pour autant qu'urgence soit encore le
terme adéquat.
L’image de soi du bon pêcheur, la performance et le désir d’exploit sont ici aussi supérieurs aux
préoccupations corporelles (déni de la gravité de la signification des douleurs thoraciques).
3.5.2. PATTERN C ET CANCER.
Meurt-on vraiment de chagrin ?
"Madame Emerson, à la mort de sa fille, souffrit d'une grande affliction et s'aperçut
que son sein enflait et peu après devenait douloureux. Enfin, elle développa un
cancer qui l'emporta en peu de temps. Elle avait joui jusqu'alors d'une parfaite
santé."
Gendron; Enquiries into the Nature, Knowledge, and Cure of Cancer (1701)
Des attitudes psychologiques peuvent-elles influencer la survenue d’un cancer, la progression de
la maladie, voire la mortalité ?
En ce qui concerne la personnalité à risque, la vigilance s’impose vu la diversité des études tantôt
prospectives, tantôt rétrospectives sur des populations atteintes de cancers différents et avec des
mesures psychologiques variées.
IV-11
Il n’empêche que Temoshok en 1987 a regroupé un ensemble de traits de personnalité, de styles
comportementaux et de stratégies d’adaptation sous l’étiquette « personnalité de type C » 13 dont
voici les caractéristiques :
-
répression des affects et des émotions surtout négatives,
tendance à s’oublier soi-même,
néglige ses propres besoins de repos et d’intimité,
recherche d’un climat de coopération et d’harmonisation,
évitement des conflits,
prédisposition à un désespoir caché (différent d’une dépression au sens psychiatrique).
Cas clinique : Madame C voit régulièrement son médecin traitant mais
elle le consulte pour ses parents âgés, pour des inquiétudes concernant
son mari, pour les maladies de ses enfants, … A la fin d’une visite au
cours de laquelle le médecin traitant a pris le tension de sa belle-mère,
négligemment la patiente demande au médecin d’examiner le
développement d’une tuméfaction au sein. Le médecin effrayé par la
nature suspecte du processus demande à la patiente pourquoi elle n’a
pas consulté plus tôt. « parce que j’avais trop de travail, mon mari a eu
des soucis…, je devais d’abord m’occuper de mes enfants,… ».
La tendance à ne pas se pencher sur soi éloigne bien évidemment ces patients de toutes les
consultations de prévention. Quant à la contrainte émotionnelle, elle est peut-être corrélée à un
déficit de la compétence immunitaire. Que ce soit bien la répression de l’expression des émotions
qui est importante est suggérée par l’étude de Jansen et Muenz (1984): les patientes signalant,
avant le résultat d’une biopsie, qu’elles ont tendance à « contenir leur colère » ont une probabilité
plus élevée que les autres d’avoir une tumeur cancéreuse.
Ces patients à risque semblent adopter une attitude de « résignation apprise » vis-à-vis des
événements stressants.
Une fois le cancer déclaré, cette même attitude passive de résignation semble elle aussi corréler à
un mauvais pronostic. En effet, dans une étude prospective désormais célèbre, Greer et Morris
ont suivi le devenir de femmes au départ à un même stade de gravité d’un cancer du sein en
fonction de 4 stratégies d’adaptation psychologique (lutte active, déni, acceptation stoïque,
désespoir).
Il apparaît assez clairement que les femmes qui ont un style d’adaptation passif de type désespoir
ou acceptation stoïque ont un taux de survie après 5 ans et après 13 ans nettement moindre que
celles qui font preuve d’un esprit combatif, voire d’un déni.
Une grande prudence s’impose (surtout ne pas culpabiliser le patient qui n’aurait pas la « bonne
attitude ») mais l’approche psycho-oncologique devrait apporter une attention particulière au
patient et à leur famille quand se développe une attitude faite de dépression passive et d’évitement
émotionnel.
4. LE DIAGNOSTIC « PSYCHOSOMATIQUE »
4.1.Du fonctionnel au lésionnel : un continuum
Nous l’avons vu, une approche psychosomatique intégrée peut être proposée aux malades atteints
d’affections somatiques (y compris le cancer !). Nous voulons montrer ici qu’elle doit s’appliquer
aussi aux nombreux malades fonctionnels que nous rencontrons dans notre pratique.
Tenter une définition rigoureuse de la pathologie fonctionnelle n’est pas une sinécure. Si un certain
consensus peut se faire à propos de la moins mauvaise définition (à savoir : le trouble
dysfonctionnel est un état de mal-être identifié comme somatique mais sans lésion, lésion du
13
L’individu adoptant le style décrit par Temoshok (1987) est aimable, stoïque face aux difficultés, coopératif et
apaisant, effacé, patient, accommodant vis-à-vis de l’autorité et, surtout, il n’exprime aucune émotion négative,
notamment la colère.
IV-12
moins actuelle répertoriée par les moyens d’investigation organique et la nosographie), il devient
très vite mal aisé de dresser un catalogue des troubles fonctionnels. Chaque spécialité a le sien :
précordialgies sine materia, céphalées de tension, polyurie émotionnelle, dysménorrhée,
spasmophilie, dysfonctions sexuelles, douleurs abdominales récidivantes, fatigue chronique,
vertiges, insomnie, fibromyalgie, …
Une grande prudence s’impose car nous voyons tous les jours, en clinique, des patients peu pris
en considération parce que trop plaintifs développer une lésion diagnostiquée avec retard, tout
autant que des patients bien somatiques, eux, développer des troubles fonctionnels surajoutés.
La pathologie fonctionnelle devrait être considérée comme un signal d’alarme d’une rupture
d’équilibre. S’il n’y a pas de lésion, n’y a-t-il pas au moins souffrance d’organes (ne l’oublions pas,
un cancer, une maladie cardiaque sont considérés comme le résultat d’une évolution à bas bruit
de 5 à 10 ans).
Le diagnostic d’une trouble fonctionnel n’est donc pas un diagnostic de « clôture » avec des
expressions comme « c’est dans la tête, vous n’avez rien, ce sont les nerfs… ». Au contraire, c’est
le début d’un travail de décodage et de remise en sens dans l’histoire de vie du patient.
Puisque le diagnostic psychosomatique traverse la nosographie médicale, il peut s’appliquer à une
pathologie fonctionnelle comme à une pathologie lésionnelle.
4.2. Les indices d’un diagnostic psychosomatique = le diagnostic contextuel
Si ce n’est pas à partir d’un symptôme ou d’une maladie précise que nous posons l’indication
d’une approche psychosomatique, quels seraient donc les signes propédeutiques de la nécessité
d’une approche globale psychosomatique ?
♦ les situations médicales chroniques (douleurs chroniques, infections récidivantes,...), souvent le
poids et l’épaisseur du dossier médical sont en eux-mêmes un signe d’alarme.
♦ les bénéfices secondaires relationnels (depuis qu’elle souffre de vertiges, cette dame
pensionnée a beaucoup de visites de ses enfants qui l’accompagnent même pour faire ses
courses.)
♦ Une évolution clinique qui ne correspond pas ou est discordante par rapport à l’évolution
médicale classique (asthme instable, diabète labile,...) : le maintien inexpliqué d’un symptôme.
♦ une succession de symptômes: lorsqu’un symptôme disparaît, un autre apparaît ailleurs.
♦ une aggravation psychique du patient lorsque son symptôme somatique disparaît ou s’atténue
(tel patient psoriasique fait une bouffée délirante ou une dépression lorsque l’affection
dermatologique s’amende).
♦ une organisation familiale de type fusionnel enchevêtré ayant des difficultés à s’adapter aux
changements. Telle famille semble avoir besoin d’être toujours en contact avec le monde
médical quand un de ses membres guérit, un autre tombe malade.
♦ une aggravation de la symptomatologie en rapport avec une dynamique relationnelle. Patient
ayant des douleurs abdominales que l’on soupçonnerait comme ayant un lien avec un conflit de
couple. Ces douleurs méritent certainement une exploration de mise au point et un traitement
médicamenteux mais se limiter à l’instauration de celui-ci en négligeant la dynamique de couple
ne saurait suffire.
♦ une concomitance chronologique entre événement de vie et événement de santé. Mettre en
évidence ces liens chronologiques nécessite un relevé anamnestique en parallèle de l’histoire
de la maladie et de l’histoire de vie du patient. Nous voyons par exemple une recrudescence
des crises d’asthme chez une patiente à l’occasion d’une promotion professionnelle de son mari
l’obligeant à de nombreux voyages à l’étranger.
♦ un contexte émotionnel particulier :
IV-13
- Dans le chef du patient ou de sa famille. Par ex., un patient excessivement découragé et/ou
agressif ou séducteur ou encore un patient excessivement serein alors qu’il souffre d’une
maladie grave. Une inadéquation du comportement de la famille excessivement alarmé ou
excessivement indifférente de façon disproportionnée par rapport au symptôme.
- Dans le chef du médecin, notre propre intervention, nos malaises dans la relation où notre
difficulté à rester « neutre et bienveillant » face à des patients en apparence difficiles (les
jamais contents, les frustrants, les envahisseurs, … ou ceux qui appellent trop tard !).
5. TRAITEMENT DE TYPE PSYCHOSOMATIQUE
Susciter la mentalisation
et encourager la position active du patient
Si comme nous l’avons vu dans la section éthiopathogénique, la pathologie provient d’un courtcircuit du psychisme, les conséquences pratiques s’imposent d’elles-mêmes: sachons panser les
plaies de nos patients mais aussi restituer le plaisir à penser puisque la protection du corps
passerait par un processus de mentalisation que le thérapeute se doit de favoriser. Par ailleurs, si
une position active semble meilleure pour la santé, laissons donc le patient participer au maximum
à son traitement.
Cette attitude globale est utile dans toute affection somatique chronique (bien sûr en parallèle avec
le traitement médical classique de l’affection en question) et indispensable dans le cas de
maladies fonctionnelles. Sinon, nous courons le risque de voir un patient déçu et découragé se
mettre à faire un « shopping », voire son « zapping » médical ou adopter une position passive,
régressive, dépendante. Beaucoup risquent aussi de s’enfoncer dans la somatisation,
l’hypochondrie voire la dépression ou les toxicomanies (alcoolique ou médicamenteuse).
5.1. Préalables au traitement
5.1.1. INFORMER
N’oublions pas de reconnaître comme réels les symptômes que le sujet ressent. Il faut donc
essayer d’expliquer avec empathie au patient la participation psychosomatique des phénomènes
physiques ressentis. Il faut pouvoir donner une information correcte, une explication étiologique
dans un langage médical.
L’explication peut se faire par exemple en nous appuyant sur les modèles du stress14 qui constitue
probablement le meilleur support explicatif des affections multifactorielles.
5.1.2. PRÉPARER L’ADHÉSION AU TRAITEMENT
Il importe de prendre le temps nécessaire pour écouter le patient et le préparer à l’idée qu’il lui
incombera de participer activement à son traitement. Le but reste toujours de révéler au patient les
possibilités qui existent en lui-même et de clarifier sa demande (parfois inconsciente) :
« Maintenant qu’attendez-vous de moi en tant que médecin ? ».
Tout temps de dialogue a bien sûr comme fonction aussi de restituer un mode de communication
qui transite par la parole et non pas seulement par le corps.
14
"Nous pensons que vous souffrez de décharges d'adrénaline dans le système nerveux central. Ce n'est pas en soi
dangereux mais c'est très impressionnant car cela peut aboutitrà une sorte de tempête dans l'organisme avec douleurs,
palpitations, vertige, sensation de mort imminente. Vous n'êtes pas responsable de l'apparition de ces attaques. Par
contre votre façon de vous y adapter peut en influencer le degré de sévérité et de fréquence ". Ce genre d'explication
médicale a souvent comme effet de déculpabiliser le patient qui ne peut accepter l'hypothèse latente d'un problème
psychologique
IV-14
5.2. Attitude thérapeutique
Trois grands niveaux de traitements peuvent être abordés.
5.2.1. Au niveau perceptif
Les stratégies thérapeutiques articulées sur la perception sont de deux types: médicamenteux
(antalgiques, anti-inflammatoire, anxiolytiques antidépresseurs,...) et/ou sensoriel (kinésithérapie,
relaxation, …). Dans les problématiques dépressivo-anxieuses, il n’est pas possible de se passer
d’un support médicamenteux anxiolytique ou antidépresseur, mais celui-ci ne doit pas être prescrit
comme une fin (potion magique) mais comme un moyen.
5.2.2. Au niveau de l’interprétation et de la cognition
La thérapeutique articulée sur ce niveau consiste à améliorer la capacité du sujet à percevoir et
interpréter correctement et à temps ses états psychologiques et physiologiques (identifier les
situations personnelles de stress).
Voici quelques lignes directrices :
1. suivre la démarche médicale classique (diagnostic différentiel + examens complémentaires) de
façon rationnelle mais non-obsessionnelle.
2. ne pas brusquer les prises de conscience, c’est-à-dire respecter la réceptivité du patient quant
à l’idée d’impliquer des facteurs de stress dans sa maladie.
3. ne pas affirmer de façon dogmatique: « vous êtes trop travailleur, trop stressé » mais privilégier
les commentaires paradoxaux du style « ah si tout le monde travaillait comme vous, le monde
ne serait pas comme il est ».
4. Faire une anamnèse intégrée des événements de vie et de la pathologie « fonctionnelle » en
question pour identifier le poids des émotions : étudier le génogramme pour relever les
concordances chronologiques entre les événements de vie (mariage, deuil, départ d’un
enfant...) et les étapes de la maladie (déclenchement, rémissions, aggravations).
5. Restituer la maîtrise au sujet et augmenter son sentiment de contrôle interne en le faisant
participer au maximum à son traitement: reconnaître la valeur de ses tentatives autothérapeutiques : un bain chaud, un massage, ... « La médication vous a-t-elle paru efficace ? »
« A quel moment de la journée pensez-vous qu’elle est le plus utile? ».
6. demander au patient de tenir d’un carnet de bord de son trouble et des signes avant-coureurs,
et de les mettre en relation avec les événements affectifs du contexte de survenue. Ceci nous
permet de collecter de précieuses informations: par exemple, le trouble est-il plus fréquent en
semaine ou au contraire le « week-end » ?.
7. ne pas oublier la gestion des choses bien concrètes et de tous les mini-stress de la vie
quotidienne (perdre ses clés, être bloqué dans un embouteillage...), qui sont souvent des
agents précipitants.
8. suggérer des activités physiques et de loisirs (sports, relaxation, vacances) qui sur prescription
médicale n’entraîneront pas de culpabilité et surtout permettront une augmentation de la
connaissance et de la maîtrise du corps.
5.2.3. Au niveau de la communication
Le traitement ici sera donc d’amener le patient à une bonne pratique de la communication :
1. amener progressivement le patient à exprimer ses émotions, à moins dénier ses sentiments et
ses émotions même et surtout quand il s’agit d’affects négatifs. Ceci, tout d’abord dans le
cadre de la consultation médicale et ensuite avec l’entourage en recherchant les personnes
signifiantes pour lui, en analysant la qualité de la communication avec ses proches.
ß « Qui remarque que vous souffrez ? »
IV-15
ß
ß
ß
2.
« Qui, à part vous, s’intéresse à votre traitement ? »
« Qui peut vous aider à vous relaxer ? »
« Comment règle-t-on les conflits dans la famille, comment exprime-t-on l’affection? »
Reconstruire des limites: mieux définir les limites autour des malades, c’est aussi les aider à
mieux gérer leur stress: combien d’entre-eux ne sont-ils pas en effet confrontés à des
demandes auxquelles ils ne peuvent plus faire face, à des obligations qui « leur tombent sur la
tête» à des charges qu’ils portent « sur le dos ». Il nous faut leur apprendre à repérer ces
situations où ils sont « coincés », leur apprendre à dire « non » sans le regretter après, tout
autant qu’à exprimer directement leurs besoins et à affronter clairement les conflits: la famille
ne va pas éclater si chacun ose s’exprimer !
6. CONCLUSION
Entre la « fuite en avant » dans une technologie biomédicale toujours plus dure
et l’attrait des guérisseurs, gourous et magiciens de toutes sortes, il y a
certainement une place pour une médecine responsable, préoccupée du lien
entre « mal de vivre » et dysfonctionnement organique.
Intégrer l’apport des sciences humaines aux sciences biomédicales n’est pas un luxe
à ajouter à la médecine : c’est intrinsèquement une démarche à la fois clinique et
scientifique qui concourt à l’augmentation de notre efficacité thérapeutique.
IV-16
2
ème
partie
Questions spéciales
CHAP V LE SUICIDE ET LES TENTATIVES DE SUICIDE
2012
1.- DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES
Suicide et tentative de suicide ne peuvent être associés comme deux étapes
chronologiques d'un même processus. La tentative de suicide ne peut être envisagée
simplement comme l'échec du suicide. Elle a un sens qu'il faut saisir. La connaissance
des différences cliniques et des populations à risque devront permettre à l'intervenant
en urgence d’évaluer le risque suicidaire et de déterminer l'attitude à adopter pour
aborder plus sereinement l'indispensable travail de la crise sous-jacente.
La population des patients qui ont réussi leur suicide est différente de celle des
tentatives de suicide. Le tableau suivant énumère ces différences.
Caractéristiques comparées du suicide et de la tentative de suicide
Critères
Suicide
Tentative de suicide
Fréquence :
+/- 2000/an en Belgique
10 fois plus fréquent
Sexe
surtout des hommes (2 Hô/1F)
surtout des femmes (2 F/1 Hô)
Age
augmente avec l’âge (surtout entre diminue avec l’âge (surtout 15 à
40-80 ans)
40 ans)
Etat civil
veufs, divorcés, célibataires
mariés ou cohabitants
Moyens
pendaison, arme à feu, gaz,
médicaments, vénisection
noyade, train
Psychopathologie
Signification
corrélation importante entre
corrélation
suicide et affection psychiatrique
affection psychiatrique
désir de mort
message – appel à l’aide
V- 1.
faible
avec
une
Ce tableau comparatif montre aussi que la tentative de suicide ne sera qu'occasionnellement un suicide « raté ». Dans la majorité des cas, elle correspond à une population
spécifique pour laquelle le passage à l'acte a une importante signification relationnelle.
A l’inverse, une banale tentative de suicide peut mal tourner et entraîner une mort
« imprévue ».
2.- FACTEURS DE RISQUE
L'évaluation du risque suicidaire se posera autant devant une tentative de suicide
(risque de récidive) que devant un patient qui exprime des idées suicidaires (risque de
passage à l'acte). A cet égard, on sait que plus de 50 % des patients morts par suicide
avaient consulté un médecin au cours des 3 mois qui précédaient le passage à l’acte.
Evaluation du risque suicidaire effectif
____________________________________________________________________
-
Moyens envisagés : arme à feu, gaz, pendaison, train, noyade, défenestration.
-
Précision du scénario suicidaire (désir de mort passive – idées – préparatifs)
-
Age : important chez les personnes au-dessus de 40 ans et les adolescents
-
Présence d’une affection psychiatrique associée (psychose ou état dépressif grave,
surtout accompagné d’insomnie persistante et de réveils nocturnes)
-
Assuétudes (alcoolisme – toxicomanie drogues dures)
-
Affection médicale sévère, chronique et concomitante.
-
Isolement affectif et social, difficultés professionnelles, perte d’emploi, perte du
conjoint chez les personnes âgées (surtout l’homme survivant)
-
Antécédents personnels de tentatives de suicide récentes ou antécédents de
suicide réussi dans la famille ou les proches (contagion psychologique, hérédité).
-
Métiers mettant une arme fatale à disposition : gendarmes, médecins...
____________________________________________________________________
Les moyens employés ou envisagés par le patient reflètent sa volonté de réussir son
suicide. Un pendu dont la corde a cassé sera considéré comme plus à risque qu’un
patient qui a pris quelques comprimés de B.Z.D., son entourage étant présent dans la
maison..
V- 2.
Le problème du suicide des adolescents est particulièrement grave : la mortalité par
suicide y arrive en deuxième position juste après celle par accident, et donc avant
toute forme de maladie somatique.
La présence d'affections psychiatriques est un facteur aggravant à prendre en
considération pour évaluer le risque suicidaire ou le risque de récidive. Les pathologies
psychiatriques à dépister sont essentiellement :
A. Dépression majeure : phase dépressive d'une psychose maniaco-dépressive
ou dépression grave unipolaire.
Le risque suicidaire pour une mélancolie est très important (25 % de décès avant l’ère
des anti-dépresseurs). Cependant tous les patients dépressifs graves ne nécessitent
pas une hospitalisation dont l’indication sera souvent posée en fonction du risque de
passage à l’acte suicidaire (hospitalisation de protection). En particulier, dans le cas
d’une mélancolie délirante l’hospitalisation est indiquée.
Le mélancolique rumine sans cesse les mêmes idées, rien ne peut réconforter le
patient convaincu de son incurabilité. Les thèmes de la mélancolie délirante sont
pathognomoniques : idées de culpabilité et d'indignité; idées de deuil et de ruine; idées
hypochondriaques; idées d'influence et de possession diabolique; idées de
persécution.
Les idées de mort en découlent naturellement, mort conçue comme une libération ou
parfois un châtiment justifié. Chez le mélancolique, l'authenticité d'une conduite
suicidaire n'est jamais à mettre en doute. Une tentative de suicide, en apparence
mineure, échouant par précipitation, peut être suivie quelques heures plus tard d'un
suicide réussi. Le choix des « procédés efficaces » témoigne de la détermination du
patient.
B.
Schizophrénie, bouffée délirante, exacerbation aiguë d’une paranoïa : état
psychotique délirant aigu. Un psychotique délirant (avec ou sans dissociation) est un
patient à haut risque suicidaire. Paradoxalement, l’angoisse de mort pourra amener le
patient à des actes auto-agressifs très graves (automutilation, émasculation,
énucléation oculaire) ou à des suicides violents : défenestration, broyage, arme à feu
Dans certaines situations, des actes hétéro-agressifs peuvent se produire.
En
consultation ou en urgence, laisser le patient rentrer chez lui équivaudra souvent à
laisser libre cours au passage à l'acte. Dans tous les cas, il faudra proposer au patient
et négocier avec lui une médication neuroleptique sédative et anxiolytique. Ce n'est
que dans la situation favorable où l'entourage du patient pourra assumer sa prise en
charge et s'assurer de la prise de la médication que l'on pourra éviter l'hospitalisation
V- 3.
du patient. Il sera parfois nécessaire de recourir à l’hospitalisation contrainte (voir : Loi
de protection du malade mental).
C. La consommation de cocaïne ou d'amphétamines en prise aiguë ou en phase
de "descente". De plus en plus de jeunes patients consomment des quantités
importantes d'amphétamines sous forme d'ecstasy (XTC) ou de cocaïne sous forme de
"crack". Ces deux substances en cas de prise aiguë, mais surtout en phase de sevrage
(la "descente") peuvent induire fréquemment des troubles délirants paranoïdes et des
passages à l'acte souvent graves.
Plus il y a de tentatives de suicide dans les antécédents du patient, plus les risques de
le voir réussir la prochaine tentative sont élevés. Des antécédents de suicides réussis
dans la famille ou chez des proches sont également des facteurs de risque.
Des patients atteints d'une affection chronique, invalidante ou de pronostic fatal
balaieront plus facilement les scrupules d'un geste fatal.
La perte d'un conjoint peut, surtout chez des personnes âgées, être une expérience
insupportable, surtout si elle implique de poursuivre sa vie dans un isolement
important.
La solitude, l'isolement affectif et social sont également des facteurs de risque
importants.
Enfin, les alcooliques et les toxicomanes sont exposés au passage à l'acte non
seulement à cause de l'action désinhibitrice des produits mais aussi à cause de leur
isolement affectif, l'absence de liens sociaux, les difficultés de toute sorte (la galère...).
D. Alcoolisme et Toxicomanie
L’évaluation du risque suicidaire sera fonction de l’état de « délabrement » physique,
psychologique et surtout socio-familial du patient. Les alcoolismes de type III comme
l’héroïnomanie désinsérée socialement constituent des situations de fragilisation
majeure. Il convient en outre d’attirer l’attention sur la consommation de cocaïne ou
d’amphétamines en prise aiguë ou en phase de « descente ». De plus en plus de
jeunes patients consomment des quantités importantes d’amphétamines sous forme
d’ecstasy (XTC) ou de cocaïne sous forme de « crack ». Ces deux substances, en cas
de prise aiguë, mais surtout en phase de sevrage (« la descente ») peuvent induire
V- 4.
fréquemment des troubles délirants paranoïdes et des passages à l’acte souvent
graves, de nature auto ou hétéro-agressive.
3. LES SIGNIFICATIONS DE LA TENTATIVE DE SUICIDE
3.1.- Les suicides "ratés"
L’intention suicidaire est réelle, mais l’essai échoue : la personne qui voulait mourir se
réveille à l’hôpital. Seuls les cas de mélancolie ou d'état délirant aigu dissociatif
imposeront une hospitalisation psychiatrique urgente. Les états dépressifs simples
peuvent bénéficier d'un suivi médical et psychiatrique sans hospitalisation, si l’évolution
du risque suicidaire paraît favorable.
Dans une minorité des cas, le suicide apparaît comme la réponse rationnellement
choisie par le patient pour échapper à la douleur d'un deuil, d'un échec professionnel
ou d'une maladie incurable.
La tentative de suicide peut également être vécue comme la seule échappatoire
possible pour un patient délirant ou mélancolique.
3.2- Les situations de crise
Plus de 80 % des tentatives de suicide sont l'expression de situations de crise au sein
des couples, des familles ou des institutions professionnelles ou d’accueil. Par cette
tentative de suicide, le patient signifie que dans son couple, sa famille, son institution,
la parole constitue un risque ou s’avère inutile. Verbaliser les problèmes n'est plus
possible, dangereux ou inefficace. Plus qu'un chantage, le patient exprime par son
passage à l’acte, son appel à ce que quelque chose change. Nous sommes devant
des patients qui ont activement organisé une rupture de situation, fut-ce sous
l'apparence pseudo-passive d'une perte de contrôle. Il s'agit d'une demande qui a un
sens et même souvent des sens multiples (Surdétermination des motifs suicidaires).
Par son acte, le patient interpelle ses proches. Les tentatives de suicide sont les
urgences où la présence de tous les membres de la famille plus fréquente. Cette
caractéristique sert de base à notre intervention..
V- 5.
4.- LA PRISE EN CHARGE DES TENTATIVES DE SUICIDE
Toute tentative de suicide, aussi banale et bénigne soit-elle, doit être abordée avec le
plus grand sérieux. Dans tous les cas, le patient est d'abord reçu et traité par
l'urgentiste « somaticien ». Il est à noter que l'intervention médicale agit comme
reconnaissance par le corps médical du sérieux de leur état et également comme
garantie de sécurité envers l'entourage. Face au patient qui n'aurait pris que quelques
comprimés, se contenter de dire : « Il n'y a pas de danger, avec ces médicaments, il
suffit de le laisser dormir », rassurer l'entourage mais ne prend pas vraiment le patient
au sérieux, ne reconnaît pas la dimension dramatique de sa situation, méconnaît sa
demande et le pousse à l'escalade : recommencer mais en prenant le tube entier cette
fois !
Nous sommes souvent confrontés à ce problème au service des urgences où, très
fréquemment, on ne veut pas mettre en hospitalisation provisoire, pour une nuit, la
personne qui a tenté de se suicider et qui ne présente pas de problèmes sur le plan
somatique. Nous observons chez ces patients beaucoup plus de récidives immédiates
que chez celles qui ont été gardées une nuit à l'hôpital et qui ressortent le lendemain
après un ou deux entretiens individuels et familiaux. Cette raison, associée au fait
qu'aborder un patient à moitié endormi est très difficile, nous amènera à donner le
conseil d'hospitaliser pour une nuit la plupart des tentatives de suicide. Le message
transmis à la famille ou à l'entourage doit être clair : « Ce n'est, heureusement, pas
grave sur le plan médical : sa vie n'est pas en danger. Nous restons inquiets car une
tentative de suicide est quelque chose de sérieux et de grave pour le patient et lourd
de signification pour sa famille. Nous aurons besoin de vous demain pour en parler et,
avec vous, prendre des décisions pour la suite ».
Au réveil du patient, un premier entretien individuel devra permettre au clinicien :
•
d’estimer l’existence ou d'éliminer les pathologies psychiatriques sous-jacentes qui
seraient une indication d’hospitalisation en psychiatrie;
•
de se faire une idée quant aux risques de récidives et au contexte de la tentative
de suicide;
•
d'avoir déjà une idée de la problématique de crise qu'il aura à aborder avec la
famille ou l'entourage.
Par après, un entretien avec le conjoint ou la famille sera réalisé. Cet entretien sera
important à beaucoup d'égards : il permettra d'évaluer l'impact de la tentative de
V- 6.
suicide sur la famille, de se faire une idée de la crise sous-jacente sur laquelle ce
symptôme essaie d'insister, enfin d'évaluer ce qui va se passer en sortant du service
des urgences.
S'il y a eu tentative de suicide, c'est souvent parce que la parole est difficile, que parler
est même dangereux ou ne sert à rien; on préfère agir soit parce que c'est la seule
révolte permise, soit que c'est le seul espoir que quelque chose change. Se contenter
alors de réunir la famille autour du patient et leur dire « Je vous écoute » serait une
erreur, à plus forte raison s'il s'agit de parler à un psychiatre, souvent perçu comme le
« médecin des fous ». Le danger est grand, soit qu'on banalise parce que révéler le
problème fait peur, soit que le patient se mure dans un mutisme stérile.
Il convient de réunir les membres disponibles et de créer un climat de confiance
chaleureuse et pragmatique.. Lorsqu’un espace thérapeutique suffisant pour le
thérapeute et la famille sera constitué, il sera possible d’aller de l’avant. On pourra
alors aborder la tentative de suicide, ce qu'elle a déclenché au sein de la famille, de
quoi elle est révélatrice, comment faire face aux changements que la crise a
provoqués et évaluer les risques de ces changements. Ce n'est que petit à petit que le
thérapeute amènera la famille à donner une définition de la crise qui a généré
l'urgence, en l'occurrence dans ce cas, la tentative de suicide.
La dernière partie de cet entretien devra être tout entière consacrée à l'organisation
pratique de la sortie du patient et à l’élaboration d’un projet thérapeutique : chez qui le
patient va-t-il aller ? Qui va s'en occuper ? Quelle aide demande-t-il ? Qui sera le
garant que la parole circule bien ? Ou bien faut-il s'attendre à se revoir pour une
nouvelle tentative de suicide ?
V- 7.
CHAPITRE VI : L'INTERNEMENT NON VOLONTAIRE
LA LOI DU 26 JUIN 1990 RELATIVE À LA PROTECTION DE
LA PERSONNE DES MALADES MENTAUX
2012
Toute personne, tout médecin peut un jour ou l'autre être confronté à un malade dangereux
à l'égard d'autrui ou de lui-même (suicidaire). La première idée sera d'envisager
« l'hospitalisation forcée » de ce patient. Cependant, depuis la « nouvelle loi » du 26 juin
1990 - qui remplace l’ancienne loi de collocation de 1850 - une procédure très stricte doit
être suivie en dehors de laquelle tout internement non volontaire de quelque malade que ce
soit est interdite par la loi.
1. LES PRINCIPES DE BASE
Les deux premiers articles établissent les principes de base de cette nouvelle loi :
1°
« La privation de liberté doit demeurer l'exception (Art. 1) ».
2°
« La mesure de restriction de liberté ne pourra être prise qu'à défaut de tout autre
traitement approprié, ce qui en fait un cas d'exception (Art. 2) ».
3°
« L'inadaptation aux valeurs morales, sociales, religieuses, politiques ou autres, ne
peut en soi être considérée comme une maladie mentale (Art. 2) ».
Un point important est bien ce « à défaut de tout autre traitement approprié », qui suppose
de manière claire que la mesure prise ne peut l'être qu'en fin de course et faute de mieux.
L'inadaptation aux valeurs ne pourra plus être un motif retenu pour placer en hospitalisation
non volontaire un patient « déviant ». Quelqu'un dérangeant la morale ou les idées établies
ne pourra donc pas faire l'objet d'une telle mesure.
3 conditions sont requises pour justifier une mesure de privation de liberté :
Il faut que :
1°
Le patient soit un malade mental
2°
Qu'aucun autre traitement approprié n'ait pu être envisagé
3°
Soit : a/ Qu'il mette gravement en péril sa santé et sa sécurité.
b/ Qu'il constitue une menace grave pour la vie ou pour l'intégrité d'autrui
(Art. 2).
Le législateur ne précise pas ce qu'est un malade mental ! Le médecin aura donc à en faire
- VI-1 -
la preuve dans son certificat. Il devra expliciter les symptômes présentés qui constituent une
maladie mentale acceptée par la communauté communément médicale de notre pays.
L'article 3 rappelle que toute personne s'étant fait admettre librement dans un service
psychiatrique peut le quitter à tout moment. Aucun patient ne peut donc être retenu contre
son gré en dehors de l'application de la présente loi.
2. LA PROCEDURE
2.1.- La procédure normale ou ordinaire
Il y a deux grands principes :
1°
Deux phases :
* La mise en observation : maximum 40 jours; la mise en observation étant une
étape obligée avant toute décision de maintien.
* Le maintien : maximum deux ans.
2°
Le juge de paix est seul compétent (Art. 3) :
L'autorité communale n'a plus rien à voir avec la mesure de mise en observation dans la
nouvelle loi. C'est le juge de paix du canton judiciaire du lieu de résidence du patient qui est
le seul interlocuteur valable.
A défaut, il peut s'agir du juge de paix du lieu du domicile du malade ou du lieu où le patient
se trouve.
Nous décrirons d’abord la procédure normale de mise en observation.
La demande au juge de paix (Art. 5) : elle peut être adressée au juge de paix par toute
personne intéressée par l'état du patient. Elle doit mentionner :
-
La date.
-
Le nom, le prénom, la profession, le domicile du requérant et son degré de parenté
ou de relation avec le malade.
-
L'objet de la demande et les motifs.
-
Le nom, le prénom, le lieu et la date de naissance, la résidence ou le domicile du
malade.
-
La désignation du juge de paix compétent.
-
Si nécessaire, le nom, le prénom, le domicile et la qualité du représentant légal du
malade.
- VI-2 -
Elle doit être signée par le requérant ou son avocat.
Le rapport médical circonstancié : il doit être joint à la requête, qui sera sans valeur sans
rapport médical. Il devra remplir les conditions suivantes :
-
La signature par un médecin qualifié (généraliste ou spécialiste), non parent du
patient et non attaché au service psychiatrique où réside le patient (on ne peut pas
s’envoyer de mise en observation à soi-même dans son propre service).
-
-Le motif de la demande.
-
La symptomatologie du patient observée de visu dans les 15 jours qui précèdent
l'introduction de la requête.
- La constatation que les conditions de l'Art. 2 soient réunies.
On trouvera en annexe 1 un exemple d'un rapport circonstancié et d'une requête type.
Les délais :
- 24 heures pour le juge de paix pour lancer la procédure
- 10 jours pour prendre une décision
P.S. : Le juge de paix peut déclarer la demande nulle ou irrecevable par un jugement
dans les 24 heures ou se déclarer incompétent territorialement (Art. 6)
cas, il renvoie la demande au juge de paix compétent dans les
Dans
ce
rendu
dernier
24 heures.
Les moments clés de la procédure (Art. 7) :
- La désignation d'office d'un avocat demandée au bâtonnier de l'Ordre des Avocats
par le juge de paix.
- Le jour, l'heure et le lieu de la visite de l'intéressé par le juge de paix en personne et
de l'audience en chambre du conseil est fixée dans les 24 heures par le juge de
paix.
- Ces précisions sont transmises au malade par pli judiciaire qui lui précise qu'il a le
droit de choisir :
- un autre avocat
- un médecin psychiatre
- une personne de confiance
Si le malade ne choisit pas un médecin psychiatre, le juge peut en désigner un
d'office
- La visite du juge au malade se fera en présence de son avocat. Le juge de paix
entend également toutes les autres personnes qu'il juge utiles. Il recueille tous les
renseignements utiles d'ordre social et médical.
- VI-3 -
L'audience en chambre du conseil (Art. 8) : le juge réunit alors en chambre du conseil et en
audience publique toutes les parties :
- Le(s) requérant(s).
- Leur avocat.
- Le médecin signataire du rapport médical circonstancié.
- Le patient.
- Son avocat.
- Son médecin psychiatre.
- Sa personne de confiance.
Il s'agit d'un réel débat contradictoire au terme duquel le juge de paix doit statuer. Toutes les
démarches doivent être faites dans les 10 jours qui suivent le dépôt de la requête.
Dans les faits, le médecin signataire du rapport médical circonstancié est rarement présent.
L'exécution du jugement : s'il fait droit à la demande, le juge de paix désigne le service
psychiatrique dans lequel le malade sera mis en observation pour une durée maximale de 40
jours.
Par pli judiciaire, le greffier notifie le jugement à toutes les parties et les informe des voies de
recours dont elles disposent.
Le greffier notifie par pli judiciaire le jugement au directeur de l'établissement qui doit, dès
réception du pli, prendre toutes les dispositions nécessaires pour le placement du patient en
observation.
Le procureur du roi poursuivra l'exécution du jugement en requérant le directeur de
l'établissement de s'assurer de la personne du malade, de faire effectuer son transport ou
son transfert et de procéder à son admission (Art. 2, Ch. 1 de l'A.R. d'Application du
18.07.1991).
2.2. La procédure d'urgence (Art. 9)
Paradoxalement, cette procédure d’urgence est devenue la plus utilisée en raison de l’acuité
des situations psychosociales requièrent cette mesure.
En cas d'urgence, c'est le procureur du roi (ou le substitut du procureur du roi du lieu où le
malade se trouve) qui doit être interpellé soit par un tiers, accompagné d'un rapport médical
- VI-4 -
circonstancié soit d'office à la suite d'un rapport d'un médecin du parquet désigné par lui.
L'urgence doit ressortir dudit rapport.
Il peut ainsi décider de la mise en observation du malade dans le service psychiatrique qu'il
désigne. Par les moyens de communication les plus rapides, le procureur du roi transmet au
directeur de l'établissement une copie de sa décision ordonnant le placement du malade en
observation et le requiert de s'assurer de la personne de celui-ci, de faire effectuer son
transport et de procéder à son admission (Art. 6 de l' A.R. du 18.07.1991).
Dans les 24 heures, les procureur du roi avise le juge de paix de la résidence du malade (ou
du domicile ou à défaut du lieu où le malade se trouve) de sa décision et le juge de paix
reprend la procédure en charge selon les mêmes modalités que prévues dans la procédure
normale.
Si le délai de 24 heures vient à expiration un samedi, un dimanche ou un jour férié légal, le
jour de l'échéance est reporté au plus prochain jour ouvrable.
Cependant, si le procureur n'a pas adressé dans les 24 heures la requête au juge de paix ou
si le juge de paix n'a pas pris la décision dans le délai de 10 jours, la mesure prise par le
procureur prend fin.
Dans ce cas, la réunion en chambre du conseil et le débat contradictoire auront, la plupart du
temps, lieu dans le cadre du service ou de l'hôpital psychiatrique où a été, en urgence,
envoyé le malade.
Ce débat contradictoire a lieu entre toutes les parties, et en présence du médecin chef de
service.
3. MODALITES DE TRAITEMENT
3.1.- Objet de la mesure
Pendant les 40 jours, le patient est surveillé, examiné de manière approfondie et traité « en
tenant compte de la durée limitée de la mesure » (Art. 11) (ce qui nous paraît
particulièrement obsolète !).
- VI-5 -
Le directeur du service de psychiatrie doit indiquer dans un registre prévu à cet effet (Art.
10) :
-
les précisions concernant le malade
-
les décisions prises
-
ses admissions et ses sorties
-
les personnes désignées ou choisies par lui
Pendant les 40 jours, le patient peut faire des sorties de durée limitée, seul ou accompagné
et/ou réaliser un séjour à temps partiel de jour ou de nuit, dans l'établissement.
3.2.- Fin de la mesure
La mesure prend fin quoi qu'il arrive après 40 jours.
La mise en observation peut prendre fin avant 40 jours lorsqu'en décide ainsi (Art. 12) :
-
Le juge de paix responsable.
-
Le procureur du roi qui a décidé la mise en observation, avant que le juge de paix
n'ait statué.
-
Le médecin chef de service s'il estime, dans un rapport motivé, que l'état du malade
ne justifie plus cette mesure.
Ce dernier point nous paraît essentiel et démontre, si besoin était, que le médecin reste seul
juge de l'état médical du patient et est habilité à décider seul de sa sortie.
3.3.- Le maintien
Si l'état du patient le nécessite, après les 40 jours d'observation, un rapport médical
circonstancié du médecin chef doit être envoyé au juge de paix au plus tard le 25e jour après
la mesure initiale (Art 13).
Entre le 25e jour et le 40e jour, un nouveau débat contradictoire est mené par le juge de paix
qui, réunissant tous les protagonistes, les entend en audience publique et décide soit de
laisser sortir le malade au 40e jour de mise en observation, soit de la durée du maintien qui
ne peut excéder deux ans (Art. 14).
Les modalités du traitement sont décidées et n'excluent pas, sous l'autorité et la
responsabilité d'un médecin du service, des sorties de durée limitée ni des séjours à temps
partiel ou de nuit ni que le patient exerce une activité professionnelle en dehors du service
- VI-6 -
(Art. 13).
La fin du maintien peut être décidée (Art. 19) :
-
Par le médecin chef de service d'initiative ou à la demande de tout intéressé s'il
estime que l'état de santé du malade ne le justifie plus.
-
Après un an de post-cure si aucune réadmission n'a été demandée.
Dans ces deux cas, le médecin chef de service informe de sa décision le malade, le
procureur du roi et le directeur de l'établissement qui doit avertir par lettre
recommandée le magistrat qui a pris la décision, le juge de paix saisi et la personne
qui a demandé la mise en observation.
Dans les 5 jours de l'envoi de la lettre recommandée, la personne qui a demandé la
mise en observation peut former opposition à cette décision par requête au juge de
paix compétent. L'intervention d'un avocat est obligatoire (Art. 20).
Le juge de paix instruit la demande contradictoire et statue.
- Suite à la procédure de révision de la décision (Art. 22).
Le juge de paix peut, à tout moment, procéder à la révision soit d'office soit à la
demande du malade ou de tout intéressé. Cette demande doit être étayée par la
déclaration d'un médecin. Après avoir pris l'avis du médecin chef de service, lejuge
de paix organise un nouveau débat avec toutes les parties intéressées et statue.
3.4.- La post-cure
Il s'agit d'une mesure préparant en quelque sorte la sortie définitive du patient alors que la
mesure de maintien subsiste. Elle a une durée maximale d'un an et est décidée par le
médecin chef de service qui prévoit, dans un rapport motivé, les conditions de logement, de
traitement médical et l'accompagnement social du patient (Art. 16).
La fin de cette mesure peut être décidée par le médecin chef de service, soit en supprimant
la mesure de maintien, soit en décidant la réadmission du patient si son état l'exige ou si les
conditions de la post-cure ne sont pas respectées (Art. 17).
4. LES SOINS EN MILIEU FAMILIAL
Si des mesures de protection s'avèrent nécessaires mais que l'état du malade et les
circonstances n'imposent pas une mise en observation à l'hôpital, les patient peut être
soigné dans une famille (pas nécessairement la sienne !) (Art. 23).
Il s'agit ici d'une procédure alternative à la mise en observation dans le seul cas d'un état
- VI-7 -
manifestement moins grave.
La même procédure que pour la mise en observation va être poursuivie et le juge de paix
dispose de 10 jours pour statuer et décider de donner mission à une personne déterminée
de veiller sur le malade et à un médecin de le traiter (Art. 24).
La mesure a une durée normale de 40 jours.
Un rapport médical circonstancié doit parvenir au juge de paix avant le 25e jour, attestant la
nécessité du maintien (Art. 25).
La durée maximale du maintien en famille est de deux ans.
En cas d'opposition du malade, la même procédure de requête et de débat contradictoire du
maintien à l'hôpital est appliquée. (Art. 25).
Le médecin responsable du malade doit le visiter régulièrement et dispenser au malade et à
la personne désignée pour veiller sur lui tous les conseils et instructions utiles et il doit
envoyer un rapport médical circonstancié au juge de paix au moins une fois par an. Rapport
dans lequel il déclare avoir prodigué les soins requis et donne son avis sur la nécessité de
maintien de la mesure de protection (Art. 27).
Le juge de paix doit visiter le malade au moins une fois par an (Art. 28).
La mesure prend fin soit par décision du juge de paix par fin du maintien ou décision de mise
en observation dans un service psychiatrique soit par procédure d'appel (Art. 29).
5. LE RECOURS
Le malade - même mineur d'âge -, son représentant légal ou son avocat peuvent aller en
appel dans un délai de 15 jours à dater de la notification du jugement (Art. 30), sous la forme
d'une requête adressée au président du tribunal de première instance.
Le tribunal dispose d'un mois pour statuer sur la requête.
Mais, lorsqu'il ordonne une
mesure d'instruction (enquête médico-sociale, par exemple), un même délai d'un mois court
à partir du jour où elle a été accomplie.
Le délai total dans lequel le tribunal a à statuer par jugement définitif ne peut dépasser un
- VI-8 -
mois.
Le délai pour se pourvoir en cassation est d'un mois à partir de la notification du jugement.
6. LES CONDITIONS DU SEJOUR HOSPITALIER
L'article 32 prévoit de manière très précise les conditions de séjour hospitalier du malade.
Ce dernier doit être traité dans des conditions respectant sa liberté d'expression, ses
convictions religieuses et philosophiques et dans des conditions qui favorisent sa santé
physique et mentale, ses contacts familiaux et sociaux ainsi que son épanouissement
culturel.
Cet article interdit - sans raison médicale grave à démontrer - l'isolement affectif du patient
ou toute autre forme de contention physique.
Les requêtes ou réclamations faites par le malade à l'autorité judiciaire ou administrative, la
correspondance qu'il adresse à l'extérieur ou qui lui est adressée, ne peuvent être retenues
ouvertes ou supprimées par qui que ce soit.
Dans tout service psychiatrique, le malade peut recevoir la visite de son avocat, du médecin
de son choix, de la personne de confiance et, sauf contre-indication médicale, de toute autre
personne.
Le médecin choisi par le malade et son avocat peuvent se faire présenter le registre et
obtenir du médecin chef de service tout renseignement sur l'état du malade.
7. LES SERVICES PSYCHIATRIQUES
L'Arrêté Royal d'Application du 18.07.1991 précise les prescriptions relatives aux services
psychiatriques tenus d'accueillir des malades mentaux dont l'état nécessite des mesures de
protection.
Pour autant qu'ils soient désignés à cet effet par l'autorité compétente, sont tenus d'accueillir
les malades mentaux à l'égard desquels une mesure de protection a été ordonnée (Art. 2) :
-
Les services A des hôpitaux psychiatriques.
Les services A des hôpitaux généraux fonctionnant dans le cadre de la loi du
08.09.1964 relative à l'aide médicale urgente.
- VI-9 -
-
Les services T.
-
Les services K (service neuropsychiatrique pour enfants).
Il s'agit là d'un point extrêmement important : les anciens services "fermés" ne sont plus les
seuls concernés !
Les conditions fonctionnelles spécifiques auxquelles ces services doivent répondre sont:
-
Disposer d'un règlement d'ordre intérieur soumis à l'approbation de l'autorité
compétente et porté à la connaissance du procureur du roi et du juge de paix qui a
ordonné la mesure de protection (Art. 3).
Ce règlement doit régler :
a/
les mesures internes de protection :
- garantie de traitement
- sécurité du malade
- sécurité du personnel
- protection des biens hospitaliers
b/
la manière dont sont garantis les droits du malade
- Etablir un rapport annuel concernant la liste des patients admis dans le service à la
suite d'une mesure de protection (Art. 4). Ce rapport sera transmis aux médecins
inspecteurs psychiatres désignés par l'autorité compétente, au juge de paix du lieu
où est situé le service et au procureur du roi.
- Compter des médecins chefs de service habilités à prendre des mesures de
protection (Art. 8). Pour ce faire, deux conditions sont requises :
a/
être agréé comme médecin spécialiste en neuropsychiatrie ou en psychiatrie
b/
avoir réussi un examen organisé par une commission d'experts désignés par
l'autorité compétente (Région ou communauté dans la Belgique fédérale).
Si un malade est placé en chambre d'isolement et d'observation, le médecin chef de service
doit inscrire ces mesures de contrainte dans un registre en mentionnant leur durée, leur
nature et l'indication médicale.
8. LE CONTROLE DU RESPECT DE LA LOI (art. 33)
Il sera exercé par le procureur du roi et le juge de paix du lieu du service, ainsi que par les
médecins inspecteurs psychiatres désignés à cette fin.
- VI-10 -
Ils ont tous - ainsi que les experts désignés par le tribunal - accès aux services
psychiatriques et peuvent se faire présenter les registres ainsi que tout document
nécessaire.
Les services psychiatriques sont visités à des jours indéterminés et sans publicité préalable
au moins une fois par an par le procureur du roi de l'arrondissement et le juge de paix du lieu
du service (Art. 8 de l'A.R. du 18.07.1991).
Les magistrats visitent personnellement les services psychiatriques où ils rencontrent les
patients hospitalisés. Ils doivent contrôler la régularité du séjour dans l'établissement ainsi
que le respect des articles 3 et 32. Ils ont donc la mission complémentaire de vérifier que
tout malade qui a été librement admis - en dehors de la présente loi - puisse quitter le
service psychiatrique à tout moment (Art. 3) et vérifier que tout malade peut exprimer ses
requêtes et faire parvenir ainsi que recevoir la visite de son avocat, de son médecin ou de
toute autre personne.
9. LES FRAIS
Les frais de transport et de séjour des magistrats, les frais et honoraires des experts et du
médecin choisi par le malade sont avancés par le Ministère de la Justice (Art. 34), qui les
récupérera auprès du malade si la mesure de protection est décidée.
Les frais de transport, d'admission, de séjour et de traitement dans un service psychiatrique
ou dans une famille sont à charge du malade.
10. « EVASION »
En cas « d'évasion », le directeur de l'établissement doit donner avis de l'évasion à la
personne qui a demandé la mise en observation, au procureur du roi et au juge de paix (Art.
10 de l'A.R. du 18.07.1991).
11. LE TRANSPORT ET LE TRANSFERT
(Arrêté Royal d'Application du 26.07.1991)
Le transport et le transfert sont assurés par le service 100 ou tout autre service spécialisé à
cet effet et qui a accepté sur base d'une convention conclue avec l'Etat de collaborer au
- VI-11 -
fonctionnement du système d'appel unifié.
Si nécessaire, appel peut être fait :
-
à du personnel qualifié
-
à des agents de la force publique en civil
En cas de transfert, un rapport circonstancié doit être adressé au médecin chef de service du
nouveau service. Ce rapport doit comporter au moins les éléments suivants :
- Les observations psychiatriques et autres constatations médicales ou sociales
significatives.
- Les résultats des tests et des examens réalisés.
- La nature et le résultat des traitements appliqués.
- Une copie de tous les documents établis en exécution de la loi du 26.06.1990 et
nécessaires au traitement ultérieur du malade mental.
- VI-12 -
Assisté d’un
∗
∗
∗
MALADE MENTAL
10 jours
JUGE DE PAIX
- VI-13 -
Maintien : 2 ans max.
PROCEDURE D’URGENCE
Le médecin chef peut décider à tout moment
la sortie de son établissement
Procureur du Roi
Personne concernée
Médecin (certificat circonstancié)
Période d’observation : 40 jours max.
Post-cure à l’extérieur : 1 an max.
Sortie
Avocat (obligatoire)
Médecin de son choix
(facultatif)
Personne de confiance
(facultatif)
Personne concernée
Médecin (certificat circonstancié)
PROCEDURE ORDINAIRE
LOI DE PROTECTION DE LA PERSONNE DU MALADE MENTAL
(26 JUIN 1990)
CHAPITRE VII : TROUBLES PSYCHOPATHOLOGIQUES
DE LA PERINATALITE
2012
1-
Définition
La psychopathologie de la périnatalité concerne les troubles psychiatriques apparaissant
pendant la période de la grossesse et du post-partum, chez la mère, le père et le
nourrisson, voire de la fratrie
La grossesse et l’accouchement sont des événements majeurs dans la vie d’un individu
tant d’un point de vue psycho-affectif que physiologique. Il n’est donc pas surprenant d’y
observer des perturbations importantes sur le plan psychopathologique. Longtemps sousestimés ou franchement méconnus, ces troubles imposent une prise en charge
psychiatrique attentive.
2-
Grossesse
Cette période est relativement protégée sur le plan psychiatrique ; p. ex. plus de 80 % des
femmes alcooliques ou toxicomanes connaissent une amélioration de leur situation
pendant la grossesse. Le maintien d’une consommation élevée est, outre un facteur de
risque pour le fœtus (syndrome alcoolo-fœtal), un facteur de mauvais pronostic pour la
maladie de la mère.
Lors du premier trimestre, ce sont surtout des grossesses non désirées qui engendrent
anxiété et dépression.
Le troisième trimestre s’accompagne plus volontiers d’angoisses et de peurs concernant
l’accouchement ainsi que des doutes sur la normalité du foetus.
Des pathologies psychiatriques antérieures peuvent connaître une rémission pendant la
grossesse mais une réactivation après l’accouchement (T.O.C.).
L’avortement spontané peut engendrer une réaction dépressive surtout s’il y a plusieurs
avortements qui précèdent. L’avortement thérapeutique peut donner une morbidité
psychiatrique surtout dans le premier mois qui suit celui-ci. Les morts anténatales
déclenchent une réaction de deuil et des troubles psychiques au long cours. Sur le plan de
- VII - 1. -
la prévention, il est essentiel de montrer le bébé à la maman, de lui donner un nom et
d’organiser des funérailles.
Une prise en charge et un soutien sont fréquemment nécessaire lors d’une grossesse
ultérieure.
3.
Les troubles spécifiques du post-partum
La pathologie du post-partum stricto sensu se définit comme la période qui s’étend de
l’accouchement au retour des couches, c’est-à-dire la reprise du cycle menstruel normal.
Selon les critères du D.S.M.-IV cependant, les troubles du post-partum sont considérés
comme ceux qui se déclarent dans une période de 4 semaines qui suit l’accouchement.
Cependant, le risque de trouble majeur de l’humeur se trouve significativement augmenté
dans l’année qui suit un accouchement et les troubles dépressifs mettent souvent 3 à 4
mois à devenir manifestes. Les dépressions mineures (maternity-blues ou encore postpartum blues), bien que très fréquentes, n’ont pas de signification pathologique, mais
doivent être pris en compte par l’entourage familial et médical.
3.1. Le “Post-partum blues”
Suivant les critères utilisés dans les études, il atteint de 30 à 80 % des accouchées. Il
débute généralement le 3ème jour après l’accouchement avec la montée laiteuse, et dure
rarement plus d’une semaine. Il est caractérisé par l’instabilité de l’humeur, l’irritabilité, la
rumination et l’asthénie. Il est attribué à la déflation brusque du taux oestro-progestatif qui
suit la délivrance. L’hypersensibilité de la jeune mère est biologiquement “adaptée” à une
relation fusionnelle au nouveau-né. Sur le plan psychodynamique, on assiste à une
réactivation tant de l’identification de l’accouchée à sa propre mère que des conflits
archaïques inconscients de sa propre histoire avec leur charge d’agressivité, de culpabilité
et d’ambivalence.
3.2. Les troubles psychotiques du post-partum
On estime à 1 à 2 % (une sur 500 accouchées) le nombre de décompensations
psychopathologiques graves dans le post-partum, la grande majorité (80 %) d’entre elles
survenant dans le premier mois et même la moitié de celle-ci dès la première semaine
après l’accouchement. Le risque de récurrence lors d’une prochaine grossesse est
relativement élevé (plus d’un tiers des cas).
- VII - 2. -
D’avantage que dans les pays anglo-saxons où on a tendance à rattacher cette pathologie
aux autres tableaux des troubles de l’humeur ou des psychoses (épisode psychotique
bref), on maintient - en France surtout - une entité sous le terme général de psychose
puerpérale (ce qui n’est pas tout à fait correct puisque tous les tableaux pathologiques ne
comportent pas toujours de traits psychotiques, au sens d’un délire ou d’une
hallucination).
Cette entité se caractérise par :
- un début précoce dès les premières semaines ;
- des bouffées délirantes polymorphes (inconstant) ;
- des composantes confusionnelles et thymiques ;
- une symptomatologie changeante et une évolution
fluctuante ;
- un pronostic généralement favorable.
3.2.1. Troubles majeurs de l’humeur
Les troubles maniaques ou dépressifs majeurs constituent la grande majorité des
perturbations du post-partum. Ils sont semblables à ceux étudiés dans le chapitre
consacré aux troubles de l’humeur. Pour la primipare, ils atteignent 10 à 15% des
personnes, le risque de récurrence est élevé (50 %)
Dans la logique du D.S.M.-IV, il conviendra de spécifier si un trouble de l’humeur survient
dans la période du post-partum limité aux 4 semaines qui suivent l’accouchement.
3.2.2. Psychoses du post-partum
Les psychoses délirantes aiguës ont un début brutal (pic de fréquence : 10ème jour) et
une symptomatologie polymorphe : stupeur, agitation, agressivité, ludisme, trouble de la
vigilance (états oniroïdes), exaltation maniaque, dépression délirante ….
Les thèmes les plus fréquents sont la négation de la réalité de la naissance, du mariage,
de la filiation. Il existe souvent une conviction persécutoire (enlèvement de l’enfant ou
changement de sexe).
L’attitude agressive ou auto-agressive doit être suivie et surveillée : le raptus suicidaire
avec ou sans infanticide prend ici toute son importance dramatique.
- VII - 3. -
On estime généralement que 10 % des psychoses puerpérales graves peuvent évoluer
vers un état dissociatif (schizophrénique) chronique entraînant éventuellement l’incapacité
d’assumer de façon autonome la récente maternité.
Dans ces cas, une anamnèse
soigneuse met souvent en évidence des antécédents psychotiques ou pré-psychotiques à
la grossesse elle-même.
3.2.3. Traitement des troubles psychotiques du post-partum
La thérapeutique de ces états psychotiques doit être soigneuse, eu égard aux risques
évoqués ci-dessus. Une hospitalisation spécialisée sera nécessaire dans la plupart des cas
avec éventuellement le bébé dans une unité de soins « mère-enfant »),. Une
neuroleptisation adéquate pourra utilement être complétée par une sismothérapie (ECT)
qui y trouve une de ses indications de choix, avec des résultats souvent spectaculaires. Un
accompagnement psychothérapeutique ultérieur de la patiente et de son couple(est
toujours indiqué. Une collaboration multidisciplinaire s’avère, à cet égard, intéressante :
psychiatre, pédopsychiatre, gynécologue et pédiatre peuvent contribuer à améliorer
rapidement le tableau clinique et le pronostic, en particulier quant aux incidences précoces
sur le développement psychique de l’enfant.
- VII - 4. -
Chapitre VIII : LES PSYCHOTHERAPIES
2012
J.P. ROUSSAUX
D. COLLET
P. DENEUTER
1.
DEFINITION GENERALE
Une psychothérapie est un traitement qui vise à l’amélioration ou à la guérison de
maladies à expression (physique ou psychique) par des procédés exclusivement
psychologiques (et non physico-chimiques) et qui implique une relation entre un
thérapeute et un ou plusieurs patients.
Qui sera ce psychothérapeute ? Le plus souvent un psychologue ou un médecin,
psychiatre ou généraliste mais aussi un assistant social, une infirmière, un
éducateur, qui ont suivi une formation spécifique dans le type de psychothérapie
pratiquée.
Ce traitement peut avoir pour objet :
1° des troubles à expression psychique dont l’origi ne est elle-même psychique,
en particulier ceux qui sont déterminés par des conflits intrapsychiques ou
interpersonnels (pensée obsédante, inhibition, angoisse, délire, dépression,
conduites d’échec, par ex.).
2° des troubles organiques fonctionnels partielleme nt ou totalement déterminés
par des causes psychiques (paralysie hystérique, frigidité, impuissance
sexuelle, énurésie, encoprésie, recto-colite, ulcères, épilepsie, anorexie, par
ex.).
3° certaines difficultés relationnelles (échecs sco laires ou amoureux répétés,
jalousie pathologique, agressivité disproportionnée, par ex.).
4° l’acceptation de certaines maladies organiques i nvalidantes ou mortelles
(accompagnement de malades cancéreux ou gravement handicapés, par ex.)
Bien qu’il existe quelques points communs, on distinguera cette relation
psychothérapeutique de celle qui met en place un éducateur, un formateur et un
enseignant dont le rapport au savoir est fondamentalement différent.
VIII-1-
2.
AMPLITUDE DU PHENOMENE PSYCHOTHERAPEUTIQUE
Depuis qu’à l’aube du XXe siècle, Freud a créé la psychanalyse, divers courants
psychothérapeutiques ont à leur tour vu le jour, certains, dans le prolongement
de la découverte freudienne, d’autres en opposition avec elle.
Il y a peu, on a recensé quelque 400 types de psychothérapies.
Chacune d’entre elles demanderait de nombreuses pages pour être valablement
présentée, cas cliniques à l’appui. Et ce, de préférence par un spécialiste de
cette orientation. Etant donné l’espace qui nous est réservé, nous nous limiterons
à la présentation schématique des différents paramètres impliqués dans ces
diverses orientations et à la présentation un peu plus explicite des trois courants
principaux aujourd’hui. On trouvera les informations complémentaires dans les
ouvrages de référence proposés en fin de texte.
3.
CARACTERISTIQUES PHENOMENALES DES DIVERSES
PSYCHOTHERAPIES
3.1. Les patients effectivement rassemblés : qui vient ?
Une psychothérapie est dite individuelle, de groupe (5 à 15 personnes), de
famille, de couple ou encore institutionnelle (avec les membres d’une équipe
soignante). Il s’agit là de dénomination qui relève uniquement d’un paramètre
finalement assez superficiel : qui est effectivement présent lors de la séance
psychothérapeutique. Dans la thérapie de groupe, il est souhaitable que chaque
participant soit présent à chaque séance. Pour la thérapie de famille, même si
cela n’est pas souhaitable, elle peut se dérouler en l’absence occasionnelle d’un
des membres de la famille.
3.2. Les modalités d’expression proposées au patient : comment ?
Freud proposa à ses patients la seule expression verbale sous forme
d’association libre. D’autres, avant lui et après lui, engageaient les patients dans
un dialogue plus ou moins structuré. Puis certains, confrontés aux limites de
l’expression verbale en général ou aux capacités verbales de leurs patients,
proposèrent l’expression par la parole et par l’action sous ses diverses formes :
psychodrame, modelage, dessin, chant, théâtre, etc...
VIII-2-
Certains thérapeutes y ajoutent l’expression corporelle, d’autres en proposent
l’usage exclusif, ce qui est rare et, semble-t-il, assez dangereux (réactions mal
contrôlées en l’absence de parole).
3. 3. Le niveau de conscience visé : contrôle ?
On peut répartir les psychothérapies en fonction du niveau de conscience visé.
Le niveau de conscience habituel est mis en œuvre dans les thérapies
comportementales et systémiques. Un niveau de contrôle conscient atténué est
requis par la psychanalyse, la relaxation et le rêve éveillé. Un état hypnotique
plus ou moins profond est mis en œuvre par la sophrologie et l’hypnose
thérapeutique.
4.
LES REFERENCES THEORIQUES PRINCIPALES
Les trois paramètres précédents, permettent une approche somme toute assez
superficielle de la psychothérapie. La conception de l’homme et de son
psychisme et les conceptions corrélatives de la maladie et du symptôme
constitue un paramètre bien plus important.
Depuis Freud et la psychanalyse de nombreuses théories ont vu le jour 1
Bien que certaines théories de la personne et de son psychisme privilégient
inévitablement certains cadres, certaines modalités d’expression et certains
niveaux de conscience, ces trois paramètres n’ont qu’un rapport relatif avec la
théorie à laquelle se réfère le psychothérapeute. Ainsi, un thérapeute de famille
peut se référer à la théorie systémique, cognitivo-comportementale ou
psychanalytique, pour reprendre les trois orientations théoriques qui sont les plus
développées. Dans les pages qui suivent nous ne présenterons que ces trois
orientations théoriques ainsi que trois types de psychothérapies prépsychanalytiques.
1 Ainsi, le post-freudisme (Anna Freud, Mélanie Klein et Bergeret), les freudiens dissidents (Jung, Adler,
Reich), la phénoménologie (Boss, Binswanger), le non directivisme (Rogers), le psychodrame (Moreno,
Lemoine, Anzieu), la Gestalt (Perls), les théories psychologiques du comportement, de l’apprentissage
(Pavlov, Eysenk) et la cognition (Lewin, Piaget), le structuralisme psychanalytique (Lacan, Dolto) ou
familial (Nagy), la théorie des systèmes (Bateson, Watzlawik).
VIII-3-
4.1.
Les thérapies pré-psychanalytiques
Avant Freud, certains utilisaient la suggestion, d’autres l’hypnose, d’autres
enfin la psychothérapie morale.
La suggestion use de la parole pour faire admettre certaines idées, faire
réaliser certains actes ou encore faire disparaître
certains symptômes
(toxicomanie, phobie, trouble hystérique, etc.). Exemple : méthode Coué.
L’hypnose consiste à plonger le patient dans un état de sommeil incomplet
afin de rendre possible l’émergence de souvenirs oubliés ou d’ouvrir le
champ à la suggestion dite alors post-hypnotique. Actuellement l’hypnose
selon Milton Erikson connait un intérêt certain.
La psychothérapie morale consiste à réconcilier le patient avec le Beau, le
Vrai et le Bien. Il s’agit par exemple d’apprendre au patient que ce qu’il fait
n’est pas bien et de lui indiquer des voies plus socialement acceptées et
valorisées
(centres
de
guidance).
Une
forme
actuelle
en
est
la
psychoéducation (« JUST SAY NO » dans les consommations de drogues
illicites).
Aujourd’hui encore, plusieurs courants thérapeutiques se réfèrent à nouveau,
explicitement ou implicitement, à ces courants psychothérapeutiques.
4.2.
La psychanalyse et les psychothérapies d’inspiration psychanalytique
4.2.1
les hypothèses de base
Nature conflictuelle du désir humain : nous sommes animés de désirs
contradictoires. Un exemple simple : « Je veux à la fois être un très bon fils en
allant voir ma mère veuve le dimanche matin mais aussi faire la grasse matinée
avec ma femme ». Le Moi fort et fonctionnel pourra faire un choix clair – renoncer
soit à être un très bon fils, soit à rester au lit tard : il pourra trancher ! Le Moi fort
peut aussi trouver un compromis non pathologique : aller voir la mère l’après midi
ou le lundi. Par contre le Moi problématique (conflictuel) ne peut se sortir de ce
conflit (ce double désir contradictoire) que par la production d’un symptôme (par
exemple une diarrhée ou une dépression) : si je suis malade, je ne dois pas
rendre visite à ma mère mais je ne peux pas non plus bien profiter de ma
matinée au lit.
VIII-4-
-
Hypothèse de l’inconscient : nous sommes déterminés par des pensées
inconscientes qui peuvent être à l’origine de symptômes les plus divers. Le
moi n’est plus maître dans sa propre maison (Freud).
- Le symptôme (psychique ou organique) a un sens, il est un langage qui
peut-être l’expression d’un message adressé à quelqu’un (« Maman, c’est
toi que j’aime par dessus tout » d’où impossibilité d’établir un lien amoureux
avec une autre femme) ou encore d’un conflit entre des pensées
contradictoires (« Je veux le tuer » et « Tu ne tueras point » d’où paralysie
du bras).
- Importance décisive des premières expériences de l’enfant pour la
structuration de son psychisme et pour la survenue de symptômes
psychiques de l’âge adulte.
- Importance décisive de nos pulsions sexuelles et agressives. De la façon
dont celles-ci vont être aménagées par l’éducation (au sens très large
d’entrée dans l’univers du langage et de la civilisation), vont dépendre le
plaisir ou le déplaisir pris dans nos diverses activités amoureuses et
professionnelles. Nos symptômes vont eux aussi être déterminés par
l’issue donnée par chacun au conflit inévitable entre ces pulsions et les
exigences de notre civilisation (et plus spécifiquement de notre famille
d’origine), intégrées dans notre SURMOI.
4.2.2 La visée de la cure
Le symptôme étant ainsi conçu, la cure visera la disparition du symptôme par le
détour d’une modification du rapport du sujet à ses pensées inconscientes, par
l’analyse du conflit pulsions/interdits ou pulsion/pulsion qui sont à l’origine du
symptôme. Elle vise donc à « guérir » les vraies causes en évitant ce que Freud
appelait “la guérison à courte vue” qui consiste à faire disparaître le symptôme
(par suggestion, par médication, etc.) sans en supprimer les causes profondes
et déterminantes.
4.2.3. La méthode
La méthode de la cure psychanalytique comprend principalement l’association
libre et le transfert.
L’association libre consiste à dire autant que possible tout ce qui passe par
l’esprit, sans se soucier de la logique des suites de pensées, ni non plus de leur
VIII-5-
caractère convenant ou inconvenant. S’allonger sur un divan, sans voir les
réactions de son psychanalyste vise à permettre plus de liberté dans ce
processus d’association. Il s’agit là de la règle fondamentale de l’analyse : en
fait très difficile à respecter ! Actuellement, la plus grande partie des
psychothérapies d’inspiration analytique se déroule en face à face, réduisant
malheureusement la liberté d’association (mais permettant une moindre
régression et un meilleur contrôle du transfert).
Le transfert est constitué par l’ensemble des sentiments et pensées qui
progressivement se forment à l’égard du psychanalyste. Il s’avère être le
déploiement expérimental de l’inconscient du sujet et la répétition des diverses
expériences infantiles qui ont présidé à sa constitution. Le transfert est donc
une voie privilégiée d’accès à cet inconscient et à cet aspect infantile en nous,
et donc aux sources du ou des symptômes (le contre-transfert concerne les
sentiments de l’analyste envers son patient : sympathie, intérêt … parfois
répulsion, ce que l’on a appelé le contre-transfert négatif).
Cette association ne sera libre et ce transfert ne pourra se développer que si,
du côté du psychanalyste, une réelle neutralité bienveillante accueille ces dires
aussi libres que possibles et les manifestations transférentielles d’amour, de
désir, d’agressivité ou de haine. C’est à développer cette disposition psychique
particulière que vise notamment la longue formation du psychanalyste (environ
7 ans !) et l’exigence de s’être soumis lui-même à une psychanalyse de
plusieurs années en plus de la partie théorique.
4.2.4 Les psychothérapies d’inspiration analytique
La cure type impliquant un investissement important en temps et en argent, (2 à
5 séances par semaine) et certaines structures psychiques (propension à la
projection, états limites, psychoses …) n’y étant pas adaptées, plusieurs
psychothérapeutes
proposent
des
aménagements
notamment
pour
les
psychotiques et pour les enfants. Il s’agit d’abandonner certaines caractéristiques
de la cure type tout en en gardant d’autres. Ne pas utiliser le divan mais le face à
face, diminuer les fréquences, remplacer l’association libre par le dessin, le
modelage, le jeu psychodramatique, le dialogue familial ou conjugal ou encore la
discussion de groupes, etc.
VIII-6-
Si elles ont des effets psychothérapeutiques évidents, ces variantes ne peuvent
évidemment pas prétendre atteindre les mêmes buts que la cure psychanalytique
type. D’autre part, elles fonctionnent fatalement davantage dans la suggestion,
en particulier les « psychothérapies de soutien » souvent pratiquées par des
médecins ou psychologues expérimentés mais de plus faible formation
psychothérapeutique spécifique.
4.3 Les thérapies systémiques
4.3.1. les hypothèses
- L’individu est principalement déterminé par les différents systèmes (familial,
social, professionnel,…) dont il participe. Un des plus importants de ceux-ci
est constitué par la famille d’origine.
- Le symptôme d’un ou de plusieurs membres d’un système est l’expression
d’une perturbation de ce système - par l’arrivée ou le départ d’un membre
par ex. – et souvent une tentative pour ce système de retrouver son
équilibre.
- Parmi les concepts spécifiques de base pour cette orientation systémique,
on retiendra l’homéostasie, l’équilibre et le double lien.
L’homéostasie familiale désigne la tendance des familles à maintenir
constantes leurs conditions de vie. Cette tendance s’oppose au changement.
Les familles qui sont pathogènes pour leur membre sont celles qui sont
incapables de changement alors que leur environnement change ou que leur
composition change. L’arrivée d’un enfant dans un couple nécessite une
profonde réadaptation du couple. Il est souvent l’occasion de perturbations
chez les membres du système si celui-ci est incapable de s’adapter à
l’irruption de ce tiers dans le couple. On sait aussi combien la naissance d’un
puîné peut entraîner de troubles chez l’aîné (énurésie, troubles scolaires,
maux de ventre...) si le système ne lui permet pas de s’adapter à cette
nouvelle situation. Il en va de même lorsque le chômage du père entraîne un
changement de statut social et une modification de sa présence à la maison.
L’équilibre, concept plus récent, désigne la recherche d’un juste milieu entre la
tendance au maintien (mouvement centripète) et la tendance au changement,
(mouvement centrifuge) au travers des changements qui traversent le
VIII-7-
système. Un bon exemple est la réaction de la famille à l’entrée dans
l’adolescence d’un enfant, avec ses privilèges, les nouvelles libertés et le
respect de la tradition.
Le double lien (double bind) : dans le langage verbal comme dans le langage
non verbal, il y a deux niveaux de communication. Le premier est celui du
message, le second, celui du metamessage (message à propos du message).
Ces deux niveaux de messages peuvent être plus ou moins cohérents ou
contradictoires. Il y a double lien lorsque cette contradiction se répète
fréquemment, dans une relation vitale pour une personne au moins, avec
impossibilité pour celle-ci de s’échapper du cadre de ces doubles messages.
Elle ne peut ni le contrecarrer, ni le discuter, ni accepter un des termes sans
désobéir à l’autre injonction : elle a toujours tort ! On pensera notamment aux
paroles de tendresse et d’amour qui sont imperceptiblement contredites par
l’absence de mouvement, la froideur du regard, ou l’oubli de la date
d’anniversaire. Le père autoritaire tapa du poing sur la table et dit à son fils
timoré : « J’exige que tu te montres indépendant ».
4.3.2 Visée du traitement
La disparition du symptôme par le recours à des modifications dans le
système (sa structure, ses échanges et ses interrelations) ou encore dans les
représentations que les membres du système se font d’eux mêmes
(constructivisme).
4.3.3. Méthode
Les systémiciens privilégient les séances qui regroupent effectivement les
membres du système. On les verra plus souvent pratiquer les entretiens de
familles ou de couple. Mais plusieurs reçoivent aussi individuellement tout en
se référant à la théorisation systémique de ce qui leur est adressé. Si les
psychanalystes accordent beaucoup d’attention aux familles fantasmatiques
de leurs patients, c’est-à-dire aux familles telles que ceux-ci se la
représentent, les systémiciens accordent toute leur attention aux membres
présents de la famille et à leurs interactions tels qu’ils peuvent les observer
dans la réalité de la séance.
VIII-8-
C’est le dialogue d’une famille (ou d’un entourage professionnel ou scolaire)
avec un thérapeute ou un couple de thérapeutes qui constitue le moyen
d’expression le plus souvent utilisé. Néanmoins, des systémiciens peuvent
recevoir des patients individuellement tout en les écoutant et en intervenant
dans une optique systémique.
Un certain nombre de thérapeutes familiaux sont proches des thèses
psychanalytiques (plusieurs d’entre eux ont par ailleurs une formation de
psychanalyste). Ceux-là accordent notamment une certaine attention à
l’univers fantasmatique de chacun des membres de la famille. D’autres se
rapprochent plutôt de l’optique comportementale et de l’approche cognitiviste :
ce sont les thérapies stratégiques ou communicationnelles (avec entre autre
des exercices de communication clairs à faire à la maison).
4.4. LES THEORIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVOCOMPORTEMENTALES
Le symptôme est le résultat d’un mauvais apprentissage. Il est donc appris, il
s’auto-entretient. S’opposant plus ou moins radicalement à l’expérience
freudienne, les comportementalistes pensent que le symptôme n’a pas de sens
pour le sujet et qu’il n’est donc pas nécessaire de l’interpréter. Le symptôme peut
néanmoins avoir une fonction dans la vie quotidienne de la personne. Par
exemple, un jeune adulte peut manifester des attaques de paniques au moment
de son départ du domicile familial et de son envol vers l’indépendance. Ces
attaques de paniques vont avoir comme fonction de retarder ou annuler ce
départ.
Comme l’avait initialement montré Pavlov, les comportements des animaux
peuvent être le résultat d’un conditionnement. On parle dans ce cas de
conditionnement
répondant.
Certaines
réactions
physiologiques,
certains
comportements peuvent être associés, par contiguïté temporelle, à des
événements extérieurs. Par exemple, une réaction de peur et/ou de fuite peut
être associée à un contexte ou à un objet. Cela est souvent le cas chez l’humain
notamment dans les états de stress post-traumatiques, où un endroit est évité
car il a été associé à une menace pour l’intégrité de la personne. Suite à une
agression un individu va éviter le lieu de cet événement. Mais cet évitement peut
VIII-9-
se généraliser. La personne évitera le parking où s’est déroulée son agression,
puis la rue, puis le quartier, etc.…
Skinner a quant à lui montré que les comportements pouvaient être renforcés ou
pas selon les conséquences associées à ce comportement. On parle dès lors de
conditionnement opérant. Ils sont renforcés lorsque leur réalisation, volontaire ou
non, s’accompagne de récompense. Ils s’oublient lorsqu’ils sont accompagnés
de déplaisir ou de punition, c’est l’extinction. Il en va de même pour la disparition
d’un comportement gênant : il disparaîtra si l’on découvre comment
déconditionner l’individu. Plus d’un système éducatif est basé sur de semblables
principes. Les diverses techniques psychothérapeutiques telles que l’exposition
sont basées sur ces principes théoriques. Cela représente la première époque
des thérapies comportementales.
Faire disparaître le symptôme gênant ou acquérir de nouveaux comportements
(via l’affirmation de soi, par exemple) constituent les visées essentielles du
traitement.
Néanmoins une seconde époque initiée par Beck et Ellis, insiste plus sur le volet
cognitif de l’individu en traitement. Quels sont les représentations, les idées et le
dialogue interne présent chez l’individu avant, pendant et après un événement
générant de l’inconfort. L’idée est de discuter ces « cognitions » par un dialogue
« socratique ». Ceci signifie amener la personne à prendre conscience des
éventuelles incohérences dans ses idées pouvant maintenir le problème. Le but
est d’aider la personne à se rendre compte du maintien possible du problème à
cause de ces cognitions (anticipations négatives : « je n’y arriverai jamais »,
abstraction sélective : « j’ai bafouillé sur un mot, je suis ridicule »). Par exemple,
une personne dépressive face à un échec lors d’un examen attribuera cela à son
manque d’intelligence. On parlera dans ce cas d’attribution interne (Rotter).
Cependant dans la situation inverse, en cas de réussite, il fera une attribution
externe, en expliquant cela par la chance et le hasard favorable des questions.
On peut dès lors déterminer certaines attitudes qui maintiennent et aggravent un
état pathologique. Le but du psychothérapeute sera d’aider le patient à prendre
conscience de ces pensées intrusives et automatiques et de tenter de les
modifier. L’auto-observation sera l’outil principal permettant le recueil de ces
pensées. Le psychothérapeute demandera à la personne de noter ses pensées,
VIII-10-
ses émotions et ses comportements de manière à pouvoir exploiter ces
informations comme matériel lors des séances.
Pour certains comportementalistes il faut donc prendre en compte les pensées et
les sentiments de la personne. C’est la globalité de la personne, au-delà de son
symptôme qui doit être prise en considération.
La thérapie comportementale vise donc à libérer d’abord le sujet du mauvais
conditionnement dont le symptôme est la trace en l’aidant à vaincre ses
difficultés par les voies de l’apprentissage ou en appréhendant différemment les
circonstances au cours desquelles le symptôme se manifeste. Par exemple,
l’entraînement à l’affirmation de soi peut permettre à une personne de modifier
ses manières habituelles de réagir. Un changement d’attitude pourra avoir des
répercussions sur l’environnement social de la personne. Le psychothérapeute
travaillera avec le patient pour l’amener à réaliser des expériences de
comportement en vue de dédramatiser les cognitions d’anxiété anticipative. Par
exemple, un individu présentant un style « passif », peut être bloquée par des
pensées du type : « Si je donne mon avis, mon chef va crier, je vais m’effondrer
et être viré ». L’idée sera de demander à la personne de donner son avis d’abord
dans une situation moins anxiogène pour expérimenter les réactions de l’autre et
les siennes. Cela se travaille généralement en séance par une discussion des
cognitions et par des jeux de rôle. La personne va jouer son rôle et le thérapeute
fera l’interlocuteur. L’inverse est possible également : les rôles sont échangés et
le patient bénéficie alors d’un apprentissage par modèle (Bandura).
Ce dernier exemple permet de montrer les trois volets essentiels de la thérapie
cognitive et comportementale. En situation, quelles sont les cognitions de la
personne (ce qu’elle se dit de l’événement, avant, après et pendant), quels sont
les comportements (ce qu’elle fait) et quelles sont ses réactions émotionnelles et
physiologiques (ce qu’elle ressent, par exemple : gorge nouée, souffle court,
mains moites). Le fait de d’articuler et de proposer des interventions à ces trois
niveaux peut montrer leur relations mutuelles. Par exemple, avec un sujet
phobique : 1) au niveau cognitif, on va discuter des pensées associées à
l’événement « Je vais paniquer, m’évanouir, crier, etc. » ; 2) au niveau
comportemental on va progressivement exposer le patient à l’objet/situation
phobogène, soit en imagination, soit in vivo ; 3) L’aspect physiologique peut être
abordé via des techniques comme la relaxation ou des exercices de respiration.
VIII-11-
L’aspect comportemental est bien souvent capital car plus facilement accessible
à la modification. De plus, il aura des répercussions sur les cognitions de la
personne.
Pour en revenir à l’exemple de l’individu passif, ce dernier peut, en société,
expérimenter une réussite lors d’un échange verbal en donnant son avis dans
une
discussion
(modification
comportementale).
Cette
réussite
sera
accompagnée de pensées différentes comme « Je suis capable tout compte
fait » versus « Je n’y arriverai jamais, taisons-nous »). L’aspect cognitif, quant à
lui, peut être abordé via le dialogue dit « socratique ». Le psychothérapeute et le
patient vont estimer les risques d’un changement de comportement et essayer
de déterminer quelle est la crainte fondamentale pouvant ne pas être verbalisée
au premier abord « Je ne donne pas mon avis en société, car j’ai peur d’être
critiqué et dès lors de perdre toute confiance et ensuite de perdre mes amis et de
finir seul et abandonné » (technique de la flèche descendante).
On peut observer que les comportementalistes font exclusivement appel aux
apprentissages comportementaux tandis que les cognitivo-comportementalistes
font aussi appel aux facultés cognitives (prise de conscience rationnelle des
comportements pathologiques) de leurs patients. C’est le dialogue du
psychothérapeute avec un patient, et parfois son accompagnement sur les lieux
qui
font
problème,
qui
sont
les
cadres
privilégiés
des
cognitivo-
des
thérapies
comportementalistes.
On
peut
identifier
un
troisième
mouvement
au
sein
comportementales. Il est représenté par les thérapies basées sur la pleine
conscience « mindfullness » inspirée des techniques de méditation (Kabat-Zinn ;
Teasdale), par la thérapie d’acceptation et d’engagement ACT (Hayes) ou
encore par la thérapie comportementale dialectique (Linehan). Ces différents
modèles proposent une approche, non pas de correction des cognitions (comme
la restructuration cognitive dans la thérapie cognitive), mais plutôt d’acceptation
des pensées comme étant d’éventuels événements pouvant parasiter les
comportements. En effet, face à une émotion perçue comme intolérable et
inacceptable, l’individu va tenter de supprimer cette émotion.
Or l’émotion se vit et est difficile à contrôler directement, de ce fait l’échec de la
suppression de l’émotion va avoir pour conséquence d’augmenter l’affect négatif
(Barlow & Allen ; Philippot). L’intervention thérapeutique visera plutôt à se
VIII-12-
focaliser sur l’événement présent (dans la pleine conscience) et à privilégier les
valeurs essentielles pour elle. Par exemple, un orateur lors d’une présentation
sur la psychothérapie laissera aller et venir ses pensées anxiogènes, sans tenter
de les supprimer, tout en se concentrant sur les valeurs essentielles pour lui,
comme la clarté et l’information.
Une approche généralement associée aux thérapies cognitivo-comportementales
est la pratique de l’entretien motivationnel (Miller & Rolnick ; Prochaska & Di
Clemente). Ce type d’entretien, développé à l’origine en addictologie, peut
facilement s’incorporer à d’autres domaines comme la médecine préventive
(tabacologie,
problèmes
cardio-vasculaires)
ou
à
d’autres
approches
psychothérapeutiques. Une des idées principales est que la motivation n’est pas
dichotomique (« Je suis motivé à… » versus « Je ne suis pas motivé à … »). Elle
est
plutôt
un
ensemble
d’états
pouvant
fluctuer.
L’individu
progresse
schématiquement au travers de différents stades. Ceux-ci sont : 1) la précontemplation, le sujet n’a pas conscience d’un problème « Consommer de
l’alcool en grande quantité ne m’est pas nuisible » ; 2) la contemplation, le sujet
peut envisager la possibilité d’un problème « Si je continue à boire beaucoup, je
vais avoir des problèmes de santé ou relationnels » ; 3) la préparation, la
personne envisage une action concrète pour modifier la situation « Je vais en
parler à mon médecin », « Je devrais diminuer ma consommation » ; 4) l’action,
la personne se rend chez son médecin, diminue sa consommation, élimine les
bouteilles d’alcool dans son environnement quotidien ; 5) le maintien, la
personne continue à appliquer les décisions prises et les changements de
comportement ; 6) La rechute, quant à elle, fait partie du processus et de
l’évolution de la motivation. Elle doit être travaillée en tant que telle et non
dramatisée.
Ces techniques d’entretien utilisent l’empathie plutôt que le conseil strict, mais
également la reformulation, le résumé et les questions ouvertes. L’ambivalence
de la personne face à un choix est exploitée (« J’aime fumer mais pourtant
j’envisage d’arrêter »). L’entretien motivationnel correspond tout autant à un
« style » d’entretien qu’à des techniques précises.
VIII-13-
5.
QUELQUES CONSIDERATIONS PRATIQUES
5.1 Formation du psychothérapeute
Sur la base d’un diplôme universitaire (psychologie, médecine, autre master
comme criminologie, orthopédagogie, sciences infirmières ou encore assistant
social A1), les formations théoriques et cliniques s’étendent généralement sur
une durée de 4 ans (Diplômes d’études spéciales et Master complémentaires
universitaires ou para-universitaires). Elles sont aussi assurées par les
associations de thérapeutes de la spécialité ou encore d’instituts dans le cadre
de la formation continue. Actuellement, il n’y a pas de reconnaissance officielle
du statut de « Thérapeute » de la part du ministère de la santé, mais elle est à
l’étude.
5.2 Coût
En Belgique, seules les psychothérapies prestées par les médecins sont
susceptibles d’un remboursement par l’INAMI. Le montant d’une consultation
individuelle de ¾ heure chez un psychiatre s’élève à 67.34 € (remboursement
de 51.30 € pour le patient ordinaire et de 60.93 € pour VIPO). Il existe
également une tarification pour les familles et les groupes. La prestation du
psychothérapeute-psychologue
fonctionnaires
de
la
n’est
Commission
pas
de
remboursée
l’U.E.
et
(sauf
certaines
pour
les
assurances
particulières). Elle s’élève à un montant de 30 à 60 € par séance individuelle.
Rappelons que dans les services de santé mentale une psychothérapie auprès
du psychologue peut, en principe, être menée gratuitement ou à un prix
modique adapté aux revenus du patient ou de sa famille.
Il n’existe pas pour le généraliste ou pour l’interniste spécialisé en
psychosomatique de remboursement spécifique de la psychothérapie qui
relève de la consultation normale (problème de la durée de la séance qui
excède le temps normal de consultation).
VIII-14-
5.3 Durée – Fréquence
Les thérapies cognitivo-comportementales sont souvent plus brèves : axées sur
la disparition du symptôme, elles peuvent se dérouler dans le cadre d’un
contrat préétabli de 10 séances. Souvent, elles doivent cependant être
prolongées, à raison d’une fois par semaine ou par 15 jours pendant 1 ou 2
ans.
Les thérapies familiales ont la fréquence le plus espacée : une fois par 15 jours
ou par mois, pendant une année ou plus. Certains accompagnements
« palliatifs » pour des maladies chroniques (alcoolisme, schizophrénie) peuvent
s’étendre sur de nombreuses années.
La psychanalyse « cure type » sur divan comprendra plusieurs séances par
semaine (2 à 5) pendant deux à plusieurs années. Les psychothérapies
d’inspiration analytique (face à face) se déroulent une fois par semaine ou par
15 jours pendant un à 2 ans.
Les psychothérapies de soutien, à visée symptomatique (aider le patient à
surmonter une épreuve psychologique) seront poursuivies à un rythme et pour
une durée résultant de l’estimation du besoin par le psychothérapeute et par le
patient.
5.4 Référer à un psychothérapeute
Pour le praticien, il est toujours délicat d’envoyer un patient chez un
psychothérapeute. Il convient d’être très clair, de connaitre ses limites et
pouvoir expliquer les objectifs réalistes d’un tel traitement. Il sera plus facile
d’envoyer chez un psychothérapeute que le praticien connait personnellement
(coût, accès, méthode, expérience positive motivante, …), de pouvoir donner le
choix entre un homme et une femme, entre différents âges, différents styles
(type social) etc.… Pratiquement, la palette de choix n’est pas infinie dans une
région, mais il est important que le patient sache que l’on peut rechercher un
autre thérapeute si le premier ne convient pas. Pour pouvoir commencer un
travail en profondeur sur son intimité, il faut un minimum de sympathie et de
confiance envers le thérapeute consulté.
Ensuite, il est vivement conseillé de maintenir un contact régulier avec le
patient après le début de la psychothérapie. Le médecin reste le référent
général pour son patient (parfois pour discuter avec lui des doutes
VIII-15-
transférentiels éveillés par le thérapeute) et éventuellement il devra poursuivre
la prescription de la médication psychotrope (soit que le psychothérapeute n’est
pas médecin ou encore que comme psychiatre-psychothérapeute, il ne
souhaite pas assumer les prescriptions).
6.
CONCLUSIONS
a. Les différentes hypothèses et méthodes qui portent leurs fruits spécifiques,
mènent à penser que chacune a sa part de vérité, autrement dit, sa part
d’adéquation au réel de la difficulté du patient. Freud lui-même ne voulait pas
réduire tout symptôme au statut d’effet de déterminants inconscients. Dans
certains cas, ceux-ci sont prédominants (névrose), dans d’autres cas, c’est le
système familial (exacerbation de psychose juvénile ou tentative de suicide)
dans lequel le sujet est inséré qui joue le plus grand rôle pathogène, dans
d’autres cas enfin, le processus d’apprentissage et de renforcement du
comportement (alcoolisme d’entraînement) auront été les plus déterminants.
Dans un certain nombre de cas, les trois registres peuvent très bien avoir
œuvré de concert ou successivement. Il n’y a pas de raison de penser que la
vie psychique serait plus simple et soumise à un nombre plus restreint de
déterminants que la vie organique. L’erreur de plus d’un psychothérapeute
consiste à penser que seuls sont vrais les déterminants dont il a appris à
connaître les mécanismes de fonctionnement.
b. Par ailleurs, les psychothérapeutes ne doivent pas négliger l’incidence
possible des déterminants organiques de certains troubles psychiques
(schizophrénie – dépression), même si la même personne ne peut pas
cumuler tous les rôles (par exemple celui de prescripteur de médicament et
de psychothérapeute, surtout psychanalytique).
c. Enfin, la diversité des buts ne peut pas être perdue de vue. Une chose est la
simple disparition du symptôme, autre chose est la transformation préalable à
la guérison des relations d’un système, autre chose est encore la modification
préalable des rapports d’un sujet à ses pensées inconscientes.
Le choix de l’orientation psychothérapeutique devient sur ce point un choix
éthique personnel.
d. Tout ceci est évidemment très schématique. Pour de plus amples
informations, on se référera notamment aux lectures conseillées.
VIII-16-
7.
ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
1.
Les psychothérapies en général
-
DURUZ N. et GENNART M. : Traité de psychothérapie comparée.
Ed. Médecine et Hygiène, Genève, 2002.
(Un excellent ouvrage qui donne un vaste aperçu de l’ensemble des
psychothérapies)
-
ISRAEL Lucien : L’hystérique, le sexe et le médecin.
Masson-Paris 2001
(Médecine générale, sexualité et psychothérapie)
2.
La psychanalyse
-
Cardinal, Marie : Les mots pour le dire, Poche 4887, Grasset, Paris,
1977
(roman
autobiographique
décrivant
le
décours
d’une
psychanalyse)
-
Robert, Marthe : La révolution psychanalytique, la vie et l’œuvre de
Freud. Paris, Payot, 1964 (réédition Poche 2002)
(un classique pour aborder l’œuvre de Freud à partir de sa biographie)
-
Freud, Sigmund : Cinq psychanalyses. PUF, Paris (réédition brochée
2010)
(description clinique de cinq cas étudiés par Freud lui-même).
3.
Les thérapies systémiques
-
Onnis
L.
Corps
et
contexte.
Thérapie
familiale
des
troubles
psychosomatiques Ed. Fabert 2009 (140 p).
-
Elkaïm M. Si tu m’aimes, ne m’aime pas. Ed. Point (Poche) 2001 (219 p).
-
Watzlawick P. et coll : une logique de la communication coll Points n°102
Seuil-Paris (original en anglais : 1967) (280 p).
4.
Les thérapies comportementales
-
Cottraux, J. Les thérapies comportementales et cognitives,
Editions Masson, 2004.
-
Cottraux, J. Thérapie cognitive et émotions : La troisième vague,
VIII-17-
Editions Masson, 2007
-
Miller, R. W. & Rollnick S. L’entretien motivationnel : Aider la personne à
engager le changement. InterEditions, 2006.
VIII-18-
ANNEXES
1. M.M.S (E)
2. Hamilton Depression
3. Hamilton Anxiété
4. CAGE
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