Université catholique de Louvain Faculté de Médecine PSYCHIATRIE GENERALE DE L’ADULTE J.P. ROUSSAUX et Ch. REYNAERT 2012 TABLE DES MATIERES 2012 INTRODUCTION Ière partie : CLINIQUE GENERALE Chap I Troubles psycho-organiques 1. Troubles psycho-organiques acquis 1.1. La confusion mentale aiguë (delirium) 1.2. Troubles psycho-organiques chroniques et les démences 2. Le retard mental Chap. II Troubles psychopathologiques 1 Troubles de l’humeur 2. Troubles psychotiques 2.1 Les bouffées délirantes 2.2 Le groupe des schizophrénies 2.3 La paranoïa 3. Troubles névrotiques et anxieux 3.1 Introduction 3.2. L’apport de la psychanalyse dans l’approche des troubles névrotiques et anxieux 3.3 Les entités nosographiques 4. Troubles de la personnalité 1. Introduction 2. Les personnalités pathologiques dérivées de la psychose 3. Les personnalités pathologiques dérivées de la névrose 4 Les états limites ou border-line 5 Les personnalités anti-sociales (psychopathie) Chap III Trouble des conduites 1. Assuétudes 1.1. Généralités 1.2. Troubles liés à l’utilisation de l’alcool 1.3 .Troubles liés à l’utilisation des drogues illicites 1.4. Troubles liés aux abus de médicaments 2. Troubles des conduites alimentaires 3. Troubles sexuels Chap IV Les troubles psychosomatiques IIème partie : QUESTIONS SPECIALES Chap V. Suicide et tentatives de suicide Chap VI Internement non-volontaire Chap VII Troubles psychopathologiques de la périnatalité Chap VIII Psychothérapies Annexes : - M.M.S.E. Hamilton depression Hamilton Anxiété CAGE (alcool) INTRODUCTION 2012 Ce syllabus collectif est destiné à l’étude de la psychiatrie générale de l’adulte, à l’intention des étudiants en médecine. Il est aussi utilisé comme outil de référence en psychologie, criminologie et en soins infirmiers psychiatriques. La base de la matière – la psychiatrie clinique – peut être exposée à partir d’un texte commun. Néanmoins si la partie diagnostique concerne tous les étudiants, les futurs médecins et infirmiers seront plus attentifs aux parties thérapeutiques, tandis que les futurs psychologues et criminologues s’intéresseront davantage aux aspects psychopathologiques. Certains aspects seront davantage développés dans des cours à option spécifiques dans chaque faculté ou école. La psychopharmacologie fait l’objet d’un syllabus séparé. Notre démarche essentiellement clinique, considère chaque troubles selon la perspective biopsychosociale. La structuration de l’ouvrage correspond à une inspiration psychodynamique tout en tenant compte de l’usage clinique francophone prépondérant ainsi que de la nosographie contemporaine internationale (DSM IV ou CIM 10). De nombreuses classifications des maladies mentales sont possibles suivant les objectifs recherchés, les situations et les références théoriques. Notre objectif est que l'étudiant puisse se familiariser avec diverses approches nosographiques qu’il devra maîtriser par la suite, que ce soit dans la lecture d’articles de recherche ou dans l’échange clinique multidisciplinaire. Les classifications utilisées peuvent s’inspirer d’objectifs structurels, symptomatiques, thérapeutiques, statistiques ou neuro-biologiques. Outre les facteurs historiques et culturels, cette diversité des points de vue explique la variété des classifications en psychiatrie et constitue une difficulté objective à l’étude de cette discipline.. Il s’agit ici de la 10ème édition du syllabus. Nous nous excusons par avance des éventuelles erreurs (de détails), omissions, obscurités que pourrait comporter ce texte. Nous serions reconnaissants aux étudiants de nous faire part de leurs remarques et suggestions d’améliorations pour la prochaine édition. Un formulaire anonyme leur sera remis à cet effet à l’examen final de la session de juin. En complément des références bibliographiques spécifiques qui suivent chaque chapitre, nous pouvons recommander de se reporter aux ouvrages psychiatriques bibliothèque. 1) Psychopathologie de l’adulte Q. Debray et al, Masson, 1998 et rééd. 2) Cas Cliniques H. Loo et J.P. Olie Ed. Médecine-Sciences - Flammarion 0 - 1 –1 suivants, disponibles en 3) Introductory Textbook of Psychiatry Andreansen N.C. et Black D.W. A.P.A. 2001 4) Abrégé de Psychiatrie de l’adulte Th. Lemperiere et A. Feline Masson 1993 et rééditions 5) D.S.M. IV A.P.A. 1994 – Trad. Franç. Dunod 1996 (la version Mini est recommandée pour le 2ème cycle). Actuellement une version DSM IV Text Revised est disponible depuis 2000. 6) Classification Internationale des Troubles Mentaux et des Troubles du comportement C.I.M. 10 – OMS Masson 1993 7) Vocabulaire de Psychanalyse J. Laplanche et J.B. Pontalis P.U.F. 1989, réédité en poche 8) Synopsis of Psychiatry (7th edition) Kaplan H.I., Sadock B.J., Grebb J.A. Williams and Wilkins 1994, réédité Existe aussi en traduction française. 9) Psychiatry for medical students R.J. Waldinger American Psychiatric Press 1977 10) Essential Psychomarmacology (2e Ed .) S.M. Stahl Cambridge University Press, 2000 Enfin, les œuvres littéraires, théâtrales et cinématographiques décrivent minutieusement des destins qui constituent des exemples frappants de troubles psychiques, ce qui permet de dépasser l’abstraction du tableau clinique. Citons pour les romans : - L’idiot, les Frères Karamazov (F. Dostoïevsky) - La peau de chagrin (H. de Balzac) - Le livre brisé (S. Doubrowski) - L’assommoir (E. Zola) - Au-dessous du volcan (M. Lowry) … Pour le cinéma : - Vol au dessus d’un nid de coucou (M. Forman) - La Femme de ma vie (R. Warnier) - Un ange à ma table (J. Campion) - Répulsion, Le locataire, Lune de fiel. (R. Polanski) - Breaking the Waves (L. von Trier) - Family life . Lady bird. My name is Joe. (K. Loach). - A beautiful mind – un homme d’exception (R. Howard) - Spider (D. Cronenberg) - Girl, interrupted – Une vie volée (J. Mangold) 0 - 1 –2 - Shutter Island (M. Scorsese) Sans queue ni tête (J. Labrune) The note book (N’oublie jamais) (N. Cassavetes) Pour le théâtre : - Hamlet, Othello, MacBeth (Shakespeare) - L’amante anglaise (M. Duras) - Le Misanthrope (Molière) - Qui a peur de Virginia Woolf (H. Pinter) 0 - 1 –3 1 ère partie Clinique générale CHAP 1 LES TROUBLES PSYCHO-ORGANIQUES 2012 1. TROUBLES PSYCHO-ORGANIQUES ACQUIS Ces tableaux pathologiques sont les versants d'une décompensation organique cérébrale, sur le mode AIGU (CONFUSION) ou CHRONIQUE (DEMENCE).Si l'appellation de "syndromes psycho-organiques" implique la notion de perturbations psychiques et organiques, elle a généralement été comprise dans le sens d'une étiologie organique plus ou moins évidente par opposition aux "syndromes psychosomatiques". La tendance actuelle est moins dichotomique et tendrait à considérer une origine multifactorielle. 1.1 CONFUSION MENTALE AIGUE (Delirium) 1.1.1. Synonymes Delirium - Acute Brain Syndrome - Syndrome psycho-organique aigu. Il faut noter que le terme de "delirium" en usage chez les anglo-saxons se traduit par « confusion mentale » : on retrouve encore cette signification dans l'expression delirium tremens, correspondant à l'état confusionnel accompagnant le sevrage alcoolique. Le terme de « délire » se traduit plutôt par « delusion » dans la littérature psychiatrique anglo-saxonne. 1.1.2. Définition a) Il s'agit d'un trouble aigu, le plus souvent réversible, constitué par un obscurcissement de la conscience : il atteint donc la capacité d'être présent au monde, aux autres et à soi-même. L'obnubilation de la conscience entraîne secondairement des troubles de l'attention, de la mémoire et une désorientation dans le temps et dans l'espace. Cette fermeture aux influences de l'environnement peut aller jusqu'à la stupeur. b) Cet état s'accompagne souvent d'une dimension oniroïde avec agitation. Ce délire, proche du rêve nocturne comporte surtout des hallucinations visuelles dont les contenus sont le plus souvent désagréables, voire monstrueux (par ex.: animaux effrayants ou "zoopsies" dans le delirium tremens). Le discours est décousu, émaillé de persévérations (répétitions). I-1-1 c) Les signes physiques sont constants: fièvre, tachycardie, déshydratation... Les perturbations du rythme veille/sommeil sont fréquentes avec somnolence diurne et agitation nocturne. Le D.S.M.IV propose les critères suivants: A. Perturbation de la conscience avec diminution de la capacité à mobiliser, focaliser ou déplacer l'attention. B. Modification du fonctionnement cognitif (déficit de la mémoire, désorientation, perturbation du langage) ou bien survenue d'une perturbation des perceptions, qui n'est pas expliquée par une démence pré-existante. C. La perturbation s'installe en un temps court (habituellement quelques heures ou quelques jours) et tend à avoir une évolution fluctuante au cours de la journée. D. Mise en évidence, d'après l'histoire de la maladie, l'examen physique, ou les examens complémentaires que la perturbation est due aux conséquences d'une affection médicale. 1.1.3. Etiopathogénie Tout facteur susceptible d'affecter l'homéostasie psycho-organique peut contribuer au développement d'une confusion mentale. a) Facteurs somatiques : En pratique, toute cause interne qui va perturber le fonctionnement cérébral - intoxications endogènes: troubles métaboliques, endocriniens ou rénaux. - étiologies neuro-méningées: crises d'épilepsie, A.V.C., traumas, méningites... - étiologies infectieuses, cardiaques, respiratoires, etc . . . Chez une personne à l'homéostasie cérébrale fragile, une étiologie aussi banale qu'une rétention urinaire ou une déshydratation peut déclencher un état confusionnel. b) Facteurs médicamenteux et toxiques exogènes : - Sevrage ou surdosage de sédatifs ou d’alcool. Le delirium tremens du sevrage alcoolique est un type particulièrement dangereux et fréquent de confusion mentale, parfois associé à d’autres encéphalopathies alcooliques. - Les intoxications "accidentelles" ou professionnelles (solvants, insecticides, champignons...) ainsi que des intoxications médicamenteuses, en particulier chez les personnes âgées fragilisées sur le plan organique. I-1-2 Etiologies psychiatriques et facteurs psychosociaux - Il n'est pas exceptionnel, particulièrement chez le vieillard, qu'aucune étiologie organique ne puisse être mise en évidence. Une bouffée confusionnelle peut survenir brusquement, le plus souvent sur une personnalité considérée comme fragile, à la suite soit d'une émotion vive, d'un violent traumatisme psychologique (décès d’un conjoint) ou d'une catastrophe (accident d’autocar...) 1.1.4. Evolution clinique La confusion est un syndrome aigu, potentiellement létal. Auparavant, les décès étaient d'ailleurs fréquents au cours du délirium tremens. - Actuellement, l'évolution la plus fréquente se fait vers la récupération, en quelques jours à quelques semaines, pour autant que l'affection déclenchante soit réversible. Cependant, la confusion reste un syndrome grave dont l' évolution peut être fatale en particulier chez le vieillard. - Après rémission, il persiste souvent une amnésie lacunaire. 1.1.5. Traitement - L'hospitalisation sera le plus souvent nécessaire (surveillance et recherche de l'étiologie). Le patient doit rester dans une atmosphère calme, un endroit bien éclairé, le jour et la nuit. - assurer l'hydratation, si possible par voie orale, et le traitement de l'affection déclenchante. - utilisation modérée de sédatifs, en fonction de l'agitation. En cas de sevrage d'alcool ou de benzodiazépines, thérapeutique substitutive (benzodiazépines, Distraneurine,...) 1. 2.- Les troubles psycho-organiques chroniques et les démences Le terme de démence est un terme qui date du XIXème siècle pour évoquer tout affaiblissement mental. Esquirol disait: "L'homme en démence est privé des biens dont il jouissait autrefois. C'est un riche devenu pauvre..." . Il s'agissait donc d'une détérioration acquise après la naissance (en pratique après 18 ans) de toutes les composantes de la vie psychique (fonctions symboliques). On considérait la démence I-1-3 comme un trouble chronique le plus souvent irréversible et on distinguait une démence présénile (avant 65 ans) de la démence sénile (après 65 ans). Actuellement, on considère la démence comme un syndrome psycho-organique détériorant progressivement le fonctionnement psychique et le personnalité du sujet. Ce syndrome peut être causé par de multiples affections. On parlera d'ailleurs de divers syndromes démentiels dont certains peuvent être plus ou moins réversibles (environ 10 à 15% des cas). La distinction liée à l'âge (présénile ou sénile) perd de son importance par rapport aux distinctions étiologiques. 1.2.1. Etiologie - Epidémiologie 1.2.1.1 Démences dégénératives Ces démences sont actuellement irréversibles et d'origine encore mal connue en particulier leurs facteurs génétiques. a) démences corticales (troubles des fonctions symboliques) . maladie d'Alzheimer (45 % des démences au-delà de 65 ans, 65% si on considère les formes mixtes) caractérisée par les plaques séniles dégénératives (description par Alzheimer en 1906). On estime la prévalence de la maladie d’Alzheimer à 5 % pour l'ensemble des personnes âgées (plus de 65 ans) avec un accroissement régulier jusqu’à 20 % à 80 ans. La maladie semble connaître un pic d'incidence vers 80-85 ans pour décroître ensuite. . maladie de Pick : atrophie fronto-temporale, ayant un facteur génétique plus marqué et se manifestant plus précocement (pic vers 60 ans). Manifestations comportementales (désinhibition). b) démences sous-corticales (ralentissement et troubles moteurs) . démence accompagnant parfois la maladie de Parkinson. . chorée de Huntington : maladie rare d'origine génétique autosomiale dominante 1.2.1.2. . Les Démences vasculaires (très partiellement réversibles) démences vasculaires (multi-infarct dementia et encéphalopathie de Binswanger) sont attribuables à l'hypertension artérielle ou au diabète, et sont souvent accompagnées d'atteintes périphériques cardiaques ou claudication intermittente). I-1-4 d'artériosclérose: troubles - Elles représentent 20 % des causes de démences, 40 % si on considère les démences d’origine mixte: vasculaire et dégénérative primaire. 1.2.1.3. Autres causes de syndromes démentiels (plus souvent réversibles) Un moyen mnémotechnique pour retenir ces causes de syndromes psychoorganiques pouvant prendre une allure pseudo démentielle : l'anagramme DEMENTIA D Drogues : benzodiazépines, barbituriques, anticholinergiques, antihistaminiques... E Entendre (Ears, Eyes): mauvaise audition et mauvaise vision M Métabolisme: affection endocrinienne (dysthyroïdie, diabète), troubles hydroélectriques... E Emotions: dépression, régression, symptômes psychotiques... N Nutritionnelle : déficience en thiamine (B1) du syndrome de Korsakoff, vitamine B 12 ou acide folique T Toxiques: aluminium, métaux lourds Trauma: hématome sous-dural, hydrocéphalie à basse pression de l’adulte Tumeurs cérébrales I Infections : syphilis, tuberculose cérébrale, SIDA A Artériopathie: cardiopathies (arythmies, décompensation...) 1.2.2. Symptômes et évolution L'évolution peut être fort différente suivant l'étiologie. Le tableau 1 permet de distinguer entre démence corticale et sous-corticale I-1-5 Tableau 1. DISTINCTION CLINIQUE ENTRE LES DEMENCES CORTICALES ET SOUS-CORTICALES Caractéristiques Démence sous-corticale Démence corticale Fonctions mentales Langage Mémoire Processus de pensée Personnalité Affect Motricité Parole Posture Equilibre Vitesse Mouvements anormaux Intact Oubli, difficulté à se souvenir Lent Apathique Dépressif Aphasie Amnésie, difficulté à apprendre Vitesse normale Euphorique ou indifférente Normal Dysarthrique Anormale Anormal Réduite Fréquents (chorée, tremblements, rigidité, Normale* Normale* Normal* Normale* Absents ataxie) Anatomie pathologique Cortex Ganglions de base Neurotransmetteurs Epargné Atteints GABA et dopamine Atteint Epargnés acétylcholine Le tableau 2 distingue la démence vasculaire de la maladie d'Alzheimer. DISTINCTION CLINIQUE ENTRE LA DEMENCE VASCULAIRE ET LA MALADIE D’ALZHEIMER Caractéristiques Démence vasculaire Début Evolution Antécédents personnels Soudain Atteinte cognitive Affect Examen neurologique En escalier Hypertension artérielle Athérosclérose Accident vasculaire cérébral Focale et non homogène Labilité émotionnelle Signes focaux Maladie d’Alzheimer Graduel Lente et progressive Non spécifiques Vitesse normale Euphorique ou indifférente Homogène et globale Anxieux, puis plat Signes symétriques non localisateurs La maladie d'Alzheimer se caractérise par une évolution lentement progressive (8 à 10 ans en moyenne) débutant par des troubles mnésiques et de la désorientation spatiotemporelle. Au stade avancé, les grandes fonctions symboliques sont atteintes: aphasie, apraxie, agnosie. Le patient présente alors des troubles des conduites (inversion du rythme veille/sommeil, saleté, négligence, incontinence) ainsi que des complications psychiatriques: délire, hallucinations, dépression grave... Dans la maladie d'Alzheimer probable, plusieurs stades peuvent être distingués selon une échelle G.D.S. (Global Deterioration Scale, Reisberg, 1982) en fonction de l'atteinte de certaines fonctions. I-1-6 Les niveaux 1 et 2 correspondent au vieillissement normal (plaintes subjectives) Le niveau 3 est incertain (syndrome amnésique sénile) car il commence à y avoir des signes objectifs. 20% de ces personnes vont évoluer vers une maladie d'Alzheimer. Le niveau 4 correspond à un Alzheimer probable (démence légère). Les 10 signes proposés par l'Association Alzheimer américaine tendent à se retrouver : 1. Perte de la mémoire immédiate avec effet sur les relations sociales ; diminution d'abord pour les noms propres et les événements récents (mémoire de fixation). 2. Problèmes dans les activités quotidiennes. 3. Problème de langage: manque de mots, aphasie, 4. Désorientation spatiale et temporelle. 5. Erreurs de jugement. 6. Problèmes de pensée abstraite. 7. Mauvais rangement des objets. 8. Changement d'humeur ou de comportement: dépression, colère, attitude puérile, incontinence affective 9. Changement de personnalité. 10. Perte de l'esprit d'entreprise. Le niveau 5 (démence modérée) confirme cette évolution. Les niveaux 6 et 7 (démence sévère) imposent souvent l'entrée en institution. Tableau 3 : Evolution (GDS : Global Deterioration Scale) Niveau GDS Déclin cognitif 1. Concenttation et calcul 3 Léger 100-7... 2. Mémoire récente 3. Mémoire ancienne “ 4 Net 40-4... 5 Marqué 20-2... 6 Majeur Incompréhens ion de la tâche 7 Perte totale Stupeur Souvenirs partiels Incertitude :adresse, année, chef d’état temps Oublis marqués : nom des écoles Désorientation temporelle et spatiale Très rares souvenirs Aucun souvenir “ (parfois pays, métier,...) Oublis majeurs : année, lieu, nom des proches Assistance ADL . nourriture . habillage . toilette . incontinence Réponses en peu de mots. Mot pour un autre. Persévération “ “ (le conjoint se souvient mieux) Erreurs nettes dans le temps (mois) 4. Orientation Petites erreurs dans le temps (date ou heure) 5. Fonctionnement quotidien Difficultés d’apprentissag e . travail . voyage Erreurs : . finances . invitations . commerce Assistance légère : choix des vêtements activités domestiques Quelques manques de mots Diminution de verbalisation ou confabulations Pauvreté du langage Périphrases 6. Langage Perte totale : identité du conjoint, identité propre Assistance continue Perte totale : . mot unique . écholalies . cris L’évolution est plus souvent irréversible. Néanmoins à un stade précoce, une stabilisation peut être atteinte. Les cas d’emblée très graves ont plus souvent un I-1-7 mauvais pronostic vital. 1.2.3. Diagnostic différentiel chez le vieillard Essentiellement entre la confusion (tableau n° 4) e t la démence, mais également vis-àvis de la dépression grave, qui peut présenter un tableau de pseudo-démence (tableau n° 5). Tableau 4 : Distinction clinique entre la démence et la confusion mentale Démence Confusion mentale début insidieux décours chronique, détérioration progressive, irréversible niveau de conscience bien conservée au début niveau de vigilance normal au début atteinte élective de la mémoire immédiate début brutal décours aigu, réversible obnubilation de la conscience d'emblée agitation ou stupeur difficulté à tester Tableau 5 : Diagnostic différentiel entre dépression et démence Dépression Démence Début aigu insidieux Préoccupation de la famille souvent (à cause du changement vague brutal) durée des symptômes brève longue Evolution (dégradation) rapide lente Antécédents personnels fréquente - Plaintes exagération dénégation (pour garder la façade, il cache) tests cognitifs (8 x 13) mauvais mauvais attitude “je ne sais pas” essai acharné survenue d’un plateau dans oui non (dégradation constante et l’évolution : récente progressive) mémoire bien conservée récente : pertes nettes dyspraxie, agnosie non oui problème de langage non oui traitement antidépresseur amélioration au bout de deux peu de résultats, parfois même semaines aggravation I-1-8 2.5. Traitement - conserver dans un milieu familier le plus longtemps possible. Au stade 4 et 5, des soins à domicile peuvent être suffisants. Au stade 6 et 7, il est le plus souvent nécessaire de conseiller l'institution spécialisée pour protéger le reste de la famille: l'accompagnement doit être continu. - si possible traitement étiologique (hypertension, diabète, infection, ...) - au stade léger et modéré, intérêt de la mobilisation psychique. Mettre en contact avec la ligue Alzheimer. Envisager un mandataire ou une mesure de protection des biens. - si nécessaire, antidépresseur SSRI (Cipramil par ex.), sédation très prudente et restauration du rythme veille/sommeil (Trazolan, p.ex.) - traitement médicamenteux symptomatique de la maladie d'Alzheimer : les inhibiteurs de la cholinestérase : donepezil (Aricept); rivastigmine (Exelon), gallontamine (Reminyl). Ces traitements s’avèrent encore d'efficacité limitée mais retardent certainement la dégradation irréversible due à la maladie. I-1-9 2. LE RETARD MENTAL 2012 2.1 DEFINITION Le retard mental affecte un individu chez qui l’on constate une lenteur importante du développement de l’intelligence et des compétences sociales, et donc, à chaque étape de la vie, un niveau inférieur de leur fonctionnement par rapport à la moyenne de la population. Par définition, le dysfonctionnement doit s’être installé significativement avant l’âge de 18 ans. Quelques commentaires 1. L’intelligence et le Q.I. Il existe une diminution de rendement importante de beaucoup de fonctions constitutives de l’intelligence, notamment de celles que l’on considère comme les plus fines ; abstraction ; induction de lois ; créativité ; raisonnement.... Cette diminution est appréciée cliniquement et psychométriquement. Le quotient intellectuel s’obtient en divisant l’âge mental mesuré par l’âge réel du sujet. L’âge mental s’obtient en se référant à des tables qui transforment les points obtenus au test en nombres de mois ou/et d’années. Les tests ont été construits de telle manière que la moyenne de la population obtienne le résultat 100. Q.I.= AgeMentalMesuré x100 AgeRéel Pour un enfant surdoué qui réalise, à l’âge réel de 12 ans, les tests normalement attendus à l’âge de 18 ans (p. ex. baccalauréat) on obtiendra un Q.I. de (18 : 12) x 100 = 150. Par contre, un enfant retardé mental de 12 ans qui ne peut pas encore lire (normalement possible à 6 ans) aura un Q.I. de (6 : 12) x 100 = 50. 2. Les compétences sociales de façon variable, selon les âges de la vie et les cultures, on attend de chacun : - qu’il ne pèse pas trop sur ses groupes sociaux d’appartenance : autonomie des gestes quotidiens (s’habiller... prendre le bus) ; autodétermination de projets (p. ex. les loisirs) ; performances adaptées en milieu scolaire et professionnel ; I-2-1 - qu’il participe à la vie sociale : place positive prise dans le groupe ; responsabilité sociale, etc.... Toutes ces fonctions sont défaillantes chez la personne qui a un retard mental, mais pas toujours de façon homogène. 3. Installation significative avant l’âge de 18 ans si une limitation intellectuelle et sociale diffuse s’installe après cet âge, on doit parler de démence. Cependant, lorsque le problème fait suite à un traumatisme (p. ex. accident de roulage), on préférera souvent éviter le terme de démence et invoquer une « détérioration mentale post-traumatique » ou un « syndrome psycho-organique chronique » ou encore parler de « patients cérébro-lésés avec troubles du comportement ». Par ailleurs, le D.S.M.-IV pose le diagnostic double de retard mental et de démence chez le mineur d’âge lorsqu’une agression physique (traumatisme, infection...) survient après l’âge de stabilisation du Q.I. (+ 4 ans) et vient altérer de façon significative et largement irréversible les fonctions intellectuelles et les aptitudes sociales déjà acquises. 4. La personnalité peut fonctionner en bonne concordance avec le niveau de développement cognitif atteint (« retard harmonique »), ou présenter des troubles en dissociation avec celui-ci (« retard dysharmonique »). 5. Les termes « retard mental » et « handicap mental » ne sont pas synonymes. Le handicap, c’est la conséquence des problèmes fonctionnels lorsqu’ils s’expriment dans le monde social : c’est le désavantage résultant de la rencontre de la personne dysfonctionnant et des attentes sociales. Il est éventuellement réductible par l’éducation spécifique de la personne et le réajustement des demandes sociales (milieu protégé). En résumé, il faut définir le handicap mental comme retard mental en situation sociale. Nous adopterons la définition de l’American Association for Mental Retardation : Le handicap mental (H.M.) désigne un état de réduction notable du fonctionnement actuel d’un individu. Il se caractérise par un fonctionnement intellectuel significativement inférieur à la moyenne, associé à des limitations dans au moins deux domaines du fonctionnement adaptatif : communication, soins corporels, compétences domestiques, I-2-2 habiletés sociales, utilisation de ressources communautaires, autonomie, santé et sécurité, aptitudes scolaires, loisirs et travail 2.2. ETIOPATHOGENIE 2.2.1 L’ETIOLOGIE A. Facteurs somatiques (40 %) a) origine prénatale 1. Génétique : - syndrome de Down (mongolisme ou trisomie 21) - syndrome de Klinefelter (xxy) - syndrome du x fragile - phényl-cétonurie 2. Agression intra-utérine b) origine périnatale c) origine post-natale - syndrome alcoolo-fœtal - infection (rubéole, cytomegalovirus) - malnutrition - accident anoxique, prématurité extrême - infection (herpès) - hypothyroïdie - infections cérébrales (méningite – encéphalite) - traumatismes cérébraux B. Facteurs psychosociaux (20 %) Un environnement intensément et longuement défavorable, surtout dans la toute première partie de la vie de l’enfant, peut finir par provoquer un R.M., qui reste léger dans la majorité des cas, mais néanmoins définitif. C’est la conséquence de la longue sous-stimulation intellectuelle et de la déprivation émotionnelle, ou parfois du franc rejet, dont l’enfant est l’objet. Ces circonstances se trouvent chez les mères malades mentales non assistées, dans les situations très précaires de guerre ou d’émigration. I-2-3 C. Origine actuellement inconnue (40 %) 1. Un nombre relativement élevé de R.M., surtout légers, reste actuellement d’origine mystérieuse : entre 20 et 40 % selon les auteurs. - Pour certains d’entre eux, on pourrait avoir affaire à la simple distribution polygénique de l’intelligence : les personnes concernées sont à l’extrême la plus défavorable d’une courbe de Gauss, et ont dépassé vers le bas la frontière arbitrairement définie du Q.I. 70 ; - Pour d’autres, on découvrira probablement des micro-traumatismes chromosomiaux, des maladies génétiques, ou encore des agressions intrautérines non décelées. C’est le plus probable lorsque l’on constate aussi des modifications anatomiques (microcéphalie) 2. L’autisme, et certaines psychoses infantiles précoces, s’accompagnent souvent d’un retard mental dont il est difficile de dire : - s’il s’agit d’un artefact, la personne étant très malaisément testable ; - s’il fait partie de la maladie dès l’origine ; - s’il est la conséquence des difficultés d’apprentissage et d’insertion sociale de la personne. 2-2-2 LA PATHOGENIE A. Lorsqu’il y a atteinte somatique, son extension n’est pas le déterminant exclusif du déficit du fonctionnement cérébral. En effet, le cerveau humain est capable de produire des circuits fonctionnels compensatoire d’autant plus qu’il y sera stimulé pas un environnement de qualité. Un accident à la naissance dans un milieu culturellement pauvre sera donc plus lourd de conséquences que le même accident survenant dans un milieu apportant les stimulations adéquates. A égalité d’atteinte primaire du tissu cérébral, et en référence entre autres à la qualité de la vie et de l’environnement, la trisomie du 21 peut produire un adulte harmonieux au retard modéré vivant en famille ou, au contraire, un adulte automutilateur, agressif au retard sévère et confirmé en institution.. B. Inversement, même lorsque l’étiologie est environnementale, il peut s’ensuivre à la longue une certaine atteinte cérébrale pas nécessairement réversible (pauvreté des connexions et spécialisations neuronales). I-2-4 C. Les lésions ou dysfonctions cérébrales existantes ainsi qu’un mode relationnel particulier entre l’entourage et la personne R.M. conduisent à une organisation particulière de l’intelligence et de la personnalité de celle-ci : chez beaucoup, nondéveloppement de la curiosité et l’envie de comprendre ; «dépendance des « objets premiers » c’est-à-dire d’images parentales archaïques (« Maman m’aime et est toute-puissante... si je suis sage, c’est la félicité... sinon, la vengeance peut être terrible ») ; passivité . Une minorité de personnes R.M. évoluent davantage, mais sans dépasser la première phase de l’organisation psychique œdipienne : guère d’identifications fines, vraiment intériorisées, à une image d’adulte à la fois rival et investi. Une petite minorité évolue suffisamment pour s’attacher progressivement à un partenaire du même âge. D. Conscience du handicap : le jeune handicapé, surtout adolescent, perçoit souvent, ses différences morphologiques éventuelles, et surtout ses différences de performances, ses « ratages » par rapport à la moyenne des autres. Il perçoit également quelque chose du vécu de son entourage à propos de sa personne. Son image de soi peut en être altérée ! Il s’ensuit souvent une phase de blessure narcissique, de dépression, de vague agressivité dirigée contre le destin et l’entourage : E. Agressivité : vu la dépendance aux parents, la personne R.M. ressent souvent son agressivité comme interdite et la refoule. Ce refoulement contribue à expliquer la passivité de beaucoup de personnes R.M., qui a la valeur d’une formation réactionnelle. Ailleurs, l’agressivité s’exprime encore de loin en loin, indirectement, dans un acte manqué. Ailleurs encore, elle ne se refoule pas, et le caractère devient difficile, avec beaucoup d’affrontements à l’entourage. F. Acceptation ou déni de la différence : Au fil du temps, ces sentiments pénibles continuent à se vivre tels quels ou à s’aggraver chez une minorité mais la majorité finit par se donner une perception plus nuancée de soi, qui intègre également la prise en compte des richesses humaines existantes. Quelques-uns refoulent et dénient la perception de leurs manques et se conduisent comme s’ils avaient les mêmes compétences que tout le monde, jusqu’à des convictions tenaces, quasi délirantes à ce sujet. I-2-5 G. La famille : corollairement, l’entourage vit une aventure intérieure similaire : perception des richesses mais surtout des déficits et invalidités de la personne R.M.... remaniement de l’image de soi, le plus souvent par la négative, au moins transitoirement : blessure narcissique, dépression, agressivité... Au fil du temps, la mauvaise image de soi s’aggrave (désespoir, isolement), se stabilise (on vit vaille que vaille, avec un abcès froid d’amertume, de honte, d’infériorité souvent non communiquée), ou se répare (deuil de la colère et de l’injustice ressentie, foi retrouvée - et réaliste - dans ses capacités propres et celles de la personne R.M.). Une minorité de parents dénie l’existence ou en tout cas la profondeur du R.M. et exige trop de rendement de la personne R.M, parfois même en sacrifiant tout leurs loisirs à un apprentissage exagéré. Il est également fréquent que l’investissement massif par la mère du jeune handicapé entraîne un sentiment d’abandon ou de désintérêt pour les autres enfants de la famille et aussi pour le père, avec des conséquences psychopathologiques et familiales défavorables. 2-3 CLINIQUE 2-3-1 LES GRANDS CRITERES A. Existence d’un certain degré de retard intellectuel 1. Catégories du D.S.M.-IV et C.I.M. (OMS) Retard mental léger : le Q.I. se situe approximativement entre 70 et 50 ; l’observation clinique et l’anamnèse confirment l’évaluation psychométrique. Retard mental modéré : le Q.I. se situe entre 50 et 35 + confirmation clinique Retard mental sévère : le Q.I. se situe entre 35 et 20 + confirmation clinique Retard mental profond : le Q.I. est inférieur à 20 ... si tant est qu’il soit vraiment évaluable + confirmation clinique. 2. L’évaluation du fonctionnement de l’intelligence - critères cliniques : débrouillardise au quotidien, raisonnement, créativité... testés et observés en consultation et évalués via l’anamnèse personnelle et familiale ; I-2-6 - critères psychométriques : quand c’est possible, on recourt à des tests faisant appel à la verbalisation, le plus connu est le test de WESCHLER. Si ce n’est pas possible, on recourt à des tests non verbaux (p. ex. tests de Raven). Il ne faut néanmoins pas perdre de vue le biais culturel de beaucoup de ces tests, qui défavorisent les immigrés, les classes socio-économiquement pauvres, les minorités ethniques, etc... Par ailleurs, les résultats fluctuent en fonction de l’état du sujet, et des conditions matérielles et physiques de passation du test ! B. Existence d’une diminution des compétences sociales Elle s’évalue, elle aussi, et par des critères cliniques, et par des mesures standardisées : il existe plusieurs échelles d’évaluation (PAC, Vineland, etc...) C. La personnalité : harmonique ou dysharmonique 1. « Harmonique » signifie que le développement affectif correspond à l’âge mental de la personne. On considérera donc souvent comme “normaux” une certaine immaturité affective, une certaine dépendance aux parents ou à leurs substituts, un conformisme aux exigences de l’entourage, une certaine passivité... 2. Dysharmonique - l’âge mental ne correspondant à l’âge réel, il peut exister des exigences (en matière de liberté de déplacement de boisson alcoolisée, de vie sexuelle) normales pour l’âge réel mais que la personnalité R.M. ne pourra assumer de façon sûre et paisible. - De plus une très grande variété de troubles mentaux sont susceptibles de coexister avec le R.M., soit qu’ils soient générés indépendamment de lui, soit qu’ils en soient la conséquence, - Troubles du registre dépressif, ou anxieux, impulsivité, agressivité, personnalité asociale - Coexistence d’une psychose : Ici, la perception du réel non seulement est appauvrie par la limitation cognitive, mais est également distordue. Il s’ensuit : comportements incohérents ; délire ; agitation ; angoisses I-2-7 intenses... ou au contraire, les symptômes négatifs des psychoses : pétrification, isolement, apragmatisme... D. Existence éventuelle de troubles associés : neurologiques, morphologiques, somatiques généraux (cardiaque – thyroïdiens) I-2-8 I-2-9 2-4 DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS I. Fonctionnement intellectuel limite (D.S.M.-IV) : le Q.I. se situe dans la fourchette 71-84. Nous nous limiterons à discuter ces cas lorsque le problème est primaire, c’està-dire causé chez l’enfant par une faiblesse de l’équipement intellectuel. Pour ces sujets, le diagnostic n’est pas aisé. La clinique sera d’un grand secours. Le type de tests employés sera également déterminant. Si la compétence sociale est souvent mieux sauvegardée, les difficultés d’apprentissage, elles, sont bien réelles. Les échecs répétés vont influencer l’image de soi. Un sentiment dépressif, un sentiment d’injustice, un vague besoin de s’opposer viennent encore alourdir le fonctionnement. Ces enfants sont également anxieux à l’idée de déplaire ; on les voit, par exemple, répondre trop vite à ce qui leur est demandé et se tenir de façon crispée à ce qu’ils ont répondu. II. Déficits sensoriels méconnus : amblyopie, hypo-acousie …L’enfant s’efforce de les compenser vaille que vaille dans la vie quotidienne, mais ne peut pas effectuer les apprentissages scolaires au rythme des autres. L’hypo-acousie entraîne le plus souvent des troubles de la parole ou/et du langage, réversibles si l’on remédie à la cause. III. Inhibitions intellectuelles durables de certaines névroses sévères. On pensera notamment à la névrose obsessionnelle, avec ses doutes et ses inhibitions, ses rituels. IV. Syndromes mentaux d’origine organique : une multitude d’agents peuvent léser le tissu cérébral et provoquer des détériorations souvent dysharmoniques, aiguës (confusion mentale) ou chroniques (démences), des comportements, de l’intelligence et des fonctions instrumentales : attention, mémoire, conscience (troubles du repérage) ; qualité de la pensée (cohérence) ; fonctions cognitives les plus fines (jugement) ; apprentissages ; équilibre émotionnel... Toute chute brutale des performances, notamment chez l’enfant, doit nous alerter et nous en faire rechercher activement les causes. Elles peuvent être organiques (depuis l’intoxication au plomb jusqu’à la tumeur au cerveau). Il peut également réagir à une situation sociale insupportable : maltraitance, abus sexuel, graves conflits chez les parents... I-2-10 2-5 EPIDEMIOLOGIE La prévalence proposée par le D.S.M.-IV est de 1% des naissances. Dans les pays non industrialisés cependant, les chiffres sont beaucoup plus élevés (5 à 8%) : un véritable fléau ! Le retard léger est le plus fréquent : environ 85% de l’ensemble des personnes HM. Il est inégalement réparti selon les classes sociales : les populations défavorisées socioéconomiquement accumulent davantage de risques. Le retard modéré concerne environ 10% des personnes H.M. La trisomie du 21 en regroupe une bonne part à elle seule. Le retard sévère : 4% Le retard profond : 1% Plus on descend dans l’échelle de gravité, plus l’étiologie franchement organique devient fréquente, plus existent également des déficits somatiques et neurologiques associés. 2.6 LA PREVENTION ET LA PRISE EN CHARGE 2.6.1. LA PREVENTION A. La prévention primaire (éviter le R.M.) 1. Certains facteurs de risque peuvent être supprimés ou réduits préventivement : - Il est essentiel d’informer les parents avant la grossesse, sur les risques de la prise d’alcool, de certains médicaments, du contact avec des enfants malades... La vaccination (contre la rubéole, rougeole...) apparaît essentielle de même que le dépistage de la phénylcétonurie et d’autres troubles du métabolisme ; - Les soins donnés au bébé en néonatologie, outre leurs qualités techniques, doivent favoriser l’installation d’un lieu positif parents-enfants, et donc une stimulation correcte de celui-ci ; - Certaines consultations de l’Office National de l’Enfance (O.N.E). organisent des espaces de jeux durant leurs consultations ou laissent la possibilité d’une consultation conjointe avec un psychologue. Ces actions de prévention peuvent faire grandir chez les parents leur sentiment de compétence, ressentir leur prise sur l’éducation. De manière analogique, l’enfant peut y développer une « prise sur son monde ». 2. Toute grossesse identifiée comme à risque (somatique ou/et sociale) devrait être accompagnée de près, par un généraliste et un service d’obstétrique soucieux d’une prise en charge globale. I-2-11 3. D’un point de vue éthique, s’il se pratique un examen anténatal de la santé du fœtus, ses conséquences pratiques éventuelles - avortement ou maintien de la grossesse - doivent rester de l’appréciation de chaque couple. Il est essentiel qu’il en demeure ainsi et que ce ne soient pas les médecins qui décident à la place des parents du bonheur qu’ils auront ou non à vivre avec une personne R.M. ou du droit de cette personne à la vie. 4. Après naissance d’un enfant R.M, il faut rechercher soigneusement les causes et évaluer les facteurs de risques pour les grossesses suivantes (e.a. conseil génétique) B. La prévention secondaire (limiter l’extension du R.M.) 1. Dépistage attentif des premiers signes de retard de développement et des signes associés (malformations,...), surtout si l’on se trouvait dans un contexte à risques, pour pouvoir mettre en route stimulations précoces et autres remédiations : le soutien apporté aux parents évite bien des risques, jusqu’à celui de l’évolution psychotique. 2. Lorsque le diagnostic de retard est posé, il devrait toujours s’accompagner d’un projet d’intervention. L’enfant est en devenir, tout n’est pas dit par un diagnostic. Quelles remédiations, quel type de guidance, quelles formes de supports apporter aux Parents ? Comment favoriser l’insertion sociale (valorisation des rôles sociaux) de l’enfant, sa participation, dans la mesure du possible, aux milieux ordinaires - la crèche, les classes maternelles - même si des mesures de soutien doivent y être mises en place ? 2.6.2 .LA PRISE EN CHARGE 1° - Nous nous limiterons à exposer quelques grands principes, la prise en charge effective étant du registre d’une consultation spécialisée multidisciplinaire - L’être humain reste capable de développement, tout au long de sa vie, même lorsqu’il existe des déficits d’une partie de son équipement : s’en souvenir, en invitant la personne R.M., à donner le meilleur d’elle-même dans un environnement riche en accueil et en stimulations ; I-2-12 - L’inverse est vrai aussi malheureusement : l’être humain peut se détruire tout au long de sa vie, en tout ou en partie, et notamment si son contexte de vie est défavorable. A nous donc de prévenir, en permanence, une possible détérioration supplémentaire de l’intelligence de la personne R.M., ou l’apparition de troubles affectifs surajoutés ; - La personne R.M. reste capable, dans une certaine mesure, de projets personnels, d’une vision du monde autonome, d’un exercice de sa liberté ; il demeure très grave et lourd de conséquences d’affirmer qu’elle ne sait rien et est toujours d’accord avec nos projets. Il nous faut donc nous souvenir de notre devoir d’interpellation de ses idées et de respect pour ses projets ; - Le soutien apporté en permanence aux parents est essentiel. A partir d’une paix intérieure mieux retrouvée en eux ; ils constituent des agents essentiels pour : restaurer une image de soi positive chez la personne R.M. ; la stimuler sans les surstimuler ; reconnaître et sa part de liberté et son droit à l’affirmation de soi ; préparer son avenir. Un problème délicat se pose lorsque les parents veulent garder à la maison une personne R.M. - peu importe son âge - dont le handicap apparaît lourd à gérer ou/et lourd pour eux et/ou pour sa fratrie. Il faut écouter leurs “raisons” avec beaucoup d’empathie et de délicatesse et ne pas prendre de décisions à leur place. Néanmoins, et pour peu que l’on se soit montré écoutant et compréhensif, on devra attirer leur attention sur ce qui suit : une personne R.M. qui n’a pas eu de préparation à la vie sociale se montre très souvent démunie, désespérée et peu reclassable à la mort de ses parents : l’expérience montre que sa fratrie ne la reprend que rarement à domicile ; avoir une vie sociale, avec des gens de son âge, est le plus souvent un enrichissement et un épanouissement pour la personne R.M. ; lorsqu’il y a envahissement de la vie familiale par la problématique de la personne R.M., la fratrie en souffre parfois beaucoup dans sa propre croissance personnelle mais en s’en défendant souvent farouchement... Tout ceci invite à mettre le jeune R.M. dans un monde social qui le prépare à son avenir : fréquentation scolaire, mouvement de jeunesse, séjours dans la famille élargie, voire mise en internat pour des raisons positives. Les associations de parents d’enfants jouent un rôle important dans le soutien mutuel apporté aux parents (self-help). I-2-13 - Le R.M. n’est pas nécessairement repéré autour de la naissance. Le diagnostic est beaucoup plus tardif pour les formes légères. Lorsqu’il y a suspicion, la mise au point devrait être complète et gagne donc à être faite par une équipe multidisciplinaire (pédiatres, neuropédiatres, généticiens, psychologues et pédopsychiatres). Ces spécialistes doivent faire le point, non seulement sur les déficits, mais aussi sur le potentiel positif et de la personne R.M., et de son environnement naturel. - Par la suite, plus le R.M. est important, plus l’accompagnement lui-même devra rester multidisciplinaire. On gagne énormément à ce que cette multidisciplinarité soit effective, c’est-à-dire harmonieusement organisée. Il doit donc exister un coordinateur du programme, qui constitue une personne de référence pour la personne R.M. et sa famille : souvent, il existe un bénéfice à ce que ce coordinateur change une fois pendant le cycle de vie (passage minorité d’âge - majorité) ou deux fois (passage enfance - adolescence - majorité). - Aide précoce : il convient de veiller soigneusement à la qualité de la communication du diagnostic, maladroitement faite, elle laisse dans le psychisme des parents une trace définitivement traumatisante. Il est important d’écouter leurs idées et sentiments les plus difficiles … puis, progressivement, attirer leur attention sur la qualité humaine rémanente de leur enfant, et la part de richesses qu’il porte, attirer leur attention aussi sur l’aide sociale qui leur sera accessible. - Il conviendra de distinguer les prises en charge de personnes avec R.M. léger, qui seront maintenues aussi longtemps que possible dans un environnement scolaire et ensuite professionnel normal, sans que ce maintien ne constitue un fardeau trop lourd pour elles-mêmes ou leur entourage 2° Plus particulièrement, concernant les personnes à R.M. grave ou profond - Le diagnostic se fait souvent très rapidement, peu après de la naissance, d’autant qu’il se surajoute souvent d’autres déficits neurologiques et somatiques. - Tout ce qui a été dit sur le soutien aux parents reste essentiel. - La personne R.M. nécessite beaucoup d’actes techniques visant à stimuler tout ce qui est possible dans son développement : kinésithérapie, psychomotricité, I-2-14 stimulation des apprentissages nécessaires à la vie quotidienne. Dans les cas les plus graves, il faut mettre en place un nursing de qualité qui prend place dans des relations humaines bien personnalisées. Si la personne ne peut pas s’exprimer verbalement, on sera particulièrement attentifs aux petits signes d’irritabilité (mauvaise humeur ; apparition ou recrudescence d’automutilation) qui peuvent signifier une souffrance sociale (p. ex. arrivée dans un groupe de vie, d’un « nouveau », vécu comme menaçant), mais aussi une souffrance physique (otite, reflux gastro-œsophagien, pneumonie par régurgitation …) - occupation : la manière de s’occuper pendant la journée sera conditionnée par la gravité du R.M., bien sûr, mais aussi par des habitudes sociales prises par la famille ou/et l’entourage. En allant du plus passif au plus actif : - Petites occupations quotidiennes : regarder la T.V. ; aide au ménage (depuis le domicile, ou un centre spécialisé) - Fréquentation de l’enseignement spécial type 2, encore accessible aux R.M. sévères - Participation à des petits programmes d’activités récréatives, depuis des centres spécialisés - lieux de vie : - Une minorité d’entre eux vit dans sa famille d’origine, soit sans en sortir, soit en fréquentant pendant la journée les centres spécialisés. - Une plus grande partie vit en institution résidentielle, parce que les soins sont trop compliqués, ou que la famille est moralement épuisée et qu’elle veut assurer tout ce qui est possible comme socialisation. . Pour les mineurs : internats des I.M.P. (le plus souvent) ; hôpitaux pédopsychiatriques (rarement). . Pour les majeurs : homes occupationnels ou de nursing (le plus souvent) ; hôpitaux psychiatriques (rarement). 3° Un problème particulier : la vie sentimentale e t sexuelle des personnes R.M. adolescentes et adultes. I-2-15 Cette vie sentimentale et sexuelle existe telle qu’évoquée dans le film « Le 8 ème jour » de J. Van Dormael, et il importe de ne pas pratiquer la politique de l’autruche à son sujet. Y faire face pose régulièrement des problèmes éthiques, que chacun doit résoudre en son âme et conscience. En voici quelques applications : - Même si, comme nous l’avons déjà dit, beaucoup de personnes R.M. restent largement dépendantes de leurs premiers objets d’attachement - les parents et leurs substituts -, une dimension d’elles-mêmes, inconstamment et avec une intensité variable, peut chercher la rencontre amicale ou amoureuse avec un pair, R.M. lui aussi ou non. On peut accueillir ce mouvement vers l’autre, et lui donner suite dans des actes quotidiens tels fêtes, excursions, sorties ensemble. Il ne s’agit néanmoins pas de le provoquer artificiellement, ni d’imaginer tout de suite qu’ils veulent la rencontre totale, y inclus sexuelle, là où ils ont souvent l’affectivité d’un enfant de 10, 11 ans... - Certains manifestent une vie sexuelle active, indépendante d’une rencontre profonde avec un partenaire aimé, et on doit éduquer l’expression de leur sexualité comme on le ferait avec n’importe qui. C’est entre autres à cause d’eux que se posent de très délicats problèmes de contraception. S’il y a vie en collectivité, cette contraception peut même concerner les autres, qu’ils pourraient solliciter abusivement. Mais, le cas échéant, jusqu’à quel point a-t-on le droit de l’imposer ? Le minimum minimorum en ce domaine est de ne pas confondre « imposition » et « non information » ! - Une minorité, essentiellement parmi les R.M. légers ou modérés, demande à avoir une vie de couple ordinaire, avec un partenaire consentant. S’il s’agit d’une demande profonde et stable, nous pensons qu’il faut y donner suite. Mais alors, dans ces conditions, faut-il accepter qu’il y ait des enfants, l’encourager, tenter d’en limiter le nombre, ou s’y opposer ? Autre question éthique délicate, qui ramène d’ailleurs la question de la contraception, et d’une éventuelle contrainte de celle-ci. Il importe en tout cas de rester objectifs, sans se laisser entraîner par un contre-transfert idéaliste (qui ferait d’eux de parents potentiels merveilleux et aussi compétents que la moyenne des autres), ni pessimistes (qui en ferait de purs incapables ou/et amènerait des positions eugéniques). I-2-16 BIBLIOGRAPHIE American Association Washington, 1992 on mental Retardation, Mental Retardation, 9th edition, Davin J., Delvin E., Le Polain de Waroux W., Une vie à vivre avec les personnes handicapées mentales, Centurion, 1989 Lecuyer R., Suivi et accompagnement au cours de l’existence de la personne handicapée mentale, Neurospyc. enfance adolesc., 1991, 39, 400-404 Mirabail M., La débilité mentale de l’enfant. Connaissance et éducation des enfants déficients intellectuels, Privat, Toulouse, 1979. Mises R., Quemada N., Déficience mentale et processus : quelques repères épidémiologiques et cliniques, Neuropsyc. Enfance Adolesc., 1993, 41, 10 571-574. Rioux Marcia H. : New Research Directions and Paradigms : Disability is not Measle, Roeher Institute, North York, Ont., 1994. I-2-17 Chapitre II : Troubles psychopathologiques 2012 1. LES TROUBLES DE L’HUMEUR La dépression nerveuse est fréquente : dans nos populations, une personne sur quatre ferait un état dépressif pathologique au moins une fois dans son existence. Alliant troubles psychiques et physiques, elle n’est pas toujours facile à dépister. Il est fondamental de la repérer et de la soigner : le traitement le plus efficace s’appuie sur la pharmacothérapie combinée à une approche psychothérapeutique. 1.1. Introduction Tout praticien, généraliste ou spécialiste, sera confronté à des patients présentant un trouble de l'humeur ou une problématique dépressive : dans quelles circonstances ? Tout d'abord à son cabinet de consultation, en visite à domicile ou à l'occasion d'une hospitalisation suite à un trouble de l'humeur ou à une de ses complication les plus fréquentes (tentative de suicide, somatisations anxio-dépressives, assuétude) ou encore à la demande d'un congé de maladie pour l'un ou l'autre symptôme présenté de façon isolée,. Une dépression masquée à expression essentiellement somatiques peut ne pas attirer l'attention du généraliste qui a multiplié les mises au point somatiques et les traitements symptomatiques sans grands résultats et qui finit par convaincre son patient qu'il ne souffre d'aucune maladie réelle. Les dépressions secondaires à des affections médicales ou à d'autres troubles psychopathologiques sont aussi des pièges car l'affection à l'avant-plan mène souvent à la méconnaissance des symptômes dépressifs associés. Tantôt sur- diagnostiquée (un patient qui pleure n’est pas forcément dépressif), tantôt sousdiagnostiquée, cette affection aux visages multiples a des contours parfois difficiles à saisir en dehors des formes caractéristiques et ce, surtout une fois passée la phase aiguë ou dans les formes chroniques résiduelles. 1.2. Définition L’humeur peut s’appréhender comme une tonalité affective de base ou fondamentale qui varie au cours de l’existence et en fonction du contexte. Cette tonalité va de la tristesse à l’euphorie avec tous les degrés d’intensité. Sur le plan psychopathologique les variations de l’humeur peuvent aboutir à des troubles de nature dépressive, mixte ou hyperthyme (maniaque ou hypomane). 1.3. Comment situer la problématique dépressive dans la population générale ? II - 1 - 1 Cette question apparemment simple qui intéresse au premier chef le médecin ou le travailleur en santé mentale, se heurte à différents écueils si l'on ne s'en tient pas aux formes les plus évidentes et les plus marquées de dépression. 1° Des définitions plus au moins strictes des différents troubles dépressifs existent (avec des critères d'inclusion et d'exclusion bien délimités) et sont utilisées dans les enquêtes épidémiologiques. Cependant leur recouvrement plus au moins large avec des entités cliniques proches comme les personnalités dépressives, les traits de caractère dépressif, les troubles anxieux et a fortiori anxio-dépressifs, peut faire varier les taux d'incidence retenus. La question de savoir si la dépression s'inscrit dans un continuum avec les formes dépressives mineures ou dans un continuum avec les troubles anxieux qui constitueraient ainsi une étape préalable au développement de la dépression avérée (ou une forme atténuée de celle-ci) sont des questions qui n'ont que des réponses partielles. 2° L'intensité des phénomènes dépressifs peut être variable et les fluctuations normales de l'humeur sont à prendre en considération en fonction des contextes et événements de vie. Ainsi la réaction de deuil, bien que présentant des caractéristiques communes à certaines dépressions ne peut-elle être considérée comme un trouble que dans la mesure où elle excède en durée ou en intensité les normes de la culture où elle se manifeste. Ainsi, notre culture en minimisant l'importance du deuil et en effaçant tant que faire se peut ce qui nous confronte à la mort, ne facilite certes pas ce travail d'élaboration de la perte d'un être cher, et peut à son tour aboutir à un deuil pathologique et à un trouble dépressif authentique. Des affects dépressifs ne constituent pas en soi une pathologie et peuvent colorer également divers tableaux psychopathologiques ou tout simplement la tonalité affective du sujet à un moment donné de son histoire. 3° L'impact du trouble dépressif sur les aptitudes à tenir ses rôles sociaux et familiaux et sur l'aptitude à réaliser son travail est aussi pris comme critère de différenciation entre divers troubles dépressifs. Le niveau d'exigence et de productivité ne faisant que croître, ainsi que divers facteurs de stress, on assiste à une augmentation de différentes formes de dépression que ce soit sous ce vocable ou sous un autre plus acceptable dans notre culture : surmenage, plaintes somatiques multiples , hypotension, vertiges, lombalgies, céphalées, troubles graves du sommeil, asthénie, II - 1 - 2 fatigue chronique etc. D'où l'intérêt de repérer correctement ces dépressions dites « masquées » afin qu'elles puissent aussi bénéficier d'un traitement approprié. 1.4. Epidémiologie, l’éthiopathogénie et facteurs de risques On s'accorde aujourd’hui à trouver un taux de prévalence de la dépression de 10% à 16%, un taux plus élevé pour le sexe féminin est systématiquement retrouvé dans toutes les études et dépend de plusieurs facteurs, notamment dans une différence dans l'expression des symptômes dépressifs et dans la manière de faire face à la dépression ou de demander de l’aide. (ANGST, DOBLER-MIKOLA, 1984.) Par contre le risque de survenue d'un épisode dépressif au cours de la vie a été estimé par plusieurs auteurs entre 8 et 12% chez l'homme et entre 20 et 26% chez la femme. L’OMS estime qu’en 2020, la dépression sera la cause principale de morbidité après les maladies cardiaques ! Un épisode dépressif peut survenir à tout âge, avec un âge moyen d'apparition au début de la quarantaine : un premier épisode avant 40 ans dans 50% des cas, un pic de fréquence à l’adolescence et un premier épisode après 60 ans dans 10% des cas Les études épidémiologiques portant sur des populations normales confirment le fait qu'un grand nombre de syndromes dépressifs demeurent non traités même quand ils ont été diagnostiqués. La dépression est une affection récidivante, 5 à 20 % ne présenteront qu'un seul épisode; le nombre moyen d'épisodes (toutes formes de dépression confondues) est de l'ordre de 5 à 6 sur une vie. Un épisode dépressif non traité dure en moyenne 4 à 8 mois, mais la dépression peut se chronifier d'emblée dans 10 à 20% des cas, le risque augmentant avec l'âge. Les facteurs favorisants ou de risque comprennent : le sexe (2x plus de femmes), les antécédents familiaux de trouble de l’humeur et d’alcoolisme, les carences affectives précoces et la perte des parents avant l’âge de13 ans. Le risque est un peu plus élevé pour les groupes socioéconomiques défavorisés, mais ceux-ci courent un risque accru de pas être pris en charge pour leur dépression. II - 1 - 3 La dépression constitue donc une affection psychopathologique fréquente, la plus fréquente après l'anxiété avec laquelle elle se combine volontiers. Pour certains auteurs d'ailleurs les états anxieux constituent un continuum avec les dépressions au sein d'une entité qui les englobe, celle des troubles affectifs ou de l'affect. Une conception hiérarchique des affections psychiatriques fait que la dépression est considérée comme un trouble plus grave que l'anxiété, et lorsque les deux affections coexistent, le diagnostic de trouble dépressif prendra le pas sur celui d'anxiété ou sera taxée de comorbidité dans la logique du DSM IV par exemple. Une dépression nettement améliorée, voire considérée comme révolue peut se prolonger par une anxiété résiduelle et persistante. Inversement un état anxieux peut constituer le premier pas vers le développement d'une dépression avérée. L'ICD-10 ont repris la terminologie des troubles anxio-dépressifs, où la symptomatologie reste modérée et ne permet pas de faire la distinction entre dépression ou anxiété Avant de décrire la symptomatologie centrale des dépressions majeures ( ce qui est une traduction de l'anglais « Major »’ c’est-à-dire typiques et n'a pas la connotation d'intensité que le terme a en français), qui entraînent des perturbations sur la capacité de tenir les rôles sociaux habituels et sur l'aptitude au travail, il importe d'opérer une série de distinctions importantes entre les diverses formes de dépression, car elles ont un impact direct sur le type de prise en charge thérapeutique à proposer et ont un décours spontané assez différent. En effet, certaines dépressions non traitées finissent par s'amender spontanément, non sans souffrances ni sans risques et avec une morbidité non négligeable. De nombreuses formes de dépression ont un décours cyclique ou récurrent dont il faut tenir compte dans un projet de prise en charge (les formes bipolaires et saisonnières en sont un exemple). D'autre part les troubles dépressifs sont potentiellement graves, avec un coût social important (20% du coût des maladies mentales et 4% du coût total des maladies). Le risque suicidaire reste important, 15% des déprimés majeurs vont se suicider un jour et cette incidence ne fait qu'augmenter chez les adolescents et jeunes adultes ; mais ce risque est également tributaire de la présence ou non de facteurs de protection liés à la culture, à l'organisation sociale et au support dont le déprimé peut bénéficier. Outre les différents facteurs personnels sociologiques et psychodynamiques de vulnérabilité, il y a une différence : liée à la culture par exemple en Afrique chez les populations restées traditionnelles le suicide n’existe quasi pas et par contre lorsque ces populations II - 1 - 4 s’occidentalisent, le risque augmente ; au Japon, le suicide est valorisé et connaît un taux élevé, y compris chez les jeunes, des convictions religieuses ou philosophiques vont ainsi protéger (ou non) du suicide. 1.5.Aspects neurobiologiques des troubles de l’humeur a) facteurs génétiques Une vulnérabilité génétique joue un rôle important dans le déterminisme des troubles de l’humeur (TH), surtout les formes bipolaires (Bip). Le risque de TH pour un enfant dont un des parents est Bip I est de 25% et est de 50 à 75% si les deux parents sont Bip. Le taux de concordance pour un trouble Bip I est de 33 à 90% selon les études pour les jumeaux monozygotes et de 5 à 35 % pour les dizygotes. L’impact du facteur génétique est variable d’une famille à l’autre et il y a des patients où aucun antécédent familial n’a pu être mis en évidence. Lorsqu’un des parents a présenté un trouble dépressif majeur, le risque est de 10 à 13% pour les descendants ; le taux de concordance pour un trouble dépressif majeur est de 50% pour des jumeaux monozygotes et de 10 à 25% pour des dizygotes. Le mode de transmission de cette vulnérabilité génétique reste encore à élucider, on trouve une association de certains troubles Bip I et des marqueurs génétiques sur des chromosomes, notamment, 5,11,X dans d’autres cas, il y aurait des facteurs polygéniques en cause. b) facteurs neurochimiques Les Neuromédiateurs suivants sont impliqués dans la dépression et la manie : Sérotonine (5 HT), Noradrénaline (NA) et Dopamine (DA). Ceux-ci ont une activité diminuée dans la dépression et augmentée dans la manie. Les catabolites de ces monoamines ont été étudiés dans diverses études avec des anomalies. Le catabolite de la HT , l’acide 5 hydroxy-indolacétique, dosé dans le LCR, est diminué chez certains patients déprimés , mais pas chez d’autres, et chez des patients ,agressifs contre eux-mêmes (suicidaires) ou contre autrui, violents ou anxieux. Ceci refléterait dès lors une relation entre une diminution de la neurotransmission 5HT et une dimension psychopathologique plutôt qu’avec une catégorie diagnostique. II - 1 - 5 c) facteurs neuroendocriniens Un dysfonctionnement au niveau hypothalamique, se reflétant dans des perturbations de la régulation de divers axes neuroendocriniens est observé dans les troubles de l’humeur ainsi qu’une diminution de l’immunité. On observe une hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypohyso-surrénalien avec hypercortisolémie et perturbation du test de freination à la dexamétasone chez des déprimés ainsi qu’une diminution de sécrétion de la thyréostimuline, de l’hormone de croissance de la FSH, de la LH et de la testostérone. d) sommeil Le sommeil est perturbé dans les deux tiers des cas de trouble de l’humeur avec des modifications du tracé EEG : augmentation du sommeil paradoxal (MOR : mouvements oculaires rapides) dans la première moitié de la nuit avec réduction de la latence d’apparition du premier MOR. ; réduction de la phase IV du sommeil lent. e) neuroplasticité cérébrale Au niveau cérébral, plusieurs zones interviennent dans la régulation de l’humeur. Le cortex préfrontal est lié aux fonctions exécutives comme la mémoire, la prise de décision, la planification et le jugement, le cortex singulaire antérieur joue un rôle dans des fonctions cognitives comme l’anticipation des récompenses, la prise de décisions, l’empathie et l’émotion et il intègre les stimuli émotionnels et les fonctions d’attention. L’amygdale joue un rôle prépondérant dans le traitement de la mémorisation des réactions émotionnelles et l’hippocampe dans l’apprentissage et la mémoire contextuels. Les études du flux sanguin régional chez le patient dépressif montrent en quelque sorte une hypoactivité des cognitions et une hyperactivité des émotions. Nous retrouvons le noyau dépressif clinique qui est la rupture de continuité entre nos émotions et nos interprétations cognitives. Une des découvertes les plus récentes de la physiologie cérébrale est la découverte de la neuroplasticité. Ainsi, dans la dépression, il n’y aurait pas seulement des variations fonctionnelles des neurotransmetteurs mais aussi des variations de structure au niveau des neurones cérébraux. L’imagerie cérébrale nous a ainsi montré une atrophie de II - 1 - 6 l’hippocampe chez le patient dépressif qui récupère progressivement après traitement (pharmacologique, psychothérapeutique ou par exercices physiques !) Nous comprenons donc aujourd’hui grâce à l’évolution des connaissances en neurosciences que psychothérapie, réappropriation des sensations corporelles et pharmacothérapie sont complémentaires. 1.6. Distinctions à établir au sein des troubles de l’humeur 1° Formes UNI et BIPOLAIRES de dépression Les formes Bipolaires se caractérisent par une alternance d'épisodes dépressifs et d'épisodes maniaques ou hypomanes et forment ce qu'on appelle la psychose maniacodépressive. Un seul épisode maniaque ou hypomane suffit à déterminer le caractère bipolaire de l'affection, même si comme c'est souvent le cas plusieurs épisodes dépressifs ont précédé l'éclosion du premier épisode maniaque. Les formes Unipolaires comprennent par définition les déprimés qui ne font que des épisodes dépressifs. Au fil du temps un certain nombre d'Unipolaires vont rejoindre le groupe des Bipolaires , en moyenne il y a trois accès dépressifs avant le premier accès maniaque. Les formes Unipolaires sont les plus fréquentes, avec de degrés de gravité et de durée très variables et un décours cyclique ,sauf dans une minorité de cas. 2° DEPRESSION PRIMAIRE OU SECONDAIRE La dépression est susceptible de survenir dans le décours d'un nombre important d'affections psychiatriques et somatiques, comme complication de celles-ci. Parmi cellesci les pathologies anxieuses de type phobique, troubles paniques ainsi que la névrose post-traumatique ou les troubles obsessifs compulsifs constituent le lit de pathologies secondaires comme l'alcoolisme et la dépression. On distingue donc les dépressions dites primaires et d'autres secondaires. Cette distinction a été établie dès 1972 par l'Ecole de Saint-Louis et se base sur les antécédents psychiatriques et médicaux. • La dépression primaire se définit comme n'ayant jamais été précédée par un trouble psychiatrique autre qu'un trouble de l'humeur (que celui-ci soit uni- ou bi- II - 1 - 7 polaire). Une anamnèse révélant des troubles anxieux et des troubles de la personnalité ne met pas en cause le diagnostic de trouble primaire. • La dépression secondaire désigne toutes les dépressions se caractérisant par une morbidité psychiatrique antérieure différente des troubles de l'humeur, comme l'alcoolisme, les psychoses, et ainsi de suite. Sont également considérées comme dépression secondaires celles qui surviennent dans le décours d'une affection médicale (des manies secondaires plus rares existent cependant): Troubles mentaux organiques : démences, Sclérose en plaque, toxiques Troubles endocriniens : thyroïde, surtout hypothyroïdie, surrénales (Addison ou Cushing), hyper- ou hypo-calcémies Effets de drogues ou de médicaments : hallucinogènes, réserpine, antihypertenseurs, Sibélium, méthyl-dopa, etc. Maladies virales : grippe, hépatite, mononucléose infectieuse Des affections néoplasiques dont ils peuvent être le premier symptôme : pancréas, œsophage, TD. Dans le décours d'une affection médicale invalidante ou douloureuse, lorsque la dépression suit l'évolution de l'affection médicale, dite principale. Les affections douloureuses chroniques se compliquent souvent de dépression. Ces dépressions secondaires sont souvent sous diagnostiquées (donc non traitées) ou la dépression est diagnostiquée, mais pas la maladie sous-jacente (diagnostic différentiel indispensable) Cette distinction primaire-secondaire se retrouve dans les classifications comme le DSM ou l’ICD, sous la rubrique des critères d’exclusion ou dans une logique de comorbidité (un deuxième diagnostic est porté sur l’Axe I ou l’Axe II). Exemple : Episode récurrent majeur – Trouble obsessionnel compulsif. 3° DEPRESSION RECURRENTE OU NON, CARACTERE SAISONNIER EVENTUEL II - 1 - 8 • L'épisode peut être unique ou se répéter au fil de l'existence, les formes bipolaires qui débutent plus jeune ont un nombre d'épisodes nettement plus élevé que les Unipolaires en l'absence d'un traitement prophylactique (Bip. I : 11 épisodes, Bip. II : 8 épisodes, Unipolaire : 4 épisodes) selon ANGST. • Le caractère saisonnier des formes bipolaires et unipolaires peut être noté, avec une mention spéciale pour les dépressions saisonnières, survenant dans la période de novembre ou de mars, avec une symptomatologie légère à modérée. 4° DEPRESSIONS AVEC FACTEUR PRECIPITANT OU NON Un certain nombre d'épisodes dépressifs ou maniaques surviennent dans le décours d'un événement de vie qui précipite l'accès dépressif. Cet événement peut être un "stresseur psycho-social" objectif habituellement reconnu comme pouvant avoir une répercussion sur l'humeur ou être plus lié à structure psychodynamique profonde du sujet et avoir un côté plus subjectif, c'est-à-dire compréhensible du seul point de vue du patient. Exemples : décès d'êtres proches, séparations, déménagements, naissances, perte d'emploi, etc., sont repris dans des échelles d'événements de vie et constituent des facteurs de stress reconnus; par contre un fait apparemment anodin peut dans le contexte d'une histoire particulière constituer un événement de vie dont la survenue ou le sens prend une dimension inassumable et peut être à l'origine d'un épisode dépressif. Les déceptions, les désillusions brutales, la rupture d'un lien affectif peuvent enclencher le mouvement de bascule vers la maladie. Le côté réactionnel ne doit pas préjuger du degré de gravité du trouble, même si dans certaines formes plus névrotiques de dépression la fréquence d'un facteur déclenchant est plus grande. Le post-partum se caractérise par une incidence nettement plus élevée de troubles psychiatriques dans l'année qui suit l'accouchement avec une proportion non négligeable de dépressions dont une fraction va évoluer en trouble Bipolaire. Cette manière de prendre en compte l’existence d’un événement de vie comme facteur précipitant remplace la distinction entre dépressions réactionnelles opposées à des dépressions endogènes qui avaient une connotation plus déterministe ou étiologique. II - 1 - 9 5° DEPRESSIONS A CARACTERE FAMILIAL OU SPORADIQUES La nature familiale des troubles de l'humeur a été relevée de longue date, surtout pour les formes majeures de dépressions, et au sein de celles-ci, plus particulièrement les formes Bipolaires. Kraepelin faisaient des antécédents familiaux et de l'évolution temporelle de la dépression des critères de diagnostic différentiel primordiaux. Au sein des troubles primaires de l'humeur, les bipolaires ont l'incidence familiale la plus haute, ils commencent plus jeune (premier épisode vers 25 ans); ont un nombre plus élevé d'épisodes dans leur vie et font plus d'épisodes avec éléments psychotiques (délire, hallucinations, …); ils font aussi un nombre plus élevé d'épisodes au cours de leur existence et constituent donc les formes les plus sévères de troubles de l'humeur. Par contre ils sont fortement susceptibles de répondre favorablement à un traitement prophylactique par le Lithium ou des substances alternatives comme la carbamazépine ou le valproate. Le gros problème étant la compliance à un traitement de ce type au très long cours. Quant aux dépressions unipolaires et primaires Winokur a proposé une classification familiale qui s'appuie sur l'hypothèse d'une vulnérabilité génétique à la dépression différente en fonction de l'histoire familiale, de la symptomatologie, du sexe et de l'âge du premier épisode, de la présence ou non de marqueurs biologiques perturbés pendant l'épisode dépressif. 1.7. Symptomatologie cardinale d’un épisode dépressif Si le vécu dépressif constitue une expérience psychologique inévitable qui fait partie de la vie, c'est lors de la perte de l'objet d'amour ou d'investissement et à des moments de confrontation avec la déception au sens fort du terme que le sujet va prendre la mesure de sa déréliction, seul et abandonné, sans illusion , avec une désespérante lucidité. Chez l'animal des modèles comportementaux de type "learned hopelessnes" et "helplessnes" sont utilisés comme paradigme de la dépression expérimentale. Les expériences naturelles que constituent la dépression anaclitique suite à des carences affectives précoces, durables et intenses, révèlent la vulnérabilité fondamentale et essentielle de l'être humain (et même des primates). II - 1 - 10 La capacité de se déprimer dans certains contextes fait partie de notre humanité. D'un point de vue phénoménologique la dépression constitue une modification profonde de l'être humain dans sa relation au monde : et tout d'abord sur base d'un trépied qui associe l'anhédonie ou perte de la capacité de se réjouir, l’anhormie ou la perte de l'élan vital qui pousse l'individu à accomplir des choses ou faire des projets , à penser et imaginer , à agir; et la dysrythmie ou perturbation de la relation au temps qui brusquement se fige , le présent n'en finit pas de durer, le futur est impensable, il ne peut être appréhendé et donc toute anticipation est difficile. Les symptômes aussi manifestent cette altération de la temporalité, les cycles biologiques sont désynchronisés, sommeil, hormones, activité physique. Le déprimé, de façon pathognomonique, mais non dans tous les cas, peut présenter une aggravation de ses symptômes le matin et une amélioration vespérale. Un épisode dépressif majeur ou typique, se caractérise toujours par des altérations dans la sphère physiologique, émotionnelle, cognitive, et comportementale, avec une difficulté ou une incapacité à tenir ses rôles sociaux habituels (professionnel, familial, loisirs et autres). Il faut aussi une certaine constance des symptômes, des crises de désespoir intenses mais qui ne durent que quelques heures ou une instabilité d'humeur en fonction des circonstances et sporadiques sont plus souvent à situer dans d'autres problématiques. Le diagnostic différentiel n’est pas toujours aisé à établir. Les symptômes se manifestent donc dans les sphères suivantes : • Une symptomatologie à expression somatique et des troubles physiologiques : sommeil, appétit, fatigue, douleurs et dysfonctionnement de S.N. autonomique, gastrointestinal, circulatoire, urinaire, etc. • Une symptomatologie à expression psychique et émotionnelle, souffrance psychique : dégoût de la vie, tristesse, état émotionnellement pénible avec anxiété ou vide affectif, incapacité d'avoir des émotions normales (ne sait plus se réjouir ni s'attrister). • Une symptomatologie à expression psychique et cognitive : mémoire, concentration, indécision, orientation négative de toutes les pensées, monoidéïsme et ruminations, sentiment d'abandon et autodépréciation. II - 1 - 11 • Une agressivité qui se retourne contre soi-même (idéation suicidaire, conduites dangereuses, culpabilité) plus rarement contre autrui, irritabilité et intolérance, facilement taxés d'égoïsme. Le déprimé n'en sort plus avec lui-même et reste centré de façon malheureuse sur lui-même. Il n'est pas plus capable de se distraire que de s'intéresser à son entourage et d'aimer. • Dans les formes les plus sévères et psychotiques, il y a altération du rapport à la réalité, avec possibilité de délire, d'hallucinations, de confusion mentale, de catatonie. 1.8. Classification des dépressions Selon des critères internationaux, utilisés en épidémiologie, en recherche neurobiologique, et dans l'évaluation des psychotropes on retrouve classiquement la distinction entre troubles Bipolaires et Unipolaires déjà décrite. Au sein des troubles Unipolaires, on distingue : le Trouble Dépressif Majeur, la Dysthymie et le Trouble Dépressif Atypique 1.8.1 Critères diagnostiques des dépressions (adapté des critères du DSM-IV) A) DUREE : TOUS LES JOURS ET AU MOINS PENDANT 2 SEMAINES avec un changement par rapport au fonctionnement antérieur. Ce qui implique une certaine stabilité du malaise et des symptômes. Au moins 5 des symptômes suivants sont requis, ce qui implique une grande variété des tableaux cliniques (Soit 1°, soit 2°, sont obligatoires). 1°) Humeur dépressive (irritabilité chez enfant et adolescent) Ceci n'inclut pas des changements brusques d'humeurs (passage d'un affect à l'autre: de l'anxiété à la dépressions et à colère), déprimé, triste, cafardeux, sans espoir, au bout du rouleau . Le trouble de l'humeur doit être évident, persistant, mais pas nécessairement prédominant. D'autres plaintes peuvent donc se trouver à l'avant-plan. 2°) Diminution marquée de l'intérêt ou du plaisir dans toutes ou presque toutes les activités (y compris les activités usuelles et passe-temps, l'activité professionnelle). 3°) Perte ou gain de poids; troubles de l'appétit : anorexie ou perte de poids parfois importante et à l'avant-plan, dans d'autres cas c'est l'augmentation de l'appétit et la prise de poids qui sont à l’avant-plan. 4°) Troubles du sommeil : II - 1 - 12 Insomnie (réveil au milieu de la nuit ou 2h avant l'éveil normal, les difficultés d'endormissement plus typiques de l'anxiété) Hypersomnie 5°) Agitation ou Ralentissement psychomoteur (pas uniquement subjectif). Cet état peut aller jusqu'à la stupeur dans la mélancolie. 6°) Perte d'Energie, Fatigue (Incapacité de soutenir un effort physique ou intellectuel) manque d'allant et d'entrain, tout est un effort. 7°) Sentiment d'indignité (honte, perte d'estime de soi) ou de culpabilité excessive ou inappropriée (parfois délirante dans les formes graves, auto-accusations (à l'opposé au rejet sur autrui de la responsabilité de son état) 8°) Troubles de la cognition : diminution de l'aptitude à penser ou à se concentrer et indécision qui se traduisent par un ralentissement de la pensée (pas de baisse logique des associations ou incohérence), par une grande difficulté à faire des synthèses, à apprendre quelque chose de neuf, les troubles de mémoire et la distractibilité possible sont des causes fréquentes d'erreurs et de diminution notable du rendement intellectuel. Des épreuves neuropsychologiques appropriées peuvent mettre ces troubles en évidence. 9°) Pensées récurrentes de mort, idéation suicidaire, souhait d'être mort, projet de suicide ou tentative de suicide. 60% des patients ont des idées suicidaires et 15% vont tenter de se suicider. B) Exclusion de tout diagnostic de trouble organique ayant initié la dépression, d'un deuil normal, d'un trouble psychotique (parano, schizo, etc.) (Cfr distinction 1°/2°). x L'intensité de l'épisode peut être légère, moyenne, sévère (existence d’échelles d’Intensité : HAMD). x L'épisode peut être psychotique congruent à l'humeur ou non congruent à l'humeur, selon que les thèmes du délire ou des hallucinations sont typiquement dépressifs : culpabilité, inadéquation personnelle, mort, maladie, ruine, punition méritée etc ou non. x L'épisode peut avoir un caractère saisonnier ou non, suivre ou non un post-partum 1.8.2. Episode d'intensité Mélancolique (endogénomorphique) : qui constitue une forme sévère de dépression mais avec bonne réponse au traitement. II - 1 - 13 Les critères selon le DSM IV, comprennent : A) Un des deux éléments suivants : 1) Perte de plaisir pour toutes ou presque toutes les activités 2) Absence de réactivité aux stimuli habituellement agréables. (Ne se sent pas mieux, même de façon temporaire lorsque qu’un événement agréable se produit) B) Au moins 3 des symptômes suivants: 1) qualité distincte de l'humeur (différent de ce qui est vécu après un deuil par exemple) 2) Dépression régulièrement plus marquée le matin 3) Réveil matinal précoce (au moins 2h plus tôt que l'heure habituelle de réveil) 4) Agitation ou ralentissement psychomoteur marqué 5) Anorexie ou perte de poids significative 6) Culpabilité excessive ou inappropriée L'absence de perturbation significative de la personnalité avant la survenue du premier épisode dépressif majeur et la bonne réponse antérieure à un traitement antidépresseur somatique spécifique et adéquat sont des critères du DSM-III-R qui ne figurent plus dans le DSM-IV et illustrent le fait que ces classifications comportent une part de convention et ne sont donc pas à prendre au pied de la lettre. La reconnaissance d'un épisode mélancolique est importante, car il dure souvent plusieurs mois pour une récupération totale et nécessite un traitement au long cours pour prévenir les rechutes. 1.8.3. Episode dépressif catatonique Celui-ci se caractérise par un état de stupeur ou une catalepsie (immobilité motrice, flexibilité cireuse) ou à l’inverse une activité motrice excessive et sans but. Le négativisme peut être extrême avec refus actif de soins, de nourriture, de tout contact, mutisme, résistance à toute mobilisation ou maintien d’une posture rigide. Des mouvements volontaires bizarres se manifestent par des postures, des mouvements stéréotypés, du maniérisme ou une mimique grimaçante. On peut remarquer l’écholalie ou l’échopraxie. Le diagnostic différentiel est à faire avec la schizophrénie catatonique II - 1 - 14 1.8.4. Dépression saisonnière : La dépression saisonnière se présente de façon caractéristique avec de l'hypersomnie, de l'hyperphagie et une augmentation de la consommation d'hydrates de carbone et prise de poids ; cette forme répond favorablement à un traitement par photothérapie. Ces cas de dépressions augmentent avec la latitude et sont tributaires du changement de durée d'exposition à la lumière. Certains facteurs d'environnement sont particulièrement néfastes pour des patients sujets à la dépression saisonnière, comme le travail dans des locaux sans lumière naturelle. En effet seule une exposition journalière à une lumière vive pendant environ 2h les met à l'abri de la dépression. 1.8.5. Distinction entre rechute et récidive dans la dépression • Le patient peut se trouver en rémission complète (sans symptômes plus de 6 mois) ou en rémission partielle (symptômes résiduels légers) ou encore être qualifié de déprimé chronique si l'épisode a duré plus de deux ans. La rechute désigne la réapparition des symptômes dépressifs au cours d’un même épisode après une rémission, la récidive désigne un nouvel épisodes dépressif après une période suffisamment longue que pour être qualifiée de guérison • Dépression et anxiété : la présence d'une anxiété d'intensité très variable n'est pas un critère diagnostic de la dépression majeure mais a un impact thérapeutique important et intervient dans l'estimation de l'aptitude à reprendre le travail et dans l’évaluation du risque suicidaire. L'anxiété est une dimension que l'on retrouve dans de nombreuses pathologies somatiques et psychiatriques. De nombreuses plaintes somatiques, de même qu'un état pénible de tension peuvent relever de la composante anxieuse de la dépression alors que certaines douleurs (céphalées, lombalgies, …), et une tonalité hypochondriaque des plaintes est plus typiquement dépressive (parfois hypochondrie délirante qui nécessite un diagnostic différentiel). • L’estimation de l'intensité de l'état dépressif actuel et de son évolution sous traitement se fait à l’aide de diverses échelles en auto ou hétéro évaluation: l'échelle d'Evaluation de l'Intensité de la Dépression de Hamilton (HAMD)constitue un instrument II - 1 - 15 utile surtout s'il a été appliqué au plus fort de la dépression. Elle sert de référence pour l’évaluation des traitements psychotropes. L’échelle de Montgommery et Äsberg (MÄDS) a plus d’items exclusivement dépressifs. L’échelle de Beck est une échelle d’auto-évaluation qui explore préférentiellement les troubles cognitifs de la dépression L'intensité de l'anxiété peut être de son côté estimée par l'échelle d'intensité de l'anxiété de Hamilton (HAD). Les états anxio-dépressifs et dysthymiques (dépression de moindre intensité mais au décours chronique) sont aisément évaluables par ces deux instruments en plus de leurs caractéristiques diagnostiques propres. • Le médecin ou le clinicien est souvent confronté à des symptômes résiduels d'un épisode dépressif et a donc intérêt lorsqu'il doute portant sur le diagnostic à faire décrire les symptômes et le vécu du patient au plus fort de sa maladie. Le traitement lui-même masque certains symptômes comme l'insomnie et l'anxiété. 1.8.6. La névrose dépressive et les dépressions chroniques Les dépressions non majeures d'emblée avec une évolution au long cours sont à distinguer des dépressions majeures qui se chronifient (dépressions résistantes ou insuffisamment traitées). La névrose dépressive ou la dysthymie constitue des modalités chroniques de dépression d'intensité légère à modérée mais incapacitante, avec des complications fréquentes ainsi qu'une destruction de la vie sociale qui se caractérise par la perte de l'emploi, la séparation ou le divorce et des assuétudes secondaires (alcool et médicaments). Dans l'évolution, on note la possibilité d'épisodes majeurs surajoutés (forme double de dépression associant dysthymie et épisode dépressif majeur) ainsi que des tentatives de suicides et suicides fréquents et une mauvaise adaptation sociale. Le pessimisme et une faible estime de soi rendent ces patients peu productifs et peu performants. Il est à noter que l'on tient compte du début des troubles : avant (début précoce) ou après (début tardif) 21 ans, de même que du caractère primaire ou secondaire du trouble. Critères proposés dans le DSM IV pour la dysthymie A) Humeur dépressive pendant au moins 2 ans (jamais absent plus de 2 mois consécutifs). II - 1 - 16 B) Pendant la période dépressive au moins 2 des symptômes suivants : - perte d'appétit ou hyperphagie - insomnie ou hypersomnie - baisse d'énergie ou fatigue - faible estime de soi - difficultés de concentration ou difficulté à prendre des décisions - sentiment de perte d'espoir Le traitement de ce type de dépression est d'emblée médicamenteux (antidépressifs à dose adéquate) et psychothérapeutique au long cours avec un pronostic bien souvent plus réservé que pour formes majeures qui comprennent des épisodes bien délimités dans le temps. La question de savoir si ce type de dépression n’est pas plus proche d’un trouble de la personnalité (Trouble de Personnalité Dépressive)reste une question pertinente qui fait l’objet de nombreuses études. 1.8.7. Dépressions atypiques ou non classées ailleurs Une série de nouvelles entités dépressives sont encore à l'étude et n'ont pas encore des critères de diagnostic suffisamment établis dans les classifications actuelles , mais ont un intérêt clinique et thérapeutique. 1°) Trouble dysphorique pré-menstruel ou de la phase lutéale tardive qui perturbe le travail ainsi que les activités sociales et les relations avec autrui : humeur dépressive, anxiété, labilité émotionnelle marquées; diminution d'intérêt pour les activités. Amélioration nette les premiers jours des règles. 2°) La dépression récurrente brève : avec répétition de nombreuses périodes dépressives d'une durée de quelques jours. 3°) La dépression mineure, d'intensité moindre que l'épisode majeur et sans la chronicité de la dysthymie. 4°) La dépression de la phase résiduelle d'une schizophrénie. 5°) Les dépressions survenant dans la phase aiguë des différentes psychoses. 6°) Les cas indécidables entre troubles primaires ou secondaires à une maladie somatique ou une substance toxique (alcool, médicament ou autre). II - 1 - 17 L'évolution d'un trouble dépressif : L'épisode peut être unique ou récurrent Récurrent avec rémission totale entre les épisodes ou rémission partielle. Il peut ou non être surimposé à un trouble dysthymique préexistant et ensuite évoluer avec rémission ou non entre deux épisodes. Le caractère saisonnier ou non des épisodes peut être spécifié. Les différentes formes de dépression peuvent accompagner des troubles de personnalité, des névroses ou des psychoses et se compliquer fréquemment d’assuétudes diverses, considérées comme des comorbidité dans la logique du DSM IV. Plusieurs diagnostics sur l’Axe I et/ou sur l’Axe II. 1.8.8. Troubles de l’adaptation accompagnés d’humeur anxieuse ou dépressive Ceux-ci surviennent volontiers de façon réactionnelle à la survenue d'un ou de plusieurs facteurs de stress identifiables dans les (3) mois qui précèdent : outre les facteurs de stress familiaux, de nombreux facteurs de stress professionnels sont régulièrement évoqués par les patients. Lorsque ceux-ci se prolongent pendant des mois ou que le patient ne peut s'y soustraire, la situation peut se dégrader et évoluer dans le sens d'un trouble dépressif plus typique. Cette bascule va se dessiner ou non, en fonction de l'équation personnelle du patient , avec sa vulnérabilité psychologique et neurobiologique, avec la présence ou non de facteurs protecteurs personnels, relationnels et environnementaux. Ses ressources seront aussi variables à des moments différents de son histoire. Ainsi un ensemble de stresseurs psychosociaux vont tantôt donner lieu à l'absence de conséquences psychopathologiques évidentes, ou à des problèmes psychosomatiques ou encore des troubles dépressifs légers à graves. 1.8.9. Troubles bipolaires Les formes Bipolaires se caractérisent par une alternance d'épisodes dépressifs et d'épisodes maniaques ou hypomanes et forment ce qu'on appelait la psychose maniacodépressive. Un seul épisode maniaque ou hypomane suffit à déterminer le caractère bipolaire de l'affection, même si comme c'est souvent le cas plusieurs épisodes dépressifs ont précédé l'éclosion du premier épisode maniaque. II - 1 - 18 Si les formes Unipolaires comprennent par définition les déprimés qui ne font que des épisodes dépressifs, au fil du temps un certain nombre d'Unipolaires vont rejoindre le groupe des Bipolaires. En moyenne il y a trois accès dépressifs avant le premier accès maniaque. Ces formes sont les plus fréquentes avec des degrés de gravité et de durée très variables et un décours cyclique. Les formes Unipolaires de type Maniaque sont très rares et doivent exclure une maladie organique sous-jacente. Les troubles schizo-affectifs se distinguent par la présence de symptômes schizophréniques entre des phases maniaques ou dépressives et sont classés tantôt du côté des troubles bipolaires, tantôt du côté des troubles schizophréniques (ce qui est le cas dans le DSM-IV et le CIM-10). L'épisode présent du trouble de l'humeur est lui-même est défini comme Maniaque, Hypomane (forme atténuée de l’état maniaque), Dépressif (avec diverses possibilités caractéristiques des épisodes dépressifs majeurs) ou Mixte (mélange de symptômes dépressifs et maniaques). Le trouble Bipolaire est donc une affection récurrente, qui débute souvent chez le jeune adulte, avec une incidence familiale élevée, de troubles bipolaires et unipolaires. Au sein d'une même famille la gravité d'expression du trouble peut être fort différente et on distingue : les Bipolaires I avec au moins un accès maniaque typique, et les Bipolaires II avec seulement un ou plusieurs accès hypomanes. Le statut des patients qui font un virage maniaque à la suite d’un traitement par antidépresseurs reste encore à définir et constituerait les Bipolaires III. L' intervalle entre 2 épisodes est très variable et les formes Bipolaires à plus de 4 épisodes par an sont dites à cycles rapides., ceux -ci sont plus fréquents chez les femmes et surtout précipités par l’utilisation des antidépresseurs lors des phases dépressives. Le caractère saisonnier ou non des épisodes peut être spécifié. II - 1 - 19 A. La symptomatologie de l’Episode Maniaque se calque en négatif sur celui de la dépression avec une élévation persistante et anormale de l’humeur pendant une période délimitée. Tableau : Critère d’un Episode maniaque selon le DSMIV A. Une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est élevée de façon anormale et persistante, pendant au moins une semaine (ou toute autre durée si une hospitalisation est nécessaire). B. Au cours de cette période de perturbation de l’humeur, au moins 3 des symptômes suivants (4 si l’humeur est seulement irritable) ont persisté avec une intensité suffisante : (1) augmentation de l’estime de soi ou idées e grandeur. (2) réduction du besoin de sommeil (le sujet se sent reposé après seulement 3 heures de sommeil…). (3) plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler constamment. (4) fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent. (5) Distractibilité (l’attention est trop facilement attirée par des stimuli extérieurs sans importance ou insignifiants…). (6) augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice. (7) engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé de conséquences dommageables (la personne se lance sans retenue dans des achats inconsidérés, les conduites sexuelles inconséquentes ou des investissements commerciaux déraisonnables…). Le patient se montre euphorique ou parfois irritable et même agressif. Il est inflatif, surestime ses capacités et a des idées de grandeur qui peuvent être délirantes. Les perturbations de sommeil montrent de l’insomnie, réduction du besoin de sommeil et impression d’être reposé après quelques heures de sommeil. Il y a accélération du temps vécu avec fuite des idées ou sensation subjective que les pensées défilent. Il vit à du 100 à l’heure, est impatient et met à bout son entourage par le rythme effréné de son action, présente agitation psychomotrice variable. Sa communicabilité est augmentée, il parle II - 1 - 20 beaucoup, haut et fort et coupe la parole à tout moment à son interlocuteur. La logorrhée peut être manifeste. Il est très distractible et se laisse distraire par des stimuli extérieurs sans importance. Son discours peut apparaître décousu avec des digressions et des coq à l’âne où il perd le fil de ce qu’il veut dire. Il est hyperactif, et son activité peut être orientée vers un but social, professionnel ,ou sexuel. Mais comme il peut s’engager sans mesure, ni réalisme dans des activités agréables, il se lance dans des aventures sentimentales, financières ou fait des achats inconsidérés sans commune mesure avec ses besoins ou ses revenus et peut se ruiner rapidement. B. La Cyclothymie consiste en une alternance d'épisodes hypomanes et dépressifs pendant au moins deux ans. Elle se caractérise comme la dysthymie par l'évolution chronique de symptômes de faible intensité. Les cyclothymes présentent des alternances typiques mais sans que les phases dépressives ou hypomanes n'atteignent jamais une intensité suffisante pour interférer de façon significative avec leur fonctionnement social, professionnel ou familial. Certains patients ont de très longues phases discrètement hypomanes et sont appréciés en fonction même de cette particularité sur le plan social et dans la vie privée: joviaux, entreprenant, avec un bon contact, une imagination vive, une activité débordante sans jamais aucun signe de fatigue (ils ont besoin de très peu de sommeil), ils constituent de très bons éléments dans divers secteurs de la vie professionnelle ou culturelle, avec une assurance et un optimisme à toute épreuve , parfois ils prennent un peu trop de risques , ce qui peut selon le cas tourner ou non à leur avantage. Leur créativité et leur imagination lorsqu'ils sont brillants dans le domaine, intellectuel ou artistique, peut faire d'eux des figures tout à fait exceptionnelles. Mais la médaille a son revers et ils peuvent avoir des périodes de dépression et de contre-performance avec tous les risques inhérents à ce type de virage de l'humeur. Des troubles Bipolaires mixtes sont constitués par un mélanges de symptômes dépressifs et maniaques et comportent un risque suicidaire non négligeable. Une série de troubles Bipolaires Atypiques sont des catégories résiduelles qui constituent les formes qui s’écartent des catégories précitées , par des tableaux atypiques sur le plan de la durée, des symptômes, de l’évolution ou sous l’influence de la médication. II - 1 - 21 Les troubles Bipolaires commencent souvent au début de l’âge adulte. Le diagnostic différentiel entre ces troubles et une crise d’adolescence est parfois délicat. En effet, l’abus de substance, l’alcoolisme et un comportement antisocial peuvent masquer un épisode maniaque souvent suivi d’une phase dépressive. 1.9. Les traitements des troubles de l’humeur 1.9.1 Traitement de la dépression L'état dépressif s'améliore et guérit sous l'effet du traitement, dans la grande majorité des cas. Le traitement « idéal » et le plus efficace est toujours double : il repose à la fois sur une approche psychothérapeutique et un traitement médicamenteux d’antidépresseurs à poursuivre pendant plusieurs mois après guérison (ce qui ne veut pas dire à vie !). Aussi, lorsqu'un résultat valable n'est pas obtenu au bout de quelques semaines, cela veut dire que la thérapeutique n'est pas bien adaptée, qu'il s'agit d'un état dépressif grave ou particulier ou qu’on a négligé l’aspect psycho relationnel. A. La relation thérapeutique Elle est capitale, primordiale. Le praticien est parfois la dernière tentative de conciliation du déprimé avec l'existence avant la résignation voire la tentative de suicide. Même en dehors du désir de suicide immédiat, le déprimé doit pouvoir donner sa confiance avant de livrer le fond du problème : la cause de la dépression réactionnelle, l'angoisse de la névrose, les idées délirantes. Ce contact attentif n'est pas une option de spécialité. Même s'il se sent incapable de prendre en charge le malade, le praticien doit poser un diagnostic exact avant de l'orienter avec empathie. Elle se réalise dans une double perspective : - écoute qui laisse le champ libre à la parole du sujet, le rôle du thérapeute étant de l'aider à s'exprimer - neutralité dans une atmosphère bienveillante. Voici quelques principes du traitement psychothérapeutique qui peuvent parfaitement être appliqués en médecine générale : Le but du traitement est une restauration de l’estime de soi et une reprise par le patient d’un sentiment de contrôle sur sa vie. Cadre de sécurité et étapes doivent être respectés. Le cadre : il est important d’établir un programme comprenant une série de rendezvous à intervalles réguliers et rapprochés. II - 1 - 22 Les étapes : en début de traitement, le patient n’a pas assez d’énergie pour s’investir dans une remise en question de lui-même. A ce stade, le thérapeute se doit d’être assez actif, chaleureux et empathique. L’antidépresseur peut représenter un signe concret du fait que le médecin prend en considération la souffrance du patient. Après un mois, en phase de stabilisation, le patient pourra commencer à faire luimême un travail de réflexion qui l’amènera à donner un sens à l’expérience dépressive. Le thérapeute doit alors soutenir le malade à jeter un regard critique mais constructif et déculpabilisant sur son existence. Il est utile d’amener le patient à parler des circonstances et des affects qui ont précédé la maladie et des réactions (ou du manque de réactions !) de son entourage. En effet, un épisode dépressif qui se chronifie est souvent une dépression « utilisée » comme moyen de communication dans le réseau relationnel. A la fin de l’épisode dépressif : ce n’est qu’au stade de la guérison que le patient sera vraiment en mesure de décider ou non de poursuivre une psychothérapie plus approfondie, psychanalytique, systémique... ou autre. B. Les antidépresseurs Le traitement médicamenteux de la dépression s’articule autour de l approche psychothérapeutique. Le traitement médicamenteux repose sur la prescription de thymoanaleptiques ou antidépresseurs. En effet, les déprimés reçoivent encore trop souvent des anxiolytiques pour leur anxiété, des somnifères pour leurs insomnies, des vitamines et des remontants pour leur fatigue, des explorations physiques pour leurs symptômes somatiques. Le médecin doit toujours prévenir le patient du délai nécessaire à l'action de l'antidépresseur : entre 3 à 5 semaines après la première prise. Il faudra également informer le patient au début du traitement des effets secondaires qui risquent de survenir d'amener le patient à interrompre son traitement. Le traitement antidépresseur ne peut être présenté comme le seul acte thérapeutique face à la dépression. Dans la majorité des cas, il est essentiel de donner ces explications également aux proches du patient (idéalement en sa présence pour ne pas l’infantiliser), qui accueilleront les premiers les inquiétudes et doléances du malade, ils pourront ainsi être un support social adéquat ( ni hyper protecteur ni rejetant). Tous les antidépresseurs vont dans le sens d’augmenter la quantité et/ou la fonctionnalité d’un ou de deux ou de trois des trois neurotransmetteurs incriminés dans la dépression Noradrénaline, Sérotonine et Dopamine Les antidépresseurs tricycliques Le premier tricyclique est l’imipramine (TOFRANIL®), ses principaux dérivés sont les clomipramine (ANAFRANIL®) et l’amitryptiline (REDOMEX®, TRYPTIZOL®). La dosulépine (PROTHIADEN®) aussi est un tricyclique. Les tricycliques ont l’inconvénient de leurs effets secondaires atropiniques : sécheresse de bouche, hypotension, tachycardie, constipation, dysurie, troubles de l’'accomodation visuelle, hypotension orthostatique, tremblements des doigts,. Il faut également noter une prise de poids par stimulation de l’appétit. II - 1 - 23 Les molécules apparentées entraînent moins d’effets secondaires et sont soit des tétracycliques comme la maprotiline (LUDIOMIL®), la miansérine (LERIVON®), soit d’autres molécules comme la viloxazine (VIVALAN®). Les avantages des Tricycliques et apparentés sont : x une efficacité établie dans le traitement de la dépression x 30 ans d'expérience, bon marché x Les désavantages des tricycliques sont les suivants : x risque létal très élevé en cas d'overdose x contre-indications nombreuses en raison des effets atropiniques : x glaucome, prostatisme, troubles de la conduction auriculo-ventriculaire Les IMAO Les inhibiteurs de la mono-amine-oxydase sont des molécules de maniement délicat à cause des contre-indications à leur associer de nombreuses substances médicamenteuses et alimentaires. Les inhibiteurs sélectifs de la mono-amine-oxydase de type A ne comportent plus cet inconvénient. C’est le cas du moclobémide (AURORIX®). Les SSRI ou ISRS Les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine sont actuelemen le plus prescrits (avec d’ailleurs le risque de banalisation…) : la fluvoxamine (FLOXYFRAL®), la fluoxétine (PROZAC®), la trazodone (TRAZOLAN®), le citalopram (CIPRAMIL®, SIPRALEXA®), la sertraline (SERLAIN®), la paroxétine (SEROXAT®) Le RIMA inhibiteur spécifique et réversible de la mono-amine-oxydase le moclobémide (AURORIX®). Le NARI inhibiteur de la recapture de la noradrénaline, la Réboxétine (EDRONAX®) préconisé dans les dépressions adynamiques ou en association avec un SSRI Les SNRI inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline : la venlafaxine (EFEXOR®) et la duloxétine (CYMBALTA®). Le NDRI inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine : le bupropion (WELLBUTRIN®). L’avantage principal des molécules récentes est qu’elles sont moins dangereuses et dépourvues des effets secondaires des tricycliques classiques, notamment les troubles cardiovasculaires, la prise de poids et l’hypotension orthostatique. Les effets secondaires propres à ces molécules consistent essentiellement en céphalées et nausées et troubles de la sexualité, en particulier les SSRI. Choix de l’antidépresseur II - 1 - 24 Le praticien peut être guidé dans son choix par les éléments anamnestiques (résultats des prises antérieures) et les éléments cliniques (effet recherché plus stimulant ou plus sédatif, contre-indications à éviter). Rappelons que les antidépresseurs doivent être prescrits à doses progressives et être maintenus au minimum 2 à 3 mois après l’amélioration clinique. Le délai d’action peut être assez rapide pour certains malaises somatiques mais il est d’environ 15 jours pour une amélioration de fond. Il paraît indiqué de prévenir les patients pour qu’ils ne soient pas trop déçus par une absence d’action immédiate.Les molécules plus récentes (Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la Sérotonine, les inhibiteurs de la recapture Sérotonine et de la Noradrénaline et inhibiteur de la recapture de la Noradrénaline et de la dopamine /noradrénaline) possèdent une efficacité équivalente dans la plupart des dépressions mais sont nettement plus coûteux. Ils sont également plus confortables puisqu’ils ont des effets indésirables limités et une toxicité réduite en cas d’ingestion volontaire. Ce meilleur confort est important dans la mesure où la plupart des patients déprimés arrêtent prématurément leur traitement suite aux effets indésirables. La non compliance au traitement étant la pierre d’achoppement de tous les psychotropes. D’autre part, ces antidépresseurs peuvent être prescrits à des doses actives alors que les tricycliques demandent une augmentation progressive de la dose et ne sont donc pas pris à la dose efficace dans la plupart des cas, et certainement pas lors de prises au long cours chez des patients pour lesquelles un traitement préventif des récidives est indiqué (Ex. : patients qui font de nombreux épisodes récurrents). C. Les psychothérapies spécifiques Rappelons le bien, celles-ci ne doivent être entamées que lorsque l'épisode dépressif est déjà fortement amélioré et dans la suite de la prise de conscience déjà entamée par le praticien de première ligne Le choix du type de psychothérapie n'est pas toujours aisé. Quelquefois, on proposera une association de deux types de psychothérapie (par ex. : une thérapie de couple et une thérapie individuelle). II - 1 - 25 - La thérapie de couple sera privilégiée si les problèmes dépressifs sont manifestement liés à des désaccords ou des malentendus au sein du couple et si les deux membres de celui-ci en sont bien conscients. - La thérapie familiale sera préférée si les symptômes du patient qui se sent triste ou déprimé sont l'expression d'un malaise plus large lié à un dysfonctionnement de la communication et des échanges au sein de la famille. - Une psychothérapie d'inspiration psychanalytique sera envisagée face à un patient qui rencontre des problèmes liés à son fonctionnement psychique personnel face au travail, à sa vie sentimentale ou aux décisions à prendre dans sa vie, et particulièrement s'il se retrouve pour une nouvelle fois confronté aux mêmes problèmes, liés à ce que nous appelons la compulsion inconsciente à la répétition. - Une psychanalyse peut lui être conseillée, mais le sujet devra cependant être conscient de l'intérêt de cette démarche dans laquelle il est essentiel qu'il s'implique avec motivation. - L’approche corporelle par massage, relaxation et encouragement à une pratique sportive sans compétition est un traitement adjuvant qui peut participer au retour de perceptions agréables et de confiance en soi. D. L'hospitalisation psychiatrique Les approches thérapeutiques décrites précédemment permettront de prendre en charge la grande majorité des troubles dépressifs en clinique ambulatoire. L'hospitalisation psychiatrique, qui ne doit jamais être présentée comme une sanction, sera envisagée pour les « cas » les plus lourds mais aussi lorsque les difficultés relationnelles sont trop importantes et qu’un éloignement temporaire des protagonistes s’avère utile. - épisode dépressif majeur, avec composante psychotique délirante, que l'on appelle encore souvent dans la psychiatrie française, la mélancolie délirante. - idéation suicidaire marquée chez un patient présentant des troubles du sommeil, des troubles des fonctions cognitives et qui ne dispose pas d'un entourage susceptible de l'entourer à domicile - comorbidité d'un état dépressif grave associé à des troubles alcooliques ou de toxicomanie aux médicaments et où le risque suicidaire est majeur - antécédents d'épisodes dépressifs majeurs s'étant accompagnés de tentatives de suicide graves ou antécédents actuels de tentatives de suicide gravissimes II - 1 - 26 Dans les cas résistants, l’hospitalisation permet aussi l’utilisation sous anesthésie générale d’électrochocs (ou convulsivothérapie ou électronarcose) qui donnent parfois des résultats très rapides. 1.9.2. Traitement de la manie L'abord thérapeutique du patient en phase maniaque floride sera toujours délicat et difficile. En règle générale, le patient sera amené par sa famille qui aura été alertée par ses extravagances, ses dépenses inconsidérées, ses démarches intempestives. Souvent aussi, ce sera la police qui sera appelée devant les débordements pulsionnels du patient : propositions sexuelles, attentats à la pudeur, excès éthyliques, altercations, violences, ... Lorsque le maniaque est finalement contraint à rencontrer un médecin, le contact est difficile : il ne se sent pas malade, ne comprend pas pourquoi il est là. Il se sent léger, heureux, voit la vie en rose. Rien ne l'intimide. Il est d'une familiarité excessive avec tous, les objections sont écartées d'un geste, les difficultés abolies. Son humeur est versatile et il peut passer à des accès de colère, comme à des accès d'angoisse en quelques instants. Devant pareil état, de longues négociations sont, le plus souvent, aussi infructueuses qu'épuisantes. Il y a peu de risque de passages à l'acte auto.- ou hétéro-agressifs. Néanmoins, le sujet risque de détruire son image sociale et de se mettre, lui et les siens, dans des difficultés souvent très graves et qui mettent en danger son avenir. Il faut mettre un frein au désordre maniaque et seule une hospitalisation en milieu psychiatrique peut être envisagée. Dans certains cas, l'agitation du patient sera telle qu'elle nécessitera une médication et un isolement immédiat. Dans d'autres cas, la position ferme et décidée du psychiatre ou du médecin coupera court aux manipulations verbales du maniaque. Le recours à la mise en observation est quelques fois nécessaire. Si une médication doit être prescrite en urgence, la voie intramusculaire sera préférée à la voie orale. L'attitude thérapeutique sera évidemment différente en présence d'un premier épisode ou en présence d'un patient bipolaire connu. Dans ce cas, il est important de connaître les médications psychotropes déjà prises par le patient, les doses tolérées et suffisantes. II - 1 - 27 En situation aigüe, on prescrit généralement un cocktail sédatif (par ex. : Haldol, DHB, Temesta). Pendant l'hospitalisation, le traitement utilisera les effets des neuroleptiques pour calmer l'agitation et les troubles du comportement du patient et pour rétablir la régularité du cycle nycthéméral. La base du traitement sera que le patient finisse par établir une relation de confiance avec un soignant pour assurer le traitement de fond qui consiste en un stabilisateur de l’humeu .Le plus classique et le plus ancien consiste en l'utilisation des sels de lithium. qui permet aussi diminuer l'intensité de l'épisode maniaque. 1.9.3. Les traitements prophylactiques des troubles bipolaires : les thymorégulateurs Il existe plusieurs médications thymorégulatrices : 1° Les sels de Lithium Les sels de Lithium sont utilisés depuis plus de 30 ans comme traitement prophylactique des troubles bipolaires. L'instauration d'un traitement impose cependant une mise au point médicale préalable : - examen somatique général avec recherche de goître, d'hypertension artérielle, de dysthyroïdie - bilan cardiaque avec ECG et recherche de troubles de la repolarisation et du rythme cardiaque - bilan rénal avec dosage de l'urée, de la créatinine et recherche d'albuminurie - bilan ionique avec ionogramme sanguin pour dépister un déséquilibre sodique ou potassique - bilan thyroïdien (T3, T3RU, TSH, T4) Le but du traitement est d'obtenir un taux plasmatique de Lithium entre 0,7 et 1 mmol/l qui correspond à la "fourchette" entre l'efficacité du traitement et le risque toxique. II - 1 - 28 La posologie initiale doit être initiée en trois prises réparties sur la journée sous forme de carbonate de Lithium (Maniprex®) ou de glutamate de Lithium (Neurolithium®), entre 1 g et 1,5 g par jour. Ce traitement au Lithium doit être surveillé régulièrement par un dosage plasmatique et intraérythrocytaire de Lithium, après une semaine de prise, puis tous les 15 jours jusqu'à obtention du taux idéal, puis par la suite tous les mois puis tous les deux mois. Le taux plasmatique doit rester entre 0,7 et 1 mmol/l et le taux intraérythrocytaire doit représenter un tiers du taux plasmatique. Les effets secondaires de la cure prophylactique au Lithium sont nombreux : - tremblement digital, accompagné parfois de dysarthrie - troubles digestifs (nausées, dyspepsie, diarrhées) - soif, polydypsie et polyurie - troubles thyroïdiens (goitre euthyroïdien) - prise pondérale (effet insuline-like du lithium) - apathie et indifférence L'intoxication hyperlithiémique, en cas de surdosage, de régime hyposodé ou de tentative de suicide, est très grave. Elle se marquera au début par des vomissements et des diarrhées, un tremblement ample des mains, une dysarthrie, des vertiges et un ralentissement idéatoire. En cas d'intoxication grave et aigüe, on observe, outre ces signes précurseurs, une confusion mentale qui cède la place rapidement à un coma avec fasciculations musculaires, nystagmus et crise d'épilepsie grand mal. On peut observer une oligoanurie qui peut nécessiter une dialyse extrarénale. L'intoxication au Lithium est une urgence vitale qui peut conduire à la mort. Elle impose un envoi aux soins intensifs. Les contre-indications au traitement au Lithium doivent être bien connues : - le régime sans sel (la déplétion hydrosodée provoque la réabsorption tubulaire massive du Lithium, l'hyperlithiémie et la pénétration intracellulaire du Lithium) II - 1 - 29 - l'hyponatrémie - la prescription de diurétiques favorisant l'excrétion du sodium - l'insuffisance rénale - les désordres ioniques - la grossesse : le Lithium peut provoquer de graves effets tératogènes chez le foetus, particulièrement dans les six premiers mois de la grossesse. Il doit obligatoirement être arrêté devant tout risque de grossesse 2° Les anti-épileptiques A. La carbamazépine (Tegretol®) De nombreuses études mettent en évidence que la carbamazépine a les mêmes propriétés thymorégulatrices que le Lithium sans en avoir pour autant les effets secondaires et les contre-indications. La dose quotidienne efficace varie de 400 à 600 mg répartis en 2 à 3 prises. Si les effets secondaires de la carbamazépine sont moins graves que ceux des sels de Lithium, ils existent et il faut les connaître : - effets sur le SNC : vertiges, céphalées, somnolence, fatigue, ataxie - nausées, vomissements - réactions allergiques cutanées - DXJPHQWDWLRQGHVǶ*7HWGHVWUDQVDPLQDVHV - leucopénie et thrombocytopénie Les dosages réguliers doivent être réalisés pour éviter tout risque de surdosage. Ils doivent être accompagnés de dosage des enzymes hépatiques, des globules blancs et des plaquettes. On conseillera donc la carbamazépine aux patients qui ne réagissent pas aux sels de Lithium, ou qui ont des effets secondaires ou des contre-indications à leur usage. Enfin, en cas de grossesse ou de femme désirant être enceinte, on préférera également la carbamazépine qui ne présente pas d'effet tératogène. II - 1 - 30 B. Le valproate (Depakine ®) Il s'agit du troisième médicament utilisé comme thymorégulateur même s'il semble, à l'usage, moins efficace que les sels de Lithium et la carbamazépine. Le valproate a peu d'effets secondaires, si ce n'est une légère action sédative, une tendance à potentialiser les autres psychosédatifs et des risques de confusion mentale chez les sujets âgés. La posologie journalière est de 2 à 3 comprimés par jour. C. Lamotrigine (Lamictal, Lambipol en psychiatrie) est une molécule particulièrement prometteuse dans les formes à dominante dépressive. Il faut commencer par de petites doses car il y a un risque de complications cutanées graves au début du traitement 1.9.3. Remarques complémentaires sur le traitement des troubles dépressifs A. Le traitement de l’épisode dépressif. La dépression est une maladie récurrente dans plus de 80 % des cas. La dépression sera résistante au traitement et connaîtra un décours chronique dans au moins 15 % des cas, une partie des dépressions résistantes au traitement ne vont heureusement pas durer suffisamment longtemps pour se transformer en dépression chronique. Le délai d’action d’un traitement médicamenteux antidépressif est de l’ordre de 3 à 4 semaines, cette durée peut encore être allongée lorsque le patient est plus âgé. Le traitement est idéalement combiné, psychothérapeutique et médicamenteux mais doit aussi tenir compte des souhaits du patient. La thérapie de soutien et une écoute attentive et empathique est au minimum souhaitable dans tous les cas. Certaines formes de psychothérapie plus spécifique peuvent être utilisées seules si le patient ne souhaite pas un traitement médicamenteux et à condition que sa dépression ne soit pas trop sévère. Il est à noter que la dépression a souvent des conséquences sur le milieu du travail, le milieu conjugal et familial et une prise en charge globale de tous les aspects de la dépression est souvent nécessaire. B. Les traitements des formes sévères de dépression. II - 1 - 31 Le recours à l’hospitalisation s’indique lorsqu’il y a un risque de suicide important, lorsqu’il y a peu de soutien social ou lorsqu’il y a de nombreuses problématiques psychiatriques ou psychosociales surajoutées. Dans les dépressions avec caractéristiques psychotiques, les neuroleptiques doivent être systématiquement prescrits, associés ou non à l’antidépressif. Dans les formes sévères et résistantes, après avoir utilisé plusieurs combinaisons de traitement, les tricycliques et les IMAO, on peut procéder à un traitement par électrochocs. Les traitements par photothérapie sont indiqués lors de dépression saisonnière. C. Quelles sont les causes de résistance au traitement antidépressif dans la dépression chronique? La question ne se pose que lorsque la dépression est chronique, en effet, au bout de quelques mois la plupart des épisodes dépressifs se résolvent spontanément. Lors d’une dépression résistante les points suivants sont à prendre en considération : 1. L’erreur de diagnostic, la mauvaise estimation des comorbidités somatiques et psychopathologiques. Notamment l’alcoolisme qui rend inopérant le traitement antidépressif ou une pathologie médicale sous-jacente insuffisamment prise en charge (Ex. : hypothyroïdie, douleur chronique, etc ..) 2. La dose insuffisante, la durée insuffisante du traitement ou l’arrêt prématuré de la médication. Deux cas d’espèces peuvent survenir, d’une part le traitement est arrêté prématurément car le patient a l’impression que le traitement inutile car il n’a pas un effet thérapeutique immédiat, d’autre part le patient a répondu favorablement dans les 3-4 semaines qui suivent le début du traitement mais l’évolution spontanée de son épisode requérait une médication de plusieurs mois et après une amélioration il arrête son traitement et une rechute rapide peut se produire. II - 1 - 32 3. La non-compliance au traitement dans tous les aspects de celui-ci, c’est-à-dire à la fois médicamenteux et psychothérapeutique, l’absence de prise en charge psychologique et relationnelle avec une problématique sous-jacente qui n’a pas été suffisamment estimée (névroses, phobies, troubles de la personnalité, etc ..). 4. Le mauvais support social familial et conjugal, le fait d’être isolé, sans emploi en situation de précarité sociale et économique, de même que des conflits familiaux et conjugaux importants peuvent contribuer à la chronification d’un épisode dépressif. D. Quelles sont les autres indications des antidépresseurs? Les troubles anxieux constituent une indication de plus en plus documentée 1. Les attaques de panique Le traitement idéal est un traitement par inhibiteur de la recapture de la Sérotonine ou l’Anafranil qui est un tricyclique qui agit essentiellement sur la Sérotonine. Les doses recommandées sont plus faibles que pour la dépression. 2. Les phobies sociales Plusieurs types d’antidépressifs ont été proposés, notamment les inhibiteurs de la monoamine-oxydase dont notamment le Moclobémide et les inhibiteurs sélectifs de la Sérotonine. 3. Le trouble obsessionnel compulsif. Les inhibiteurs spécifiques de la Sérotonine ou l’Anafranil sont les traitements médicamenteux de choix. Il est à noter que la dose prescrite est nettement plus élevée jusqu’à 3 fois celle utilisée dans la dépression et la latence des effets du traitement est plus longue ; on ne peut conclure à l’absence d’effets qu’au bout d’une imprégnation qui a duré au moins 3 mois. 4. L’anxiété généralisée. Divers antidépressifs sont à l’étude dans cette indication notamment les SSRI et la Venlafaxine. NB : L’anxiété-symptomatique et de courte durée fait plus souvent l’objet d’une prescription de Benzodiazépine II - 1 - 33 NB : Ces indications ne préjugent pas de l’intérêt des traitements psychothérapeutiques avec lesquelles les antidépresseurs peuvent être combinés. 1.10 Conclusions Affection fréquente, handicapante mais susceptible de traitements efficaces et en général de bon pronostic, les troubles de l’humeur gagnent à être plus souvent et plus précocement diagnostiqués. Une prise en charge correcte et intensive va diminuer notablement la morbidité, et permettre une reprise des activités professionnelles et sociales plus rapide et dans de meilleures conditions. Les deux complications psychiatriques les plus fréquentes des troubles de l’humeur sont d'une part les assuétudes (alcool et/ou médicaments de façon épisodique au début, ensuite de façon plus chronique) et de l'autre les suicides et les tentatives de suicide, surtout dans les formes bipolaires, récurrentes et dysthymiques. Une troisième complication est la chronification des symptômes somatiques sans que la souffrance morale ne soit reconnue. Une collaboration étroite et respectueuse entre intervenants médicaux de première ligne, psychiatres et psychologues occupe dans ce créneau une place de choix pour dépister et soigner cette affection complexe dont la fréquence ne cesse d’augmenter dans nos sociétés. II - 1 - 34 BIBLIOGRAPHIE x • ANGST J. — The origins of depression : current concepts and approaches, 1983, Springer-Verlag. 471 pages. x • ANGST J. — The course of Major Depression, Atypical Bipolar Disorder, and Bipolar Disorder in : New Results in Depression Research; Ed. H. Hippius et Al pp. 26-35. x • BECH P., KASTRUP M., RAFAELSEN O.J. — Echelles d'anxiété, de Correspondance avec le DSM-III, manie, de dépression et de schizophrénie. 1989, Masson, 76 pages. x • DOHRENWEND B. S. et DOHRENWEND B.P. — Stressful Life Events. Their nature and effects. 1974, John Wiley & Sons, Inc., 340 pages. x • x Titre original de l'ouvrage : DIAGNOSTICAL AND STATISTICAL MANUAL OF DSM-IV. Critères diagnostiques –4è Edition Masson 1996 MENTAL DISORDERS; Fourth Edition, 1993, The American Psychiatric Association, Washington. DC. x • PHILLIPS K.A., GUNDERSON J.G., HIRSCHFELD R.M.A. — A review of the Depressive Personality, Am. J. Psych., 1990, 147, 830-37. x Castren E.-“is mood Chemestry” Nature Neuroscience Rewiews 2005 H.I.KAPLAN ET B.J. SADOCK Livre de poche de psychiatrie clinique. Pages 121-138 Ed.Pradel II - 1 - 35 Cas cliniques Fausse dépression Une jeune femme de 23 ans est envoyée chez le psychiatre parce qu’elle a tenté, il y a 3 jours, de se suicider en prenant une vingtaine de comprimés de temesta, benzodiazépine de type anxiolytique. Le médecin traitant estime qu’elle est très déprimée et qu’il faut absolument l’hospitaliser et mettre en place un traitement antidépresseur. Lors de l’entretien, la patiente apparaît de fait extrêmement désemparée, pleure tout le temps. Elle vit extrêmement mal la rupture avec son fiancé qui lui a déclaré trois jours auparavant qu’il ne l’aimait et qu’il ne se marierait pas avec elle, comme prévu, dans deux mois. Apprenant par la suite que celui-ci entretient une relation avec une autre femme, elle a tenté de se suicider. Interrogé par le psychiatre, il apparaît de fait qu’elle ne peut supporter l’idée de voir son fiancé l’abandonner et quelque part, lui échapper ! Cependant, depuis une semaine, même si elle pleure beaucoup quand elle y pense, elle continue à travailler comme secrétaire de direction et, ainsi peut-elle, ne ressent pas de difficultés à exécuter ses activités habituelles. “ Heureusement qu’il me reste mon travail !”. Elle continue à bien dormir, ne se réveille pas plusieurs fois pendant la nuit, ne se sent pas particulièrement fatiguée, ne présente pas de troubles des fonctions cognitives (ni problème de mémoire ni de concentration à son ordinateur, elle mange normalement). Dans ce cas clinique, il y a manifestement une grande détresse vécue par la patiente à la suite de cette rupture sentimentale et il ne faut pas prendre sa tentative de suicide à la légère. Cependant, il ne s’agit en aucun cas d’un état dépressif grave ou dépressif majeur mais d’une réaction aiguë à ce deuil sentimental. Il y aura probablement lieu ni d’hospitaliser en psychiatrie ni de lui mette en place un traitement médicamenteux antidépresseur. Par contre, une approche psychothérapeutique pour l’aider à assumer ce deuil, et surtout à comprendre pourquoi elle est atteinte si fortement, permettra sans doute à cette patiente de reprendre assez vite en main en son existence. Dépression majeure Monsieur X est directeur adjoint d’une grande entreprise de communication. Il travaille énormément, plus de 60 heures par semaine mais, dit-il, adore son travail. Il y a 6 mois, son épouse, lasse de ne quasiment jamais le voir, a demandé le divorce et s’est séparée de lui. Le patient dit avoir bien “digéré” la chose et a voulu garder et est parvenu à garder de bons contacts avec son épouse. Le motif de la consultation chez son médecin traitant est surtout motivée par une fatigue anormale alors que le patient insiste pour dire qu’il n’a pas plus de travail que d’habitude II - 1 - 36 et des problèmes marqués de concentration et d’attention. Il estime mettre beaucoup plus de temps que d’habitude pour clôturer ses dossiers et s’en trouve ainsi handicapé dans sa vie professionnelle. Devant l’insistance du patient, le médecin traitant accepte de lui faire une prise de sang pour vérifier la biologie courante et demander en même temps des tests de dépistage de la toxoplasmose, de la mononucléose, de l’hépatite. Quinze jours plus tard, à la deuxième consultation, il s’avère que tous les tests sanguins sont normaux y compris les tests de sérologie virale. La fille aînée du patient l’accompagne et explique au médecin traitant qu’elle a l’impression que “papa n’est plus comme avant”, le trouve plus renfermé sur lui-même, plus triste. Elle persiste dans ses dires malgré les dénégations du patient qui estime qu’il n’est pas du tout triste ni déprimé. En réinterrogeant le patient, il s’avère que cette fatigue dont il se plaint s’installe dès le lever et qu’elle disparaît seulement vers la fin de l’après-midi et la soirée. Le patient reconnaît également dormir mal, se réveiller plusieurs fois pendant la nuit, et devoir de plus en plus souvent prendre un somnifère pour passer une nuit complète. En le mettant sur la balance, le médecin généraliste observe une perte de six kilos et demi par rapport à un examen de routine de l’année précédente. Le diagnostic psychiatrique posé est bien celui de dépression majeure. En effet, même si l’humeur dépressive est surtout mise en évidence par l’entourage, il est clair que le trouble dépressif s’exprime surtout par des troubles des fonctions cognitives, une fatigabilité matinale importante, une asthénie généralisée que par une idéation suicidaire, une humeur triste. La prise en charge devra associer à la fois un traitement médicamenteux antidépresseur et une prise en charge psychothérapeutique de soutien. Dysthymie Madame Y se présente à la consultation spécialisée de cardiologie pour d’incessantes palpitations qui l’handicapent jour et nuit, dit-elle. Elle se plaint également de jambes lourdes, d’œdème malléolaire, non objectivé par le clinicien, également de plaintes diverses dans la sphère digestive : dyspepsie, éructations, lourdeur gastrique. L’E.C.G. s’avérant tout à fait normal, tout comme l’examen clinique et cardiologique, le cardiologue, devant ce tableau polymorphe de plaintes somatiques fonctionnelles, conseille à la patiente d’aller voir un neurologue. Après une longue discussion finalement, celle-ci accepte. Quelques jours plus tard, la patiente se retrouve en consultation de psychiatrie. Le mot du cardiologue est sans équivoque : patiente hypochondriaque majeure souffrant de toutes les plaintes somatiques fonctionnelles du monde. Pouvez-vous faire quelque chose pour elle ? Lors de l’examen psychiatrique, la patiente, à nouveau, insiste sur l’ampleur et les désagréments de ses plaintes somatiques. Néanmoins petit à petit, le psychiatre parvient II - 1 - 37 à parler d’autre chose que de plaintes somatiques. Ses plaintes somatiques sont présentes dans la vie de la patiente depuis 3 ans. Elles sont apparues quelques mois après son licenciement pour réduction de personnel. Depuis lors, elle n’a plus retrouvé d’activités professionnelles. Quand on l’interroge mieux, la patiente reconnaît être fatiguée en permanence, ne plus savoir vaquer à ses occupations quotidiennes que très superficiellement et avec effort. Elle reconnaît avoir pris en deux ou trois ans plus de quinze kilos. Les nuits sont bonnes. Néanmoins, elle a le sentiment de ne plus pouvoir se concentrer et d’avoir des trous de mémoire et des difficultés énormes de concentration. Quant à savoir si elle se sent triste ou déprimée, elle répond par la négative, mais reconnaît néanmoins que, depuis lors, elle n’est “plus comme avant”. Nous nous trouvons dans cette situation devant un cas typique de trouble dépressif de type dysthymique qui s’est installé à bas bruit à la suite du licenciement de la patiente. Ce trouble s’est manifestement chronifié et dure maintenant depuis plus de 3 ans. La patiente n’a pas réellement la conscience d’être déprimée et ne présente pas les troubles Habituels de l’idéation suicidaire ou du désespoir du dépressif grave. On note par contre une réelle perte d’espoir en l’avenir, une fatigue qui s’insinue partout, des troubles des fonctions cognitives et ce sentiment de ne plus pouvoir fonctionner comme auparavant et d’avoir des difficultés à vaquer à ses occupations. II - 1 - 38 2. TROUBLES PSYCHOTIQUES : 2012 2.1. LES BOUFFEES DELIRANTES L’ensemble des syndromes psychotiques avec délire aigu est repris dans le tableau en 2.1.4. Nous décrirons ici le tableau le plus caractéristique : la bouffée délirante. La notion de "bouffée délirante polymorphe" a été introduite par V. Magnan en 1866. Très utilisée dans l’espace culturel francophone, l'entité nosologique de ce syndrome est spécifiquement française, là où d'autres écoles psychiatriques (notamment américaine) parleraient de schizophrénie aiguë ou de psychose réactionnelle brève. Ainsi, le D.S.M.IV distingue le "trouble psychotique bref" (d'une durée de moins d'un mois ) du "trouble schizophréniforme" (d'une durée de moins de 6 mois). L'intérêt de ces distinctions est de pouvoir différencier les épisodes psychotiques aigus et les troubles chroniques (comme la schizophrénie ou la paranoïa). Le terme de trouble schizophréniforme présente comme intérêt majeur de différer l'attribution d'un diagnostic de schizophrénie toujours traumatisant pour le patient et sa famille, et parfois démotivant pour certaines équipes thérapeutiques. Il s'agit d'une flambée psychotique affectant le plus souvent le sujet adulte ou adolescent, mais elle peut aussi se rencontrez chez l'enfant. L'épisode survient brutalement quasi toujours après un traumatisme psychologique ou dans une situation déstabilisante pour l'individu (par exemple : fin de scolarité, succès ou échec inattendu, rupture sentimentale, éloignement brusque des proches), même si le caractère déstabilisant de l'événement n'apparaît pas toujours comme tel à l'entourage ou au patient lui-même. Magnan le décrivait comme "un coup de tonnerre dans un ciel serein". 2.1.- SYMPTOMES On peut rencontrer tous les symptômes psychotiques aigus (aussi bien de la lignée schizophrénique que maniaco-dépressive) dans ce syndrome, ce qui justifie l’appellation de polymorphe choisie par MAGNAN. - idées délirantes, délire mal organisé de persécution, mystique ou mégalomaniaque - hallucinations auditives et cenesthésiques (corporelles, courants électriques) - dépersonnalisation : dédoublement, perte de soi, de son identité sexuelle - variation brusque de l'humeur d'un moment à l'autre (oscillation rapide de l’exaltation maniaque à la dépression suicidaire) II-2- 1 - angoisse très intense, panique - agitation (le plus souvent) mais parfois sidération jusqu’à la catatonie (avec délire inexprimé) - insomnie majeure - risque de suicide ou d'automutilation (peut arrêter complètement le délire) 2.1.2- EVOLUTION Il s’agit d’un accès psychotique nécessairement bref, ce qui implique une disparition des symptômes parfois en quelques jours, le plus souvent en quelques semaines (attention aux critères temporels du D.S.M.-IV!). Ce sera un accident unique dans 50 % des cas, sans répétition de l’accès aigu dans la suite de la vie de la personne. Cependant pour les autres 50% des cas, la guérison rapide ne met pas à l'abri d'une récidive. En fait, la personnalité prémorbide et les antécédents familiaux de psychose chronique permettent d'anticiper très imparfaitement le devenir : soit évolution intermittente (25 %) avec transformation possible en psychose maniaco-dépressive classique (trouble bipolaire), soit évolution vers une chronicité psychotique (25 %) de type schizophrénie avec délire, hallucination, éventuellement déficit ou encore paranoïa. 2.1.3.- TRAITEMENT Les neuroleptiques sont indiqués dans la phase aiguë, si nécessaire sous forme d’injection. Le choix se portera sur des neuroleptiques classiques à effets plus sédatifs ou plus anti-psychotiques suivant la symptomatologie dominante. Une psychothérapie individuelle et familiale, même brève, s’est toujours révélée favorable quant à l’évolution. Les entretiens doivent commencer dès que possible. Le cas clinique suivant en offre une illustration. La psychothérapie, en tant qu’intervention thérapeutique spécialisée visera à élucider pour le sujet la “nécessité intérieure de tomber malade” et permettra, dans les meilleurs cas, de se libérer de cette contrainte, ce qui constituera une diminution certaine du risque de rechute psychotique. II-2- 2 2.1.4. Tableau récapitulatif des délires aigus 1. a) Trouble psychotique bref : (durée < 1 mois) = Bouffée délirante polymorphe b) Trouble schizophréniforme : (durée 1 à 6 mois) 2) Exacerbation aigüe de Psychose chronique - schizophrénie (durée > 6 mois) - paranoïa ( + tardif ; chronique ; pas d’hallucination ; pas de déficit) 3) Trouble de l’humeur - délire mélancolique aigu - délire maniaque aigu 4) Confusion mentale aiguë (syndrome psycho-organique aigu) - intoxication volontaires (ecstasy) ou involontaire du fonctionnement (surdosage médicamenteux) - sevrage (Alcool – Delirium Tremens) - tout facteur de décompensation cérébral (déménagement, infection, insomnie …) 5) Psychose du post-partum 2.1.5 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Follin S. Vivre en délirant Les empêcheurs de tourner en rond, Paris, 1993 Grivois H. Psychose naissante, psychose unique ? Masson, Paris, 1991. 5.- CAS CLINIQUE : Bertrand ou le successeur désigné 1°La filiation paternelle : Paul, le père du patient, est âgé de 55 ans. Il est issu d'une famille d'industriels actifs dans les engrais. L'affaire familiale a été fondée par la grand-mère maternelle qui avait été laissée libre par son mari, rentier, de fonder une activité qui l'occuperait. L'oncle maternel et le père de Paul se sont occupés de l'affaire jusqu'à leur décès, survenu à quelques mois de distance, lorsque Paul était âgé de 25 ans. La vocation de Paul était de faire des études de médecine et de devenir généraliste. Au moment du choix réel de ses études, il avait été convaincu, en particulier par sa grand-mère, de choisir les sciences économiques. Après quelques mois d'études, II-2- 3 il avait dû abandonner celles-ci contre son gré en raison d'une maladie grave du père (cancer). Il avait alors fait des stages pratiques à l'étranger et son service militaire afin d'être prêt le plus vite possible pour la reprise de l'affaire familiale. Désigné de tout temps par la grand-mère fondatrice comme le successeur, il reprend la direction de l'entreprise au décès de son père et de son oncle, à l'âge de 25 ans. Il se marie à l'âge de 30 ans. Paul apparaît comme un personnage assez anxieux et tendu, extrêmement ponctuel et soucieux des convenances. Il est très respectueux de l'autorité médicale. Après avoir développé intensément son affaire, il l'a revendue et se trouve actuellement à la tête d'une chaîne d’entretien automobile. 2° La filiation maternelle : La mère de Bertrand, Andrée, est âgée de 46 ans ; elle a une sœur aînée de 47 ans. Cette sœur aînée est divorcée et la mère d'un enfant autiste d'une vingtaine d'années. Andrée a eu de bons contacts avec son père jusque dans les dernières années. Par contre, elle s'est sentie depuis toujours, rejetée par sa mère, qui aurait préféré sa sœur. La mère l'appellerait « la folle », appellation qu'elle aurait étendu récemment à l'ensemble de la famille de Paul et Andrée en les désignant comme les « quatre fous de Z ». Les rapports entre Andrée et son père se sont tout à fait dégradés il y a 4 ans lorsque Paul a racheté la maison située en Ardennes, dans laquelle les beauxparents passaient leurs vacances et qui se trouvait en indivision entre sa bellemère et ses frères. Monsieur Paul a fait des frais dans cette maison et en a quelque peu réglementé l'accès à sa belle-famille. La situation était tellement tendue que les parents d'Andrée ne s'y sont pas rendus cet été pour les vacances, mais ont loué un appartement voisin. Les ponts semblent tout à fait rompus entre Andrée et sa famille. Par contre, les enfants ont gardé un certain contact avec leurs grandsparents ; en particulier, Bertrand est le préféré de sa grand-mère alors que son frère, Emeric, est le préféré de son grand-père. Depuis 4 ans, Andrée est en traitement chez un psychiatre pour "dépression". Elle a été soignée par antidépresseurs et anxiolytiques. Encouragée par ce psychiatre, elle a repris depuis un an des activités comme étudiante à l'école des Beaux-Arts. Andrée se montre une personnalité anxieuse, extrêmement peu sûre d'elle et se questionnant sur sa responsabilité quant aux difficultés que connaît Bertrand actuellement "C'est sûrement de ma faute si Bertrand est comme cela. Est-ce héréditaire ? C'est sûrement très dur pour un jeune d'avoir une mère dépressive...”. II-2- 4 3° Histoire personnelle : Très peu connue. La grossesse et la naissance sont sans particularité. Très tôt, Bertrand se serait intéressé aux questions des finances. D'après son père, dès l'âge de 12 ans, il aurait posé des questions telles que : « Qu'est-ce qu'une hypothèque ? Qu'est-ce qu'une obligation ? ... etc ». Son père l'aurait alors encouragé très précocement à entamer des études d'économie. Depuis le début de ses études, Bertrand travaille très dur. Il dit ne pas avoir de temps pour s'occuper de sa vie sentimentale et n'a donc pas d'amie. Pendant les vacances, il fait des voyages avec son frère ou des amis. Depuis 3 ans, il n'aurait plus eu de vacances familiales. 4° Histoire de la maladie : La maladie éclate le 2 décembre . Bertrand rentre très excité chez lui, après qu'un examen qu'il avait réussi et qu'avait annulé son professeur (à cause de tricherie collective) lui ait été finalement compté comme valable. Il avait obtenu 16/20 à cet examen. Il rentre chez lui et dit « C'est grave ». Il est très énervé et se met à interpeller sa mère : « Papa est une femme, papa n'est pas un homme, papa ne sait pas faire l'amour ». Il quitte sa mère, monte dans sa chambre, se montre très agité. Sa mère appelle le père à son bureau, qui regagne rapidement le domicile et qui, dans une conversation avec son fils, lui propose de rencontrer un psychologue industriel, qui lui a déjà servi de conseiller à plusieurs reprises dans ses affaires. Ce psychologue propose au père de garder avec lui Bertrand. L'idée du père et du psychologue est que ce sont les conflits avec la mère qui sont à l'origine du problème de Bertrand. Les deux hommes et Bertrand vont passer le w.e. en Ardennes dans la villa familiale. Là, Bertrand est tout à fait insomniaque et il défèque sur le tapis, en criant : « Maintenant, je peux tout salir ». Il met la table pour une assemblée nombreuse. Il se montre très agité et mal à l'aise. Dans ses conversations avec le psychologue, il aurait expliqué qu'il avait peur des femmes et qu'il ne supportait pas qu'on le touche. En conséquence, le psychologue propose alors d'effectuer rapidement un voyage en Thaïlande afin de vaincre cette peur du toucher par les femmes. Là, il a des expériences sexuelles au bordel. Néanmoins, il est inquiété par des propos pédophiles tenus par le psychologue. De retour en Belgique, il séjourne à l'hôtel avec son père sans jamais rentrer à la maison, pour éviter les contacts avec la mère. Il est finalement hospitalisé dans une clinique de la périphérie, le 26.12., sur l'insistance de la mère. Il reçoit alors de très fortes doses de neuroleptiques et montre des effets secondaires extra-pyramidaux très importants, qui nécessitent l'interruption du médicament. Après une rencontre avec un médecin en qui il a confiance, le père demande le transfert dans notre service hospitalier de psychopathologie. II-2- 5 5° Séjour en clinique : Entrée le 5.1 via les urgences psychiatriques. Le patient est agité et montre un syndrome extra-pyramidal important. Un entretien avec le père et ensuite avec la mère a été réalisé. Bertrand montre une irritation importante, macule les murs et les vitres de sa chambre avec de la nourriture, pousse des cris, se montre agressif envers les autres patients. Il découvre perpétuellement son sexe afin de l'exhiber. Il est saisi d'une logorrhée, fait appel à son père téléphoniquement et en criant à travers le couloir. Tout en pensant que son père est le plus grand homme d'affaires du monde, il le ressent comme menacé. En particulier, il a l'impression que deux Mercedes blindées ne seraient pas suffisantes pour lui épargner le sort du patron des patrons allemand ou de l'administrateur délégué de la Deutsche Bank, abattus par des terroristes. Les pas ou les bruits de chaise qui s'entendent à travers le plafond sont interprétés comme des signes de l'attaque et de l'avance des terroristes. A côté de ce délire floride, il ne semble pas y avoir d'hallucinations. On peut noter des phénomènes d'échopraxie et d'écholalie en présence de l'assistant. (Le médecin interroge : « Comment allez-vous aujourd'hui » ? B. répond en penchant la tête de la même façon: « Comment allez-vous aujourd'hui ? »). Le patient reçoit alors de très faibles doses d'HALDOL et de NOZINAN. Immédiatement, il développe une pneumonie bilatérale sur une fausse déglutition et doit être transféré le 13.1. dans les Soins Intensifs où il restera jusqu'au 2.2. Là, pendant une semaine, il est entre la vie et la mort et reste sous intubation. Pendant la deuxième semaine, désintubé, le patient reste agité mais ne reçoit que du VALIUM (IV) sans aucune neuroleptisation. Son discours est toujours incohérent et tourne autour des mêmes thèmes. Le 2.2., il est transféré en Médecine Interne, où il reçoit fréquemment la visite de son père qui le dorlote. Bertrand continue à être attaché à son fauteuil et reçoit une nourriture parentérale. Le 6.2., il est transféré à nouveau dans notre unité. Là, il se montre plus calme jusqu'au 10.2. où il reçoit une visite de ses grands-parents maternels ainsi que d'une tante, sœur de sa mère. Cet après-midi là, il redevient très agité et très incohérent. Il agresse le nursing et ouvre la bouche d'incendie et inonde le couloir. Le lendemain et le surlendemain, son agitation se poursuit. En particulier, il est extrêmement inquiet pour la survie de son père. Son agitation connaît un comble lorsque le père quitte l'unité après sa visite quotidienne. Le 13.2., nous décidons de structurer différemment le séjour et les visites: pendant les deux semaines à venir, les parents ne rendront plus visite directement à Bertrand, mais pourront avoir des nouvelles quotidiennement au téléphone en s'adressant aux médecins. Les parents, de plus, seront reçus une fois par semaine par ces deux médecins. Il sera évité tout contact direct entre Bertrand et n'importe quel membre de sa famille, comme parents, grands-parents, frère ou tante. Parallèlement, un entretien quotidien avec Bertrand et les deux médecins, est prévu à heure fixée. A cet effet, les parents sont priés de fournir une nouvelle montre à Bertrand, afin de structurer son emploi du temps et son rapport à la parole donnée (l’heure du rendez-vous). II-2- 6 Entretien avec les parents le vendredi 13.02. Nous expliquons le nouveau setting aux parents. L'entretien tourne essentiellement autour des antécédents paternels et maternels tels qu'ils ont été exposés précédemment. Il apparaît, concernant les parents essentiellement, deux éléments : * concernant le père : il s'est montré très « allergique » (sic) concernant les problèmes de santé mentale rencontrés chez son propre cousin, qui était mongolien et qui se trouvait très souvent chez sa grand-mère maternelle. Ce garçon polarisait toute l'attention et perturbait le père. De même, sa belle-sœur ayant amené son fils autiste dans la villa familiale, Paul s'est montré particulièrement gêné de cette présence et a prié sa belle-soeur de ne plus la lui imposer les jours de fête. Cette exclusion semble avoir eu un rôle déterminant dans l'affrontement entre Paul et ses beaux-parents. Il est donc justifié ici de se demander si Bertrand, en faisant le fou, n'a pas trouvé un point particulièrement sensible chez le père. * du côté de la mère apparaît à l'avant-plan une culpabilité quant à sa responsabilité dans les difficultés actuelles de Bertrand. Nous tentons de rassurer la mère et de lui faire reprendre place dans le setting thérapeutique. En particulier, nous n'acceptons pas de rencontrer le père sans elle. Parallèlement à l'entretien avec les parents, nous rencontrons quotidiennement Bertrand et nous abordons les thèmes relatifs à son avenir. Nous n'admettons pas ses divagations pseudo-économiques et exigeons qu'il parle de lui-même. S'il fait mine d'enlever ses vêtements ou se montre violent, nous lui demandons de s'habiller et d'arrêter sa violence sous peine de l'interruption de l'entretien. Nous essayons d'envisager avec lui ce que signifie pour lui faire le fou. Sans succès apparent. En nous appuyant sur ce que les parents, en particulier le père, nous ont raconté de son choix déterminé d'études, nous parlons à Bertrand de sa liberté à lui de choisir librement et nous essayons avec lui d'envisager un avenir. Il continue à parler de grandes affaires mirifiques, tout en se montrant très inquiet pour la santé de son père. 2ème entretien avec les parents le 19.02. Nous interrogeons les parents sur les inquiétudes de Bertrand concernant la santé du père. Ils nous expliquent alors tous les deux que c'était devenu un sujet de conversation commun dans la famille que d'envisager la mort du père, qui suit un régime en permanence. Tout un scénario avait d'ailleurs été déjà discuté en détail avec Bertrand qui, en raison de ses études d'économie, était destiné à reprendre l'affaire : contacter le notaire X, faire savoir à l'étranger ce qu'il convenait de faire des comptes, liquider telle société avec l'aide de tel conseiller financier. La mère s'était mise aussi à croire en la possibilité d'une issue fatale mais tentait néanmoins d'empêcher le père et le fils de discuter longuement et ostensiblement de ce problème. Peu avant l'éclosion de sa maladie, Bertrand aurait confié à ses parents combien il était touché par ces « préparatifs mortuaires ». II-2- 7 3ème entretien avec les parents le 26.02. Nous sommes au bout des 15 jours prévus de séparation entre Bertrand et sa famille. L'état de Bertrand s'est remarquablement bien amélioré et il peut assister à la réunion avec les parents, sans manifester de troubles du comportement. Le père, la mère et le fils sont rassurés sur leurs états de santé respectifs. La famille parle de l'avenir et de la liberté face à laquelle se trouve Bertrand quant à son choix des études et d'activités futures. Nous essayons de mettre en avant la mère et de la valoriser. Les entretiens quotidiens avec Bertrand nous avaient appris sa crainte majeure : « si mon père décède, je devrais moi aussi abandonner mes études pour me consacrer à la gestion de l'affaire familiale et sacrifier ainsi mes intérêts propres, tout comme mon père avait été amené à le faire dans sa jeunesse ». La rupture d'équilibre psychique provoquée par la séquence réussite, puis annulation et enfin restitution de la note initiale à l'examen, associé avec les craintes pour les capacités à vivre du père, ont précipité le jeune homme dans une crise aiguë de désidentification. Après l'entretien et avec notre accord, la famille quitte l'Unité pour aller manger ensemble brièvement. Tout se passe bien. Catamnèse 4ème rencontre avec la famille le 15.04. Nous mettons au point un projet de départ pour la mi-mars. La famille est revue le 15 avril en consultation. Nous apprenons que la famille a passé de bonnes vacances de Pâques, Bertrand va reprendre ses études dès septembre. Les parents seuls sont désireux de poursuivre une thérapie de couple. Aujourd’hui, Bertrand n'a pas montré de rechute depuis 4 ans et n’a poursuivi aucun traitement. Il a terminé ses études très brillamment. Il n’a toujours pas de petite amie. II-2- 8 2.2. LES SCHIZOPHRENIES 2012 2.2.1.- GENERALITES Le terme a été forgé par le psychiatre suisse Eugen Bleuler en 1911, à partir de la racine grecque "skhizein" (fendre-scinder) et "phrên" (esprit). D'emblée par ce néologisme, Bleuler mettait la dissociation au centre de sa conception de la maladie. Il s'inscrivait ainsi dans le renouveau psychologique inauguré par Sigmund Freud, par opposition à la conception descriptive du décours de l'affection telle que la préconisait Emil Kraepelin. Celui-ci avait isolé en 1899 l'entité morbide de la "démence précoce", caractérisée par le début « précoce » de la maladie (entre 15 ans et 30 ans) et par l'évolution chronique entraînant un déficit global des fonctions mentales (pseudodémence). Aujourd'hui, même dans ses formes déficitaires résiduelles, la schizophrénie ne peut être considérée que comme une pseudo-démence, puisque l’entièreté des fonctions mnésiques et la plupart des fonctions intellectuelles sont conservées, même si elles sont entravées par les symptômes de la maladie (comme l'autisme et la dissociation). Enfin, notons que chez l’enfant, des psychoses dites d’apparition tardive (après l’âge de 6 ans) sont décrites. Distincte des bouffées délirantes et des épisodes maniaques (très rares), leur symptomatologie présente bien des analogies avec la schizophrénie des adultes. Le D.S.M.-IV introduit une distinction selon la durée d’évolution: « schizophrénie » (durée de plus de 6 mois) ou « troubles schizophréniformes » (durée de 1 mois à 6 mois). En fait, il n'est pas sûr qu'il s'agisse de la même entité morbide : la symptomatologie infantile est analogue mais l'évolution est plus favorable, puisque la chronification des symptômes psychotiques ne touche qu'une minorité de cas chez l’enfant. La schizophrénie (sous toutes ses formes) est une affection fréquente, sa prévalence s’élève dans le monde (indépendamment des races et des cultures) à environ 1 % de la population générale. Etant donné le caractère très invalidant de cette affection, le coût social (défaut de production plus coût du traitement) en est extrêmement élevé. La schizophrénie est une affection dont l’étiologie s’avère multiple. De très nombreuses hypothèses étiologiques ont été avancées. Citons en quelques unes : 1° Génétique : Sans doute, plusieurs gènes sont-ils responsables de la transmission d’une prédisposition à la maladie. On parle d’une vulnérabilité génétique qui s’exprimera d’autant plus que les facteurs de milieu sont défavorables. II-2 -9- a) des jumeaux homozygotes adoptés, élevés dans des familles différentes ont 46% de concordance quant à la présence de la maladie. b) les enfants de deux parents schizophrènes présentent 48% de chance de présenter des symptômes de schizophrénie. c) les enfants qui ont un seul parent schizophrène présentent 14% de chance de développer l'affection eux-mêmes. 2° Neurobiologie : les patients présentent une augmentation des récepteurs dopaminergiques (en particulier D2) qui sont la cible du traitement par les neuroleptiques de la première génération. Sans doute, d'autres anomalies d’autres neurotransmetteurs (Serotonine, GABA) interviennent-elles également mais elles ont été moins étudiées. 3° Hypothèse communicationnelle : elle a été développée par l'école de Palo-Alto (Weakland-Bateson). Les familles dont un enfant est schizophrène présenteraient des troubles communicationnels importants et en particulier un mécanisme de « double bind » : sans pouvoir s’y soustraire, l'enfant serait soumis très précocement à des messages contradictoires (« viens ici que je te croque » ou « j'exige que tu sois indépendant ») qui entraîneraient une incapacité d'unification de son moi (dissociation). Un tel mécanisme n'est certainement pas explicatif de toute la schizophrénie et il apparaît aujourd’hui qu’il n'est pas spécifique de cette affection. 4° Hypothèse psychodynamique : c’est essentiellement la psychanalyse de S. Freud et de ses élèves qui a développé une théorie de la genèse psychotique. Précocement déçu dans ses premiers investissements sur des objets externes, l'enfant reporterait sur lui-même sa libido (narcissisme) à tel point que le monde extérieur s'en trouverait presque totalement désinvesti au profit de la personne propre (autisme). Le délire est conçu comme une tentative de guérison, pour concilier l’inconciliable. Plus récemment, Jacques Lacan a tenté d'expliquer ce phénomène psychotique par un défaut fondamental d'accès à la dimension symbolique (forclusion). Les théories psychanalytiques donnent une bonne explication des phénomènes observés et de bonnes clefs pour une possible psychothérapie, mais s’avèrent insuffisantes pour expliquer la causalité plurifactorielle de l'affection. 5° Hypothèse neurodéveloppementale intégrative de D aniel Weinberger Dans un article de synthèse, cet auteur développe un modèle neurodéveloppemental de la schizophrénie dans lequel une lésion précoce (intraII-2 10 -- utérine ou périnatale) modifierait la maturation normale du cerveau et en particulier inhiberait le développement du cortex préfrontal et dorsolatéral, ce qui altérerait le fonctionnement du circuit entre le tronc cérébral (neurones dopaminergiques), le cortex préfrontal (altéré) et le système limbique (exerçant un feed back négatif sur le tronc cérébral). Il y aurait alors hyperproduction de neurotransmetteurs dopaminergiques à partir du tronc cérébral désinhibé. Les modifications endocrinologiques combinées à la tension psychique de certaines adolescences difficiles ou les problèmes du début de l'âge adulte provoqueraient une décompensation plus ou moins brutale du circuit déficient. L'hypothèse de Weinberger est très séduisante : elle permet de ne pas se laisser enfermer dans une seule hypothèse. C’est bien la conjonction d’une hérédité, d’une déficience cérébrale, d’une décompensation à motivation psycho-sociale qui entraînerait l’éclosion de la maladie manifeste Ainsi, Tim Crow a proposé de diviser les schizophrénies en deux types distincts : - le type I où les symptômes productifs seraient importants, avec un début brutal, une forte participation de D2, une bonne efficacité des neuroleptiques, - le type II où les symptômes négatifs de retrait (déficit) seraient prépondérants, avec un élargissement ventriculaire (perte de masse cérébrale), un décours chronique peu influencé pour les neuroleptiques classiques. Il s'agit d'une intéressante tentative de réunification des différentes théories étiopathogéniques de la schizophrénie. 2.2.2.- DESCRIPTION CLINIQUE La symptomatologie de la schizophrénie peut être divisée en deux grands groupes de symptômes, les positifs (productions pathologiques) et les négatifs (déficits pathologiques). 1° Symptômes positifs a) le délire : il s'agit d'une anomalie du discours du patient qui présente une explication aberrante de la réalité commune. Cependant, dans l’histoire personnelle du sujet, le délire a un sens bien précis, qu’il sera très importantde comprendre dans la psychothérapie. Dans la schizophrénie, il est le plus souvent morcelé sans grande cohérence interne par opposition au délire systématisé de la paranoïa. Les délires les plus fréquents sont le délire de persécution (« une bande de voyous m'en veut et me persécute" », de relation (« j'ai vu sa voiture rouge et II-2 11 -- j'ai compris ce qu’il me voulait »), d'influence (« mes pensées sont téléguidées par le radar de la C.I.A. ») ou encore de vol de la pensée (« vous pouvez lire dans mon cerveau »). Le sentiment d’une effraction par les autres dans les limites de la personne propre (disparition de l’intimité) sont pathognomoniques de la psychose (« je ne dois rien vous dire, vous le savez très bien, même avant moi » ; « il a des caméras spéciales qui me filment à travers mes vêtements et qui me projettent nue sur internet ». b) les hallucinations : ce sont des perceptions sans objet. Les hallucinations les plus fréquentes dans la schizophrénie sont les hallucinations auditives (j'entends une voix moqueuse qui me dit des injures ; la voix répète sur un ton ironique mes propres pensées et en fait même un commentaire dévalorisant). Le contenu en est le plus souvent moqueur ou injurieux. Il existe aussi des hallucinations visuelles (halo autour des personnes), gustatives (goût de terre ou de brûlé dans la bouche), olfactives (ça sent le cadavre ici) ou encore tactiles (p. ex. courant électrique sur le front ou dans les parties génitales). Plus rarement, les hallucinations sont extracampines (mon œil gauche entend des choses horribles, ma main voit que vous mentez). c) troubles du comportement et de la motricité : - excentricité dans l'habillement ; - agitation, agressivité ; - augmentation du tonus musculaire jusqu’à la rigidité (catatonie) d) troubles de la pensée : la dissociation ou discordance. La pensée s'exprime dans un discours incohérent, décousu, avec des passages du coq à l'âne, sans fil conducteur logique apparent. Souvent le patient s'interrompt subitement par des silences (barrages) et reprend sur un tout autre sujet. Par exemple : « D'où venez-vous ? Qui peut le dire ? (silence). Probablement de la nuit des temps ! (silence). Vous avez un bien beau bureau. Combien est-ce que ça va me coûter ? Vous me regardez bizarrement parce que je suis étranger ». Ce défaut des associations est un trouble cognitif fondamental qui est mis aussi en évidence dans les épreuves de coordination . e) Angoisse majeure de mort d’anéantissement (la question du psychotique est celle de son existence même) II-2 12 -- 2° Symptômes négatifs a) autisme : le patient est replié sur lui-même, vit en solitaire ou a très peu de contacts sociaux, aucune activité sexuelle ou récréative. b) émoussement affectif : le patient présente peu d'expressivité, ou encore une indifférence importante à ce qui arrive à lui ou à ses proches. Le patient apparaît froid, sans réaction, impassible et inadéquat aux circonstances de la vie quotidienne.. c) ambivalence : le patient se trouve bloqué avec des sentiments contradictoires entre lesquels il ne peut choisir ce dont il ne peut assumer la coexistence (haine/amour ; désir de proximité/de distance ; attirance/répulsion). d) altération du sentiment de la personne propre (Ego) - dévitalisation « je suis un arbre mort » - aliénation : « je n'existe plus », « je est maintenant un autre » - écholalie (répétition du discours de l'autre) ou échopraxie (comportement en miroir). e) apragmatisme : incapacité de se débrouiller dans les problèmes quotidiens (payer le loyer, le gaz, l'électricité). f) aboulie : incapacité de se décider, de travailler, d'entreprendre quelque chose (faire des plans et les réaliser). g) Anhédonie : incapacité de se réjouir, à organiser des loisirs plaisants 2.2.3.- FORMES E. Bleuler a décrit quatre formes principales de schizophrénie, selon les symptômes qui y prédominent. Ces formes n’ont qu’une entité descriptive de l’état actuel du patient. Un même patient peut connaître plusieurs formes au cours de sa maladie. 1° Schizophrénie paranoïde Forme la plus courante, le délire et les hallucinations y sont à l’avant-plan, l'angoisse y est très importante. Le début est souvent brutal. Le pronostic est relativement favorable. 2° Schizophrénie catatonique (ou catatonie) Augmentation du tonus musculaire jusqu'à la rigidification ou l’excitation clastique. Elle peut se présenter sous deux aspects : stuporeuse (position fœtale, sans réaction) ou agitée.(agitation - grimaces - stéréotypies). Elle devient aujourd'hui plus rare. II-2 13 -- N.B. : la catatonie doit être considérée comme un syndrome non spécifique de la schizophrénie puisqu'elle peut aussi se rencontrer dans le cadre d'une mélancolie grave ou d’une bouffée délirante aiguë. 3° Schizophrénie hébéphrénique ou désorganisée (ou hébéphrénie) C'est ici la dissociation et les troubles affectifs qui sont ici à l’avant-plan. Le début en est souvent précoce (13 à 19 ans). L’évolution est insidieuse, sur une personnalité prémorbide déjà très anormale. Le comportement est en général infantile. L’évolution est souvent défavorable, avec un syndrome déficitaire important. 4° Schizophrénie simplex C’est l’autisme tardif de l’adulte (vers 40 ans). Cette dernière forme rare n’a pas été retenue dans la classification du D.S.M.IV, qui a par contre introduit les deux autres formes suivantes (5° et 6°). 5° Schizophrénie indifférenciée : Celle qui ne peut être classée dans les 3 premières formes retenues par le DSM IV. 6° Schizophrénie résiduelle : Après l’épisode aigu, disparition de la plupart des symptômes positifs et persistance des symptômes négatifs (aussi appelé : syndrome déficitaire schizophrénique). 2.2.4.- EVOLUTION 1° Mode de début - brutal : à la suite d'un événement déclenchant, traumatisant (deuil, déplacement ou emprisonnement) ou même heureux (réussite d'un examen). Les hallucinations et le délire sont aigus. Le diagnostic différentiel doit être établi par rapport à la Bouffée Délirante Polymorphe de Magnan (trouble psychotique bref – d’une durée inférieure à 1 mois). Le pronostic est bon. - insidieux : baisse du rendement intellectuel, retrait des relations sociales, arrêt des activités de loisir, isolation, intérêt pour les sciences occultes, plaintes hypochondriaques constituent le mode d'entrée typique dans l'hébéphrénie. Le pronostic est considéré comme mauvais par évolution chronique avec constitution d'un déficit permanent. Les symptômes négatifs sont prépondérants. Dans ces cas, l’hérédité est souvent positive, la personnalité prémorbide schizotypique et l’on II-2 14 -- peut détecter des anomalies cérébrales (hypofrontalité et élargissement ventriculaire) de façon inconstante. - prodromes : ils sont multiples et aspécifiques. Ils représentent plutôt des facteurs de vulnérabilité. Par contre, il est très utile de détecter précocement la psychose débutante afin de réduire la période de non-traitement, déstructurante au niveau psychologique, social et sans doute aussi cérébral. 2°. Décours Actuellement, même dans l'école américaine, qui avait tendance à promouvoir la notion de schizophrénie aiguë, il est admis qu'une durée de six mois de présence des symptômes est nécessaire avant de pouvoir poser le diagnostic de schizophrénie (D.S.M. IV), dont il sera toujours fait usage avec la plus extrême circonspection, en raison du retentisement personnel et familial d’un tel diagnostic. Si un retour à la normalité se fait endéans les 6 mois, on conclura à un « Trouble schizophréniforme », mais pas à une schizophrénie ! Le décours présente soit des poussées successives avec des intervalles libres où le patient apparaît comme normal, soit une détérioration progressive par paliers. La différence de capacité existentielle entre le moment de début de la maladie et l'état stabilisé terminal pathologique constitue finalement le « déficit schizophrénique » (l’étudiant universitaire devient aide-jardinier). Dans 50 % de cas, le déficit est d’intensité moyenne (c’est-à-dire une diminution globale des capacités existentielles). Malheureusement, dans 10% des cas de schizophrénie, l’évolution déficitaire sera sévère, réalisant le tableau de la démence précoce de Kraepelin et nécessitant une prise en charge institutionnelle continue. II-2 15 -- Intensité des Symptômes Déficit Final 10% Grave 50% Moyen 40% Nul Normalité temps 2.2.5.- VIGNETTE CLINIQUE 1° Jeanne L. Elle est âgée de 18 ans lors de son pr emier épisode. Elle se trouvait alors dans un pensionnat pour jeunes filles, très strict sur le plan de la morale et de la discipline. Jeanne L., peu avant la fin de l’année, a été envahie par le sentiment que la directrice lui envoyait des messages par télépathie. Elle entendait distinctement sa voix qui la traitait de “sale pute, mauvaise fille de mauvaise vie”. La radio et la télévision faisaient également des allusions très claires à son égard, toujours concernant sa sexualité. Ainsi, s’il était question de “transgression” c’était elle qui était visée par le présentateur. La patiente devint totalement insomniaque, très anxieuse et agitée. Elle quitta le pensionnat de nuit pour se réfugier auprès d’un prêtre de sa famille pour lui demander l’absolution. Hospitalisée dans un asile pour femmes pendant plusieurs mois et traitée par neuroleptiques (Haldol) ses voix disparurent mais le délire de relation resta présent, même s’il était très atténué et n’angoissait plus terriblement la patiente. Elle séjourna ensuite dans une communauté thérapeutique II-2 16 -- d’où elle pu obtenir un travail simple (employée au classement) réservé à la resocialisation des handicapés, dans une administration. Depuis 20 ans, elle travaille au même poste, n’a aucune relation en dehors du travail. Une psychothérapie mensuelle ainsi qu’un traitement neuroleptique léger ont été maintenu. A l’âge de 38 ans, la patiente a pu se marier avec un homme qui luimême avait connu des difficultés psychologiques (alcoolique abstinent). Elle a renoncé à avoir des enfants. La patiente reste préoccupée par les commentaires sur sa vie à la radio et à la T.V., en particulier de l’usage trop fréquent de la lettre P....La psychothérapie de soutien consiste en une interprétation systématique des contenus projetés et est associée à la prescription de doses variables d’Haldol, en fonction de l’importance du délire et de l’angoisse. 2.2.6.- TRAITEMENT Une prise en charge multifocale et intégrée tentera de rendre son autonomie à la personne malade. 1 °. Chimiothérapie - les neuroleptiques ou tranquillisants majeurs, ont tous une action sédative et antipsychotique. Néanmoins, certains seront plus sédatifs (Nozinan), et d’autres plus incisivement antipsychotiques (Haldol, Impromen, Orap). Plus récemment, des neuroleptiques « atypiques » (Risperdal – Ziprexa) ont été introduits. Ils produisent moins d’effets extra-pyramidaux et seraient plus actifs contre les symptômes négatifs. - effets secondaires : *aigu : syndrome extrapyramidal avec crises oculogyres, protraction de la langue, torticolis spasmodique. *syndrome de Parkinson iatrogène (akinésie, tremblements, hypertonie) *possibilité de prescription d'un correcteur (Tremblex ou antiparkinsoniens de synthèse) - deux graves complications sont liées à l’usage des neuroleptiques : * dyskinésies tardives irréversibles (tics de la face, mouvements reptiformes des extrémités) pour des doses élevées et prolongées II-2 17 -- * syndrome malin des neuroleptiques (catatonie iatrogène avec forte température et élévation des C.P.K.). - pour les patients peu compliants, prescription de formes retard, à injecter une fois par mois (Clopixol – Impromen – Haldol) 2 °. Traitement institutionnel - section psychiatrique des hôpitaux généraux (services A) pour les traitements aigus, hôpitaux psychiatriques pour les traitements à moyen (A) ou à long terme (T) des patients déficitaires. - communautés thérapeutiques à visée de réinsertion active (réhabilitation) - foyers d'accueil au long cours (jour + nuit) pour les patients chroniques (Maison de Soins Psychiatriques : MSP). - centre de jour (psycho- et ergothérapeutique) ou de nuit (hébergement) avec aide à la réinsertion. - ateliers protégés - « Services de Santé Mentale » selon la loi de 1975 : ils sont chargés du traitement ambulatoire et gratuit des malades mentaux (chaque équipe comporte un poste de psychiatre, de psychologue, d’assistant social et de secrétaire). - sectorisation psychiatrique des grandes villes (système intégré de soins psychiatriques consacré à un secteur de la ville). - habitation protégée (maisons ou appartements “intégrés” dans le tissu urbain, supervisés par une équipe médico-psycho-sociale). - système de soins à domicile (réforme « 107 » en 2011) et en réseau 3 °. Psychothérapie - individuelle : d'inspiration psychanalytique ou cognitivo-comportementale à visée plus directement réadaptative - familiale systémique, toujours indiquée si le patient vit encore dans sa famille d’origine - thérapie de groupe (hélas peu répandue en Belgique francophone) 4 °. Approche corporelle (kinésithérapie spécialisée) - relaxation, remobilisation et massages : expérimenter pour le patient un fonctionnement corporel agréable et favoriser le réinvestissement du corps propre. - enveloppement (packing), travail face au miroir de restauration du schéma corporel. II-2 18 -- 5 ° Electrochoc (ou électro-narcose ou sismothérapi e ou « électro-convulsive therapy - ECT » Le nombre de synonymes exprime bien l’actuelle mauvaise acceptation sociale de ce traitement, qui représente pour les patients et leur famille, le sceau de la folie et du pouvoir psychiatrique coercitif. Avant l’ère des neuroleptiques, l’E.C.T. constituait le seul traitement efficace disponible, mais il a été trop souvent employé dans les troubles du comportement et sans l’accord du patient ou de sa famille. Actuellement, l’électrochoc reste seulement indiqué dans les cas de catatonie résistante aux neuroleptiques ou encore contre le syndrome malin des neuroleptiques. Il s’agit d’une méthode efficace et sûre, mais qui ne prévient pas les rechutes. Il peut entraîner des troubles de mémoire plus ou moins transitoires. Rappelons enfin que dans la mélancolie résistante aux antidépresseurs, il représente une bonne indication et permet une amélioration rapide. 6° Soutien aux familles – Associations de patients Des associations de soutien aux familles de schizophrènes peuvent être recommandées. Elles fournissent des renseignements, des explications, des possibilités de rencontre, une assistance sociale et juridique pour les familles (SIMILES). Il existe des associations d’usagers des services de santé mentale, agissant en faveur de la prise en compte des souhaits, revendications et droits des « consommateurs » de services psychiatriques (PSYTOYENS). N.B.: le traitement de la schizophrénie s’avère complexe. Suivant la gravité du cas, l’assistance thérapeutique sera intensifiée. Si les neuroleptiques et les nouvelles modalités institutionnelles facilitent la prise en charge, l’élément essentiel du traitement demeure la capacité à nouer une relation de confiance avec le patient et son entourage, pour le long terme. 2.2.7.- TROUBLES SCHIZO-AFFECTIFS Aussi appelée “schizophrénie affective” (Kasanin, 1933) ou “trouble schizo-affectif” (D.S.M.IV), cette affection comporte une symptomatologie à la fois évocatrice des troubles de l’humeur (P.M.D.) et de leur évolution cyclique mais aussi des épisodes dissociatifs aigus avec délire, hallucination, parfois catatonie. L’humeur est souvent exaltée lors de l’épisode aigu alors que la dépression accompagne la diminution du délire. Le diagnostic se fera sur la persistance de symptômes schizophréniques II-2 19 -- (éventuellement résiduels) en dehors des périodes de troubles de l’humeur. Le risque suicidaire est particulièrement immédiatement après. important dans la phase de “descente” ou Cependant, le pronostic est considéré généralement plus socialement favorable que pour les autres schizophrénies en raison de la plus longue durée des intervalles libres de symptômes. Cette affection répond à la prophylaxie par les thymorégulateurs et surtout par le Valproate ou la Carmabazépine qui doit être complété par tout le dispositif de la prise en charge de la schizophrénie. Il est aussi possible qu’il ne s’agisse pas d’une entité absolue, mais bien d’un tableau pathologique résultant de la combinaison d’une schizophrénie et du retentissement affectif particulier résultant de la maladie schizophrénique. Il s’agit encore aujourd’hui d’un diagnostic d’exclusion, même s’il gagne en popularité chez les cliniciens. II-2 20 -- 8.- REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES - Conférence de consensus (France) Stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques (440 p.) Etiditions Frison-Roche, Paris, 1994 - Jablensky A., Sartorius N. et coll. Schizophrenia : manifestations, incidence and course in different cultures. (Publications d’une étude de 10 pays par l’OMS) in Psychological Medicine, Cambridge University Press, 1992. - Weinberger D. Implications of Normal Brain Development for the Pathogenesis of Schizophrenia. Archives of General Psychiatry Vol. 44 pp.1987, 660-667. - Société Royale de Médecine Mentale Actualités du concept de Schizophrénie. (Neurobiologie - psychanalyse - anthropologie culturelle) in Acta Psychiatrica Belgica 93, pp 5-40 (1993) - Garrabé J. Histoire de la Schizophrénie, Ed. Seghers, Paris 1992 - Bleuler E. Le groupe des schizophrénies, Trad. A. Viallard, Epel, Paris 1993 - Freud S. “Le président Schreber” in Cinq Psychanalyses (1911) Trad. Franç. PUF Paris - Pankow G. L’homme et sa psychose Aubier-Montaigne, Paris 1969 - De Clercq M. et Peuskens J. Schizophrénie. Conférence belge de consensus De Boeck, Ed. 1999 - De Neuter P. « Les folles passions de Louis II de Bavière », Ed. Point hors ligne, Paris 1993 II-2 21 -- 2.3. LA PARANOÏA 2012 2.3.1.- INTRODUCTION Durant le 19ème siècle, la paranoïa était à peu près synonyme, non seulement de délire mais également de troubles intellectuels. A cette époque, 80 % des cas d’asiles étaient catalogués comme paranoïa. Aujourd’hui, la paranoïa est d’abord considérée comme l’expression ultime d’un caractère. L’évolution vers une forme délirante n’est pas obligatoire et le caractère paranoïaque peut rester socialement acceptable : le patient peut d’abord être perçu comme un observateur fin, énergique, ambitieux et capable. Lorsque le patient consulte, c’est parce qu’il s’y voit contraint suite à des troubles du comportement (altercations) ou encore qu’il développe finalement un délire systématisé. Dans les deux cas, il est fréquent que la demande soit adressée au médecin par l’entourage plutôt que par le patient lui-même. Parfois le vécu persécutoire peut amener l’individu au découragement, à de la fatigue, et à une forme de dépression agressive. 2.3.2 La personnalité paranoïaque 1°. Description La personnalité paranoïaque se distingue par 4 critères essentiels. Ceux-ci peuvent généralement être mis en évidence dès le début de l’âge adulte. 1) L’individu est méfiant. Il est constamment sur ses gardes, persuadé qu’on lui veut du mal. Il ne peut croire en la loyauté ou la fidélité de ses proches. Même lorsque ceux-ci se montrent chaleureux à son égard, il ne peut croire en l’authenticité de leurs sentiments (critère a). 2) La personnalité paranoïaque est également marquée par la rigidité psychique. L’individu ne peut mettre en cause sa manière d’appréhender les événements. Comme pour le Duc de Saint-Simon, on pourrait dire de lui qu’il est « immuable comme Dieu et d’une suite enragée » (critère b). 3) Il rapporte tout événement à sa personne et y déchiffre le plus souvent une intention hostile à son égard (critère c) : on parle ici d’hypertrophie du Moi. 4) Enfin, on note une fausseté du jugement (par jugement , il faut entendre la décision mentale par laquelle nous posons le contenu d’une assertion comme vérité) (critère d). Ainsi, une religieuse était persuadée d’être haïe par la mère supérieure de son couvent. A partir de cette assertion, elle pouvait expliquer en -II.2.22.- quoi toutes les règles du monastère lui étaient défavorables. En effet, ces règles étaient imposées par la mère supérieure. a. La méfiance : - Suspicion permanente, impression de préjudice, d’intention hostile - Mise à distance de l’autre : soit par une politesse excessive, soit par une agressivité qui peut être déguisée b. c. d. La rigidité psychique : - Ton péremptoire - Intolérance - Personnage « à principes » L’hypertrophie du moi : - Confiance en soi excessive et systématique - Tendance à tout rapporter à soi - Orgueil démesuré - Obstination La fausseté du jugement : Le raisonnement paranoïaque est correct mais il est basé sur une conviction a priori qui est fausse, mais qu’il ne peut pas remettre en question. Dans le D.S.M.-IV., la personnalité paranoïaque est reprise sur l’axe II (301-0) et sera étudiée également dans le cadre des personnalités pathologiques . Toute personnalité paranoïaque n’évoluera pas vers la psychose paranoïaque (trouble délirant chronique) 2° La personnalité paranoïaque est un type de perso nnalité reposant essentiellement sur la projection La projection constitue le mécanisme de défense essentiel du paranoïaque: c’est le nœud de la formation des symptômes. Un certain vécu intérieur se trouve frappé d’interdit, rejeté au dehors (projeté), tout en subissant une déformation (retournement en son contraire) et, sous cette forme seulement, admis enfin à la conscience. Le cas le plus net est celui de la persécution : l’amour inavouable que le patient porte à un autre homme se transforme en une haine que l’autre lui porterait. Le sentiment originaire « j’aime un homme » se transforme d’abord par négation en « je ne l’aime pas, je le hais » puis par projection en « ce n’est pas moi qui le hais, c’est lui qui me -II.2.23.- hait ». Beaucoup d’homophobies militantes sont des travestissements d’une homosexualité. Le sentiment inacceptable est ainsi placé hors du sujet et attribué à un autre (mécanisme de défense projectif du paranoïaque). On comprend ainsi que la psychanalyse puisse établir un lien entre l’homosexualité et la paranoïa. Néanmoins, il s’agit plus d’une relation spéculaire (en miroir) à l’autre, conçu comme rival, que d’une homosexualité “généralisée” au sens strict. La paranoïa s’amorce dans une régression ou une fixation purement spéculaire de l’altérité, contemporaine de la constitution subjective au stade du miroir (J. Lacan). Le rival est perçu comme un alter-ego menaçant l’existence et la place légitime du paranoïaque. Le but du malade sera de se libérer du rival persécuteur en l’éliminant plus ou moins symboliquement, ce qui peut entraîner un risque pour cette personne (paire de claque, seau d’eau, jet d’acide, coup de couteau, « meurtre passionnel »). 3°. La relation avec le soignant Le patient établit avec le soignant une relation où l’on retrouve la suspicion, la mise à distance, l’obstination, une mauvaise compliance. La méfiance est généralement d’autant plus nette que c’est son entourage qui l’a poussé à consulter. L’expérience thérapeutique du soignant l’aidera à travers la bonne distance par rapport au patient. Face à un patient paranoïaque, on est souvent inquiet ou mal à l’aise car son agressivité revendicative est toujours perceptible et sa position, celle de la pure victime vertueuse.. 2.3.3 La paranoïa délirante (« Trouble délirant » du DSM IV) L’affection se manifeste habituellement après 40 ans. Le début est insidieux et progressif, pour se cristalliser subitement dans une croyance délirante inébranlable. La paranoïa consiste essentiellement dans un délire systématisé, sans hallucination et sans variation importante de l’humeur. La conviction délirante est absolue et sans faille. 1°. Les caractéristiques communes des délires paran oïaques a. Le délire paranoïaque éclot sur un terrain caractériel paranoïaque. b. Tout événement prend un sens et est interprété. -II.2.24.- c. Le délire est logique : les prémisses sont fausses, mais le raisonnement est correct. d. C’est un délire systématisé : le délire s’organise autour d’un noyau stable et s’enrichit au rythme des interprétations. Finalement, toute perception est interprétée en fonction du thème délirant, le monde est organisé selon un système. 2°. Les différents types de délires paranoïaques Classiquement, les délires sont classés selon 5 thèmes principaux : a. Le délire de persécution : il s’agit d’un besoin de tout interpréter en raison d’un sentiment de persécution, d’intention hostile ou de malveillance. b. Le délire de jalousie : le patient pense être trompé. Il surveille et épie son rival supposé et s’intéresse assidûment à une personne de même sexe, dont il veut « tout savoir ». c. Le délire érotomaniaque : le patient est fermement persuadé d’être aimé secrètement ou inconsciemment d’une personne, qu’il encourage à reconnaître sa passion. Le paranoïaque passe alors par la séquence de l’espoir, du dépit et enfin de la rancune. L’espoir (d’être aimé et de recevoir un signe tangible de l’autres), le dépit (qu’il ne se déclare pas et soit si lâche) et enfin la rancune (de lui avoir fait croire en son amour et maintenant de l’abandonner). d. le délire mégalomaniaque : inflation et sentiment de toute puissance (inatteignable !). e. Le délire de revendication : il apparaît à l’occasion d’une injustice vraie ou supposée, dont le patient se croit la victime. On retrouve ici les quérulents processifs qui vont de procès en procès ou encore les délirant hypochondriaques qui manifestent une préoccupation outrancière par rapport au bon fonctionnement d’un organe ou du corps en général. Ces derniers peuvent aussi intenter des procès interminables à leur médecin en fonction d’erreurs médicales supposées (oubli de pince ; installation d’un petit appareil de contrôle etc…) 2.3.4.- DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL Si le caractère paranoïaque ne pose pas de difficulté de diagnostic, le tableau paranoïaque délirant est à distinguer clairement de la schizophrénie paranoïde, en tenant compte de l’absence de dissociation, d’autisme, d’hallucination et d’évolution pseudo-démentielle. Le délire a un caractère plus systématisé, plus cohérent, mono-II.2.25.- idéïque. Le début est plus tardif (plus de 40 ans) et l’évolution plus lente que dans la schizophrénie. Une “paranoïa aiguë” sans caractère prémorbide typique, peut survenir dans le cadre d’une consommation de cocaïne. Des idées de persécution, de jalousie ou d’hypochondrie, sans délire très organisé, peuvent se rencontrer chez le vieillard, au cours d’une affection démentielle. 2.3.5.- TRAITEMENT Le traitement sera d’autant plus efficace qu’il est précoce. Il s’appuie sur la psychothérapie de soutien, l’accompagnement conjugal ou familial, les neuroleptiques et éventuellement l’hospitalisation, libre ou contrainte. 1°. La personnalité paranoïaque L’attitude du praticien est essentielle et délicate. En effet, il lui faut être attentif à la souffrance du patient, sans pour autant justifier ou même renforcer son attitude. D’autre part, si le médecin prend une position trop critique ou trop tranchée, il risque de rompre toute relation thérapeutique. Comme dans le cas de Blanche, le médecin peut également encourager à un aménagement des conditions de vie (contacts sociaux, professionnels, familiaux), parfois avec l’aide de l’entourage. Sur le plan chimiothérapique, des neuroleptiques incisifs s’avèrent utiles mais d’un effet limité (Haldol ®, Impromen ®). C’est par l’association d’une médication et d’une psychothérapie à caractère exploratoire et de soutien que l’on pourra espérer pour le patient une existence plus harmonieuse et décontractée. Dans ce cadre-là, un médecin ou un psychologue clinicien formé à la psychothérapie pourra tenter une déconstruction des fortifications intérieures et éviter une accentuation de la rigidification du caractère. 2°. La paranoïa délirante Celle-ci nécessite une prise en charge spécialisée. Lorsqu’il existe un persécuteur désigné, ou une jalousie délirante, l’hospitalisation peut devenir incontournable, avec ou sans le consentement du patient (loi du 26.6.90 sur la protection de la personne du malade mental). Les neuroleptiques doivent être utilisés à fortes doses mais n’auront qu’un effet superficiel sur le noyau délirant, qui le plus souvent persistera, même si la conviction s’est relativisée. -II.2.26.- 2.3.6.- PRONOSTIC Le pronostic est en général mauvais en raison de la rigidité psychique. Pour les cas constitués et fixés, l’évolution s’avère chronique et l’on ne peut compter que sur une atténuation de la conviction délirante. Outre le danger d’un passage à l’acte hétéro-agressif, existe le danger d’abus alcooliques répétitifs. Par contre, quand la paranoïa n’est pas encore figée en un délire parfaitement systématisé, un traitement combiné (neuroleptiques + psychothérapie) peut influencer le décours et soit le stabiliser, soit même permettre une rémission des symptômes. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES UTILES POUR APPROFONDIR LA QUESTION American Psychiatric Association D.S.M.- IV (1994) Traduction française - Masson - 1996 Chevance M. Réflexions à propos de la paranoïa Annales Médico-Psychologiques - Paris - 1991 - 149(9) : 715-8 discussion 718-20 De Waelhens A. Le Duc de Saint-Simon Publications des Facultés universitaires Saint-Louis - Bruxelles - 1981 De Waelhens A. La psychose Editions Nauwelaerts - Louvain - 1972 Follin S. Vivre en délirant Les empêcheurs de penser rond- Paris - 1992 Grivois H. Psychose naissante, psychose unique ? Masson – Paris - 1991 Lacan J De la psychose paranoïaque dans ses Rapports avec la Personnalité - Thèse de Médecine - Le Français 1932 - Paris - (réédité aux Ed. Seuil - 1975) Olievenstein Cl. L'Homme Parano Odile Jacob - Paris - 1992 - 222 p. Satel S.L. et Edell W.S. Cocaïne -induced paranoïa and psychosis proneness American Journal of Psychiatry - 1991 - Dec. 148 (12) : 1708-11 -II.2.27.- CAS CLINIQUES 1°. Un cas d’expertise de paranoïa délirante : Mons ieur E. Monsieur E. est né en 1925 dans un pays de l'est de l'Europe, dans une famille de fermiers aisés. Il est le 3e enfant d'une fratrie de 4. Son père, actuellement âgé de 92 ans, a toujours été en bonne santé. Alors qu'E. avait 14 ans, sa mère, qu'il adorait, meurt terrassée par la fièvre typhoïde. Un an plus tard, éclate la 2e guerre mondiale. En 1942, il est déporté par les Allemands comme travailleur dans une ferme allemande. Là, il est apprécié pour son courage et son sérieux, et il apprend l'allemand. En 1945, libéré par les alliés, il choisit de ne pas retourner dans son pays d'origine, devenu communiste. Il émigre en Belgique suite à la signature d'un contrat d'engagement comme mineur de fond et s'installe dans une bourgade houillère du « Pays noir ». Dans l'exploitation minière, il est bien aimé des ingénieurs et de ses collègues ouvriers. Il apprend le français. En 1950, il est promu porion (responsable de 30 à 35 ouvriers). Ayant fait la connaissance en 1948 d'Henriette A. , il l'épouse en 1950. A partir de 1953, il ouvre, sous le nom de sa femme, un café-cantine (continu 24 h. sur 24) qui lui rapporte beaucoup d'argent. En 1957, suite à la méconduite supposée de sa femme, il demande la séparation; en 1958, le divorce est prononcé et il est pensionné du charbonnage après de longues démarches pour se faire reconnaître une invalidité pulmonaire qui ne le gênera plus guère par la suite. Monsieur E., seul et pensionné, continue l'exploitation très prospère du café jusqu'en 1962. Il rencontre Suzanne S., en instance de divorce, qui a un enfant de 5 ans, Jean-Marie. Ensemble, ils reprennent la gérance d'un magasin d'alimentation dont, malgré un dur labeur, il ne retire que peu de gains et qu'il décide bientôt d'abandonner (1963).Il ouvre alors un bar avec "serveuse" le long d'une route, qui lui sera, dit-il, un excellent rapport. En 1965, il se marie avec sa concubine, Suzanne S. En 1967, Monsieur E. consulte pour « dépression nerveuse » un médecin généraliste. L'origine de cette dépression aurait été le comportement entêté et contrariant de sa femme. Il ne suit pas de traitement et ne se représente plus en consultation. En 1969, naît Maurice, le fils ardemment désiré. Dès l'année suivante, débutent les conflits avec le beau-fils, Jean-Marie, qui a alors 14 ans. Celui-ci commencerait à traiter Monsieur E. de sale immigré. « Depuis que mon fils est né, c'est alors qu'ont commencé mes misères » dit-il. Les relations avec sa femme ne font que se dégrader : Monsieur E. a le sentiment d'être exploité et il est très jaloux. Il imagine de quitter sa femme mais se décide finalement à rester pour l'éducation de son fils, Maurice. -II.2.28.- En 1976, quand son fils Maurice lui apprend que « Jean-Marie a caressé Maman », il comprend subitement tout ce qui se tramait autour de lui. Sa femme serait l'objet d'un chantage de la part de son propre fils, Jean-Marie. Elle devrait lui verser de l'argent pour qu'il ne révèle pas le secret infamant de leurs relations sexuelles incestueuses. A travers de multiples indices, des paroles où il comprend des sous-entendus, des regards de connivence ou de crainte, Monsieur E. se persuade totalement de la réalité de la relation incestueuse entre le fils et la mère, et des visées de son beau-fils sur sa fortune. Il décrit Jean-Marie comme un garçon sans-gêne, qui « se promène torse nu dans la maison pour faire admirer ses muscles ». Il accroît son contrôle sur les dépenses du ménage et ne permet plus d'aparté « entre le fils et la mère ». En 1978, son beau-fils se marie à l'âge de 21 ans. C'est Monsieur E. qui finance la cérémonie et l'installation des jeunes époux dans une commune voisine, dans l'espoir de voir s'éloigner le fils de la mère. Après le mariage, de nouveaux doutes assaillent Monsieur E. : sa femme n'aurait-elle pas eu des relations sexuelles avec son propre père, avec son frère, avec l'ami de sa mère, avec un cousin ? Lui-même n'a plus de relations sexuelles avec sa femme. Bientôt, il se sent menacé par tous ces hommes amants de sa femme. Il est convaincu que son beau-fils a saboté les pièces les plus coûteuses de sa nouvelle voiture. Son beau-fils est à la tête de la conspiration qui a pour but de le supprimer lui, dans un premier temps, son fils Maurice dans un deuxième temps, en vue de s'accaparer définitivement de sa fortune. Le lundi 14 mai 1979, il va faire part de ses craintes d'être assassiné au commissaire de police de l'arrondissement qui, selon le patient, ne l'écoute pas et refuse d'intervenir. Monsieur E. comprend alors que le commissaire est à la solde de son beau-fils Jean-Marie et qu'il doit se taire. L'après-midi même, le petit Maurice que les autres essayeraient de détourner de son père, refuse de faire ses devoirs avec lui. La signification est très claire : le complot consiste à persuader Maurice que Monsieur E. n'est pas son vrai père. Le soir même, Monsieur E. place dans le coffre de sa voiture la carabine 22 L.R. qu'il avait achetée 3 mois auparavant. Il est alors tout à fait convaincu de ne pouvoir compter que sur lui-même pour se défendre. La nuit est très agitée. Néanmoins, le mardi se passe dans une surveillance active mais sans heurts. Le mercredi 16 mai, alors qu'il conduisait sa femme et son beau-fils à leur travail, Monsieur E. a la certitude subite que son beau-fils assis sur la banquette arrière prépare un mauvais coup : il va sans doute le poignarder dans le dos avec son couteau de poche. Comme Monsieur E. ne le quitte pas du regard dans le rétroviseur, la voiture fait un écart et Jean-Marie le traite de « conducteur du dimanche ». C'est une provocation et le signal qu'il va passer à l'attaque physique. Monsieur E. s'arrête alors au bord de l'autoroute, prend sa carabine dans le coffre et abat son beau-fils sur la banquette arrière. Selon lui, il aurait agit en pure légitime défense. -II.2.29.- L'épouse s'étant enfuie dans la campagne, il se rend immédiatement à la gendarmerie pour y faire sa déposition. Là, il est arrêté, puis conduit en prison, ce qu'il considère comme la plus grande injustice. Conclusion de l'expertise Monsieur E. est atteint de paranoïa. La personnalité prémorbide est tout à fait en relation avec l'aboutissement pathologique : mémoire toute puissante, intelligence (il parle couramment 4 langues), opiniâtreté, orgueil, méfiance, isolement socio-culturel (transplantation). Les premiers signes semblent avoir été la dépression passagère de 1967, expression de sa souffrance par rapport à l’hostilité qu’il ressent autour de lui. La maladie s'est alors développée régulièrement à partir de la naissance du fils, Maurice, en 1969. Il est bien remarquable que l'activité, l'intelligence, la volonté soient restées bien conservées, alors que le jugement s'altérait et qu'un délire de persécution et de jalousie, centré sur le personnage de son beau-fils (le rival), se systématisait. A partir de 1978, Monsieur E. s'est vraiment senti menacé et a vécu dans un état d'angoisse délirante, pour sa vie et celle de son fils Maurice. Le jour du crime, c'est bien pour se sauver, lui et son fils, qu'il a abattu son beau-fils Jean-Marie, comme en légitime défense. Un traitement à base de fortes doses de neuroleptiques (Halopéridol) n'a que peu influencé la nature ni l'intensité du délire de Monsieur E. Du point de vue pénal, l’état mental de Monsieur E. le rendant incapable du contrôle de ses actions, l'internement dans un établissement de défense sociale fut alors décidé par la Justice. Dix ans plus tard, le patient y séjournait encore, son état ne s'étant quasiment pas modifié. 2°. Un cas de consultation de personnalité paranoïa que : Blanche Blanche est une femme de 64 ans, mariée depuis l'âge de 19 ans à un militaire et mère de 6 enfants, actuellement hors de la maison. Elle se présente à la consultation de psychiatrie sur le conseil de son médecin généraliste en raison d'une « dépression rebelle ». Elle se plaint de découragement, de fatigue, d'insomnie. Le découragement concerne essentiellement la relation au mari : quoi qu'elle tente pour l'intéresser ou « être gentille avec lui », il se détourne d'elle, l'abandonne seule à la maison, soit pour rendre visite à d'anciens amis de l'armée, soit pour faire son jardin et bavarder avec la voisine. Si le mari est l'objet de reproche, c'est finalement la voisine qui apparaît comme la cause de tous ses maux. -II.2.30.- Blanche pourrait encore accepter tout ce que lui fait vivre son mari (faible salaire, nombreux enfants, déménagements multiples) mais cette dernière avanie de son amitié avec la voisine, « ça ce n'est plus possible, ça dépasse les bornes ». Elle a le projet de « remettre cette femme, cette enjôleuse, cette putain à sa place et de lui dire ses quatre vérités ». Elle pense qu'il sera peut-être nécessaire de la gifler pour lui faire bien comprendre ... Dans l'entretien, nous apprenons encore que l'ennemie représente à peu près une image en négatif de Blanche : elle a toujours vécu depuis son enfance dans le quartier où Blanche et son mari viennent de s'installer, elle paraît en très bon accord avec son mari et avec ses enfants (Blanche reproche à ses enfants de ne plus s'occuper d'elle et d'être des ingrats), elle est grassouillette (Blanche est maigre), blonde aux cheveux longs (Blanche est grise et coupée court), toujours souriante (pour Blanche, la situation ne prête pas à sourire) ... La voisine est enjouée, elle part régulièrement en vacances, reçoit des amis et ...bavarde avec le mari de Blanche par dessus la clôture. Dans le décours des séances de psychothérapie de soutien, il sera possible à Blanche de prendre conscience de la fascination qu'exerce sur elle sa voisine, et de surmonter cette rivalité morbide en s'appropriant quelques unes des caractéristiques si enviées chez l'autre : Blanche peut se permettre un peu de coquetterie, d’acheter des vêtements, d'aller chez le coiffeur. Elle sera encouragée à augmenter sa vie sociale personnelle en fréquentant des clubs d'activités pour les retraités, à accepter mieux la vie propre de ses enfants et de ne pas attendre de leur part une gratitude exprimée pour les sacrifices qu'elle s'était imposés pour eux. Plus avant dans la thérapie, il fut également possible de parler des situations de rivalité éprouvée dans la petite enfance (vis-à-vis du frère né la même année qu'elle) puis dans l'adolescence lors du remariage du père laissé veuf par le décès de sa mère alors que Blanche avait 9 ans. La patiente a pu gagner une certaine distance par rapport à ces situations traumatisantes anciennes et récentes, et ainsi abandonner son attitude agressive, génératrice d'un tableau pseudo-dépressif, mais indubitable expression d’une structuration paranoïaque de sa personnalité. -II.2.31.- 3. TROUBLES NÉVROTIQUES ET ANXIEUX 2012 3.1. INTRODUCTION Nous allons prendre ce chapitre concernant les troubles anxieux par le biais du concept de névrose et de l’angoisse qui en est l’élément commun. Ce chapitre comprend deux parties. La première est une introduction à la compréhension de l’angoisse grâce à la théorie psychanalytique. La deuxième est l’exposé des différentes entités nosographiques. Nous tacherons de faire le lien entre la nosographie psychanalytique, qui nous semble la plus intéressante pour l’approche psychodynamique de ces troubles psychiques et les nosographies anglo-saxonnes (DSM IV) qui jouissent d’une reconnaissance internationale mais sont aussi plus objectivantes et réductrices. Essayons de différencier les notions de peur, de frayeurs et d’angoisse : - La peur suppose un objet déterminé en présence duquel on éprouve ce sentiment. - La frayeur est un état provoqué par un danger actuel auquel on n’est pas préparé (surprise). - L’angoisse est sans objet contrairement à la peur. - L’angoisse est un état d’attente de danger, de préparation au danger, connu ou inconnu. Ce qui fait donc peur c’est la possibilité d’une apparition de l’angoisse. La peur est à comprendre à partir de l’angoisse. L’angoisse est le fondement de la peur, elle est le phénomène fondamental, le moteur même des états de peur. En entrant, dans la peur, en connexion avec le monde sur le mode de la fuite ou de l’attaque, le sujet ou le vivant cherche à éviter le danger de la réaction catastrophique qui se définit par l’impossibilité même d’entrer en relation efficace avec le monde. II - 3 - 1 41 3.2. L’APPORT DE LA PSYCHANALYSE DANS L’APPROCHE DES TROUBLES NÉVROTIQUES ET ANXIEUX 3.2.1. LA NÉVROSE, LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE. A l’instar de l’ approche philosophique, la théorie psychanalytique permet un compréhension de l’angoisse comme phénomène universel qui n’est pas forcément pathologique. Bien au contraire, l’angoisse est appréhendée comme un élément central du psychisme : il s’agit de l’affect de base à partir duquel tout le psychisme va se construire. L’angoisse est une réaction face à une situation de danger. Il y a selon Freud, trois grands dangers : le monde extérieur, la libido (énergie sexuelle au sens large), la crainte des interdits (surmoi). L’angoisse névrotique est proche de l’angoisse des enfants, elle est liée au désir et à la sexualité. Il en découle qu’au niveau thérapeutique, il ne suffit pas d’avoir comme unique visée sa disparition. Au contraire, une élaboration de l’angoisse considérée comme un signal d’un danger profond, ouvre vers la compréhension de nos conflits inconscients. En réduisant tous les troubles à une série de symptômes, le DSM a peut-être permis une simplification des repères nosographiques. Mais ce faisant, cette approche nous prive de la valeur fondamentale des symptômes psychiques, à savoir qu’ils ont un sens et qu’ils sont une construction (inconsciente) que tout sujet humain connaît pour faire face au conflit entre ses désirs et les interdits qui les concernent (conflit intrapsychique présent chez tout être humain) . Le DSM IV conduit à une faillite de la psychiatrie psychodynamique. Il n'arrive pas à rendre compte de la réalité humaine. Les différentes révisions ainsi que le développement de la notion du spectre des troubles anxieux ne peuvent que l'ébranler. Nous pensons qu’il est important de garder le terme de névrose étant donné qu’il renvoie aux théories psychanalytiques et donc à l’idée d’inconscient et de sexualité. Points indispensables dans l’approche de l’angoisse. 3.2.2. DÉFINITION DU CONCEPT DE NÉVROSE Les névroses sont des maladies du système nerveux considérées comme fonctionnelles et non lésionnelles. Il s’agit d’un trouble essentiellement psychologique tout en sachant qu’il y a toujours plus d’un facteur étiologique à la source d’un trouble mental (il existe des facteurs facilitants génétiques ou neuroendocriniens). Les névroses, même si elles se déclenchent à l’adolescence ou l’âge adulte sont généralement acquises au cours de l’éducation. II - 3 - 2 41 La névrose telle que décrite en psychopathologie est une accentuation quantitative de phénomènes propres au psychisme normal. Il n’y a pas de discontinuité qualitative entre un sujet souffrant d’une névrose qu’on pourrait qualifier de pathologique et un sujet « normal » dont on peut dire qu’il a une névrose commune. La névrose de distingue de la psychose dans laquelle le sens de la réalité est perturbé et de la perversion dans laquelle il n’y a pas eu un refoulement suffisant des pulsions. 3.2.3. LES QUATRE TYPES DE NÉVROSE Etant donné la fuite impossible face au danger des désirs puisqu’il s’agit d’un danger interne, le psychisme se construisant a des réactions de défenses psychiques comme le refoulement (c’est-à-dire rendre inconscient des désirs interdits). Lors de cette construction du psychisme, il peut y avoir en fonction de l’intensité, création de symptômes ou de structure névrotique plus ou moins problématique qui sont également, en quelque sorte, des défenses contre l’angoisse. Classiquement, on distingue quatre types de névroses qui se différencient par le style de leurs symptômes mais qui sont toutes des tentatives de se protéger de l’angoisse, phénomène de base. Cette distinction repose sur des tableaux cliniques différents, des mécanismes pathogéniques différents et débouche sur des approches thérapeutiques souvent différentes. La névrose d’angoisse présente comme symptômes l’angoisse à l’état pur, qu’elle soit angoisse constante ou crise d’angoisse. Dans la névrose phobique, l’angoisse se fixe sur des objets extérieurs (ex : phobie de l’ascenseur, agoraphobie…) ou des situations extérieures (ex : examen, présentation publique, …). L’intérêt très concret de ce mécanisme est que l’angoisse ainsi projetée à l’extérieur permet au névrosé phobique d’éviter l’objet ou la situation. La névrose obsessionnelle se caractérise par toutes sortes de contraintes allant des compulsions (rites de lavage ou de vérifications) aux obsessions (idées obsédantes dont on reconnaît le caractère absurde mais dont on ne peut se débarrasser). Il s’agit dans ce cas-ci d’essayer de contrer l’angoisse par des comportements. Dans la névrose hystérique, l’angoisse est convertie, transformée en symptômes corporels (ex conversion sous forme d’anesthésie ou de paralysie.) Au-delà de la différence des symptômes, les sujets souffrant de ces névroses se différencient par un style relationnel différent et correspondent à des problématiques de fond II - 3 - 3 41 différentes. À titre didactique, voici une approche simplifiée de ces névroses considérées comme l’amplification d’une peur fondamentale à chaque fois spécifique. Il existe quatre peurs fondamentales. Avant de les expliciter, il convient de préciser ce que nous entendons par « peur fondamentale » et par « amplification » : - une peur fondamentale est une peur que chacun d’entre nous connaît pour l’avoir déjà vécue à minima ; - l’amplification d’une peur fondamentale est telle qu’elle envahit toute la vie de la personne et permet de rendre compte de ses émotions, de ses paroles, de ses gestes ; cette peur amplifiée handicape la personne dans sa vie quotidienne. Chacun d’entre nous a déjà fait face à la peur de la séparation, lors d’un deuil, d’un voyage à l’étranger… On se sent séparé d’une personne aimée par les aléas de la vie, sans pour autant douter de son amour. La deuxième peur fondamentale est la peur qu’un tiers nous empêche d’obtenir ce que nous désirons. Ainsi, lorsque nous nous rendons chez le banquier afin de solliciter un prêt, nous nous sentons énervés, énervés parce qu’il pourrait refuser notre demande et ainsi nous empêcher d’obtenir ce que nous souhaitons. La troisième peur fondamentale est la peur de mal faire. Un étudiant en médecine est « stressé » lorsqu’il doit faire sa première ponction pleurale. En fait, il a peur de la rater et de nuire au patient, il a peur de lui faire mal… La dernière peur fondamentale est la peur de ne pas être aimé. Lorsque nous sommes invités à une soirée où nous ne connaissons pas grand monde, nous nous sentons nerveux en y allant : comment cela va-t-il se passer ? Les gens seront-ils sympas ? En un mot, vontils m’apprécier ? La névrose est l’amplification d’une de ces quatre peurs fondamentales. La névrose d’angoisse est l’amplification de la peur de la séparation ; la névrose phobique est l’amplification de la peur qu’un tiers nous empêche d’obtenir ce que nous désirons ; la névrose obsessionnelle est l’amplification de la peur de mal faire ; la névrose hystérique est l’amplification de la peur de ne pas être aimé. II - 3 - 4 41 Néanmoins, il faut constater que dans la vie de tous les jours, les gens ne savent pas de quoi ils ont peur, ils ressentent plutôt un malaise diffus. En ce sens, il convient mieux de parler d’angoisse. Tout être humain connaît l'angoisse. Ces différentes manières, décrites comme pathologiques, de vivre l'angoisse et de s'en défendre par des processus inconscients existent en réalité chez tous les êtres humains, y compris donc chez les gens normaux. Il n'y a donc pas de transition tranchée dans ce domaine, entre le normal et le pathologique. C'est l'intensité de l'angoisse, l'intensité de tel ou tel phénomène de défense contre celle-ci, la souffrance éprouvée par le patient, la perturbation éventuelle suscitée dans sa vie familiale, professionnelle et sociale qui fait désigner comme pathologiques certains tableaux cliniques. Tout être humain vit non seulement l'angoisse, mais vit aussi inconsciemment les trois principaux types de défense décrits contre cette angoisse : phobique, obsessionnel et hystérique. De manière atténuée, ces trois réactions de défense et l'angoisse elle-même sont présentes chez tous. Il en va de même dans les cas pathologiques. Dans toute névrose, nous trouverons donc présentes, à la fois, les quatre sortes de névroses. Ce qui permet les distinctions cliniques, c'est que chez beaucoup de patients, un mode de défense est fortement privilégié et amplifié par rapport aux autres, donnant ainsi un aspect particulier à la clinique. Nous devons donc garder clairement présent à l'esprit : - que les quatre formes de névroses ne sont pas exclusives les unes des autres ; - que le même patient peut présenter donc à la fois des traits névrotiques de plusieurs catégories différentes ; - que le même patient peut passer en cours d'évolution d'un type clinique à l'autre ; - que, cependant, le cas le plus fréquent, est que chez un patient déterminé, un type clinique de névrose prédomine et reste prédominant. La névrose n'est pas un phénomène dont l'intensité soit stable dans le décours du temps. Selon l'importance des frustrations rencontrées, selon aussi l'importance des satisfactions obtenues dans son milieu familial, professionnel et social, l'angoisse vécue par un sujet variera beaucoup. Il s'agit d'ailleurs d'un phénomène banal : qui n'a ses bons et mauvais jours, ses bonnes et mauvaises périodes ? II - 3 - 5 41 Pour ces raisons, les troubles névrotiques, dans leur immense majorité, sont variables dans le temps. Ils peuvent apparaître et disparaître, augmenter ou diminuer d'intensité. Il sera donc toujours important, au niveau clinique, de repérer chez un patient si on a affaire à un trouble névrotique chronique fluctuant peu, à un trouble névrotique intermittent apparaissant par périodes dans la vie du sujet, ou enfin à un trouble névrotique récent, d'apparition accidentelle dans la vie du patient. L'attitude thérapeutique variera en effet selon cet aspect de déroulement dans le temps. Ce sont ces variations d'intensité dans le temps qui conduisent également certains auteurs à faire la distinction, chez les patients, entre la personnalité névrotique stable de base et les phénomènes névrotiques aigus de décompensation. Dans la clinique pratique, toutes les nuances et formes de transition peuvent être rencontrées. 3.2.4. L’ESSENCE DE L’ANGOISSE D’APRÈS LA THÉORIE PSYCHANALYTIQUE Au delà de la nosographie, l’important est de comprendre la source et le mécanisme de l’angoisse qui est à l’œuvre dans la névrose. Nous ne parlerons donc pas ici des angoisses psychotiques comme les angoisses de morcellement. Pour la psychanalyse, l’angoisse est un affect fondamental, celui autour de quoi tout s’ordonne. C’est à Freud que nous devons l’isolement nosographique d’une pathologie où l’angoisse est le noyau central : il s’agit de la névrose d’angoisse caractérisée par « une angoisse librement flottante ». Voici un résumé des idées principales que Freud a découvertes lors de l’analyse de sujets présentant cette névrose d’angoisse. L’angoisse est considérée par Freud comme un signal de danger. Elle se distingue de la peur par le fait que le danger n’est pas connu. Cette peur incompréhensible intéresse particulièrement Freud. Il s’agit en fait de l’angoisse névrotique. Il l’opposera à l’angoisse de réel (ou angoisse devant quelque chose de réel comme par exemple la peur du lion - « realangst »). La question que Freud va se poser concerne le danger de ces angoisses incompréhensibles. Par exemple, l’angoisse du train est encore compréhensible mais déjà moins logique vu le risque relatif mais quand il s’agit d’angoisse des araignées, le lien logique disparaît. Freud s’étonnera également que l’enfant présente des angoisses alors qu’il n’a pas encore appris ce qu’est un danger extérieur (par exemple un enfant peut se promener sur un toit sans avoir la moindre angoisse mais avoir des angoisses à d’autres moments). Donc, Freud en conclut qu’il y a une autre source de II - 3 - 6 41 l’angoisse que le danger extérieur. Il y a une source intérieure à l’angoisse. L’angoisse névrotique est bien liée à un danger mais à un danger intérieur et Freud ajoutera que le danger intérieur est bien plus difficile à maîtriser puisqu’il n’y a pas moyen de lui échapper. Quel est ce danger intérieur ? Il s’agit pour Freud de la libido, à entendre comme énergie sexuelle au sens large, envies, désirs. L’on pourrait se demander en quoi la libido pourrait être un danger ? Pour simplifier, la libido peut devenir un danger quand elle se voit contrariée par les contraintes et les menaces extérieures. Le principe du plaisir rencontre le principe de réalité. Pour expliquer cela, l’enfant mû par ses désirs et envies rencontre des menaces appelées par Freud menaces de castration à entendre dans le sens symbolique et non réel (même si l’on retrouve parfois des menaces bien réelles de castration ex : « si tu continues à te tripoter, on va te le couper »). Le plus souvent, il s’agit pour l’enfant d’entendre des menaces parfois subtiles et fréquentes ( ex : si tu continues à …, on te laisse ici - menace de séparation). La simplification suivante permet de mieux comprendre : les punitions ou les menaces de séparation sont des menaces de castration. Elles vont lier la pulsion ou l’envie à un sentiment de danger. Quand resurgit la pulsion, il y une réaction d’angoisse (l’angoisse est un signal de danger). Pour éviter l’angoisse, le refoulement va repousser les désirs, les fantasmes et créer l’inconscient. Il est important d’ajouter qu’on ne peut pas réduire cela à un simple conditionnement comportemental. En effet, il n’y a pas de relation directe entre l’objectivité du danger et l’angoisse. Telle ou telle menace ou punition sera perçue de manière individuelle et ce en fonction des pulsions et des fantasmes que l’enfant va construire. La conséquence thérapeutique est qu’il sera souvent nécessaire devant chaque patient de rendre conscient le complexe pulsion-menace qui est toujours une construction subjective et individuelle de tel ou tel psychisme face à tel ou tel environnement extérieur. 3.2.5. CONSÉQUENCES POUR LA THÉRAPEUTIQUE D’où vient l’angoisse névrotique, c’est-à-dire une manifestation d’angoisse éprouvée dans une situation qui, objectivement, ne le justifierait pas ? Elle vient d’un danger qui est à la fois extérieur et intérieur : le psychisme est débordé par un état d’excitation et de tension psychique interne. Cet état de tension est lié à la réapparition d’un facteur traumatique (menace de castration), lui-même en lien avec la pulsion. Par conséquent, l’approche psychanalytique a pour visée de rendre consciente la motion pulsionnelle inconsciente afin de retrouver l’origine du danger et son aspect traumatisant. Une fois ce danger connu, c’est-à-dire découvert par l’analyse, ce danger perd de sa force par le simple fait qu’un danger connu est beaucoup moins désorganisant qu’un danger II - 3 - 7 41 inconnu. Tant que le danger est inconnu, il garde toute sa puissance. Il est illusoire de penser que l’on peut toujours faire l’économie de rechercher ce qui est profondément enfoui dans l’inconscient en prônant une thérapeutique où la confrontation et le dépassement des peurs est le seul objectif (désensibilisation, immersion). Même si les thérapies comportementales peuvent être d’un aide importante en cas de symptômes focalisés, il est parfois nécessaire de conseiller une psychanalyse ou une thérapie analytique notamment quand l’angoisse est importante et les symptômes multiples. L’approche psychopharmacologique peut parfois être un complément nécessaire pour permettre au sujet de remonter à la source inconsciente à l’origine de la puissance de l’angoisse. 3.3. LES ENTITÉS NOSOGRAPHIQUES 3.3.1. LA NÉVROSE D’ANGOISSE A. ÉPIDÉMIOLOGIE C’est une affection fréquente dont la prévalence pour la vie serait comprise entre 4 et 8%. Le sex-ratio est de 2 femmes pour 1 homme. Ainsi, pour l’anxiété généralisée, on relève une prévalence pour la vie située entre 3% chez l’homme et 6% chez la femme. Pour le trouble panique, ce chiffre varierait de 1,5 à 3,5% selon les enquêtes. L’âge moyen de début de ce trouble se situerait entre 21 et 26 ans. Les enquêtes familiales confirment toutes l’augmentation du risque pour les parents du premier degré et le risque plus élevé pour le sexe féminin, en tout cas pour le trouble panique. B. DESCRIPTION CLINIQUE Cliniquement, la névrose d’angoisse se manifeste dès la fin de l’adolescence ou chez l’adulte jeune par des manifestations paroxystiques (crises d’angoisses ou attaques de panique) sur fond d’anxiété permanente. Les équivalents somatiques sont multiples et beaucoup plus fréquents que la grande crise d’angoisse. Ils constituent un des motifs les plus fréquents de consultation médicale. II - 3 - 8 41 1° L’attente anxieuse C’est le symptôme le plus constant. Il s’agit d’un état d’alerte et de tension, une inquiétude permanente sans objet défini mais qui peut se concrétiser pour n’importe quel prétexte. Les peurs sont multiples. Les soucis quotidiens sont démesurément grossis dans leurs conséquences. L’anxieux, inquiet, douteur et indécis, rumine interminablement, appréhende le pire pour lui et ses proches (maladie grave, accident). Très dépendant de son entourage, ayant sans cesse besoin d’être rassuré, il supporte mal les séparations et les abandons qui sont souvent l’occasion de réactivations dramatiques de l’angoisse. Le terrain anxieux se caractérise par un déséquilibre des régulations neurovégétatives et humorales, une hyperesthésie sensorielle (intolérance aux bruits), une hyperréactivité (pleurs faciles, frissons, tremblements, crises vasomotrices et sudorales, irritabilité). 2° La crise d’angoisse Henry Ey parlait « d’ictus émotif » ce qui traduit bien le début brutal, l’intensité de la désorganisation, la brièveté d’un accès qui survient sans facteurs déclenchants immédiatement repérables. La crise submerge brutalement le patient et survient à n’importe quel moment, alors qu’il est seul ou en public, souvent elle le réveille la nuit en sursaut. L’angoisse est libre, flottante, sans objet précis : sentiment de danger, de catastrophe imminente, impression de désorganisation, de déréalisation, de dépersonnalisation, d’impuissance et de détresse ; parfois peur de mourir, de s’évanouir ou de perdre son contrôle ou la raison. Parfois il y a des distorsions perceptives auditives ou visuelles. À la sensation de malaise intense s’associent de façon constante des symptômes somatiques qui traduisent essentiellement la perturbation brutale du système nerveux autonome. Le patient est pâle, haletant, couvert de sueurs, tremblant, tachycarde, en proie à une agitation panique ou immobile, prostré dans l’attente de la catastrophe. Les symptômes physiques subjectifs sont très accusés : constriction thoracique, gêne respiratoire, palpitations, vertiges, nausées, brouillard visuel, paresthésies, troubles gastrointestinaux, bouffées vasomotrices. La crise est de durée variable, de quelques minutes à quelques heures. Le pic d’angoisse est atteint en quelques minutes et la durée excède rarement une demi-heure (jusqu’à quelques heures). Elle cède en général assez II - 3 - 9 41 brusquement avec parfois débâcle polyurique ou diarrhéique. Une crise intense peut laisser le sujet épuisé pour des heures. Elle peut rester isolée, ou le plus souvent se renouveler. 3° Les équivalents somatiques Leur sémiologie polymorphe et trompeuse est dominée par la fréquence des accidents cardio-respiratoires : • Manifestations cardio-vasculaires : crises de palpitations, accès de tachycardie, lipothymies, précordialgies ... • Manifestations respiratoires : dyspnée, poids sur la poitrine et sensation de constriction, syndrôme d’hyperventillation aboutissant à une crise tétaniforme, sensations d’étouffement, accès de toux nerveuse, soupirs … • Manifestations digestives : boule dans la gorge (spasmes pharyngés), difficultés de déglutition, dyspepsie, barre épigastrique, « creux à l’estomac », spasmes gastriques ou intestinaux, colite spasmodique, coliques, spasmes ano-rectaux avec ténesme ou épreintes, crises de hoquet, faim ou soif paroxystiques, diarrhée, constipation … • Manifestations génito-urinaires : douleurs abdomino-pelviennes, cystalgies à urines claires, pollakiurie, impériosité mictionnelle, crises polyuriques, troubles sexuels à type d’inhibition (frigidité, éjaculation précoce, impuissance) … • Manifestations cognitives : difficultés de concentration, troubles de la mémoire … • Manifestations neurologiques, sensorielles ou musculaires : céphalées, lombalgies, algies posturales, prurit, crises de tremblements, bourdonnements d’oreille, crises vertigineuses avec sensation de dérobement des jambes ou d’instabilité à la marche … • Troubles du sommeil : difficultés d’endormissement, réveils nocturnes fréquents, cauchemars, rêves pénibles, sommeil non récupérateur, terreurs nocturnes … • Fatigue confinant parfois à l’épuisement. C. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL La crise d’angoisse pose souvent un problème d’urgence médicale. Une anamnèse précise et un examen clinique sérieux et complet permettent d’éviter des erreurs parfois graves de conséquences dans un sens comme dans l’autre : II - 3 - 10 41 • Devant un tableaux anxieux, il faut savoir reconnaître une affection organique dont il peut constituer la manifestation initiale : crise d’angor, infarctus du myocarde, prolapsus de la valve mitrale, embolie pulmonaire, crise d’asthme, épilepsie temporale, hyperthyroïdie, vertige labyrinthique (maladie de Ménière), hypoglycémie, porphyrie aiguë, phéochromocytome… • À l’inverse, devant un équivalent somatique, il faut savoir reconnaître l’origine anxieuse des manifestations d’angoisses si l’on veut éviter la multiplication des investigations dont la négativité ne rassurera qu’un temps l’anxieux, enclin à privilégier une cause organique et à mieux s’identifier à des diagnostics peu précis et douteux comme la spasmophilie, l’hypoglycémie idiopathique, le colon irritable ou l’aérophagie • Enfin une difficulté supplémentaire vient de l’intrication de facteurs émotionnels et organiques comme par exemple une pathologie anxieuse séquellaire après un authentique accident cardiaque. L’angoisse peut se rencontrer dans toute la pathologie mentale. Il est sans doute plus difficile de distinguer une névrose d’angoisse : Des névroses structurées : Névrose phobique : craintes systématisées permanentes, stables, thèmes particuliers : nosophobie, thanotophobie . Hystérie de conversion : symptôme fixe, stable, livré avant tout comme étant d’origine somatique. Névrose obsessionnelle. De l’angoisse psychotique : Angoisse de discordante, dépersonnalisation sentiment et d’hostilité, de néantisation, ambivalence, affectivité opposition, négativisme, éléments délirants hypochondriaques sur un mode paranoïde … De la mélancolie anxieuse : Délire de dépréciation de soi et des autres, douleur morale intense. De la dépression : la comorbidité est importante. Ce qui importe, c’est de reconnaître la dépression et la traiter. II - 3 - 11 41 D. CLASSIFICATION DSM IV 1° Attaque de panique Une période bien délimitée de crainte ou de malaise intense, dans laquelle au minimum 4 des symptômes suivants sont survenus de façon brutale et ont atteint leur acmé en moins de 10 minutes : Palpitations, battements de cœur ou accélération du rythme cardiaque Transpiration Tremblements ou secousses musculaires Sensations de « souffle coupé » ou impression d’étouffement Sensation d’étranglement Douleur ou gêne thoracique Nausée ou gêne abdominale Sensation de vertige, d’instabilité, de tête vide ou impression d’évanouissement Déréalisation (sentiments d’irréalité) ou de dépersonnalisation (être détaché de soi) Peur de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou Peur de mourir Paresthésie (sensations d’engourdissement ou de picotements) Frissons ou bouffées de chaleur. 2° Trouble panique Pour entrer dans la catégorie du trouble panique, les patients doivent présenter à la fois: 1. des attaques de panique récurrentes et inattendues ; 2. au moins une des attaques s’est accompagnée pendant 1 mois (ou plus) de l’un (ou plus) des symptômes suivants : Crainte persistante d’avoir d’autres attaques de panique Préoccupations à propos des complications possibles de l’attaque ou bien de ses conséquences (par exemple : perdre le contrôle, avoir une crise cardiaque, « devenir fou »). Changement de comportement important en relation avec les attaques On distingue toujours trouble panique avec ou sans agoraphobie. L’agoraphobie se définit comme l’anxiété liée au fait de se retrouver dans des endroits ou des situations d’où il pourrait être difficile (ou gênant) de s’échapper ou dans lesquelles on ne pourrait ne pas trouver de secours en cas d’attaque de panique soit inattendue soit facilitée par des situations spécifiques ou bien en cas de symptômes à type de panique. Les peurs agarophobiques regroupent typiquement un ensemble de situations caractéristiques incluant le fait de se retrouver seul en dehors de son domicile, d’être dans une foule ou dans une file d’attente, sur un pont ou dans un autobus, un train ou une voiture. II - 3 - 12 41 Les situations sont soit évitées (p.ex. restriction des voyages) soit subies avec une souffrance intense ou bien avec la crainte d’avoir une attaque de panique ou des symptômes à type de panique ou bien nécessitant la présence d’un accompagnement. Les attaques de panique ne sont pas dues aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale et ne sont pas mieux expliquées par un autre trouble mental, tel une phobie sociale, une phobie spécifique, un trouble obsessionnel compulsif, un état de stress post-traumatique ou un trouble anxiété de séparation. 3° Trouble Anxiété Généralisée Anxiété et soucis excessifs (attente avec appréhension) survenant la plupart du temps durant au moins 6 mois concernant un certain nombre d’évènements ou d’activités (tel le travail ou les performances scolaires). La personne éprouve de la difficulté à contrôler cette préoccupation. L’anxiété et les soucis sont associés à 3 (ou plus) des 6 symptômes suivants (dont au moins certains symptômes présents la plupart du temps durant les 6 derniers mois) : • • • • • • Agitation ou sensation d’être survolté ou à bout Fatigabilité Difficulté de concentration ou trou de mémoire Irritabilité Tension musculaire Perturbation du sommeil (difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu ou sommeil agité et non satisfaisant) L’objet de l’anxiété et des soucis n’est pas limité aux manifestations d’un trouble de l’axe I, p.ex. l’anxiété ou la préoccupation n’est pas celle d’avoir une attaque de panique (comme dans le trouble panique), d’être gêné en public (comme dans la phobie sociale), d’être contaminé (comme dans le trouble obsessionnel compulsif), d’être loin de son domicile ou de ses proches (comme dans le trouble anxiété de séparation), de prendre du poids (comme dans l’anorexie mentale), d’avoir de multiples plaintes somatiques (comme dans le trouble somatisation) ou d’avoir une maladie grave ( comme dans l’hypochondrie) et l’anxiété et les préoccupations ne surviennent pas exclusivement au cours d’un état de stress posttraumatique. L’anxiété, les soucis ou les symptômes physiques entraînent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale. II - 3 - 13 41 Pour être complets, citons encore, sans les décrire : Trouble anxieux dû à une affection médicale généralisée Trouble anxieux induit par une substance Trouble anxieux non spécifié Trouble de l’adaptation avec anxiété Cette multiplication des « étiquetages » révèle bien la pauvreté de cette classification qui a fait disparaître la notion de névrose et a éclaté ses composantes en de multiples entités, effaçant au passage l’hystérie. Concernant les attaques de panique et l’anxiété généralisée, on peut dire qu’ils correspondent assez grossièrement à ce que reprend la notion de névrose d’angoisse telle que nous l’avons décrite. E. TRAITEMENT 1° Dans la crise aiguë d’angoisse , l’attitude calme, compréhensive et rassurante du médecin favorise l’apaisement et permet au patient de verbaliser son angoisse. Les Benzodiazépines sont souvent utiles per os (Lorazepam – Temesta£ expidet en prise sublinguale, Alprazolam - Xanax£, …) ou parfois en IM (Diazépam, Lorazepam, …) pour obtenir une sédation rapide. Il faudra revoir ultérieurement le patient afin de mettre au point avec lui des mesures thérapeutiques d’ensemble nécessaires. 2° Le traitement de fond vise à réduire l’angoisse dans l’intervalle des poussées et à prévenir le retour de celles-ci. Il associe : a) Une prise en charge psychothérapeutique : - Avant tout la psychothérapie de soutien que tout praticien doit être à même d’assurer : écoute patiente permettant au malade de se confier, dédramatisation des manifestations anxieuses, compréhension rassurante évitant les attitudes trop directives ; - Les thérapies cognitivo-comportementales. Les thérapies comportementales comprennent des techniques de relaxation qui doivent permettre de contrôler l’anxiété et des méthodes d’exposition à des situations anxiogènes dont la finalité est de minimiser l’anxiété ressentie dans ces moments. La thérapie cognitive identifie les pensées irrationnelles qui contribuent à l’émergence de sentiments anxieux et les modifie par la réorganisation des attitudes inadaptées ; II - 3 - 14 41 - La psychothérapie de type analytique est, pour des raisons évoquées dans l’introduction à ce chapitre des névroses, une approche de choix même si elle reste difficile d’accès pour des patients entièrement pris par les manifestations somatiques de leur trouble et qui attendent une prise en charge rapidement efficace. Signalons que l’angoisse flottante de la névrose d’angoisse est très sensible à l’effet placebo (jusqu’à 65% de réponses favorables dans certains essais cliniques !) et à toutes les formes de soutien psychologique. b) Une prise en charge pharmacologique : - Les benzodiazépines sont supérieures au placebo dans l’anxiété généralisée. Leur efficacité se manifesterait plus sur les symptômes somatiques et neurovégétatifs que sur les symptômes psychiques, à l’inverse des antidépresseurs. Elles gardent une place importante en raison de leur bonne tolérance et de leur rapidité d’action avec un effet maximum obtenu après 2 semaines de traitement. Le risque est bien entendu la dépendance ! Tout arrêt sera donc progressif en raison du risque de sevrage. Elles seront idéalement utilisées comme traitement d’appoint aux antidépresseurs ; - De nombreux médicaments développés et utilisés à l’origine dans le traitement de la dépression, les SSRI (Inhibiteurs Sélectifs de Recapture de la Sérotonine) en particulier, se sont montrés efficaces dans le traitement du trouble panique et de l’anxiété généralisée. Les travaux sur l’efficacité et la sécurité d’emploi des antidépresseurs en ont fait les traitements de première intention de ces troubles. Comme de nombreux patients ont une dépression associée, les SSRI traitent donc les deux problèmes simultanément. Chacun des cinq SSRI (Fluoxétine - Prozac£, Paroxétine - Seroxat£, Sertraline - Serlain£, Fluvoxamine - Floxyfral£ et S- Citalopram - Sipralexa£) a des avantages et des inconvénients pour un patient donné souffrant de trouble panique ou de trouble anxiété généralisée. Toutefois, dans les études à grande échelle, ils ont tous une efficacité équivalente et mettent trois à huit semaines pour fournir quelque amélioration. Ces patients ont tendance à être plus sensibles aux SSRI (et aux antidépresseurs en général) que les patients déprimés. On observe facilement nervosité et même aggravation transitoire de paniques au début du traitement. Il faut donc commencer par des doses plus faibles que celles qui sont utilisées chez les déprimés, pour ensuite atteindre une posologie équivalente, voire plus élevée, si le patient le supporte. II - 3 - 15 41 La clomipramine est le tricyclique le plus utilisé dans le trouble panique ; elle est très efficace. Les antidépresseurs tricycliques ont peu ou pas d’avantages sur les SSRI, bien que certains patients répondent à ces premiers et pas aux derniers. Leurs effets indésirables et en particulier les effets anticholinergiques, l’hypertension orthostatique et la prise de poids, en font des traitements de deuxième intention dans le trouble panique comme dans l’anxiété généralisée. Les IMAO (Inhibiteurs de la Mono-Amine Oxydase) irréversibles classiques sont un traitement efficace du trouble panique. Il existe d’ailleurs quelques observations qui semblent montrer qu’ils sont même plus efficaces que la clomipramine. Les essais cliniques avec les inhibiteurs réversibles de la MAO-A (RIMA) concluent à leur efficacité dans cette indication. Ils sembleraient moins efficaces que les IMAO classiques, mais ce fait n’est pas formellement établi. Les inconvénients des IMAO classiques en font des produits de troisième intention. Il s’agit d’hypotension orthostatique, de prise de poids, de troubles sexuels et de l’obligation d’un régime alimentaire (pauvre en tyramine), avec le risque de crise hypertensive induite par l’accumulation de tyramine. Les RIMA sont plus sûrs, avec moins d’effets indésirables, mais ont sans doute une efficacité moindre. Enfin, la venlafaxine (Efexor£ exel) inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline est efficace aux doses de 75 à 225 mg. - La buspirone (Buspar£) est active surtout sur les symptômes psychiques de l’anxiété généralisée après 2 à 3 semaines de traitement. 3.3.2. LA PHOBIE SOCIALE Les phobies sociales appartiennent au champ plus vaste de l’anxiété sociale, dont on peut considérer qu’elle touche occasionnellement la plupart des individus. Ainsi, la timidité concernerait 30-60 % des sujets, le trac invalidant de la prise de parole en public, environ 30 % et la personnalité évitante 1 à 2 %. Mais de récents travaux épidémiologiques permettent de penser qu’environ 10 % de la population générale souffre de manifestations invalidantes d’anxiété sociale, ce qui ferait de ce trouble, le troisième en fréquence dans le champ psychiatrique, après la dépression et l’alcoolisme. A. DÉFINITION Tout d’abord, qu’est-ce qu’une phobie ? Une phobie est une peur intense, irraisonnée, incontrôlable, suscitée par certaines situations. Pour le phobique, le désagrément est tel à II - 3 - 16 41 l’idée de se trouver confronté à l’objet de ses peurs qu’il organise sa vie de manière à l’éviter. La phobie sociale est la peur d’être humilié, honteux dans une situation sociale. L’exposition à la situation anxieuse provoque de l’anxiété et parfois des attaques de panique. La personne reconnaît le caractère irrationnel de la peur. La peur anticipative altère le fonctionnement social. Ces troubles surviennent souvent à la fin de l’enfance ou au début de l’adolescence. Ils évoluent de manière chronique, ils peuvent entraîner une invalidation par leur effet sur le fonctionnement professionnel et les activités sociales habituelles et surtout par les évitements que le sujet émet. La phobie sociale se caractérise par : - Des peurs sociales intenses. C’est une peur déchirante. C’est l’intensité de l’angoisse qui fait la phobie sociale : « Dans ces cas-là, tout bascule autour de moi. J’ai l’impression que l’horizon se renverse, que j’ai la tête à l’envers, avec la sensation affreuse d’être au fond d’un entonnoir vers lequel tous les regards convergent. Mon cœur cogne comme pour s’échapper de ma poitrine, mes tempes battent. J’entends tous les bruits comme s’ils étaient amplifiés par une sono monstrueuse. Mes mains tremblent, mes genoux se dérobent. ». Cette peur peut être tellement forte que la personne peut présenter un discours « pseudoparanoïaque » ; - Des évitements sociaux ou une souffrance anxieuse majeure. Certains phobiques réduisent leur espace vital (certains ne sortent plus que la nuit). - Handicap social et altération de la qualité de vie. Souvent, ils occupent une sousposition sociale (par exemple, avec un diplôme universitaire, ils se retrouvent veilleurs de nuit). Ils ont peur d’accepter une relation affective. Certains se coupent de leurs amis. B. LA PHOBIE SOCIALE, UN MAL INCONNU , QUI SE CACHE… Si la phobie sociale a été décrite dès 1909 par Janet sous le terme de « phobie de situations sociales », elle n’est répertoriée que depuis 1980 dans le DSM. On parlait jusqu’alors très peu de phobie sociale. Contrairement à d’autres modes de souffrance psychologique, la phobie sociale reste discrète. Elle ne dérange pas, le principal problème de la phobie sociale, c’est de passer inaperçue, un peu à l’image des enfants trop sages et discrets, dont on finit par réaliser qu’ils ne sont pas sages mais déprimés, qu’ils ne sont pas discrets mais inhibés. Le phobique social se cache donc : dans notre profession, par exemple, certains candidats médecins phobiques sociaux optent pour une spécialité qui ne les oblige pas à discuter avec leurs patients. II - 3 - 17 41 Nombre de phobiques sociaux donnent l’impression d’être froids et distants. Cela s’explique par la tension anxieuse qu’ils ressentent dans les situations d’échange et par le désir qu’ils ont de tenir autrui à distance, afin de ne pas révéler leur vulnérabilité. Ainsi, un certain nombre d’entre eux arrivent à donner le change, préférant passer pour des snobs antipathiques que pour des timides maladifs. Ce concept est proche du trouble de personnalité évitante. Beaucoup de comportements agressifs sont également explicables par ce mécanisme. Mieux vaut passer pour un « râleur » ou une « brute » que pour une victime. De la même manière, certains misanthropes ne sont que des phobiques sociaux…Pour le phobique social, aucun échange n’est anodin. D’ailleurs, nous-mêmes, ne préférons-nous pas dire « je n’ai pas envie », « je ne peux pas » ou « ce n’est pas la peine », plutôt que « ça me fait peur ». C’est plus confortable. C. TYPES Il y a deux types de phobie sociale. La phobie sociale peut être généralisée ou spécifique. Elle est dite spécifique quand elle tient lieu dans une situation particulière telle que « écrire en public », « parler en public », « utiliser les toilettes publiques », « manger en public », « utiliser le téléphone ». Elle est dite généralisée quand l’inconfort se retrouve dans la plupart des situations sociales. En pratique, la distinction n’est pas toujours aisée à réaliser. D. PRÉVALENCE Elle touche toute la population mais celle-ci se retrouve préférentiellement dans des professions plus introverties : informaticiens, écrivains,… Sa prévalence est de 2 à 4 % de la population générale. À la différence des autres troubles anxieux où les femmes prédominent, la phobie sociale se retrouve autant chez les hommes que chez les femmes. Environ une personne sur sept en souffre à un moment donné ou l’autre de sa vie. Souvent le phobique n’ose pas consulter, considérant son « problème » comme une timidité excessive, comme « un trait de personnalité ». Il consultera souvent lors des complications (attaque de panique ou dépression, alcoolisme,…). II - 3 - 18 41 E. DE LA TIMIDITÉ À LA PHOBIE SOCIALE… La timidité : c’est un trait de personnalité. Face à toutes « les premières fois », le timide a peur qu’on le juge. Plus il va rencontrer, plus la peur va diminuer. Le trac est l’anxiété de performance (chaque fois que le public attend quelque chose de vous). « La confiance fournit plus à la conversation que l’esprit » (La Rochefoucauld) Normal Pathologique Paroxystique TRAC,appréhension ponctuelle PHOBIE SOCIALE Chronique TIMIDITE PERSONNALITE EVITANTE Différence timidité-phobie sociale : Timidité Phobie sociale 1) Qualité de vie peu altérée 1) Qualité de vie très altérée. 2) Peur de l’échec, peur de ne pas réussir ce 2) Peur de la catastrophe sociale, peur d’être qu’il entreprend ridiculisé. 3) Peut parler de son trouble à des proches 3) Dissimule son trouble même à des proches. Ils paraissent bizarres, distants, froids. 4) L’anxiété diminue avec la répétition des 4) L’anxiété peut augmenter avec la répétition contacts (habituation). des contacts. II - 3 - 19 41 Différence trac-phobie sociale : Trac Phobie sociale 1) Anxiété anticipatoire 1) Anxiété anticipatoire ( à l’holter, le cœur augmente parfois jusque 140-150) 2) Diminue au moment de l’intervention 2) Ne diminue pas pendant l’intervention 3) Soulagement après l’intervention 3) Haute après l’intervention 4) Habituation au fur et à mesure des 4) Sensibilisation au fur et à mesure des interventions. interventions. F. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL 1. La timidité (40-60 % de la population) 2. Le trac invalidant (30 % de la population) 3. La personnalité évitante (cfr critères DSM IV) : 1% de la population, accompagnant souvent la phobie sociale 4. La dépression 5. Les troubles de personnalité (schizoïde, schizotypique, dépendante, …), voire la schizophrénie ou encore un trouble délirant paranoïde. 6. Une attaque de panique peut toujours mimer un maladie physique (infarctus, asthme,…). G. ORIGINES DE LA PHOBIE SOCIALE Près de la moitié des personnes ont des symptômes pendant l’enfance et elles en ont presque toutes avant l’âge de 20 ans. Il y a une part d’inné et d’acquis : inné : très jeunes, certains enfants se montrent très anxieux par rapport aux visages non familiers. Des études prospectives tendent à démontrer que cette anxiété pourrait déjà s’installer in utéro chez certains enfants. II - 3 Certains enfants ne supportent pas le bruit. - 20 41 L’anxiété sociale est souvent corrélée à ce « tempérament hypersensible » de l’enfant. L’éducation peut alors augmenter ou diminuer cette émotivité. acquis : - environnement familial : le modèle parental, le style éducatif allant dans le sens d’une absence de contacts extérieurs. socialisation. Dans ces familles, il y a peu d’expériences de Un parent phobique social est un modèle d’anxiété sociale pour l’enfant. - événements de vie : la phobie sociale débute souvent à l’adolescence. Après un événement traumatisant, la phobie sociale tend à se figer. Le traumatisme n’est pas responsable de la phobie sociale mais a été un facteur déclenchant. On retrouve aussi des défauts physiques, à l’origine de la phobie sociale : par exemple, l’acné peut déclencher des véritables troubles anxieux durables. - par ailleurs, la société actuelle tend à compliquer de plus en plus la vie des phobiques sociaux. Il n’y a peut-être pas plus d’anxieux sociaux qu’avant mais ceuxci sont plus souvent mis à mal dans une société qui exige un changement permanent. Quels sont les liens entre timidité et phobie sociale ? Y a-t-il un facteur génétique qui expliquerait une hyperactivation du système sympathique, à l’origine de la phobie sociale ? Pourrait-on prévenir la phobie sociale par un système scolaire moins « intellectualisant » et ouvert à d’autres formes d’expression ? H. COMORBIDITÉ - COMPLICATIONS Certaines études estiment à près de 70 % des cas le pourcentage des sujets phobiques sociaux souffrant d’autres problèmes. - Autres troubles anxieux : le phobique social souffre souvent d’autres troubles anxieux, comme l’anxiété généralisée ou l’agoraphobie, la peur de s’éloigner de chez soi ( on est plus protégé chez soi, loin du regard des autres …) ou encore une phobie spécifique. - Le trouble panique : l’attaque de panique (sensation d’étouffement ou d’étranglement, essoufflement, accélération du rythme cardiaque, sentiment d’irréalité, l’impression de devenir fou ou de mourir) peut survenir de façon inattendue, surprenante. Arrive alors le II - 3 - 21 41 cercle vicieux de la peur de l’attaque de panique, qui renforce le phobique social dans son isolement. - La dépression (50-70 % des cas): le phobique social a toujours des affects dépressifs. Le phobique social se condamne à ne pas être en société. Il souffre de sa solitude ( à la différence du trouble de personnalité de type schizoïde, par exemple). L’éternelle inadéquation entre ses espoirs et ses échecs amène souvent le phobique à une véritable dépression. Repli sur soi, doute permanent sur ses capacités, usure nerveuse suscitée par la peur devant des tas de situations, difficultés à nouer des relations gratifiantes avec autrui et finalement un univers socio-professionnel de plus en plus appauvri, amènent le phobique à la dépression. Dans ce contexte, on ne sera pas surpris de retrouver des idéations suicidaires, des tentatives de suicide et une augmentation du nombre de suicides. - L’alcoolisme et autres toxicomanies (20-40 % des cas) sont des complications fréquentes de la phobie sociale. En effet, celui-ci a trouvé dans ces drogues « un moyen » de tenter l’aventure sociale. A ses dépends, puisque sans sa drogue, la phobie sociale persiste. I. TRAITEMENT « Aller vers les autres, ce n’est pas avoir de la culture mais de la confiance en soi ». Nous avons préféré utiliser le terme de « prise en charge » que de traitement car la phobie sociale n’est pas une pathologie somatique. La réussite de la prise en charge comprendra autant la motivation du patient, les résistances de celui-ci, les renforcements de l’entourage ( à perpétuer cette conduite) que la qualité du thérapeute. Le but étant plutôt un mieux-être qu’une guérison. Le phobique social guéri deviendrait tout simplement un timide. La phobie sociale est une pathologie chronique. a) Psychothérapie Nous développerons ici la thérapie cognitivo-comportementale, la principale étudiée dans ce trouble, mais il existe d’autres approches psychothérapeutiques. 1° l’exposition De la prise en charge, retenons que le phobique doit affronter ses peurs pour s’en sortir. Or c’est bien là que le bas blesse pour le phobique : ces peurs l’empêchent de sortir de sa peur. II - 3 - 22 41 Le phobique social a envie de rentrer en contact avec d’autres personnes mais son angoisse l’en empêche. L’exposition, pour être efficace, doit être progressive et prolongée. Un des éléments clés de l’exposition sera la thérapie de groupe. Celle-ci permet au phobique social d’affronter le regard de l’autre et de dépasser « sa terrible peur de perdre la face ». Outre la thérapie de groupe, des techniques de relaxation ( sophrologie, relaxation progressive de Jacobson,…) sont utiles pour diminuer les réactions orthosympathiques présentes dans l’activation anxieuse. 2° L’entraînement à la communication Les ateliers d’habilités sociales sont d’une aide importante pour le phobique. C’est lui apprendre à se comporter en société. Les théories de l’apprentissage rendent compte du fait que le comportement social est une conduite apprise : on donne au phobique les outils qui l’ont bloqué dans son développement social (on lui apprend à regarder dans les yeux, on lui apprend à dire ce qu’il pense, …). « L’homme vraiment libre, c’est celui qui sait refuser une invitation à dîner sans donner de justification ». 3° Approche cognitive Ces techniques vont permettre de travailler la partie inconsciente (irrationnelle) des peurs. Marc Aurèle (philosophe stoïcien) écrit que « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses (les événements) mais les opinions qu’ils en ont ». La thérapie cognitivo-comportementale (restructuration cognitive) permettra au patient de se rendre compte de l’irrationalité de sa peur et donc de pouvoir l’affronter. Il pourra, une fois qu’il a appris à s’auto-observer, repérer la pensée irrationnelle au départ de la conduite anxieuse et la remplacer alors par des pensées plus réalistes. Dans le trouble phobique, le patient a tendance : - à surévaluer la visibilité de son malaise (ainsi dans les thérapies de groupe, les autres vont pouvoir renvoyer au phobique qu’ils l’ont trouvé bien, ce qui lui permettra progressivement de changer son raisonnement « faussé ») ; II - 3 - 23 41 - à surévaluer le caractère négatif du jugement des autres et les conséquences possibles du jugement négatif des autres, - à surévaluer les conséquences négatives possibles du jugement négatif des autres. b) Médicaments Outre les techniques « psychothérapeutiques », on propose souvent, au départ, pour les phobies sociales sévères, en combiné, un traitement médicamenteux avec des antidépresseurs de type sérotoninergique. La paroxétine est le médicament le plus utilisé et reconnu dans cette indication, ceci à doses progressives, la dose étant légèrement supérieure à celle de la dépression (30 à 40 mg par jour). Les anxiolytiques ne devraient pas être prescrit dans l’anxiété sociale. Par ailleurs, l’anxiété de performance peut bénéficier d’un traitement par les béta-bloquants (musicien, acteur, homme politique, …). Cette médication permet d’éviter une trahison du corps mais elle ne marche pas dans les véritables phobies sociales. Quels sont les résultats de la thérapie ? 80 % des phobiques sociaux vont bénéficier de la thérapie. Ils arrivent à surmonter leur anxiété sociale. Les rechutes existent chez ceux qui arrêtent de faire des efforts. Dès lors, on leur recommande de rester vigilants. Entre 10 et 20 % des patients ne répondent pas à la thérapie. Des phobiques sociaux s’en sont sortis, loin de la psychiatrie, pris dans une passion qui leur a permis de s’épanouir. J. TOUT CELA POSE DES QUESTIONS … RÉFLÉCHISSONS ENSEMBLE… Nous venons de voir la « phobie sociale » d’un point de vue psychiatrique. C’est-à-dire sous la lorgnette du « normal et du pathologique ». D’autres considèrent la phobie sociale comme un état, une façon d’être. Car, même en faisant de ce « mal » une pathologie psychiatrique, le traitement n’est pas toujours très convaincant. D’ailleurs, le phobique social consulte peu le psychiatre. La phobie sociale serait-elle une façon d’être au monde ? Sartre ne disait-il pas que « l’enfer, c’était les autres » ? D’autres vous diront que notre société est le siège de la phobie sociale. Une société qui nous implique toujours plus, qui nous demande un développement physique, intellectuel, spirituel et qui nous demande d’être heureux. Les exigences deviennent tellement fortes que le phobique social est dépisté, démasqué. On peut encore replacer la phobie sociale au niveau culturel. La culture japonaise fabrique de la II - 3 - 24 41 phobie sociale (importance sociale +++, peur d’incommoder autrui). Autre regard, autre vue. Cette pathologie serait-elle la construction d’un lobbying pharmaceutique ? La différence entre la timidité et la phobie sociale ne serait-elle que l’affaire d’un médicament (en l’occurrence, les SSRI) ? Rien n’est simple en psychiatrie. Ne fuyons-nous pas tous nos zones d’ombre ? Faut-il les voir ou pas ? Jules Renard ( grand anxieux social) : « il ne disait rien mais on voyait bien qu’il pensait des bêtises ». K. Critères DSM IV de la phobie sociale A) Peur importante et persistante d’une ou plusieurs situations sociales ou de performance, dans lesquelles le sujet est exposé à des personnes qu’il ne connaît pas ou à l’observation attentive d’autrui. Le sujet craint de se conduire d’une manière (ou montrer des signes d’anxiété) qui va l’humilier ou l’embarrasser. B) La confrontation sociale redoutée provoque systématiquement l’anxiété, qui peut prendre la forme d’une attaque de panique, soit liée à la situation soit prédisposée. C) Le sujet reconnaît que sa peur est excessive et irrationnelle. D) Les situations sociales ou de performance redoutées sont évitées, ou, sinon, elles sont vécues avec une anxiété intense ou une détresse. E) L’évitement, l’anticipation anxieuse ou la détresse dans ces situations sociales ou de performance, interfèrent avec le fonctionnement de la vie de tous les jours, le fonctionnement professionnel (ou scolaire), ou les activités et les relations sociales, ou il existe une détresse liée à la conscience d’avoir cette phobie. F) Chez les sujets de moins de dix-huit ans, la durée est d’au moins six mois. G) La peur ou l’évitement ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance (par exemple drogue ou médicament) ou à une maladie médicale ou ne correspond pas à un autre trouble mental (panique avec ou sans agoraphobie, anxiété de séparation, dysmorphophobie, personnalité schizoïde). II - 3 - 25 41 H) S’il existe une maladie médicale ou un autre trouble mentale, la peur du critère A) n’est pas liée à celle-ci ou celui-ci. Par exemple, le sujet ne craint pas de bégayer (s’il est atteint de bégaiement), de trembler ( s’il a une maladie de Parkinson), de révéler un comportement alimentaire anormal ( s’il présente une anorexie mentale ou une boulimie). Préciser s’il s’agit d’une forme généralisée : les peurs concernent la plupart des situations sociales. Considérer aussi le diagnostic additionnel de Personnalité évitante. 3.3.3. LA PHOBIE SPECIFIQUE A. DIAGNOSTIC (critères DSM IV) Peur persistante et intense à caractère irraisonné ou bien excessive, déclenchée par la présence ou l'anticipation de la confrontation à un objet ou une situation spécifique (p. ex. prendre l'avion, les hauteurs, les animaux, avoir une injection, voir du sang). L'exposition au stimulus phobogène provoque de façon quasi systématique une réaction anxieuse immédiate qui peut prendre la forme d'une attaque de panique liée à la situation ou facilitée par la situation. NB : chez les enfants, l'anxiété peut s'exprimer par des pleurs, des accès de colère, des réactions de figement ou d'agrippement. Le sujet reconnaît le caractère excessif ou irrationnel de la peur. NB : chez l'enfant, ce caractère peut être absent. La (les) situation(s) phobogène(s) est (sont) évitée(s) ou vécue(s) avec une anxiété ou une détresse intense. L'évitement, l'anticipation anxieuse ou la souffrance dans la (les) situation(s) redoutée(s) perturbent de façon importante les habitudes de l'individu, ses activités professionnelles (ou scolaires) ou bien ses activités sociales ou ses relations avec autrui, ou bien le fait d'avoir cette phobie s'accompagne d'un sentiment de souffrance important. Chez les individus de moins de 18 ans, la durée est d'au moins 6 mois. II - 3 - 26 41 L'anxiété, les attaques de panique ou l'évitement phobique associé à l'objet ou à la situation spécifique ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental tel un Trouble obsessionnel-compulsif (p. ex. en réponse à des stimulus associés à un facteur de stress sévère), un trouble anxiété de séparation (p. ex. évitement scolaire), une phobie sociale (p. ex. évitement des situations sociales par peur d'être embarrassé), un trouble panique avec agoraphobie ou une agoraphobie sans antécédents de trouble panique. B. ÉPIDÉMIOLOGIE Selon les études, la prévalence sur la vie varie entre 11,3 et 19,8 %. Ce trouble est plus fréquent chez la femme, sauf la phobie de type sang-plaie-accident. C. TRAITEMENT A. Psychothérapie si nécessaire, souvent de type cognitivo-comportemental. B. Pharmacothérapie inefficace. 3.3.4. LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE A. DIAGNOSTIC Dans la névrose obsessionnelle, on constate la présence de compulsions et/ou d’obsessions, c’est à dire de pensées ou d’impulsions qui s’imposent de façon insistante dans la conscience du patient. L’obsession et la compulsion sont égodystoniques, ce qui signifie qu’elles sont ressenties comme étrangères à sa propre personne : non désirées, non acceptées, incontrôlables. Un sentiment d’angoisse ou de honte est également ressenti par le patient et l’amène souvent à prendre des mesures contre l’idée ou l’impulsion initiale.Peu importe la force du symptôme, l’individu le reconnaît clairement comme absurde et irrationnel. Les obsessions ou les compulsions sont à l'origine d'une perte de temps considérable et interfèrent avec les activités habituelles. Il y a lieu de relever que le tableau clinique est caractérisé par des symptômes consciemment perçus par le patient, mais contre lesquelles il ne peut résister par sa volonté. B. ÉPIDÉMIOLOGIE Selon les études, la prévalence sur la vie varie entre 2,5 et 3 %. II - 3 - 27 41 Il y a une répartition égale dans les deux sexes. C. PSYCHODYNAMIQUE La névrose obsessionnelle illustre l’exacerbation de caractéristiques que tout individu connaît à un moindre degré. A titre exemplatif, - L’ambivalence est le fait de ressentir de l’amour et de la haine à l’égard de la même personne. Ces émotions se suivent tellement rapidement qu’elles paraissent simultanées. Dans l’évolution normale d’une personne, une bonne partie de la haine est neutralisée ou transformée en un désir de gagner contre l’autre (et donc plus de le détruire). Chez le patient obsessionnel, la vie affective est marquée par une grande difficulté à juguler la haine. Il vit l’ambivalence d’une façon consciente et est envahi par un sentiment de doute paralysant. - La pensée magique : la personne croit que le simple fait de penser à un évenement peut le rendre réel sans devoir poser un acte concret. L’étudiant craint que le simple fait de penser un échec puisse le conjurer. Chez le patient obsessionnel, cette pensée est particulièrement présente. C’est pour cette raison qu’une pensée agressive l’inquiète beaucoup. - Le jugement moral : c’est la partie de la personnalité qui donne le sentiment de bonne ou mauvaise conscience. En temps normal, la personne a mauvaise conscience lorsqu’elle pose un acte contraire à ses convictions. Le patient obsessionnel a une anxiété coupable et se demande souvent ce qu’il a peut-être mal fait par rapport à sa conscience. Il a un doute permanent sur les actes qu’il pose et sur les pensées éventuellement mauvaises qui l’habitent. En conséquence, il apparait comme trop consciencieux, scrupuleux et rigide. D. TRAITEMENT a) Psychothérapie La psychothérapie est un lieu de soutien et de dédramatisation du symptôme. Elle permet d’analyser les événements déclenchants celui-ci. Elle soutient le fonctionnement social du patient. Elle permet au patient d’aborder des pensées anxiogènes et des affects dépressifs sans crainte d’être jugé. L’écoute ne consiste pas uniquement dans le fait de répertorier des symptômes mais de reconnaître le patient avec toute sa difficulté subjective. II - 3 - 28 41 Le rythme des rencontres permet au patient de déployer sa parole et assouplit ainsi le cours de sa pensée. b) Pharmacothérapie 1° Les antidépresseurs sérotoninergiques à relativement haute dose. Du fait des puissantes propriétés de la clomipramine sur la recapture de la sérotonine, il a été émis l’hypothèse que cet effet anti-TOC était lié à ses propriétés de blocage de la recapture de la sérotonine. Cette hypothèse est solidement étayée par la constatation que les cinq SSRI sont également efficaces. Et bien que la clomipramine soit aussi métabolisée en un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline, rien ne prouve le rôle du blocage de la recapture de la noradrénaline dans le mécanisme d’action de la clomipramine. En particulier, les inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline les plus sélectifs comme la Désipramine ont une efficacité faible ou nulle sur le TOC. Certaines données récentes montrent même que l’inhibition de la recapture de la sérotonine est nécessaire pour traiter la dépression, éventuellement associée au TOC. Chez les patients qui souffrent d’une telle comorbidité, les SSRI améliorent les deux syndromes, tandis que la désipramine non seulement n’améliore pas le TOC lui-même, mais en plus se révèle moins efficace que les SSRI sur la dépression associée. Cela montre que, si de manière générale, la dépression implique la sérotonine, la noradrénaline ou les deux, la dépression associée au TOC est particulièrement sérotoninergique. Bien que l’utilisation des SSRI montre qu’il existe des similitudes entre le traitement du TOC et celui de la dépression, il n’en reste pas moins qu’il existe de grandes différence entre les deux. Les doses utilisées dans le TOC sont en effet très supérieures à celles qui sont prescrites dans la dépression. Par ailleurs, l’apparition d’un effet thérapeutique lors de l’instauration d’un traitement par SSRI, est souvent beaucoup plus tardive dans le TOC, six à douze semaines, voire davantage, que dans la dépression. On constate également des différences en ce qui concerne les réponses au traitement. Alors que de nombreux patients déprimés guérissent sous SSRI, la réponse moyenne des patients atteints de TOC avoisine seulement 35% de réduction de symptômes après douze semaines de traitement. Le taux de rechute est plus élevé et la rechute plus précoce après l’arrêt du traitement dans le TOC par rapport à la dépression. II - 3 - 29 41 Une autre importance de taille entre TOC et dépression réside dans le mécanisme d’action des SSRI, avec pour le premier une réponse thérapeutique qui semble moins dépendante de la disponibilité immédiate de 5-HT que pour la seconde. Ainsi, lorsque l’on soumet des déprimés à un régime sans tryptophane, ce qui produit une diminution brutale de la synthèse de 5-HT, les patients qui avaient alors répondu aux SSRI voient leur état se dégrader jusqu’à ce que la synthèse de 5-HT soit restaurée. Au contraire, la déplétion en tryptophane des patients souffrant de TOC et ayant préalablement répondu à un SSRI n’entraîne aucune aggravation de leurs symptômes. Les SSRI semblent donc agir par le biais d’un mécanisme différent dans le TOC par rapport à la dépression. En réalité, ils agissent certainement par l’intermédiaire de voies sérotoninergiques différentes. En résumé, les SSRI améliorent indubitablement les symptômes de la dépression comme ils améliorent ceux du TOC. Toutefois, dans le deuxième cas, on s’aperçoit par rapport à la dépression que la réponse passe spécifiquement par la sérotonine et non pas par l’inhibition de la recapture de la noradrénaline, que dans le TOC elle apparait plus tardivement, qu’elle est moins importante, qu’elle dépend moins de la disponibilité en sérotonine au niveau de la synapse et qu’enfin, le risque de rechute à l’arrêt du traitement est plus important. Du fait que les SSRI ne donnent pas de bons résultats chez tous les patients atteints de TOC, voire n’en donnent pas du tout chez certains d’entre eux, les psychopharmacologues ont tenté d’augmenter leurs effets au moyen de différentes substances susceptibles de potentialiser l’action de la sérotonine. Ainsi, il est possible pour certains patients de potentialiser le traitement avec un neuroleptique atypique. 2° Les anxiolytiques lors des périodes de stress importants. 3° Rarement les neuroleptiques atypiques. E. CLASSIFICATION DSM IV Les critères diagnostiques du trouble obsessionnel compulsif (TOC) selon le DSM- IV mettent l’accent sur les symptômes observables et ne s’intéressent pas à la notion de conflit intrapsychique tel que décrit plus haut dans les quelques considérations psychodynamiques. A. Existence soit de compulsions, soit d'obsessions. Obsessions définies par : II - 3 - 30 41 - Pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes qui, à certains moments de l’affection, sont ressenties comme intrusives et inappropriées et qui entraînent une anxiété ou une détresse importante ; - Les pensées, impulsions ou représentations ne sont pas simplement des préoccupations excessives concernant les problèmes de la vie réelle ; - Le sujet fait des efforts pour ignorer ou réprimer ces pensées, impulsions ou représentations ou pour neutraliser celles-ci par d’autres pensées ou actions ; - Le sujet reconnaît que les pensées, impulsions ou représentations obsédantes proviennent de sa propre activité mentale (elles ne sont pas imposées de l’extérieur comme dans le cas des pensées imposées). Compulsions définies par : - Comportements répétitifs (p.ex. lavage des mains, ordonner, vérifier) ou actes mentaux (p.ex. prier, compter, répéter des mots silencieusement) que le sujet se sent poussé à accomplir en réponse à une obsession ou selon certaines règles qui doivent être appliquées de manière inflexible ; - Les comportements ou les actes mentaux sont destinés à neutraliser ou à diminuer le sentiment de détresse ou à empêcher un événement ou une situation redoutés ; cependant, ces comportements ou ces actes mentaux sont soit sans relation réaliste avec ce qu’ils se proposent de neutraliser ou de prévenir, soit manifestement excessifs. B. À un moment durant l'existence de ce trouble, le sujet a reconnu que les obsessions ou les compulsions étaient excessives ou irraisonnées. C. Les obsessions ou les compulsions sont à l'origine de sentiments marqués de détresse, d'une perte de temps considérable (prenant plus d’une heure par jour) ou interfèrent de façon significative avec les activités habituelles du sujet, son fonctionnement professionnel ou ses activités ou relations sociales habituelles. 3.3.5. LA NÉVROSE HYSTÉRIQUE A. DÉFINITION Si nous nous référons au Dictionnaire de la Psychanalyse de Laplanche et Pontalis, « L’hystérie est une classe de névroses présentant des tableaux cliniques très variés. Les deux formes symptomatiques les mieux isolées sont l’hystérie de conversion, où le conflit psychique vient se symboliser dans les symptômes corporels les plus divers, paroxystiques (exemple : crises émotionnelle avec théâtralisme) ou plus durables (anesthésies, paralysies II - 3 - 31 41 hystériques, etc.), et l’hystérie d’angoisse où l’angoisse est fixée de façon plus ou moins stable, à tel ou tel objet extérieur (phobies). » Ainsi, le refoulement hors de la conscience de désirs, de fantasmes ou de souvenirs inacceptables par le malade est suivi d’un retour du refoulé qui s’impose au patient sous une forme déguisée suite à la conversion de l’énergie psychique en énergie somatique. La conversion hystérique crée ainsi ces phénomènes tels que décrits dans la définition de Laplanche et Pontalis. Dans cette névrose, le bénéfice primaire de la formation de symptôme consiste en la diminution, voire la disparition totale de l’angoisse liée au conflit. Les bénéfices secondaires peuvent être compris comme suit : « Aussi longtemps que je suis malade, on s’occupe de moi. ». Ces mêmes bénéfices secondaires, s’ils sont importants, contribuent à la perpétuation des symptômes et des plaintes. B. HISTORIQUE Dans l’Antiquité, l’hystérie, selon son étymologie est une maladie qui trouve son origine dans l’hystera (la matrice). Ainsi, à partir de cette définition, l’hystérie se caractérisait par deux traits : déficit fonctionnel d’un organe sexuel et déficit concernant les femmes. Au Moyen-âge, le christianisme a bouleversé cette étiologie. Ce qui était appelé hystérie prend le nom de possession diabolique. Avec la Renaissance s’instaure un retour à l’antiquité : l’hystérie est une maladie, et elle relève de causes internes et naturelles. C’est de ce fait que peut naître une science théorique et thérapeutique. À partir du XVIIème siècle vont apparaître trois courants distincts s’intéressant à l’étiologie hystérique. Un courant organiciste en Grande-Bretagne (Jorden, Burton et Cullen) va émettre l’hypothèse que l’hystérie vient d’un trouble nerveux du cerveau. Sydenham et Pinel, un anglais et un français, donnent à l’hystérie un fondement psychique. De ce fait, cette maladie est curable car elle n’est non pas une maladie organique du cerveau mais un désordre des passions, ayant des conséquences somatiques. II - 3 - 32 41 Mesmer, Braid et, surtout Charcot vont démontrer, dès la fin du XVIIIème siècle, le pouvoir de l’hypnose sur les symptômes hystériques. Au XIXe siècle, Charcot va innover dans ce domaine. Selon lui, le symptôme n’est pas l’expression d’une émotion cachée mais il est à réduire à un ensemble de signes, chacun n’ayant de valeur que dans son rapport aux autres. Dans ce contexte, l’hystérie a pour étiologie l’hérédité, soit une dégénérescence, mais les symptômes ont pour causes occasionnelles des agents provocateurs tels que des chutes brutales, paroles offensantes, … et la voix de l’hypnotiseur. La suggestion a ainsi le pouvoir de faire et défaire le symptôme. Assistant à de nombreuses leçons cliniques de Charcot à la Salpêtrière, Freud va découvrir cette innovation médicale et débuter les travaux qui donneront naissance à la psychanalyse. L’intérêt de Freud à cette époque porte essentiellement sur l’inconscient et la sexualité infantile. C. L’APPORT FREUDIEN En 1895, Freud écrit avec Breuer « les études sur l’hystérie ». À cette époque, Breuer traite une patiente, Anna O., qui permit à Freud de parfaire ses conceptions théoriques et thérapeutiques. Ainsi, « la cause de la plupart des symptômes hystériques mérite d’être qualifiée de traumatisme psychique ». Le souvenir d’un choc, devenu autonome, agit à la manière d’un corps étranger dans le psychisme. Nous pouvons dès lors affirmer que l’hystérique souffre de réminiscences. Dans ce cas, l’affect lié à l’incident causal n’a pas trouvé de décharge d’énergie par la voie verbale ou somatique parce que la représentation psychique du traumatisme était absente, interdite ou insupportable. Freud affirme alors dans ce cas qu’un « noyau d’un second conscient » est constitué. Celui-ci serait à la source des phénomènes somatiques. Le mécanisme de défense qui préside à la formation du symptôme hystérique est qualifié alors de refoulement d’une représentation incompatible avec le moi. En parallèle, Freud affirme que le traumatisme en cause est toujours lié à une expérience sexuelle précoce vécue dans le déplaisir, y compris chez les jeunes garçons. De ce fait, l’hystérie n’est pas exclusivement féminine. Les difficultés rencontrées dans les cures ont conduit Freud à la mise en place d’une seconde topique de l’appareil psychique. En ce qui concerne « des nouvelles études sur l’hystérie », celles-ci ne verront jamais le jour. Lacan traitera, à travers ses lectures des textes de Freud, de l’évolution de ce concept. II - 3 - 33 41 Nous traitons principalement dans ce chapitre de l’hystérie de conversion. Celle-ci se distingue classiquement par l’intensité des crises émotionnelles et la diversité des effets somatiques qui tiennent la médecine en échec. D. CLINIQUE 1° Les symptômes somatiques Les symptômes hystériques de conversion ont d’abord été décrits sur le plan médical. Il ne s’agit toutefois pas des manifestations les plus fréquentes de l’hystérie, aussi nous les passerons rapidement en revue. - Les accidents paroxystiques : o La grande crise, décrite par Charcot (crise d’agitation spectaculaire dont la symbolique sexuelle est souvent présente) o Autres : va de la crise nerveuse d’agitation à l’évanouissement, spasmophilies (dont les liens avec l’hystérie sont évidents), narcolepsies (états de sommeil diurnes) - Les troubles d’allures neurologique : o Les paralysies sont les troubles les plus fréquents : elles peuvent toucher les deux membres inférieurs, un membre, les cordes vocales, etc. o Les anesthésies o Les manifestations algiques (posent des problèmes avec les douleurs hypochondriaques) 2° Les symptômes psychiques Les symptômes psychiques se suffisent le plus souvent à eux-mêmes. Ils sont par ailleurs plus fréquents que les classiques accidents de conversion. En voici un bref aperçu : - La séduction et l’avidité affective o Besoin d’attirer l’attention sur soi o Egocentrisme o Dépendance affective o Erotisation de la relation o Manque de contrôle émotionnel II - 3 - 34 41 o Provocation o Etc. La fuite ou l’amnésie - o Les troubles de la mémoire o Distractivité : le patient ne peut pas se concentrer sur une activité o Somnanbulisme o Etats seconds : fugues amnésiques E. ETABLISSEMENT D'UN DIAGNOSTIC DE CONVERSION HYSTERIQUE Il y aura lieu de toujours passer l'anamnèse et l'examen clinique simple, afin de ne pas pousser à la médicalisation outrancière de troubles psychiques à expression somatique. Les éléments sur lesquels on peut s'appuyer sont : - localisation aberrante, anorganique des atteintes ; - mobilité des symptômes ; - mise en avant théâtrale des atteintes ; - circonstances particulières d'apparition ; - personnalité prémorbide de type histrionique. Le diagnostic différentiel devra s'exercer vis-à-vis de maladies nerveuses comme la sclérose en plaque, certaines tumeurs cérébrales, ou encore une épilepsie temporale. Des troubles métaboliques tels que l'hypoglycémie et l'hypocalcémie doivent être exclus. Il faut se rappeler qu'il convient de se montrer très vigilant quant aux promesses de "trouver quelque chose" par des "examens de plus en plus poussés". De même, on n'annoncera jamais au patient qu'il n'a rien parce que le médecin ne détecte pas de causalité organique. Le trouble psychique est bien présent et la souffrance du patient reste une réalité subjective, qu’elle en soit l’étiologie, dont le médecin ne peut doute s’il veut pouvoir la traiter. Enfin, l'hystérie doit être distinguée des affections psychosomatiques : celles-ci provoquent le plus souvent des lésions tissulaires tels l'ulcère duodénal ou la colite ulcéreuse. De plus, les personnalités de base s'opposent comme l'eau et le feu. II - 3 - 35 41 F. TRAITEMENT La psychothérapie est le traitement de choix de l'hystérie. La psychanalyse, qui a été découverte par et pour les hystériques, s'y révèle efficace pour peu que le malade soit prêt à s'y engager. Tous les types de psychothérapie, individuelle (brève, de soutien) ou de groupe peuvent se révéler profitables. Dans le cadre d'une psychothérapie de soutien, il sera possible d'orienter le patient vers un mode de vie plus satisfaisant en lui permettant de mieux identifier ses désirs latents et de réaliser ses choix. Une adjonction médicamenteuse prudente pourra être réalisée à l'aide d'anxiolytiques (ne pas allonger le temps de prescription) ou d'antidépresseurs sérotoninergiques ou IMAO de la nouvelle génération (les tricycliques sont mal tolérés). L'enrôlement dans des groupes théâtraux ou d'expression artistique ou encore une réorientation professionnelle vers une activité plus valorisante au regard des autres, peuvent contribuer à l'amélioration de la situation. G. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES S. Freud Le cas Dora in Cinq Psychanalyses P.U.F. F. Breuer et S. Freud Etudes sur l'hystérie P.U.F. L. Israël L'hystérique, le sexe et le médecin MASSON L. Israël La victime de l'hystérique L'Evolution Psychiatrique Vol. XXXII, 3, 1967, pp.517-546 F. Brion et S. Brion Hystérie, simulation … II - 3 - 36 41 3.3.6. L’ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE A. ORIGINES L’état de stress post-traumatique (PTSD : post traumatic stress disorder) est une autre forme de trouble anxieux. Trouvant le cadre des névroses dépassé, certains cliniciens et théoriciens – surtout nordaméricains) ont participé à une revalorisation de la notion de réaction, réaction psychologique à l’événement vécu et ce plus particulièrement dans le champ des troubles anxieux. Il faut dire que cet espace nosographique contient les troubles classiquement répertoriés sous le terme de névrose. Cela a donné place aux descriptions du DSM-IV et du PTSD (post-traumatic stress disorder). Ce courant de pensée a certainement omis de s’appuyer sur des descriptions plus anciennes d’états psychiques organisés et durables, déterminés, provoqués ou occasionnés par un événement soudain et violent débordant les capacités de défense de l’individu (névrose traumatique, névrose d’effroi et névrose de guerre). Des deux axes de description, il faut surtout se focaliser sur le facteur étiologique, l’événement traumatique, qui inaugure le trouble. Chez les uns, il s’agit de la cause (l’événement provoque le trouble) et chez les autres il s’agit d’une péripétie qui le déclenche (l’événement est resitué face à l’état antérieur, présent et ultérieur). B. ÉTIOLOGIE L’état de stress post-traumatique succède souvent à un événement psychologiquement traumatisant hors du commun et qui ne laisserait pratiquement personne indemne. L’événement ou le stimulus qui déclenche ce syndrome est souvent brutal, accablant et dangereux pour l’individu ou pour le groupe. Ce syndrome est souvent observé chez les victimes d’actes de violence particulièrement odieux (viol, agression, attentat terroriste, massacre ethnique). Il se retrouve aussi fréquemment chez des individus exposés par leur situation professionnelle à des situations particulièrement dangereuses. Toutefois, ce syndrome peut se manifester chez n’importe quel individu. II - 3 - 37 41 Quoique certaines personnes soient particulièrement résistantes et échappent à ce syndrome à la suite d’un événement traumatisant auquel elles ont survécu, il faut rester vigilant : il en est dont l’apparente sérénité n’est qu’une manière de nier l’événement. L’existence d’une relation entre des éléments de la personnalité et une prédisposition à l’état de stress post-traumatique n’a pu être prouvée, mais les individus présentant des antécédents de troubles mentaux semblent courir un risque plus élevé, tout comme ceux qui ne bénéficient pas d’un soutien familial ou social solide. Les bases biologiques de l’état de stress post traumatique sont encore à leurs balbutiements. Quelques résultats suggèrent l’existence d’une hyperactivité du système noradrénergique, avec des réactions de sursaut exagérées, et une hyperactivité du système nerveux autonome. Le rôle de l’hippocampe a également été évoqué (diminution de volume, peut-être due à une réponse anormale au stress). C. DIAGNOSTIC Suivant le DSM IV, les symptômes sont décrits comme suit : - Exposition à un événement traumatique où deux éléments sont présents : 1. 2. - l’intégrité du sujet ou d’une autre personne a été menacée la réaction du sujet s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur Suite à cette confrontation, le sujet va re-vivre d’une ou plusieurs façons cet événement (intrusion). L’intrusion se manifeste à travers des souvenirs, des fashbacks ou des rêves répétitifs et envahissants qui provoquent de la détresse. - Le sujet va également développer une stratégie d’évitement persistant des stimuli associés au traumatisme, comme il témoignera d’un émoussement de la réactivité générale. - Le sujet sera également envahit de symptômes physiques, signes d’une activation neurovégétative : difficulté d’endormissement ou sommeil interrompu, irritabilité ou accès de colère, difficultés de concentration, hyper vigilance ou réactions de sursaut. - Ces symptômes traduisent un changement face à l’état antérieur. La perturbation dure plus d’un mois. Elle occasionne une souffrance cliniquement significative. Cet état de stress suite à un événement traumatique provoque une altération du mode de vie sur les plans sociaux, professionnels ou dans d’autres domaines importants. II - 3 - 38 41 D. COMPLICATIONS La comorbidité avec d’autres troubles psychiatriques, en particulier la dépression, l’abus de substances (drogue et alcool) est la règle plutôt que l’exception. Un syndrome des survivants marqué par un sentiment de culpabilité d’avoir survécu ou d’avoir pu effectuer des actes permettant la survie. E. RÉPERCUSSIONS FAMILIALES ET CONJUGALES Les répercussions de l’état de stress post-traumatique sur le contexte de l’individu sont souvent largement négligées. De plus, le manque d’intégration de l’entourage dans la prise en charge aggrave ces conséquences. Dans la plupart des situations, l’entourage familial et le conjoint se préoccupent très fort au début de la victime pour ensuite attendre un rapide apaisement des signes. On voit souvent ce phénomène d’incompréhension et de banalisation des problèmes de la victime. L’inverse peut également se présenter à travers une attitude de surprotection de la victime qui accentue les phénomènes phobiques et d’évitement. Des problèmes sexuels et affectifs extrêmement handicapants peuvent se développer (baisse de la libido, abstinence sexuelle, vaginisme) et détruire le couple. L’état de stress post-traumatique à tendance à provoquer une altération grave du fonctionnement social et professionnel. La plupart se retrouve tôt ou tard écarté du marché de l’emploi ou à la charge de la sécurité sociale ou de la collectivité. Ils se montrent incapables de continuer à travailler, ne sont plus performants, voire font de multiples fautes professionnelles. Avec le développement de séquelles psychopathologiques, l’isolement social, la perte de l’activité professionnelle, les phénomènes d’évitement, l’impact sur la vie affective du couple va être majeur. La qualité des relations au sein du couple, de la famille, avec les enfants, va s’altérer. Dans de nombreuses situations, ces problèmes amèneront tôt ou tard à une séparation, ce qui aggravera l’isolement social de l’individu. II - 3 - 39 41 F. TRAITEMENT 1° L’approche psychothérapeutique constitue la base du traitement. En cas de catastrophe macro sociale, une des techniques les plus étudiées est de réaliser un débriefing psychologique. Il s’agit de regrouper les survivants d’une catastrophe afin de constituer un groupe de soutien où chaque membre raconte sa propre histoire et tire profit de l’expérience partagée. Les objectifs du débriefing sont schématiquement : permettre à ces victimes de libérer leurs émotions devant ceux qui ont vécu la même expérience (abréaction cathartique), prendre conscience qu’ils sont comme les autres victimes, aborder des questions pratiques et les sensibiliser aux risques de développer des symptômes psycho traumatiques. En cas de catastrophe individuelle, un abord psychologique précoce est indiqué en vue d’éviter ou de diminuer les affections psycho-traumatiques secondaires. 2° Le traitement pharmacologique. À cause de la grande fréquence d’une comorbidité d’abus de substance, les benzodiazépines doivent être évitées la plupart du temps. Comme c’est le cas pour tous les autres sous-types de troubles anxieux, les Inhibiteurs Sélectifs de la Recapture de la Sérotonine (SSRI) seraient le traitement de choix. De nombreux essais sont en cours sur ces produits. En dépit d’une certaine efficacité, les antidépresseurs tricycliques et IMAO sont relégués en deuxième et troisième ligne. Pensée psychanalytique Europe // D.S.M. IV E.U. Compréhension psychogénétique SENS (histoire singulière) Description des symptômes Diagnostic Classification Attitude thérapeutique Traitement médicamenteux II - 3 - 40 41 Quatre types DSM IV AXE I • Névrose d’angoisse - Anxiété généralisée - Le trouble panique - Stress post-traumatique • Névrose phobique - Agoraphobie - Phobie spécifique - Phobie sociale • Névrose obsessionnelle - T.O.C. - Hypocondrie • Névrose hystérique - Troubles de conversion - Troubles de somatisation - Troubles dissociatifs DSM IV Quatre types AXEII • Névrose d’angoisse - Personnalité dépendante • Névrose phobique - Personnalité évitante • Névrose obsessionnelle - Personnalité obsessionnelle - Compulsive • Névrose hystérique - Personnalité histrionique - Personnalité narcissique Quatre types DSM IV AXEII • Névrose d’angoisse - Insécurité de base = peur de « tout » peur des séparations • Névrose phobique • Névrose obsessionnelle Δ Stade anal • Névrose hystérique Δ Stade oral - Δ Stade œdipien II - 3 = peur d’être agressé, peur qu’un tiers ne nous empêche d’obtenir ce que nous désirons = peur d’agresser peur de faire mal = peur « d’aimer » peur de ne pas être aimé - 41 41 4. TROUBLES DE LA PERSONNALITE 2012 4.1.- INTRODUCTION La notion de personnalité se réfère à l'organisation psychique de l'individu. Les traits de personnalité sont constitués des modalités habituelles de réaction, de réflexion, de perception. Le caractère désigne le comportement (le versant extérieur de la personnalité) dans la vie relationnelle. On parle ainsi de caractère agressif ou passif. Le tempérament décrit la personnalité selon des facteurs biologiques. Ainsi, Galien avait une théorie de 4 tempéraments : sanguin, colérique, mélancolique et lymphatique. En fait, la notion de personnalité pathologique pose avec acuité le problème de la distinction entre le normal et le pathologique en psychiatrie, et des glissements de l'un à l'autre. Plusieurs grandes théories psychologiques ont développé un système de classification des troubles de la personnalité. Ainsi, la psychanalyse a-t-elle dérivé la personnalité dépendante du stade oral, la personnalité obsessive-compulsive (ou obsessionnelle) du stade anal, la personnalité hystérique (ou histrionique) du stade phallique, selon la progression de la psychogénèse de l'individu. Kretschmer a proposé une typologie mettant en relation la morphologie du corps et la structure psychologique (le pycnique cyclothyme s'oppose au leptosome schizothyme, tout comme la P.M.D. s'oppose à la schizophrénie) Pour Kretschmer, il n'existerait que des transitions quantitatives entre la psychose et la normalité. Les traits de personnalité ne constituent des troubles de la personnalité que lorsqu'ils sont rigides, inadaptés et responsables soit d'une altération significative du fonctionnement social ou professionnel, soit d'une souffrance subjective. Néanmoins, les classifications adoptées par le D.S.M. IV et par l'ICD 10 ne paraissent pas satisfaisantes, en particulier par leur manque de spécificité. Une modification de la classification actuelle est envisagée pour un avenir proche (DSM V), afin d’introduire des critères en rapport avec les altérations des grandes fonctions psychologiques. Nous avons choisi de regrouper les personnalités pathologiques en deux grandes catégories dérivées des concepts classiques de névrose et de psychose. Ensuite, en accord avec le DSM IV, nous classerons dans les personnalités pathologiques deux entités qui constituent vraisemblablement des affections psychopathologiques spécifiques (il s'agit des états limites et de la psychopathie). II-4-1 Enfin, nous tenons à attirer l'attention sur le fait que les troubles de la personnalité sont extrêmement fréquents dans la population et conditionnent l'attitude des patients non seulement vis-à-vis de l’entourage familial et professionnel, mais encore vis-à-vis de toute tentative thérapeutique médicale ou psychologique. Le diagnostic de personnalité pathologique peut être concomitant à un autre diagnostic psychiatrique (p. ex. dépression sur base d’une personnalité histrionique décompensée). Tableau : LE GRADIENT PSYCHOPATHOLOGIQUE NORMALITE TROUBLE DE LA PATHOLOGIE PERSONNALITE PSYCHIATRIQUE Dans le trouble de la personnalité ou personnalité pathologique, les traits deviennent rigides, inadaptés, sources de souffrance personnelle, familiale ou de préjudice professionnel et social Les traits s’accentuent et constituent des symptômes d’une affection psychiatrique majeure Personnalité histrionique Hyperexpressivité Demande d’attention Abattement si négligée Hystérie (névrose hystérique) Conversion Crises exito-motrices Dramatisation Troubles de la mémoire Paranoïa (psychose paranoïaque) se sent en danger de mort - mégalomanie -conviction inébranlable - délire de persécution AVEREE Chaque personne montre certains traits de personnalité qui sont lui sont propres mais qui restent dans les limites de la normale : p.ex. amabilité, égoïsme, extraversion, avarice, colérique etc… Ces traits peuvent être exprimés ou réprimés selon les circonstances Une Personne ( la « starlette ») Expressive Extravertie Démonstrative, inattendue, divertissante, légère, futile … Une personne (le « boss ») Méfiante (rusée), Sûre de soi, persévérante, Autoritaire, Rigoureuse, Susceptible. 4.2.- Personnalité paranoïaque Méfiance systématique négative Hypertrophie du moi Autoritarisme, rigidité Soupçon systématique de préjudice LES PERSONNALITES PATHOLOGIQUES DERIVEES DE LA PSYCHOSE 4.2.1. La personnalité paranoïaque Ce type de personnalité a déjà été décrite comme personnalité prémorbide de la paranoïa. Elle est caractérisée par : - hypertrophie du moi : orgueil, surestimation de soi (il a toujours raison !) - psychorigidité, intolérance, autoritarisme (vis-à-vis du conjoint ou des collaborateurs) - souvent, il se sent incompris ou mal jugé, non reconnu à sa vraie valeur. Néanmoins, il est persuadé que sa modestie apparente et son opiniâtreté finiront par convaincre les sceptiques. Personnes connues pour leur susceptibilité. II-4-2 - méfiance : il soupçonne la recherche d'intérêt personnel des autres et vérifiera toujours les assertions des autres. Jalousie vis-à-vis du conjoint, doute quant à sa fidélité. - tendance à cacher sa pensée et ses actes pour ne pas donner des armes contre lui. - soupçonne les autres d'intentions préjudiciables à son égard. - troubles du jugement : raisonnement correct mais sur des prémisses fausses (p. ex. nuisance créée par un voisin dans une intention de préjudice). Querelle de limites de terrain, menée jusqu'au tribunal (quérulence). - avantage social transitoire : organisé, méfiant, sûr de lui, il progressera dans les structures très hiérarchisées. Il est incapable d’un travail d’équipe et se révèle un tyran familial - une décompensation éventuelle se manifesterait par une dépression, par une évolution vers la paranoïa délirante, ou encore par un alcoolisme ! N.B.personnalité sensitive : • introduite par Kretschmer, il s'agit d'une personnalité à forte tendance interprétative (projective) associée à une asthénie : hyperémotif scrupuleux, tourmenté, insatisfait, éternelle victime. • peut décompenser en délire sensitif de relation (impression ou « sensation » que tout le comportement des autres est adressé à soi) 4.2.2. La personnalité schizoïde Personnalité pré-autistique qui n'apprécie pas les relations interpersonnelles (y compris sexuelles). Peu d'activités visibles, indifférent à la louange ou au reproche. Le sujet est considéré comme froid, détaché et il vit en solitaire. Une variante mineure constitue la personnalité évitante, à composante anxieuse. Vignette clinique : Le patient est âgé de 41 ans et est issu d’un milieu agricole. Il n’a jamais vraiment quitté le toit paternel. Il a obtenu un graduat en comptabilité.. Il exerce le métier de fonctionnaire au Ministère des Finances où il travaille seul dans un bureau. Jamais de relation amicale ni affective, jamais de sexualité active. La décompensation survient après l’obtention d’une promotion qui le met en relation avec les contribuables récriminateurs… Il ne peut faire face, s’angoisse, se déprime et commence à consommer régulièrement de l’alcool. Il doit arrêter son travail et sera prépensionné à 48 ans. La symptomatologie s’améliore dès l’arrêt du travail. II-4-3 4.2.3 La personnalité schizotypique : - tendance à l’interprétation (sentiment que les événements sont dirigés vers lui et ont un sens) sans délire ni hallucinations (critique reste possible). - croyances superstitieuses, intérêt pour sectes, télépathie, sciences occultes. - discours et pensées étranges, loin du sens commun. - comportement et présentation de soi occasionnellement excentrique : « type bizarre ». - difficulté de contact social élargi. Ce type de personnalité serait en continuité avec le syndrome schizophrénique. L'hérédité serait la même. 4. 3.- LES PERSONNALITES PATHOLOGIQUES DERIVEES DE LA NEVROSE 4.3.1. La personnalité histrionique (ou hystérique) C'est une forme de personnalité dérivée directement du concept de névrose hystérique. Cette personnalité se caractérise par les traits suivants : - émotivité excessive avec une expressivité corporelle prédominante : le corps parle ! - demande d'attention perpétuelle, sexualisation de la relation, souci de plaire. - transformation des événements habituels en catastrophes ou aventures extraordinaires. - possibilité d'une bonne intégration socio-professionnelle dans des postes de contacts (serveuse, réceptionniste), d'expressivité (public-relation) et de scène (acteur). - Complications : dépression, névrose hystérique, alcoolisme ou abus de médicaments. La personnalité narcissique, individualisée par le D.S.M. IV est une accentuation égocentriste(self grandiose) de la personnalité histrionique. La personnalité dépendante (avec fixation orale) en est également une variante plus passive. II-4-4 4.3.2. La personnalite obsessive-compulsive (ou obsessionnelle) Elle est dérivée du concept de névrose obsessionnelle de la psychanalyse. pour qui elle représente le résultat d'une fixation anale dans la psychogénèse. Elle est caractérisée par : - souci d'ordre de propreté, de rangement, méticulosité, ponctualité, scrupulosité. - caractère économe jusqu'à l'avarice (rétention) ou le goût immodéré pour les collections : - rigidité psychique, tendance à l'intellectualisme et au pédantisme précision et recherche ridicule). Au départ, ces caractéristiques peuvent favoriser l'intégration sociale et professionnelle (p. ex. : comptable). Cependant, la méticulosité diminue les chances d'occuper un poste de leadership. Il existe également un risque de dépression par épuisement dans la scrupulosité, p. ex. lorsque le rythme du travail l’exige. Le recours à l’alcool peut aider à desserrer le carcan des contraintes. Les traits de personnalité peuvent être compris comme des formations réactionnelles de contre-investissement suite aux refoulements qui interdisent la satisfaction anale, faite de saleté et d'agressivité. N.B. La personnalité psychasthénique Il s'agit d'une entité française introduite par Pierre Janet, contemporain de S. Freud. Il s'agit d'une personnalité proche de l'obsessionnel compulsif, avec scrupules, doutes, rumination mentale. En outre, le psychasthénique ressent de la fatigue de façon permanente, surtout accentuée le matin au lever (trait dépressif). Souvent, il existe une tendance à abuser de psychostimulants (tabac, café, alcool, vitamines diverses...) pour combattre cette langueur... Des décompensations dépressives ou anxieuses sont fréquentes, de même que les assuétudes. 4.4. LES ETATS LIMITES OU PERSONNALITE BORDER-LINE Il ne faut pas faire de ce trouble de la personnalité un « fourre-tout » où l'on pourrait entasser tous les cas pour lesquels des diagnostics de psychose (schizophrénie limite) ou de névrose (névrose marginale) n'ont pu être posés. Il s'agit d'une pathologie spécifique, étudiée en France par Bergeret dans ses relations avec la dépression et aux U.S.A. par II-4-5 Kernberg dans ses investissements objectaux précoces. Le terme souvent employé de « personnalité abandonnique » décrit la crainte majeure de ces patients : être abandonnés, laissés seuls, sans amour. Pour attirer l'attention et aussi s’en punir, ils sont prêts à s'automutiler (coupure, grattage, brûlure) ou à faire des tentatives de suicide à répétition. - angoisse : la perte du sens de la vie et abandon par les personnes investies par le patient - sentiment de vide intense et d’ennui - alternance de rejet (dévaluation) et d’adoration (idéalisation,) des personnes investies - tentatives de suicide, automutilation volontaire, chantage affectif vis-à-vis des proches et de l’équipe thérapeutique - variations rapides de l'humeur, dysphorie, explosions de colère incontrôlée - troubles de l'identité par clivage du moi (coexistence de tendances opposées) et dévalorisation de soi - Cependant, il y a préservation du sens de la réalité contrairement à la psychose. Le traitement est symptomatique, médicamenteux et psychothérapeutique, en profondeur (contrôle du transfert, interprétations directes, surveillance drastique de l’acting-out). Le thérapeute devra se garder très soigneusement d’un envahissement de sa propre vie par le patient et ne jamais croire qu’il en sera le sauveur définitif. 4.5. LA PERSONNALITE ANTISOCIALE (OU PSYCHOPATHIE OU SOCIOPATHIE) Définition Le psychopathe est un inadapté permanent aux normes et aux lois de la vie en société, caractérisé par une conduite répétitive de “passages à l’acte”, destinés à apporter une satisfaction immédiate, sans prendre en considération à long terme ni son propre bien ni celui d’autrui. Caractère L'intolérance aux frustrations, l'impulsivité, l'instabilité, l'inadaptation courent comme un fil rouge au travers de toute la vie du psychopathe. Dans l'enfance : irritabilité, colère, fugue (enfant « caractériel »). Dans l'adolescence : petite délinquance (vol de vélomoteur), conflits avec l'autorité scolaire. A l'âge adulte : instabilité des liaisons affectives et de l'emploi, absence de sens moral. II-4-6 Etiologie Généralement, ces patients sont issus de milieux instables où les possibilités identificatoires vis-à-vis des parents sont restreintes. Il n'y a pas d'intériorisation de la loi parentale, soit parce qu’elle n’est pas représentée de façon crédible (père alcoolique ou lui-même transgresseur systématique) soit parce que l’identification est impossible (père « parfait », trop dur, trop lointain). D’un point de vue psychanalytique, il s’agit d’un défaut de constitution de l’instance du SUR-MOI. Complications Perversions sexuelles (pédophilie), toxicomanie et alcoolisme (le plaisir tout de suite). Crise d'agitation. Délinquance et récidives. Dépressions. Suicide. Traitement - Prise en charge essentiellement sociale (il y a plus de psychopathes dans les prisons que dans les hôpitaux !) - Guidance psychothérapeutique et traitement symptomatique (sevrage, antidépresseurs, anxiolytiques...) - Vie en communautés spécialisées à visée psycho-éducative. BIBLIOGRAPHIE : Daillet A. Psychopathies et trouble de la personnalité antisociale Acta psychiatrica Belgica, n° 97, pp. 65 – 78, 1997 4. 6. POUR CONCLURE Il serait possible de citer et de décrire encore au moins une centaine de personnalités pathologiques identifiées et agrégées par différents auteurs dans l’histoire de la psychiatrie. Nous nous sommes contenté de décrire les plus fréquentes. et les catégories les plus utilisées dans la psychiatrie belge. Sans doute, les Etats limites (Border-line) et la Psychopathie constituent-ils des entités pathologiques à part entière qui débordent le cadre strict des personnalités pathologiques. De toute façon, il y a lieu de bien déterminer le diagnostic différentiel entre ces affections et d'une part les névroses (existence de symptômes névrotiques résultant de conflits psychologiques) et d'autre part les psychoses (absence du respect de la réalité dans les délires et les hallucinations). II-4-7 Si cela est nécessaire, le diagnostic sera aidé par la réalisation de tests projectifs (Rorschach - TAT - Szondi). Le traitement psychothérapeutique de soutien sera avantageusement accompagné d'une médication adaptée au symptôme cible (anxiolytique, antidépresseur ou neuroleptique à faibles doses). De toute façon, il s’agira de prise en charge de très longue durée, puisque les symptômes sont très intimement intriqués à la personnalité même (de base) du patient. Il s’agit plus d’une problématique de l’être plus que de l’avoir, Comme l’atteste le langage populaire qui dira : celui-là est un asocial alors que celui-ci a une dépression … II-4-8 Chapitre III : Trouble des conduites 1. LES ASSUETUDES 2012 1.1. GENERALITES Assuétude traduit le terme anglais ADDICTION, qui désigne toute consommation habituelle d'un produit psychotrope, en pratique l'alcool, les drogues, les médicaments. L'utilisation de produits modifiant l'affectivité ou la conscience est répandue dans toutes les civilisations humaines de toutes les époques. Toute assuétude est fonction de trois critères : premièrement la personnalité, deuxièmement la société dans laquelle elle se développe, y compris « la courroie de transmission » entre ces deux pôles, c'est-à-dire la famille et troisièmement le produit utilisé lui-même. Produit Assuétude Personnalité Société Famille 1.1.1. Personnalité Caractérisée par une importance des traits oraux (au sens psychanalytique) : comme le petit enfant qui réclame la tétée, l'individu veut sa satisfaction immédiatement, dans un court-circuit des étapes de l'obtention du plaisir. Néanmoins, il ne semble pas exister de personnalité alcoolique spécifique qui déterminerait le recours aux psychotropes (p. ex. pas de personnalité « pré-alcoolique »). Famille : Transmet à l'individu les valeurs d'une société. Certaines familles ont particulièrement III-1-1 repris à leur compte un des idéaux de notre société de consommation : "A chaque trou, son bouchon", le whisky qui détend et remonte, la cigarette qui relaxe, le somnifère qui endort, l'aspirine qui ôte la douleur, etc ... 1.1.2. Société Dans le monde occidental, l'alcool est le premier agent psychotrope. L'opium n'était pas réprouvé dans la Chine traditionnelle, le haschisch est d'usage courant en Afrique et au Moyen-Orient. Par contre, l'alcool est sévèrement prohibé dans les pays islamiques. La feuille de coca connaît un usage millénaire dans les Andes, afin de diminuer la sensation de faim et de fatigue des pasteurs andins. Ainsi, chaque culture possède ses interdits, ses permissions. Chaque société prend une position spécifique vis-à-vis de l'usage des produits et promeut un « bon usage » de certains produits. Le caractère licite (alcool) ou illicite (héroïne - cocaïne) des produits va déterminer une partie du tableau clinique : chez nous, tout consommateur d'héroïne est nécessairement « hors-la-loi » et passible d'emprisonnement. 1.1.3. Produit Par ses caractéristiques pharmacologiques propres, ce produit contribue à déterminer un décours spécifique des troubles. Le plus souvent, le nom de la maladie a été dérivé de celui du produit (on parle d'alcoolisme, d'héroïnomanie, de cocaïnomanie, etc ...). Trois paramètres spécifient le rapport individu-produit : Dépendance physique : L'organisme ne peut plus se passer du produit pour éviter les troubles du sevrage (ex. : le sevrage de l'alcool peut entraîner un delirium tremens). L'apparition d'un sevrage signe la dépendance physique et comporte toujours anxiété, insomnie, nausées, vomissements, tremblements. Dépendance psychique : L'individu ne peut plus envisager de vivre sa vie sans consommer le produit. Par exemple, tel jeune homme ne peut pas inviter pour une danse s'il n'a pas bu 3 verres d'alcool. L’effet de facilitation (désinhibition) et l’anxiolyse représentent des expériences agréables que la personne aura tendance à répéter pour obtenir les mêmes effets positifs. III-1-2 Tolérance : Nécessité d'augmenter la dose pour obtenir le même effet (typique de l'héroïne). Une drogue dite dure, comme l'héroïne, à cause de ses caractéristiques pharmacologiques mêmes (dépendance psychique et physique rapide, plus tolérance) déterminera la forme spécifique de l'héroïnomanie : nécessité d'injecter toutes les six heures sous peine de souffrir d'un syndrome de sevrage et d'augmenter la dose pour obtenir le même effet. Ceci implique l'achat ou l'obtention quotidienne du produit (« en trouver ») et son payement (environ 40 € le gramme) à partir de vol, prostitution ou revente. Les caractéristiques pharmacologiques du produit, en plus de son caractère illicite, vont influencer de façon déterminante le décours de l'assuétude. Dans les pages qui suivent, nous reprendrons une classification selon le produit utilisé : tout d'abord l'alcool, ensuite les drogues illicites, enfin l'abus de médicaments. TABLEAU DES EFFETS DES DIFFERENTS PRODUITS Produits Tolérance Alcool Dépendance Psychique + Amphétamines + Dépendance physique (sevrage) Intoxication (Over-Dose) + +++ +++ ++ + ++ Caféïne + + - + Cannabis - + - + Cocaïne ++ +++ + ++ - + - + Nicotine + + + - Opiacés ++ +++ +++ +++ Hallucinogènes (LSD) (Héroïne) Benzodiazépines ++ + + + Barbituriques ++ + + +++ Meprobamate + + ++ + N.B. : le nombre de croix n'a qu'un caractère indicatif de l'intensité des phénomènes cliniques observés III-1-3 1.1.4. Nosographie Dans un dossier de classification internationale pour la recherche, le D.S.M.-IV a introduit une classification selon le type de produit : alcool, opiacés, cocaïne etc... Pour chaque type de produit, il distingue deux « modalités de rapport » au produit : 1° La dépendance (Substance Dependance) avec spécification de l'existence d'une dépendance physiologique (= physique) attestée par la présence de tolérance et de manifestation de sevrage à l'arrêt. Cependant, la dépendance physiologique n'est pas indispensable pour déterminer un diagnostic de dépendance dans le cadre du D.S.M.-IV, puisqu’une dépendance psychologique très importante peut déterminer l’attribution du diagnostic. 2° L'abus (Substance Abuse) Troubles sociaux (légaux) ou professionnels ou familiaux ou personnels dus à la consommation d'un produit et persistance malgré cela de la consommation. D’un point de vue plus clinique, et en fonction de l'usage francophone, nous avons préféré garder le terme d'alcoolisme pour l'ensemble des troubles liés à la consommation de l'alcool, en spécifiant l'existence d'une dépendance physique ou non. Nous avons procédé parallèlement pour la toxicomanie, terme réservé chez nous aux drogues illicites. Pour les médicaments en vente libre ou non, les termes de dépendance (phamacodépendance) et d'abus de psychotropes sont habituels et seront donc retenus ici. 1. 2.- TROUBLES LIES A L'UTILISATION DE L'ALCOOL La consommation récréative d'alcool n'est pas considérée comme pathologique dans notre civilisation occidentale où elle est pratiquée couramment par la majorité des individus adultes. De même, chez nous, l'ivresse simple constitue une altération de l'état de conscience qui ne relève pas de la psychopathologie. Certaines situations excluent les boissons alcoolisées (conduite automobile) ou certaines circonstances permettent l'ivresse (« guindaille », carnaval). Nous allons considérer tant les troubles provenant de l'intoxication somatique que les troubles du comportement. III-1-4 1.2.1. Ivresse pathologique Facteurs favorisants : - épilepsie, psychopathie, schizophrénie, affaiblissement somatique, ... Symptomatologie : - méconnaissance de la situation réelle - émotions excessives : colère, angoisse - crise excito-motrice : il cogne, hurle, brise, ... - les troubles disparaissent avec la fin de l'intoxication - pas de traitement, hors une sédation forcée en cas d'auto- ou d'hétéro-agressivité ou encore de comportement dangereux. 1.2.2. Coma éthylique - résulte d'une ingestion massive d'alcool - alcoolémie supérieure à 3 g/l (maximum autorisé pour la conduite automobile 0,5 g/l) - hypothermie, dépression respiratoire, hypoglycémie, collapsus cardio-respiratoire - indication de traitement hospitalier en urgence 1.2.3. Sevrage alcoolique - survient chez un patient dépendant - se développe 8 à 24 heures après la dernière ingestion - symptômes : - tremblements des mains - nausée ou vomissement - anxiété, insomnie - transpiration, accélération du rythme cardiaque - possibilité de crise épileptique Grand-Mal - traitement : sédation, hydratation massive, vitamine B 1.2.4. Delirium tremens - 5% des personnes en sevrage d’alcool développent un D.T. - survient chez un alcoolique confirmé avec plusieurs années de pratique (attention : possible chez le sujet jeune puisque l’alcoolisme peut débuter à l’adolescence) - il s'agit d'un accident de sevrage (arrêt brusque de l'alcoolisation :trop peu d'alcool dans le sang !) - ce sevrage brutal peut être volontaire (décision subite de l'alcoolique d'arrêter sa III-1-5 consommation) ou involontaire (maladie, opération, accident qui empêche l'approvisionnement) Symptomatologie : - hallucinations visuelles (zoopsies : petits animaux, comme des araignées, des souris, des oiseaux, qui courent sur les murs ou au plafond) et auditives (le patient entend des appels, des cris, des ordres). Ces hallucinations sont favorisées par l'isolation sensorielle (chambre noire et silencieuse) - agitation (courses, cris, affairement) - insomnie quasi totale... - tremblement important de tout le corps, perte de l'équilibre, chutes - température augmentée et déshydratation (soif, sueurs profuses, troubles électrolytiques qui peuvent être mortels) Traitement spécifique : le trépied - vitaminothérapie B - hydratation - sédation A effectuer en urgence (sinon 5 à 10 % de décès) : - vitamine B1 – B3 – B6 en injection I.M. - hydratation massive et contrôle électrolytique - sédation (Distraneurine ou Tiapridal ou Valium ou Nozinan) 1.2.5. Syndrome de Korsakoff II est constitué d'une triade : * amnésie antérograde (oubli au fur et à mesure) * fausses reconnaissances et fabulations : le patient ne se rappelle plus d’une visite à l’autre l’identité et la fonction du médecin. Il doit inventer pour combler les trous de sa mémoire * désorientation spatio-temporelle (où êtes-vous ici ? quelle est la date d’aujourd’hui ?) Il s'agit d'une atteinte spécifique de la mémoire de fixation après des années d'intoxication chronique à l'alcool. Cette altération du système nerveux central est souvent accompagnée d'une polynévrite des membres inférieurs ou parfois supérieurs (déficit moteur et sensitif du système nerveux périphérique.: anesthésie en botte, sensation de brûlure, paralysie des releveurs du pied). L'étiologie en est le manque de vitamine B1 associé à l'alcoolisme pour une triple cause : faiblesse de l'apport alimentaire, mauvaise résorption gastrique et intestinale, utilisation accrue au niveau hépatique. Détérioration cérébrale spécifique : lésion nécrotique des III-1-6 corps mamillaires et du thalamus. Une complication rare est le syndrome de Wernicke : ataxie, nystagmus et confusion mentale Une fois constitué , le syndrome de Korsakoff n'est que rarement réversible (dans 20 % des cas). Le seul traitement consiste en une cure longue et massive de vit. B1, associé à des exercices de stimulation cognitive (rééducation neuropsychologique). N.B. : rarement, le syndrome de Korsakoff peut avoir une étiologie autre que l'alcoolisme, comme une intoxication au CO ou une anoxie prolongée. 2.6. Alcoolisme chronique ou dépendance à l'alcool A. Définition et généralités Etat de tout individu atteint dans son intégrité corporelle ou psychique ou dans sa situation sociale, à cause d'une consommation régulière d'alcool. La consommation régulière d'alcool peut-être discontinue ou encore continue et entraîne en ce cas une dépendance physique. La nosographie du D.S.M.IV. tend à fusionner les notions de dépendance physique et psychique, pour ne plus considérer que l'intensité des phénomènes. Le terme d'alcoolisme se trouve remplacé par celui de « dépendance à l'alcool ». Lors d'un usage massif et prolongé, les troubles physiques seront particulièrement marqués au niveau des systèmes digestif et nerveux (central et périphérique) - Foie hépatite et stéatose (réversible), cirrhose (irréversible) - Estomac : gastrite qui entraîne la pituite matinale (vomissement glaireux au réveil) - Pancréas : pancréatite (insuffisance pancréatique avec diabète) - SNP : polynévrite des membres inférieurs - SNC troubles liés au sevrage : tremblements, nausées, excitabilité Des modifications psychiques (SNC) liées à l'intoxication chronique pourront également apparaître : - labilité de l'humeur avec apparition de phases dépressives (80% des alcooliques) - amnésie : palimpsestes alcooliques (« l'amnésie du lendemain » ou black-out) - irresponsabilité, versatilité, excitabilité III-1-7 Afin d'évaluer au mieux la situation clinique du patient, nous avons développé un modèle qui prend en compte ses capacités sociales (travail, intégration), affectives (relations amoureuses), ainsi que l'autonomie par rapport à la famille d'origine. Nous nous pencherons d’abord sur le processus d’autonomisation avant d’en exposer les avatars dans l’alcoolisme, dont nous proposerons une typologie. B. L'autonomisation par rapport au milieu parental : trois critères Le passage de l'adolescence à l'âge adulte nécessite l'accomplissement de trois tâches, qui signent l'autonomisation effective d'une personne par rapport à son milieu d'origine. Peu importe l'ordre de réalisation car de fait elles sont souvent simultanées. L'accomplissement effectif de ces tâches dépend dans une large mesure de la « croyance » des parents en la capacité de réalisation dont disposent leurs adolescents. La première tâche consiste à s'assurer une indépendance financière, par l'exercice d'une profession, suite à l'obtention d'un diplôme ou d'une formation professionnelle, sans laquelle les notions d'indépendance et de liberté ne seraient que des leurres. La profession, en plus de l'indépendance financière, procure un enracinement dans la communauté. La deuxième tâche implique l'établissement d'une relation affective relativement stable avec un ou une partenaire exogamique. Cette liaison constitue l'aboutissement d'un processus individuel de maturation dans l'identité sexuelle, supposant un déplacement des premiers investissements objectaux. Cette tâche est également corrélée à l'établissement d'un groupe social relationnel et d'une organisation personnelle des loisirs. Nous avons appelé « haubans socio-familiaux », ces deux modes d'ancrage dans la vie affective et professionnelle. Enfin, la troisième tâche consiste en la séparation et l'éloignement géographique par rapport à la famille d'origine. La distance choisie par l'individu est certainement révélatrice de ses loyautés ou de ses nécessités intérieures : certains changent d'étage dans le même immeuble, d'autres émigrent vers d'autres continents. Le travail psychique qui sous-tend ces processus d'individuation, de sexuation et de séparation s'avère considérable et susceptible de différents avatars. En particulier, en fin d'adolescence, l'utilisation importante d'alcool compromet, altère ou même interdit la III-1-8 réalisation des tâches à accomplir. Par contre, si l'alcoolisation abusive débute après la mise en place de l'autonomisation, c’est-à-dire quand les trois tâches se trouvent accomplies, la pathologie connaît un décours tout différent, marquée par la chronification progressive et l'occupation élective de la scène conjugale par l'alcoolisme. Enfin, poussée à l'extrême des capacités de l'individu et de son entourage, l'alcoolisation aura pour conséquence la mise en marche d'un processus régressif de désautonomisation, de régression, qui ramène l'alcoolique vers sa famille d'origine ou ses substituts. Ces trois moments de l'alcoolisation dans son rapport à la dynamique de l'autonomisation vont constituer les trois types de situation clinique que nous allons examiner dans la suite de notre travail. C. Le type I : l'alcoolisme précoce du jeune adulte ou alcoolisme toxicomaniaque Il s'agit d'un alcoolisme précoce du jeune qui n'a pas encore accompli les tâches de l'autonomisation. L'alcool est absorbé de façon d'abord discontinue, massive, s'accompagnant de comportements violents de type délinquant et souvent d'épisodes de perte de conscience. Tout comme dans les toxicomanies à l'héroïne qui lui sont contemporaines dans la classe d'âge, cet alcoolisme vise à la « défonce ». Il s'agit d'un équivalent toxicomaniaque. Quand l'initiation alcoolique précède la mise en place de l'autonomie, elle empêche une gestation correcte de l'autonomisation : le jeune alcoolique n'obtiendra pas de qualification professionnelle ni de relation affective stable et, en conséquence, restera bloqué dans sa famille d'origine, dont il dépendra très largement quant à son intendance et à ses finances. Le patient vit dans un état de dépendance primaire par rapport à sa famille. La problématique se joue dans la verticalité, entre la famille et le patient. La famille essaie de procurer un travail, parfois de simple complaisance (jardinier chez la grand-mère) à l'adolescent, qui échouera répétitivement. La pathologie ira en s'aggravant au fur et à mesure que le hiatus d'autonomisation par rapport à la classe d'âge ira en s'accroissant. A ce moment, quand les haubans socio-familiaux ne sont pas encore assurés, le retentissement destructif de l'alcoolisation s'avère le plus important : accidents de circulation, problèmes judiciaires, incapacité professionnelle primaire. C'est sans doute dans ce type d'alcoolisme que la composante génétique s'avère la plus prégnante, comme l'a montré Goodwin. Les troubles familiaux et en particulier l'alcoolisme des parents III-1-9 seraient prédictifs quant à l'abus de substances psychotropes par les enfants. D'un point de vue thérapeutique, il nous paraît avantageux, face à certaines manifestations provocatrices adolescentaires, de maintenir le jeune et sa famille dans une structure de soins aspécifique, c'est-à-dire non exclusivement spécialisée dans les problèmes d'assuétudes, afin de ne pas précipiter une identification précoce à l'alcoolique ou au toxicomane. Dans le cas spécifique d'un alcoolisme de type I, l'effort thérapeutique portera sur l'accomplissement des tâches de l'autonomisation. Le prix à payer pourra être un séjour dans une communauté thérapeutique spécialisée qui s'avérera indispensable, tant pour réaliser une coupure par rapport à la famille d'origine que par sa fonction éducative à la socialité. Cas clinique n° 1 : Jacques C. Il s'agit d'un jeune homme de 23 ans, enfant unique d'une famille aisée. Après avoir échoué à plusieurs reprises dans ses études au niveau des humanités, il a entrepris sans succès divers apprentissages techniques, sans jamais les mener à terme. De cette époque date la surconsommation alcoolique, en groupe de pairs, à l'extérieur de la maison. L'alcoolisation a amené plusieurs accidents de moto et la destruction totale de la voiture prêtée par la mère. Finalement, sans formation professionnelle, engagé par son père pour de menus travaux dans son entreprise. Jacques est Sans affectation précise, il reçoit la tâche de la secrétaire du père. Quand il se présente au travail, son irrégularité donne lieu à des réprimandes violentes du père, sans toutefois amener un véritable licenciement. Si Jacques donne de nombreux soucis à sa mère, il lui procure également beaucoup de joie et d'affection et elle l'entoure de soins vigilants. Souvent la nuit, à son appel, c'est elle qui va le rechercher dans un café ou chez un ami. Bien convaincue qu'une mère ne peut jamais mettre un enfant à la porte, Madame C. demande néanmoins une consultation dans notre Centre, suite au dernier accident de Jacques qui souffrait d'une commotion cérébrale. Les entretiens thérapeutiques réunirent d'abord Jacques et ses parents. Après quelques mois, les parents seuls poursuivirent tandis que Jacques commençait un travail rémunéré dans une autre ville. D. Le type II : l'alcoolisme conjugué ou banal de l'âge adulte Il s'agit là de l'alcoolisation abusive la plus commune dans notre société belge. III-1-10 La pathologie est essentiellement fonction de deux éléments : la durée du recours massif à l'alcool et la présence d'un co-alcoolique. L'alcoolisme type II débute chez un adulte qui a déjà accompli ses tâches d'autonomisation : engagé professionnellement et socialement, il a noué une relation affective stable, il a souvent des enfants et s'est séparé, même imparfaitement, de sa famille d'origine. Confronté à un problème X, d'ordre somatique ou psychique, professionnel ou conjugal, la personne a recours à l’alcoolisation comme auto-médication de son angoisse, de sa dépression ou de son ennui. Dans un premier temps, c'est parce que l'alcool se montre relativement efficace et avantageux dans la résolution de la problématique du sujet, que celui-ci poursuit. Tant du fait du phénomène physique de tolérance, que pour pouvoir « affronter » les problèmes croissants laissés sans solution réelle, le sujet augmente sa consommation. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il se trouve confronté aux conséquences négatives de son alcoolisation (accidents de voiture, somnolence diurne, problèmes financiers) : alors seulement l'intervention active du conjoint de l'alcoolique lui permettra de poursuivre son alcoolisation. Le conjoint de l'alcoolique tente toujours « d'arranger les choses », « d'arrondir les angles »: en fait, il n'en finit pas de glisser sa main protectrice entre la tête de l'alcoolique et le mur de la réalité. De plus, la tentative de vicariance du conjoint garantit paradoxalement la persistance du symptôme, en annulant tous les phénomènes de rétroaction négative qui auraient pu le limiter. Bien involontairement, le co-alcoolique permet la pleine efflorescence du syndrome alcoolique, momentanément délivré de toute entrave. Ce n'est que lorsque cette tentative nécessairement désespérée échoue et que le co-alcoolique s'effondre, qu'une demande de traitement est émise, le plus souvent par le co-alcoolique décompensé (82 % des demandes de consultation dans notre Centre de consultation). Il s'agit alors de ne pas se tromper de personne : c'est le co-alcoolique qui initie la consultation et c'est d'abord sa demande spécifique qui doit être entendue et considérée. D'emblée, le co-alcoolique est notre premier demandeur d’aide, même si l'alcoolique deviendra notre patient dans un deuxième temps. Dans l'alcoolisme de type II, la prise en charge nous semble dès lors spécifiquement et électivement conjugale. En particulier, la cure de désintoxication pourra être menée avec le soutien de la famille ou pendant un séjour limité en clinique. L'essentiel du travail III-1-11 thérapeutique ambulatoire porte sur l'élaboration d'un projet thérapeutique cohérent avant la mise en place d'une cure et l'accompagnement du couple (ou de la famille) en postcure. Ces traitements s’étendent fréquemment sur plusieurs années. Cas clinique n° 2 : Pierre G. Aîné d'une famille de 5 enfants, Pierre G. était destiné par sa mère à la prêtrise. Après avoir terminé des études supérieures, il se marie à 26 ans. Peu après, naissent successivement trois enfants. A chaque naissance, Pierre marque le coup : chaque fois, il a l'impression que l'enfant, bien que désiré par les deux conjoints, l'éloigne de son épouse en focalisant complètement l'attention de celle-ci. Employé apprécié, il boit de l'alcool dans sa voiture en parcourant le journal, avant de rentrer à la maison « pour supporter les cris et le désordre ». En fait, depuis la naissance du premier enfant, le couple a abandonné très largement la vie sociale et les loisirs auxquels ils se consacraient ensemble auparavant. Ecroulé dans un fauteuil, Pierre G. reste des soirées entières prostré devant la télévision et ne participe plus à la vie familiale. Dégoûtée par l'aspect et l'odeur de son mari, Madame G. se consacre totalement à l'éducation des enfants. En outre, comme son mari est devenu négligeant dans les affaires financières du ménage, elle s'occupe de la gestion. Finalement, quand il frappe violemment l'aîné des enfants, Madame G. atteint la limite de ce qu'elle pouvait supporter et prend contact avec nous en vue d'une consultation. Le traitement se déroula pendant trois ans selon les modalités d'une thérapie de couple. D. Le type III : l'alcoolisme désinséré Il convient d’abandonner le terme de « dépassé » pour désigner ce troisième type d'alcoolisme, particulièrement afin d'éviter l'équivoque analogique avec un coma dépassé, là où elle induirait la notion d'alcoolisme sans retour, sans guérison possible. De fait, chez l'alcoolique désinséré, ce qui est dépassé, c'est la capacité de maintenir une autonomie, telle que nous l'avons définie plus haut. La réalité clinique que nous avons voulu identifier par le terme d'alcoolisme dépassé, concerne l'alcoolique qui, à la fin de l'adolescence, a effectivement réalisé les tâches de l'autonomisation et mis en place les haubans socio-familiaux de l'amour et du travail. Ensuite, dans l'évolution de sa maladie, il les a rompus, il a perdu son travail et son conjoint et il a fait en sens inverse, à reculons, le chemin parcouru de l'adolescence vers III-1-12 l'âge adulte. Le patient régresse vers un statut adolescentaire secondaire où il se retrouve dépendant de sa famille d'origine (souvent réduite à la seule mère) ou d’une institution sociale (« bonne mère » de secours), tant pour le logement que pour le ménage, ainsi que pour une partie de ses finances et de son environnement affectif. Souvent le patient connaît une dégradation de son état général, de ses capacités psychiques de résistance aux frustrations, aux contrariétés. le hiatus entre l'âge biologique et l'âge de maturation (autonomisation, responsabilité, indépendance) montre un écart maximal et est en lui-même générateur de douloureux conflits (à 37 ans, on ne se fait plus entretenir par sa mère, attraper quand on rentre tard, ...). Cette situation est connue comme très grave par les cliniciens car les deux protagonistes évoluent dans un univers duel où la loi n'est plus transcendante mais apparaît comme arbitraire ou fantaisiste. Les retours du débit de boissons sont de plus en plus tardifs, il n'y a plus d'heures pour le lever, toutes les contraintes limitatives ont disparu. Seulement une décompensation parentale ou un signal d'arrêt somatique (délirium, coma alcoolique, hémorragie) peuvent créer une modification de l'organisation de tutelle. D'un point de vue thérapeutique, l'alcoolisme dépassé exige une prise en charge lourde, à la mesure de la destruction psychosociale qui le caractérise. Les leviers thérapeutiques les plus puissants, tels que séjours hospitaliers, communautés thérapeutiques, centres ambulatoires de réinsertion doivent être mobilisés. Le chemin de l'autonomisation doit être parcouru à nouveau en sens inverse et le recours à des centres spécialisés s'avère toujours nécessaire. Dans ces prises en charge, il est indispensable de travailler avec le parent à nouveau esseulé, afin qu'il comprenne et soutienne la démarche, longue et difficile, entreprise par le malade. Cas clinique n° 3 : Henriette A. Mariée à 21 ans, Madame Henriette A. donne naissance à cinq enfants. Très occupé par sa vie professionnelle, son mari lui laisse toutes les responsabilités de l'éducation et de la gestion quotidienne de la famille. De caractère anxieux, Madame A. éprouve des difficultés d'endormissement qu'elle atténue par la consommation croissante de vin de Porto. Après quelques années, elle consomme déjà le matin afin de calmer ses malaises et ses tremblements. Plusieurs cures de désintoxication, ambulatoires et hospitalières, sont entreprises sans résultats durables. Excédé par la situation, Monsieur A. quitte son épouse dès l'émancipation du dernier III-1-13 enfant. A 52 ans, démunie de ressources propres suffisantes, Madame A. se réfugie chez sa mère âgée de 78 ans. Là, elle mène une vie anarchique dans un pavillon de jardin où lui est déposée sa nourriture. C'est en état de coma éthylique qu'elle est amenée au Service des Urgences de l'hôpital. Après une cure de désintoxication, la patiente séjournera 9 mois dans une communauté thérapeutique. F. En guise de conclusion La proposition de classer les abus d'alcool en trois types représente une manœuvre réductrice de la réalité clinique. Néanmoins, il nous semble que notre modèle se révèle utile d'au moins deux points de vue. D'une part, il permet une identification plus précise de la demande de traitement qui s'avère toujours une demande de l'autre, le non alcoolique, qu'il soit un des membres du couple des géniteurs, le conjoint, le parent isolé ou l'instance de remplacement parental. De même, l'attention se porte d'emblée sur la scène électivement familiale où se joue le drame de l'alcoolique. D'autre part, le modèle aide à choisir une stratégie thérapeutique définie et réalisée en fonction de la problématique identifiée, en dehors de toute référence à de pseudo critères biopsychologiques. Néanmoins, la question de la réalité de l'autonomisation pour certains alcooliques de type II doit être posée sérieusement : tous les cliniciens connaissent de ces patients très instables dans leur emploi, mariés du bout des lèvres et vivant dans la même rue, voire le même immeuble que leur famille d'origine, à qui ils rendent visite quotidiennement. Peuton parler à leur égard de type II alors qu'ils n'ont pu réaliser qu'une autonomie factice, une pseudo-autonomie ? Nous serions tentés de répondre par l'affirmative, l'autonomisation en tant que concept positif abstrait, (c’est une sorte d’idéal, pas un “défaut” comme les identifie la clinique) ne permettant jamais qu'un rapport asymptotique à lui-même. G. . Traitement Comme nous venons de l'exposer, le traitement de l'alcoolique sera fonction non seulement de son état de dépendance à l'alcool mais aussi et surtout de son insertion socio-familiale. La pathologie alcoolique est une pathologie chronique, dans laquelle la rechute doit être prévue et acceptée tant par le patient et sa famille que par l'équipe soignante. En règle générale, la demande de traitement sera faite par le co-alcoolique décompensé. Cependant, l'arrêt de la boisson ne peut être décidé que pour l'alcoolique lui-même, qui III-1-14 désire tenter de vivre sans recourir à des boissons alcoolisées. Donc, si c'est le coalcoolique qui initie la consultation, c'est l'alcoolique qui « choisit » le moment de sa désintoxication. Lorsqu’une dépendance physique s’est installée (présence d’un syndrome de sevrage à l’arrêt de la consommation), il n’y a que très peu de chance (moins de 10 %) pour que l’alcoolique puisse reprendre une consommation sociale (normale ou sans ennuis). La décision de l’abstinence complète doit être prise par l’alcoolique lui-même, quand cette situation lui a été expliquée par l’intervenant. Le conjoint, parfois la famille sera toujours associée aux entretiens. Il arrive que le patient alcoolique ne désire pas pratiquer d’emblée l’abstinence complète et veuille poursuivre une consommation réduite. Il est légitime d’essayer cette méthode pour les alcooliques non-physiquement dépendants, après avoir éclairé le patient et sa famille sur les risques encourus. Un programme de consommation modérée peut lui être conseillé, tout en conservant un contact thérapeutique régulier. III-1-15 DOUZE CONSEILS POUR UNE CONSOMMATION MODEREE DE BOISSONS ALCOOLISEES 1° Boire beaucoup de liquide non alcoolisé (toujours un verre à la main !). Avoir toujours à disposition des réserves suffisantes de ses boissons non alcoolisées préférées, à bonne température. 2° Ne jamais boire de boissons alcoolisées par soif, mais seulement par goût, pour le plaisir et par petites gorgées. 3° Préférer des boissons faiblement alcoolisées (comme la bière ou le vin). Jamais d'alcool fort. 4° Choisir des produits de qualité supérieure, coûteux (par ex. : un grand cru millésimé). Devenir un connaisseur plutôt qu'un avaleur. 5° Ne jamais boire de boissons alcoolisées ni quand on est seul ni en compagnie d'un groupe de grands buveurs. 6° Ne jamais boire de boissons alcoolisées à jeun, mais au cours d'un repas. 7° Fixer d'avance la quantité maximale que l'on s'autorise et ne jamais la dépasser. 8° Ne pas boire de boissons alcoolisées si l'on est triste, contrarié, tendu ou anxieux. L'alcool n'est pas un bon médicament et s'avère inefficace à long terme pour améliorer le moral. 9° Pour les situations stressantes, avoir un « truc » qui assure une certaine détente : marcher, manger, parler, jouer, etc . . . 10° Pour pouvoir consommer moins d'alcool, il faut une certaine quantité de satisfactions qui proviennent d'autres sources que l'alcool : amour, travail, hobby, sport, etc . . . 11° Vous n'êtes pas engagé dans un combat solitaire, votre entourage familial bien mis au courant de votre tentative et votre médecin que vous consulterez régulièrement constituent des recours en cas de difficulté. 12° Si la consommation d'alcool ne peut être maintenue modérée et qu'elle entraîne des conséquences négatives, il faut se résoudre à l'abstinence de toute boisson alcoolisée. Dans ce cas, l'abstinence n'est pas un but mais seulement un moyen qui permet d'atteindre certains buts d'existence spécifiques à chaque personne. Attention : Ni le malade ni l'intervenant ne doivent se faire d'illusion : cette procédure, si elle peut servir à la personne considérée comme buveur excessif ou abusant occasionnellement d'alcool, n'est que rarement (un cas sur 10) une solution à long terme pour l'alcoolique dépendant. Le traitement de l'alcoolique peut être résumé dans le tableau séquentiel qui suit : III-1-16 Traitement séquentiel de l'alcoolisme NIVEAU I ASPECIFIQUE 1er recours NIVEAU II NIVEAU III SPECIFIQUE Elaboration d'un projet thérapeutique ASPECIFIQUE SPECIFIQUE HOPITAL AMBULATOIRE (Consultation) Désintoxication 14 jours Désintoxication ambulatoire CSM ou polyclinique spécialisée III-1-17 CENTRE DE JOUR spécialisé (par ex. : "L'Orée") RESIDENTIEL Alcoolique Famille Medecin généraliste Médecin du travail Ecole CPAS Eglise Service d'Urgence Détention préventive NIVEAU IV (Hôpital : 1 à 3 mois) (Communauté thérapeutique : par ex. : "Le Solbosch" "Les Hautes Fagnes" "L'Espérance") Groupe d'entraide (Self Help) Nous voudrions encore attirer l'attention sur deux modalités particulières de « traitement ». 1° (a) Le traitement médicamenteux le DISULFIRAM ( ANTABUSE ® ) crée un blocage de la chaîne de la métabolisation de l'alcool. Quand il a pris de l'alcool, le patient traité par Antabuse s'intoxique par l'acétaldéhyde et présente des palpitations, des vomissements et un flush du visage. Le recours à cette substance peut être utile dans le cadre d'une thérapie de soutien en vue d'une réinsertion sociale devant s'accompagner d'abstinence totale. L'implant d'Antabuse est déconseillé (irritation locale et rejet, déresponsabilisation du patient, inefficacité objective). (b) plusieurs substances, certaines encore expérimentales, diminueraient l'appétence pour l'alcool, en agissant sur différents neuro-récepteurs (récepteurs GABA : ACAMPROSATE ; récepteurs aux opiacés : NALTREXONE , récepteurs sérotoninergiques : FLUOXETINE ou PAROXETINE. L’acamprostate (Campral ® ) augmente significativement l’abstinence en cas d’alcoolisme type II. Le Naltrexone n’est pas commercialisé en Belgique et se révèle d’un usage compliqué. Les anti-dépresseurs (SSRI) ont une action démontrée sur la dépression sous-jacent à de nombreux alcoolismes secondaires à des états dépressifs, mais sans doute pas d’action directe sur l’alcoolisme primaire lui-même. 2° Les Alcooliques Anonymes (A.A.) Il s'agit d'un groupe d'entraide d'anciens buveurs qui se reconnaissent alcooliques et se réunissent régulièrement (1 à 3 x/semaine) pour parler de leurs difficultés à assumer une abstinence complète et volontaire. Si le patient est motivé par cette méthode d'auto-traitement, les résultats peuvent être excellents. Chaque médecin ou psychologue actif dans le champ de l'alcoologie devrait aussi assister à une réunion ouverte de ces groupes A.A., afin d'en mieux connaître les mécanismes et procédures. Une organisation similaire regroupe les conjoints ou les parents d'alcooliques dans le même but d'entraide, par le partage de l'expérience de vie auprès d'un alcoolique (ALANON). Enfin, un groupe destiné aux enfants d'alcooliques fonctionne également (ALATEEN). Dans chaque région, le numéro de contact est repris dans l'annuaire téléphonique comme premier numéro (A.A.). III-1-18 1.3.- TROUBLES LIES A L'UTILISATION DE DROGUES ILLICITES La notion même de « drogue » est intimement liée à la position de la société envers le produit qu'elle positionne comme illicite. Il est important de distinguer l'usager occasionnel (récréatif) de l'usager habituel présentant une dépendance physique ou psychique grave au produit. En règle générale, les drogues dites douces (cannabis, LSD) ne provoquent pas de dépendance physique, ni de tolérance par opposition aux drogues dures (morphine, héroïne), qui provoquent ces deux phénomènes. En Belgique, on estime à environ 25.000 le nombre de toxicomanes aux drogues dures. Ils sont concentrés dans les grands centres urbains. Il n'y a pas actuellement d'accroissement de ce nombre de consommateurs réguliers, mais par contre, il existe une augmentation importante du nombre d'utilisateurs occasionnels tant des drogues douces que dures. Nous allons passer en revue les différentes drogues les plus couramment utilisées chez nous. 1.3.1. Cannabis (chanvre indien) Haschisch (résine), marijuana (feuilles). Le plus souvent, elle se fume mais elle peut aussi s'ingérer per os (rare). Elle crée une sensation de bien-être et d'euphorie. Les utilisateurs rapportent une hypersensibilité sensorielle (p. ex. pour écouter de la musique). Cette drogue a souvent été considérée « porte d'entrée vers la toxicomanie ». L'utilisation occasionnelle, bien que légalement interdite en Belgique, n'est plus poursuivie et ne devrait pas faire l'objet d'un traitement spécifique dans le réseau de traitement de la toxicomanie. Il s'agit aujourd'hui d'une expérience « courante » à l'adolescence. Si l'utilisation inquiète les parents ou devient exclusive d'autres activités chez le jeune, une consultation concernant le retentissement personnel et familial de la consommation sera au mieux indiquée auprès d'une instance non spécialisée en problèmes de toxicomanie (médecin ou psychologue généraliste). III-1-19 1.3.2. Les hallucinogènes Les hallucinogènes sont soit semi-synthétiques comme le L.S.D. (acide lysergique diéthylamide) ou semi-naturels comme la mescaline (produite du cactus peyotl) ou les champignons hallucinogènes. Le L.S.D. est un hallucinogène qui provoque, entre autres, une distorsion des perceptions. Il ne provoque pas de dépendance physique et on n'observe pas de symptômes de sevrage. Par contre, une dépendance psychique se développe rapidement. Les effets du LSD durent environ 12 heures. Les premiers symptômes sont d'ordre neurovégétatif : hypertension artérielle et tachycardie, sudation et mydriase. On observe un délire hallucinatoire, l'audition et la vision pouvant fusionner et les émotions passées revenir à l'esprit et provoquer une distorsion temporelle. Le L.S.D. provoque le plus souvent un état d'euphorie. La personne intoxiquée est incapable de penser et déraisonner de façon cohérente. Des personnes « sensibles » (prédisposition à la psychose ?) peuvent présenter jusqu’à plusieurs semaines après la prise de LSD, des « Flash back » (retour des hallucinations pendant quelques minutes à quelques heures). 1.3.3. Cocaïne (forme injectable et inhalation) et crack (se fume) Ce sont des dérivés de la feuille de COCA (Amérique du Sud). Ils procurent un sentiment mégalomaniaque de force et de puissance. Ils augmentent l'éveil et l’agilité intellectuelle. Encore relativement peu répandus chez nous mais en augmentation, les prix sont à la baisse. La cocaïne est souvent mélangée à l'héroïne pour l'injection (Speed-ball). La cocaïne a été traditionnellement utilisée dans les milieux de la mode ou de la communication (pub, media) afin de stimuler l'éveil et la créativité. A l'arrêt de la prise, les malades présentent souvent des signes cliniques de dépression grave, résistante aux traitements antidépresseurs classiques. 1.3.4. Dérivés opiacés (morphine, héroïne) L’héroïne constitue la drogue dure de loin la plus utilisée en Belgique. Ces produits s'injectent (héroïne), se fument (opium, fumette) ou s'inhalent par la muqueuse nasale. Ils procurent un sentiment de bien-être, d'apaisement, de distanciation III-1-20 par rapport aux difficultés et malheurs quotidiens. L’héroïne est 10 fois plus puissante que la morphine. Par auto-injection I.V. (le « fix »), l'héroïne provoque un « flash » (sensation de chaleur corporelle). Un dose très importante provoque l'Over-Dose (arrêt respiratoire). C'est un type de suicide très courant chez l'héroïnomane. Inversement, l'arrêt brusque des prises crée l'état de manque après 6 heures (sevrage) qui motive le toxicomane à se procurer le produit à tout prix (vol, prostitution, vente de drogues). La toxicomanie à l'héroïne par voie I.V. s’accompagne d’un cortège de complications physiques dues au manque d'hygiène : SIDA, hépatite, abcès, phlébite, endocardite. C’est pourquoi, actuellement, la plupart des utilisateurs fument l'héroïne et évitent l’injection. Il s’agit là d’un succès de la prévention du SIIDA. 1.3.5. Les amphétamines et l'ecstasy (X.T.C.) Les amphétamines sont encore trop souvent prescrites, soit occasionnellement pour donner un coup de pouce au tonus psychique (pour aider un étudiant en blocus), soit, hélas, trop systématiquement par certains médecins comme traitement d'un état dépressif (!), soit plus souvent encore dans des cures d'amaigrissement. Enfin, les amphétamines sont utilisées en auto-médication comme drogues de substitution par les cocaïnomanes. Leur arrêt nécessitera souvent une hospitalisation en milieu spécialisé avec administration de neuroleptiques, afin de calmer le rebond anxieux majeur et la dépression qui suivent l’arrêt. Depuis quelques années, les amphétamines ont connu un regain d'intérêt considérable par le développement important de leur utilisation dans les grandes villes sous la forme d'XTC ou ecstasy (3,4 méthylebedioxy-métamphétamine) qui est ingéré oralement, sous forme de pilule. Le portrait-robot de l'utilisateur de l'XTC est celui d'un adolescent ou d'un jeune adulte, sans grand problème psychiatrique ou social et adepte de sorties festives et collectives en discothèques, disposant largement d'argent de poche et utilisant l'XTC comme drogue de week-end. Les consommateurs se trouvent dans un bien-être physique intense et ressentent une levée des inhibitions sociales. L'XTC “défonce” avec éclat, facilite la drague, rend l'esprit III-1-21 clair et donne un relief extraordinaire à la fête. Le consommateur se sent plus fort, plus audacieux et surtout plus réceptif aux sensations. Ses effets durent de 3 à 5 heures. Contrairement à ce qu'on a cru précédemment, la prise régulière d'amphétamines provoque non seulement une dépendance psychique extrêmement importante mais également une dépendance physique . En cas de sevrage brutal, on peut observer de l’angoisse, des troubles dépressifs avec perturbations du sommeil, des atteintes des fonctions cognitives, des troubles délirants paranoïdes aigus et des passages à l'acte auto-agressifs (accidents, impulsions suicidaires) ou hétéroagressifs (bagarres). L'XTC peut conduire à des délires d’allure schizophrénique. L'XTC peut exacerber des troubles dépressifs chez un individu déjà vulnérable et provoquer des altérations de la perception, avec leur cortège d'accidents de toute nature, et particulièrement les accidents de la route. A long terme, l'XTC peut, comme la cocaïne, amener le développement d'une paranoïa. En cas de trouble psychopathologique grave, l'hospitalisation psychiatrique est la règle, ou, à tout le moins, une surveillance de 48 à 72 heures est indispensable pour éviter un passage à l'acte auto- ou hétéro agressif. 1.3.6. Inhalants Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de drogues illicites, nous envisageons ici l'utilisation de détachants (Sassi), colles de montage de maquettes, éthers Tous ces produits sont utilisés de façon plus ou moins régulière par des adolescents parfois très jeunes, souvent dans des groupes sociaux ou scolaires limités (contagion de contact). Ils provoquent une ivresse qui peut aller jusqu'au coma. Il existe un danger de séquelles hépatiques graves (nécrose aiguë du foie). 1.3.7. Quel traitement ? Nous insistons sur le fait que toute utilisation de drogues ne peut être taxée de toxicomanie. Un essai occasionnel des substances psychotropes (du moins des drogues douces) appartient à l'expérience banale de l'adolescent d'aujourd'hui, comme celle d'une ivresse alcoolique faisait partie de l'expérience existentielle normale du jeune homme d'autrefois. III-1-22 La toxicomanie est une affection psychique complexe, nécessitant une prise en charge médicale, psychologique et sociale. Alors que les usagers occasionnels seront maintenus autant que possible dans des structures d'accueil aspécifique (école, église, médecin généraliste ou psychologue), il est indispensable de diriger le toxicomane avéré (dépendant physiquement du produit) dans un centre spécifique de traitement. Le sevrage ne sera pas réalisé d'emblée mais seulement après l'élaboration d'un projet thérapeutique cohérent. Le sevrage peut être réalisé en ambulatoire (assez difficile pour une toxicomanie avérée) ou dans le cadre d’un séjour hospitalier de durée limitée (deux à trois semaines). En Belgique, nous disposons de possibilité de prise en charge ambulatoire spécialisée, avec ou sans produit de substitution de l'héroïne (maintenance à la méthadone). Le patient peut entrer pour plusieurs mois (3 mois à 1 an) dans une communauté thérapeutique où la la reprise de la vie sociale en groupe et ensuite la reprise d’une vie professionnelle est mise en avant. La psychothérapie individuelle et familiale est toujours indiquée. Le traitement d'une toxicomanie avérée s'étend sur plusieurs années (Claude Olivenstein faisait l’approximation d’une année de traitement par année de toxicomanie). Particulièrement importants pour le médecin de premier ligne, les traitements de substitution s’appuient sur la prescription médicale d’un opiacé de synthèse qui permettra à l’usager de drogue de ne pas être confronté brutalement au syndrome de sevrage et aux difficultés de l’abstinence. Par delà la prescription, leur efficacité repose sur la qualité de la relation thérapeutique qui va s’instaurer avec le patient et sur l’aide psychosociale qui y sera associée. Ces traitements ne sont indiqués qu’en cas de dépendance à l’héroïne. Les médicaments les pus utilisés sont la méthadone et dans certains cas, la buprénorphine (Temgésic). Par rapport à l’héroïne, la méthadone a l’avantage d’avoir une bonne résorption orale et une durée d’action de 24 heures, ce qui permet de s’en tenir à une prise unique de 40 à 80 mg. par jour dans un sirop à retirer quotidiennement en pharmacie. Les traitements de substitution ont de nombreux avantages. Tout d’abord, ils permettent aux patients qui le souhaitent de sortir de l’illégalité et de la marginalité y afférente. Libéré du besoin immédiat d’héroïne, le toxicomane n’est plus obligé de se procurer de l’argent pour sa prochaine dose et peut donc consacrer son énergie à son réinsertion. Bon nombreux d’entre eux retrouvent alors une stabilité affective et relationnelle qui rend possible la recherche d’un emploi. En diminuant sensiblement le risque d’injection et de partage de seringues, les traitements III-1-23 de substitution contribuent à réduire la transmission de maladies liées à l’usage d’héroïne injectable, telles que le Sida et l’hépatite virale. Ils sont donc très utiles au maintien d’une santé correcte des usagers de drogues et ont également des avantages au niveau d’une politique de santé publique. Actuellement, une stratégie de réduction des risques a remplacé la visée exclusivement curative. Quand elle est prise durant une longue période, la méthadone provoque peu d’euphorie, de somnolence ou de dépression. Son usage est tout à fait compatible avec une vie normale. Certains patients seront alors maintenus en traitement de substitution durant de nombreuses années, parce qu’on sait que l’arrêt de prise de méthadone s’accompagne souvent d’une rechute de consommation d’héroïne. Les traitements de substitution permettent de maintenir une relation thérapeutique pendant plusieurs années. Cette relation pourra les aider à se stabiliser, à préserver leur santé et à se réinsérer. Ce sont des traitements très accessibles, de coût limité, et susceptibles de toucher un grand nombre d’héroïnomanes. Ils ne constituent cependant pas une panacée. Certains patients, après une période de stabilisation, poursuivent une consommation problématique de différents produits, licites ou illicites (alcool, médicaments, héroïne, cocaïne...). La polytoxicomanie qui en découle est d’un abord thérapeutique difficile et illustre parfois tragiquement les limites des traitements de substitution. 1.4.- TROUBLES LIES A L'UTILISATION DE MEDICAMENTS Les médicaments utilisés sont dans la grande majorité des cas des psychotropes mais aussi parfois des laxatifs ou des diurétiques voire très rarement tout autre produit investi particulièrement par le patient. Ces médicaments peuvent être soumis à la prescription médicale (benzodazépines, méprobamate) ou libre à la vente (p. ex. Sanalepsi “calmant végétal”). Les produits les plus souvent utilisés aujourd'hui sont les benzodiazépines qui n'ont pas en elles-mêmes un pouvoir addictif très important (mesuré par le rapport du nombre de cas de dépendance par rapport au nombre d'utilisateurs) mais qui représentent néanmoins un danger très certain en raison du nombre absolument gigantesque d'utilisateurs dans notre pays. Jusqu'il y a peu, la Belgique en était en effet le premier consommateur au monde (!) par habitant (500.000.000 de comprimés vendus par an !). Les problèmes liés à la prise excessive de médicaments psychotropes peuvent être classés de la façon suivante : III-1-24 1.4.1 Abus de médicament Peut donner des conséquences légères (somnolence) ou plus graves (accidents de la circulation - négligences familiales ou professionnelles) voire catastrophiques (over-dose). 1.4.2 Pharmaco-dépendance Elle est attestée par le phénomène de tolérance (p. ex. prise quotidienne de 40 à 100 mg. de Valium sans endormissement) ou encore par l'apparition de phénomènes de sevrage (nervosité, angoisse, insomnie, parfois épilepsie) à l'arrêt de consommation du produit. La dépendance peut être très importante pour certains produits, comme les barbituriques (actuellement peu prescrits) ou le meprobamate (Pertranquil) dont certains patients consomment quotidiennement jusqu'à 30 à 50 comprimés à 400mg. Après l’arrêt brutal des prises, ces derniers développent souvent un delirium avec épilepsie grand mal. 1.4.3 L'intoxication aiguë Elle est soit volontaire (suicide) ou involontaire (diminution des facultés de discrimination) et induit une somnolence qui peut aller jusqu'au coma avec dépression respiratoire. 1.4.4 Traitement Il dépendra comme pour l'alcool et la toxicomanie du degré de désinsertion socioprofessionnelle et affective atteint par le patient. Une psychothérapie de soutien, une thérapie familiale, un traitement anti-dépresseur ou anxiolytique contrôlé (à base de neuroleptiques légers) pourront contribuer à l'amélioration de la situation. Il est à remarquer que pour les patients le rapport aux médications est fondamentalement perturbé et qu'il existe un risque non négligeable d'utilisation aberrante de toute médication prescrite. Il s'agit de toute façon d'un effort thérapeutique au long cours. 1.5. La dépendance au jeu Il s’agit d’une assuétude sans produit ingéré, mais dont l’objet électif est une situation d’excitation ludique, recherchée pour le joueur pathologique, tout comme le toxicomane recherche sa drogue ou l’alcoolique son alcool. On peut observer des manifestations de dépendance psychique (envie compulsive de jouer) de tolérance (nécessité d’augmenter la mise) et même parfois de dépendance physique (apparition de signes de sevrage en III-1-25 cas d’incapacité de jouer). Les jeux utilisés sont multiples : jack-pot, cartes, roulette, flipper, bingo, courses de chevaux, paris sportifs et actuellement les jeux sur ordinateur (« cyberdépendance »). La dépendance au jeu peut amener à un retrait des contacts sociaux, familiaux ou conjugaux, parallèlement à une déconfiture financière (accumulation de dettes, détournements professionnels). Les voies cérébrales sont les mêmes de celles des autres assuétudes. D’un point de vue psychologique, il s’agit souvent d’une tentative de restauration narcissique d’un état de toute puissance imaginaire. Le traitement essentiellement psychothérapeutique s’avère long et difficile. Les complications dépressives ou suicidaires doivent être traitées spécifiquement. Bibliographie - ROUSSAUX J.P., DERELY M. Alcoolisme et Toxicomanie Etudes cliniques, De Boeck, 1989 - ROUSSAUX J.P., FAORO-KREIT B., HERS D. L’alcoolique en famille Ed. De Boeck - Bruxelles – 1996 2 - ème éd. 2000 OLIEVENSTEIN Cl. Il n'y a pas de drogués heureux Laffont (Paris) - STEINGLASS P. The alcoholic family Basic Books, 1987 - ZOLA E. L'assommoir - DESCOMBEY, J.P. Précis d'alcoologie clinique Dunod, Paris, 1994 - LALLEMAND A. et CHEPENS P. Les nouvelles Drogues de la génération RAVE Ed. Grasset, 2002 - OLIEVENSTEIN Cl. La drogue, 30 après Ed. Odile Jacob, 2000 III-1-26 2. LES TROUBLES ALIMENTAIRES 2012 Introduction D’une façon similaire aux assuétudes, les personnes souffrant de troubles alimentaires utilisent abusivement une fonction « normale » - se nourrir, pour calmer un malaise, un malêtre. Il y a aussi recours à un objet ingéré – sans que celui-ci ait des effets psychotropes immédiats, comme c’est le cas dans les assuétudes. Contrairement à ces dernières, dans le trouble majeur de cette catégorie, l’anorexie, c’est bien plutôt le défaut de nourriture qui module l’état psychopathologique particulier de ces patients : l’ivresse alcoolique s’oppose ici à l’ivresse du jeûne. Une autre différence fondamentale, est qu’il est possible de vivre dans consommer de substances psychotropes ; par exemple, il est même relativement sain de vivre dans l’abstinence d’alcool à fortiori de cocaïne ou d’héroïne ; Par contre, il est tout à fait impossible de vivre dans l’abstinence complète de nourriture. Aussi, la prise d’aliment doit être modulée, adaptée, selon les besoins et les possibilités. Tout comme dans les assuétudes, il y a très souvent une souffrance mentale sous-jacente dans les troubles alimentaires : la gravité de l’affection basale conditionnera le devenir du syndrome. Ainsi, une anorexie qui se développe tardivement dans le cadre d’une dépression aura un tout autre pronostic qu’une anorexie précoce sur base d’une personnalité borderline. Nous considérons essentiellement les deux syndromes classiques, l’anorexie et la boulimie, ainsi que l’hyperphagie incontrôlée ou frénésie alimentaire. Nous envisagerons ensuite quelques troubles alimentaires mineurs. L’anorexie et la boulimie sont dites nerveuses quand les motivations de ces comportements apparaissent prioritairement de nature psychologique, par opposition à l’anorexie de la phase terminale du cancer et les boulimies des tumeurs de l’hypothalamus. L’anorexie se définit aujourd’hui par la crainte de prendre du poids (devenir « obèse ») et un comportement systématique destiné à réduire ce poids : restriction alimentaire, exercices excessifs, vomissements provoqués, prise de laxatif etc … III-2-1 La boulimie est un trouble plus discontinu, dans lequel l’individu s’alimente de façon tout à fait excessive dans des périodes très brèves, hors du temps prévu pour les repas pris en commun … Ces épisodes de dévoration sont suivis de périodes d’auto-dépréciation dépressive 2.1. L’ANOREXIE MENTALE 2.1.1.- Définition et épidémiologie Le syndrome anorexique (D.S.M.-IV. : Anorexia nervosa) consiste en une crainte intense et irrationnelle de grossir, une volonté excessive de rester ou de devenir très mince, un refus alimentaire important et parfois des comportements annexes qui amènent une perte de poids significative. L’anorexie mentale apparaît presqu’exclusivement dans les sociétés industrialisées (abondance de la nourriture ; culture contemporaine de la minceur), 9 fois sur 10 chez les jeunes filles. L’âge moyen d’apparition est de17 ans : c’est un trouble typique de la seconde partie de l’adolescence et du début de l’âge adulte (dans cette tranche d’âge, chez les femmes, la prévalence serait de 0,5 à 1 %). Il existe néanmoins une petite minorité de cas qui commence avant la puberté, et un premier “pic” (moins élevé que celui de 17 ans) vers 14 ans : ici, c’est plus souvent réactionnel à un événement identifiable, et souvent plus bénin. L’installation après 35 ans est très rare et de mauvais pronostic (complication d’une mélancolie ou d’une schizophrénie). 2.1.2.- Etiopathogénie a) Dans une minorité de cas, surtout chez les plus jeunes, les anorexiques avouent clairement (ou montrent à l’évidence, via d’autres symptômes !) leur peur de grandir, leur volonté de rester dépendantes de leurs parents, leur peur de mourir un jour et leur volonté que le temps soit suspendu, leur angoisse diffuse face à la vie et à la société ... III-2-2 b) Plus fréquemment, ce sont d’autres dynamismes vitaux qui sont opérants. Ils varient quelque peu d’une personne à l’autre mais néanmoins, grosso modo, on retrouve toujours plusieurs composantes que voici : 1. Réinvestissement narcissique de la libido : si l’anorexique n’est pas fière de la forme de son corps, elle l’est par contre de la manière dont elle le dompte et le maîtrise ; elle se sent soit exceptionnelle, comme un pur esprit qui serait parvenu à se désincarner... soit comme réalisant l’Idéal d’une culture de la minceur. 2. Parfois même, jouissances auto-érotiques plus précises, via les sensations qu’elle se donne (cfr dans d’autres parties du cours, le concept de « psychosomatique perverse »). 3. Les plaisirs narcissiques ou/et auto-érotiques ressentis peuvent devenir des esclavages (dimension d’assuétude, d’obligation de maintien ou de reconduction des sensations éprouvées, « l’ivresse du jeûne »). 4. Chez certains, à l’inverse, auto-agressivité, haine de soi via l’anorexie (“infâme carcasse”). 5. Non renoncement aux pulsions agressives dirigées vers la famille d’origine (fratrie, parents autoritaires) ou vers le conjoint rival (le beau-père par exemple). -a- dans certains cas, leur réalisation ne fait l’objet d’aucun conflit névrotique et s’exprime ici de façon détournée (en référence à d’autres parties du cours, on peut parler alors d’un trouble de la personnalité). -b- dans d’autres cas, il y a conflit névrotique ; les désirs agressifs se refoulent plus ou moins et se réexpriment indirectement par un symptôme-compromis, l’anorexie, qui blesse autrui et le réduit à l’impuissance (névrose de type plutôt hystérique). 6. On peut raisonner exactement comme en 5. à propos des pulsions sexuelles œdipiennes dirigées vers un parent, ou de certaines revendications libidinales plus archaïques (être dorloté, pris en charge...). 7. Dans certains cas, on a l’impression qu’il ne s’agit pas de défier ni de séduire, mais plutôt d’offrir aux parents « un os à ronger », c’est-à-dire une zone de fonctionnement qu’ils vont investir avec leur dimension protectrice/autoritaire. Ils se centrent là-dessus, ce qui permet à la personne anorexique de développer des zones de fonctionnement autonome... III-2-3 Ou alors, l’anorexique ne veut rien d’autre que d’adhérer au souhait (secret, préconscient) de sa famille, qui a besoin de ce symptôme pour maintenir son homéostasie. On parle ici parfois d’anorexie sacrificielle, ou conformiste, ou, en référence à d’autres parties du cours, de « psychosomatique psychotique » (au sens très large du terme, redisons-le). 2.1.3.- Clinique a) Symptômes individuels - Classiquement caractérisée par les 3 A : Anorexie, Amaigrissement, Aménorrhée. - Refus de maintenir un poids corporel normal 1 au vu de l’âge et de la taille ; crainte intense de grossir ; perception inexacte de son propre corps (trop grand, trop gros)… donc : lutte contre la sensation de faim ; se nourrit très peu (ou erratiquement) ; éventuellement se purge ou/et se fait vomir, se dépense en exercices physiques épuisants... - après la puberté : aménorrhée, atténuation des caractères sexuels secondaires ; avant la puberté : peu ou pas de croissance pubertaire ; éventuelles complications somatiques. - symptômes psychiques conséquents de la faible estime de soi, et de la fatigue déniée : humeur dépressive, irritabilité, isolement b) Examens paracliniques biologiques Dans les cas graves, la perte de poids et certains comportements aberrants (p. ex. purge) peuvent altérer certains paramètres: p. ex. anémie, leucopénie, hypochlorémie, hypokaliémie, abaissement des taux hormonaux (thyroïdie, hormones sexuelles). 1 Normal ? Les critères de cette normalité varient quelque peu et ont quelque chose d’arbitraire. Le D.S.M.IV parle d‘anorexie lorsque le sujet ne veut pas se maintenir à au moins 85 % de ce qu’indiquent les tables pour la moyenne des gens de son âge et de sa taille. Pour d’autres auteurs, la limite est mise à 75 %. III-2-4 c) Contexte relationnel - beaucoup de personnes anorexiques « offrent » spectaculairement ou subtilement leur problématique à leur famille, et pourtant, dénient être anormales, dissimulent aux soignants ce qu’elles font, et refusent de consulter des psy, ou se rendent passivement chez ceux-ci, soit disant pour obéir à leur famille. Elles tentent d’expliquer rationnellement leur conduite, en faisant référence à un événement qui les a choquées ou aux impératifs de la culture. - on a décrit, probablement de façon trop rigide, des « familles types » d’anorexiques, quelque peu caricaturales ; on peut retenir néanmoins, surtout à propos des adolescents, que : - Assez souvent, la question du pouvoir est mal négociée dans la famille. Au moins un des parents, plus souvent la mère, est manifestement ou subtilement très autoritaire.. ou couve trop ses enfants et notamment l’anorexique, au nom de ses propres angoisses de mort... et on a l’impression qu’un « bras de fer » souvent non avoué comme tel, est engagé entre l’anorexique et ce parent, notamment autour du contrôle de l’alimentation. Mais ce jeu relationnel est néanmoins plus compliqué qu’il n’en a l’air, car bien des anorexiques revendiquent à la fois sincèrement et leur indépendance (p. ex. droit à gérer leur corps) et son contraire, c’est-à-dire que l’on s’occupe beaucoup d’elles, mais ceci, sans l’avouer. - Parfois, le lien affectif est excessif entre un anorexique et un de ses parents : dyade fusionnelle Mère-Grand bébé... ou attraction œdipienne réciproque que père et fille réalisent, et dont ils se défendent, à travers le « chipotage » alimentaire ; dans ce cas, on voit parfois que la fille « tape dans l’œil » du père dans d’autres domaines encore (p. ex. brillance intellectuelle). - Rivalité fraternelle discrète ou déclarée ; exaspération fréquente des autres membres de la fratrie ; l’anorexie, qui sollicite beaucoup les parents est une manière de dépasser dans l’attention parentale. d) Evolution Elle est variable : pour certains, restitutio ad integrum après un épisode unique de 3 à 8 mois) ; pour d’autres, alternance de décompensation et d’améliorations, ou encore alternance, en ordre dispersé anorexie-boulimie -normalité ; pour d’autres encore, III-2-5 stagnation de l’état, voire détérioration progressive au fil du temps. Un « accident organique » mortel ne peut jamais être exclu, pas plus que le suicide. 2.1.4.- Diagnostics différentiels Installation insidieuse d’une maladie organique grave (diabète – tumeur cérébrale sous-hypophysone) ; dépression majeure ; mélancolie ou pré-mélancolie (dont l’anorexie n’est alors qu’un symptôme) ; schizophrénie (idem) ; phobies sévères autour de l’alimentation. Un examen organique clinique et paraclinique soigneux est toujours indispensable. Par ailleurs, lorsqu’on écoute attentivement, l’anorexique est le seul à avoir des craintes excessives quant à son grossissement, et à avoir de son corps une image perturbée de façon aussi spécifique ! 2.1.5.- Traitement L’anorexique, tout comme l’alcoolique, ne demande rien dans un premier temps : ils ont trouvé une solution à ce qui leur est apparu comme « invivable » dans leur propre vie. Il convient donc de s’appuyer sur d’autres demandeurs (la famille) qui eux par contre, ne souhaitent le plus souvent qu’un retour à la situation antérieure (statu-quo ante). a) Plus de la moitié des personnes anorexiques ne sont pas spontanément motivées pour réfléchir sur elles-mêmes, en tant que sujets problématiques, ni avec un psy, ni même avec un autre médecin qui voudrait les « réadapter ». On doit donc accepter le fait que beaucoup de consultations du moins au début, se fassent en présence d’un ou de plusieurs membres de leur famille, et que ce soient d’abord ceux-ci qui expriment leur inconfort. A cette occasion, on entre en contact avec la personne anorexique et, avec elle et avec les autres, on parle relations familiales, projets sociaux, etc... il est toujours possible qu’il en sorte quelqu’amélioration apaisante... On écoute aussi cette personne anorexique, sans la menacer ni la critiquer, exposer l’image qu’elle a de son corps et son projet à propos de celui-ci ; les membres de sa famille en font autant ; quant au soignant (généraliste, interniste, pédiatre ou psy.) c’est pour lui l’occasion et d’écouter et de signaler au passage ses différences de perception (sans obliger ses vis-à-vis à penser comme lui) et III-2-6 donc aussi pourquoi il refuse d’entrer dans des demandes de régime supplémentaire, etc... Avec les membres de la famille, on essaie aussi de mettre au point des attitudes plus sereines d’accompagnement de l’alimentation et, en général, du grandissement de l’anorexique. b) Sur base de cette première plate-forme de rencontres : 1. Dans certains cas, il se crée suffisamment d’intérêt, chez l’anorexique et chez tous, pour que l’on puisse organiser des entretiens scindés : entretiens individuels avec l’anorexique, entretiens avec sa famille d’origine, voire son conjoint, et moments de mise en commun. Si l’alliance est bonne, c’est peutêtre seulement maintenant que le soignant non-psy réussira à faire accepter la co-présence d’un psy, et qu’ensemble, ils mettront au point ce programme ; les entretiens individuels sont plus ou moins investis par l’anorexique : parfois, ils demeurent une simple thérapie de soutien (qui permet peut-être déjà des réorientations sociales) ; dans d’autres cas, il y a investissement d’une thérapie beaucoup plus profonde. Parfois, dans ce contexte, l’anorexique demande même à être séparé de sa famille (en « kot »... en appartement protégé... à l’hôpital psychiatrique) mouvement que l’on doit s’efforcer de soutenir avec réalisme, en en comprenant les enjeux, sans se précipiter. 2. Dans d’autres cas, plus défavorables, on doit s’en tenir à des rencontres de groupe familial, parfois même l’anorexique ne veut plus y venir et on doit travailler à travers sa famille d’origine ou/et actuelle. c). Quelle que soit l’évolution de ces entretiens de réflexion, un anorexique est toujours susceptible de se mettre en danger, par une perte dramatique de poids entraînant un risque vital. Il doit donc toujours rester sous contrôle d’un médecin (de préférence son généraliste). Si le poids descend en dessous d’une limite dangereuse, il faut l’hospitaliser (en pédiatrie ou médecine interne s’il y a consentement ; sinon, s’en référer à la loi de protection du malade mental). L’hôpital assure une ambiance de dédramatisation, une vie sociale avec les autres malades et permet une intensification des thérapies de soutien et autres. On peut aussi prendre sans trop discuter, les mesures nécessaires pour que le corps soit de nouveau en sécurité, en recourant éventuellement à l’alimentation parentérale (sonde gastrique). III-2-7 d) Bien que notre position fondamentale soit accueillante vis-à-vis du behaviorisme, à des éléments duquel nous recourons à l’occasion, nous sommes sceptiques quant à l’efficacité de son utilisation dans le domaine de l’anorexie : ici, le « désir de ne pas manger » est tellement fort que nous ne croyons pas qu’il puisse rapidement, profondément et stablement, se transformer en un accord de principe sur un programme comportemental de meilleure alimentation. Par contre, le behaviorisme peut rendre service, à propos de chapitres connexes de la vie (meilleure socialisation, sortie progressive de la famille). e) On propose parfois des antidépresseurs (les SSRI sont mieux supportés ; éviter le Prozac ® qui est anorexigène) surtout si la composante dépressive est importante. Dans les cas graves, avec épuisement, il faut vérifier préalablement qu’il ne se soit pas installé de troubles de la conduction cardiaque surtout pour tricycliques). 2.2. La Boulimie Elle se rencontre tant chez des personnes obèses que chez des personnes de poids normal ou encore en alternance avec l’anorexie. Pour calmer son angoisse ou surmonter une contrariété, la patiente (9/10èmes sont des femmes) absorbe de grandes quantités de nourriture en un temps très bref. L’accès boulimique survient quand la personne est seule chez elle : elle consomme massivement des aliments glucidiques ou lipidiques (chocolats, pain, crèmes, chips...), puis se fait vomir et s’endort apaisée. Souvent par après, la patiente souffre d’un intense sentiment de culpabilité ou de dégoût de soi-même. Outre les vomissements, elle pourra essayer de contrôler sa boulimie par la prise d’anorexigènes amphétaminiques, de laxatifs, voire de diurétiques. Les complications somatiques fréquentes en résultent : déchirures oesophagiennes, troubles électrolytiques (hypokaliémie) ou cardiaques. A plus long terme, la dépression ou l’abus de psychotropes (amphétamines, BZD, alcool...) peuvent aggraver la situation. Le traitement est à la fois symptomatique (éviter les régimes impossibles), antidépresseur, et psychothérapeutique (individuel ou de groupe). Il existe aussi des mouvements d’entr’aide (self-help : « les outremangeurs anonymes »). III-2-8 2.3. La frénésie alimentaire Ou hyperphagie incontrôlée (Binge Eating Disorder : B.E.D.) 2.3.1. Prévalence : - 20 % des obèses adolescents et adultes - Trois femmes pour 2 hommes 2.3.2. Description : - obésité plus importante - difficultés psychologiques accrues : obésité mal acceptée, - association fréquente avec des troubles de la personnalité : border-line, personnalité problématique antisociale - tentatives répétées de régimes restrictifs : comportement alimentaire coercitif (restraint theory) - difficultés dans la socialisation : familiale, professionnelle, élargie (interpersonnal fragility) 2.3.3. Intervention thérapeutique : - médicale / diététique - psychologique individuelle - familiale / conjugale / sociale Remarque : A côté de ces trois principales catégories, il faut aussi noter l’existence de comportements alimentaires anormaux, certains aberrants, plus ou moins bien définis tels que : • l’hyperphagie prandiale décrit le tableau du gros mangeur, bon vivant, surtout chez l’homme. Le repas est source de plaisir et de convivialité. Les repas de famille ou de travail influencent cette conduite. D’après Kerneis (1986), de nombreuses obésités se développent dans ce contexte. Une intervention chirurgicale peut être indiquée (anneau gastrique ou by-pass). • L’alimentations par grignotage, encore appelée « chaos alimentaire » ou anarchie alimentaire est caractérisée par l’abandon partiel ou total des repas socialisés, remplacés par de prises alimentaires allant par petites quantités et à des intervalles irréguliers. Ce phénomène n’est pas rare surtout chez la femme et les adolescents et a habituellement pour fonction, consciemment ou inconsciemment, de lutter contre l’ennui, la nervosité et l’anxiété. Ce type d’alimentation peut se traduire ou non par un III-2-9 poids anormal. Il est le propre tant des anorexiques que de certains obèses ou encore d’individus de poids normal. Si ce comportement devient compulsif, stéréotypé, il révélera une conduite névrotique pathologique, justifiant d’une aide psychothérapeutique. On le retrouve parfois, de façon obsédante et impulsive, dans des grignotages nocturnes. • Le Night eating syndrome ou syndrome d’alimentation nocturne, décrit par Stunkard en 1955, consiste en un besoin impérieux de manger au cours de la nuit. Le sujet se réveille régulièrement au milieu de la nuit et ne peut se rendormir qu’après avoir absorbé une copieuse collation, souvent ingurgitée dans un demi-sommeil. Le lendemain matin, il ne lui reste que des souvenirs imprécis de ce qu’il aura consommé durant l’épisode nocturne (excès glucidique ou abus de somnifères désinhibants). Tableau de synthèse des troubles alimentaires Anorexia nervosa Dénomination Bulimia nervosa Anorexie mentale Binge Eating Disorder Boulimie Hyperphagie boulimique courante Jeüne et Troubles du alimentaire comportement Crise alimentaire (boulimies) prédominants par restriction Crise (boulimies) d’hyperphagie par des volontaires d’hyperphagie Crises des compensées volontaires d’hyperphagie compensées (boulimies) alternant ou non vomissements avec ou des périodes de autres restrictions alimentaires vomissements méthodes d’annulation ou autres Absence de mesure régulière méthodes d’annulation Maigreur pathologique Etat pondéral d’annulation Poids fluctuant souvent Surcharge normal obésité, pondérale poids ou souvent fluctuant Trouble du comportement Ne fait surtout parler d’elle Ne Intérêt scientifique alimentaire reconnu de que depuis les années 80 longue date suscite des chercheurs que depuis les années 90 III-2-10 l’attention REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Bruch H. Conversations avec des anorexiques Payot, 1990 Bruch H. Les yeux et le ventre : l’obèse et l’anorexique Payot, 1975 Revue « Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence » ; numéro à thème « Les troubles des conduites alimentaires », mai-juin 1993 Rodrigue V. La peau à l ‘envers ou le roman vrai d’une boulimique. Press Pocket 1989 Van den Broucke, Vandereycken W., Norré J. Eating disorders ans marital relationships Routledge, 1997 Flament M., Jeammet Ph., La Boulimie, réalités perspectives Ed. Masson, 2000 III-2-11 3. LES TROUBLES SEXUELS 2012 « Quand deux êtres s’étreignent, ils ne savent pas ce qu’ils font; ils ne savent pas ce qu’ils veulent; ils ne savent pas ce qu’ils cherchent; ils ne savent pas ce qu’ils trouvent ». P. Ricoeur. 3.1 INTRODUCTION Par sexualité, on entendra ici plus que la fonction génitale. Elle désigne aussi la manière dont les individus se situent par rapport à leur identité (image du soi et du corps) et par rapport à la différence (l’autre en tant que sexué) et agissant en conséquence dans la société, famille et le couple. 3.1.1. La sexualité : entre nature et culture. Les troubles sexuels peuvent être présentés et départagés en : 1. Les dysfonctions sexuelles chez l’homme et chez la femme, ce sont des modifications psychophysiologiques du déroulement de la réponse sexuelle (troubles du désir, de l’excitation et de l’orgasme). Elles concernent la sexologie et la médecine psychosomatique. (II) 2. Les déviations d’ « objets » qui ne sont plus considérés comme perversions : la masturbation et l’homosexualité. (III) 3. Les paraphilies, anciennement déviation sexuelle ou perversion sexuelle. Ce sont des déviations du but de la pulsion sexuelle ou d’objets, elles sont du domaine de la psychiatrie, voire de la justice. (IV) 4. Les troubles de l’identité sexuelle et le transsexualisme. (V) Au-delà de cette nosographie, ces troubles doivent impérativement être relus en fonction d’un modèle relationnel et contextuel L’analyse de la réponse sexuelle met en évidence des articulations anatomophysiologiques précises, celles des systèmes nerveux, endocriniens, vasculaires et musculaires. Simultanément, les apprentissages familiaux et sociaux, les sentiments positifs et négatifs, les valeurs, la relation entre les partenaires (amour…, déception, rancœur, …) viennent aussi permettre la réponse sexuelle ou l’inhiber. On se trouve ainsi face à un gigantesque système de rétroactions bio, psycho et motivosociologiques, (à bien sûr multiplier par deux quand on considère le couple). Sexualité, médecine et psychologie Le schéma de la réponse sexuelle Modifications possibles ou non A l’état physiologique L’information sensorielle Acquiert une signification motivante - ou non en se référant: Ce qui influence : •La modulation des réactions physiologiques •le comportement émotionnel Stimuli • • • • • • pensées touchers fantasmes sons, mots images odeurs Aux • apprentissages • conceptions • valeurs • expériences passées Enrichissement possible ou non 3.1.2. Ici nous devons regretter un désintérêt relatif du monde tant médical que psychiatrique pour les difficultés sexuelles. Le désintérêt de la plupart des médecins vient sans doute de plusieurs facteurs: l’incompétence (les cours de sexologie ne sont guère développés), un sentiment d’inutilité ou de recherche de technicisation (la thérapeutique sexologique étant insuffisamment connue) et l’alibi d’un respect de l’intimité et de non-intrusion dans la vie privée des patients. Il s’agit bien d’un alibi car, si nous prenons un peu de recul, combien d’interventions et de thérapeutiques médicales n’entrentelles pas directement dans la sexualité de nos patients: prescription banalisée de contraception, fécondation in vitro, mammectomie, chirurgie de l’utérus, de la prostate, prescription de nombreux médicaments ayant une interférence avec la fonction sexuelle... III-3-1 Quant aux psychiatres, ils sont souvent plus à l’aise avec les pulsions sexuelles qu’avec la sexualité actuelle et réelle de leurs patients. En effet, la psychanalyse a centré son objet d’étude sur l’énergie libidinale et son rôle constitutif dans l’élaboration de la personnalité plutôt que sur une approche pragmatique des difficultés sexuelles. Insistons cependant sur l’apport inestimable de la théorie psychanalytique. En effet, une telle dimension éclaire la conflictualité constitutive de la sexualité, le jeu dialectique entre désir et interdit, entre l’acte et sa signification imaginaire qui nous renvoie à la dialectique fondamentale de l’existence: le bien et le mal, le plaisir et le déplaisir, la vie et la mort, … Quelques praticiens encore fort peu nombreux se sont spécialisés en sexologie. La sexologie, science jeune, doit constamment regrouper et intégrer des approches aussi différentes que la médecine, la psychologie, la sociologie, la sociologie, l’éthique, l’art, la poésie,… Sans être sexologues, tous les médecins et psychologues devraient être en mesure de procéder à une anamnèse sexologique et d’y apporter une écoute bienveillante tout en réalisant une analyse adéquate de la demande. La demande est souvent masquée, confuse, intriquée à des symptômes physiques (fatigue, insomnies, douleurs chroniques, ...), aux conflits conjugaux ou à des plaintes de solitude... (personne âgée). Il apparaît que les dysfonctions sexuelles sont très fréquentes et souvent corrélées à une baisse de la qualité de vie. Une étude du JAMA1 évalue la prévalence des dysfonctions sexuelles de 10 à 52% chez les hommes et de 25 à 63% chez les femmes (population étudiée entre 18 et 59 ans). 3.1.3 Du « normal » et « pathologique » En sexologie, ce que la majorité des gens qualifie de « normal » (sexuellement correct) recouvre les réactions généralement rencontrées pour la moyenne de la population. Nous voyons donc qu’il s’agit d’une normalité toute relative (chaque être humain, chaque couple est unique) mais il est important de connaître les bases scientifiques et statistiques de la sexologie pour ne pas projeter sur nos patients notre propre sexualité comme modèle de normalité. Plus que dans tout autre trouble, la question de la normalité fait référence à des normes socio-culturelles. Remarquons que notre société envoie en ce domaine des doubles messages. D’un côté, elle se donne une image de libération sexuelle et de jouissance matérielle mais de l’autre côté, elle promeut des idéaux (de performance, de quantité, de pensées concrètes…) qui ne favorisent pas une sexualité épanouie (faite de détente et d’intimité vraie qui nécessitent un investissement dans les valeurs relationnelles). De plus, l’émergence du virus du sida fait planer une menace sur la sexualité et les comportements amoureux. Symboliquement, dans l’imaginaire collectif, même dans des populations théoriquement « non-à-risque » (absence de toxicomanie, d’homosexualité et de partenaires multiples), la sexualité devient une menace et l’amour implique un danger de mort. Le clinicien confronté aux critères de normalité devra donc au maximum renvoyer les patients à la notion de « normalité intérieure » ou mieux de liberté intérieure qui leur est propre, dans leur couple et leur contexte de vie. Risquons-nous, quand même, à une définition prudente de la sexualité « normale » en nous appuyant sur trois critères : 1. une tension vers le bonheur, voire un plaisir, 2. un sentiment de sécurité, 3. une augmentation de l’estime de soi ou en tout cas une non nuisance à la santé. Nous le voyons, ces critères éliment toutes les pratiques perverses ou celles où un partenaire est non consentant ou à un âge où il n’a pas atteint sa maturité sexuelle. 3.1.4 Historique de la sexologie Citons des grands pionniers de la sexologie. A) Freud, bien qu’il considère la sexualité comme étant au service de la reproduction, en a élargi le cadre rigide, présentant la libido comme une énergie fondamentale à tout être humain. Surtout, il a osé parlé de sexualité de façon scientifique et non plus moraliste. Cependant, certaines de ses théories sont fort contestées, notamment celles concernant la sexualité féminine qu’il maintient dans un lien de comparaison perdante avec celle de l’homme (position compréhensible vu sa fonction d’homme à son époque dans une société bourgeoise). B) L’apport majeur du biologiste Alfred Kinsey (1894-1956) dans la connaissance de la réponse sexuelle consiste en « la conviction... que les faits sexuels peuvent et doivent être étudiés comme tout autre phénomène humain ». C’est cette conviction qui l’amena, avec ses collaborateurs, à rencontrer en entrevue quelques 18.000 individus de tous âges. De ces études, ils tirèrent deux rapports: le comportement sexuel de l’homme (1948) et le comportement sexuel 1 JAMA . February 10, 1999 – Vol 281, n° 6 ; p.537-5 44 III-3-2 de la femme (1953) qui servent, encore aujourd’hui, de documents d’appui et font de Kinsey le père de la sexologie statistique et scientifique. Ces ouvrages ont fait connaître les comportements sexuels des gens et, par le fait même, ont servi à déloger des tabous tout en normalisant certaines pratiques, notamment celle de la masturbation que l’on retrouve chez une très forte proportion d’individus. C) Le gynécologue William Masters (1915-2001) et la psychologue Virginia Johnson (1925-), s’ils ont pris la relève de Kinsey, l’ont fait d’une toute autre manière. En effet, alors que Kinsey se servait de questionnaires et de longues entrevues, Masters et Johnson, en plus d’entretiens relatant les histoires personnelles et sociales, ont utilisé l’observation directe en laboratoire. Ils voulaient connaître les réactions sexuelles au niveau physiologique et en dégager les similitudes et les différences entre les hommes et les femmes. Ces recherches à partir des données obtenues, ont permis de rectifier certains mythes. En particulier ils ont réhabilité l’orgasme clitoridien, considéré comme névrotique par Freud. Par la suite, Masters et Johnson ont créé un modèle thérapeutique original des difficultés sexuelles effectué en thérapie brève, conjugale, avec deux thérapeutes de sexe différents. L’efficacité étonnante de ces thérapies a ainsi donné ses lettres de noblesse à la sexologie clinique. D) La psychiatre psychanalyste Helen Singer Kaplan a affiné le modèle de Masters & Johnson par deux aspects. D’une part elle a montré l’importance de la phase du désir, d’autre part son approche multi-modale combine les aspects biologiques et les techniques psycho-dynamiques, behaviorales et relationnelles. 3.2. LES DYSFONCTIONS SEXUELLES 3.2.1. Etiopathogénie : La majorité des dysfonctions sexuelles sont multifactorielles, on peut cependant les classer selon la causalité principale : ß organique ou fonctionnelle lorsque la cause première est physiologique. Dans cet ordre, on trouve les problèmes engendrés par les atteintes aux systèmes nerveux, circulatoire, endocrinien ou musculaire et par les médicaments. On estime à ce jour que les dysfonctions d’origine organique représenteraient 25 à 40 % de l’ensemble des difficultés sexuelles (Beltrami et Couture, 1988); ces pourcentages varient fortement selon les points de vue et spécialités des chercheurs. ß psychogénique lorsque la cause première est psychologique, d’ordre émotif ou cognitif. Selon Kaplan, l’anxiété est la cause première de la grande majorité des dysfonctions sexuelles. Cette anxiété n’est pas toujours consciente ni exprimée : « c’est à un niveau inconscient que la réponse sexuelle peut prendre une signification symbolique dangereuse » (Kaplan 1975, p.14). On peut relever un manque d’information ou d’apprentissage, des troubles relationnels avec les parents dans la petite enfance, des premiers rapports sexuels mal vécus ou vécus dans la violence. ß relationnelle lorsque la difficulté est induite par la relation ou qu’elle n’existe pas en tant que réponse solitaire ou avec une autre personne. Masters et Johnson (1971) soutiennent que la dimension relationnelle est toujours présente (conflit de pouvoir, frustration ou hostilité non-exprimées), soit au niveau de la cause, soit dans le maintien de la dysfonction. Outre la dimension conjugale, on considérera aussi les dimensions familiale et socio-professionnelle. ß d’origine sexuelle lorsque la difficulté est secondaire à une autre dysfonction ou à un trouble de la sexualité (ex. un trouble du désir secondaire à une éjaculation précoce). Le problème sexuel est fréquemment psychosomatique, l’élément corps/esprit étant dans une relation circulaire très étroite (Benghozi, 1989; Kaplan, 1975), on a tout intérêt à considérer le patient dans son équation globale. Contrairement à la médecine classique, la causalité en sexologie est souvent circulaire, chaque étiologie retentissant sur une autre pour enfermer le patient dans un cercle vicieux. Exemple de causalité circulaire Même si un trouble sexuel a une origine organique évidente, il y aura toujours un retentissement psychologique et vice versa : une étiologie psychologique pourra entraîner à la longue, par l’abstinence sexuelle, des désordres hormonaux et anatomiques qui aggraveront les choses. Diabète Angoisse/ Dépression Impuissance III-3-3 Neuropathie Selon la modalité d’apparition, on peut également qualifier la dysfonction de : ß primaire lorsque la difficulté sexuelle a toujours été présente; ß secondaire ou acquise lorsque le fonctionnement, qui était adéquat, devient perturbé à la suite d’un événement traumatisant ou de situations anxiogènes (deuil ,stress professionnel, pension, …); ß totale lorsqu’elle est présente en tout temps; ß partielle lorsqu’elle n’apparaît qu’à un rythme irrégulier (elle doit concerner plus d’un rapport sur quatre pour être considérée comme pathologique); ß généralisée lorsqu’elle est présente dans toutes les situations; ß situationnelle lorsque pour être présente, elle a besoin de circonstances spécifiques ou d’un partenaire précis; 3.2.2. Description clinique des dysfonctions sexuelles Rappelons ici le déroulement complet de la réponse sexuelle qui est subdivisé en phases : Trajectoire des réactions sexuelles au cours de l ’activité sexuelle Orgasme Réactions sexuelles femme homme résolution Excitation Phase réfractaire Désir ¾ Désir = fantasmes et préliminaires. ¾ Excitation : sensations subjectives de plaisir sexuel et modifications physiologiques correspondantes. ¾ Orgasme : acmé du plaisir sexuel et relâchement de la tension sexuelle. ¾ Résolution : sentiment général de .2.2relâchement et de bien-être, détente .musculaire. Temps C’est dans cet ordre séquentiel (désir, excitation, orgasme), que nous décriront les différentes dysfontions. On devra y ajouter, chez l’homme et la femme, la dyspareunie (relation sexuelle douloureuse) et, chez la femme, le vaginisme (contraction involontaire des muscles lisses du vagin). RESUME DES TROUBLES SEXUELS LES PLUS FREQUENTS 1. Phase de désir 2. Phase d’excitation (préliminaires) 3. Orgasme 4. Douleurs Le désir (libido) est diminué ou absent : le patient constate ou déplore son « manque d’envie » (dépression, poids de tabous … ou problème de couple). 1) ß Homme : défaut ou absence d’érection = impuissance. 2 a) ß Femme : absence d’excitation. 2 b) ß Homme : éjaculation précoce. 3 a) ß Femme : anorgasmie (frigidité). 3 b) Dyspareunie (douleurs pendant les relations sexuelles). 4.) ß Rare chez l’homme (hypochondrie). ß Fréquente chez la femme. III-3-4 Symptômes communs : au stade de la consultation (= demande d’aide), la majorité des personnes qui consultent pour une insatisfaction dans leur vie sexuelle se sentent mal à l’aise, dévalorisées et anxieuses. Cette anxiété a déjà souvent majoré le trouble sexuel de départ. Il s’agit de l’anxiété de performance et de son corollaire, la peur de l’échec. Cellesci engendrent une « auto-observation » que Masters et Johnson (1971) ont appelé le « rôle du spectateur ». S’installe alors le cercle vicieux suivant: plus la personne se demande si elle va réussir (ex.: à maintenir son érection), plus elle se rend compte qu’elle est en train de décrocher de l’activité et donc d’échouer. Si l’individu ainsi a du mal à s’abandonner et à ré-investir émotionnellement la rencontre sexuelle, on arrive à une impasse. De plus, la personne qui vit une difficulté sexuelle est hypersensible aux réactions de l’autre, ce qui a un impact sur sa peur du rejet, de l’abandon ou sur son sentiment de culpabilité. Pour couper cette escalade de renforcements, une prescription classique en sexologie est l’abstinence jusqu’à la prochaine consultation. Ces symptômes communs sont présents dans toutes les dysfonctions. Ils ne seront donc pas repris d’une façon systématique dans la revue des troubles sexuels les plus fréquents. A. Troubles du désir chez l’homme et chez la femme Le désir peut être défini par le fait d’anticiper dans l’imaginaire un plaisir escompté dans la réalité. Il y a donc deux sources, l’interne, c’est le fantasme et l’externe, c’est l’objet réel du désir, le désirable. Pour qu’il y ait anticipation dans l’imaginaire d’un plaisir, il faut qu’il y ait eu des expériences (réelles ou imaginées) de satisfaction qui s’inscrivent dans la mémoire et permettent l’anticipation mnésique : c’est la mémoire désirante. Les personnes atteintes d’un trouble du désir peuvent avoir un rapport sexuel complet mais il sera vécu de façon mécanique, dans l’ennui, voire le dégoût. LES TROUBLES DU DESIR PAR DEFAUT : L’inhibition du désir sexuel ou IDS Tout le monde connaît des périodes de baisse de désir. Le manque de désir s’inscrit dans un phénomène cyclique qui est physiologique pour autant qu’il ne s’inscrive pas dans une trop grande chronicité. Exemple bien connu : la grossesse et la naissance du premier enfant sont des étapes parfois difficiles et délicates sur le plan du désir. La femme, en devenant une mère, peut en oublier son rôle de femme, bien aidée en cela par le climat hormonal per et post-partum. Cette perte de désir de la femme dans la période du postpartum peut correspondre à la période de « blues » que connaissent les accouchées et à la période de réparation des tissus sans que cela soit anormal. Cependant, la femme peut, pour différentes raisons, s’enfermer dans le cercle vicieux du non-désir. Cette période de la vie du couple marque alors le début des difficultés sexuelles par perte de désir de la femme. Dans le DSM IV, ce trouble est repris sous la rubrique suivante : (302.71) Trouble : baisse du désir sexuel A. B. C. Déficience (ou absence) persistante ou répétée de fantaisies imaginatives d'ordre sexuel et de désir d'activité sexuelle. Pour faire la différence entre déficience et absence, le clinicien doit tenir compte des facteurs qui retentissent sur le fonctionnement sexuel, tels que l'âge et le contexte existentiel du sujet. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles. La dysfonction sexuelle n'est pas mieux expliquée par un autre trouble de l'Axe 1 (à l'exception d'une autre dysfonction sexuelle) et n'est pas due exclusivement aux effets physiologiques directs d'une substance (c.à.d. une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou d'une affection médicale générale. ) En ce qui concerne le point C, nous attirons l’attention de l’étudiant sur le fait que la perspective psychosomatique proposée dans ce cours prend également en considération la souffrance du trouble sexuel provoqué par des maladies organiques ou des médicaments (exclus par le point C du DSM IV). Cette remarque prévaut pour les autres troubles décrits ultérieurement. La plainte majeure de la personne inhibée est « je voudrais avoir le goût » mais je ne l’ai pas. Cette situation peut entraîner des comportements d’évitement secondaire surtout dans les couples ou il n’y a pas de communication franche. C’est le classique : « pas ce soir mon chéri, j’ai mal à la tête ». On utilise souvent la fréquence diminuée comme mesure d’un manque de désir. Il s’agit d’un indice tout relatif. Toutefois, Beltrami & Couture soutiennent qu’un désir de III-3-5 contacts sexuels à moins d’une fois par mois dans un couple stable donne une forte indication d’une IDS. C’est bien sûr la souffrance d’un partenaire ou des deux qui sera le point d’appel définitif. Epidémiologie de l’IDS. Cinquante pour cent des consultations des sexologues concernent l’IDS et ils notent au fil du temps une augmentation progressive de cette plainte avec une majorité de femmes (Hirsch). Cependant, de plus en plus d’hommes la signalent maintenant, ce qui dénonce ainsi le fameux mythe selon lequel « un homme a toujours le goût et est toujours prêt ». Diagnostic différentiel de l’IDS Le diagnostic différentiel le plus important à poser est celui d’une dépression (Trouble dépressif majeur ou dysthymie). Il est impératif de distinguer une perte de désir concernant la seule sphère sexuelle d’une perte généralisée d’intérêt et de perceptions de plaisir dans d’autres sphères de la vie. Il faudra donc rechercher les autres symptômes de la dépression, souvent « masquée ». Etiologies organiques de l’IDS Rappelons le support biologique du désir : Testostérone Prolactine Œstrogènes Progestérone Dopamine Sérotonine = hormone du désir = hormone hypophysaire anti-désir = positifs pour le désir de la femme. = hormone plutôt anti-désir = neurotransmetteur de l’activation aspécifique, spécifiée sur le plan sexuel par la testostérone et la LHRH = hormone de la satiété Toutes les maladies asthéniantes peuvent entraîner une fatigue sexuelle, en particulier les désordres hormonaux (hypotestostéronémie, hyperprolactinémie,…) Il y a de multiples médicaments qui peuvent agir sur la sexualité mais jamais à 100 % sur tous les patients. Ici aussi, la sensibilité individuelle est parfois étonnante. Citons : les anti-androgènes, les anxiolytiques à fortes doses, les neuroleptiques, les bétabloquants, les antihypertenseurs centraux, les diurétiques, les antiH2 (médicaments de l’ulcère gastrique), … et paradoxalement certains antidépresseurs (SSRI, …) et les pilules contraceptives. Etiologies psychosociales de l’IDS. 1) Socio-professionnelle : le surmenage, la fatigue, les soucis professionnels, des problèmes d’argent, le chômage, une retraite non-préparée, … peuvent, via les réactions physiologiques du stress et/ou via les cognitions hypersollicitées par les préoccupations concrètes, causer une perte de désir. Le premier traitement en sera d’abord une prise de conscience par le sujet et son partenaire. 2) Familiale large : être préoccupé par de nombreux enfants, leurs problèmes scolaires, ou par des parents âgés, leurs problèmes de santé, interfère avec la sexualité, surtout si un ou les deux membres du couple ont hyperinvesti leur fonction parentale ou filiale. Ces problèmes peuvent être ponctuels ou plus chroniques dans les familles à transactions psychosomatiques (fusionnelles, avec difficultés de différenciation). Le traitement impliquera un travail de différenciation du couple conjugal. 3) Conjugale : ß Les conflits, déclarés ou non, sont à la fois cause et effet de la baisse de désir. La sexualité peut alors devenir le champ de bataille du couple, les difficultés sexuelles permettant de faire l’économie de l’expression verbale des conflits. ß La monotonie : la monotonie quotidienne peut enfermer certains couples dans l’indifférence sexuelle. Confrontés à l’usure du quotidien, les couples peuvent être entraînés dans un déconditionnement érotique si, par exemple, l’un des partenaires « se laisse aller » ou si les rapports sexuels sont stéréotypés. 4) Personnelle : Les conflits personnels, profonds ou superficiels, s’expriment au travers de l’angoisse voire la culpabilité vis-à-vis de la sexualité. Ainsi en va-t-il de la peur de l’intimité, de la peur de l’investissement affectif, de fixations œdipiennes, d’influences négatives d’une éducation rigide, d’une image corporelle négative, de réminiscences de traumatismes comme le viol, l’abus sexuel, le rapt, … III-3-6 Traitement Après un respect de la participation somatique (traiter la maladie diagnostiquée) ou iatrogène (changer la médication causale), le plus souvent ce sont des entretiens de remise en sens dans l’histoire personnelle et de recadrage dans l’organisation conjugale qui pourront relancer la dynamique et l’imaginaire amoureux et affectif. Cas clinique Jacqueline (J) et Pierre (P) n’ont plus de relations sexuelles depuis 2 ans. Ils consultent un thérapeute (Th). J : « Pierre ne veut plus jamais faire l’amour, je pense que je ne l’intéresse plus du tout » Th : « Qu’en pensez-vous monsieur ?» P: « Je ne sais pas ce qui ne va pas, j’aime Jacqueline mais je ne ressens plus rien de sexuel. Elle pense que j’ai une maîtresse. » Th : « Est-ce vrai monsieur ? » P: « Non, je n’ai d’intérêt sexuel pour personne » J : « Je voudrais divorcer » Th. : « Pourquoi ?» J : « Je ne supporte plus d’être rejetée ». P: reste béat. L’anamnèse révèle que pour Jacqueline (croyance subjective) un homme est toujours capable de « faire l’amour ». De plus, dans son histoire personnelle, on relève (histoire de vie) que son père a beaucoup trompé sa mère. Le relevé chronologique des événements de vie montre que Pierre a eu une promotion il y a deux ans. En fonction de sa grande exigence intérieure et des difficultés avec son patron et ses subordonnés, cette promotion a représenté un grand stress qu’il n’a jamais exprimé puisque à la question « Le saviez-vous, madame ?», J. répond « Non, pas du tout, je ne pensais qu’à une maîtresse, j’en parlais à ma mère et elle pensait comme moi. Elle me reparlait des infidélités de papa ». Il est bien évident que, dans ce cas-ci, avant d’entreprendre une sexothérapie, le traitement sera, pour monsieur, d’exprimer davantage ses sentiments en commençant par se plaindre des exigences de son patron à son épouse le soir, quant à madame, elle devra se débarrasser de ses mythes et croyances et prendre ses distances par rapport au destin de sa mère. B. TROUBLES DE L'EXCITATION SEXUELLE a) Troubles de l’excitation sexuelle chez l’homme. Les épisodes isolés de perte d’une érection au mauvais moment sont monnaie courante et universellement répandus. De tels épisodes isolés ne signifient pas obligatoirement qu’un homme est atteint d’une anomalie de la fonction sexuelle; ils peuvent représenter une forme passagère de stress physique (grippe, fatigue, abus de nourriture ou de boisson) ou peuvent être liés à d’autres problèmes tels que la tension nerveuse, le manque d’intimité ou la période d’adaptation à un nouveau partenaire sexuel. Si l’homme ne vit pas calmement de tels incidents et se sent profondément affecté par cet « échec » à fournir la « bonne » réaction physique, il prépare le terrain à des difficultés au cours des rapports sexuels ultérieurs du fait de son anxiété (anxiété de performance). Nous ne voulons pas retenir l’usage du terme « impuissance » car il risque d’étiqueter l’homme subjectivement dans d’autres domaines de la vie. (302.72) Trouble de l’érection chez l’homme = dysfonction érectile. A. Incapacité persistante ou répétée à atteindre, ou à maintenir jusqu'à l'accomplissement de l'acte sexuel, une érection adéquate (lubrification, intumescence). B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles. La majorité des difficultés érectiles sont secondaires: il s’agit du problème d’un homme qui après avoir vécu un fonctionnement adéquat devient incapable d’atteindre ou de conserver une érection suffisante pour permettre une pénétration. III-3-7 Etiologie: Toutes les étiologies mentionnées pour les troubles du désir peuvent être incriminées ici aussi mais on retiendra plus spécifiquement dans les étiologies organiques : diabète, sclérose en plaques, traumatisme lombo-sacré, chirurgie prostatique, médicaments, athérosclérose, toxiques divers (tabac, alcool, drogues)… La neurophysiologie fine et le processus de vascularisation érectile sont actuellement bien connus avec comme conséquence que les dysfonctions érectiles semblent être passées du champ de la psychiatrie à celui de l’urologie et de l’andrologie. C’est méconnaître que beaucoup d’ »impuissances » sont d’origine psychologique. On peut incriminer des causes personnelles, manque de confiance en soi, conflit œdipien et anxiété de castration (difficulté à se positionner par rapport à leur propre père et mère), éducation prohibitive, peur ou respect excessif de la femme (impuissance avec la femme aimée) mais aussi méconnaissance des techniques érotiques. Facteurs relationnels: on peut souvent constater un désinvestissement sensuel et érotique de la partenaire, tout comme la présence de très nombreux conflits non réglés. De façon générale, les réactions d’une femme face à la défaillance masculine sont très importantes et varient fortement. Elles vont de l’autocritique à l’intolérance « c’est ma faute, je ne lui plais plus suffisamment, je ne suis pas assez séduisante » jusqu’à « oh, pauvre chou, ce n’est pas si grave, ne te fais pas de souci » (le rôle tolérant et protecteur risque même d’augmenter l’atteinte à la virilité masculine mais aussi de maintenir le symptôme dans ses bénéfices secondaires). Un dysfonctionnement érectile peut aussi très bien convenir à la partenaire, être ainsi une manière de contrôler son homme: « il est très populaire mais je ne dois pas craindre qu’il aille voir ailleurs ! ». Les dysfonctions érectiles étant le plus souvent d’étiologie mixte (organique et psychologique), les entretiens doivent être menés avec délicatesse mais aussi avec une totale clarté sur les circonstances et le détail des situations sexuelles qui font difficulté. La persistance d’érection matinale, si elle n’est pas une mesure assurée est une bon indice qu’il s’agit d’une cause psychologique. Il est préférable cependant en tout temps de vérifier l’aspect organique à la fois dans une démarche diagnostique et dans une démarche de réassurance. Le patient a souvent peur d’une introspection psychologique trop rapide. Traitement : La thérapeutique idéale respecte l’influence réciproque des variables somatiques et psycho-sociales. Ainsi, dans le cas d’un dysfonctionnement érectile dit psychogène, un usage ponctuel d’auto-injections (Papavérine, Prostaglandine), ou mieux, de Sildénafil (Viagra) ou de Tadalafil (Cialis) peut se justifier s’il est associé à des entretiens de mise en sens et de prise de conscience corporelle. De même, un accompagnement psycho-sexuel du patient et de sa partenaire est souvent utile lors d’un dysfonctionnement érectile dit d’origine organique. Le traitement psychorelationnel des troubles de l’érection n’a pas toujours besoin d’un « starter » technique comme l’illustre le cas suivant : Cas clinique : Monsieur Z., 35 ans, consulte pour une impuissance apparue progressivement en quelques mois. Il a divorcé il y a 3 ans et après une période de dépression réactionnelle il va beaucoup mieux. Ces derniers mois, sa situation a évolué favorablement puisqu’il a eu une promotion professionnelle (il est ingénieur commercial de formation et il dirige maintenant une petite équipe). De plus, il a rencontré une jeune femme avec qui il a l’intention de refaire sa vie. Au début, leurs relations sexuelles étaient satisfaisantes mais depuis qu’ils vivent ensemble ça ne va plus. Un bilan organique a été pratiqué et est normal. Au cours des entretiens, il précise que lorsque tout va bien entre eux, les relations sexuelles sont tout à fait satisfaisantes mais que c’est après des altercations qu’apparaissent les manifestations d’érection instable qui interdisent toute pénétration. L’amie du patient supporte de plus en plus mal cette situation qu’elle vit comme une preuve de désamour. En fait, l’analyse des caractères nous montre que cette jeune femme a une très forte personnalité et que le patient émotif et inhibé n’ose pas s’opposer directement à elle. Chez ce patient, on est en droit d’interpréter les difficultés d’érection comme un langage non verbal. C’est un moyen inconscient de s’opposer à son amie, sa façon à lui de lui dire non, de la frustrer comme elle-même le frustre par son autoritarisme et son intransigeance. Le symptôme est donc la conséquence d’un conflit de pouvoir entre les deux protagonistes. Le symptôme de Monsieur Z. peut donc être considéré comme un compromis entre son désir de s’opposer à son amie et sa peur de l’affronter directement. La fonction du symptôme est ici de maintenir un équilibre au sein du couple mais on voit à quel prix et l’on voit aussi qu’une mauvaise solution à un problème devient le III-3-8 véritable problème. Pour aider le patient à guérir de son symptôme, il faudra tenir compte de cette signification. Le traitement aura pour but de diminuer la peur d’affrontement du patient par différentes techniques d’affirmation. Une fois cette peur jugulée, le patient peut exprimer son agressivité de façon verbale et n’aura donc plus besoin de son symptôme pour faire passer le message à sa compagne. Dans le cas présent, cette hypothèse a été confirmée par l’évaluation clinique puisque ayant pris conscience de la nature de l’enjeu le patient a appris progressivement à s’affirmer, ce qui s’est accompagné d’une disparition complète des troubles. b). Troubles de l’excitation sexuelle chez la femme. (302.72) Trouble de l’excitation sexuelle chez la femme A. Incapacité persistante ou répétée à atteindre, ou à maintenir jusqu’à l’acccomplissement de l’acte sexuel, une activité sexuelle adéquate (lubrification, intumescence) B. La perturbation est à l’origine d’une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles. Il s’agit d’une difficulté de lubrification cause ou conséquence de manque de désir. Une diminution normale de lubrification se retrouve pendant la période du post-partum et de l’allaitement et lors de la ménopause où la chute des œstrogènes peut entraîner une atrophie et une sécheresse vaginale. Dans les causes organiques, on retrouve également le diabète et des infections génitales rebelles et des mesures d’hygiène trop fréquentes (certaines femmes obsessionnelles font trop souvent leur toilette intime avec des produits asséchants). Dans les causes psychologiques et relationnelles, on retrouve la peur ou le conflit de la relation sexuelle ainsi que de mauvaises techniques excitatoires. Le traitement sera d’abord symptomatique: gelée hormonale, hormones si besoin, sexothérapie, éducation sexuelle, thérapie de couple, ... C.TROUBLES DE L'ORGASME a). Ejaculation précoce ou prématurée. Note : l’orgasme est assimilé à l’éjaculation chez l’homme. [302.751 Éjaculation précoce A. Trouble de l'éjaculation persistant ou répété lors de stimulations sexuelles minimes avant, pendant, ou juste après la pénétration, et avant que le sujet ne souhaite éjaculer. Le clinicien doit tenir compte des facteurs qui modifient la durée de la phase d'excitation sexuelle tels que l'âge, la nouveauté de l'expérience sexuelle ou du partenaire et la fréquence de l'activité sexuelle récente. B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles. L’éjaculation rapide peut revêtir plusieurs formes. Certains hommes ont des problèmes de contrôle autant lors des masturbations que des pénétrations. Certains ont le problème avec toutes les partenaires ; d’autres avec un type de partenaire. Certains éjaculent avant l’intromission; la majorité le font une minute ou deux après la pénétration. En fait, le sujet n’est capable d’éjaculer quand il le désire. Ce problème induit facilement une autre dysfonction et une perte d’estime de soi autant chez le sujet lui-même que chez sa partenaire. ß Les causes organiques possibles sont la consommation de drogues (amphétamines, hallucinogènes, cocaïne, nicotine), ou des causes locales (frein court , phimosis) mais le risque d’organicité de l’éjaculation rapide est très bas et ici une évaluation verbale est habituellement suffisante avant de commencer la thérapie. ß Les causes psychologiques les plus fréquentes sont: le problème le plus couramment rencontré est : ¾ la dysfonction primaire due à un manque d’apprentissage comme séquelle d’un comportement qui a été opportun mais qui ne l’est plus. Malheureusement, dans les causes psychologiques plus profondes le patient ne consulte souvent qu’après des années de déception au stade de résignation voire de répulsion de sa partenaire et n’est souvent diagnostiquée que de façon indirecte lors d’un trouble psychosomatique du patient ou de son conjoint. III-3-9 ¾ Dans la dysfonction secondaire, c’est-à-dire le trouble acquis, l’état de la conjugalité a vraiment besoin d’être cerné et nécessite que les deux partenaires soient rencontrés. Souvent une forte hostilité non reconnue déstabilise et déstructure le couple, le problème d’éjaculation n’est alors qu’un épiphénomène dans une dimension conjugale perturbée. Dans tous les cas, il faudra évaluer la maturité et la stabilité du couple pour dépister ses problèmes d’hostilité éventuelle mais surtout pour préparer l’épouse à être une co-thérapeute dans la sexothérapie, évaluer et susciter son envie de participer au traitement. Traitement: L’éjaculation elle-même n’est pas contrôlable. L’objectif vise à habiliter l’homme à une prise de conscience des sensations lors de l’excitation et à repérer la sensation prémonitoire d’éjaculation. Ce traitement comprend des exercices de respiration et de relaxation somatique pour dé-rigidifier les mouvements du bassins d’abord en solo puis si possible avec la collaboration de la partenaire. Ces exercices et changement de position sont bien sûr prescrits progressivement au cours de consultations de couple qui visent à améliorer la communication et l’expression de l’affection dans le couple. Exemple clinique de sexothérapie pour éjaculation précoce. Mr et Mme C., 25 et 26 ans, vivent ensemble depuis 6 ans. Au moment de la première consultation, l’épouse est réticente et dit se désintéresser quelque peu des relations sexuelles. Le mari, depuis plusieurs années, éjacule précocement. En réalité, au cours des derniers mois, l’éjaculation est de plus en plus rapide au point de se déclencher lors de la pénétration. On retrouve ici l’enchaînement « peur de l’échec » - « anxiété anticipatoire » - « aggravation de la problématique ». Le premier entretien eut pour objet essentiel d’obtenir l’acceptation de l’épouse de participer activement au traitement. La première étape des exercices à domicile consistait, pour elle, à pratiquer la technique de la pression (squeeze) à deux ou trois reprises avant de laisser aller l’éjaculation (le mari étant couché calmement sur le dos). Il était convenu qu’après avoir éjaculé, le mari s’occuperait d’elle jusqu’à ce qu’elle trouve l’orgasme, sans coït. Lors du second entretien (trois semaines plus tard), nous pouvions constater que l’épouse était réjouie du fait que son mari s’était occupé d’elle et qu’elle avait, à plusieurs reprises, obtenu du plaisir. Elle était acquise à l’idée de poursuivre le traitement dans les étapes ultérieures (passant par un coït avec pression du pénis...). En parallèle, le couple fut invité à s’exprimer davantage leur émotions, aller au cinéma (voir des films romantiques et érotiques) en parler ensemble, de reparler ensemble des premiers jours de leur amour, de retrouver des activités susceptibles de les faire rire. L’humour est contagieux et stimulant sexuellement. La thérapie fut un succès, le couple est arrivé à un contrôle satisfaisant de l’éjaculation. Ce cas illustre qu’à travers la prise en charge de l’éjaculation précoce, les partenaires sont bien souvent amenés à reconsidérer l’attention qu’ils se portent mutuellement, dans d’autres domaines que la sexualité aussi. b). Anorgasmie chez la femme. (302.73) Trouble de l'orgasme chez la chez la femme (auparavant Inhibition de l'orgasme chez la femme) A. Absence ou retard persistant ou répété de l'orgasme après une phase d'excitation sexuelle normale. Il existe chez la femme une grande variabilité dans le type ou l'intensité de la stimulation nécessaire pour déclencher un orgasme. Le diagnostic d’un trouble de l'orgasme chez la femme repose sur le jugement du clinicien qui estime que la capacité orgasmique de la femme est inférieure à ce qu'elle devrait être, compte tenu de son âge, de son expérience sexuelle et de l'adéquation de la stimulation sexuelle reçue. B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles. Beltramy et Couture en 1988 ajoutent trois critères importants: 1. une bonne entente dans le couple, 2. des préliminaires de plus de 20 minutes, 3. et une pénétration d’une durée de 10 à 20 minutes. Dans cette difficulté, la femme ressent l’intérêt sexuel, a une excitation satisfaisante mais n’arrive pas à l’orgasme. L’anorgasmie présente plusieurs formes et le vécu de la femme une diversité plus grande encore. Quelques femmes anorgasmiques prennent peu de plaisir aux relations sexuelles, les considérant comme une obligation inhérente au mariage ou un moyen de maintenir au minimum une relation. D’autres, au contraire, trouvent les relations sexuelles III-3-10 stimulantes et satisfaites. Par exemple: « je n’ai jamais eu d’orgasme mais je trouve que c’est agréable d’avoir des contacts physiques avec mon partenaire ». Un sentiment de complicité étant ce qu’elle recherche, le besoin est alors comblé. N’oublions pas que chez la majorité des femmes l’excitation psychologique et le climat affectif apportent plus de plaisir que les sensations purement physiques. Ce qui compte une fois de plus est de considérer le sentiment subjectif de la personne. L’orgasme est une éventualité, pas un devoir. Il faut aussi souligner que la stimulation par pénétration n’est pas toujours suffisante pour conduire à l’orgasme féminin. De nombreuses femmes ont régulièrement besoin de stimulations supplémentaires (comme par exemple une stimulation du clitoris). Malheureusement, certaines personnes croient que les « vrais » orgasmes coïtaux sont les seuls valables. Le partenaire masculin d’une femme anorgasmique peut réagir de façon différente. Il peut éprouver de la sympathie aussi bien que de l’inquiétude. Bien des hommes se tiennent pour responsable de l’absence d’orgasme de leur partenaire. Si le partenaire se considère comme le tuteur, l’entraîneur, il peut après quelques tentatives d’initiation se montrer impatient ou courroucé. D’autres se résignent passivement. Etiologie(s) Le risque d’organicité de la dysfonction orgasmique féminine est très bas. Une évaluation verbale est actuellement suffisante avant de commencer la thérapie. On s’assurera quand même de l’absence de maladie comme la sclérose en plaques, le diabète, d’autres affections hormonales et on s’assurera sans urgence que la femme soit vue épisodiquement en consultation gynécologique. Les causes psychologiques font allusion à une éducation répressive et puritaine, à un manque de connaissance de son corps et une pauvreté ou une absence de la fantasmatique, un besoin de contrôle (difficulté à s’abandonner), un excès de romantisme (attente d’un prince charmant édulcoré)…. Les causes relationnelles sont évidemment toujours intriquées, une hostilité ou un jeu de pouvoir envers le partenaire. Notons le couple caricatural dans sa dynamique éjaculation rapide du partenaire et anorgasmie de la femme. TRAITEMENT La thérapie suivra la cause principale et l’on proposera à nouveau différents types de psychothérapie de préférence avec le conjoint, des exercices de relaxation et de sensibilisation corporelle, des exercices de Kegel (prise de conscience des muscles du périnée qui peuvent être contractés plusieurs fois par jour). Avec des techniques spécifiques, la plupart des sexologues obtiennent des succès thérapeutiques chez 90% des femmes qui présentent une anorgasmie primaire totale. Elles réussissent à atteindre l’orgasme dans une session thérapeutique relativement courte. Par contre, le pourcentage de réussite de l’anorgasmie avec partenaire est plus variable et on comprendra qu’elle dépend de la relation interpersonnelle et de la motivation du couple à améliorer leur vie relationnelle. D. TROUBLES SEXUELS AVEC DOULEUR (DYSPAREUNIE). (302.76) Dyspareunie (non due à une affection médicale générale) A. Douleur génitale persistante ou répétée associée aux rapports sexuels, soit chez l'homme, soit chez la femme. B. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles. ¾ Chez l’homme. La douleur lors du rapport sexuel d’origine psychologique est rare chez l’homme et il faudra rechercher une cause organique: infection ou maladie du pénis (phimosis, frein trop court, maladie de la Peyronie, prostatite,...). ¾ Chez la femme C’est le rapport sexuel douloureux. La douleur apparaît soit au début du rapport, soit au cours, soit à la fin. Ici, on entre très vite dans un cercle vicieux, la peur de la douleur entraîne une peur de la sexualité, ce qui met la femme sous tension, diminue son plaisir sexuel et donc augmente la douleur. Etiologie: il faudra éliminer une cause organique possible (infection vulvaire, vaginale ou du clitoris, cicatrice d’épisiotomie, d’hystérectomie, inflammation pelvienne,...). Souvent le problème de douleurs reste présent alors que la cause initiale a disparu. La dyspareunie chez la femme est souvent d’origine uniquement psychologique ou psychosomatique et correspond à une conversion de conflits sexuels et de culpabilité. III-3-11 Les causes sexuelles sont possibles aussi. Dyspareunie secondaire à un vaginisme, à une insuffisance de lubrification ou à une technique sexuelle abusive. L’outil le plus important pour différencier une dyspareunie d’origine psychologique d’une autre d’origine physique est la revue détaillée de la douleur, ses caractéristiques, sa localisation et ce qui la soulage. Une absence de manifestations de tendresse de la part des parents est souvent relevée dans l’enfance. Une attention à la réponse habituelle de cette personne devant la douleur en général permet d’autre part de mieux situer son fonctionnement (céphalées, lombalgies, autres plaintes générales). Le vaginisme. (306.51) Vaginisme (non dû à une affection médicale générale) A. B. Spasme involontaire, répété ou persistant, de la musculature du tiers externe du vagin perturbant les rapports sexuels. La perturbation est à l'origine d'une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles. Le vaginisme peut être primaire ou secondaire à un traumatisme comme il peut être global ou situationnel à l’intromission pénienne alors qu’un tampon peut être inséré. Certaines femmes présentent d’autres dysfonctions sexuelles mais plusieurs ont une réponse sexuelle très adéquate lorsque la pénétration est hors de cause. Seule la pénétration est difficile, douloureuse, voire impossible. En clinique, il faut bien insister sur le fait que les spasmes sont involontaires en réponse aux tentatives de pénétration vaginale. Le partenaire peut en effet s’étonner que la patiente puisse accepter des tampons hygiéniques ou un examen au spéculum. Etiologie: si des causes organiques sont possibles, l’immense majorité des causes est d’ordre psychologique notamment ambivalence envers la sexualité ou la grossesse et difficulté à se situer par rapport au partenaire. Traitement: même si des causes inconscientes profondes sont certainement en jeu, le traitement du vaginisme est aussi local agissant sur le symptôme: dilatation graduel de l’entrée vaginale par la femme elle-même à l’aide d’un doigt, puis 2 doigts, puis 3 doigts ou à l’aide de dilatateur de diamètre croissant (bougie de Heggar). Ces exercices se font d’abord en imagination dans un climat de relaxation. Si le partenaire peut participer directement à ces séances de dilatation, l’intimité et la complicité dans le couple bien sûr ne pourront qu’être augmentées. Comme dans tout problème de tension musculaire, paradoxalement on demandera à la patiente de serrer le doigt ou la bougie de Heggar; ce n’est qu’en contractant les muscles que l’on peut avoir conscience de leur existence Malgré la particularité et la sévérité de ce symptôme focal, dans la grande majorité des cas, cette difficulté répond très bien à un traitement local. Le pronostic est assez bon si l’on intègre le traitement local à une approche psychothérapeutique et sexuelle. Dans l’avenir, on ne devrait plus jamais voir des femmes dilatées chirurgicalement par des opérations gynécologiques ! 3.3. LES DEVIATIONS D’ « OBJETS » QUI NE SONT PLUS CONSIDERES COMME PERVERSIONS : LA MASTURBATION ET L’HOMOSEXUALITE 3.3.1 La masturbation La masturbation (auto-érotisme ou onanisme) est assez fréquente chez l’enfant et extrêmement fréquente chez l’adolescent ou le jeune adulte surtout de sexe masculin. Inscrite dans le début de l’organisation de la pulsion sexuelle génitale, la masturbation n’a rien d’anormal. Françoise Dolto considère même qu’il s’agit d’une façon naturelle de découvrir et d’investir son corps sexué. L’adolescence c’est une période difficile dans notre culture. Elle est souvent marquée d’incertitude, de timidité, de tensions diverses. S’y ajoutent des interdits sexuels et les obstacles sociologiques à trouver aisément un partenaire « disponible ». Notons que beaucoup de personnes se retrouvent dans cette situation. En effet, notre société compte de plus en plus de sujets qui ne vivent pas en couple (divorcé, veuf, famille monoparentale, …). On peut ainsi considérer la masturbation comme un moyen de « se faire plaisir », de se détendre, de diminuer les tensions,… et peut-être aussi comme une façon d’ « entretenir » la fonction génitale et les émotions sensuelles pour une éventuelle rencontre ultérieure. Il n’y a donc aucune raison de considérer la masturbation comme inquiétante et pathologique dans la toute grande majorité des cas. Notre rôle sera donc de dédramatiser, d’écouter avec bienveillance sans culpabilisation et s’il s’agit de parents inquiets, de les désangoisser, eux, quant à la sexualité de leur enfant. Dans certains cas rares, la masturbation peut être le symptôme d’autres problèmes importants. Seront considérés comme pathologiques les cas suivants : III-3-12 ¾ ¾ ¾ ¾ Masturbation d’un jeune enfant en public (lui apprendre la notion d’intimité et s’assurer qu’il n’y a pas eu d’abus sexuel). Masturbation régulièrement accompagnée d’imagination à thèmes pervers. Masturbation compulsive et incoercible sans plaisir utilisée comme mécanismes de défenses obsessionnelles contre l’angoisse souvent dans le registre des névroses, voire de troubles pré-psychotiques avec vérification anxieuse de l’intégrité sexuelle. Masturbation se prolongeant au-delà de l’adolescence comme activité sexuelle unique et principale alors que la personne vit en couple. Dans toutes les situations de ce genre, un examen psychologique plus approfondi s’avère nécessaire et un traitement souvent de type psychothérapie spécialisée. 3.3.1. L’homosexualité L’homosexualité a donné lieu à de nombreuses discussions souvent passionnées sur la question de savoir s’il faut la considérer comme normale ou pathologique. L’Association Américaine de Psychiatre ne considère plus l’homosexualité comme un trouble psychique depuis 1973. En Belgique, non seulement l’homosexualité n’est pas illégale, mais elle est « socialement normale » puisque l’on reconnaît l’existence de couples homosexuels (ou lesbiens). Les discussions actuelles portent sur leur capacité ou non à pouvoir adopter des enfants. Le désir homosexuel se manifeste chez tous les adolescents homme ou femme. Le plus souvent, il reste peu conscient dans sa dimension sexuelle physique et se cantonne sous la forme d’amitié fiévreuse plus ou moins passionnée. Chez la majorité, ces désirs homosexuels sont progressivement recouverts par l’orientation hétérosexuelle. L’homosexualité peut réapparaître à l’occasion de circonstances particulières où la promiscuité est exclusivement d’un seul sexe (par ex. : prison, pensionnat, long voyage maritime,…). L’homosexualité est ainsi potentiellement présente à des degrés divers : de l’homosexualité pure à la bisexualité (attraction plus ou moins nette pour les deux sexes). D’après Kinsey, la prédominance du désir homosexuel se rencontrerait dans 13% de la population tandis que 2 à 3% seraient homosexuels exclusivement. L’étiologie de l’homosexualité reste extrêmement discutée malgré des tentatives épisodiques d’explications hormonales ou génétiques. Les psychodynamiciens estiment pour la plupart que l’explication psychogénétique est la bonne. Pour la garçon, on invoque : une fixation excessive à une mère séductrice qui surinvestit son fils, position passive prise face à un père hypercastrateur ou insignifiant, fixation narcissique érotique, refus de la différence sexuelle et illusion de maîtrise du désir de l’autre. La plupart des auteurs pensent que l’homosexualité féminine (lesbiasnisme) serait moins fréquente que l’homosexualité masculine, en tout cas moins exclusive et mieux acceptée. En clinique, le problème central tourne autour des motifs pour lesquels le sujet est amené à consulter à propos de son homosexualité. Souvent, la consultation est motivée par l'entourage. Si le sujet n’a aucun désir de changer d’orientation, notre rôle sera essentiellement de voir avec la personne concernée comment l’aider à s’aménager une vie stable avec un minimum de conflits. Si le sujet est très jeune, des entretiens psychologiques pourront être indiqués pour voir si l’intéressé se trouve simplement dans une phase d’évolution temporaire ou déjà fixée dans une homosexualité stable. Certains homosexuels consultent de leur propre initiative, soit parce qu’ils sont bisexuels (certains difficultés sexuelles de couple hétérosexuel peuvent être dues à une homosexualité latente), soit parce qu’ils souffrent d’angoisse névrotique à propos de leur tendance et en particulier de craintes quant au sida. D’autres consulteront pour de véritables problèmes relationnels et affectifs dans leur couple homosexuel. Tous ces cas justifient une approche psychothérapeutique qui mènera souvent vers une indication de psychanalyse. Certains évolueront vers l’hétérosexualité, d’autres se fixeront dans une homosexualité sans angoisse. 3.4. LES PARAPHILIES Dans les paraphilies (ou déviations, déviances, perversions), la réponse sexuelle est adéquate mais « l’objet d’amour » ou le but recherché ne l’est pas. Il s’agit d’excitations impérativement et exclusivement en réponse à des « objets » ou des situations anormales et qui interfèrent avec la capacité du sujet à avoir une relation sexuelle emprunte d’affectivité et de réciprocité. Dans cette catégorie, on peut citer la pédophilie, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le fétichisme, le sadisme, le masochisme, la zoophilie, le traverstisme, … III-3-13 On explique les déviations sexuelles adultes par des ratés du refoulement normal de tendances partielles qui n’ont pas su s’organiser en conduite sexuelle complète. Notons d’emblée que le pervers dans sa conviction d’en savoir plus sur la jouissance que le commun des mortels ne consultera que dans un cadre médico-légal. 3.4.1. La pédophilie Les pédophiles, en majorité masculins, sont tentés d’exercer des activités sexuelles envers des enfants pré-pubères des deux sexes. La pédérastie désigne l’attirance d’hommes adultes envers de jeunes garçons. Les structures psychologiques qui sous-tendent de telles pratiques sont variées : ¾ Insatisfaction de soi, manque de confiance dans sa valeur sexuée et sa capacité à séduire un partenaire adulte. En compensation, l’enfant est vécu comme un « partenaire de rêve » donnant facilement son « amour ». ¾ Reproduction de moments et de dynamique relationnelle trouble vécus pendant sa propre enfance. Il y a répétition : l’abusé devient abuseur (le risque de répétition est d’autant plus grand que le sujet n’a pu élaborer son traumatisme auprès d’un adulte de confiance). ¾ Structure perverse stricto sensu : envie de se donner des plaisirs spécifiques indéfiniment reproduits en se mettant au-dessus des lois ; parfois, la volupté de transgresser et d’inciter un plus jeune à la transgression est la jouissance principale. On peut distinguer les cas de pédophiles incestueux (80%) de ceux qui ne le sont pas. L’inceste, principalement père/fille (beau-père/belle-fille dans les familles reconstituées) est plus répandu que l’on imagine. Il connaît des degrés différents de gravité selon les circonstances qui l’entourent : âge de l’enfant, fréquence des rapports, attouchements ou rapport complet, atmosphère générale du couple et de la famille, attitude plus ou moins affectueuse à l’égard de l’enfant, discours plus ou moins justificatif ou culpabilisant accompagnant les pratiques, … D’autres situations sont le fait de « violeurs d’enfant», étrangers à la famille. La majorité de ces personnes se trouvant en position d’autorité éducative envers la victime, la procédure est bien plus souvent celle de la séduction que celle de l’intimidation. Le médecin ou le psychologue devrait être particulièrement prudent envers toutes ces situations difficiles. Prudent ne signifie pas inactif, passif, voire de ce fait indirectement complice. Il faut dans tous les cas prendre résolument le parti de l’intérêt de l’enfant et réussir à le protéger des agressions sexuelles de l’adulte. Si l’on a accepté de prendre en traitement un pédophile, il faut que les actes s’arrêtent. Si ce n’est pas le cas, il s’agit de situations ou nous devons lâcher le secret professionnel. Avant toute décision devant un cas de pédophilie, on sera avisé de s’en référer à des spécialistes et de prendre l’avis d’une équipe telle que S.O.S. enfants ou celui d’un service de pédiatrie comprenant une équipe multidisciplaire. 3.4.2. Les déviations du mode de satisfaction (ou de but) Les déviations les plus fréquentes sont les déviations sexuelles dans lesquelles les pulsions non directement génitales sont érotisées : la vue avec l’exhibitionnisme et le voyeurisme, la douleur avec le sado-masochisme. Pour qu’on puisse parler de perversion, il faut que le mode de satisfaction déviée soit indispensable pour obtenir la jouissance et imprime sa marque à l’ensemble de la vie sexuelle de l’individu. En effet, chez la plupart des individus adultes, les pulsions partielles persistent et ne sont actives que de façon subsidiaires, par exemple dans les préliminaires à la relation sexuelle génitale ou dans les jeux amoureux (voyeurisme et exhibitionnisme sains). En clinique, restons prudents quand un de nos patients vient nous dire que son conjoint est pervers. Les nouvelles technologies nous amèneront d’ailleurs à nous reposer la question des frontières entre le normal et le pathologique. Ainsi est-il normal qu’un adulte marié passe des heures devant les sites pornos du réseau Internet ? 3.5. TROUBLES DE L’IDENTITE SEXUELLE : LE TRANSEXUALISME Il s’agit d’un trouble profond de l’identité sexuelle à différencier du transvestisme (nécessité de porter des habits de femme pour arriver à la jouissance chez un homme). Ici, la personne se vit comme appartenant effectivement à l’autre sexe. DSM IV 302.xx - Trouble de l’identité sexuelle A. Identification intense et persistante à l'autre sexe (ne concernant pas exclusivement le désir d'obtenir les bénéfices culturels dévolus à l'autre sexe). III-3-14 Chez les enfants, la perturbation se manifeste par quatre (ou plus) des critères suivants (1) (2) (3) (4) (5) exprime de façon répétée le désir d'appartenir à l'autre sexe ou affirme qu'il (ou elle) en fait partie chez les garçons, préférence pour les vêtements féminins ou un attirail d'objets permettant de mimer la féminité chez les filles, insistance pour porter des vêtements typiquement masculins préférence marquée et persistante pour les rôles dévolus à l'autre sexe au cours des jeux de « faire semblant » ou fan taisies imaginatives persistantes d'appartenir à l'autre sexe désir intense de participer aux jeux et aux passe-temps typiques de l'autre sexe préférence marquée pour les compagnons de jeu appartenant à l'autre sexe Chez les adolescents et les adultes, la perturbation se manifeste par des symptômes tels que l'expression d'un désir d'appartenir à l'autre sexe, l'adoption fréquente de conduites où on se fait passer pour l'autre sexe, un désir de vivre et d'être traité comme l'autre sexe, ou la conviction qu'il (ou elle) possède les sentiments et réactions typiques de l'autre sexe. B. Sentiment persistant d'inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d'inadéquation par rapport à l'identité de rôle correspondante. Chez les enfants, la perturbation se manifeste par l'un ou l'autre des éléments suivants : chez le garçon, assertion que son pénis ou ses testicules sont dégoûtants ou vont disparaître, ou qu'il vaudrait mieux ne pas avoir de pénis, ou aversion envers les jeux brutaux et rejet des jouets, jeux et activités typiques d'un garçon ; chez la fille, refus d'uriner en position assise, assertion qu'elle a un pénis ou que celui-ci va pousser, qu'elle ne veut pas avoir de seins ni de règles, ou aversion marquée envers les vêtements conventionnellement féminins. Chez les adolescents et les adultes, l'affection se manifeste par des symptômes tels que : vouloir se débarrasser de ses caractères sexuels primaires et secondaires (p. ex. demande de traitement hormonal, demande d'intervention chirurgicale ou d'autres procédés afin de ressembler à l'autre sexe par une modification de ses caractères sexuels apparents), ou penser que son sexe de naissance n'est pas le bon. C. L'affection n'est pas concomitante d'une affection responsable d'un phénotype hermaphrodite. D. L'affection est à l'origine d une souffrance cliniquement significative ou d'une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants. De tels patients sont souvent demandeurs d’une thérapeutique hormonale et d’une opération chirurgicale destinées à changer de sexe. Certains équipes multidisciplinaires pratiquent cette intervention en Belgique. Dans le cadre d’une expertise psychologique ou psychiatrique, il faudra se donner le temps d’analyser la demande et exclure un processus délirant d’une personnalité psychotique ou borderline. Il est souvent exigé avant une telle opération que les personnes vivent plusieurs mois dans le rôle social d’une personne de sexe opposé : à leur travail, avec leurs amis, en famille, … et qu’elles s’y trouvent bien sans rejet ni exclusion de leur entourage. BIBLIOGRAPHIE Bonnet G .« Les perversions sexuelles », Que sais-je ? n°2144 PUF Paris, 1993. Ferroul Yves, « Vivre et comprendre : médecine et sexualité », Ed. Ellipses, France, mai 2002. Filmographie sur l’homosexualité : « Gazon maudit ». Freud S. « Trois essais sur la théorie de la sexualité », Gallimard, Paris. Kaplan H .S. « The sexual desire disorders », New-York, Brunner Mazel, 1995. Masters W.H. et Johnson V.E. « Human sexual Inadequacy », Boston, M.A., Little Brown, 1970. III-3-15 CHAPITRE IV : LES TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES 2012 « L'erreur la plus répandue parmi les hommes est de vouloir entreprendre séparément la guérison du corps et de l'esprit » Platon (428-387 A.C.) AVERTISSEMENT Ce chapitre n’introduit aucune nouvelle « maladie » médicale ou psychiatrique mais propose une autre lecture des faits pathologiques que celle du découpage classique en organes et grands systèmes physiologiques selon les diverses spécialités médicales. Cette perspective psychosomatique devrait susciter chez l’étudiant en médecine l’envie d’élargir son champ d’investigation à l’approche bio-psycho-sociale dans toutes les situations médicales chroniques ou bloquées, c’est-à-dire les contextes où notre sujet malade n’évolue pas selon l’état actuel des connaissances « objectives » concernant sa maladie. A l’inverse pour l’étudiant en psychologie, ce chapitre se doit d’éveiller sa curiosité pour le lien 1 psychosomatique et le sensibiliser à une attitude de sollicitude envers le corps du patient. S’intéresser non seulement à l’histoire de la maladie mais aussi dans un même temps à la maladie dont l’histoire du sujet paraît bien constituer une démarche qui ressort de l’art de guérir. 1. INTRODUCTION Le terme « psychosomatique » est actuellement employé dans trois sens différents: 1. En un sens restreint, il s’applique à un groupe spécifique de maladies physiques dans la genèse desquelles les facteurs psychologiques sont importants, on les désigne alors par le terme de maladie psychosomatique. 2. Plus communément, le terme désigne aussi les manifestations somatiques des troubles émotionnels. On parle aussi de dysthymies neurovégétatives ou troubles fonctionnels qui peuvent intéresser toutes les fonctions viscérales (céphalées, vertiges, dyspnées, constipation, diarrhée, pollakiurie, troubles sexuels…). 3. Dans un sens général, il désigne une approche globale telle que pour n’importe quelle maladie, la totalité de l’être humain est prise en compte. Cette approche est la médecine psychosomatique. Alors que les premiers psychosomaticiens ont recherché une causalité psychique directe à des faits somatiques, les auteurs actuels sont en recherche de maillons intermédiaires plus ténus (terrain génétique, éducation, expériences antérieures, événements de vie, styles de vie, déséquilibres hormonaux et immunitaires, gestion du stress, …) qui, tous ensemble, en interaction circulaire, participent à l’interface « psyché-soma », ce sont les variables inter-réagissantes. De fait, nous savons aujourd’hui que le système nerveux central (dont le cerveau est le support matériel du psychisme), le système endocrinien et le système immunitaire ne fonctionnent pas en autarcie ; ils constituent un réseau en communication par le passage continuel d’informations. L’état de maladie constitue la résultante d’une désorganisation, d’une rupture d’équilibre. Et le changement (= stress) induit par les précurseurs de la maladie, voire la maladie (= stimuli), introduit encore en retour de nouveaux stimuli auxquels le sujet doit s’adapter (cf. sché 1 Widlöcher D., Allilaire J-F. « La clinique psychosomatique », Rev . Prat., 29, 31, 1er IV-1 Ainsi, on peut dire qu’il n’y a pas de maladie psychosomatique mais des processus psychosomatiques. Toutes les maladies ont un substrat somatique mais chez certains patients à certains moments de leur évolution peut survenir la participation de facteurs psychologiques. La démarche psychosomatique en arrive à un modèle étiologique multifactoriel qui implique une approche thérapeutique pluridisciplinaire (psychothérapeutique et/ou psychopharmacologique,…) adjuvante et intégrée au traitement organique classique. stimuli psychosociaux En médecine de première ligne, une approche biopsycho-sociale semble indiquée pour 50 à 70% des patients ! + programme psychobiologique mécanismes réactionnels (stress) expérience antérieure précurseurs de la maladie facteurs génétiques variables interagissantes 2. HISTORIQUE DE LA MEDECINE PSYCHOSOMATIQUE Il est bon de nous rappeler que l’histoire de la médecine ne coïncide pas avec l’histoire des sciences exactes. La médecine est par essence psychosomatique ! Ce n’est que depuis le début du siècle dernier, en réaction à l’essor de la médecine dite « scientifique » que se sont développés les mouvements psychosomatiques. Au travers de ce survol historique, on mesurera à quel point les conceptions théoriques (psychodynamique, biologie du stress, psychométrie) sont diverses. On verra, cependant, que les apports des différents modèles sont en fait complémentaires et qu’ils apportent chacun des « outils » thérapeutiques encore bien utiles aujourd’hui pour la pratique et la rencontre singulière de chaque patient. 2.1. Contribution de l’approche psychodynamique 2.1.1. A LA RECHERCHE D’UN CONFLIT INTRA-PSYCHIQUE SPECIFIQUE A CHAQUE MALADIE Sigmund Freud en 1895 développe l’intuition d’une relation entre le psychique et le somatique via ses célèbres écrits avec Breuer2, les « Etudes sur l’hystérie ». Pour rappel (Cf. Chapitre relatif aux névroses), dans l’hystérie, les manifestations somatiques sont par définition non accompagnées de troubles physiologiques ou lésionnels, on peut vraiment parler d’un « langage du corps » car les symptômes sont en relation symbolique directe avec les conflits psychiques. Dans les années 30 à 50, à Chicago, Frans Alexander3 prend, lui, le risque d’incriminer des « types spécifiques de conflits intrapsychiques » à l’origine de maladies lésionnelles comme les ulcères duodénaux, la rectocolite hémorragique, l’hypertension, l’asthme bronchique, le psoriasis, l’eczéma, l’arthrite rhumatismale, l’hyperthyroïdie... L’auteur classe les maladies suivant deux types de blocages, soit celui des tendances hostiles, agressives, soit celui des désirs de dépendance affective. Ainsi, l’hypertension serait liée aux tendances hostiles et agressives bloquées, tandis que les tendances inhibitrices liées à la dépendance affective de la mère auraient, elles, pour prototype l’asthme et l’ulcère gastro-duodénal. Ainsi l’hypertendu ne se met-il pas en colère: sa tension monte, l’asthmatique ne pleure-t-il pas: il développe une crise d’asthme. 2 3 Freud S. Breuer J. Studien über Hysterie,1895; Presses Universtaires de France, Paris, 1956. Alexander F. La médecine psychosomatique: ses principes et ses applications, Payot, Paris, 1977, 1ère édit. Org. Norton, New York, 1950. IV-2 maladie Quant à l’ulcéreux, derrière une façade d’hyperactivité professionnelle, il cache un besoin de dépendance et de protection. La cyclicité de sa maladie lui permet d’être dépendant et régressif lors des poussées ulcéreuses et hyperactif par compensation, pendant les rémissions. La théorie d’Alexander comporte déjà clairement des nuances plurifactorielles. Il faut une conjonction de trois facteurs pour qu’un trouble psychosomatique apparaisse: un type spécifique de conflit, une prédisposition particulière du corps et une situation actuelle (anxiété, rivalité, agressivité, hostilité,...) de réactivation d’un conflit ancien (traumatisme infantile). 2.1.2. A LA RECHERCHE D’UNE PERSONNALITE SPECIFIQUE Deux mouvements d’obédience psychanalytique, l’un en Europe, représenté surtout par Marty et de M’Uzan, et l’autre aux Etats-Unis, représenté par Nemiah et Sifnéos, sont arrivés à une description d’un type de personnalité psychosomatique, un type de personnalité à risque de contracter des maladies somatiques. Les patients psychosomatiques ont été décrits comme présentant une pensée opératoire ou alexithymiques (a-lexi-thymique = qui ne sait pas lire ses émotions). Selon ces auteurs, ces patients présentent une pauvreté des capacités associatives et imaginaires, ils n’ont pas d’angoisses. Les contenus mentaux sont trop « raisonnables », attachés au concret et ne permettent pas au sujet de s’évader dans ses fantasmes. Le patient vit donc directement ses émotions dans son corps. On sait aujourd’hui que tous les patients malades ne présentent pas ce profil type mais si notre patient le présente, n’oublions pas d’être attentifs à susciter l’expression des émotions (qu’en pensez-vous ?, que ressentez-vous ?, …). 2.1.3. APPORTS ET LIMITES DU MOUVEMENT PSYCHANALYTIQUE EN MEDECINE PSYCHOSOMATIQUE Ces travaux nous ont familiarisés à l’écoute du patient, écoute se situant au-delà des seuls symptômes, et à porter une attention sur le mécanisme du transfert, à savoir la relation qui s’établit entre le patient et le soignant. La relation patient-soignant peut-être mise au service de la guérison ! Aider le patient à exprimer ses émotions et à mettre un sens sur sa maladie fait bien sûr partie d’une approche thérapeutique mais le message est relativement mal « passé » dans le monde médical classique, peut-être en fonction d’un jargon trop psychologisant. 2.2. Entre cortex et viscères, ...contribution des biologistes du stress Comment un fait d’essence psychique peut-il opérer un saut dans le domaine corporel ? C’est à l’essai de réponse à cette question que se sont attelés les comportementalistes et les biologistes du stress. Stimulus Cortex Higher Limbic Structures Hypothalamus Gn-RH Cannon (1911) décrit le « syndrome d’urgence » c’est-à-dire la stimulation du système nerveux sympathique et de la médullo-surrénale en réponse IV-3 DA / 5-HT CRF Pituitary Sympathetic Nervous System FSH / LH PRL Parasympathetic Nervous System ACTH Adrenal medulla Testis Adrenal cortex Adrenaline Noradrenaline Testosterone Corticosterone ACTH / α MSH β / endorphin Acetylcholine passive coping Active coping conservation / withdrawal fight / flight Summary of the physiological differences between the two behavioural strategies (D'après Koolhaas & Bohus, in Steptoe, 1989 p.298) aspécifique à une menace ou une agression aiguë. Cette réponse est adaptative, elle permet la réaction de lutte ou de fuite, c’est le fameux « Fight or Flight » (remarquons d’emblée que face à nos stresseurs contemporains, la fuite ou l’attaque, même si bonnes pour la santé, ne sont pas très bien acceptées socialement !). Dès 1936, Hans Selye, anatomo-pathologiste et physiologiste, décrit, lui, le « syndrome général d’adaptation » (réaction d’alarme puis stade de résistance et si le stress perdure, stade d’épuisement). Le concept de « stress » est né : c’est l’interaction qui se produit entre une sollicitation excessive de l’environnement et les capacités de réponse de l’organisme. Aujourd’hui, l’on a pu montrer que d’autres hormones participent également à la réaction de stress (les gonadotrophines, la prolactine, les endorphines, l’hormone de croissances,…) et ce d’après le type de stress et même le type de réaction active ou passive (Cf. Schéma ci-dessus). Selye et ses successeurs insistent sur l’intérêt biologique d’une prise de position active dans la vie4. Si l’on en croit Laborit, l’instauration d’un contrôle actif par l’action constituerait la protection la plus opérante contre la maladie, comme l’illustre son commentaire à l’issue d’une intervention pour gastrectomie : « si ce Monsieur avait réussi à mettre sa belle-mère à la porte, il n’aurait pas dû se faire opérer de l’estomac aujourd’hui »5. APPORTS ET LIMITES DES BIOLOGISTES DU STRESS EN MEDECINE PSYCHOSOMATIQUE 1. Par le biais de ces travaux, démonstration expérimentale est faite de l’existence de maillons psychophysiologiques: les émotions ou un état mental comme la peur ou la colère ont un support physiologique ! L’émotion est toujours double, à la fois psychique et physiologique, transitant par des relais neuro-hormonaux. 2. Démonstration est faite aussi qu’il n y a pas de rupture de continuité entre le « fonctionnel » et le « lésionnel ». En effet, la théorie du stress pose les jalons de relais psychophysiologiques qui mènent du fonctionnel (sécrétion neuro-hormonale non utilisée par la fuite ou l’attaque) au lésionnel (la dysfonction, si elle devient chronique ou trop intense, peut induire une lésion par exemple un ulcère dit de stress ou une dépression d’épuisement). Il n’y aurait donc pas, dans cette logique, de rupture entre la médecine et la psychiatrie. 3. Le terme même de « stress », est un « label » à retenir dans le cadre de la pratique en médecine psychosomatique. Il s’avère en effet plus positif et plus exact que celui de « folie » ou de « faille de l’imaginaire ». Pour des patients très défensifs, méfiants et rationnels, souffrant par exemple d’un côlon irritable, leur expliquer que leur côlon est « particulièrement sensible au stress » sera infiniment plus constructif que de vouloir les rassurer en émettant des assertions telles que « vous n’avez rien, » « c’est dans la tête » ou « ce sont les nerfs ». 4. On peut regretter les extrapolations abusives de travaux réalisés en laboratoire souvent sur des animaux à l’homme contemporain (pourvu d’un cerveau très cortiqué support de son psychisme). Ainsi, la position de contrôle actif sur le monde tant préconisé par les biologistes est sans doute trop simpliste si ramenée uniquement à une action motrice. En effet, une action peut aussi être une parole, une représentation mentale. Pour prendre un exemple très simple, si nous sommes coincés dans un embouteillage, nous pouvons diminuer le stress en écoutant de la musique, en nous créant un scénario mental positif… 4 5 Dantzer R., L'illusion psychosomatique, Ed. Odile Jacob, 1989. Laborit H., Inhibition de l’action. Biologie comportementale et physiopathologie, 2e Ed. Masson, Montréal, 1986 IV-4 2.3. Contribution de la psychométrie vers les études multidisciplinaires Pour appréhender les problèmes de santé, certains chercheurs audacieux ont pris le risque de sortir des Médecine sentiers battus et de se tourner vers d’autres sciences psychosomatique comme l’épidémiologie, la psychologie sociale, la psychiatrie classique, les statistiques,... Ils se sont Biologie Psychanalyse appuyés sur l’usage d’instruments de mesure, entre stress autres des questionnaires. S’initie ainsi, un mouvement que l’on peut qualifier de psychométrique qui va permettre, d’une part, l’apport de nouveaux Psychométrie mouvements thérapeutiques (la psychothérapie cognitive, sociale et familiale) et d’autre part des ψ sociale ψ fam.syst. méthodes de quantifications diverses des états ψ cognitive psychologiques (événements de vie, capacité d’adaptation, style comportemental, type d’interaction familiale,…). La voie est ainsi ouverte pour les études de corrélations actuelles qui aujourd’hui tentent de comprendre les relations entre affects et neurotransmetteurs, neuro-homornes, hormones et système immunitaire. Ceci favorise la convergence de la médecine psychosomatique et du monde médical dont la méthode est celle des sciences exactes. Quelques résultats de ces travaux sont repris dans la section « étiopathogénie ». 3. ETIOPATHOGENIE : facteurs de risque des maladies psychosomatiques Rappelons ici l’étiologie plurifactorielle développée dans l’introduction. Les lignes qui suivent ne s’attachent donc à décrire que les composantes psychologiques des affections psychosomatiques suivant les différentes grilles de lecture des chercheurs évoqués au point II. Il importe de bien garder à l’esprit la dimension somatique (génétique, terrain physiologique, fragilité d’organe) concomitantes. 3.1.Les troubles de la catharsis émotionnelle. Nous pouvons envisager l’étiopathogenèse en suivant le devenir des émotions et de leur possible conversion en pathologie(s). Les deux mouvements pionniers en psychosomatique ont relevé des blocages et des répressions, soit des affects (mouvements psychodynamiques), soit de l’action motrice (biologistes du stress). On se rend ainsi compte qu’avec des vocabulaires différents, ils ont décrit des processus relativement similaires. D’un côté, le discours s’étaie sur le mécanisme de la répression des affects (cf. alexithymie et pensée opératoire) et sur les avatars de la transformation de l’énergie libidinale en énergie indifférenciée, qui, faute de « catharsis » 6 et de mentalisation, se diffuse dans le corps. De l’autre, l’ensemble du processus s’appuie sur un bouillon d’hormones non utilisées, non-distillées dans des processus adaptatifs d’attaque ou de fuite, ce qui entraîne comme résultat que l’énergie (noradrénaline, adrénaline, cortisol, …) en présence se retourne contre l’organisme, et y induit progressivement dysfonctions puis lésions. 6 "Mot grec passé dans la langue avec le sens figuré que lui a donné Aristote quand il a parlé de la catharsis des passions représentant une libération par dérivation; Technique psychothérapeutique visant à la disparition de symptômes par l'extériorisation verbale, actorielle, émotionnelle des traumatismes refoulés; Breuer pratiqua la catharsis sous hypnose; cette technique fut à l'origine de la psychanalyse (cf. abréaction)" {in Piéron, Vocabulaire de la Psychologie, Presses Universitaires de France 1979, p.65}. IV-5 Ce modèle de la dysfonction de la transformation des énergies, ce blocage - qu’il soit considéré comme psychologique et/ou physiologique - lorsque chronique, s’avère délétère pour l’organisme et se manifeste par une forme ou l’autre de symptômes psychosomatiques. Le modèle thermodynamique de la marmite à pression constitue une synthèse triviale de ce processus de psychosomatisation mais comporte le mérite de réunir dans une même métaphore d’une part le bon sens commun7, d’autre part, les conclusions des deux mouvements théoriques pionniers8: Soumis à des stimuli de son environnement, si le sujet se retrouve dans l’impossibilité de ventiler l’énergie affective et neurovégétative dont il est le siège, il se retrouve sous tension sans échappatoire avec une hostilité rentrée (pensons aux patients qui se désignent comme étant des nerveux rentrés). L’impossibilité d’élaborer une réponse libératoire peut être habituelle (personnalité psychosomatique…) ou ponctuelle (chacun d’entre nous !). Ainsi, on peut voire certains petits enfants (ou adultes) faire une poussée psychosomatique unique face à des événements extérieurs intenses, dont l'inscription mentale est l'espace d'un moment impossible à bien métaboliser. Leur "ordinateur interne" se trouvant saturé lors d'un événement exceptionnel. Cet événement peut être pénible (déboire professionnel, perte,...) ou heureux (promotion, rencontre sentimentale, apparition de la puberté, …). 3.2. De la notion de « stress » à celle d’événements de vie stressants 3.2.1. LES EVENEMENTS DE VIE OU « LIFE EVENTS ». En 1967, l’échelle de « réajustement social » de Holmes et Rahe9, a permis de déterminer un score de stress pour divers événements de vie dans des domaines aussi variés que la vie conjugale (séparation, divorce, mariage), la famille (décès, fête de Noël, …), le travail (conflit, licenciement, retraite), la santé (puberté, accident, maladie, difficultés sexuelles,…). Le score est établi en fonction de l’effort nécessaire pour s’adapter aux changements provoqués et ce, pour la moyenne de la population (échantillon représentatif de la côte ouest des Etats-Unis). Malgré l’apparente simplicité de ce genre de questionnaire, les implications épidémiologiques en sont considérables car les corrélations statistiques s’avèrent étonnantes, tant pour les maladies somatiques que pour les maladies psychiatriques. D’après diverses recherches menées par ces auteurs, 80 % des sujets ayant obtenu un score total supérieur à 300 et 53 % des sujets ayant obtenu un score situé entre 150 et 300 en deux ans ont développé une maladie l’année suivante. Parmi ceux qui ont obtenu moins de 150, il n’y en a plus que 33% qui sont tombés malades l’année suivante (infarctus du myocarde, cancer, dépression,…). Evénements biographiques 1. Mort du conjoint 2. Séparation 3. Divorce 4. Prison 5. Mort d’un parent proche 7 Effort d’adaptation exprimé en points 100 73 65 63 63 « Je suis sous pression », « je vais exploser », « La goutte qui fait déborder le vase », « Il me pompe l’air », etc... Notons au passage que Freud lui-même (1932, XV 80) s’était déjà risqué à l’esquisse d’un modèle prosaïque similaire puisqu’en 1932 à propos du ça, il écrit « nous l’appelons un chaos, une marmite (einen Kessel) remplie d’excitations bouillonnantes ... » 9 Holmes T.H., Rahe R.H., The social readjustment rating scale. J. Psychosom. Res. 1968; 11: 213-218. 8 IV-6 6. Blessure, maladie personnelle 7. Mariage 8. Démission, congé 9. Réconciliation conjugale 10. Retraite 11. Modification de l’état de santé d’un membre de la famille 12. Grossesse 13. Difficultés sexuelles 14. Arrivée d’un nouveau membre dans la famille 15. Nouvelle orientation professionnelle 16. Changement dans la situation financière 17. Mort d’un ami proche 18. Modification du type de travail 19. Modification dans la fréquence des discussions avec le conjoint 20. Emprunt dépassant 25.000 F (1967 !) 21. Obligation de payement inattendue 22. Responsabilités modifiées dans le travail 23. Départ d’un enfant du foyer 24. Difficultés avec les parents 25. Succès personnels démesurés 26. Epouse commençant ou cessant de travailler 27. Début ou fin de l’école 28. Changements dans les conditions de vie 29. Révision de points de vues personnels 30. Difficultés avec le patron 31. Changements de l’horaire ou des circonstances de travail 32. Changement de domicile 33. Changement dans l’école – formation 34. Formes de vacances modifiées 35. Changement dans les activités religieuses 36. Changements dans les activités sociales 37. Emprunts en dessous de 25.000 F. 38. Changement dans les habitudes de sommeil 39. Fréquence modifiée des réunions de famille 40. Changement des habitudes alimentaires 41. Vacances 42. Noël 43. Violations mineures de la loi 53 50 45 45 45 44 40 39 39 39 38 37 36 35 31 30 29 29 29 28 26 26 25 24 23 20 20 20 19 19 18 17 16 15 13 13 12 11 Les épidémiologistes ont également étudié des cohortes de personnes confrontées à tel ou tel événement stressant spécifique (par ex. un deuil, un divorce) dont ils suivent le devenir en terme de morbidité. Bien sûr, ces études sur de grandes cohortes ne se donnent habituellement pas la possibilité d’investiguer la signification subjective que prend l’événement pour chaque personne particulière (meaning). Par exemple, le décès du conjoint sera bien évidemment vécu différemment s’il s’opère dans un climat de culpabilité ou sur un terrain d’entente préalable; une séparation sera vécue différemment par un sujet selon qu’il en est l’initiateur ou non, etc. Le deuil, lorsqu'il ne peut s'élaborer et est vécu sur un mode culpabilisé, se trouve à l’origine de nombreux cas rencontrés en médecine psychosomatique. IV-7 Un exemple typique est celui de Madame L, 53 ans, hospitalisée en pneumologie pour une toux rebelle depuis deux ans et dont la mise au point n’a révélé qu’un discret reflux gastro-oesophagien laissant les pneumologues insatisfaits. A l’anamnèse, on apprend que Madame L. est issue d’une famille nombreuse, qu’elle a elle-même cinq enfants, qu’ils vivent relativement éloignés bien que venant la voir régulièrement, surtout depuis qu’elle est malade. On apprend également que son mari alcoolique et violent est décédé il y deux ans et demi. Lorsque l’on fait préciser les circonstances de la mort du mari, on apprend qu’il est décédé au domicile après une longue maladie pulmonaire, étant insuffisant respiratoire sur silicose. Le couple faisait « chambre à part », notamment à cause de la toux du mari. Cette histoire clinique montre que le symptôme a différentes fonctions. Il s’agit d’une trace mnésique du mari défunt, il s’agit également d’une trace de culpabilité, la patiente ayant souhaité plus d’une fois que son conjoint décède dans le décours d’une de ces beuveries, et enfin il s’agit d’un facteur de cohésion de la famille, les enfants s’affairant autour du symptôme de la mère. Mais il est des événements familiaux moins caricaturaux qui impliquent une subtile régulation des distances relationnelles, comme un déménagement, lequel implique soit un rapprochement, soit un éloignement des enfants ou de la famille d’origine. Madame S., 58 ans, consulte pour une rachialgie intense apparue deux ou trois semaines plus tôt, elle consulte son médecin qui l’examine, lui fait un bilan radiologique et biologique et lui donne un traitement classique anti-inflammatoire et antalgique. Echec du traitement, donc examens plus poussés qui ne montrent rien de plus. Nouveaux traitements, nouveaux échecs, … Madame S. confie alors qu’elle a récemment accueilli sa mère et qu’elle ne la « supporte pas ». « Sa mère lui pèse ». Les entretiens centrés sur la relation mère-fille et une prescription momentanée d'antidépresseurs améliorent la symptomatologie. Mais surtout, madame S. s’est sentie mieux quand elle a pu s’affirmer par rapport à sa mère, réussissant ainsi à limiter ses exigences. 3.2.2. LES « MINI-STRESS » La prise en compte des mini-stress nuance aussi l’étude des événements de vie puisqu’il semble que la succession de diverses contrariétés mineures puisse jouer aussi un rôle important dans le déclenchement de perturbations psychologiques. Ainsi, le fait d’attendre dans une file, d’être immobilisé sur une autoroute, de perdre ses clés, de ne pas arriver à joindre une personne via le téléphone,... sont autant de mini-stress dont le caractère répétitif peut entraîner un vécu de perte de contrôle aussi important qu’un grand chagrin. Ce phénomène se retrouve dans le langage courant sous la forme d’expressions telles « la goutte qui fait déborder le vase ». Les mini-stress ont été incriminés dans le déclenchement de problèmes médicaux paroxystiques comme l’infarctus du myocarde, le diabète, et favoriser l’exacerbation de maladies chroniques comme l’asthme, les maux de tête, la myasthénie et l’urticaire. En pratique, dans le domaine des événements potentiellement stressants, soyons attentifs à ne pas projeter notre propre conception de ce qui est ou non stressant et de centrer l’intérêt sur le vécu du patient. Ainsi, un patient fortement perturbé par le décès de son animal de compagnie devrait pouvoir rencontrer toute l’empathie de son médecin ou de son psychologue, même si ce dernier n’est pas particulièrement attaché aux animaux. 3.3. De la notion de « stress » a celle de stratégies d’ajustement There are no things good or bad, but thinking them makes them so » Shakespeare, Hamlet IV-8 Nous en arrivons ici à la représentation interne d’un l’événement dans toute sa dimension cognitive, émotionnelle et relationnelle et c’est donc le style d’adaptation lorsque inadapté (!) qui est considéré comme un facteur étiologique. Ce sont les cognitivistes qui ont essayé de catégoriser la diversité des moyens dont dispose un individu pour faire face à l’agression. Les auteurs anglo-saxons utilisent le terme de « coping »10 pour désigner la façon dont un individu essaye de faire face aux problèmes pour les surmonter. L’ajustement correspond aux « efforts accomplis pour essayer de résoudre les problèmes suscités par les demandes externes ou internes qui s’exercent sur l’organisme et que le sujet perçoit comme autant de menaces pour son bien être ». Ce sont les ajustements qui impliquent une prise de conscience active qui paraissent les plus favorables. REVUE DES PRINCIPAUX MECANISMES PERMETTANT DE « FAIRE FACE » I. Ajustements portant sur l’évaluation, l’estimation (Appraisal -focused coping) 1. analyse logique et préparation mentale (se renseigner avant une intervention chirurgicale…). 2. redéfinition cognitive (devant un infarctus : « c’est un signe du ciel, je dois changer de style de vie ». 3. évitement cognitif ou déni (devant ce même infarctus : « ce n’était rien juste une indigestion ». II. Ajustements portant sur le problème (Problem-focused coping) 1. Recherche d’information et de support (mouvement d’entraide entre malades). 2. Mise en place d’actions portant sur la résolution de problèmes (le patient diabétique fait ses contrôles glycémiques lui-même). 3. Identification de récompenses alternatives III. Ajustements portant sur les émotions (Emotion-focused coping) 1. Régulation affective 2. Décharge émotionnelle (crier, pleurer, …). 3. Acceptation résignée (passivité…). 3.4. Le support social manquant ou inadéquat Le « soutien social » (social support) est l’ensemble des relations interpersonnelles d’un individu lui procurant un lien affectif positif (sympathie, amitié, amour), une aide pratique (instrumentale, financière) mais aussi des informations et des évaluations relatives à la situation menaçante. Dans des situations difficiles, le fait de pouvoir « compter sur les autres » est un élément essentiel pour l’équilibre de l’individu, ce qu’illustrent différents travaux : 1. Dans une étude prospective, les individus bénéficiant d’un soutien social faible ont, neuf ans plus tard, un risque de mortalité de 1,8 à 4,6 fois plus élevé que ceux qui ont un soutien social fort. L’impact différentiel le plus net concerne la catégorie des sujets âgés de 60 à 69 ans. 2. Une investigation concernant l’augmentation de mortalité chez les parents israéliens de fils mort à la guerre montre qu’il n’y a pas d’augmentation de la morbidité chez les parents qui vivent en couple ; par contre, elle est augmentée chez les parents qui vivent seuls ou séparés, en particulier chez les mères. 10 To cope with = faire face, combattre avec succès. Le terme même de « coping » désigne soit l’action de l’individu pour lutter contre les problèmes auxquels il est confronté, soit le résultat de cette action, c’est à dire l’état dans lequel se trouve l’individu qui a réussi à maîtriser les problèmes en question. « Coping » renvoie plutôt à la traduction « ajustement », là où « coping style » renvoie au terme « stratégies d’ajustement ». IV-9 3. Autre exemple, l’incidence de la dépression chez des femmes exposées à des événements stressants chute de 40 % à 4 % chez celles qui peuvent partager la nature de ceux-ci avec d’autres personnes (= confident). Dans toutes ces études, il ne faut pas faire la confusion entre aspect quantitatif et aspect qualitatif. De plus, un soutien social présent mais inadéquat peut avoir des effets de renforcement du symptôme. Ainsi, chez les enfants asthmatiques, une extrême dépendance en raison d’une attitude surprotectrice des parents semble majorer les crises. ♦ L’étude de Taylor11 s’inscrit dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne cette fois le domaine de la revalidation post-infarctus. Taylor et ses collègues mettent sur pied une étude comparative dans le cadre de l’épreuve d’effort (sur tapis roulant). Leur schéma expérimental, audacieux, consiste à constituer trois groupes de patients, selon qu’ils se prêtent à l’exercice demandé dans l’un ou l’autre des trois contextes suivants: dans le premier cas, l’épouse du patient se trouve dans la salle d’attente; dans le second, l’épouse entre dans la salle et peut observer les performances physiques dont son mari est encore capable après l’infarctus; dans la troisième condition, il est demandé à l’épouse qui a observé les performances de son mari d’effectuer la même performance physique que son mari sur le tapis roulant. Ce n’est que dans la troisième condition que les évaluations des maris sur leurs capacités physiques résiduelles s’avèrent congruentes avec l’évaluation de leur épouse: les deux premières conditions donnent lieu à une discordance nette entre les conjoints, l’épouse étant convaincue que son mari est fort diminué physiquement. De telles discordances, expliquent les auteurs, sont à la source de nombreux problèmes et malentendus après l’infarctus, et contribuent au développement de mécanismes d’hyperprotection, lesquels retardent et altèrent la qualité de la réhabilitation. Ces constatations critiques sur le rôle parfois dangereux d'un support social se manifestant par de l’hyperprotection n’est pas sans évoquer les hypothèses des thérapeutes de famille qui ont décrit les familles à risque de pathologies somatiques en relevant l’enchevêtrement, l’hyperprotection, la non résolution des conflits et la rigidité. Ce n’est donc pas tant l’hyperprotection qui serait toxique que la non expression des émotions, surtout des émotions négatives (Cf. Cas clinique de Didier, à la fin du chapitre VI). La possibilité de communiquer ses sentiments ainsi qu’une oscillation équilibrée entre autonomie personnelle et dépendance relationnelle semble être des gages de santé. 3.5. Des styles de vie comme facteurs de risque Les styles de vie ou « patterns » constituent la face socialisée, « émergée », du fonctionnement d’un individu. Deux patterns spécifiques ont été repérés comme facteurs de risque : le pattern A (maladie coronarienne) et le pattern C (cancer). 3.5.1. PATTERN A ET TROUBLES CARDIO-VASCULAIRES Dès les premiers travaux consacrés à la personnalité du coronarien, celui-ci est décrit comme un individu ambitieux, auto-discipliné avec une agressivité réprimée, exigeant envers lui-même. Il adopte ce style de vie particulier qu’est le style de vie « de type A ». Celui-ci a été reconnu dans les milieux cardiologiques grâce à de grandes études prospectives Friedman et Rosenman12 qui ont qu’indépendamment des autres facteurs de risque (hypertension artérielle, tabagisme, cholestérol, âge, sédentarité,...), le comportement de type A augmente de 2 11 Taylor C.B. & al., Exercice Testing to Enhance Wives' Confidence in Their Husbands' Cardiac Capability Soon After Clinically Uncomplicated Acute Myocardial Infarction. Am. J. Cardiol. 1985;55: 635-638 12 Rosenman R.H., Brand RJ., Jenkins C.D., Friedman M., Straus R., Wurm M., Coronary heart disease in the Western collaborative group study: final follow-up experience of 8,5 years. J. Am. Med Assoc. 1976; 23: 872-877. IV-10 à 3 fois (suivant les cohortes), le risque de maladie coronaire comparativement à des sujets ne présentant pas le type « A », désigné alors comme « type B », nettement plus flegmatiques, décontractés et insouciants. Le comportement de type A est articulé autour des axes suivants: hyperactivité, compétitivité, impatience, sentiment d’urgence dans le temps, hyperinvestissement professionnel, besoin d’approbation sociale. Ainsi, les sujets de type A sont en constante compétition, rationalisant à l’excès, en conflit permanent, avec une volonté d’affirmer une image de soi performante (refus de la faiblesse et de la maladie). D’un point de vue biologique, de tels efforts ont comme corollaire l’activation accrue du système sympathique avec ses composantes physiologiques : décharges d’adrénaline, hypertension, spasmes, ... Les derniers travaux se fixent sur des sous-composantes du pattern, certains proposent l’hostilité; d’autres insistent sur le besoin de contrôle. Les efforts fournis par les sujets sont souvent des tentatives pour maintenir le contrôle perçu sur l’environnement. A cette fin, le mécanisme d’adaptation le plus fréquemment utilisé par le coronarien serait le déni, bien illustré par le cas suivant. Prenons l'exemple de Roger, peu de temps après son pontage aorto-coronarien et avant son retour à domicile. Il raconte le contexte de son infarctus, survenu alors qu'il était déjà en traitement (Cédocard ®) pour douleurs angineuses (angor). Le patient pêche depuis plusieurs heures sans rien prendre. Il s'énerve au point de vouloir partir quand soudain survient une "touche". La truite est, paraît-il, énorme, mais sa ligne trop fragile pour ramener le poisson d'un coup. Fin stratège, il décide de "l'avoir à l'usure" et de la ramener lentement vers le bord pour la prendre à l'épuisette; mais ce faisant, les premières douleurs angoreuses surviennent et persistent. Il essaie de saisir les comprimés qui se trouvent dans sa poche: impossible, sa main est déjà trop engourdie. Il décrit: "à ce moment-là, je me suis dit: Roger, la truite ou toi ? " Et bien, ce fut la truite qui fut l'objet du choix: il l'a ramenée (au terme d'une heure de lutte) et ensuite seulement à été hospitalisé d'urgence, pour autant qu'urgence soit encore le terme adéquat. L’image de soi du bon pêcheur, la performance et le désir d’exploit sont ici aussi supérieurs aux préoccupations corporelles (déni de la gravité de la signification des douleurs thoraciques). 3.5.2. PATTERN C ET CANCER. Meurt-on vraiment de chagrin ? "Madame Emerson, à la mort de sa fille, souffrit d'une grande affliction et s'aperçut que son sein enflait et peu après devenait douloureux. Enfin, elle développa un cancer qui l'emporta en peu de temps. Elle avait joui jusqu'alors d'une parfaite santé." Gendron; Enquiries into the Nature, Knowledge, and Cure of Cancer (1701) Des attitudes psychologiques peuvent-elles influencer la survenue d’un cancer, la progression de la maladie, voire la mortalité ? En ce qui concerne la personnalité à risque, la vigilance s’impose vu la diversité des études tantôt prospectives, tantôt rétrospectives sur des populations atteintes de cancers différents et avec des mesures psychologiques variées. IV-11 Il n’empêche que Temoshok en 1987 a regroupé un ensemble de traits de personnalité, de styles comportementaux et de stratégies d’adaptation sous l’étiquette « personnalité de type C » 13 dont voici les caractéristiques : - répression des affects et des émotions surtout négatives, tendance à s’oublier soi-même, néglige ses propres besoins de repos et d’intimité, recherche d’un climat de coopération et d’harmonisation, évitement des conflits, prédisposition à un désespoir caché (différent d’une dépression au sens psychiatrique). Cas clinique : Madame C voit régulièrement son médecin traitant mais elle le consulte pour ses parents âgés, pour des inquiétudes concernant son mari, pour les maladies de ses enfants, … A la fin d’une visite au cours de laquelle le médecin traitant a pris le tension de sa belle-mère, négligemment la patiente demande au médecin d’examiner le développement d’une tuméfaction au sein. Le médecin effrayé par la nature suspecte du processus demande à la patiente pourquoi elle n’a pas consulté plus tôt. « parce que j’avais trop de travail, mon mari a eu des soucis…, je devais d’abord m’occuper de mes enfants,… ». La tendance à ne pas se pencher sur soi éloigne bien évidemment ces patients de toutes les consultations de prévention. Quant à la contrainte émotionnelle, elle est peut-être corrélée à un déficit de la compétence immunitaire. Que ce soit bien la répression de l’expression des émotions qui est importante est suggérée par l’étude de Jansen et Muenz (1984): les patientes signalant, avant le résultat d’une biopsie, qu’elles ont tendance à « contenir leur colère » ont une probabilité plus élevée que les autres d’avoir une tumeur cancéreuse. Ces patients à risque semblent adopter une attitude de « résignation apprise » vis-à-vis des événements stressants. Une fois le cancer déclaré, cette même attitude passive de résignation semble elle aussi corréler à un mauvais pronostic. En effet, dans une étude prospective désormais célèbre, Greer et Morris ont suivi le devenir de femmes au départ à un même stade de gravité d’un cancer du sein en fonction de 4 stratégies d’adaptation psychologique (lutte active, déni, acceptation stoïque, désespoir). Il apparaît assez clairement que les femmes qui ont un style d’adaptation passif de type désespoir ou acceptation stoïque ont un taux de survie après 5 ans et après 13 ans nettement moindre que celles qui font preuve d’un esprit combatif, voire d’un déni. Une grande prudence s’impose (surtout ne pas culpabiliser le patient qui n’aurait pas la « bonne attitude ») mais l’approche psycho-oncologique devrait apporter une attention particulière au patient et à leur famille quand se développe une attitude faite de dépression passive et d’évitement émotionnel. 4. LE DIAGNOSTIC « PSYCHOSOMATIQUE » 4.1.Du fonctionnel au lésionnel : un continuum Nous l’avons vu, une approche psychosomatique intégrée peut être proposée aux malades atteints d’affections somatiques (y compris le cancer !). Nous voulons montrer ici qu’elle doit s’appliquer aussi aux nombreux malades fonctionnels que nous rencontrons dans notre pratique. Tenter une définition rigoureuse de la pathologie fonctionnelle n’est pas une sinécure. Si un certain consensus peut se faire à propos de la moins mauvaise définition (à savoir : le trouble dysfonctionnel est un état de mal-être identifié comme somatique mais sans lésion, lésion du 13 L’individu adoptant le style décrit par Temoshok (1987) est aimable, stoïque face aux difficultés, coopératif et apaisant, effacé, patient, accommodant vis-à-vis de l’autorité et, surtout, il n’exprime aucune émotion négative, notamment la colère. IV-12 moins actuelle répertoriée par les moyens d’investigation organique et la nosographie), il devient très vite mal aisé de dresser un catalogue des troubles fonctionnels. Chaque spécialité a le sien : précordialgies sine materia, céphalées de tension, polyurie émotionnelle, dysménorrhée, spasmophilie, dysfonctions sexuelles, douleurs abdominales récidivantes, fatigue chronique, vertiges, insomnie, fibromyalgie, … Une grande prudence s’impose car nous voyons tous les jours, en clinique, des patients peu pris en considération parce que trop plaintifs développer une lésion diagnostiquée avec retard, tout autant que des patients bien somatiques, eux, développer des troubles fonctionnels surajoutés. La pathologie fonctionnelle devrait être considérée comme un signal d’alarme d’une rupture d’équilibre. S’il n’y a pas de lésion, n’y a-t-il pas au moins souffrance d’organes (ne l’oublions pas, un cancer, une maladie cardiaque sont considérés comme le résultat d’une évolution à bas bruit de 5 à 10 ans). Le diagnostic d’une trouble fonctionnel n’est donc pas un diagnostic de « clôture » avec des expressions comme « c’est dans la tête, vous n’avez rien, ce sont les nerfs… ». Au contraire, c’est le début d’un travail de décodage et de remise en sens dans l’histoire de vie du patient. Puisque le diagnostic psychosomatique traverse la nosographie médicale, il peut s’appliquer à une pathologie fonctionnelle comme à une pathologie lésionnelle. 4.2. Les indices d’un diagnostic psychosomatique = le diagnostic contextuel Si ce n’est pas à partir d’un symptôme ou d’une maladie précise que nous posons l’indication d’une approche psychosomatique, quels seraient donc les signes propédeutiques de la nécessité d’une approche globale psychosomatique ? ♦ les situations médicales chroniques (douleurs chroniques, infections récidivantes,...), souvent le poids et l’épaisseur du dossier médical sont en eux-mêmes un signe d’alarme. ♦ les bénéfices secondaires relationnels (depuis qu’elle souffre de vertiges, cette dame pensionnée a beaucoup de visites de ses enfants qui l’accompagnent même pour faire ses courses.) ♦ Une évolution clinique qui ne correspond pas ou est discordante par rapport à l’évolution médicale classique (asthme instable, diabète labile,...) : le maintien inexpliqué d’un symptôme. ♦ une succession de symptômes: lorsqu’un symptôme disparaît, un autre apparaît ailleurs. ♦ une aggravation psychique du patient lorsque son symptôme somatique disparaît ou s’atténue (tel patient psoriasique fait une bouffée délirante ou une dépression lorsque l’affection dermatologique s’amende). ♦ une organisation familiale de type fusionnel enchevêtré ayant des difficultés à s’adapter aux changements. Telle famille semble avoir besoin d’être toujours en contact avec le monde médical quand un de ses membres guérit, un autre tombe malade. ♦ une aggravation de la symptomatologie en rapport avec une dynamique relationnelle. Patient ayant des douleurs abdominales que l’on soupçonnerait comme ayant un lien avec un conflit de couple. Ces douleurs méritent certainement une exploration de mise au point et un traitement médicamenteux mais se limiter à l’instauration de celui-ci en négligeant la dynamique de couple ne saurait suffire. ♦ une concomitance chronologique entre événement de vie et événement de santé. Mettre en évidence ces liens chronologiques nécessite un relevé anamnestique en parallèle de l’histoire de la maladie et de l’histoire de vie du patient. Nous voyons par exemple une recrudescence des crises d’asthme chez une patiente à l’occasion d’une promotion professionnelle de son mari l’obligeant à de nombreux voyages à l’étranger. ♦ un contexte émotionnel particulier : IV-13 - Dans le chef du patient ou de sa famille. Par ex., un patient excessivement découragé et/ou agressif ou séducteur ou encore un patient excessivement serein alors qu’il souffre d’une maladie grave. Une inadéquation du comportement de la famille excessivement alarmé ou excessivement indifférente de façon disproportionnée par rapport au symptôme. - Dans le chef du médecin, notre propre intervention, nos malaises dans la relation où notre difficulté à rester « neutre et bienveillant » face à des patients en apparence difficiles (les jamais contents, les frustrants, les envahisseurs, … ou ceux qui appellent trop tard !). 5. TRAITEMENT DE TYPE PSYCHOSOMATIQUE Susciter la mentalisation et encourager la position active du patient Si comme nous l’avons vu dans la section éthiopathogénique, la pathologie provient d’un courtcircuit du psychisme, les conséquences pratiques s’imposent d’elles-mêmes: sachons panser les plaies de nos patients mais aussi restituer le plaisir à penser puisque la protection du corps passerait par un processus de mentalisation que le thérapeute se doit de favoriser. Par ailleurs, si une position active semble meilleure pour la santé, laissons donc le patient participer au maximum à son traitement. Cette attitude globale est utile dans toute affection somatique chronique (bien sûr en parallèle avec le traitement médical classique de l’affection en question) et indispensable dans le cas de maladies fonctionnelles. Sinon, nous courons le risque de voir un patient déçu et découragé se mettre à faire un « shopping », voire son « zapping » médical ou adopter une position passive, régressive, dépendante. Beaucoup risquent aussi de s’enfoncer dans la somatisation, l’hypochondrie voire la dépression ou les toxicomanies (alcoolique ou médicamenteuse). 5.1. Préalables au traitement 5.1.1. INFORMER N’oublions pas de reconnaître comme réels les symptômes que le sujet ressent. Il faut donc essayer d’expliquer avec empathie au patient la participation psychosomatique des phénomènes physiques ressentis. Il faut pouvoir donner une information correcte, une explication étiologique dans un langage médical. L’explication peut se faire par exemple en nous appuyant sur les modèles du stress14 qui constitue probablement le meilleur support explicatif des affections multifactorielles. 5.1.2. PRÉPARER L’ADHÉSION AU TRAITEMENT Il importe de prendre le temps nécessaire pour écouter le patient et le préparer à l’idée qu’il lui incombera de participer activement à son traitement. Le but reste toujours de révéler au patient les possibilités qui existent en lui-même et de clarifier sa demande (parfois inconsciente) : « Maintenant qu’attendez-vous de moi en tant que médecin ? ». Tout temps de dialogue a bien sûr comme fonction aussi de restituer un mode de communication qui transite par la parole et non pas seulement par le corps. 14 "Nous pensons que vous souffrez de décharges d'adrénaline dans le système nerveux central. Ce n'est pas en soi dangereux mais c'est très impressionnant car cela peut aboutitrà une sorte de tempête dans l'organisme avec douleurs, palpitations, vertige, sensation de mort imminente. Vous n'êtes pas responsable de l'apparition de ces attaques. Par contre votre façon de vous y adapter peut en influencer le degré de sévérité et de fréquence ". Ce genre d'explication médicale a souvent comme effet de déculpabiliser le patient qui ne peut accepter l'hypothèse latente d'un problème psychologique IV-14 5.2. Attitude thérapeutique Trois grands niveaux de traitements peuvent être abordés. 5.2.1. Au niveau perceptif Les stratégies thérapeutiques articulées sur la perception sont de deux types: médicamenteux (antalgiques, anti-inflammatoire, anxiolytiques antidépresseurs,...) et/ou sensoriel (kinésithérapie, relaxation, …). Dans les problématiques dépressivo-anxieuses, il n’est pas possible de se passer d’un support médicamenteux anxiolytique ou antidépresseur, mais celui-ci ne doit pas être prescrit comme une fin (potion magique) mais comme un moyen. 5.2.2. Au niveau de l’interprétation et de la cognition La thérapeutique articulée sur ce niveau consiste à améliorer la capacité du sujet à percevoir et interpréter correctement et à temps ses états psychologiques et physiologiques (identifier les situations personnelles de stress). Voici quelques lignes directrices : 1. suivre la démarche médicale classique (diagnostic différentiel + examens complémentaires) de façon rationnelle mais non-obsessionnelle. 2. ne pas brusquer les prises de conscience, c’est-à-dire respecter la réceptivité du patient quant à l’idée d’impliquer des facteurs de stress dans sa maladie. 3. ne pas affirmer de façon dogmatique: « vous êtes trop travailleur, trop stressé » mais privilégier les commentaires paradoxaux du style « ah si tout le monde travaillait comme vous, le monde ne serait pas comme il est ». 4. Faire une anamnèse intégrée des événements de vie et de la pathologie « fonctionnelle » en question pour identifier le poids des émotions : étudier le génogramme pour relever les concordances chronologiques entre les événements de vie (mariage, deuil, départ d’un enfant...) et les étapes de la maladie (déclenchement, rémissions, aggravations). 5. Restituer la maîtrise au sujet et augmenter son sentiment de contrôle interne en le faisant participer au maximum à son traitement: reconnaître la valeur de ses tentatives autothérapeutiques : un bain chaud, un massage, ... « La médication vous a-t-elle paru efficace ? » « A quel moment de la journée pensez-vous qu’elle est le plus utile? ». 6. demander au patient de tenir d’un carnet de bord de son trouble et des signes avant-coureurs, et de les mettre en relation avec les événements affectifs du contexte de survenue. Ceci nous permet de collecter de précieuses informations: par exemple, le trouble est-il plus fréquent en semaine ou au contraire le « week-end » ?. 7. ne pas oublier la gestion des choses bien concrètes et de tous les mini-stress de la vie quotidienne (perdre ses clés, être bloqué dans un embouteillage...), qui sont souvent des agents précipitants. 8. suggérer des activités physiques et de loisirs (sports, relaxation, vacances) qui sur prescription médicale n’entraîneront pas de culpabilité et surtout permettront une augmentation de la connaissance et de la maîtrise du corps. 5.2.3. Au niveau de la communication Le traitement ici sera donc d’amener le patient à une bonne pratique de la communication : 1. amener progressivement le patient à exprimer ses émotions, à moins dénier ses sentiments et ses émotions même et surtout quand il s’agit d’affects négatifs. Ceci, tout d’abord dans le cadre de la consultation médicale et ensuite avec l’entourage en recherchant les personnes signifiantes pour lui, en analysant la qualité de la communication avec ses proches. ß « Qui remarque que vous souffrez ? » IV-15 ß ß ß 2. « Qui, à part vous, s’intéresse à votre traitement ? » « Qui peut vous aider à vous relaxer ? » « Comment règle-t-on les conflits dans la famille, comment exprime-t-on l’affection? » Reconstruire des limites: mieux définir les limites autour des malades, c’est aussi les aider à mieux gérer leur stress: combien d’entre-eux ne sont-ils pas en effet confrontés à des demandes auxquelles ils ne peuvent plus faire face, à des obligations qui « leur tombent sur la tête» à des charges qu’ils portent « sur le dos ». Il nous faut leur apprendre à repérer ces situations où ils sont « coincés », leur apprendre à dire « non » sans le regretter après, tout autant qu’à exprimer directement leurs besoins et à affronter clairement les conflits: la famille ne va pas éclater si chacun ose s’exprimer ! 6. CONCLUSION Entre la « fuite en avant » dans une technologie biomédicale toujours plus dure et l’attrait des guérisseurs, gourous et magiciens de toutes sortes, il y a certainement une place pour une médecine responsable, préoccupée du lien entre « mal de vivre » et dysfonctionnement organique. Intégrer l’apport des sciences humaines aux sciences biomédicales n’est pas un luxe à ajouter à la médecine : c’est intrinsèquement une démarche à la fois clinique et scientifique qui concourt à l’augmentation de notre efficacité thérapeutique. IV-16 2 ème partie Questions spéciales CHAP V LE SUICIDE ET LES TENTATIVES DE SUICIDE 2012 1.- DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES Suicide et tentative de suicide ne peuvent être associés comme deux étapes chronologiques d'un même processus. La tentative de suicide ne peut être envisagée simplement comme l'échec du suicide. Elle a un sens qu'il faut saisir. La connaissance des différences cliniques et des populations à risque devront permettre à l'intervenant en urgence d’évaluer le risque suicidaire et de déterminer l'attitude à adopter pour aborder plus sereinement l'indispensable travail de la crise sous-jacente. La population des patients qui ont réussi leur suicide est différente de celle des tentatives de suicide. Le tableau suivant énumère ces différences. Caractéristiques comparées du suicide et de la tentative de suicide Critères Suicide Tentative de suicide Fréquence : +/- 2000/an en Belgique 10 fois plus fréquent Sexe surtout des hommes (2 Hô/1F) surtout des femmes (2 F/1 Hô) Age augmente avec l’âge (surtout entre diminue avec l’âge (surtout 15 à 40-80 ans) 40 ans) Etat civil veufs, divorcés, célibataires mariés ou cohabitants Moyens pendaison, arme à feu, gaz, médicaments, vénisection noyade, train Psychopathologie Signification corrélation importante entre corrélation suicide et affection psychiatrique affection psychiatrique désir de mort message – appel à l’aide V- 1. faible avec une Ce tableau comparatif montre aussi que la tentative de suicide ne sera qu'occasionnellement un suicide « raté ». Dans la majorité des cas, elle correspond à une population spécifique pour laquelle le passage à l'acte a une importante signification relationnelle. A l’inverse, une banale tentative de suicide peut mal tourner et entraîner une mort « imprévue ». 2.- FACTEURS DE RISQUE L'évaluation du risque suicidaire se posera autant devant une tentative de suicide (risque de récidive) que devant un patient qui exprime des idées suicidaires (risque de passage à l'acte). A cet égard, on sait que plus de 50 % des patients morts par suicide avaient consulté un médecin au cours des 3 mois qui précédaient le passage à l’acte. Evaluation du risque suicidaire effectif ____________________________________________________________________ - Moyens envisagés : arme à feu, gaz, pendaison, train, noyade, défenestration. - Précision du scénario suicidaire (désir de mort passive – idées – préparatifs) - Age : important chez les personnes au-dessus de 40 ans et les adolescents - Présence d’une affection psychiatrique associée (psychose ou état dépressif grave, surtout accompagné d’insomnie persistante et de réveils nocturnes) - Assuétudes (alcoolisme – toxicomanie drogues dures) - Affection médicale sévère, chronique et concomitante. - Isolement affectif et social, difficultés professionnelles, perte d’emploi, perte du conjoint chez les personnes âgées (surtout l’homme survivant) - Antécédents personnels de tentatives de suicide récentes ou antécédents de suicide réussi dans la famille ou les proches (contagion psychologique, hérédité). - Métiers mettant une arme fatale à disposition : gendarmes, médecins... ____________________________________________________________________ Les moyens employés ou envisagés par le patient reflètent sa volonté de réussir son suicide. Un pendu dont la corde a cassé sera considéré comme plus à risque qu’un patient qui a pris quelques comprimés de B.Z.D., son entourage étant présent dans la maison.. V- 2. Le problème du suicide des adolescents est particulièrement grave : la mortalité par suicide y arrive en deuxième position juste après celle par accident, et donc avant toute forme de maladie somatique. La présence d'affections psychiatriques est un facteur aggravant à prendre en considération pour évaluer le risque suicidaire ou le risque de récidive. Les pathologies psychiatriques à dépister sont essentiellement : A. Dépression majeure : phase dépressive d'une psychose maniaco-dépressive ou dépression grave unipolaire. Le risque suicidaire pour une mélancolie est très important (25 % de décès avant l’ère des anti-dépresseurs). Cependant tous les patients dépressifs graves ne nécessitent pas une hospitalisation dont l’indication sera souvent posée en fonction du risque de passage à l’acte suicidaire (hospitalisation de protection). En particulier, dans le cas d’une mélancolie délirante l’hospitalisation est indiquée. Le mélancolique rumine sans cesse les mêmes idées, rien ne peut réconforter le patient convaincu de son incurabilité. Les thèmes de la mélancolie délirante sont pathognomoniques : idées de culpabilité et d'indignité; idées de deuil et de ruine; idées hypochondriaques; idées d'influence et de possession diabolique; idées de persécution. Les idées de mort en découlent naturellement, mort conçue comme une libération ou parfois un châtiment justifié. Chez le mélancolique, l'authenticité d'une conduite suicidaire n'est jamais à mettre en doute. Une tentative de suicide, en apparence mineure, échouant par précipitation, peut être suivie quelques heures plus tard d'un suicide réussi. Le choix des « procédés efficaces » témoigne de la détermination du patient. B. Schizophrénie, bouffée délirante, exacerbation aiguë d’une paranoïa : état psychotique délirant aigu. Un psychotique délirant (avec ou sans dissociation) est un patient à haut risque suicidaire. Paradoxalement, l’angoisse de mort pourra amener le patient à des actes auto-agressifs très graves (automutilation, émasculation, énucléation oculaire) ou à des suicides violents : défenestration, broyage, arme à feu Dans certaines situations, des actes hétéro-agressifs peuvent se produire. En consultation ou en urgence, laisser le patient rentrer chez lui équivaudra souvent à laisser libre cours au passage à l'acte. Dans tous les cas, il faudra proposer au patient et négocier avec lui une médication neuroleptique sédative et anxiolytique. Ce n'est que dans la situation favorable où l'entourage du patient pourra assumer sa prise en charge et s'assurer de la prise de la médication que l'on pourra éviter l'hospitalisation V- 3. du patient. Il sera parfois nécessaire de recourir à l’hospitalisation contrainte (voir : Loi de protection du malade mental). C. La consommation de cocaïne ou d'amphétamines en prise aiguë ou en phase de "descente". De plus en plus de jeunes patients consomment des quantités importantes d'amphétamines sous forme d'ecstasy (XTC) ou de cocaïne sous forme de "crack". Ces deux substances en cas de prise aiguë, mais surtout en phase de sevrage (la "descente") peuvent induire fréquemment des troubles délirants paranoïdes et des passages à l'acte souvent graves. Plus il y a de tentatives de suicide dans les antécédents du patient, plus les risques de le voir réussir la prochaine tentative sont élevés. Des antécédents de suicides réussis dans la famille ou chez des proches sont également des facteurs de risque. Des patients atteints d'une affection chronique, invalidante ou de pronostic fatal balaieront plus facilement les scrupules d'un geste fatal. La perte d'un conjoint peut, surtout chez des personnes âgées, être une expérience insupportable, surtout si elle implique de poursuivre sa vie dans un isolement important. La solitude, l'isolement affectif et social sont également des facteurs de risque importants. Enfin, les alcooliques et les toxicomanes sont exposés au passage à l'acte non seulement à cause de l'action désinhibitrice des produits mais aussi à cause de leur isolement affectif, l'absence de liens sociaux, les difficultés de toute sorte (la galère...). D. Alcoolisme et Toxicomanie L’évaluation du risque suicidaire sera fonction de l’état de « délabrement » physique, psychologique et surtout socio-familial du patient. Les alcoolismes de type III comme l’héroïnomanie désinsérée socialement constituent des situations de fragilisation majeure. Il convient en outre d’attirer l’attention sur la consommation de cocaïne ou d’amphétamines en prise aiguë ou en phase de « descente ». De plus en plus de jeunes patients consomment des quantités importantes d’amphétamines sous forme d’ecstasy (XTC) ou de cocaïne sous forme de « crack ». Ces deux substances, en cas de prise aiguë, mais surtout en phase de sevrage (« la descente ») peuvent induire V- 4. fréquemment des troubles délirants paranoïdes et des passages à l’acte souvent graves, de nature auto ou hétéro-agressive. 3. LES SIGNIFICATIONS DE LA TENTATIVE DE SUICIDE 3.1.- Les suicides "ratés" L’intention suicidaire est réelle, mais l’essai échoue : la personne qui voulait mourir se réveille à l’hôpital. Seuls les cas de mélancolie ou d'état délirant aigu dissociatif imposeront une hospitalisation psychiatrique urgente. Les états dépressifs simples peuvent bénéficier d'un suivi médical et psychiatrique sans hospitalisation, si l’évolution du risque suicidaire paraît favorable. Dans une minorité des cas, le suicide apparaît comme la réponse rationnellement choisie par le patient pour échapper à la douleur d'un deuil, d'un échec professionnel ou d'une maladie incurable. La tentative de suicide peut également être vécue comme la seule échappatoire possible pour un patient délirant ou mélancolique. 3.2- Les situations de crise Plus de 80 % des tentatives de suicide sont l'expression de situations de crise au sein des couples, des familles ou des institutions professionnelles ou d’accueil. Par cette tentative de suicide, le patient signifie que dans son couple, sa famille, son institution, la parole constitue un risque ou s’avère inutile. Verbaliser les problèmes n'est plus possible, dangereux ou inefficace. Plus qu'un chantage, le patient exprime par son passage à l’acte, son appel à ce que quelque chose change. Nous sommes devant des patients qui ont activement organisé une rupture de situation, fut-ce sous l'apparence pseudo-passive d'une perte de contrôle. Il s'agit d'une demande qui a un sens et même souvent des sens multiples (Surdétermination des motifs suicidaires). Par son acte, le patient interpelle ses proches. Les tentatives de suicide sont les urgences où la présence de tous les membres de la famille plus fréquente. Cette caractéristique sert de base à notre intervention.. V- 5. 4.- LA PRISE EN CHARGE DES TENTATIVES DE SUICIDE Toute tentative de suicide, aussi banale et bénigne soit-elle, doit être abordée avec le plus grand sérieux. Dans tous les cas, le patient est d'abord reçu et traité par l'urgentiste « somaticien ». Il est à noter que l'intervention médicale agit comme reconnaissance par le corps médical du sérieux de leur état et également comme garantie de sécurité envers l'entourage. Face au patient qui n'aurait pris que quelques comprimés, se contenter de dire : « Il n'y a pas de danger, avec ces médicaments, il suffit de le laisser dormir », rassurer l'entourage mais ne prend pas vraiment le patient au sérieux, ne reconnaît pas la dimension dramatique de sa situation, méconnaît sa demande et le pousse à l'escalade : recommencer mais en prenant le tube entier cette fois ! Nous sommes souvent confrontés à ce problème au service des urgences où, très fréquemment, on ne veut pas mettre en hospitalisation provisoire, pour une nuit, la personne qui a tenté de se suicider et qui ne présente pas de problèmes sur le plan somatique. Nous observons chez ces patients beaucoup plus de récidives immédiates que chez celles qui ont été gardées une nuit à l'hôpital et qui ressortent le lendemain après un ou deux entretiens individuels et familiaux. Cette raison, associée au fait qu'aborder un patient à moitié endormi est très difficile, nous amènera à donner le conseil d'hospitaliser pour une nuit la plupart des tentatives de suicide. Le message transmis à la famille ou à l'entourage doit être clair : « Ce n'est, heureusement, pas grave sur le plan médical : sa vie n'est pas en danger. Nous restons inquiets car une tentative de suicide est quelque chose de sérieux et de grave pour le patient et lourd de signification pour sa famille. Nous aurons besoin de vous demain pour en parler et, avec vous, prendre des décisions pour la suite ». Au réveil du patient, un premier entretien individuel devra permettre au clinicien : • d’estimer l’existence ou d'éliminer les pathologies psychiatriques sous-jacentes qui seraient une indication d’hospitalisation en psychiatrie; • de se faire une idée quant aux risques de récidives et au contexte de la tentative de suicide; • d'avoir déjà une idée de la problématique de crise qu'il aura à aborder avec la famille ou l'entourage. Par après, un entretien avec le conjoint ou la famille sera réalisé. Cet entretien sera important à beaucoup d'égards : il permettra d'évaluer l'impact de la tentative de V- 6. suicide sur la famille, de se faire une idée de la crise sous-jacente sur laquelle ce symptôme essaie d'insister, enfin d'évaluer ce qui va se passer en sortant du service des urgences. S'il y a eu tentative de suicide, c'est souvent parce que la parole est difficile, que parler est même dangereux ou ne sert à rien; on préfère agir soit parce que c'est la seule révolte permise, soit que c'est le seul espoir que quelque chose change. Se contenter alors de réunir la famille autour du patient et leur dire « Je vous écoute » serait une erreur, à plus forte raison s'il s'agit de parler à un psychiatre, souvent perçu comme le « médecin des fous ». Le danger est grand, soit qu'on banalise parce que révéler le problème fait peur, soit que le patient se mure dans un mutisme stérile. Il convient de réunir les membres disponibles et de créer un climat de confiance chaleureuse et pragmatique.. Lorsqu’un espace thérapeutique suffisant pour le thérapeute et la famille sera constitué, il sera possible d’aller de l’avant. On pourra alors aborder la tentative de suicide, ce qu'elle a déclenché au sein de la famille, de quoi elle est révélatrice, comment faire face aux changements que la crise a provoqués et évaluer les risques de ces changements. Ce n'est que petit à petit que le thérapeute amènera la famille à donner une définition de la crise qui a généré l'urgence, en l'occurrence dans ce cas, la tentative de suicide. La dernière partie de cet entretien devra être tout entière consacrée à l'organisation pratique de la sortie du patient et à l’élaboration d’un projet thérapeutique : chez qui le patient va-t-il aller ? Qui va s'en occuper ? Quelle aide demande-t-il ? Qui sera le garant que la parole circule bien ? Ou bien faut-il s'attendre à se revoir pour une nouvelle tentative de suicide ? V- 7. CHAPITRE VI : L'INTERNEMENT NON VOLONTAIRE LA LOI DU 26 JUIN 1990 RELATIVE À LA PROTECTION DE LA PERSONNE DES MALADES MENTAUX 2012 Toute personne, tout médecin peut un jour ou l'autre être confronté à un malade dangereux à l'égard d'autrui ou de lui-même (suicidaire). La première idée sera d'envisager « l'hospitalisation forcée » de ce patient. Cependant, depuis la « nouvelle loi » du 26 juin 1990 - qui remplace l’ancienne loi de collocation de 1850 - une procédure très stricte doit être suivie en dehors de laquelle tout internement non volontaire de quelque malade que ce soit est interdite par la loi. 1. LES PRINCIPES DE BASE Les deux premiers articles établissent les principes de base de cette nouvelle loi : 1° « La privation de liberté doit demeurer l'exception (Art. 1) ». 2° « La mesure de restriction de liberté ne pourra être prise qu'à défaut de tout autre traitement approprié, ce qui en fait un cas d'exception (Art. 2) ». 3° « L'inadaptation aux valeurs morales, sociales, religieuses, politiques ou autres, ne peut en soi être considérée comme une maladie mentale (Art. 2) ». Un point important est bien ce « à défaut de tout autre traitement approprié », qui suppose de manière claire que la mesure prise ne peut l'être qu'en fin de course et faute de mieux. L'inadaptation aux valeurs ne pourra plus être un motif retenu pour placer en hospitalisation non volontaire un patient « déviant ». Quelqu'un dérangeant la morale ou les idées établies ne pourra donc pas faire l'objet d'une telle mesure. 3 conditions sont requises pour justifier une mesure de privation de liberté : Il faut que : 1° Le patient soit un malade mental 2° Qu'aucun autre traitement approprié n'ait pu être envisagé 3° Soit : a/ Qu'il mette gravement en péril sa santé et sa sécurité. b/ Qu'il constitue une menace grave pour la vie ou pour l'intégrité d'autrui (Art. 2). Le législateur ne précise pas ce qu'est un malade mental ! Le médecin aura donc à en faire - VI-1 - la preuve dans son certificat. Il devra expliciter les symptômes présentés qui constituent une maladie mentale acceptée par la communauté communément médicale de notre pays. L'article 3 rappelle que toute personne s'étant fait admettre librement dans un service psychiatrique peut le quitter à tout moment. Aucun patient ne peut donc être retenu contre son gré en dehors de l'application de la présente loi. 2. LA PROCEDURE 2.1.- La procédure normale ou ordinaire Il y a deux grands principes : 1° Deux phases : * La mise en observation : maximum 40 jours; la mise en observation étant une étape obligée avant toute décision de maintien. * Le maintien : maximum deux ans. 2° Le juge de paix est seul compétent (Art. 3) : L'autorité communale n'a plus rien à voir avec la mesure de mise en observation dans la nouvelle loi. C'est le juge de paix du canton judiciaire du lieu de résidence du patient qui est le seul interlocuteur valable. A défaut, il peut s'agir du juge de paix du lieu du domicile du malade ou du lieu où le patient se trouve. Nous décrirons d’abord la procédure normale de mise en observation. La demande au juge de paix (Art. 5) : elle peut être adressée au juge de paix par toute personne intéressée par l'état du patient. Elle doit mentionner : - La date. - Le nom, le prénom, la profession, le domicile du requérant et son degré de parenté ou de relation avec le malade. - L'objet de la demande et les motifs. - Le nom, le prénom, le lieu et la date de naissance, la résidence ou le domicile du malade. - La désignation du juge de paix compétent. - Si nécessaire, le nom, le prénom, le domicile et la qualité du représentant légal du malade. - VI-2 - Elle doit être signée par le requérant ou son avocat. Le rapport médical circonstancié : il doit être joint à la requête, qui sera sans valeur sans rapport médical. Il devra remplir les conditions suivantes : - La signature par un médecin qualifié (généraliste ou spécialiste), non parent du patient et non attaché au service psychiatrique où réside le patient (on ne peut pas s’envoyer de mise en observation à soi-même dans son propre service). - -Le motif de la demande. - La symptomatologie du patient observée de visu dans les 15 jours qui précèdent l'introduction de la requête. - La constatation que les conditions de l'Art. 2 soient réunies. On trouvera en annexe 1 un exemple d'un rapport circonstancié et d'une requête type. Les délais : - 24 heures pour le juge de paix pour lancer la procédure - 10 jours pour prendre une décision P.S. : Le juge de paix peut déclarer la demande nulle ou irrecevable par un jugement dans les 24 heures ou se déclarer incompétent territorialement (Art. 6) cas, il renvoie la demande au juge de paix compétent dans les Dans ce rendu dernier 24 heures. Les moments clés de la procédure (Art. 7) : - La désignation d'office d'un avocat demandée au bâtonnier de l'Ordre des Avocats par le juge de paix. - Le jour, l'heure et le lieu de la visite de l'intéressé par le juge de paix en personne et de l'audience en chambre du conseil est fixée dans les 24 heures par le juge de paix. - Ces précisions sont transmises au malade par pli judiciaire qui lui précise qu'il a le droit de choisir : - un autre avocat - un médecin psychiatre - une personne de confiance Si le malade ne choisit pas un médecin psychiatre, le juge peut en désigner un d'office - La visite du juge au malade se fera en présence de son avocat. Le juge de paix entend également toutes les autres personnes qu'il juge utiles. Il recueille tous les renseignements utiles d'ordre social et médical. - VI-3 - L'audience en chambre du conseil (Art. 8) : le juge réunit alors en chambre du conseil et en audience publique toutes les parties : - Le(s) requérant(s). - Leur avocat. - Le médecin signataire du rapport médical circonstancié. - Le patient. - Son avocat. - Son médecin psychiatre. - Sa personne de confiance. Il s'agit d'un réel débat contradictoire au terme duquel le juge de paix doit statuer. Toutes les démarches doivent être faites dans les 10 jours qui suivent le dépôt de la requête. Dans les faits, le médecin signataire du rapport médical circonstancié est rarement présent. L'exécution du jugement : s'il fait droit à la demande, le juge de paix désigne le service psychiatrique dans lequel le malade sera mis en observation pour une durée maximale de 40 jours. Par pli judiciaire, le greffier notifie le jugement à toutes les parties et les informe des voies de recours dont elles disposent. Le greffier notifie par pli judiciaire le jugement au directeur de l'établissement qui doit, dès réception du pli, prendre toutes les dispositions nécessaires pour le placement du patient en observation. Le procureur du roi poursuivra l'exécution du jugement en requérant le directeur de l'établissement de s'assurer de la personne du malade, de faire effectuer son transport ou son transfert et de procéder à son admission (Art. 2, Ch. 1 de l'A.R. d'Application du 18.07.1991). 2.2. La procédure d'urgence (Art. 9) Paradoxalement, cette procédure d’urgence est devenue la plus utilisée en raison de l’acuité des situations psychosociales requièrent cette mesure. En cas d'urgence, c'est le procureur du roi (ou le substitut du procureur du roi du lieu où le malade se trouve) qui doit être interpellé soit par un tiers, accompagné d'un rapport médical - VI-4 - circonstancié soit d'office à la suite d'un rapport d'un médecin du parquet désigné par lui. L'urgence doit ressortir dudit rapport. Il peut ainsi décider de la mise en observation du malade dans le service psychiatrique qu'il désigne. Par les moyens de communication les plus rapides, le procureur du roi transmet au directeur de l'établissement une copie de sa décision ordonnant le placement du malade en observation et le requiert de s'assurer de la personne de celui-ci, de faire effectuer son transport et de procéder à son admission (Art. 6 de l' A.R. du 18.07.1991). Dans les 24 heures, les procureur du roi avise le juge de paix de la résidence du malade (ou du domicile ou à défaut du lieu où le malade se trouve) de sa décision et le juge de paix reprend la procédure en charge selon les mêmes modalités que prévues dans la procédure normale. Si le délai de 24 heures vient à expiration un samedi, un dimanche ou un jour férié légal, le jour de l'échéance est reporté au plus prochain jour ouvrable. Cependant, si le procureur n'a pas adressé dans les 24 heures la requête au juge de paix ou si le juge de paix n'a pas pris la décision dans le délai de 10 jours, la mesure prise par le procureur prend fin. Dans ce cas, la réunion en chambre du conseil et le débat contradictoire auront, la plupart du temps, lieu dans le cadre du service ou de l'hôpital psychiatrique où a été, en urgence, envoyé le malade. Ce débat contradictoire a lieu entre toutes les parties, et en présence du médecin chef de service. 3. MODALITES DE TRAITEMENT 3.1.- Objet de la mesure Pendant les 40 jours, le patient est surveillé, examiné de manière approfondie et traité « en tenant compte de la durée limitée de la mesure » (Art. 11) (ce qui nous paraît particulièrement obsolète !). - VI-5 - Le directeur du service de psychiatrie doit indiquer dans un registre prévu à cet effet (Art. 10) : - les précisions concernant le malade - les décisions prises - ses admissions et ses sorties - les personnes désignées ou choisies par lui Pendant les 40 jours, le patient peut faire des sorties de durée limitée, seul ou accompagné et/ou réaliser un séjour à temps partiel de jour ou de nuit, dans l'établissement. 3.2.- Fin de la mesure La mesure prend fin quoi qu'il arrive après 40 jours. La mise en observation peut prendre fin avant 40 jours lorsqu'en décide ainsi (Art. 12) : - Le juge de paix responsable. - Le procureur du roi qui a décidé la mise en observation, avant que le juge de paix n'ait statué. - Le médecin chef de service s'il estime, dans un rapport motivé, que l'état du malade ne justifie plus cette mesure. Ce dernier point nous paraît essentiel et démontre, si besoin était, que le médecin reste seul juge de l'état médical du patient et est habilité à décider seul de sa sortie. 3.3.- Le maintien Si l'état du patient le nécessite, après les 40 jours d'observation, un rapport médical circonstancié du médecin chef doit être envoyé au juge de paix au plus tard le 25e jour après la mesure initiale (Art 13). Entre le 25e jour et le 40e jour, un nouveau débat contradictoire est mené par le juge de paix qui, réunissant tous les protagonistes, les entend en audience publique et décide soit de laisser sortir le malade au 40e jour de mise en observation, soit de la durée du maintien qui ne peut excéder deux ans (Art. 14). Les modalités du traitement sont décidées et n'excluent pas, sous l'autorité et la responsabilité d'un médecin du service, des sorties de durée limitée ni des séjours à temps partiel ou de nuit ni que le patient exerce une activité professionnelle en dehors du service - VI-6 - (Art. 13). La fin du maintien peut être décidée (Art. 19) : - Par le médecin chef de service d'initiative ou à la demande de tout intéressé s'il estime que l'état de santé du malade ne le justifie plus. - Après un an de post-cure si aucune réadmission n'a été demandée. Dans ces deux cas, le médecin chef de service informe de sa décision le malade, le procureur du roi et le directeur de l'établissement qui doit avertir par lettre recommandée le magistrat qui a pris la décision, le juge de paix saisi et la personne qui a demandé la mise en observation. Dans les 5 jours de l'envoi de la lettre recommandée, la personne qui a demandé la mise en observation peut former opposition à cette décision par requête au juge de paix compétent. L'intervention d'un avocat est obligatoire (Art. 20). Le juge de paix instruit la demande contradictoire et statue. - Suite à la procédure de révision de la décision (Art. 22). Le juge de paix peut, à tout moment, procéder à la révision soit d'office soit à la demande du malade ou de tout intéressé. Cette demande doit être étayée par la déclaration d'un médecin. Après avoir pris l'avis du médecin chef de service, lejuge de paix organise un nouveau débat avec toutes les parties intéressées et statue. 3.4.- La post-cure Il s'agit d'une mesure préparant en quelque sorte la sortie définitive du patient alors que la mesure de maintien subsiste. Elle a une durée maximale d'un an et est décidée par le médecin chef de service qui prévoit, dans un rapport motivé, les conditions de logement, de traitement médical et l'accompagnement social du patient (Art. 16). La fin de cette mesure peut être décidée par le médecin chef de service, soit en supprimant la mesure de maintien, soit en décidant la réadmission du patient si son état l'exige ou si les conditions de la post-cure ne sont pas respectées (Art. 17). 4. LES SOINS EN MILIEU FAMILIAL Si des mesures de protection s'avèrent nécessaires mais que l'état du malade et les circonstances n'imposent pas une mise en observation à l'hôpital, les patient peut être soigné dans une famille (pas nécessairement la sienne !) (Art. 23). Il s'agit ici d'une procédure alternative à la mise en observation dans le seul cas d'un état - VI-7 - manifestement moins grave. La même procédure que pour la mise en observation va être poursuivie et le juge de paix dispose de 10 jours pour statuer et décider de donner mission à une personne déterminée de veiller sur le malade et à un médecin de le traiter (Art. 24). La mesure a une durée normale de 40 jours. Un rapport médical circonstancié doit parvenir au juge de paix avant le 25e jour, attestant la nécessité du maintien (Art. 25). La durée maximale du maintien en famille est de deux ans. En cas d'opposition du malade, la même procédure de requête et de débat contradictoire du maintien à l'hôpital est appliquée. (Art. 25). Le médecin responsable du malade doit le visiter régulièrement et dispenser au malade et à la personne désignée pour veiller sur lui tous les conseils et instructions utiles et il doit envoyer un rapport médical circonstancié au juge de paix au moins une fois par an. Rapport dans lequel il déclare avoir prodigué les soins requis et donne son avis sur la nécessité de maintien de la mesure de protection (Art. 27). Le juge de paix doit visiter le malade au moins une fois par an (Art. 28). La mesure prend fin soit par décision du juge de paix par fin du maintien ou décision de mise en observation dans un service psychiatrique soit par procédure d'appel (Art. 29). 5. LE RECOURS Le malade - même mineur d'âge -, son représentant légal ou son avocat peuvent aller en appel dans un délai de 15 jours à dater de la notification du jugement (Art. 30), sous la forme d'une requête adressée au président du tribunal de première instance. Le tribunal dispose d'un mois pour statuer sur la requête. Mais, lorsqu'il ordonne une mesure d'instruction (enquête médico-sociale, par exemple), un même délai d'un mois court à partir du jour où elle a été accomplie. Le délai total dans lequel le tribunal a à statuer par jugement définitif ne peut dépasser un - VI-8 - mois. Le délai pour se pourvoir en cassation est d'un mois à partir de la notification du jugement. 6. LES CONDITIONS DU SEJOUR HOSPITALIER L'article 32 prévoit de manière très précise les conditions de séjour hospitalier du malade. Ce dernier doit être traité dans des conditions respectant sa liberté d'expression, ses convictions religieuses et philosophiques et dans des conditions qui favorisent sa santé physique et mentale, ses contacts familiaux et sociaux ainsi que son épanouissement culturel. Cet article interdit - sans raison médicale grave à démontrer - l'isolement affectif du patient ou toute autre forme de contention physique. Les requêtes ou réclamations faites par le malade à l'autorité judiciaire ou administrative, la correspondance qu'il adresse à l'extérieur ou qui lui est adressée, ne peuvent être retenues ouvertes ou supprimées par qui que ce soit. Dans tout service psychiatrique, le malade peut recevoir la visite de son avocat, du médecin de son choix, de la personne de confiance et, sauf contre-indication médicale, de toute autre personne. Le médecin choisi par le malade et son avocat peuvent se faire présenter le registre et obtenir du médecin chef de service tout renseignement sur l'état du malade. 7. LES SERVICES PSYCHIATRIQUES L'Arrêté Royal d'Application du 18.07.1991 précise les prescriptions relatives aux services psychiatriques tenus d'accueillir des malades mentaux dont l'état nécessite des mesures de protection. Pour autant qu'ils soient désignés à cet effet par l'autorité compétente, sont tenus d'accueillir les malades mentaux à l'égard desquels une mesure de protection a été ordonnée (Art. 2) : - Les services A des hôpitaux psychiatriques. Les services A des hôpitaux généraux fonctionnant dans le cadre de la loi du 08.09.1964 relative à l'aide médicale urgente. - VI-9 - - Les services T. - Les services K (service neuropsychiatrique pour enfants). Il s'agit là d'un point extrêmement important : les anciens services "fermés" ne sont plus les seuls concernés ! Les conditions fonctionnelles spécifiques auxquelles ces services doivent répondre sont: - Disposer d'un règlement d'ordre intérieur soumis à l'approbation de l'autorité compétente et porté à la connaissance du procureur du roi et du juge de paix qui a ordonné la mesure de protection (Art. 3). Ce règlement doit régler : a/ les mesures internes de protection : - garantie de traitement - sécurité du malade - sécurité du personnel - protection des biens hospitaliers b/ la manière dont sont garantis les droits du malade - Etablir un rapport annuel concernant la liste des patients admis dans le service à la suite d'une mesure de protection (Art. 4). Ce rapport sera transmis aux médecins inspecteurs psychiatres désignés par l'autorité compétente, au juge de paix du lieu où est situé le service et au procureur du roi. - Compter des médecins chefs de service habilités à prendre des mesures de protection (Art. 8). Pour ce faire, deux conditions sont requises : a/ être agréé comme médecin spécialiste en neuropsychiatrie ou en psychiatrie b/ avoir réussi un examen organisé par une commission d'experts désignés par l'autorité compétente (Région ou communauté dans la Belgique fédérale). Si un malade est placé en chambre d'isolement et d'observation, le médecin chef de service doit inscrire ces mesures de contrainte dans un registre en mentionnant leur durée, leur nature et l'indication médicale. 8. LE CONTROLE DU RESPECT DE LA LOI (art. 33) Il sera exercé par le procureur du roi et le juge de paix du lieu du service, ainsi que par les médecins inspecteurs psychiatres désignés à cette fin. - VI-10 - Ils ont tous - ainsi que les experts désignés par le tribunal - accès aux services psychiatriques et peuvent se faire présenter les registres ainsi que tout document nécessaire. Les services psychiatriques sont visités à des jours indéterminés et sans publicité préalable au moins une fois par an par le procureur du roi de l'arrondissement et le juge de paix du lieu du service (Art. 8 de l'A.R. du 18.07.1991). Les magistrats visitent personnellement les services psychiatriques où ils rencontrent les patients hospitalisés. Ils doivent contrôler la régularité du séjour dans l'établissement ainsi que le respect des articles 3 et 32. Ils ont donc la mission complémentaire de vérifier que tout malade qui a été librement admis - en dehors de la présente loi - puisse quitter le service psychiatrique à tout moment (Art. 3) et vérifier que tout malade peut exprimer ses requêtes et faire parvenir ainsi que recevoir la visite de son avocat, de son médecin ou de toute autre personne. 9. LES FRAIS Les frais de transport et de séjour des magistrats, les frais et honoraires des experts et du médecin choisi par le malade sont avancés par le Ministère de la Justice (Art. 34), qui les récupérera auprès du malade si la mesure de protection est décidée. Les frais de transport, d'admission, de séjour et de traitement dans un service psychiatrique ou dans une famille sont à charge du malade. 10. « EVASION » En cas « d'évasion », le directeur de l'établissement doit donner avis de l'évasion à la personne qui a demandé la mise en observation, au procureur du roi et au juge de paix (Art. 10 de l'A.R. du 18.07.1991). 11. LE TRANSPORT ET LE TRANSFERT (Arrêté Royal d'Application du 26.07.1991) Le transport et le transfert sont assurés par le service 100 ou tout autre service spécialisé à cet effet et qui a accepté sur base d'une convention conclue avec l'Etat de collaborer au - VI-11 - fonctionnement du système d'appel unifié. Si nécessaire, appel peut être fait : - à du personnel qualifié - à des agents de la force publique en civil En cas de transfert, un rapport circonstancié doit être adressé au médecin chef de service du nouveau service. Ce rapport doit comporter au moins les éléments suivants : - Les observations psychiatriques et autres constatations médicales ou sociales significatives. - Les résultats des tests et des examens réalisés. - La nature et le résultat des traitements appliqués. - Une copie de tous les documents établis en exécution de la loi du 26.06.1990 et nécessaires au traitement ultérieur du malade mental. - VI-12 - Assisté d’un ∗ ∗ ∗ MALADE MENTAL 10 jours JUGE DE PAIX - VI-13 - Maintien : 2 ans max. PROCEDURE D’URGENCE Le médecin chef peut décider à tout moment la sortie de son établissement Procureur du Roi Personne concernée Médecin (certificat circonstancié) Période d’observation : 40 jours max. Post-cure à l’extérieur : 1 an max. Sortie Avocat (obligatoire) Médecin de son choix (facultatif) Personne de confiance (facultatif) Personne concernée Médecin (certificat circonstancié) PROCEDURE ORDINAIRE LOI DE PROTECTION DE LA PERSONNE DU MALADE MENTAL (26 JUIN 1990) CHAPITRE VII : TROUBLES PSYCHOPATHOLOGIQUES DE LA PERINATALITE 2012 1- Définition La psychopathologie de la périnatalité concerne les troubles psychiatriques apparaissant pendant la période de la grossesse et du post-partum, chez la mère, le père et le nourrisson, voire de la fratrie La grossesse et l’accouchement sont des événements majeurs dans la vie d’un individu tant d’un point de vue psycho-affectif que physiologique. Il n’est donc pas surprenant d’y observer des perturbations importantes sur le plan psychopathologique. Longtemps sousestimés ou franchement méconnus, ces troubles imposent une prise en charge psychiatrique attentive. 2- Grossesse Cette période est relativement protégée sur le plan psychiatrique ; p. ex. plus de 80 % des femmes alcooliques ou toxicomanes connaissent une amélioration de leur situation pendant la grossesse. Le maintien d’une consommation élevée est, outre un facteur de risque pour le fœtus (syndrome alcoolo-fœtal), un facteur de mauvais pronostic pour la maladie de la mère. Lors du premier trimestre, ce sont surtout des grossesses non désirées qui engendrent anxiété et dépression. Le troisième trimestre s’accompagne plus volontiers d’angoisses et de peurs concernant l’accouchement ainsi que des doutes sur la normalité du foetus. Des pathologies psychiatriques antérieures peuvent connaître une rémission pendant la grossesse mais une réactivation après l’accouchement (T.O.C.). L’avortement spontané peut engendrer une réaction dépressive surtout s’il y a plusieurs avortements qui précèdent. L’avortement thérapeutique peut donner une morbidité psychiatrique surtout dans le premier mois qui suit celui-ci. Les morts anténatales déclenchent une réaction de deuil et des troubles psychiques au long cours. Sur le plan de - VII - 1. - la prévention, il est essentiel de montrer le bébé à la maman, de lui donner un nom et d’organiser des funérailles. Une prise en charge et un soutien sont fréquemment nécessaire lors d’une grossesse ultérieure. 3. Les troubles spécifiques du post-partum La pathologie du post-partum stricto sensu se définit comme la période qui s’étend de l’accouchement au retour des couches, c’est-à-dire la reprise du cycle menstruel normal. Selon les critères du D.S.M.-IV cependant, les troubles du post-partum sont considérés comme ceux qui se déclarent dans une période de 4 semaines qui suit l’accouchement. Cependant, le risque de trouble majeur de l’humeur se trouve significativement augmenté dans l’année qui suit un accouchement et les troubles dépressifs mettent souvent 3 à 4 mois à devenir manifestes. Les dépressions mineures (maternity-blues ou encore postpartum blues), bien que très fréquentes, n’ont pas de signification pathologique, mais doivent être pris en compte par l’entourage familial et médical. 3.1. Le “Post-partum blues” Suivant les critères utilisés dans les études, il atteint de 30 à 80 % des accouchées. Il débute généralement le 3ème jour après l’accouchement avec la montée laiteuse, et dure rarement plus d’une semaine. Il est caractérisé par l’instabilité de l’humeur, l’irritabilité, la rumination et l’asthénie. Il est attribué à la déflation brusque du taux oestro-progestatif qui suit la délivrance. L’hypersensibilité de la jeune mère est biologiquement “adaptée” à une relation fusionnelle au nouveau-né. Sur le plan psychodynamique, on assiste à une réactivation tant de l’identification de l’accouchée à sa propre mère que des conflits archaïques inconscients de sa propre histoire avec leur charge d’agressivité, de culpabilité et d’ambivalence. 3.2. Les troubles psychotiques du post-partum On estime à 1 à 2 % (une sur 500 accouchées) le nombre de décompensations psychopathologiques graves dans le post-partum, la grande majorité (80 %) d’entre elles survenant dans le premier mois et même la moitié de celle-ci dès la première semaine après l’accouchement. Le risque de récurrence lors d’une prochaine grossesse est relativement élevé (plus d’un tiers des cas). - VII - 2. - D’avantage que dans les pays anglo-saxons où on a tendance à rattacher cette pathologie aux autres tableaux des troubles de l’humeur ou des psychoses (épisode psychotique bref), on maintient - en France surtout - une entité sous le terme général de psychose puerpérale (ce qui n’est pas tout à fait correct puisque tous les tableaux pathologiques ne comportent pas toujours de traits psychotiques, au sens d’un délire ou d’une hallucination). Cette entité se caractérise par : - un début précoce dès les premières semaines ; - des bouffées délirantes polymorphes (inconstant) ; - des composantes confusionnelles et thymiques ; - une symptomatologie changeante et une évolution fluctuante ; - un pronostic généralement favorable. 3.2.1. Troubles majeurs de l’humeur Les troubles maniaques ou dépressifs majeurs constituent la grande majorité des perturbations du post-partum. Ils sont semblables à ceux étudiés dans le chapitre consacré aux troubles de l’humeur. Pour la primipare, ils atteignent 10 à 15% des personnes, le risque de récurrence est élevé (50 %) Dans la logique du D.S.M.-IV, il conviendra de spécifier si un trouble de l’humeur survient dans la période du post-partum limité aux 4 semaines qui suivent l’accouchement. 3.2.2. Psychoses du post-partum Les psychoses délirantes aiguës ont un début brutal (pic de fréquence : 10ème jour) et une symptomatologie polymorphe : stupeur, agitation, agressivité, ludisme, trouble de la vigilance (états oniroïdes), exaltation maniaque, dépression délirante …. Les thèmes les plus fréquents sont la négation de la réalité de la naissance, du mariage, de la filiation. Il existe souvent une conviction persécutoire (enlèvement de l’enfant ou changement de sexe). L’attitude agressive ou auto-agressive doit être suivie et surveillée : le raptus suicidaire avec ou sans infanticide prend ici toute son importance dramatique. - VII - 3. - On estime généralement que 10 % des psychoses puerpérales graves peuvent évoluer vers un état dissociatif (schizophrénique) chronique entraînant éventuellement l’incapacité d’assumer de façon autonome la récente maternité. Dans ces cas, une anamnèse soigneuse met souvent en évidence des antécédents psychotiques ou pré-psychotiques à la grossesse elle-même. 3.2.3. Traitement des troubles psychotiques du post-partum La thérapeutique de ces états psychotiques doit être soigneuse, eu égard aux risques évoqués ci-dessus. Une hospitalisation spécialisée sera nécessaire dans la plupart des cas avec éventuellement le bébé dans une unité de soins « mère-enfant »),. Une neuroleptisation adéquate pourra utilement être complétée par une sismothérapie (ECT) qui y trouve une de ses indications de choix, avec des résultats souvent spectaculaires. Un accompagnement psychothérapeutique ultérieur de la patiente et de son couple(est toujours indiqué. Une collaboration multidisciplinaire s’avère, à cet égard, intéressante : psychiatre, pédopsychiatre, gynécologue et pédiatre peuvent contribuer à améliorer rapidement le tableau clinique et le pronostic, en particulier quant aux incidences précoces sur le développement psychique de l’enfant. - VII - 4. - Chapitre VIII : LES PSYCHOTHERAPIES 2012 J.P. ROUSSAUX D. COLLET P. DENEUTER 1. DEFINITION GENERALE Une psychothérapie est un traitement qui vise à l’amélioration ou à la guérison de maladies à expression (physique ou psychique) par des procédés exclusivement psychologiques (et non physico-chimiques) et qui implique une relation entre un thérapeute et un ou plusieurs patients. Qui sera ce psychothérapeute ? Le plus souvent un psychologue ou un médecin, psychiatre ou généraliste mais aussi un assistant social, une infirmière, un éducateur, qui ont suivi une formation spécifique dans le type de psychothérapie pratiquée. Ce traitement peut avoir pour objet : 1° des troubles à expression psychique dont l’origi ne est elle-même psychique, en particulier ceux qui sont déterminés par des conflits intrapsychiques ou interpersonnels (pensée obsédante, inhibition, angoisse, délire, dépression, conduites d’échec, par ex.). 2° des troubles organiques fonctionnels partielleme nt ou totalement déterminés par des causes psychiques (paralysie hystérique, frigidité, impuissance sexuelle, énurésie, encoprésie, recto-colite, ulcères, épilepsie, anorexie, par ex.). 3° certaines difficultés relationnelles (échecs sco laires ou amoureux répétés, jalousie pathologique, agressivité disproportionnée, par ex.). 4° l’acceptation de certaines maladies organiques i nvalidantes ou mortelles (accompagnement de malades cancéreux ou gravement handicapés, par ex.) Bien qu’il existe quelques points communs, on distinguera cette relation psychothérapeutique de celle qui met en place un éducateur, un formateur et un enseignant dont le rapport au savoir est fondamentalement différent. VIII-1- 2. AMPLITUDE DU PHENOMENE PSYCHOTHERAPEUTIQUE Depuis qu’à l’aube du XXe siècle, Freud a créé la psychanalyse, divers courants psychothérapeutiques ont à leur tour vu le jour, certains, dans le prolongement de la découverte freudienne, d’autres en opposition avec elle. Il y a peu, on a recensé quelque 400 types de psychothérapies. Chacune d’entre elles demanderait de nombreuses pages pour être valablement présentée, cas cliniques à l’appui. Et ce, de préférence par un spécialiste de cette orientation. Etant donné l’espace qui nous est réservé, nous nous limiterons à la présentation schématique des différents paramètres impliqués dans ces diverses orientations et à la présentation un peu plus explicite des trois courants principaux aujourd’hui. On trouvera les informations complémentaires dans les ouvrages de référence proposés en fin de texte. 3. CARACTERISTIQUES PHENOMENALES DES DIVERSES PSYCHOTHERAPIES 3.1. Les patients effectivement rassemblés : qui vient ? Une psychothérapie est dite individuelle, de groupe (5 à 15 personnes), de famille, de couple ou encore institutionnelle (avec les membres d’une équipe soignante). Il s’agit là de dénomination qui relève uniquement d’un paramètre finalement assez superficiel : qui est effectivement présent lors de la séance psychothérapeutique. Dans la thérapie de groupe, il est souhaitable que chaque participant soit présent à chaque séance. Pour la thérapie de famille, même si cela n’est pas souhaitable, elle peut se dérouler en l’absence occasionnelle d’un des membres de la famille. 3.2. Les modalités d’expression proposées au patient : comment ? Freud proposa à ses patients la seule expression verbale sous forme d’association libre. D’autres, avant lui et après lui, engageaient les patients dans un dialogue plus ou moins structuré. Puis certains, confrontés aux limites de l’expression verbale en général ou aux capacités verbales de leurs patients, proposèrent l’expression par la parole et par l’action sous ses diverses formes : psychodrame, modelage, dessin, chant, théâtre, etc... VIII-2- Certains thérapeutes y ajoutent l’expression corporelle, d’autres en proposent l’usage exclusif, ce qui est rare et, semble-t-il, assez dangereux (réactions mal contrôlées en l’absence de parole). 3. 3. Le niveau de conscience visé : contrôle ? On peut répartir les psychothérapies en fonction du niveau de conscience visé. Le niveau de conscience habituel est mis en œuvre dans les thérapies comportementales et systémiques. Un niveau de contrôle conscient atténué est requis par la psychanalyse, la relaxation et le rêve éveillé. Un état hypnotique plus ou moins profond est mis en œuvre par la sophrologie et l’hypnose thérapeutique. 4. LES REFERENCES THEORIQUES PRINCIPALES Les trois paramètres précédents, permettent une approche somme toute assez superficielle de la psychothérapie. La conception de l’homme et de son psychisme et les conceptions corrélatives de la maladie et du symptôme constitue un paramètre bien plus important. Depuis Freud et la psychanalyse de nombreuses théories ont vu le jour 1 Bien que certaines théories de la personne et de son psychisme privilégient inévitablement certains cadres, certaines modalités d’expression et certains niveaux de conscience, ces trois paramètres n’ont qu’un rapport relatif avec la théorie à laquelle se réfère le psychothérapeute. Ainsi, un thérapeute de famille peut se référer à la théorie systémique, cognitivo-comportementale ou psychanalytique, pour reprendre les trois orientations théoriques qui sont les plus développées. Dans les pages qui suivent nous ne présenterons que ces trois orientations théoriques ainsi que trois types de psychothérapies prépsychanalytiques. 1 Ainsi, le post-freudisme (Anna Freud, Mélanie Klein et Bergeret), les freudiens dissidents (Jung, Adler, Reich), la phénoménologie (Boss, Binswanger), le non directivisme (Rogers), le psychodrame (Moreno, Lemoine, Anzieu), la Gestalt (Perls), les théories psychologiques du comportement, de l’apprentissage (Pavlov, Eysenk) et la cognition (Lewin, Piaget), le structuralisme psychanalytique (Lacan, Dolto) ou familial (Nagy), la théorie des systèmes (Bateson, Watzlawik). VIII-3- 4.1. Les thérapies pré-psychanalytiques Avant Freud, certains utilisaient la suggestion, d’autres l’hypnose, d’autres enfin la psychothérapie morale. La suggestion use de la parole pour faire admettre certaines idées, faire réaliser certains actes ou encore faire disparaître certains symptômes (toxicomanie, phobie, trouble hystérique, etc.). Exemple : méthode Coué. L’hypnose consiste à plonger le patient dans un état de sommeil incomplet afin de rendre possible l’émergence de souvenirs oubliés ou d’ouvrir le champ à la suggestion dite alors post-hypnotique. Actuellement l’hypnose selon Milton Erikson connait un intérêt certain. La psychothérapie morale consiste à réconcilier le patient avec le Beau, le Vrai et le Bien. Il s’agit par exemple d’apprendre au patient que ce qu’il fait n’est pas bien et de lui indiquer des voies plus socialement acceptées et valorisées (centres de guidance). Une forme actuelle en est la psychoéducation (« JUST SAY NO » dans les consommations de drogues illicites). Aujourd’hui encore, plusieurs courants thérapeutiques se réfèrent à nouveau, explicitement ou implicitement, à ces courants psychothérapeutiques. 4.2. La psychanalyse et les psychothérapies d’inspiration psychanalytique 4.2.1 les hypothèses de base Nature conflictuelle du désir humain : nous sommes animés de désirs contradictoires. Un exemple simple : « Je veux à la fois être un très bon fils en allant voir ma mère veuve le dimanche matin mais aussi faire la grasse matinée avec ma femme ». Le Moi fort et fonctionnel pourra faire un choix clair – renoncer soit à être un très bon fils, soit à rester au lit tard : il pourra trancher ! Le Moi fort peut aussi trouver un compromis non pathologique : aller voir la mère l’après midi ou le lundi. Par contre le Moi problématique (conflictuel) ne peut se sortir de ce conflit (ce double désir contradictoire) que par la production d’un symptôme (par exemple une diarrhée ou une dépression) : si je suis malade, je ne dois pas rendre visite à ma mère mais je ne peux pas non plus bien profiter de ma matinée au lit. VIII-4- - Hypothèse de l’inconscient : nous sommes déterminés par des pensées inconscientes qui peuvent être à l’origine de symptômes les plus divers. Le moi n’est plus maître dans sa propre maison (Freud). - Le symptôme (psychique ou organique) a un sens, il est un langage qui peut-être l’expression d’un message adressé à quelqu’un (« Maman, c’est toi que j’aime par dessus tout » d’où impossibilité d’établir un lien amoureux avec une autre femme) ou encore d’un conflit entre des pensées contradictoires (« Je veux le tuer » et « Tu ne tueras point » d’où paralysie du bras). - Importance décisive des premières expériences de l’enfant pour la structuration de son psychisme et pour la survenue de symptômes psychiques de l’âge adulte. - Importance décisive de nos pulsions sexuelles et agressives. De la façon dont celles-ci vont être aménagées par l’éducation (au sens très large d’entrée dans l’univers du langage et de la civilisation), vont dépendre le plaisir ou le déplaisir pris dans nos diverses activités amoureuses et professionnelles. Nos symptômes vont eux aussi être déterminés par l’issue donnée par chacun au conflit inévitable entre ces pulsions et les exigences de notre civilisation (et plus spécifiquement de notre famille d’origine), intégrées dans notre SURMOI. 4.2.2 La visée de la cure Le symptôme étant ainsi conçu, la cure visera la disparition du symptôme par le détour d’une modification du rapport du sujet à ses pensées inconscientes, par l’analyse du conflit pulsions/interdits ou pulsion/pulsion qui sont à l’origine du symptôme. Elle vise donc à « guérir » les vraies causes en évitant ce que Freud appelait “la guérison à courte vue” qui consiste à faire disparaître le symptôme (par suggestion, par médication, etc.) sans en supprimer les causes profondes et déterminantes. 4.2.3. La méthode La méthode de la cure psychanalytique comprend principalement l’association libre et le transfert. L’association libre consiste à dire autant que possible tout ce qui passe par l’esprit, sans se soucier de la logique des suites de pensées, ni non plus de leur VIII-5- caractère convenant ou inconvenant. S’allonger sur un divan, sans voir les réactions de son psychanalyste vise à permettre plus de liberté dans ce processus d’association. Il s’agit là de la règle fondamentale de l’analyse : en fait très difficile à respecter ! Actuellement, la plus grande partie des psychothérapies d’inspiration analytique se déroule en face à face, réduisant malheureusement la liberté d’association (mais permettant une moindre régression et un meilleur contrôle du transfert). Le transfert est constitué par l’ensemble des sentiments et pensées qui progressivement se forment à l’égard du psychanalyste. Il s’avère être le déploiement expérimental de l’inconscient du sujet et la répétition des diverses expériences infantiles qui ont présidé à sa constitution. Le transfert est donc une voie privilégiée d’accès à cet inconscient et à cet aspect infantile en nous, et donc aux sources du ou des symptômes (le contre-transfert concerne les sentiments de l’analyste envers son patient : sympathie, intérêt … parfois répulsion, ce que l’on a appelé le contre-transfert négatif). Cette association ne sera libre et ce transfert ne pourra se développer que si, du côté du psychanalyste, une réelle neutralité bienveillante accueille ces dires aussi libres que possibles et les manifestations transférentielles d’amour, de désir, d’agressivité ou de haine. C’est à développer cette disposition psychique particulière que vise notamment la longue formation du psychanalyste (environ 7 ans !) et l’exigence de s’être soumis lui-même à une psychanalyse de plusieurs années en plus de la partie théorique. 4.2.4 Les psychothérapies d’inspiration analytique La cure type impliquant un investissement important en temps et en argent, (2 à 5 séances par semaine) et certaines structures psychiques (propension à la projection, états limites, psychoses …) n’y étant pas adaptées, plusieurs psychothérapeutes proposent des aménagements notamment pour les psychotiques et pour les enfants. Il s’agit d’abandonner certaines caractéristiques de la cure type tout en en gardant d’autres. Ne pas utiliser le divan mais le face à face, diminuer les fréquences, remplacer l’association libre par le dessin, le modelage, le jeu psychodramatique, le dialogue familial ou conjugal ou encore la discussion de groupes, etc. VIII-6- Si elles ont des effets psychothérapeutiques évidents, ces variantes ne peuvent évidemment pas prétendre atteindre les mêmes buts que la cure psychanalytique type. D’autre part, elles fonctionnent fatalement davantage dans la suggestion, en particulier les « psychothérapies de soutien » souvent pratiquées par des médecins ou psychologues expérimentés mais de plus faible formation psychothérapeutique spécifique. 4.3 Les thérapies systémiques 4.3.1. les hypothèses - L’individu est principalement déterminé par les différents systèmes (familial, social, professionnel,…) dont il participe. Un des plus importants de ceux-ci est constitué par la famille d’origine. - Le symptôme d’un ou de plusieurs membres d’un système est l’expression d’une perturbation de ce système - par l’arrivée ou le départ d’un membre par ex. – et souvent une tentative pour ce système de retrouver son équilibre. - Parmi les concepts spécifiques de base pour cette orientation systémique, on retiendra l’homéostasie, l’équilibre et le double lien. L’homéostasie familiale désigne la tendance des familles à maintenir constantes leurs conditions de vie. Cette tendance s’oppose au changement. Les familles qui sont pathogènes pour leur membre sont celles qui sont incapables de changement alors que leur environnement change ou que leur composition change. L’arrivée d’un enfant dans un couple nécessite une profonde réadaptation du couple. Il est souvent l’occasion de perturbations chez les membres du système si celui-ci est incapable de s’adapter à l’irruption de ce tiers dans le couple. On sait aussi combien la naissance d’un puîné peut entraîner de troubles chez l’aîné (énurésie, troubles scolaires, maux de ventre...) si le système ne lui permet pas de s’adapter à cette nouvelle situation. Il en va de même lorsque le chômage du père entraîne un changement de statut social et une modification de sa présence à la maison. L’équilibre, concept plus récent, désigne la recherche d’un juste milieu entre la tendance au maintien (mouvement centripète) et la tendance au changement, (mouvement centrifuge) au travers des changements qui traversent le VIII-7- système. Un bon exemple est la réaction de la famille à l’entrée dans l’adolescence d’un enfant, avec ses privilèges, les nouvelles libertés et le respect de la tradition. Le double lien (double bind) : dans le langage verbal comme dans le langage non verbal, il y a deux niveaux de communication. Le premier est celui du message, le second, celui du metamessage (message à propos du message). Ces deux niveaux de messages peuvent être plus ou moins cohérents ou contradictoires. Il y a double lien lorsque cette contradiction se répète fréquemment, dans une relation vitale pour une personne au moins, avec impossibilité pour celle-ci de s’échapper du cadre de ces doubles messages. Elle ne peut ni le contrecarrer, ni le discuter, ni accepter un des termes sans désobéir à l’autre injonction : elle a toujours tort ! On pensera notamment aux paroles de tendresse et d’amour qui sont imperceptiblement contredites par l’absence de mouvement, la froideur du regard, ou l’oubli de la date d’anniversaire. Le père autoritaire tapa du poing sur la table et dit à son fils timoré : « J’exige que tu te montres indépendant ». 4.3.2 Visée du traitement La disparition du symptôme par le recours à des modifications dans le système (sa structure, ses échanges et ses interrelations) ou encore dans les représentations que les membres du système se font d’eux mêmes (constructivisme). 4.3.3. Méthode Les systémiciens privilégient les séances qui regroupent effectivement les membres du système. On les verra plus souvent pratiquer les entretiens de familles ou de couple. Mais plusieurs reçoivent aussi individuellement tout en se référant à la théorisation systémique de ce qui leur est adressé. Si les psychanalystes accordent beaucoup d’attention aux familles fantasmatiques de leurs patients, c’est-à-dire aux familles telles que ceux-ci se la représentent, les systémiciens accordent toute leur attention aux membres présents de la famille et à leurs interactions tels qu’ils peuvent les observer dans la réalité de la séance. VIII-8- C’est le dialogue d’une famille (ou d’un entourage professionnel ou scolaire) avec un thérapeute ou un couple de thérapeutes qui constitue le moyen d’expression le plus souvent utilisé. Néanmoins, des systémiciens peuvent recevoir des patients individuellement tout en les écoutant et en intervenant dans une optique systémique. Un certain nombre de thérapeutes familiaux sont proches des thèses psychanalytiques (plusieurs d’entre eux ont par ailleurs une formation de psychanalyste). Ceux-là accordent notamment une certaine attention à l’univers fantasmatique de chacun des membres de la famille. D’autres se rapprochent plutôt de l’optique comportementale et de l’approche cognitiviste : ce sont les thérapies stratégiques ou communicationnelles (avec entre autre des exercices de communication clairs à faire à la maison). 4.4. LES THEORIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVOCOMPORTEMENTALES Le symptôme est le résultat d’un mauvais apprentissage. Il est donc appris, il s’auto-entretient. S’opposant plus ou moins radicalement à l’expérience freudienne, les comportementalistes pensent que le symptôme n’a pas de sens pour le sujet et qu’il n’est donc pas nécessaire de l’interpréter. Le symptôme peut néanmoins avoir une fonction dans la vie quotidienne de la personne. Par exemple, un jeune adulte peut manifester des attaques de paniques au moment de son départ du domicile familial et de son envol vers l’indépendance. Ces attaques de paniques vont avoir comme fonction de retarder ou annuler ce départ. Comme l’avait initialement montré Pavlov, les comportements des animaux peuvent être le résultat d’un conditionnement. On parle dans ce cas de conditionnement répondant. Certaines réactions physiologiques, certains comportements peuvent être associés, par contiguïté temporelle, à des événements extérieurs. Par exemple, une réaction de peur et/ou de fuite peut être associée à un contexte ou à un objet. Cela est souvent le cas chez l’humain notamment dans les états de stress post-traumatiques, où un endroit est évité car il a été associé à une menace pour l’intégrité de la personne. Suite à une agression un individu va éviter le lieu de cet événement. Mais cet évitement peut VIII-9- se généraliser. La personne évitera le parking où s’est déroulée son agression, puis la rue, puis le quartier, etc.… Skinner a quant à lui montré que les comportements pouvaient être renforcés ou pas selon les conséquences associées à ce comportement. On parle dès lors de conditionnement opérant. Ils sont renforcés lorsque leur réalisation, volontaire ou non, s’accompagne de récompense. Ils s’oublient lorsqu’ils sont accompagnés de déplaisir ou de punition, c’est l’extinction. Il en va de même pour la disparition d’un comportement gênant : il disparaîtra si l’on découvre comment déconditionner l’individu. Plus d’un système éducatif est basé sur de semblables principes. Les diverses techniques psychothérapeutiques telles que l’exposition sont basées sur ces principes théoriques. Cela représente la première époque des thérapies comportementales. Faire disparaître le symptôme gênant ou acquérir de nouveaux comportements (via l’affirmation de soi, par exemple) constituent les visées essentielles du traitement. Néanmoins une seconde époque initiée par Beck et Ellis, insiste plus sur le volet cognitif de l’individu en traitement. Quels sont les représentations, les idées et le dialogue interne présent chez l’individu avant, pendant et après un événement générant de l’inconfort. L’idée est de discuter ces « cognitions » par un dialogue « socratique ». Ceci signifie amener la personne à prendre conscience des éventuelles incohérences dans ses idées pouvant maintenir le problème. Le but est d’aider la personne à se rendre compte du maintien possible du problème à cause de ces cognitions (anticipations négatives : « je n’y arriverai jamais », abstraction sélective : « j’ai bafouillé sur un mot, je suis ridicule »). Par exemple, une personne dépressive face à un échec lors d’un examen attribuera cela à son manque d’intelligence. On parlera dans ce cas d’attribution interne (Rotter). Cependant dans la situation inverse, en cas de réussite, il fera une attribution externe, en expliquant cela par la chance et le hasard favorable des questions. On peut dès lors déterminer certaines attitudes qui maintiennent et aggravent un état pathologique. Le but du psychothérapeute sera d’aider le patient à prendre conscience de ces pensées intrusives et automatiques et de tenter de les modifier. L’auto-observation sera l’outil principal permettant le recueil de ces pensées. Le psychothérapeute demandera à la personne de noter ses pensées, VIII-10- ses émotions et ses comportements de manière à pouvoir exploiter ces informations comme matériel lors des séances. Pour certains comportementalistes il faut donc prendre en compte les pensées et les sentiments de la personne. C’est la globalité de la personne, au-delà de son symptôme qui doit être prise en considération. La thérapie comportementale vise donc à libérer d’abord le sujet du mauvais conditionnement dont le symptôme est la trace en l’aidant à vaincre ses difficultés par les voies de l’apprentissage ou en appréhendant différemment les circonstances au cours desquelles le symptôme se manifeste. Par exemple, l’entraînement à l’affirmation de soi peut permettre à une personne de modifier ses manières habituelles de réagir. Un changement d’attitude pourra avoir des répercussions sur l’environnement social de la personne. Le psychothérapeute travaillera avec le patient pour l’amener à réaliser des expériences de comportement en vue de dédramatiser les cognitions d’anxiété anticipative. Par exemple, un individu présentant un style « passif », peut être bloquée par des pensées du type : « Si je donne mon avis, mon chef va crier, je vais m’effondrer et être viré ». L’idée sera de demander à la personne de donner son avis d’abord dans une situation moins anxiogène pour expérimenter les réactions de l’autre et les siennes. Cela se travaille généralement en séance par une discussion des cognitions et par des jeux de rôle. La personne va jouer son rôle et le thérapeute fera l’interlocuteur. L’inverse est possible également : les rôles sont échangés et le patient bénéficie alors d’un apprentissage par modèle (Bandura). Ce dernier exemple permet de montrer les trois volets essentiels de la thérapie cognitive et comportementale. En situation, quelles sont les cognitions de la personne (ce qu’elle se dit de l’événement, avant, après et pendant), quels sont les comportements (ce qu’elle fait) et quelles sont ses réactions émotionnelles et physiologiques (ce qu’elle ressent, par exemple : gorge nouée, souffle court, mains moites). Le fait de d’articuler et de proposer des interventions à ces trois niveaux peut montrer leur relations mutuelles. Par exemple, avec un sujet phobique : 1) au niveau cognitif, on va discuter des pensées associées à l’événement « Je vais paniquer, m’évanouir, crier, etc. » ; 2) au niveau comportemental on va progressivement exposer le patient à l’objet/situation phobogène, soit en imagination, soit in vivo ; 3) L’aspect physiologique peut être abordé via des techniques comme la relaxation ou des exercices de respiration. VIII-11- L’aspect comportemental est bien souvent capital car plus facilement accessible à la modification. De plus, il aura des répercussions sur les cognitions de la personne. Pour en revenir à l’exemple de l’individu passif, ce dernier peut, en société, expérimenter une réussite lors d’un échange verbal en donnant son avis dans une discussion (modification comportementale). Cette réussite sera accompagnée de pensées différentes comme « Je suis capable tout compte fait » versus « Je n’y arriverai jamais, taisons-nous »). L’aspect cognitif, quant à lui, peut être abordé via le dialogue dit « socratique ». Le psychothérapeute et le patient vont estimer les risques d’un changement de comportement et essayer de déterminer quelle est la crainte fondamentale pouvant ne pas être verbalisée au premier abord « Je ne donne pas mon avis en société, car j’ai peur d’être critiqué et dès lors de perdre toute confiance et ensuite de perdre mes amis et de finir seul et abandonné » (technique de la flèche descendante). On peut observer que les comportementalistes font exclusivement appel aux apprentissages comportementaux tandis que les cognitivo-comportementalistes font aussi appel aux facultés cognitives (prise de conscience rationnelle des comportements pathologiques) de leurs patients. C’est le dialogue du psychothérapeute avec un patient, et parfois son accompagnement sur les lieux qui font problème, qui sont les cadres privilégiés des cognitivo- des thérapies comportementalistes. On peut identifier un troisième mouvement au sein comportementales. Il est représenté par les thérapies basées sur la pleine conscience « mindfullness » inspirée des techniques de méditation (Kabat-Zinn ; Teasdale), par la thérapie d’acceptation et d’engagement ACT (Hayes) ou encore par la thérapie comportementale dialectique (Linehan). Ces différents modèles proposent une approche, non pas de correction des cognitions (comme la restructuration cognitive dans la thérapie cognitive), mais plutôt d’acceptation des pensées comme étant d’éventuels événements pouvant parasiter les comportements. En effet, face à une émotion perçue comme intolérable et inacceptable, l’individu va tenter de supprimer cette émotion. Or l’émotion se vit et est difficile à contrôler directement, de ce fait l’échec de la suppression de l’émotion va avoir pour conséquence d’augmenter l’affect négatif (Barlow & Allen ; Philippot). L’intervention thérapeutique visera plutôt à se VIII-12- focaliser sur l’événement présent (dans la pleine conscience) et à privilégier les valeurs essentielles pour elle. Par exemple, un orateur lors d’une présentation sur la psychothérapie laissera aller et venir ses pensées anxiogènes, sans tenter de les supprimer, tout en se concentrant sur les valeurs essentielles pour lui, comme la clarté et l’information. Une approche généralement associée aux thérapies cognitivo-comportementales est la pratique de l’entretien motivationnel (Miller & Rolnick ; Prochaska & Di Clemente). Ce type d’entretien, développé à l’origine en addictologie, peut facilement s’incorporer à d’autres domaines comme la médecine préventive (tabacologie, problèmes cardio-vasculaires) ou à d’autres approches psychothérapeutiques. Une des idées principales est que la motivation n’est pas dichotomique (« Je suis motivé à… » versus « Je ne suis pas motivé à … »). Elle est plutôt un ensemble d’états pouvant fluctuer. L’individu progresse schématiquement au travers de différents stades. Ceux-ci sont : 1) la précontemplation, le sujet n’a pas conscience d’un problème « Consommer de l’alcool en grande quantité ne m’est pas nuisible » ; 2) la contemplation, le sujet peut envisager la possibilité d’un problème « Si je continue à boire beaucoup, je vais avoir des problèmes de santé ou relationnels » ; 3) la préparation, la personne envisage une action concrète pour modifier la situation « Je vais en parler à mon médecin », « Je devrais diminuer ma consommation » ; 4) l’action, la personne se rend chez son médecin, diminue sa consommation, élimine les bouteilles d’alcool dans son environnement quotidien ; 5) le maintien, la personne continue à appliquer les décisions prises et les changements de comportement ; 6) La rechute, quant à elle, fait partie du processus et de l’évolution de la motivation. Elle doit être travaillée en tant que telle et non dramatisée. Ces techniques d’entretien utilisent l’empathie plutôt que le conseil strict, mais également la reformulation, le résumé et les questions ouvertes. L’ambivalence de la personne face à un choix est exploitée (« J’aime fumer mais pourtant j’envisage d’arrêter »). L’entretien motivationnel correspond tout autant à un « style » d’entretien qu’à des techniques précises. VIII-13- 5. QUELQUES CONSIDERATIONS PRATIQUES 5.1 Formation du psychothérapeute Sur la base d’un diplôme universitaire (psychologie, médecine, autre master comme criminologie, orthopédagogie, sciences infirmières ou encore assistant social A1), les formations théoriques et cliniques s’étendent généralement sur une durée de 4 ans (Diplômes d’études spéciales et Master complémentaires universitaires ou para-universitaires). Elles sont aussi assurées par les associations de thérapeutes de la spécialité ou encore d’instituts dans le cadre de la formation continue. Actuellement, il n’y a pas de reconnaissance officielle du statut de « Thérapeute » de la part du ministère de la santé, mais elle est à l’étude. 5.2 Coût En Belgique, seules les psychothérapies prestées par les médecins sont susceptibles d’un remboursement par l’INAMI. Le montant d’une consultation individuelle de ¾ heure chez un psychiatre s’élève à 67.34 € (remboursement de 51.30 € pour le patient ordinaire et de 60.93 € pour VIPO). Il existe également une tarification pour les familles et les groupes. La prestation du psychothérapeute-psychologue fonctionnaires de la n’est Commission pas de remboursée l’U.E. et (sauf certaines pour les assurances particulières). Elle s’élève à un montant de 30 à 60 € par séance individuelle. Rappelons que dans les services de santé mentale une psychothérapie auprès du psychologue peut, en principe, être menée gratuitement ou à un prix modique adapté aux revenus du patient ou de sa famille. Il n’existe pas pour le généraliste ou pour l’interniste spécialisé en psychosomatique de remboursement spécifique de la psychothérapie qui relève de la consultation normale (problème de la durée de la séance qui excède le temps normal de consultation). VIII-14- 5.3 Durée – Fréquence Les thérapies cognitivo-comportementales sont souvent plus brèves : axées sur la disparition du symptôme, elles peuvent se dérouler dans le cadre d’un contrat préétabli de 10 séances. Souvent, elles doivent cependant être prolongées, à raison d’une fois par semaine ou par 15 jours pendant 1 ou 2 ans. Les thérapies familiales ont la fréquence le plus espacée : une fois par 15 jours ou par mois, pendant une année ou plus. Certains accompagnements « palliatifs » pour des maladies chroniques (alcoolisme, schizophrénie) peuvent s’étendre sur de nombreuses années. La psychanalyse « cure type » sur divan comprendra plusieurs séances par semaine (2 à 5) pendant deux à plusieurs années. Les psychothérapies d’inspiration analytique (face à face) se déroulent une fois par semaine ou par 15 jours pendant un à 2 ans. Les psychothérapies de soutien, à visée symptomatique (aider le patient à surmonter une épreuve psychologique) seront poursuivies à un rythme et pour une durée résultant de l’estimation du besoin par le psychothérapeute et par le patient. 5.4 Référer à un psychothérapeute Pour le praticien, il est toujours délicat d’envoyer un patient chez un psychothérapeute. Il convient d’être très clair, de connaitre ses limites et pouvoir expliquer les objectifs réalistes d’un tel traitement. Il sera plus facile d’envoyer chez un psychothérapeute que le praticien connait personnellement (coût, accès, méthode, expérience positive motivante, …), de pouvoir donner le choix entre un homme et une femme, entre différents âges, différents styles (type social) etc.… Pratiquement, la palette de choix n’est pas infinie dans une région, mais il est important que le patient sache que l’on peut rechercher un autre thérapeute si le premier ne convient pas. Pour pouvoir commencer un travail en profondeur sur son intimité, il faut un minimum de sympathie et de confiance envers le thérapeute consulté. Ensuite, il est vivement conseillé de maintenir un contact régulier avec le patient après le début de la psychothérapie. Le médecin reste le référent général pour son patient (parfois pour discuter avec lui des doutes VIII-15- transférentiels éveillés par le thérapeute) et éventuellement il devra poursuivre la prescription de la médication psychotrope (soit que le psychothérapeute n’est pas médecin ou encore que comme psychiatre-psychothérapeute, il ne souhaite pas assumer les prescriptions). 6. CONCLUSIONS a. Les différentes hypothèses et méthodes qui portent leurs fruits spécifiques, mènent à penser que chacune a sa part de vérité, autrement dit, sa part d’adéquation au réel de la difficulté du patient. Freud lui-même ne voulait pas réduire tout symptôme au statut d’effet de déterminants inconscients. Dans certains cas, ceux-ci sont prédominants (névrose), dans d’autres cas, c’est le système familial (exacerbation de psychose juvénile ou tentative de suicide) dans lequel le sujet est inséré qui joue le plus grand rôle pathogène, dans d’autres cas enfin, le processus d’apprentissage et de renforcement du comportement (alcoolisme d’entraînement) auront été les plus déterminants. Dans un certain nombre de cas, les trois registres peuvent très bien avoir œuvré de concert ou successivement. Il n’y a pas de raison de penser que la vie psychique serait plus simple et soumise à un nombre plus restreint de déterminants que la vie organique. L’erreur de plus d’un psychothérapeute consiste à penser que seuls sont vrais les déterminants dont il a appris à connaître les mécanismes de fonctionnement. b. Par ailleurs, les psychothérapeutes ne doivent pas négliger l’incidence possible des déterminants organiques de certains troubles psychiques (schizophrénie – dépression), même si la même personne ne peut pas cumuler tous les rôles (par exemple celui de prescripteur de médicament et de psychothérapeute, surtout psychanalytique). c. Enfin, la diversité des buts ne peut pas être perdue de vue. Une chose est la simple disparition du symptôme, autre chose est la transformation préalable à la guérison des relations d’un système, autre chose est encore la modification préalable des rapports d’un sujet à ses pensées inconscientes. Le choix de l’orientation psychothérapeutique devient sur ce point un choix éthique personnel. d. Tout ceci est évidemment très schématique. Pour de plus amples informations, on se référera notamment aux lectures conseillées. VIII-16- 7. ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES 1. Les psychothérapies en général - DURUZ N. et GENNART M. : Traité de psychothérapie comparée. Ed. Médecine et Hygiène, Genève, 2002. (Un excellent ouvrage qui donne un vaste aperçu de l’ensemble des psychothérapies) - ISRAEL Lucien : L’hystérique, le sexe et le médecin. Masson-Paris 2001 (Médecine générale, sexualité et psychothérapie) 2. La psychanalyse - Cardinal, Marie : Les mots pour le dire, Poche 4887, Grasset, Paris, 1977 (roman autobiographique décrivant le décours d’une psychanalyse) - Robert, Marthe : La révolution psychanalytique, la vie et l’œuvre de Freud. Paris, Payot, 1964 (réédition Poche 2002) (un classique pour aborder l’œuvre de Freud à partir de sa biographie) - Freud, Sigmund : Cinq psychanalyses. PUF, Paris (réédition brochée 2010) (description clinique de cinq cas étudiés par Freud lui-même). 3. Les thérapies systémiques - Onnis L. Corps et contexte. Thérapie familiale des troubles psychosomatiques Ed. Fabert 2009 (140 p). - Elkaïm M. Si tu m’aimes, ne m’aime pas. Ed. Point (Poche) 2001 (219 p). - Watzlawick P. et coll : une logique de la communication coll Points n°102 Seuil-Paris (original en anglais : 1967) (280 p). 4. Les thérapies comportementales - Cottraux, J. Les thérapies comportementales et cognitives, Editions Masson, 2004. - Cottraux, J. Thérapie cognitive et émotions : La troisième vague, VIII-17- Editions Masson, 2007 - Miller, R. W. & Rollnick S. L’entretien motivationnel : Aider la personne à engager le changement. InterEditions, 2006. VIII-18- ANNEXES 1. M.M.S (E) 2. Hamilton Depression 3. Hamilton Anxiété 4. CAGE