« Ici, c'est boukha et Torah... »
Heureux comme Dieu à Marseille
Comment ne se sentiraient-ils pas chez eux clans une ville où le soleil
brille trois cents jours par an et qui compte vingt-deux synagogues ?
concurrent de Rolland
Amsellem aux municipa-
les.
Comme le PS, les
50 000 juifs de Marseille
sont divisés. «
Aupara.
vant, ils votaient à 95 %
pour Defferre. Mais pas
popr le PS »,
commente
Clément Yana, président
de la Radio juive de
Marseille. La guerre des
clans a fait perdre à la
communauté cette unité
qui faisait sa force. «
Elle
a même freiné son dyna-
misme », assure Hubert
Zana, directeur régional
du Fonds social juif.
La communauté juive
marseillaise est une mo-
saïque d'immigrés venus de tous les coins du
monde. Essentiellement des séfarades. Une
longue histoire d'amour s'est nouée entre eux et
cette ville que Grégoire de Tours, à la fin du vie
siècle, surnommait déjà «
Marseille la juive ».
Et
plus tard, ce sont deux juifs, Cresca et Salomon
Davin, qui inventèrent le fameux savon de
Marseille. C'était en 1371.
Pourtant, à la veille de la Révolution et de
l'émancipation juive (1791), il n'y a plus de
communauté juive à Marseille. Il faudra attendre
le second Empire pour que les séfarades connais-
sent un nouvel âge d'or. En 1864 est inaugurée
l'actuelle grande synagogue de la rue Breteuil. A
cette époque, Marseille compte 2 557 juifs.
Nombre qui sera multiplié par dix avec l'arrivée
des juifs de l'Empire ottoman. «
Pourquoi
Marseille ? Parce que c'était la ligne directe de la
messagerie à partir d'Istanbul,
se souvient la
famille Farhi.
Dès qu'un juif arrivait d'Istanbul,
il allait au quartier de l'Opéra, à deux pas du
Vieux-Port. Les gens parlaient le ladino. C'était le
quartier général de tous les juifs espagnols. »
Arrivent ensuite les juifs des pays de l'Est,
fuyant l'Allemagne et la Pologne : 2 600 juifs
périront après la grande rafle du 22 janvier 1943.
«
Ce jour-là, dix-huit membres de ma famille ont
été raflés et déportés »,
se rappelle Edmond
Nadjari, auteur d'un livre sur l'histoire des juifs
de Marseille. Deux ans plus tard, Marseille
devient une véritable plaque tournante de ni
-
ni-
gration illégale vers la Palestine. Puis, c'est 1956
et l'arrivée des juifs marocains, tunisiens et
égyptiens (après la crise de Suez). Enfin, 1962 : le
retour des pieds-noirs.
Que reste-t-il de tout cela aujourd'hui ? Une
communauté dynamique. Dominée par les
Algériens, au nombre de 40 000 (tandis qu'on ne
compte que 2 500 askhénazes). Mais aussi
disparate et colorée. «
C'est boukha et Torah »,
dit
IW
Charles Haddad, mémoire vivante des
quelque 8 000 juifs de Tunisie. Les judéo-espa-
gnols recréent leurs habitudes et certains conti-
nuent à parler le ladino, en prenant l'apéro sur le
Vieux-Port. Et les Orientaux ? « Les Tunisiens
ont la kémia, nous avons les mézés »,
sourit
Michel Farhi, 34 ans, de parents turcs, président
des commerçants de la rue de Rome.
Sous la houlette de Joseph Sitruk (aujourd'hui
grand rabbin de France), et avec la bénédiction de
Gaston Defferre, les juifs marseillais sont deve-
nus florissants. On ne compte pas moins de 70
associations, 40 boucheries casher, 22 synago-
gues. Chaque rite a la sienne : comtadin (pour les
juifs venus du Comtat-Venaissin), marocain,
turc, égyptien, sud-marocain, loubavitch-maro-
cain, séfardo-marocain, sud-oranais (pour les
juifs de Colomb-Béchar) et même djerbien (pour
ceux de Djerba !). Pourtant, le départ de
Marseille de Joseph Sitruk, en janvier 1988, a
causé quelques remous et révélé un malaise. Un
groupe de fidèles refuse la nomination de son
successeur
'
Jacques Ouaknine, ancien grand
rabbin de Metz. C'est la fronde. K
sa tête : un
avocat algérien, Charles Nakache. Les dissidents
(200 environ) s'organisent. Ils demandent une
nouvelle cacherout, pour être indépendants
financièrement. Mieux : ils créent leur propre
synagogue. Le Consistoire tient bon.
Autre sujet d'inquiétude : les liens entre juifs
tendent à se distendre ; 20
0
/0 seulement partici-
pent assidûment à la vie communautaire. Les
mariages mixtes
-
se multiplient. Un sur deux,
actuellement. « Cinquante juifs disparaissent
chaque jour par assimilation »,
estime
IW
Char-
les Haddad. Mais qui empêchera les jeunes juifs
d'épouser qui bon leur semble ?
Marseille a toujours été dirigée par des
notables. Aujourd'hui, chez les juifs comme chez
les autres, une nouvelle génération secoue le
carcan. Elle n'accepte plus de se laisser dicter son
mode de vie. Elle veut se sentir libre de ses
mouvements.
ALUN CHOUFFAN
rabbin Sitruk reçu à Marseille par Robert Vigouroux en juillet 1987
fi
lors, monsieur Vigouroux qu'allez-
/
4(
vous faire pour les juifs de
Vigouroux,
si
vous devenez maire ? »
Le commer-
çant qui vient de poser la question au
& cours d'un débat attend une réponse
précise. Elle fuse, évasive : «
Beaucoup, beau-
coup... » « C'est vague,
reprend le commerçant
obstiné
concrètement quoi ? » « D'abord, aller
en Israël. Et si vous voulez faire partie du voyage,
vous êtes le bienvenu. »
Promesse tenue. Cela se
passait en novembre dernier. Pour satisfaire la
communauté juive, Robert Vigouroux a dû
ratisser large : il a invité en Israël soixante juifs, y
compris notre commerçant, qui en est revenu
bien sûr «
emballé »
et « à
fond pour Vigou-
roux »...
Les deux autres candidats n'allaient pas rester
les bras croisés. Jean-Claude Gaudin est parti le
mois suivant, emmenant dans ses valises la fine
fleur de la communauté : le grand rabbin de
Marseille, le président du Consistoire le prési-
dent du CRIF. Et même Rolland P:msellem,
avocat et tête de liste de... Vigouroux 'dans le
9' arrondissement.
«Je ne pouvais quand même
pas refuser. C'est en ma qualité de responsable de
la communauté que j'y suis allé »,
explique
Amsellem.
Et Michel Pezet ? Son voyage a eu lieu début
janvier. Avec lui deux juifs, militants socialistes
de longue date : Robert Misrahi, adjoint au
maire, et Gérard Bismuth, avàcat et... futur
28
LE NOUVEL OBSERVATEUR /DOSSIER
1 / 1 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !