En matière de qualité de l’air intérieur
(QAI), le syndrome des édifices à bureaux est très bien connu.
Ce syndrome existe lorsque plusieurs personnes d’un édifice ou
d’un local présentent des symptômes généraux tels que maux
de tête, fatigue, irritation des yeux ou des muqueuses, etc. Tou-
tefois, ce phénomène est très différent de celui d’un agrégat de
problème de santé (ou cluster en anglais).
De quoi s’agit-il ?
Un agrégat de problème de santé est l’apparition, sur une pé-
riode de temps, d’un nombre plus élevé de cas que celui atten-
du dans un groupe de personnes, une zone géographique spéci-
fique ou un milieu défini, tel le milieu de travail. Les principaux
problèmes de santé généralement à la source de signalement
d’agrégat sont ceux associés à la grossesse ou les cancers.
Ces situations entraînent souvent une demande d’investi-
gation accompagnée d’une inquiétude franche au sein de la
population touchée. Les agrégats de problèmes de santé sont
assez courants. Des données états-uniennes récentes1 suggèrent
que plus de 1 000 demandes annuelles sont formues à propos
de suspicion d’agrégat de cancer. Trois quarts des demandes
sont résolues au téléphone, alors que l’autre quart requiert un
suivi. Il prendra la forme d’une confirmation du nombre, du
type de cancer et d’une première comparaison entre le nom-
bre de cas observés dans le cadre du signalement avec celui
attendu à partir des taux nationaux.
Dans 5 à 15 % des signalements d’agrégat, un excès de cas
significatif au plan statistique est observé. Même dans ce con-
texte, des investigations plus poussées ne permettent presque
jamais d’identifier une cause sous-jacente à l’agrégat.
Un exemple récent
Le 10 décembre 2004, le quotidien Le Soleil titrait à la une :
« À la CARRA : six cas de cancer du cerveau en six ans ». La
CARRA est la Commission administrative des régimes de re-
traite et d’assurances. C’était la naissance d’un agrégat de cas
de cancer. La médiatisation d’emblée demandait du doigté au
niveau des communications.
Les locaux utilisés par cette organisation étaient situés tout
près de la Colline parlementaire à Québec. L’édifice logeait
également un autre employeur de la fonction publique québé-
coise, avec environ 1 200 travailleurs ; la CARRA, en comptait
environ 520.
Une approche systématique face aux agrégats
À la suite de ce signalement, des activités d’investigation,
s’inspirant du modèle d’intervention proposé par les Centers
for Disease Control2 (CDC) (schéma) ont immédiatement été
entreprises.
Étape 1. D’abord, une rencontre pari-
taire avec la direction et les représentants
syndicaux a permis de recueillir des in-
formations préliminaires sur l’alerte dé-
clenchée dans les médias, de présenter les
étapes d’une investigation d’agrégat et les
limites d’une telle investigation. Puis, une
rencontre d’information de tous les travail-
leurs de l’établissement a été planifiée.
Plus de 300 personnes y ont assisté. Les
activités prévues pour mener à terme l’in-
vestigation et des inf`ormations générales
sur le cancer du cerveau ont notamment
été présentées.
Étape 2. Les activités tenues à cette
étape permettaient d’abord de répondre
à la question suivante : existe-t-il vrai-
ment un excès de cancer du cerveau dans
ce milieu ? Une validation des cas pour
identifier le nombre exact de travailleurs
atteints à la CARRA, de même qu’à
l’autre organisme gouvernemental, a été
entreprise.
Tous les dossiers d’absence des deux
organismes ont été revus sur une période
de cinq ans. Un médecin a contacté les
personnes atteintes ou les membres de
leur famille. Des informations médicales
de base et l’autorisation de consulter le
dossier médical ont été obtenues. Par la
suite, les dossiers médicaux ont été revus
pour identifier les personnes atteintes de
gliomes ou de glioblastomes (cancers du
cerveau).
Cette évaluation a permis de confirmer
que, parmi les six cas présumés de l’agré-
gat, seulement trois étaient des gliomes
ou des glioblastomes (tumeurs malignes
primaires du cerveau). Les autres cas
n’étaient pas des cancers primaires du
cerveau. Aucun cas de tumeur maligne
primaire du cerveau n’a été identifié à
l’autre organisme gouvernemental. L’agré-
gat de cancer du cerveau était donc cons-
titué de trois cas.
Pour savoir si ce nombre est excessif,
Un agrégat de cancer : rigueur et
communication au cœur de l’intervention
1 4 OBJECTIF PRÉVENTION VOL. 30, NO 1, 2007
DOSSIER QUALITÉ DE L’AIR
Denis Laliberté
Médecina
a Direction de
santé publique de la
Capitale-Nationale
b Centre de santé et
de services sociaux
(CSSS) de la Vieille-
Capitale
Benoît Lachance
Médecinb
Michel Legris
Hygiéniste du
t r a v a i l a,b
il faut estimer le nombre de cas attendus de tumeurs malignes primaires du cerveau
dans ce milieu ; ceci a été fait à partir des données de fréquence de ce cancer détenues
par le fichier des tumeurs du Québec et à partir du nombre moyen de travailleurs à la
CARRA au cours de la période d’observation. Les calculs utilisant le taux brut d’inci-
dence des tumeurs malignes
de l’encéphale au Québec3
(8,3 pour 100 000 pour les 2
sexes confondus) ont confir
un excès de tumeurs malignes
primaires du cerveau chez les
employés de la CARRA. Cet
écart, par rapport au nombre attendu, était significatif au plan statistique.
Une seconde question est également fondamentale à cette étape : existe-t-il un fac-
teur plausible biologiquement pouvant expliquer cet excès de cancers du cerveau et
qui justifierait d’aller plus loin dans l’investigation épidémiologique ?
Malgré l’augmentation de l’incidence du cancer du cerveau observée au cours des
dernières années dans la population générale, ce cancer demeure une énigme quant aux
hypothèses étiologiques confirmées. Celles-ci demeurent peu nombreuses. Les causes
connues de cancer du cerveau ont, bien sûr, été revues. Aucune ne pouvait s’être ma-
térialisée dans le contexte d’un travail dans un immeuble à bureaux. De plus, une visite
des lieux de travail a permis de confirmer qu’aucune activité de type quasi industriel
ne se déroulait dans l’immeuble, ni autour. Une visite du précédent immeuble où les
travailleurs de la CARRA avaient auparavant leurs bureaux n’a également démontré
aucune source particulière de contamination.
Une revue de la littérature a également permis d’identifier des études récentes4, 5, 6, 7
portant sur les expositions professionnelles et la survenue de gliomes et glioblastomes.
Ces études portent sur un nombre considérable de cas. Certains secteurs d’activités
montrent parfois un accroissement du risque de cancer du cerveau, par exemple l’agri-
culture, la pétrochimie, le secteur électrique ou électronique. Toutefois, les résultats
sont inconsistants et variables d’une étude à l’autre. Ils ne permettent pas de tirer des
conclusions robustes ou définitives sur des étiologies du cancer du cerveau. Par contre,
le travail de bureau analysé également dans ces études, n’a pas été associé au cancer
du cerveau dans aucune des quatre études plus récentes.
Des conclusions à tirer
Après les deux premières étapes, certains constats s’imposaient.
1. Un excès significatif de cancers du cerveau est bel et bien survenu entre 1999 et
2004 à la CARRA. 2. Les causes connues ou suspectées de cancer du cerveau ne sont
pas présentes dans ce milieu de travail. 3. Aucune cause de cancer du cerveau inconnue
à ce jour aurait pu
toucher uniquement les
travailleurs de ce mi-
lieu et amener un tel
accroissement de la
fréquence.
En conséquence,
l’investigation amenait
à conclure que cet
agrégat découlait d’une
distribution de cas de
cancer du cerveau que
le hasard, à lui seul,
peut occasionnellement
produire. Il n’y avait
pas lieu de poursuivre
aux étapes 3 et 4.
Dans 5 à 15 % des signalements
d’agrégat, un excès de cas significa-
tif au plan statistique est observé.
1 5 OBJECTIF PRÉVENTION VOL. 30, NO 1, 2007
La communication
La communication et la transparence,
dans un contexte d’agrégat, sont les clés
de voûte de l’intervention. Sans elles, l’in-
tervention est handicapée d’entrée de jeu,
car suspectée de partialité par les travail-
leurs. En effet, les attentes sont, à peu près
toujours, très élevées face à une investiga-
tion d’agrégat. Toutefois, elles sont le plus
souvent déçues en raison des problèmes
méthodologiques courants lors de telles
investigations.
À la fin de l’enquête, une rencontre
paritaire d’information entre la direction
et les représentants syndicaux a été tenue.
Un communiqué explicitant les conclu-
sions de l’enquête a été transmis par l’in-
tranet de l’organisation tôt le lendemain,
de sorte que les travailleurs reçoivent une
copie électronique à leur arrivée au travail.
Le communiqué était accompagné d’une
invitation à des rencontres complémen-
taires d’information à la fin de la journée.
Les intervenants de la santé publique ont
alors répondu aux questions et expliqué
à nouveau le cheminement conduisant
aux conclusions de l’investigation.
Pour compléter les efforts de commu-
nication, une rencontre avec les journalistes
locaux a également eu lieu. Cet agrégat,
après avoir commencé son existence en
première page du Soleil, l’a terminée en
page A-7, avec le titre « Cancers du cer-
veau à la CARRA : un simple effet du ha-
sard ». Ainsi se termine le plus souvent
les agrégats de problème de santé.
RÉFÉRENCES
1. THUN, M., J. SINKST. « Understanding Cancer Cluster »,
CA Cancer J. Clin., 2004, 54(5), p. 273-280.
2. CDC. Guidelines for Investigating Clusters of Health
Events, MMWR, 1990, 39, (RR-11).
3. Communication personnelle – Fichier des tumeurs du
Québec (2001).
4. DE ROOS, A. J., et al. Occupation and Risk of Adult
Glioma in the United-States, Cancer Causes and Control,
203, 14, p. 139-153.
5. KRISHNAN, G., et al. “Occupation and Adult Gliomas in
the San Francisco Bay Area”, J. Occup. Environ. Med.,
2003, 45(6), p. 639-647.
6. ZHENG, T., et al. “Occupational Risk Factors for Brain
Cancer : a Population-Cased Case-Control Study in Iowa”,
J. Occup. Environ. Med., 2001, 43(4), p. 317-324.
7. SCHLECHOFER, B., et al. “Occupational Risk Factors
for Low Grade and High Grade Glioma : Results from an
International Case Control Study of Adult Brain Tumors”,
Int. J. Cancer, 2005, 113(1), p. 116-125.
DOSSIER QUALITÉ DE L’AIR
Modèle d’intervention face aux agrégats suggéré par le CDC
Étape 1
Contact initial et
réponse immédiate
Étape 4
Étude
épidémiologique/
étiologique
FAIRE RAPPORT
AUX PARTIES
INTÉRESSÉES
Étape 3
Étude de faisabilité
Étape 2
A
Évaluation
préliminaire
B
Évaluation
des cas
C
Évaluation de
la fréquence
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