M I S E A U P O I N T Implantation auditive du tronc cérébral : indications et résultats ● D. Bouccara*, M. Kalamarides**, O. Sterkers* implantation cochléaire est une modalité maintenant bien établie de la réhabilitation auditive au cours des surdités de l’adulte et de l’enfant. Dans certaines situations, elle ne peut être envisagée du fait même de l’atteinte auditive qui siège en aval de la cochlée. Il s’agit de la neurofibromatose de type 2 (NF2), qui s’accompagne de neurinomes de l’acoustique bilatéraux et, plus rarement, de fractures du rocher bilatérales. Il est alors possible d’utiliser l’implant auditif du tronc cérébral pour stimuler non plus les fibres du nerf cochléaire, comme cela est le cas avec l’implant cochléaire, mais les noyaux auditifs situés dans le tronc cérébral. Ces situations cliniques sont rares, mais les premiers signes révélateurs de la NF2 sont dans la grande majorité des cas de type cochléovestibulaire, nécessitant la consultation d’un praticien ORL en premier lieu. L’ IMPLANT AUDITIF DU TRONC CÉRÉBRAL : PRINCIPES Les noyaux cochléaires sont considérés comme étant les premiers relais des voies auditives. La totalité des fibres du nerf cochléaire vont en effet s’y terminer. Ils sont situés au niveau de la jonction bulbo-protubérantielle et sont au nombre de deux. Le noyau ventral est divisé en deux parties (antéroventrale et postéroventrale), et il reçoit la quasi-totalité des fibres auditives. Le noyau dorsal est situé en arrière du précédent et se prolonge jusqu’au récessus latéral du quatrième ventricule. La distribution des fibres au niveau des noyaux se fait alors selon un schéma régulier, respectant la tonotopie fréquentielle établie au niveau de la cochlée. Au-delà des noyaux cochléaires, les voies auditives se projettent le long du tronc cérébral vers le cortex auditif. Les travaux anatomiques et physiologiques ont permis de montrer que les noyaux cochléaires, dont les différents types cellulaires ont été individualisés, ont un rôle de codage et de traitement des informations auditives. Le principe de l’implant auditif du tronc cérébral est directement dérivé de celui de l’implant cochléaire. Le recueil du message sonore, son traitement selon différentes stratégies de codage et son acheminement par un récepteur placé chirurgicalement au niveau mastoïdien se font selon les mêmes principes. La différence principale repose sur le porte-électrodes qui, dans le cas de l’implant du tronc, a été configuré pour s’adapter à l’anatomie des noyaux cochléaires. Il mesure moins d’un centimètre * Service d’ORL, hôpital Beaujon, Clichy. ** Service de neurochirurgie, hôpital Beaujon, Clichy. Figure 1. Implant auditif du tronc cérébral Nucleus® 21 : le porteélectrodes comporte 21 électrodes mesurant 0,7 mm de diamètre ; elles sont disposées en trois rangées (document fourni avec courtoisie par Cochlear®). de long et comporte 21 électrodes de 0,7 mm de diamètre disposées en trois rangées (figure 1). Ce porte électrodes est placé chirurgicalement dans le récessus latéral du quatrième ventricule, les électrodes étant dirigées vers les noyaux cochléaires (figures 2 et 3). La stimulation des électrodes a alors pour objectif de provoquer une réponse par les cellules des noyaux. Les réglages de Figure 2. Coupe coronale du tronc cérébral : le porte-électrodes est représenté en place, en regard des noyaux auditifs du tronc cérébral (document fourni avec courtoisie par Cochlear®). La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 254 - juin 2000 19 M I S E A U Figure 3. Coupe sagittale du tronc cérébral : le porte-électrodes est représenté en place, en regard des noyaux auditifs du tronc cérébral (document fourni avec courtoisie par Cochlear®). P O I N T tumorales. Le fait de disposer d’une possibilité de réhabiliter l’audition par un implant auditif du tronc cérébral a modifié les indications. En effet, celles-ci étaient au préalable souvent guidées par la nécessité de conserver l’audition d’un des deux côtés, y compris avec des tumeurs volumineuses. Or si, après intervention pour l’un des neurinomes de l’acoustique, la tumeur controlatérale grossit et risque à terme de menacer le pronostic vital par hypertension intracrânienne, son exérèse peut actuellement être envisagée, sans tenir compte de l’audition : la mise en place simultanée de l’implant permettra une réhabilitation auditive rapide. Par ailleurs, étant donné les risques de surdité liés à la NF2 : surdité brusque lors de la croissance des neurinomes et surdité postopératoire, car la chirurgie conservatrice de l’audition n’est que rarement possible, un apprentissage de la lecture labiale est recommandé aux patients. BILAN PRÉIMPLANTATION l’implant, modes et seuils de stimulation, effectués en postopératoire auront pour but d’optimiser les sensations auditives, et de limiter les effets indésirables par stimulation des structures neurologiques de voisinage. Cela impose parfois de ne pas activer la totalité des électrodes, mais les résultats cliniques montrent que même avec un petit nombre d’électrodes activées le bénéfice en termes de communication peut être significatif. LA NEUROFIBROMATOSE DE TYPE 2 La NF2 est une maladie héréditaire à transmission autosomique dominante. Il s’agit d’une affection rare qui touche une personne pour 35 000 naissances. Son expression clinique est variable : les formes les plus modérées se révèlent après l’âge de 20 ans, alors que pour les formes les plus sévères, des localisations tumorales multiples sont symptomatiques avant cet âge. Parmi les tumeurs du système nerveux (neurinome, méningiome, gliome...), la présence d’un neurinome de l’acoustique bilatéral est pathognomonique de l’affection. Les symptômes qui révèlent la maladie sont donc souvent de type cochléovestibulaire : surdité de perception, acouphènes et troubles de l’équilibre. Les travaux génétiques ont permis d’identifier les mutations impliquées dans la survenue de la NF2, et il est actuellement possible de les rechercher à partir d’un prélèvement sanguin. Le bilan diagnostique de la NF2 comprend donc un examen clinique rigoureux, en particulier neurologique, un examen ophtalmologique à la recherche d’une opacité du cristallin, une évaluation audiovestibulaire et une enquête génétique (arbre généalogique et prélèvement sanguin). Une exploration radiologique par IRM cérébrale et médullaire est importante pour répertorier les tumeurs présentes au moment du diagnostic, un grand nombre d’entre elles pouvant être parfaitement latentes cliniquement. Les indications thérapeutiques lors de la NF2 sont discutées cas par cas. Les principaux critères intervenant pour ce qui est du traitement chirurgical des neurinomes de l’acoustique sont : l’âge, la taille des tumeurs et leur vitesse de croissance, le niveau de l’atteinte auditive et l’expression clinique des autres localisations Les caractéristiques de l’affection en cause, la NF2, imposent un bilan préimplantation multidisciplinaire et soigneux. Au moment où les patients consultent, leur statut clinique est variable. Tout d’abord, comme nous l’avons vu, l’expression clinique de la NF2 est très variable. Ainsi, certains patients présentent des localisations tumorales évolutives multiples, alors que, pour d’autres, les seules tumeurs cliniquement et radiologiquement évolutives sont les neurinomes de l’acoustique. Les différentes atteintes seront recherchées cliniquement, avec une attention particulière pour les troubles visuels, de la fonction faciale et de la déglutition. L’IRM cérébrale et médullaire permet de faire un bilan précis des lésions présentes, ou d’éventuelles récidives de tumeurs déjà opérées (figures 4 et 5). Cet examen permet aussi de noter les Figure 4. IRM en coupe axiale, séquence T1 avec injection de gadolinium, d’une patiente présentant une NF2 : neurinome de l’acoustique déjà opéré à gauche ; à droite, neurinome de l’acoustique stade III présentant une croissance lésionnelle un an après une irradiation. Indication à une implantation auditive du tronc cérébral dans le même temps que l’ablation de la tumeur. .../... 20 La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 254 - juin 2000 M I S E A U P O I N T L’apport des mesures électrophysiologiques peropératoires est alors utile. En effet, une fois le porte-électrodes mis en place, une étude des potentiels évoqués électriques est réalisée. Les électrodes sont stimulées par paires. Le recueil des réponses permet de valider leur nature auditive sur l’aspect caractéristique des courbes ; par ailleurs, le monitoring concomitant des nerfs crâniens (facial, glosso-pharyngien et pneumogastrique par la surveillance cardiorespiratoire anesthésique) valide l’absence d’effet indésirable au cours de ces stimulations. Les suites de ces interventions sont identiques à celles des interventions pour neurinome de l’acoustique. L’activation des électrodes est réalisée environ six semaines après l’intervention. Les premiers réglages nécessitent une surveillance par monitoring cardiovasculaire pour détecter d’éventuels effets indésirables. Les réglages ultérieurs permettent de fixer les seuils des électrodes, et de déterminer leur répartition tonotopique. La rééducation orthophonique est alors poursuivie avec une évaluation régulière des résultats ainsi que des réglages de l’implant. RÉSULTATS Figure 5. IRM en coupe axiale, séquence T1 avec injection de gadolinium, d’une patiente présentant une NF2 : neurinome de l’acoustique bilatéral déjà opéré des deux côtés. Absence de récidive visible. Indication à une implantation auditive du tronc cérébral. .../... modifications anatomiques du tronc cérébral, liées au développement des tumeurs. L’évaluation orthophonique précise le niveau d’utilisation de la lecture labiale. Le bilan psychologique du patient, rencontré avec son entourage proche, permet de préciser le retentissement de la maladie et les attentes qu’il place dans l’implantation. La rencontre avec un patient déjà implanté est alors parfois très utile. La décision définitive d’implantation est alors prise dans le cadre d’une concertation multidisciplinaire. Les données de la littérature internationale font état des bénéfices obtenus grâce à l’implantation auditive du tronc cérébral. Plusieurs équipes françaises ont utilisé cette méthode avec différents modèles d’implant. L’évaluation des résultats repose sur des bilans orthophoniques échelonnés sur plusieurs niveaux. Les niveaux les plus bas correspondent à la reconnaissance de bruits quotidiens. Les niveaux les plus élevés sont les mêmes que ceux utilisés pour l’implant cochléaire avec reconnaissance de mots et phrases en listes ouvertes. Les résultats montrent, pour la grande majorité des patients, une restauration du sens d’alerte, une identification des bruits quotidiens, et une amélioration de la communication en utilisant simultanément l’implant et la lecture labiale. Dans les meilleurs cas, le bénéfice permet aux patients implantés une compréhension, y compris sans la lecture labiale, par exemple au cours de certaines conversations téléphoniques. INTERVENTION CHIRURGICALE Elle est effectuée en équipe otoneurochirurgicale, par voie translabyrinthique. Le choix du côté dépend du statut tumoral, des éventuelles atteintes des nerfs crâniens, en particulier du facial et de la configuration anatomique du tronc cérébral appréciée à l’IRM. Au cours de l’intervention, un monitoring des nerfs facial et glosso-pharyngien est effectué. Le premier temps est l’ablation du neurinome de l’acoustique. Celle-ci va amener à repérer le récessus du quatrième ventricule, en particulier par la présence de LCR. La conformation anatomique de celui-ci est variable, et peut rendre plus ou moins facile l’insertion du porte-électrodes. 22 CONCLUSION Les indications de l’implantation auditive du tronc cérébral sont rares. Néanmoins, au travers d’une pathologie aussi invalidante que peut l’être la NF2, cette technique illustre les possibilités de réhabilitation de l’audition et de la communication. Comme cela est déjà le cas avec l’implant cochléaire, cette technique impose a fortiori une prise en charge multidisciplinaire. Enfin, les résultats obtenus et les travaux de recherche effectués simultanément apportent des renseignements sur la physiologie des voies auditives. ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 254 - juin 2000