Psychothérapie à la française :
Le statut de la psychanalyse dans la France contemporaine par
rapport aux États-Unis
Research Thesis
Presented in partial fulfillment of the requirements for graduation with
honors research distinction in French in the undergraduate colleges of
The Ohio State University
By Jessica LaHote
The Ohio State University
April 2017
Project Advisor: Dr. Jennifer Willging, Department of French and Italian
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Il est certain que les maladies mentales ont un impact profond sur une société, y compris
les sociétés françaises et américaines. Selon le rapport de Couty en 2009, on estime qu’en
France, 18% de la population souffre d’une maladie mentale (Chevreul 883). Un rapport
américain estime la prévalence des maladies mentales aux États-Unis à 20% (Insel). Le coût
économique en France est de 109 milliard d’euros dont 20% sont les allocations des soins
médicaux et des coûts sociaux, et 80% sont les coûts des handicaps permanents, du suicide et de
la mauvaise qualité de vie (Chevreul 883-84).
On peut concevoir ces coûts au niveau mondial aussi. Le forum économique mondial a
estimé qu’en 2010, le coût mondial de la santé mentale était de $2.5 mille milliards, ce qui est
plus grand que les coûts du diabète, des troubles respiratoires et du cancer ensemble (Insel). Ces
chiffres nous indiquent l’importance du diagnostic et du traitement des maladies mentales dans le
monde entier. Ceci dit, même les pays occidentaux ne conçoivent pas les maladies mentales
toujours de la même manière.
En France, la psychanalyse joue un rôle important dans le traitement des maladies
mentales. En 2005, 70% des psychiatres français utilisaient la psychanalyse ou des thérapies
psychanalytiques (Meyer 7). Aux Etats-Unis, pourtant, la psychanalyse a perdu en général son
autorité depuis les années soixante-dix. En 2003, seulement 15% des psychologues américains se
considéraient de l’orientation psychanalytique (Norcross et al. 1471). Des données sur
l’orientation théorique des psychiatres américains ne sont pas disponibles mais en général, les
psychiatres ont tendance à être moins psychanalytiques que les psychologues parce qu’ils ont
reçu une formation en médecine—une formation plutôt biologique que théorique. Aux Etats-
Unis et dans la plupart du monde occidental (sauf en France et en Argentine) on préconise des
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psychothérapies « basées sur les preuves » comme les thérapies cognitivo-comportementales
(TCC) (Meyer 7-10).
Ainsi pourquoi la France est-elle une telle exception en ce qui concerne la psychanalyse ?
Nous essayerons de répondre à cette question d’abord avec un résumé de l’histoire de la
psychanalyse et son évolution en France et aux Etats-Unis. Ensuite, nous analyserons un certain
nombre de débats entre les psychanalystes et les cognitivo-comportementalistes dans chaque
pays mais surtout en France. Nous focaliserons sur les débats depuis les dernières quinze années.
Il existe déjà des études sur l’histoire de la psychanalyse en France mais il y a peu de recherche
au sujet de la persistance de son autorité au vingt-et-unième siècle. Ces débats traitent la façon
dont on définit et nomme une malade mentale. Comment détermine-t-on ce qui est normal et ce
qui est anormal ? Dans ces débats il s’agit également du traitement de ces maladies. Ces débats
sont plus nuancés qu’un argument entre les psychanalystes et les cognitivo-comportementalistes,
mais ces deux perspectives émergent et contrastent souvent dans ces échanges intellectuels,
scientifiques et philosophiques. Pour cette étude, nous considérerons seulement ces deux
perspectives.
Tout au long de ce texte, nous ajouterons d’autres voix à ces débats grâce à des entretiens
que nous avons faits avec des psychanalystes et psychiatres surtout en France et mais aux Etats-
Unis aussi. Nous avons eu l’occasion de passer cinq jours en stage au Centre hospitalier Sainte-
Anne, plus spécifiquement dans le département d’addictologie. Nous avons suivi quatre
médecins, deux infirmières et un psychologue (qui est psychanalyste) afin d’observer les
approches diverses au sein de l’équipe et comment elles fonctionnent ensemble. Il n’y a qu’un
psychanalyste dans le département, Armando Lopez, qui travaille dans un bureau en face de celui
d’un psychiatre qui ne croit pas, nous a-t-il précisé, à l’efficacité de la psychanalyse. Le chef du
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département, le docteur Xavier Laqueille, a trouvé une place pour la psychanalyse dans le
département de l’addictologie car il croit à l’importance de différentes perspectives. Dans son
département, l’approche biologique domine mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place
pour d’autres idées.
Les psychiatres dans ce département ont des avis divers sur la psychanalyse. La plupart
d’entre eux croient que la psychanalyse a sa place et qu’elle bénéficie à certains patients. Ils
envoient certains patients à M. Lopez mais pas tous. Néanmoins, certains psychiatres dans le
département refusent absolument tout ce qui est psychanalytique et n’envoient jamais de patients
à M. Lopez.
Actuellement, il existe des associations psychanalytiques en France. L’École de la Cause
Freudienne, fondée par Jacques Lacan en 1981, offre des rendez-vous avec ses membres pour
discuter leur formation psychanalytique et le rôle de l’association, ou de la psychanalyse en
général. Par l’intermédiaire de L’École de la Cause Freudienne, nous avons trouvé une
psychanalyste à Paris qui s’appelle Hélène Bonnaud. Elle nous a reçu dans son cabinet dans le
troisième arrondissement de Paris où nous avons passé une demi-heure à discuter sa propre
formation et son orientation théorique. Elle ne croit pas au comportementalisme et le caractérise
comme une solution de fortune.
De plus, nous avons parlé à un autre psychiatre français, le docteur Serge Kannas, qui
travaille pour la Ministère de la Santé, et un psychiatre américain, le docteur John Strauss, qui est
professeur à Yale University. Ces deux psychiatres ont beaucoup d’expérience dans leur pays
maternel mais ils ont également beaucoup de connaissances sur la psychiatrie au niveau
transnational et global.
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Finalement, nous examinerons le rôle de la psychanalyse au-delà de la psychologie et de
la psychiatrie française. Dès les années 1980 jusqu’au présent, des politiciens et des citoyens
français ont évoqué la psychanalyse dans certains débats politiques comme les débat sur le
mariage homosexuel et sur l’homoparentalité (Robcis 1). De cette façon, le discours
psychanalytique imprègne la société en dehors du contexte de la psychothérapie. Nous
analyserons ces débats et les commentaires des professionnels dans le domaine de la psychologie
et de la psychiatrie afin de voir si la culture d’un pays influence ce que l’on y considère comme
« scientifique ». Et cette différence de traitement des maladies mentales n’est-elle qu’un
symptôme de différences culturelles à une plus grande échelle ?
Pour répondre à cette question, il faut commencer avec le parcours historique de la
psychanalyse dans chaque pays. En 1909, Freud est venu aux Etats-Unis pour la première fois.
G. Stanley Hall, psychologue et un des fondateurs de Clark University à Worcester,
Massachusetts, l’a invité à présenter à la Clark Conference, une offre qu’il a d’abord refusée. Il
ne s’intéressait pas aux Etats-Unis et profitait de son influence en Europe. Hall, déterminé à faire
venir Freud, a changé la date pour l’accommoder. Suite à cette deuxième proposition, avec
l’encouragement de son collègue, Carl Jung, Freud a accepté l’invitation. Malgré ses doutes à
propos des Etats-Unis, Freud avait hâte d’y aller. Il ne s’attendait pas à grand-chose de son séjour
et c’était probablement ce manque d’attentes qui lui a plu (Shamdasi et al. 55-57). Il a à peine
fait des préparations, mais sa présentation extemporanée est devenue sa fameuse œuvre Cinq
leçons sur la psychanalyse (Evans & Koelsch 944).
Sa présentation à la Clark Conference n’a pas immédiatement transformé le monde
psychologique aux Etats-Unis mais elle a contribué à la domination de la psychanalyse pendant
la plupart du vingtième siècle. Juste après sa présentation—qu’il a faite entièrement en
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