« Ici, c'est boukha et Torah... » Heureux comme Dieu à Marseille Comment ne se sentiraient-ils pas chez eux clans une ville où le soleil brille trois cents jours par an et qui compte vingt-deux synagogues ? concurrent de Rolland Amsellem aux municipales. Comme le PS, les 50 000 juifs de Marseille sont divisés. « Aupara. vant, ils votaient à 95 % pour Defferre. Mais pas popr le PS », commente Clément Yana, président de la Radio juive de Marseille. La guerre des clans a fait perdre à la communauté cette unité qui faisait sa force. « Elle a même freiné son dynamisme », assure Hubert Zana, directeur régional du Fonds social juif. La communauté juive rabbin Sitruk reçu à Marseille par Robert Vigouroux en juillet 1987 marseillaise est une mofi Vigouroux, qu'allez- saïque d'immigrés venus de tous les coins du lors, monsieur Vigouroux /4( vous faire pour les juifs de si monde. Essentiellement des séfarades. Une vous devenez maire ? » Le commer- longue histoire d'amour s'est nouée entre eux et çant qui vient de poser la question au cette ville que Grégoire de Tours, à la fin du vie & cours d'un débat attend une réponse siècle, surnommait déjà « Marseille la juive ». Et précise. Elle fuse, évasive : « Beaucoup, beau- plus tard, ce sont deux juifs, Cresca et Salomon coup... » « C'est vague, reprend le commerçant Davin, qui inventèrent le fameux savon de obstiné concrètement quoi ? » « D'abord, aller Marseille. C'était en 1371. en Israël. Et si vous voulez faire partie du voyage, Pourtant, à la veille de la Révolution et de vous êtes le bienvenu. » Promesse tenue. Cela se l'émancipation juive (1791), il n'y a plus de passait en novembre dernier. Pour satisfaire la communauté juive à Marseille. Il faudra attendre communauté juive, Robert Vigouroux a dû le second Empire pour que les séfarades connaisratisser large : il a invité en Israël soixante juifs, y sent un nouvel âge d'or. En 1864 est inaugurée compris notre commerçant, qui en est revenu l'actuelle grande synagogue de la rue Breteuil. A bien sûr « emballé » et « à fond pour Vigou- cette époque, Marseille compte 2 557 juifs. roux »... Nombre qui sera multiplié par dix avec l'arrivée Les deux autres candidats n'allaient pas rester des juifs de l'Empire ottoman. « Pourquoi les bras croisés. Jean-Claude Gaudin est parti le Marseille ? Parce que c'était la ligne directe de la mois suivant, emmenant dans ses valises la fine messagerie à partir d'Istanbul, se souvient la fleur de la communauté : le grand rabbin de famille Farhi. Dès qu'un juif arrivait d'Istanbul, Marseille, le président du Consistoire le prési- il allait au quartier de l'Opéra, à deux pas du dent du CRIF. Et même Rolland P:msellem, Vieux-Port. Les gens parlaient le ladino. C'était le avocat et tête de liste de... Vigouroux 'dans le quartier général de tous les juifs espagnols. » 9' arrondissement. «Je ne pouvais quand même Arrivent ensuite les juifs des pays de l'Est, pas refuser. C'est en ma qualité de responsable de fuyant l'Allemagne et la Pologne : 2 600 juifs la communauté que j'y suis allé », explique périront après la grande rafle du 22 janvier 1943. Amsellem. « Ce jour-là, dix-huit membres de ma famille ont Et Michel Pezet ? Son voyage a eu lieu début été raflés et déportés », se rappelle Edmond janvier. Avec lui deux juifs, militants socialistes Nadjari, auteur d'un livre sur l'histoire des juifs de longue date : Robert Misrahi, adjoint au de Marseille. Deux ans plus tard, Marseille maire, et Gérard Bismuth, avàcat et... futur devient une véritable plaque tournante de ni-ni28 LE NOUVEL OBSERVATEUR /DOSSIER gration illégale vers la Palestine. Puis, c'est 1956 et l'arrivée des juifs marocains, tunisiens et égyptiens (après la crise de Suez). Enfin, 1962 : le retour des pieds-noirs. Que reste-t-il de tout cela aujourd'hui ? Une communauté dynamique. Dominée par les Algériens, au nombre de 40 000 (tandis qu'on ne compte que 2 500 askhénazes). Mais aussi disparate et colorée. « C'est boukha et Torah », dit IW Charles Haddad, mémoire vivante des quelque 8 000 juifs de Tunisie. Les judéo-espagnols recréent leurs habitudes et certains continuent à parler le ladino, en prenant l'apéro sur le Vieux-Port. Et les Orientaux ? « Les Tunisiens ont la kémia, nous avons les mézés », sourit Michel Farhi, 34 ans, de parents turcs, président des commerçants de la rue de Rome. Sous la houlette de Joseph Sitruk (aujourd'hui grand rabbin de France), et avec la bénédiction de Gaston Defferre, les juifs marseillais sont devenus florissants. On ne compte pas moins de 70 associations, 40 boucheries casher, 22 synagogues. Chaque rite a la sienne : comtadin (pour les juifs venus du Comtat-Venaissin), marocain, turc, égyptien, sud-marocain, loubavitch-marocain, séfardo-marocain, sud-oranais (pour les juifs de Colomb-Béchar) et même djerbien (pour ceux de Djerba !). Pourtant, le départ de Marseille de Joseph Sitruk, en janvier 1988, a causé quelques remous et révélé un malaise. Un groupe de fidèles refuse la nomination de son successeur Jacques Ouaknine, ancien grand rabbin de Metz. C'est la fronde. K sa tête : un avocat algérien, Charles Nakache. Les dissidents (200 environ) s'organisent. Ils demandent une nouvelle cacherout, pour être indépendants financièrement. Mieux : ils créent leur propre synagogue. Le Consistoire tient bon. Autre sujet d'inquiétude : les liens entre juifs tendent à se distendre ; 20 0/0 seulement participent assidûment à la vie communautaire. Les mariages mixtes- se multiplient. Un sur deux, actuellement. « Cinquante juifs disparaissent chaque jour par assimilation », estime IW Charles Haddad. Mais qui empêchera les jeunes juifs d'épouser qui bon leur semble ? Marseille a toujours été dirigée par des notables. Aujourd'hui, chez les juifs comme chez les autres, une nouvelle génération secoue le carcan. Elle n'accepte plus de se laisser dicter son mode de vie. Elle veut se sentir libre de ses mouvements. ALUN CHOUFFAN '