Année 2013 Thèse n°2103 THÈSE pour le DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ BORDEAUX SEGALEN Ecole doctorale Sciences de la Vie et de la Santé Mention : Sciences, Technologie, Santé Option : Biologie végétale Présentée et soutenue publiquement Le 12 décembre 2013 Par Mariam Berdeja Effet de la contrainte hydrique et du génotype du porte-greffe sur la composition de la baie de raisin Effects of water stress and rootstock genotype on grape berry composition Membres du Jury Prof. Dr. Dominique ROLIN Prof. Dr. Christophe CLEMENT Dr. Charles ROMIEU Prof. Dr. Manfred STOLL Dr. Nathalie OLLAT Prof. Dr. Serge DELROT Dr. Ghislaine HILBERT University of Bordeaux University of Reims INRA Montpellier University of Geisenheim INRA Bordeaux University of Bordeaux INRA Bordeaux Président du jury Rapporteur Rapporteur Examinateur Examinatrice Directeur de thèse Membre invité I. Introduction générale Au cours des prochaines années, il est prédit que le changement climatique va influencer la production des cultures et impacter négativement le secteur agricole. Parmi les cultures mondiales majeures, la vigne est cultivée pour ses baies, qui sont la base de produits à forte valeur ajoutée (vin, liqueurs, et métabolites secondaires utilisés dans les industries pharmaceutiques et cosmétologiques) et dont le métabolisme est fortement sensible au climat. Cette plante pérenne est généralement cultivée par greffage sur un porte-greffe approprié. Le porte-greffe influence le greffon, particulièrement au regard de l’absorption d’eau et de la vigueur conférée. Aussi, une des possibilités pour adapter la viticulture au changement climatique est de sélectionner des porte-greffes conférant une tolérance accrue à la sécheresse. Cependant, la réponse au niveau de la composition de la baie ainsi que les mécanismes moléculaires sous-jacents mettant en évidence la capacité de l’interaction porte-greffe/greffon à influencer le métabolisme de la baie dans des conditions de stress hydrique est encore très peu étudiée et compris. Dans ce contexte, cette thèse a eu pour objectifs de répondre à ces questionnements en combinant des approches ecophysiologique, biochimique et transcriptomique. Vitis vinifera cv. Pinot noir greffé soit sur le porte greffe 110R (tolérance à la sécheresse, vigueur conférée moyenne à forte) ou 125AA (sensible à la sécheresse, forte vigueur conférée) ont été étudié au cours de 3 années (2009, 2010 et 2011), au vignoble et dans des conditions témoin (pluviométrie normale) ou de stress hydrique provoqué. Différents paramètres physiologiques (statut hydrique et rendement) ainsi que le profil métabolique de la baie (sucres, acides organiques, acides aminés et anthocyanes) ont été caractérisés à quatre stades de développement (E-L 33, E-L 35, E-L 36, E-L 38). D’autre part, une analyse microarray sur génome complet a également été réalisée pour deux années (2009 et 2010) et deux stades de développement critiques et représentatifs (E-L 35 et E-L 36). II. Résultats : effet du stress hydrique et du génotype du porte greffe sur la composition de la baie de raisin La croissance de la baie de raisin dépend d’une interaction complexe entre les génotypes du porte-greffe et du greffon, de la conduite du vignoble et des facteurs environnementaux. L’objectif des expérimentations et résultats décris dans ce premier chapitre de résultat a été de caractériser les effets du génotype du porte greffe et du stress hydrique sur les métabolismes primaires et secondaire de la baie de raisin. Des plants de Vitis vinifera cv. Pinot noir greffé soit sur le porte-greffe 110R (tolérant à la sécheresse, vigueur moyenne à forte) soit sur le porte-greffe 125AA (sensible à la sécheresse, forte vigueur) ont été étudiés durant 3 années au vignoble dans des conditions de pluviométrie normal ou de pénurie d’eau. Le stress hydrique n’a pas affecté de façon significative le poids des baies, le rendement et les contenus en sucres et en acides organiques, mais a augmenté le contenu en anthocyanes indépendamment du porte-greffe. En revanche, il a été observé un effet combiné du porte-greffe et du stress hydrique sur les concentrations en acides aminés, les plantes greffées sur 125AA étant davantage sensible à l’effet du stress hydrique. Ces résultats indiquent donc que le porte greffe a un effet mineur sur la composition en anthocyanes, sucres et acides organiques dans des conditions de stress hydrique. Cependant, le contenu en acides aminés de la baie est sous contrôle d’une interaction claire entre le porte-greffe et le stress hydrique. Les résultats décrits dans ce chapitre ont permis de conclure que le porte-greffe a dans l’ensemble un effet mineur sur la composition de la baie de raisin. En revanche, il a été démontré que la combinaison de l’effet « porte-greffe » et « stress hydrique » affecte fortement la concentration en acides aminés de la baie de raisin ; les plantes greffées sur 125AA étant davantage sensible à l’effet du stress hydrique. Ce travail ouvre de nouvelles pistes concernant la compréhension des changements métaboliques de la baie de raisin en réponse au porte-greffe et à la contrainte hydrique dans un contexte de changement climatique. III. Résultats : Analyse transcriptomique des effets combinés du stress hydrique et du génotype du porte greffe sur le métabolisme de la baie de raisin Le changement climatique va impacter négativement la production agricole mondiale. Parmi les cultures majeures cultivées au niveau mondial, la vigne produit des baies qui sont la base de produits à forte valeur ajoutée (vins, liqueurs, et métabolites secondaires utilisés dans l’industrie pharmacologique et cosmétique) et leur métabolisme est fortement sensible au climat (effet vintage). Cette culture pérenne est souvent cultivée par greffage. Les portegreffes influencent le greffon particulièrement au niveau de l’absorption d’eau et de la vigueur. Ainsi, une des possibilités pour adapter la viticulture au réchauffement climatique est de sélectionner des porte-greffes conférant une tolérance accrue à la sécheresse. Cependant, les mécanismes moléculaires associés à la capacité de la combinaison porte-greffe/greffon d’influencer le métabolisme de la baie de raisin dans des conditions de stress hydrique sont encore peu compris. L’objectif des expérimentations et résultats décris dans ce deuxième chapitre de résultat est d’étudier les modifications transcriptomique induites par le stress hydrique dans des baies de raisin (cv. Pinot noir) greffées sur deux porte-greffes se singularisant par un degré différent de tolérance au stress hydrique : 110R (tolérant à la sécheresse) et 125AA (sensible à la sécheresse). Les expérimentations ont été menées au vignoble pendant 2 ans et pour 2 stades de développement de la baie de raisin (EL-35 and EL36). L’analyse transcriptomique sur génome complet a révélée, en condition de stress hydrique, un effet du porte-greffe au niveau de la réponse transcriptomique des gènes liés au métabolisme du jasmonate et des composés phénoliques. De plus, ces données suggèrent un possible lien entre ces deux catégories fonctionnelles dans les baies de raisins soumises à un stress hydrique, car elles présentent un profil d’expression similaire entre 110R et 125AA à la fois pour les deux stades et les deux années étudiées. D’autre part, il a également été observé un effet combiné du porte-greffe et du stress hydrique au niveau de l’expression de gènes liés au métabolisme des acides aminés, ce qui pourrait expliquer en partie les changements observés en acides aminés en réponse à l’effet combiné du porte-greffe et du stress hydrique. III. Discussion et conclusion scientifique générale Dans un contexte de changement climatique, cette thèse a eu pour but d’étudier les effets du stress hydrique et du génotype du porte-greffe sur la composition et l’expression génique des baies de Pinot noir. L’objectif était de mieux comprendre les différents événements associés avec le comportement physiologique et les changements moléculaire et biochimique se produisant dans des baies de raisin greffées sur 2 porte-greffes différents soumis ou non à un stress hydrique. Le travail réalisé au cours de cette thèse a généré un très grand ensemble de données comparant l’effet combiné du porte-greffe et du stress hydrique sur la qualité de la baie de raisin. Cette étude a révélé que même un stress hydrique relativement modéré peut affecter la composition et la qualité du fruit, et que la réponse observée est également dépendant du porte-greffe. Nous avons choisis délibérément de mener les expérimentations au vignoble plutôt que dans des conditions mieux contrôlées (serres), dans le but d’être plus proche des conditions réelles. En effet, la réponse de la vigne au stress hydrique (isohydrique vs. anisohydrique) peut être différente, pour un génotype donné, qu’il soit appliqué au champ ou en serre. Les expériences ont été réalisées durant 3 saisons (de 2009 à 2011) au vignoble dans des conditions témoin (pluviométrie normale) ou de stress hydrique provoqué. Pour les 3 années, le dispositif expérimental a permis d’induire avec succès un stress hydrique pour la vigne, résultant en une baisse significative du PD pour les porte-greffes stressés par rapport aux porte-greffes témoins. En condition de stress hydrique, les vignes greffées sur 110R ont maintenu un PD plus élevé que celles greffées sur 125AA. Il a été noté un stress hydrique faible à modéré pour les années 2009 et 2010 et un stress hydrique faible pour 2011. Dans la littérature, il a été démontré qu’un stress hydrique modéré favorise l’accumulation de flavonoïdes et augmente la qualité des vins rouges. Il aurait été par ailleurs intéressant de réaliser des microvinifications dans le but de tester le potentiel sensoriel de vins issus de nos échantillons. Concernant les différents paramètres biochimiques qui déterminent la qualité de la baie de raisin, nous n’avons pas observé de différences significatives dans les concentrations des hexoses (glucose et fructose) entre les conditions « témoin » (T) et « stressé » (S). De la même façon, le génotype du porte-greffe n’affecte pas significativement la concentration finale des hexoses dans les baies. Les niveaux d’acides organiques (acides malique et tartrique) ont été maximaux avant véraison et ont décliné graduellement au cours de la maturation. Pour les 3 années, 125AA (S) la concentration en acide malique était légèrement plus élevée que pour 110R (S) au cours des derniers stades de maturation (EL-38). Cependant, cette différence a été statistiquement significative seulement en 2009, quand le stress hydrique fut plus sévère. De façon intéressante, cette observation est en accord avec notre analyse transcriptomique qui montre que l’expression de la malate synthase est davantage induite par le stress hydrique pour 125AA par rapport à 110R au stade EL-35 en 2009 et 2010. L’acide tartrique n’a pas été significativement affecté par le stress hydrique dans notre étude comme il a déjà été démontré dans la littérature. D’autre part, le stress hydrique a augmenté l’accumulation des anthocyanes lors des 3 années, confirmant également les données de la littérature. Les anthocyanes n’ont pas pu être détectés à des niveaux significatifs avant EL-35, mais ont fortement augmentés à partir de la véraison jusqu’à la récolte. La malvidine (Mv) fut l’anthocyanine majeure présente dans les baies, suivis par la péonidine (Pn) et la pétunidine (Pt). Au cours des 3 années étudiées, les baies de raisin greffées sur 110R ont globalement accumulées davantage d’anthocyanines que celles greffées sur 125AA. Enfin, 19 acides aminés sur 20 ont été détectés au cours du développement de la baie, du stade EL-33 à EL-38. Dans notre étude, la concentration totale en acides aminés libres n’a pas été statistiquement affectée par le génotype du porte greffe et le stress hydrique. En revanche, le stress hydrique a augmenté statistiquement la concentration de 11 acides aminés, tels que ARG, PRO, ALA, GLU, et GABA, et ce pour les 2 porte-greffes. Dans l’ensemble, les baies greffées sur le porte- greffe sensible 125AA ont accumulé davantage d’acides aminés libre en comparaison à celles greffées sur le porte greffe tolérant 110R, dans des conditions de stress hydrique et durant les 3 années étudiées. Cela suggère que le génotype du porte-greffe a le potentiel de modifier le contenu en acides aminés dans des conditions de stress hydrique. Ces observations sont soutenues par notre analyse transcriptomique, qui montre que des gènes impliqués dans le métabolisme des acides aminés sont plus induits et /ou moins réprimés par le stress hydrique dans les baies greffées sur 125AA. De plus, ces résultats suggèrent que les différences observées pour le contenu en ARG, PRO et GLU entre 125AA et 110R pourraient être du partiellement à une régulation transcriptionnelle différentielle de gènes codant l’ornithine decarboxylase. Nos données soulignent également que les gènes lies au métabolisme des acides aminés aromatiques sont différentiellement affectés entre 110R et 125AA en condition de stress hydrique (arogenate dehydrogenase, arogenate dehydratase, glutamate/aspartate-prephenate aminotransferase and chorismate mutase). Le génotype du porte-greffe a également impacté significativement l’abondance de transcrits liés au métabolisme des phénylpropanoides (flavonoïdes, stilbènes, et lignines), lequel est directement lié au métabolisme des acides aminés aromatiques. Dans l’ensemble, nous avons noté que les gènes impliqués dans le métabolisme secondaire étaient davantage induits et/ou moins réprimés par le stress hydrique dans les baies de raisin greffées sur le porte-greffe sensible 125AA. Cela est particulièrement le cas pour les gènes liés aux stilbènes, lignines et des gènes codant des laccases. Concernant les hormones qui ont été décrites comme des régulateurs clefs de la maturation de la baie de raisin, l’ABA est connu pour jouer un rôle majeur dans les processus de maturation et de tolérance au stress hydrique. Dans notre étude, nous n’avons pas trouvé de changements significatifs dans l’expression des gènes liés au métabolisme de l’ABA entre les 2 porte-greffes, sauf en 2009 lorsque le stress fut plus sévère. En revanche, nous avons trouvé que, pour les 2 années et les 2 stades de développement étudiés, des gènes liés à la synthèse du jasmonate étaient différentiellement exprimés entre 125AA et 110R. Plus précisement, les gènes liés à la synthèse de jasmonate étaient globallment davantage induits et/ou moins réprimés par le stress hydrique pour 125AA par rapport à 110R. Dans la littérature, une application de jasmonate 15 jours après véraison est connue pour induire l’accumulation de stilbènes dans les baies de raisin. Dans notre étude, d’autres gènes connus pour faire partie de la voie de signalisation du jasmonate, comme des PR-protéines, ont également été trouvées comme étant différentiellement exprimés entre 125AA et 110R. En conclusion, nos données suggèrent que le jasmonate peut jouer un rôle dans des baies de raisin subissant un stress hydrique faible à modéré, et peut être responsable de la modulation de l’accumulation de composés phénoliques comme les stilbènes. Les résultats présentés dans cette thèse montrent que les changements métaboliques observés ne sont que partiellement expliqués par l’analyse transcriptomique. Ainsi, en complément de cette analyse, des approaches protéomique, enzymatique et/ou métabolomique sont nécessaires afin de de tenir compte des régulations traductionnelle et posttraductionnelle. Les interactions entre ces différents niveaux fonctionnels dépendront de la structure des réseaux métaboliques et de signalisation, et de la dynamique du « turnover » des transcrits, protéines et métabolites. Ces études conduiront à de nouvelles hypothèses concernant les connections entre le génotype et le phénotype. Par exemple, les données métaboliques en combinaison avec d’autres types de données telles que, des profils d’expression ou des données protéomiques peuvent être utilisées pour générer des hypothèses au sujet des relations fonctionnelles au sein de ce réseau. La compréhension des interactions entre le porte-greffe et le stress hydrique nécessite des analyses « omics » de par la nature compliquée de ces réseaux moléculaires.