M/S5, vol. 22, mai 2006
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NOUVELLE
Inserm U567, CNRS UMR-S 8104,
Faculté de Médecine René Descartes, Institut Cochin,
24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France.
La pêche au gène
chez le poisson zèbre
Identification du transporteur
du fer mitochondrial
Sophie Vaulont, Lydie Viatte
qu’à l’état adulte est très faible. Les
rares survivants sont pâles, présen-
tent un retard de croissance et une
forte cardiomégalie, signes classiques
d’insuffisance cardiaque. Le gène res-
ponsable de l’anomalie phénotypique
du mutant frs code pour une protéine
apparentée à la famille des transpor-
teurs mitochondriaux SLC25 [3] et bap-
tisée mitoferrine (mfrn) par les auteurs.
LADNc pleine longueur de la mitoferrine
a été cloné chez le poisson zèbre ; il
code une protéine de 333 acides ami-
nés d’une masse calculée de 37 kDa.
Le gène mitoferrine s’exprime de façon
abondante et spécifique dans la masse
cellulaire intermédiaire de l’embryon
de poisson (l’équivalent du sac vitellin
extra-embryonnaire de mammifères).
Cette expression embryonnaire est sous
la dépendance du facteur de transcrip-
tion Gata-1, facteur essentiel pour la
> La pêche a souvent été miraculeuse en
utilisant le poisson zèbre comme sys-
tème génétique pour cloner de nouveaux
gènes impliqués dans l’hématopoïèse
et le métabolisme du fer (pour revue,
voir [1]). Quelle en est la méthode ? Le
principe est simple. Après mutagenèse
chimique, les embryons de poisson ayant
des signes d’anémie sont sélection-
nés. Cette opération est facile car les
œufs de poisson, qui sont fécondés dans
le milieu extérieur, sont optiquement
clairs, permettant ainsi l’observation
directe de la circulation des cellules
sanguines. Des groupes de complémen-
tation sont ensuite définis et la carac-
térisation du gène muté responsable
du défaut phénotypique est réalisée
par clonage positionnel. Ainsi, plus de
26 groupes de complémentation ont
été caractérisés et déjà une dizaine de
gènes, impliqués pour la plupart dans
des pathologies du fer chez l’homme,
ont été clonés (Tableau I)1. C’est cette
stratégie de clonage positionnel qui
vient d’être utilisée par une équipe amé-
ricaine pour identifier le gène responsa-
ble de la mutation frascati, frs, chez le
poisson zèbre [2].
Les embryons mutants frs présentent,
36 h après fécondation, un comparti-
ment érythropoïétique très largement
diminué : ces embryons développent une
anémie sévère par arrêt de la diffé-
renciation des érythrocytes au stade
pro-érythroblaste. Le nombre d’em-
bryons mutants qui se développent jus-
1 Que les amateurs de vin se tiennent sur leurs gardes, ces
mutants ne sont pas recommandés pour la dégustation…
Mutant Protéine Maladie chez l'homme
chardonnay Divalent Metal Transporter1
(DMT1)
Anémie microcytaire
chablis Protéine 4.1r Elliptocytose héréditaire
chianti Récepteur de la transferrine 1 -
dracula Ferrochélatase Protoporphyrie érythroïde
moonshine TIF1γ-
retsina Band3 Anémie dysérythropoïétique
congénitale
riesling Spectrine βSphérocytose héréditaire
sauternes Aminolévulinate synthase δAnémie sidéroblastique congénitale
vlad tepes Gata-1 Anémie dysérythropoïétique
familiale et thrombocytopénie
weissherbst Ferroportine Hémochromatose de type 4
yquem Uroporphyrinogène décarboxylase Porphyrie cutanée tardive
et porphyrie hépato-érythroïde
zinfandel Locus globine Thalassémie
frascati Mitoferrine ?
Tableau I. Gènes clonés chez le poisson zèbre et leurs implications dans des maladies chez
l’homme.
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NOUVELLES MAGAZINE
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régulation de l’érythropoïèse terminale.
Dans le poisson zèbre adulte, on retrouve
les transcrits mitoferrine dans le rein,
site de l’hématopoïèse. Enfin, la distri-
bution subcellulaire de la mitoferrine a
été déterminée après transfection d’une
protéine chimérique mitoferrine-GFP
dans des cellules épithéliales humaines.
Comme toutes les protéines de la famille
SLC25, la mitoferrine est retrouvée dans
la membrane interne des mitochondries.
Pour valider l’effet perte de fonction de
la mutation mitoferrine, des expérien-
ces classiques de sauvetage du phé-
notype (rescue) ont été réalisées par
micro-injection d’ARNc sauvage chez
les embryons mutants. Dans ces condi-
tions, 50 % des embryons se dévelop-
pent normalement et présentent une
hémoglobinisation identique à celle
des embryons sauvages. À l’inverse, des
expériences d’invalidation fonctionnelle
de la protéine chez l’embryon sauvage2
montrent des résultats phénotypiques
très similaires à ceux observés chez les
embryons frs, à savoir une anémie hypo-
chrome avec arrêt de la différenciation
érythroïde.
Chez la souris, l’expression du gène
mitoferrine est exclusivement restreinte
aux tissus hématopoïétiques, à savoir le
foie fœtal, la rate et la moelle osseuse.
Un deuxième gène a été identifié, mito-
ferrine2, chez le poisson zèbre et les
mammifères. Notons que l’expression
du gène mitoferrine2 de souris est ubi-
quiste et que l’ARNc mitoferrine2 n’est
pas capable de sauver le phénotype des
embryons frs, soulignant l’absence de
redondance fonctionnelle entre mitofer-
rine1 et 2 pour l’érythropoïèse.
Pour établir le rôle exact de la mito-
ferrine, et donc le lien entre la perte de
fonction de la protéine et l’acquisition
du phénotype d’anémie du mutant frs,
les auteurs ont établi une lignée de cel-
lules ES (embryonic stem cells) déficien-
tes en mitoferrine1 (cellules mfrn-/-). Les
cellules souches ES peuvent être induites
vers un lignage hématopoïétique sui-
vant un
processus
bien établi
de culture
et en pré-
sence d’un
cocktail
spécifique
d’agents
différen-
ciateurs.
Lorsque
ces cellules
ES « héma-
topoïéti-
ques » sont
cultivées
en présence
d’érythro-
poïétine et
d’interleu-
kine-3,
une diffé-
renciation
érythroïde
spécifique peut être obtenue. Dans ces
conditions, aucune induction érythroïde
n’est observée avec les cellules ES héma-
topoïétiques mfrn-/-, contre 15 % de
cellules érythroïdes différenciées obte-
nues à partir de cellules ES mfrn+/+ et
7 % à partir de cellules ES mfrn+/-. Cette
absence de différenciation érythroïde
pouvant venir d’un défaut d’incor-
poration du fer dans la mitochondrie
(compartiment où se déroule en par-
tie la synthèse de l’hème) (Figure 1),
les auteurs ont testé l’incorporation
de fer radioactif (55Fe) dans l’hème
mitochondrial. Pour cela, les cellules ES
hématopoïétiques ont été incubées en
présence de transferrine saturée en 55Fe
(internalisée dans la cellule grâce au
récepteur de la transferrine1 présent à
la surface des cellules) et d’acide ami-
nolévulinique, le précurseur de l’hème.
Alors que les cellules ES hématopoïé-
tiques sauvages incorporent le 55Fe de
façon efficace, aucune incorporation
de 55Fe n’est obtenue dans la molécule
d’hème avec les cellules ES mfrn-/-. Ces
résultats indiquent clairement que la
mitoferrine est indispensable pour l’hé-
moglobinisation des cellules en permet-
tant l’incorporation de 55Fe au sein de la
molécule d’hème.
De façon intéressante, les protéines
mitoferrine de poisson partagent 38 %
d’identité avec les protéines MRS3 et
MRS4 de levure impliquées dans le trans-
port mitochondrial de métaux [4]. Le
double mutant mrs3/4 de levure présente
un défaut de biogenèse des protéines
Fe-S et des hémoprotéines qui se traduit
par un ralentissement de la croissance.
Ce défaut de croissance est « sauvé »
par la mitoferrine1 ou 2 de poisson et
la mitoferrine2 humaine. Ces résultats
soulignent la très grande conservation
de la fonction de la mitoferrine à travers
les espèces (la mitoferrine de souris
« sauve » le mutant frs de poisson et la
mitoferrine de poisson complémente le
mutant de levure mrs3/4). Cependant,
comme précédemment mentionné, seule
la mitoferrine1 est capable de « sauver »
l’embryon mutant frs. Ce résultat peut
2 Ces expériences sont réalisées par micro-injection chez
l’embryon de morpholinos (oligomères stables modifiés chi-
miquement qui se lient à l’ARN) qui ont pour but de bloquer
spécifiquement l’épissage du pré-messager mitoferrine et
donc la production de la protéine.
Figure 1. Modèle de la fonction de la mitoferrine dans la mitochondrie. Le fer est
capté par l’érythrocyte en développement grâce au récepteur de la transferrine1
(RTf1). Il est ensuite transporté dans la mitochondrie par la mitoferrine1 (Mfrn).
C’est dans la mitochondrie que se déroule une grande partie de la synthèse
de l’hème, en particulier la dernière étape catalysée par la ferrochélatase qui
assure la fixation du fer sur la protoporphyrine IX. L’hème quitte alors la mito-
chondrie (soit passivement à travers la membrane, soit par un processus actif
non encore identifié) pour se lier à la chaîne de globine en croissance et former
l’hémoglobine (Hb). L’hème peut également sortir de la cellule grâce à deux
exporteurs récemment caractérisés, FLVCR et ABCG2, permettant ainsi d’éviter
les excès de fer qui entraîneraient l’apoptose des précurseurs érythroïdes (pour
revue, voir[5]).
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s’expliquer par un besoin minimal en fer
de la levure qui peut être assuré par la
mitoferrine2 (de même, dans les cellules
non-érythroïdes du poisson, le transfert
mitochondrial du fer est probablement
assuré par la mitoferrine2). En revanche,
les quantités importantes de fer néces-
saires au cours de la différenciation
érythroïde semblent pouvoir n’être sup-
pléées que par la mitoferrine1.
Enfin, la dernière série d’expériences
démontrant l’activité de la mitofer-
rine dans l’import de fer mitochondrial
a utilisé des clones stables de levure
mrs3/4 exprimant un gène rapporteur
codant pour une enzyme mitochondriale
dont l’activité est dépendante du fer.
Les auteurs montrent que l’activité de
cette enzyme est réduite de moitié dans
la souche mutante mrs3/4. Après trans-
fection de l’ADNc de la mitoferrine de
poisson, cette activité retourne à la
normale, indiquant bien que la mitofer-
rine a permis au fer de rentrer dans la
mitochondrie et, par la même, d’activer
l’enzyme.
En conclusion, ce travail a permis de
caractériser la protéine responsable du
transport du fer mitochondrial, la mito-
ferrine1 pour les précurseurs érythroï-
des et, probablement, la mitoferrine2
pour les cellules non-érythroïdes. Ce
transport de fer est crucial pour la
production mitochondriale de l’hème,
composant essentiel du métabolisme
du fer. En effet, on retrouve l’hème
non seulement dans l’hémoglobine du
globule rouge mais également dans
la myoglobine, la neuroglobine ainsi
que toutes les enzymes à groupement
prosthétique (catalase, peroxydase,
cytochrome, nitric oxid synthase…). Il
y a fort à parier que tout dérèglement
de la mitoferrine soit responsable de
pathologie(s) chez l’homme.
Gene fishing in zebrafish :
identification
of the iron mitochondrial transporter
RÉFÉRENCES
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study primitive and definitive hematopoiesis. Annu
Rev Genet 2005 ; 39 : 481-501.
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Inserm U614,
Faculté de Médecine-Pharmacie de Rouen,
22, boulevard Gambetta,
76183 Rouen Cedex 01, France.
La duplication du gène APP,
cause de maladie d’Alzheimer
associée à une importante
angiopathie amyloïde
Dominique Campion, Didier Hannequin
> Lorsqu’en 1906 Alois Alzheimer décri-
vit la maladie qui porte son nom, il
rapporta la présence de lésions parti-
culières dans le cerveau des patients :
les plaques séniles extracellulaires et
les dégénérescences neurofibrillaires
intracellulaires. Il fallut attendre le
milieu des années 1980 et les travaux
respectifs de G. Glenner et J.P. Brion
pour que les constituants majeurs de
ces deux lésions soient caractérisés :
il s’agit, d’une part, d’un peptide de
39 à 42 acides aminés, le peptide
Aβ, produit lors du clivage séquen-
tiel d’une protéine intramembranaire
nommée APP (amyloid precursor pro-
tein) et, d’autre part, d’une protéine
liée aux microtubules, la protéine Tau.
Les analyses génétiques menées
depuis 15 ans ont montré que le déter-
minisme de la maladie d’Alzheimer
est complexe. Dans la majorité des
cas, il est polyfactoriel. Un facteur
de risque génétique impliqué dans ces
formes communes, l’allèle ε4 du gène
de l‘apolipoprotéine E, a été identifié.
Dans une minorité de cas, le déter-
minisme est autosomique dominant
avec pénétrance complète à l’âge de
60 ans. Des mutations de type faux
sens sur deux gènes, le gène APP et le
gène de la préséniline 1 (PSEN1), sont
responsables de la grande majorité de
ces formes mendéliennes à début pré-
coce. Les études menées au cours des
années 1990 ont montré que la con-
séquence de ces diverses altérations
génétiques était univoque. Dans tous
les cas, elles s’accompagnent d’une
surproduction du peptide Aβ 42, qui
est la forme la plus agrégable de ce
peptide. Les mutations identifiées sur
le gène APP sont essentiellement loca-
lisées au niveau des sites de clivage
du peptide Aβ sur son précurseur et
interfèrent avec ce clivage. La présé-
niline 1 est, pour sa part, un membre
essentiel du complexe γ-sécrétase,
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