La pêche au gène chez le poisson zèbra - iPubli

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NOUVELLE
La pêche au gène
chez le poisson zèbre
Inserm U567, CNRS UMR-S 8104,
Faculté de Médecine René Descartes, Institut Cochin,
24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France.
[email protected]
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Identification du transporteur
du fer mitochondrial
Sophie Vaulont, Lydie Viatte
> La pêche a souvent été miraculeuse en
utilisant le poisson zèbre comme système génétique pour cloner de nouveaux
gènes impliqués dans l’hématopoïèse
et le métabolisme du fer (pour revue,
voir [1]). Quelle en est la méthode ? Le
principe est simple. Après mutagenèse
chimique, les embryons de poisson ayant
des signes d’anémie sont sélectionnés. Cette opération est facile car les
œufs de poisson, qui sont fécondés dans
le milieu extérieur, sont optiquement
clairs, permettant ainsi l’observation
directe de la circulation des cellules
sanguines. Des groupes de complémentation sont ensuite définis et la caractérisation du gène muté responsable
du défaut phénotypique est réalisée
par clonage positionnel. Ainsi, plus de
26 groupes de complémentation ont
été caractérisés et déjà une dizaine de
gènes, impliqués pour la plupart dans
des pathologies du fer chez l’homme,
ont été clonés (Tableau I)1. C’est cette
stratégie de clonage positionnel qui
vient d’être utilisée par une équipe américaine pour identifier le gène responsable de la mutation frascati, frs, chez le
poisson zèbre [2].
Les embryons mutants frs présentent,
36 h après fécondation, un compartiment érythropoïétique très largement
diminué : ces embryons développent une
anémie sévère par arrêt de la différenciation des érythrocytes au stade
pro-érythroblaste. Le nombre d’embryons mutants qui se développent jus1
Que les amateurs de vin se tiennent sur leurs gardes, ces
mutants ne sont pas recommandés pour la dégustation…
466
qu’à l’état adulte est très faible. Les
rares survivants sont pâles, présentent un retard de croissance et une
forte cardiomégalie, signes classiques
d’insuffisance cardiaque. Le gène responsable de l’anomalie phénotypique
du mutant frs code pour une protéine
apparentée à la famille des transporteurs mitochondriaux SLC25 [3] et baptisée mitoferrine (mfrn) par les auteurs.
L’ADNc pleine longueur de la mitoferrine
a été cloné chez le poisson zèbre ; il
code une protéine de 333 acides aminés d’une masse calculée de 37 kDa.
Le gène mitoferrine s’exprime de façon
abondante et spécifique dans la masse
cellulaire intermédiaire de l’embryon
de poisson (l’équivalent du sac vitellin
extra-embryonnaire de mammifères).
Cette expression embryonnaire est sous
la dépendance du facteur de transcription Gata-1, facteur essentiel pour la
Mutant
Protéine
Maladie chez l'homme
chardonnay
Divalent Metal Transporter1
(DMT1)
Anémie microcytaire
chablis
Protéine 4.1r
Elliptocytose héréditaire
chianti
Récepteur de la transferrine 1
dracula
Ferrochélatase
moonshine
TIF1γ
retsina
Band3
Anémie dysérythropoïétique
congénitale
riesling
Spectrine β
Sphérocytose héréditaire
sauternes
Aminolévulinate synthase δ
Anémie sidéroblastique congénitale
vlad tepes
Gata-1
Anémie dysérythropoïétique
familiale et thrombocytopénie
weissherbst
Ferroportine
Hémochromatose de type 4
yquem
Uroporphyrinogène décarboxylase
Porphyrie cutanée tardive
et porphyrie hépato-érythroïde
zinfandel
Locus globine
Thalassémie
frascati
Mitoferrine
?
Protoporphyrie érythroïde
-
Tableau I. Gènes clonés chez le poisson zèbre et leurs implications dans des maladies chez
l’homme.
M/S n° 5, vol. 22, mai 2006
Article disponible sur le site http://www.medecinesciences.org ou http://dx.doi.org/10.1051/medsci/2006225466
M/S n° 5, vol. 22, mai 2006
spécifique peut être obtenue. Dans ces
conditions, aucune induction érythroïde
n’est observée avec les cellules ES hématopoïétiques mfrn-/-, contre 15 % de
cellules érythroïdes différenciées obtenues à partir de cellules ES mfrn+/+ et
7 % à partir de cellules ES mfrn+/-. Cette
absence de différenciation érythroïde
pouvant venir d’un défaut d’incorporation du fer dans la mitochondrie
(compartiment où se déroule en partie la synthèse de l’hème) (Figure 1),
les auteurs ont testé l’incorporation
de fer radioactif (55Fe) dans l’hème
mitochondrial. Pour cela, les cellules ES
hématopoïétiques ont été incubées en
présence de transferrine saturée en 55Fe
(internalisée dans la cellule grâce au
récepteur de la transferrine1 présent à
la surface des cellules) et d’acide aminolévulinique, le précurseur de l’hème.
Alors que les cellules ES hématopoïétiques sauvages incorporent le 55Fe de
façon efficace, aucune incorporation
de 55Fe n’est obtenue dans la molécule
d’hème avec les cellules ES mfrn-/-. Ces
résultats indiquent clairement que la
mitoferrine est indispensable pour l’hémoglobinisation des cellules en permettant l’incorporation de 55Fe au sein de la
molécule d’hème.
De façon intéressante, les protéines
mitoferrine de poisson partagent 38 %
d’identité avec les protéines MRS3 et
MRS4 de levure impliquées dans le transport mitochondrial de métaux [4]. Le
double mutant mrs3/4 de levure présente
un défaut de biogenèse des protéines
Fe-S et des hémoprotéines qui se traduit
par un ralentissement de la croissance.
Ce défaut de croissance est « sauvé »
par la mitoferrine1 ou 2 de poisson et
la mitoferrine2 humaine. Ces résultats
soulignent la très grande conservation
de la fonction de la mitoferrine à travers
les espèces (la mitoferrine de souris
« sauve » le mutant frs de poisson et la
mitoferrine de poisson complémente le
mutant de levure mrs3/4). Cependant,
comme précédemment mentionné, seule
la mitoferrine1 est capable de « sauver »
l’embryon mutant frs. Ce résultat peut
MAGAZINE
montrent des résultats phénotypiques
très similaires à ceux observés chez les
embryons frs, à savoir une anémie hypochrome avec arrêt de la différenciation
érythroïde.
Chez la souris, l’expression du gène
mitoferrine est exclusivement restreinte
aux tissus hématopoïétiques, à savoir le
foie fœtal, la rate et la moelle osseuse.
Un deuxième gène a été identifié, mitoferrine2, chez le poisson zèbre et les
mammifères. Notons que l’expression
du gène mitoferrine2 de souris est ubiquiste et que l’ARNc mitoferrine2 n’est
pas capable de sauver le phénotype des
embryons frs, soulignant l’absence de
redondance fonctionnelle entre mitoferrine1 et 2 pour l’érythropoïèse.
Pour établir le rôle exact de la mitoferrine, et donc le lien entre la perte de
fonction de la protéine et l’acquisition
du phénotype d’anémie du mutant frs,
les auteurs ont établi une lignée de cellules ES (embryonic stem cells) déficien2 Ces expériences sont réalisées par micro-injection chez
tes en mitoferrine1 (cellules mfrn-/-). Les
l’embryon de morpholinos (oligomères stables modifiés chimiquement qui se lient à l’ARN) qui ont pour but de bloquer
cellules souches ES peuvent être induites
spécifiquement l’épissage du pré-messager mitoferrine et
vers un lignage hématopoïétique suidonc la production de la protéine.
vant un
processus
bien établi
de culture
et en présence d’un
cocktail
spécifique
d’agents
différenciateurs.
Lorsque
ces cellules
Figure 1. Modèle de la fonction de la mitoferrine dans la mitochondrie. Le fer est ES « hémacapté par l’érythrocyte en développement grâce au récepteur de la transferrine1 t o p o ï é t i (RTf1). Il est ensuite transporté dans la mitochondrie par la mitoferrine1 (Mfrn). ques » sont
C’est dans la mitochondrie que se déroule une grande partie de la synthèse c u l t i v é e s
de l’hème, en particulier la dernière étape catalysée par la ferrochélatase qui en présence
assure la fixation du fer sur la protoporphyrine IX. L’hème quitte alors la mito- d’érythrochondrie (soit passivement à travers la membrane, soit par un processus actif poïétine et
non encore identifié) pour se lier à la chaîne de globine en croissance et former d’interleul’hémoglobine (Hb). L’hème peut également sortir de la cellule grâce à deux k i n e - 3 ,
exporteurs récemment caractérisés, FLVCR et ABCG2, permettant ainsi d’éviter une difféles excès de fer qui entraîneraient l’apoptose des précurseurs érythroïdes (pour renciation
revue, voir[5]).
érythroïde
NOUVELLES
régulation de l’érythropoïèse terminale.
Dans le poisson zèbre adulte, on retrouve
les transcrits mitoferrine dans le rein,
site de l’hématopoïèse. Enfin, la distribution subcellulaire de la mitoferrine a
été déterminée après transfection d’une
protéine chimérique mitoferrine-GFP
dans des cellules épithéliales humaines.
Comme toutes les protéines de la famille
SLC25, la mitoferrine est retrouvée dans
la membrane interne des mitochondries.
Pour valider l’effet perte de fonction de
la mutation mitoferrine, des expériences classiques de sauvetage du phénotype (rescue) ont été réalisées par
micro-injection d’ARNc sauvage chez
les embryons mutants. Dans ces conditions, 50 % des embryons se développent normalement et présentent une
hémoglobinisation identique à celle
des embryons sauvages. À l’inverse, des
expériences d’invalidation fonctionnelle
de la protéine chez l’embryon sauvage2
467
s’expliquer par un besoin minimal en fer
de la levure qui peut être assuré par la
mitoferrine2 (de même, dans les cellules
non-érythroïdes du poisson, le transfert
mitochondrial du fer est probablement
assuré par la mitoferrine2). En revanche,
les quantités importantes de fer nécessaires au cours de la différenciation
érythroïde semblent pouvoir n’être suppléées que par la mitoferrine1.
Enfin, la dernière série d’expériences
démontrant l’activité de la mitoferrine dans l’import de fer mitochondrial
a utilisé des clones stables de levure
mrs3/4 exprimant un gène rapporteur
codant pour une enzyme mitochondriale
dont l’activité est dépendante du fer.
Les auteurs montrent que l’activité de
cette enzyme est réduite de moitié dans
la souche mutante mrs3/4. Après transfection de l’ADNc de la mitoferrine de
poisson, cette activité retourne à la
normale, indiquant bien que la mitoferrine a permis au fer de rentrer dans la
mitochondrie et, par la même, d’activer
l’enzyme.
En conclusion, ce travail a permis de
caractériser la protéine responsable du
transport du fer mitochondrial, la mitoferrine1 pour les précurseurs érythroïdes et, probablement, la mitoferrine2
pour les cellules non-érythroïdes. Ce
transport de fer est crucial pour la
production mitochondriale de l’hème,
composant essentiel du métabolisme
du fer. En effet, on retrouve l’hème
non seulement dans l’hémoglobine du
globule rouge mais également dans
la myoglobine, la neuroglobine ainsi
que toutes les enzymes à groupement
prosthétique (catalase, peroxydase,
cytochrome, nitric oxid synthase…). Il
y a fort à parier que tout dérèglement
de la mitoferrine soit responsable de
pathologie(s) chez l’homme. ◊
Gene fishing in zebrafish :
identification
of the iron mitochondrial transporter
RÉFÉRENCES
1. De Jong JL, Zon LI. Use of the zebrafish system to
study primitive and definitive hematopoiesis. Annu
Rev Genet 2005 ; 39 : 481-501.
2. Shaw GC, Cope JJ, Li L, et al. Mitoferrin is essential for
erythroid iron assimilation. Nature2006 ;
440 : 96-100.
3. Wohlrab H. The human mitochondrial transport
protein family : identification and protein regions
significant for transport function and substrate
specificity. Biochim Biophys Acta2005 ;
1709 : 157-68.
4. Li L, Kaplan J. A mitochondrial-vacuolar signaling
pathway in yeast that affects iron and copper
metabolism. J Biol Chem 2004 ; 279 : 33653-61.
5. Latunde-Dada GO, Simpson RJ, McKie AT. Recent
advances in mammalian haem transport. Trends
Biochem Sci 2006 ; 31 : 182-8.
NOUVELLE
La duplication du gène APP,
cause de maladie d’Alzheimer
associée à une importante
angiopathie amyloïde
Dominique Campion, Didier Hannequin
> Lorsqu’en 1906 Alois Alzheimer décrivit la maladie qui porte son nom, il
rapporta la présence de lésions particulières dans le cerveau des patients :
les plaques séniles extracellulaires et
les dégénérescences neurofibrillaires
intracellulaires. Il fallut attendre le
milieu des années 1980 et les travaux
respectifs de G. Glenner et J.P. Brion
pour que les constituants majeurs de
ces deux lésions soient caractérisés :
il s’agit, d’une part, d’un peptide de
39 à 42 acides aminés, le peptide
Aβ, produit lors du clivage séquentiel d’une protéine intramembranaire
nommée APP (amyloid precursor protein) et, d’autre part, d’une protéine
468
M/S n° 5, vol. 22, mai 2006
liée aux microtubules, la protéine Tau.
Les analyses génétiques menées
depuis 15 ans ont montré que le déterminisme de la maladie d’Alzheimer
est complexe. Dans la majorité des
cas, il est polyfactoriel. Un facteur
de risque génétique impliqué dans ces
formes communes, l’allèle ε4 du gène
de l‘apolipoprotéine E, a été identifié.
Dans une minorité de cas, le déterminisme est autosomique dominant
avec pénétrance complète à l’âge de
60 ans. Des mutations de type faux
sens sur deux gènes, le gène APP et le
gène de la préséniline 1 (PSEN1), sont
responsables de la grande majorité de
ces formes mendéliennes à début pré-
Inserm U614,
Faculté de Médecine-Pharmacie de Rouen,
22, boulevard Gambetta,
76183 Rouen Cedex 01, France.
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coce. Les études menées au cours des
années 1990 ont montré que la conséquence de ces diverses altérations
génétiques était univoque. Dans tous
les cas, elles s’accompagnent d’une
surproduction du peptide Aβ 42, qui
est la forme la plus agrégable de ce
peptide. Les mutations identifiées sur
le gène APP sont essentiellement localisées au niveau des sites de clivage
du peptide Aβ sur son précurseur et
interfèrent avec ce clivage. La préséniline 1 est, pour sa part, un membre
essentiel du complexe γ-sécrétase,
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