Non-compaction isolée du ventricule gauche Isolated left ventricular non-compaction IP G. Habib* PoINtS FortS La non-compaction isolée du ventricule gauche (NCVG) est une cardiomyopathie congénitale rare résultant de l’arrêt de l’embryogenèse normale du myocarde. Sa principale caractéristique anatomique est l’existence de trabéculations ventriculaires myocardiques nombreuses et profondes, en général localisées au niveau de l’apex du ventricule gauche. Le diagnostic repose sur l’échocardiographie, le scanner et/ou l’IRM cardiaque, et peut être difficile dans les formes limitées. Les formes familiales ne sont pas rares, rendant obligatoire un dépistage familial. Un registre national de la non-compaction est en cours de réalisation en France. mots-clés : Non-compaction - Échocardiographie - Cardiomyopathie. Keywords: Non-compaction - Echocardiography - Cardiomyopathy. L a non-compaction isolée du ventricule gauche (NCVG) est une cardiomyopathie congénitale rare résultant de l’arrêt de l’embryogenèse normale du myocarde. Initialement décrite chez l’enfant (1), et placée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le groupe des “cardiomyopathies non classées” (2), elle a été “redécouverte” ces dernières années, puisque plus de 300 cas ont été rapportés, dont plus de 85 % après 1997 ! L’intérêt de cette pathologie réside dans ses caractéristiques anatomiques variables, qui sont à l’origine de critères diagnostiques incertains, dans son diagnostic difficile, reposant essentiellement sur l’échocardiographie et l’IRM ou le scanner, et, enfin, dans ses caractéristiques pronostiques ainsi que dans son caractère parfois familial. DéFINItIoN Et crItèrES DIAGNoStIQuES La NCVG serait la conséquence d’un arrêt du phénomène embryologique de compaction progressive du myocarde ventriculaire, qui se produit normalement entre la cinquième et la huitième semaine, provoquant la persistance, à des degrés divers, de trabé* Département de cardiologie, la Timone, Marseille. La Lettre du Cardiologue - n° 403 - mars 2007 culations proéminentes et de profonds espaces intertrabéculaires. La principale caractéristique anatomique de la NCVG est donc l’existence de trabéculations ventriculaires myocardiques nombreuses et profondes, en général localisées au niveau de l’apex du ventricule gauche. L’échocardiographie transthoracique (ETT) est l’examen clé qui en permet le diagnostic, en dévoilant la présence des critères conduisant à la suspecter (3) : mise au point m ise au point 1A 1B Figure 1. Échographie bidimensionnelle et IRM chez un patient atteint de non-compaction ventriculaire gauche. 1A : ETT, incidence apicale. Quatre cavités montrent de volumineuses trabéculations prédominant sur la paroi latérale du ventricule gauche, ainsi qu’un thrombus apical (flèche). 1B : IRM cardiaque chez le même patient, confirmant la présence des trabéculations et du thrombus (flèche). VD : ventricule droit, VG : ventricule gauche, OG : oreillette gauche. 1 mise au point m ise au point – présence de trabéculations ventriculaires gauches multiples ; – présence de récessus profonds intertrabéculaires ; – flux doppler couleur à l’intérieur des récessus et en communication avec la cavité ventriculaire gauche ; – absence de cardiopathie associée ; – classiquement, le diagnostic de non-compaction est retenu lorsque le rapport zone non compactée/zone compactée est supérieur à 2, bien que ce dernier critère soit contestable. La figure 1 montre un exemple échographique de NCVG. PréSENtAtIoN cLINIQuE La présentation clinique est très variable, cette cardiomyopathie pouvant se révéler à tous les âges de la vie (4), voire rester totalement silencieuse, comme le prouvent les cas découverts fortuitement chez des apparentés de sujets atteints. Ainsi, si l’insuffisance cardiaque est le mode de révélation le plus fréquent, d’autres manifestations peuvent permettre de découvrir la maladie : troubles du rythme ventriculaire ou supraventriculaire, accidents emboliques, éléments mis au jour par l’enquête familiale. Si la triade insuffisance cardiaque, embolies et troubles du rythme a été proposée pour définir la NCVG (5), aucune manifestation clinique ne permet de la différencier des autres formes de cardiomyopathies, bien qu’elle soit classiquement associée à un risque thrombo-embolique et rythmique plus important. vées chez des apparentés de sujets atteints (7). Le diagnostic de NCVG peut également être difficile dans les formes localisées, dans les formes à fonction systolique préservée (de plus en plus fréquemment décrites) et dans les formes associées à d’autres pathologies (bicuspidie, cardiomyopathie restrictive, cardiopathie hypertrophique, coarctation aortique, etc.), formes qui ne répondent plus alors à la stricte définition de la NCVG isolée. Enfin, certains diagnostics différentiels seront éliminés avec plus ou moins de facilité : les cardiomyopathies hypertrophiques et restrictives, les thrombi apicaux ventriculaires gauches (parfois associés) et la transposition corrigée des gros vaisseaux. Si l’échocardiographie conventionnelle est l’examen clé, d’autres techniques échographiques sont utiles pour le diagnostic et l’évaluation des NCVG : ETT, échographies de contraste ou tridimensionnelle. La figure 2 illustre l’intérêt potentiel de l’échographie de contraste, et la figure 3 celui de l’échographie tridimensionnelle. La place respective de ces nouvelles techniques reste cependant à préciser dans cette pathologie. 2A méthoDES DIAGNoStIQuES L’échocardiographie, le scanner et l’IRM cardiaque sont les examens de référence pour le diagnostic de NCVG. L’échocardiographie, du fait de sa simplicité, est bien sûr la méthode la plus utilisée. Quelle que soit la méthode choisie, la difficulté diagnostique est très variable. Le diagnostic est aisé dans les formes typiques, caractérisées par des trabéculations larges séparées par des récessus profonds intertrabéculaires. La localisation de la zone non compactée est caractéristique (6), prédominant à l’apex, et sur les segments latéro- et inféro-médians. Dans les cas douteux, il est très important de s’aider du doppler couleur, afin de bien obtenir un critère diagnostique important : la visualisation, dans le cadre de l’emploi de cette technique, d’un remplissage des espaces intertrabéculaires par le flux sanguin provenant de la cavité ventriculaire. Le scanner cardiaque et/ou l’IRM (figure 1B) apportent des éléments diagnostiques similaires, permettant de visualiser parfaitement les trabéculations et les récessus ainsi que leur localisation (7). Le diagnostic est cependant parfois beaucoup plus délicat : la principale difficulté, en échographie comme en IRM, est de différencier une hypertrabéculation “physiologique”, observée fréquemment dans les cardiomyopathies primitives, des non-compactions réelles. La limite définie par un rapport zone non compactée/zone compactée supérieur à 2 est arbitraire, reposant sur des études corrélatives comportant très peu de cas comparés à l’anatomie. Par ailleurs, des trabéculations excessives mais ne répondant pas aux critères de NCVG sont parfois obser1 2B Figure 2. Intérêt de l’échocardiographie de contraste (SonoVue®) chez le même patient. 2A : à un temps précoce, le contraste souligne les trabéculations (flèche). 2B : à un temps tardif, le contraste souligne le thrombus, en négatif (flèche). VD : ventricule droit, VG : ventricule gauche. La Lettre du Cardiologue - n° 403 - mars 2007 même façon, l’utilisation du traitement anticoagulant doit être large, étant donné la fréquence des complications thromboemboliques, mais son intérêt n’a pas non plus été prouvé quand la fonction ventriculaire est normale. Le traitement actuel de la NCVG est donc celui de toute cardiomyopathie, reposant sur les traitements conventionnels de l’insuffisance cardiaque, avec un usage sans doute plus large des anticoagulants et du défibrillateur implantable. Surtout, gardons en mémoire que la NCVG est une affection génétique, et que le dépistage des apparentés du premier degré doit être pratiqué. Le registre français des non-compactions de l’adulte vient de terminer ses inclusions. Ses prochains résultats nous apporteront de nouveaux éléments pour mieux comprendre cette “nouvelle” affection, aujourd’hui encore énigmatique. ■ Figure 3. Intérêt de l’échocardiographie 3D chez un autre patient atteint de NCVG, soulignant les trabéculations apicales (flèches). VG : ventricule gauche. mise au point m ise au point RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Chin TK, Perloff JK, Williams RG et al. Isolated non-compaction of left ventricular myocardium: a study of eight cases. Circulation 1990;82:507-13. ProNoStIc Et trAItEmENt 2. Richardson P, McKenna W, Bristow M et al. Report of the 1995 World Health Bien que la NCVG soit réputée de plus mauvais pronostic que les autres formes de cardiomyopathies, son évolution est très variable et en fait mal connue. La rareté de la NCVG et l’absence de grandes séries longitudinales ne permettent pas de connaître l’histoire naturelle de la maladie. Si la NCVG s’accompagne classiquement d’un risque embolique et rythmique élevé, il n’est pas complètement certain que son pronostic soit différent de celui des autres formes de cardiomyopathies. L’évolution peut être foudroyante, aboutissant dans ce cas à la transplantation (8), ou au contraire très lente, comme en témoigne la découverte de cas de NCVG chez des sujets âgés. La mise en place prophylactique d’un défibrillateur est logique quand la fraction d’éjection est inférieure à 30 %, comme dans toute cardiomyopathie, mais elle ne peut pas être recommandée quand la fonction ventriculaire gauche est conservée. De la Organization/International Society and Federation of Cardiology task force on the definition and classification of cardiomyopathies. Circulation 1996;93:841-2. 3. Jenni R, Oeschlin E, Schneider J et al. Echocardiographic and pathoanatomi- cal characteristics of isolated left ventricular non-compaction: a step towards classification as a distinct cardiomyopathy. Heart 2001;86:666-71. 4. Lin ML, Connelly K, Prior D. An unusual cause of heart failure identified by echocardiography in an octogenarian. Eur J Heart Fail 2005;7:99-102. . Jenni R, Oeschlin E, Van der Loo B. Isolated ventricular non-compaction of the myocardium in adults. Heart 2007;93:11-5. . Oeschlin E, Attenhofer Jost CH, Rojas JR et al. Long-term follow-up of 34 adults with isolated left ventricular noncompaction: a distinct cardiomyopathy with poor prognosis. J Am Coll Cardiol 2000;36:493-500. 7. Petersen SE, Selvanayagam JB, Wiesmann F, et al. Left ventricular non-com- paction: insights from cardiovascular magnetic resonance imaging. J Am Coll Cardiol 2005;46:101-5. 8. Thuny F, Philip E, Caucino K et al. Non-compaction isolée du ventricule gauche : à propos de deux cas. Arch Mal Cœur 2003;96:339-43. Auto-évALuAtIoN Les affirmations suivantes concernent la noncompaction du ventricule gauche Les affirmations suivantes concernent la noncompaction du ventricule gauche 1) Elle s’accompagne toujours d’une dysfonction ventriculaire gauche. 1) Elle peut toucher également les oreillettes. 2) Le pronostic est plus péjoratif que celui des autres cardiomyopathies. 2) Les trabéculations anormales prédominent à l’apex du ventricule gauche. 3) La non-compaction peut également toucher le ventricule droit. 3) L’implantation d’un défibrillateur doit être systématique. 4) La non-compaction ne se révèle qu’à l’âge adulte. 4) Un dépistage de la maladie chez les apparentés est souhaitable. 5) La non-compaction peut être associée à une atteinte musculaire. 5) Elle constitue une contre-indication à la greffe cardiaque. Réponses : 2, 4. Réponses : 3, 5. La Lettre du Cardiologue - n° 403 - mars 2007 17