Implantation auditive du tronc cérébral : indications et

L’
implantation cochléaire est une modalité maintenant
bien établie de la réhabilitation auditive au cours des
surdités de l’adulte et de l’enfant. Dans certaines situa-
tions, elle ne peut être envisagée du fait même de l’atteinte audi-
tive qui siège en aval de la cochlée. Il s’agit de la neurofibroma-
tose de type 2 (NF2), qui s’accompagne de neurinomes de
l’acoustique bilatéraux et, plus rarement, de fractures du rocher
bilatérales. Il est alors possible d’utiliser l’implant auditif du tronc
cérébral pour stimuler non plus les fibres du nerf cochléaire,
comme cela est le cas avec l’implant cochléaire, mais les noyaux
auditifs situés dans le tronc cérébral. Ces situations cliniques sont
rares, mais les premiers signes révélateurs de la NF2 sont dans
la grande majorité des cas de type cochléovestibulaire, nécessi-
tant la consultation d’un praticien ORL en premier lieu.
IMPLANT AUDITIF DU TRONC CÉRÉBRAL : PRINCIPES
Les noyaux cochléaires sont considérés comme étant les premiers
relais des voies auditives. La totalité des fibres du nerf cochléaire
vont en effet s’y terminer. Ils sont situés au niveau de la jonction
bulbo-protubérantielle et sont au nombre de deux. Le noyau ven-
tral est divisé en deux parties (antéroventrale et postéroventrale),
et il reçoit la quasi-totalité des fibres auditives. Le noyau dorsal
est situé en arrière du précédent et se prolonge jusqu’au récessus
latéral du quatrième ventricule. La distribution des fibres au
niveau des noyaux se fait alors selon un schéma régulier, res-
pectant la tonotopie fréquentielle établie au niveau de la cochlée.
Au-delà des noyaux cochléaires, les voies auditives se projettent
le long du tronc cérébral vers le cortex auditif. Les travaux ana-
tomiques et physiologiques ont permis de montrer que les noyaux
cochléaires, dont les différents types cellulaires ont été indivi-
dualisés, ont un rôle de codage et de traitement des informations
auditives. Le principe de l’implant auditif du tronc cérébral est
directement dérivé de celui de l’implant cochléaire. Le recueil
du message sonore, son traitement selon différentes stratégies de
codage et son acheminement par un récepteur placé chirurgica-
lement au niveau mastoïdien se font selon les mêmes principes.
La différence principale repose sur le porte-électrodes qui, dans
le cas de l’implant du tronc, a été configuré pour s’adapter à l’ana-
tomie des noyaux cochléaires. Il mesure moins d’un centimètre
de long et comporte 21 électrodes de 0,7 mm de diamètre dispo-
sées en trois rangées (figure 1). Ce porte électrodes est placé chi-
rurgicalement dans le récessus latéral du quatrième ventricule,
les électrodes étant dirigées vers les noyaux cochléaires (figures2
et 3). La stimulation des électrodes a alors pour objectif de pro-
voquer une réponse par les cellules des noyaux. Les réglages de
MISE AU POINT
Implantation auditive du tronc cérébral :
indications et résultats
D. Bouccara*, M. Kalamarides**, O. Sterkers*
19
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no254 - juin 2000
* Service d’ORL, hôpital Beaujon, Clichy.
** Service de neurochirurgie, hôpital Beaujon, Clichy.
Figure 1. Implant auditif du tronc cérébral Nucleus
®
21 : le porte-
électrodes comporte 21 électrodes mesurant 0,7 mm de diamètre ; elles
sont disposées en trois rangées (document fourni avec courtoisie par
Cochlear
®
).
Figure 2. Coupe coronale du tronc cérébral : le porte-électrodes est
représenté en place, en regard des noyaux auditifs du tronc cérébral
(document fourni avec courtoisie par Cochlear
®
).
MISE AU POINT
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no254 - juin 2000
l’implant, modes et seuils de stimulation, effectués en postopé-
ratoire auront pour but d’optimiser les sensations auditives, et de
limiter les effets indésirables par stimulation des structures neu-
rologiques de voisinage. Cela impose parfois de ne pas activer la
totalité des électrodes, mais les résultats cliniques montrent que
même avec un petit nombre d’électrodes activées le bénéfice en
termes de communication peut être significatif.
LA NEUROFIBROMATOSE DE TYPE 2
La NF2 est une maladie héréditaire à transmission autosomique
dominante. Il s’agit d’une affection rare qui touche une personne
pour 35 000 naissances. Son expression clinique est variable : les
formes les plus modérées se révèlent après l’âge de 20 ans, alors
que pour les formes les plus sévères, des localisations tumorales
multiples sont symptomatiques avant cet âge. Parmi les tumeurs
du système nerveux (neurinome, méningiome, gliome...), la pré-
sence d’un neurinome de l’acoustique bilatéral est pathognomo-
nique de l’affection. Les symptômes qui révèlent la maladie sont
donc souvent de type cochléovestibulaire : surdité de perception,
acouphènes et troubles de l’équilibre.
Les travaux génétiques ont permis d’identifier les mutations
impliquées dans la survenue de la NF2, et il est actuellement pos-
sible de les rechercher à partir d’un prélèvement sanguin. Le bilan
diagnostique de la NF2 comprend donc un examen clinique rigou-
reux, en particulier neurologique, un examen ophtalmologique à
la recherche d’une opacité du cristallin, une évaluation audio-
vestibulaire et une enquête génétique (arbre généalogique et pré-
lèvement sanguin). Une exploration radiologique par IRM céré-
brale et médullaire est importante pour répertorier les tumeurs
présentes au moment du diagnostic, un grand nombre d’entre
elles pouvant être parfaitement latentes cliniquement.
Les indications thérapeutiques lors de la NF2 sont discutées cas
par cas. Les principaux critères intervenant pour ce qui est du
traitement chirurgical des neurinomes de l’acoustique sont : l’âge,
la taille des tumeurs et leur vitesse de croissance, le niveau de
l’atteinte auditive et l’expression clinique des autres localisations
tumorales. Le fait de disposer d’une possibilité de réhabiliter
l’audition par un implant auditif du tronc cérébral a modifié les
indications. En effet, celles-ci étaient au préalable souvent gui-
dées par la nécessité de conserver l’audition d’un des deux côtés,
y compris avec des tumeurs volumineuses. Or si, après inter-
vention pour l’un des neurinomes de l’acoustique, la tumeur
controlatérale grossit et risque à terme de menacer le pronostic
vital par hypertension intracrânienne, son exérèse peut actuelle-
ment être envisagée, sans tenir compte de l’audition : la mise en
place simultanée de l’implant permettra une réhabilitation audi-
tive rapide.
Par ailleurs, étant donné les risques de surdité liés à la NF2 : sur-
dité brusque lors de la croissance des neurinomes et surdité post-
opératoire, car la chirurgie conservatrice de l’audition n’est que
rarement possible, un apprentissage de la lecture labiale est
recommandé aux patients.
BILAN PRÉIMPLANTATION
Les caractéristiques de l’affection en cause, la NF2, imposent un
bilan préimplantation multidisciplinaire et soigneux. Au moment
où les patients consultent, leur statut clinique est variable. Tout
d’abord, comme nous l’avons vu, l’expression clinique de la NF2
est très variable. Ainsi, certains patients présentent des localisa-
tions tumorales évolutives multiples, alors que, pour d’autres, les
seules tumeurs cliniquement et radiologiquement évolutives sont
les neurinomes de l’acoustique. Les différentes atteintes seront
recherchées cliniquement, avec une attention particulière pour
les troubles visuels, de la fonction faciale et de la déglutition.
L’IRM cérébrale et médullaire permet de faire un bilan précis
des lésions présentes, ou d’éventuelles récidives de tumeurs déjà
opérées (figures 4 et 5). Cet examen permet aussi de noter les
Figure 3. Coupe sagittale du tronc cérébral : le porte-électrodes est
représenté en place, en regard des noyaux auditifs du tronc cérébral
(document fourni avec courtoisie par Cochlear
®
).
Figure 4. IRM en coupe axiale, séquence T1 avec injection de gadoli-
nium, d’une patiente présentant une NF2 : neurinome de l’acoustique
déjà opéré à gauche ; à droite, neurinome de l’acoustique stade III
présentant une croissance lésionnelle un an après une irradiation.
Indication à une implantation auditive du tronc cérébral dans le même
temps que l’ablation de la tumeur.
.../...
MISE AU POINT
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no254 - juin 2000
Figure 5. IRM en coupe axiale, séquence T1 avec injection de gadoli-
nium, d’une patiente présentant une NF2 : neurinome de l’acoustique
bilatéral déjà opéré des deux côtés. Absence de récidive visible. Indica-
tion à une implantation auditive du tronc cérébral.
L’apport des mesures électrophysiologiques peropératoires est
alors utile. En effet, une fois le porte-électrodes mis en place, une
étude des potentiels évoqués électriques est réalisée. Les élec-
trodes sont stimulées par paires. Le recueil des réponses permet
de valider leur nature auditive sur l’aspect caractéristique des
courbes ; par ailleurs, le monitoring concomitant des nerfs crâ-
niens (facial, glosso-pharyngien et pneumogastrique par la sur-
veillance cardiorespiratoire anesthésique) valide l’absence d’effet
indésirable au cours de ces stimulations.
Les suites de ces interventions sont identiques à celles des inter-
ventions pour neurinome de l’acoustique. L’activation des élec-
trodes est réalisée environ six semaines après l’intervention. Les
premiers réglages nécessitent une surveillance par monitoring
cardiovasculaire pour détecter d’éventuels effets indésirables.
Les réglages ultérieurs permettent de fixer les seuils des élec-
trodes, et de déterminer leur répartition tonotopique. La réédu-
cation orthophonique est alors poursuivie avec une évaluation
régulière des résultats ainsi que des réglages de l’implant.
RÉSULTATS
Les données de la littérature internationale font état des bénéfices
obtenus grâce à l’implantation auditive du tronc cérébral. Plu-
sieurs équipes françaises ont utilisé cette méthode avec différents
modèles d’implant. L’évaluation des résultats repose sur des
bilans orthophoniques échelonnés sur plusieurs niveaux. Les
niveaux les plus bas correspondent à la reconnaissance de bruits
quotidiens. Les niveaux les plus élevés sont les mêmes que ceux
utilisés pour l’implant cochléaire avec reconnaissance de mots et
phrases en listes ouvertes.
Les résultats montrent, pour la grande majorité des patients, une
restauration du sens d’alerte, une identification des bruits quoti-
diens, et une amélioration de la communication en utilisant simul-
tanément l’implant et la lecture labiale. Dans les meilleurs cas,
le bénéfice permet aux patients implantés une compréhension, y
compris sans la lecture labiale, par exemple au cours de certaines
conversations téléphoniques.
CONCLUSION
Les indications de l’implantation auditive du tronc cérébral sont
rares. Néanmoins, au travers d’une pathologie aussi invalidante
que peut l’être la NF2, cette technique illustre les possibilités
de réhabilitation de l’audition et de la communication. Comme
cela est déjà le cas avec l’implant cochléaire, cette technique
impose a fortiori une prise en charge multidisciplinaire. Enfin,
les résultats obtenus et les travaux de recherche effectués simul-
tanément apportent des renseignements sur la physiologie des
voies auditives.
modifications anatomiques du tronc cérébral, liées au dévelop-
pement des tumeurs. L’évaluation orthophonique précise le
niveau d’utilisation de la lecture labiale. Le bilan psychologique
du patient, rencontré avec son entourage proche, permet de pré-
ciser le retentissement de la maladie et les attentes qu’il place
dans l’implantation. La rencontre avec un patient déjà implanté
est alors parfois très utile.
La décision définitive d’implantation est alors prise dans le cadre
d’une concertation multidisciplinaire.
INTERVENTION CHIRURGICALE
Elle est effectuée en équipe otoneurochirurgicale, par voie trans-
labyrinthique. Le choix du côté dépend du statut tumoral, des
éventuelles atteintes des nerfs crâniens, en particulier du facial
et de la configuration anatomique du tronc cérébral appréciée à
l’IRM. Au cours de l’intervention, un monitoring des nerfs facial
et glosso-pharyngien est effectué. Le premier temps est l’abla-
tion du neurinome de l’acoustique. Celle-ci va amener à repérer
le récessus du quatrième ventricule, en particulier par la présence
de LCR. La conformation anatomique de celui-ci est variable, et
peut rendre plus ou moins facile l’insertion du porte-électrodes.
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