QUODVULTDEUS ET LA «CITÉ DE DIEU» 311
reconnaître les mérites de la Rome républicaine23, donc les vertus propres de
la cité terrestre. Il y a là une défiance envers le monde qui n'était pas présente
dans la Cité de Dieu24.
On comprend mieux cette différence avec l'évêque d'Hippone si l'on relève
les modèles que Quodvultdeus choisit parmi les auteurs chrétiens ; il cite trois
noms avec éloge, Augustin, Orose et Jérôme25. La réunion de ces autorités ne
posait pas de problèmes pour un évêque catholique, puisqu'elles étaient toutes
trois considérées comme orthodoxes. En revanche elle surprend dans la
perspective d'un récit historique car les conceptions de l'histoire de ces trois
écrivains sont sensiblement différentes ; mais la contradiction n'est
qu'apparente car les rôles de ces personnages sont distincts dans la pensée de
Quodvultdeus.
En effet, ce dernier qualifie Augustin d'évêque «de bienheureuse (ou de
vénérable) mémoire26» : de sa vie et de son œuvre, et malgré les allusions
théologiques à la Cité de Dieu, Quodvultdeus semble ainsi retenir surtout
l'aspect épiscopal, et donc la défense de l'orthodoxie contre les hérétiques et les
schismatiques. Jérôme, lui, est également nommé «de bienheureuse mémoire»,
mais Quodvultdeus rend de plus hommage à son grand travail et à sa grande
pénétration d'esprit27. Enfin Orose est appelé «uir eruditissimus
historiographus2S». Donc, si Augustin est la référence théologique et ecclésiale,
Jérôme est la référence doctrinale, et Orose la référence historique. Ainsi, les
23.
Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il tient pour négative la culture profane, ni que
l'histoire de Rome ne l'a pas marqué
;
terminant son ouvrage par la description de la Jérusalem
céleste et perpétuelle, il lui applique les vers virgiliens sur l'éternité de Rome,
Liber,
G,
13.
De
même, il cite Cicéron et Salluste pour confirmer que la fin du monde était annoncée par les
sages de ce monde en
Liber,
III, 47.
24.
Remarquons cependant qu'il y a peut-être aussi un aspect purement rhétorique, avec le
jeu de mot
saeuitia-se
uita,
et que l'idée de la cruauté du monde païen adoucie par le triomphe
du christianisme avait été largement développée par Orose.
25.
Cela ne veut pas dire qu'il n'a pas Iu d'autres auteurs ; mais ceux-ci seuls sont
déterminants pour sa conception de l'histoire. Le problème se pose de savoir s'il faut y ajouter
YHistoire Ecclésiastique d'Eusèbe traduite et complétée par Rufin, qu'Augustin avait
recommandée à Quodvultdeus
(De
haeresibus,
83).
On a dit que le problème avait été étudié par
Y.-M. Duval et la réponse semble être positive, même si l'auteur admet que les indices de la
connaissance de ce texte par Quodvultdeus sont mineurs
(art.
cit. p. 766) ; de toute façon, les
exemples relevés par Y.-M. Duval,
s'ils
sont historiques (l'abandon de sa charge par
Valentinien sous Julien, la destruction du Sérapeum à Alexandrie), ne concernent pas une
conception globale de l'histoire, et l'optimisme eusébien ne pouvait être partagé par
Quodvultdeus, qui assiste à l'effondrement de l'empire. Pour les autres auteurs ecclésiastiques,
on peut remarquer qu'Origène est cité pour avoir «exposé les opinions d'une foi droite» (Liber,
II,
11 ; mais il
s'agit
d'un commentaire exégétique du Lévitique, et non d'une œuvre
spéculative du docteur alexandrin) et que «Tyconius a beaucoup écrit» sur
YApocalypse
(Liber,
D,
22) ; mais
s'ils
sont cités comme des autorités, ils le sont sans éloge personnel.
26.
Liber, II, 54 ; III, 36 ; D., 6.
27.
Liber,
II, 79 ; cet éloge s'applique à Jérôme commentateur du Livre de
Daniel,
ce qui a
son importance comme on va le voir ensuite.
28.
Liber, II, 74 ; III, 36.