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Le Mahabharata
Author : Ophélie Wiel
Date : 16 août 2005
Dès les premières minutes, on pense à Jean Cocteau. Peter Brook s’est sans aucun doute
inspiré du grand poète lorsqu’il filme ces hommes et ces femmes comme venus d’outre-
tombe, et s’apprêtant à y retourner par des chemins tortueux et labyrinthiques. Pour
décoder la philosophie du grand poème hindou, Brook se sert effectivement des armes du
théâtre moderne. Mais si l’ensemble est globalement réussi, il n’en reste pas moins
extrêmement déconcertant.
C’est un livre gigantesque de 100 000 vers, rédigé en sanskrit – la langue ancienne de l’élite
indienne. Le Mahabharata (« Histoire poétique de l’humanité »), considéré par les Brahmanes
comme le livre sacré de l’hindouisme, est dix fois plus long que la Bible. Pour s’y plonger sans se
perdre dans ses méandres, il est nécessaire d’être imprégné de la symbolique extrêmement
complexe de la religion hindoue. L’adaptation de la légende par un Occidental tel que l’Anglais
Peter Brook (connu surtout dans le monde du théâtre), relevait donc du défi, voire de la folie. Sur
scène, son Mahabharata durait neuf heures ; à la télévision, les différents épisodes mis bout à bout
en faisaient six ; au cinéma, le spectateur passionné – et courageux – suivra pendant plus de deux
heures et demi le déroulement d’une histoire intensément condensée.
Comme tous les textes sacrés, le Mahabharata donne son interprétation des origines de
l’humanité. Au commencement donc, étaient deux familles, les Kauravas et les Paduvas, dont la
rivalité conduisit à une guerre atroce. Les Kauravas étaient les enfants du roi aveugle
Dhritarashtra, dont la femme Gandhari porta toute sa vie un bandeau sur les yeux pour ne pas
avoir l’avantage sur son mari. Enceinte pendant deux ans, Gandhari accoucha d’une énorme
boule en métal, dont sortirent cent guerriers. Les Paduvas, quant à eux, étaient les « enfants » du
frère du roi, Pandu, dont les deux femmes eurent cinq fils avec les dieux. Car les divinités ne sont
bien évidemment pas en reste dans le Mahabharata : à l’instar des dieux grecs, ils n’hésitent pas
à se mêler des affaires humaines, et y sèment la pagaille. Lord Krishna, incarnation du grand dieu
Vishnu, tient notamment un rôle important dans la guerre, en y participant aux côtés des « bons »
de l’histoire, les Paduvas…
Ainsi vont les grandes lignes de cette épopée pleine de démesure, divisée en trois grandes parties
remplies de haine et de vengeance. Le poème parle de mort, de destruction, et pourtant il s’agit
de l’histoire d’une naissance : celle de la race hindoue. Ici comme ailleurs, le monde parle le
langage de la violence et doit lutter pour ne pas s’enfoncer dans les ténèbres. Au-delà des
particularismes culturels, l’histoire du Mahabharata est donc universelle : c’est cet aspect que met
en valeur Peter Brook. Idée séduisante puisqu’elle permet au néophyte de rester concentré sur
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une légende prodigieusement alambiquée, même s’il n’en saisit pas toutes les nuances.
Comment exprimer l’universalité d’un mythe ? En éliminant d’abord la plupart des références
culturelles et le folklore. Le décor, pris dans une lumière bleutée ou effacé dans le brouillard,
semble parfois inexistant, ou du moins épuré à l’extrême. L’époque est indéfinissable. Les
personnages, interprétés par des acteurs asiatiques, européens ou africains, parlent anglais,
parfois avec un accent très prononcé. Si les noms des personnages sont tous à consonance
indienne, certaines scènes tiennent plus de la sorcellerie africaine que de la ferveur hindoue. Le
conteur, qui intervient à certains moments de l’histoire pour en changer le cours, a des airs de
griot. Le récit de l’enfant abandonné dans une corbeille flottant sur la rivière semble sorti du mythe
chrétien de Moïse. Enfin, c’est à la tragédie grecque que Peter Brook, tenant du théâtre moderne,
subtilise ses plus beaux moments : demi-dieux vêtus de blanc, droits comme des statues
déclamant leur texte, ou reine maudite se forçant à cacher ses yeux pour vivre comme une
aveugle…
Fourmillant de références et de symboles, le Mahabharata de Peter Brook fonctionne comme une
séance d’hypnose : tant que l’on reste fasciné par la force poétique de l’histoire, sa complexité
n’est qu’un problème secondaire. Mais dès que l’esprit se détache du film, il en voit tous les
défauts : mise en scène statique, jeu forcé et théâtral où les gestes sont réduits au minimum et les
dialogues insupportablement bavards. L’expérience peut séduire – ou terroriser.
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