Cat. 2.120.12.8.1.1 LE SIDA ET LE RESPECT DES

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Cat. 2.120.12.8.1.1
LE SIDA ET LE RESPECT
DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE
Avril 1988
Document adopté à la 305e séance de la Commission,
tenue le 29 avril 1988, par sa résolution COM-305-9.1.1
Me André Labonté
Secrétaire de la Commission
Recherche et rédaction :
Me Daniel Carpentier, conseiller juridique
Direction de la recherche
Traitement de texte :
Sylvie Dumaine (Direction de la recherche)
Clémence Dupras (Direction de la recherche)
Chantale Légaré (Direction de la recherche)
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Note
Ce document a été publié par la Commission des droits de la
personne. Le 29 novembre 1995, cette commission a été
fusionnée avec la Commission de protection des droits de la
jeunesse. Le nom du nouvel organisme est Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse.
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Il a été demandé à la Direction de la recherche de préparer un
document afin de situer la problématique du SIDA en regard des droits
et libertés reconnus par la Charte et des mandats conférés à la
Commission. Le présent document se veut être un premier survol de la
question. Certains aspects particuliers ou certaines situations plus
complexes seront traités plus en profondeur dans un avenir rapproché.
1. Le Sida, double phénomène (1)
Le SIDA, le syndrome d'immunodéficience acquise, est une maladie du
système immunitaire. Cette maladie est causée par un virus, le HIV
pour "human immunodeficiency virus", virus transmissible par le sang
humain ou d'autres liquides biologiques humains tels le sperme ou les
sécrétions vaginales.
La présence du virus dans l'organisme d'une personne a trois
conséquences possibles outre le fait que cette personne puisse
transmettre le virus à d'autres personnes :
1- le virus est présent mais n'a aucun effet sur la santé
du porteur : on parle alors d'un porteur sain (50 à 70%
des personnes infectées) ;
2- le porteur du virus peut aussi développer le syndrome de
lymphadénopathies prolongées, le SLP, aussi appelé
syndrome associé au SIDA (SAS ou ARC pour "Aids related
complex") qui peut régresser ou se développer. Le SLP ne
prédit pas une évolution vers le SIDA (10 à 30% des
personnes infectées développeront un SLP) ;
3- le porteur peut finalement développer la maladie dite
SIDA, maladie actuellement mortelle pour la majorité des
cas (10% à 30% des porteurs du virus seront atteints du
SIDA. On dit aussi des "sidéens ou des sidatiques").
Notons que ces pourcentages sont à titre indicatif et qu'ils peuvent
varier en fonction des données qui évoluent rapidement. Ainsi le taux
de porteurs développant le SIDA est fixé par certains à 35% ou même
plus.
En chiffres absolus (au 7 mars 1988), il y a eu depuis l'apparition de
la maladie au Canada un total de 1622 cas de SIDA, dont 886 décès et
par extrapolation de 70 000 à 100 000 personnes qui sont infectées
par le virus HIV sans avoir le SIDA.
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Le premier aspect du phénomène SIDA est médical. Il relève
essentiellement de l'apparition d'une nouvelle maladie qui est :
1- mortelle ;
2- transmissible sexuellement ou par voie sanguine ;
3- à ce jour incurable.
Face au phénomène médical qu'est le SIDA, un autre phénomène, social
celui-là, nous frappe. La crainte que suscite une telle maladie
provoque des réactions qui ont pour effet de :
1- rejeter les victimes de la maladie ou les porteurs du
virus ;
2- de créer une méfiance et un rejet de certains groupes
parce qu'ils sont perçus comme des groupes à haut risque
(les Noirs, les homosexuels, etc.).
2. Le respect des droits et libertés de la personne et le SIDA
2.1 Les articles 1 à 9
En regard des droits et libertés fondamentaux énumérés aux articles 1
à 9 de la Charte, les personnes porteuses du virus HIV, les personnes
souffrant du syndrome de lymphadénopathies prolongées (SLP) ou les
personnes souffrant du SIDA, comme toute autre personne, sont
titulaires de ces droits et libertés et seule une limitation conforme
à l'article 9.1 peut restreindre l'exercice de ces droits et libertés.
On peut penser particulièrement aux droits reconnus aux articles 1, 4,
5 et 9 dans ce cadre :
- article 1, droit à l'intégrité et à la liberté de sa personne :
l'imposition d'un test de dépistage du virus HIV, test sanguin,
en l'occurrence sans le consentement de la personne, porte
atteinte à l'intégrité de la personne ; la mise en quarantaine des
personnes porteuses du virus ou malades porterait atteinte à la
liberté de ces personnes ;
- article 4, droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur ou
de sa réputation : le fait de divulguer ou de répandre une
information concernant une personne porteuse du virus ou malade
peut dans certaines circonstances, constituer une atteinte à ce
droit, notamment lorsqu'on infère de ce fait que la personne a eu
certains comportements qui seraient la cause de son état ;
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-
article 5, droit au respect de sa vie privée : le fait de chercher
à savoir, par un test ou une enquête, qu'une personne est
porteuse du virus ou malade, ou encore de divulguer une telle
information peut constituer une atteinte à ce droit ;
- article 9, droit au respect du secret professionnel : le fait de
divulguer un renseignement confidentiel révélé à une personne en
raison de son état ou de sa profession, constitue une atteinte à
ce droit. Par exemple, un médecin ou une infirmière ne peut
divulguer à quiconque qu'une personne est atteinte d'une maladie
reliée au SIDA ou qu'elle est porteuse du virus, si ce n'est avec
autorisation de cette personne ou si la loi le lui permet
expressément.
Une atteinte illicite à un de ces droits confère à la victime un
recours en vertu de l'article 49 de la Charte, soit un recours
personnel devant les tribunaux de droit commun. Il ne s'agit pas d'un
recours auprès de la Commission.
2.2 Les articles 10 à 20
Au chapitre du droit à l'égalité, sans discrimination, il faut d'abord
établir que l'atteinte à un droit ou une liberté (articles 1 à 9) ou
l'atteinte à un droit dans le cadre d'une activité (articles 11 à 19)
est fondée sur l'un des motifs énumérés à l'article 10 de la Charte.
Puisque nous sommes face à des personnes porteuses d'un virus ou
atteintes d'une maladie, le motif que l'on peut invoquer est le
handicap.
La Commission a défini le handicap comme suit:
"un désavantage résultant d'une déficience, soit une perte,
une malformation ou une anomalie d'un organe, d'une
structure ou d'une fonction mentale, psychologique,
physiologique ou anatomique."
Il est clair que la présence du virus HIV chez une personne constitue
une déficience, soit une anomalie d'une fonction physiologique. En
effet, le virus en portant atteinte au système immunitaire (il
neutralise le lymphocyte T4) crée une anomalie de ce système de
défense. À fortiori, le développement d'une maladie, SLP ou SIDA,
suite à l'effondrement du système immunitaire constitue un handicap
puisque les diverses maladies dite opportunistes qui peuvent se
développer créeront des problèmes autant au niveau mental,
qu'anatomique ou physiologique.
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Pour qu'il s'agisse d'un handicap selon la définition de la
Commission, il faut que nous soyons en présence d'un désavantage
résultant de cette déficience.
Dans le cas des personnes qui ont développé une ou des maladies suite
à l'infection par le virus HIV, cet état peut constituer un
désavantage comme dans le cas des personnes qui ont une maladie,
c'est-à-dire une incapacité de travailler ou d'exercer certaines
fonctions, la prise de médicaments ou d'autres traitements.
Notons que même si une personne est un malade déclaré du SIDA, elle
n'est pas automatiquement incapable de travailler, l'état de chaque
personne pouvant différer.
Cependant, celles qui sont porteuses du virus mais dont la santé n'est
pas altérée, ne subissent aucun désavantage particulier ou
identifiable ou encore on pourrait affirmer qu'elles n'ont pas une
déficience puisque le virus n'est pas actif. Dans l'un et l'autre cas,
ceci peut donner lieu à une perception fausse qui fait qu'on attribue
à tort à la personne un handicap qu'elle n'a pas. Cette situation
serait également couverte sous le motif handicap.(2)
Donc, le fait d'être atteint du SIDA ou du SLP constitue un handicap
au sens de l'article 10 de la Charte. Également, le fait d'être
porteur du virus HIV, peut être couvert sous le motif handicap, en
tant que perception d'un handicap. Par conséquent, une atteinte à l'un
des droits reconnus par la Charte qui est fondée sur ce handicap
constitue de la discrimination et peut faire l'objet d'une plainte.
Ceci inclut autant les droits reconnus aux article 1 à 9 et 21 à 48
que les activités protégées énumérées aux articles 11 à 19 de la
Charte.
Nous avons décrit précédemment des situations visées par les articles
1 à 9 de la Charte et que l'on pourrait rencontrer. Dans le cas des
articles 11 à 19 on peut penser à :
- un refus de louer un logement à une personne atteinte du SIDA ou
à une personne que l'on soupçonne d'en être atteinte ou d'être
porteuse du virus (article 12) ;
- un refus de conclure un contrat d'assurance pour ces raisons
(article 12) ; notons que le coût des primes peut varier en
fonction de l'état de santé de la personne ;
- un refus d'accès ou de service dans un hôtel, un restaurant ou un
établissement commercial pour les mêmes raisons (article 15) ;
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- un refus d'embauche ou un congédiement parce qu'une personne est
porteuse du virus ou atteinte du SIDA (article 16) ;
- une demande de renseignement relatif à cette maladie lors d'une
entrevue relative à une emploi ou un formulaire de demande
d'emploi (article 18.1).
L'exception à la discrimination en emploi prévue à l'article 20 peut
s'appliquer. Cependant, étant donné les modes de transmissions
particuliers de ce virus, rares seront les emplois où le fait d'être
infecté par le virus constituerait un empêchement justifiable
d'occuper un emploi ; on peut penser, par exemple, au cas d'un
chirurgien porteur du virus.
Quant aux limitations relatives à l'exercice d'un droit ou d'une
liberté fondamentale, seule la loi permet de les établir en fonction
notamment du bien-être de la population. Ainsi, l'obligation qui est
faite à tout médecin traitant de signaler qu'il a un patient qui est
porteur du virus ou malade du SIDA en vertu de la Loi sur la
protection de la santé publique, pourrait constituer une telle limite
justifiable. Notons toutefois que cette déclaration obligatoire
n'autorise pas le médecin à divulguer le nom de la personne atteinte.
2.3 Les tests de dépistage
Actuellement, un test de dépistage appelé ELISA est utilisé par la
Croix-Rouge afin de détecter la présence d'anticorps au HIV dans le
sang. Ce test est effectué de façon systématique pour tous les dons de
sang afin d'éviter la contamination par transfusion de sang infecté.
Ce test est relativement fiable eu égard aux fins poursuivies par la
Croix-Rouge puisqu'il permet de rejeter tous les échantillons qui
s'inscrivent comme positifs même si dans certains cas il s'agit de
faux positifs, c'est-à-dire que le sang n'est pas contaminé. En raison
de l'utilisation qui sera faite du sang, il est préférable d'éliminer
plus d'échantillons que d'en laisser filtrer quelques uns qui seraient
contaminés.
Cependant, l'utilisation de ce test de dépistage à d'autres fins,
notamment lors de la sélection de candidats à l'emploi, n'est
généralement pas justifiée. D'abord parce que, comme nous l'avons dit
précédemment, rares seront les emplois ou le fait de ne pas avoir le
virus constituerait une qualité requise par l'emploi, et ensuite parce
que la fiabilité du test n'est pas absolue et il est possible de rejeter les
candidats qui ne sont nullement infectés par le virus. De plus,
l'article 18.1 de la Charte interdit dans un formulaire de demande
d'emploi ou lors d'une entrevue relative à un emploi de requérir d'une
personne des renseignements sur les motifs visés dans l'article 10,
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dont le handicap, dans le cas du SIDA, sauf si les renseignements sont
utiles à l'application de l'article 20. Cette dernière exception ne
vaudra que dans les rares cas où le fait de ne pas avoir le virus
constitue une qualité requise par l'emploi.
Le fait d'imposer à une personne de subir un tel test de dépistage
sans avoir obtenu de celle-ci un consentement valable au préalable,
par exemple à l'embauche ou en cours d'emploi, constitue une atteinte
à l'intégrité physique d'une personne. Si l'on se situe dans le cadre
d'un emploi, une telle demande, qu'elle soit faite à l'embauche ou en
cours d'emploi, laisse peu de choix au candidat ou à l'employé puisque
la personne qui refuserait de subir le test se verra vraisemblablement
refuser le poste convoité ou subira des sanctions dans le cadre de son
travail. Aussi dans une telle situation, la validité du consentement
pourrait être mise en doute. Le recours à un test de dépistage du SIDA
ne devrait donc être possible que dans les cas où l'absence du virus
chez l'employé est une condition nécessaire et essentielle pour
occuper le poste. Hors cette dernière situation, toute décision prise
suite à la passation du test donnerait ouverture à un recours en vertu
de l'article 10 de la Charte (et de l'article 16, s'il s'agit d'une
décision relative à un emploi)
Quant à la demande de subir ce test par un assureur à qui une personne
demande une assurance-vie ou invalidité, il peut se justifier par le
fait que l'assureur fournit l'assurance en question sur la base de
risques qui sont déterminés par divers facteurs dont l'état de santé
d'une personne. Cette demande ne doit cependant pas être faite sur la
base de l'appartenance à un groupe visé par l'article 10 de la Charte
car elle serait alors discriminatoire.
De plus, dans le cadre d'un contrat d'assurance collectif, l'employeur
ne peut utiliser le prétexte de ce contrat d'assurance pour tester ses
employés (3).
Ajoutons que lorsqu'un test de dépistage est justifié, un ou plusieurs
tests de confirmation devront être faits afin d'établir si une
personne est réellement porteuse du virus. Les médecins traitant ont
recours au test d'immunofluorescence (IFA) ou au "radioimmunoprecipitation assay" (RIPA). La passation de ces tests de confirmation
assure la validité du diagnostic.
3. Les actions que peut entreprendre la C.D.P.
3.1 Information - éducation
Le SIDA constitue un handicap provoquant des réactions dans la
population qui bien que justifiées par les conséquences de l'infection
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par le HIV relèvent plus de l'ignorance de certains faits. Cette
ignorance, cette peur de l'inconnu, la Commission a souvent à y faire
face en matière de discrimination. Aussi, généralement, pour contrer
les préjugés issus de l'ignorance et de la peur, elle tente d'informer
les gens et de les amener à réfléchir sur certaines situations. Les
virus ne font pas de discrimination, ils s'attaquent à tout être
humain, quelle que soit son origine ethnique ou nationale, son
orientation sexuelle, etc. Il apparaît donc être important que a
Commission contribue à ce niveau à la lutte contre le SIDA en
combattant les préjugés qui entourent cette maladie. Elle encourage
donc les divers intervenants, les employeurs et les syndicats , à
prendre des initiatives pour informer le plus grand nombre de
personnes sur la réalité du SIDA.
3.2 Plainte et enquête
Le SIDA étant de toute évidence un handicap, les règles relatives à la
recevabilité des plaintes et à l'enquête en matière de handicap
s'appliquent donc aux plaintes de discrimination formulées par toute
personne atteinte du SIDA ou perçue comme telle.
NOTES
(1) Nous tenons à remercier le docteur Dominique Tessier du
Département de santé communautaire de l'Hôpital St-Luc de
Montréal de son aimable collaboration pour la révision de ce
texte quant aux aspects d'ordre médical qu'il comporte.
(2) "Les notions de déficience et de désavantage dans la définition
du motif handicap", position officielle de la C. D. P. ,
5 décembre 1986.
(3) L'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes
inc. a adopté le 10 novembre 1987 des lignes directrices
concernant le SIDA. Ces lignes directrices établissent notamment
que tout prélèvement sanguin doit être précédé d'un consentement
écrit ; elles précisent les types de tests à utiliser et les
conditions pour refuser d'assurer une personne ; elles soulignent
qu'aucun refus ne doit se fonder sur l'orientation sexuelle de
l'assuré éventuel ou sur le fait que cette personne a subi des
tests de dépistage.
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