Apports essentiels du management de la qualité au renouveau du

La revue de l’innovation : La Revue de l’innovation dans le secteur public, Vol. 14(3), 2009, article 2
Apports essentiels du management de la qualité au renouveau
du modèle bureaucratique
Yves Emery
Professeur
Institut de hautes études en administration publique
La revue de l’innovation : La Revue de l’innovation dans le secteur public, Vol. 14(3), 2009, article 2
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Apports essentiels du management de la qualité au renouveau
du modèle bureaucratique
Yves Emery
Professeur
Institut de hautes études en administration publique
Résumé
Au moment où l’ère de l’après-nouvelle gestion publique se dessine, et que l'on assiste au
renouveau du modèle bureaucratique que de nombreux spécialistes appellent de leurs
voeux, il paraît important de s’interroger sur la place que les approches issues du
mouvement de la qualité peuvent (re)-prendre au sein de la gestion publique. Cet article
vise à montrer que le modèle bureaucratique renouvelé, construction hybride ne
disposant pas de bases conceptuelles solides, peut s'inspirer de l'ancrage théorique qui
sous-tend le mouvement de la qualité. Il développe ces idées en discutant cinq idées-
forces de la qualité : l'orientation-client, le système de production, la maîtrise des
processus, les erreurs sources d'apprentissage et l'implication du personnel de base. Ce
faisant, il apparaît que les défis de l'action publique renouvelée, soumise à un nombre
croissant de paradoxes, peuvent trouver dans le mouvement de la qualité des réponses
novatrices.
Abstract
Public administration has been deeply impacted by the New Public Management
movement, but more and more scientists are now convinced that we enter a “post-NPM”
period, where the foundations of the bureaucratic model must be completely redefined. In
this context, it is interesting to analyse how quality management approaches may
contribute to the theoretical foundations of this so-called “renewed bureaucratic model”.
This contribution aims at demonstrating that the renewed bureaucratic model, which is a
hybrid construction without strong theoretical basis, may greatly benefit from the
theoretical roots of QM approaches. The discussion is structured along five core
principles of QM: customer-orientation, organisation as a system, management of
processes, errors as learning opportunities and finally, staff participation. The main
challenges facing public sector organisations, which are moving in a more complex and
paradoxical environment, will find in QM approaches innovative solutions.
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Introduction
Au fil des décennies, la modernisation publique a traversé différentes vagues qui reflètent
l’évolution des connaissances en la matière et aussi, aux yeux de certain-e-s observateurs-
trices, un phénomène de mode : rationalisation administrative, réorganisations et redesign
des processus, nouvelle gestion publique, (nouvelle) gouvernance (Pollitt et Bouckaert
2004; Osborne 2006), sont quelques-unes des approches ayant marqué la gestion
publique depuis les années 1960. Comme si les organisations publiques étaient
condamnées à se moderniser (Emery 2000), dans un cycle d’amélioration que l’on
retrouve au cœur des démarches qualité. Derrière ces approches se trouvent des
« fondamentaux » de bonne gestion publique, dont la plupart peuvent à notre sens être
imputés au management de la qualité, qui représente un paradigme alternatif de gestion
par rapport au mouvement dominant du managérialisme (Chanlat 2003) au cœur de la
nouvelle gestion publique (NGP) (Pollitt 2002). Un paradigme particulièrement adapté
aux spécificités publiques, et qui pourrait gagner encore en pertinence lorsque nous
considérons le renouveau du modèle bureaucratique.
Ces vingt dernières années ont été marquées par la nouvelle gestion publique au point que
toute initiative de modernisation a pu être associée à ce courant qui, et il faut y voir l’une
des explications à ce constat, montre une diversité étonnante autant sur le plan de la
philosophie politique sous-jacente (tantôt vue comme « de gauche » ou « de droite ») que
des méthodes employées (Mönks 1998; Giauque et Emery 2008). Au moment où l’après-
NGP se dessine, il paraît important de s’interroger sur la place et l’importance que les
approches issues du mouvement de la qualité peuvent (re)-prendre au sein de la gestion
publique, dans le sillage du renouveau du modèle bureaucratique que de nombreux
spécialistes appellent de leurs vœux. En effet, si l’on prend un peu de recul, il apparaît
clairement que la NGP a quelque peu évincé une approche plus ancienne et plus durable
de gestion des organisations publiques, labellisée sous l’appellation générique de
« management de la qualité » 1. L’avenir de la gestion publique pourrait grandement
bénéficier des idées fondatrices du management de la qualité, comme nous allons le
montrer dans cette contribution, et même si leur mise en œuvre n’est de loin pas toujours
aisée en considérant les différentes rationalités des acteurs en présence.
Bientôt centenaire, le management de la qualité peut en effet se targuer de disposer à la
fois d’une large base théorique et méthodologique, qui fait dire à certains auteurs qu’il est
à considérer comme un nouveau paradigme de management (Gogue 1997), et également
d’innombrables applications dans les organisations les plus diverses, fournissant une base
empirique particulièrement riche d’enseignements, y compris dans les organisations
publiques (Singh et Mansour-Nahra 2006; Fryer, Antony et al. 2007). En témoignent
également les multiples associations 2(Brunetière 2003; France Qualité Publique 2006;
1 appellation générique que nous employons dans cet article, souvent traduite de « Total Quality
Management, TQM », qui est l’appellation la plus courante. Rappelons, avec les pionniers de la qualité
(Deming et Juran en particulier) que ces derniers les considéraient simplement comme de bonnes pratiques
de management. Gogue, J.-M. (1990). Les six samouraï de la qualité. Paris, Economica.
2 voir pour l’Europe : le congrès de l’European Organisation for Quality, organisé en juin 2008 à Vienne,
avec le slogan « Quality is back, back to quality », les congrès européens sur la qualité publique, dont la
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IPSG 2008), prix qualité (Mavroidis 2007) et autres congrès. Sans oublier le référentiel
d’excellence publique, développé au sein de l’Union européenne, le Common
Assessment Framework (CAF), qui s’inscrit dans la tradition de l’excellence dans
l’économie privée3.
A priori intéressant pour les organisations publiques, qui pour une part importante sont
actives dans le domaine des services, imposé dans bien des domaines d’action publique,
notamment en Suisse, par des bases légales qui en font explicitement mention, le
management de la qualité gagne à être repensé pour fournir une base théorique et
méthodologique solide au modèle bureaucratique renouvelé, en tenant compte des
spécificités caractérisant la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de l’action
publique.
Nous utilisons « action publique » pour désigner la production administrative (biens et
services fournis par l’administration, « outputs » dans le sens du management public,
(Schedler et Proeller 2000)), mais également les politiques publiques devant générer des
« outcomes », dans le sens de la science politique (Knoepfel, Larrue et al. 2001). En effet,
loin de s’intéresser uniquement à la satisfaction des utilisateurs, le management de la
qualité devrait inviter à une perspective holistique du système politico-administratif, qui
inclut tous les acteurs impliqués, en particulier les agents publics, les autorités politiques,
les différentes parties prenantes de l’action publique (au sens de « communautés » de
politiques publiques) (Budd 2007) et bien entendu les bénéficiaires 4 des services publics.
Bénéficiaires appelés préférentiellement « clients » dans le cadre de la nouvelle gestion
publique, ou « groupes-cibles » dans le cadre de l’analyse des politiques publiques,
substantifs remplaçant en partie les anciennes appellations plus spécifiques telles
qu’usagers, administrés, justiciables ou encore contribuables.
Cet article est une contribution théorique visant à montrer en quoi le management de la
qualité peut constituer un fondement conceptuel solide au modèle bureaucratique
renouvelé, à la fois au plan théorique et au niveau des idées directrices qu’il véhicule. En
effet et comme nous allons le montrer ci-dessous, ce nouveau modèle bureaucratique
constitue un univers hybride qui marie des conceptions idéal-typiques qui ont longtemps
5ème conférence européenne sur la qualité, qui s’est tenue à Paris en octobre 2008 sur le thème du « Citoyen
au cœur de la qualité publique », qui montrent à quel point le mouvement de la qualité a marqué le XXème
siècle et continue son influence au XXIème siècle.
3 le modèle est hébergé par l’Institut européen d’administration publique à Maastricht, voir
www.eipa.nl/CAF
4 Nous utilisons dans cette contribution le mot « bénéficiaire » pour désigner les personnes ou groupes de
personnes directement concernées par les prestations fournies par l’organisation publique. Deux remarques
à ce sujet : d’une part, le mot « bénéficiaire » est plus adapté à des prestations de service (par exemple
bénéficiaires de subsides, d’aides diverses) qu’à des prestations régies par la puissance publique, telles que
les décisions d’autorisation ou de police. On dira ainsi que les contribuables sont les « bénéficiaires »
directs des prestations de l’administration fiscale, même s’ils ne sont pas ravis de payer leurs impôts.
D’autre part, l’approche dite des « politiques publiques » fait la distinction entre les bénéficiaires finaux,
personnes ou groupes de personnes positivement impactées par les politiques mises en œuvre (par ex. la
population bénéficiant d’une sécurité accrue, d’une pollution réduite, etc.), et les « cibles », soit les
personnes ou groupes de personnes influencées par les politiques publiques mises en œuvre (par ex. : les
délinquants, les pollueurs).
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été perçues comme clairement différentes, voire inconciliables. Il s’agit donc de trouver
un fond théorique capable de les réconcilier. L’article s’adresse donc avant tout au monde
académique, tout en offrant des pistes de réflexion et d’action aux praticiens, vivant
quotidiennement le monde hybride du modèle bureaucratique renouvelé. Nous allons tout
d’abord esquisser les lignes-forces de ce modèle bureaucratique renouvelé, pour ensuite
discuter chacune des facettes constitutives du management de la qualité en relation avec
ce modèle.
L’après NGP : vers un modèle bureaucratique renouvelé
L’institution publique est en profond redéploiement, justifiant un questionnement sur ses
fondements conceptuels. L’idée de repenser les caractéristiques de l’organisation
bureaucratique classique au sens de M. Weber (Weber 1956) a déjà été exprimée il y a de
nombreuses années (Heckscher et Donnellon 1994). Mais il est intéressant de constater
qu’à cette époque, ces auteurs portaient une critique avant tout focalisée sur le modèle
bureaucratique en tant qu’outil (appareil bureaucratique), vu comme un système
d’organisation et de gestion (d’entreprise) impropre à relever les nouveaux défis de
l’environnement. Ainsi, ces auteurs mettaient en avant l’importance de remplacer la
direction hiérarchique de l’organisation, qui impose une volonté de manière unilatérale,
par une forme de gouvernance plus participative, basée sur une volonté déterminée de
manière consensuelle, où « chacun assume la responsabilité pour le succès d’ensemble »
(op cit. p.24). S’il est évident que cette vision post-bureaucratique va dans le sens de
résoudre l’un des paradoxes de la gestion publique, soit celui qui met en exergue la
contradiction entre l’autoritarisme potentiel des structures administratives envers les
membres du personnel, et l’idéal démocratique caractérisant leur mission, voir par ex.
(Berman et Bowman 2006), elle se distingue toutefois clairement des critiques plus
récentes qui se placent davantage à un niveau institutionnel. Néanmoins, ces premières
critiques s’inscrivent déjà dans l’idée participative à la base des démarches qualité (cf
infra, point 3.5) (Emery 2006a).
En effet, face aux principaux constats qui placent aujourd’hui la nouvelle gestion
publique en situation d’échec partiel (Christensen et Laegreid 2007), nombre d’analystes
estiment qu’il serait judicieux de porter un regard neuf sur le modèle bureaucratique en
tant que tel, élargissant de fait l’objet d’analyse à l’institution publique globalement
considérée (Steen 2006). Les pratiques inspirées de la NGP se sont construites, à bien des
égards, en contre-pied du modèle bureaucratique, dans un effet de balancier à 180°,
considérant le modèle du marché comme la clé de la résolution des problèmes publics.
Cette forme de rejet du modèle bureaucratique a entraîné un déclin manifeste de l’ethos
de service public et des valeurs qui le sous-tendent, en particulier dans les pays qui ont
largement adopté la philosophie de NGP (du Gay 2005). C’est dire qu’une nouvelle
lecture du modèle de la bureaucratie, des principes et qualités recherchées chez les
« bureaucrates professionnels », des valeurs sous-tendant l’ethos public, pourrait être très
instructive ; une lecture qui ne serait pas emprunte de la nostalgie d’un modèle
injustement passé dans l’ombre, mais dont l’ambition serait de définir les contours d’une
nouvelle conception hybride de l’organisation publique, mariant les principes et valeurs
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