mise au point Nutrition et infection La dénutrition entraîne un déficit immunitaire global. Quelle est l’influence d’un état de dénutrition sur la survenue et le cours d’une maladie infectieuse ? De quelle façon une infection agit-elle sur l’état nutritionnel ? Peut-on améliorer l’état nutritionnel en traitant les infections et à l’inverse peut-on pré­ venir la survenue d’une infection en améliorant l’état nutri­ tionnel ? Cet article résume les réponses à ces questions et aborde le sujet des complications infectieuses liées aux traitements nutritionnels, en particulier la nutrition parentérale. Quelques exemples de pharmaconutrition sont également mentionnés. introduction La malnutrition est la principale cause de déficit immunitaire dans le monde.1 Bien que ce terme englobe également des états de surnutrition et de troubles métaboliques, c’est sur­tout les situations de dénutrition qui seront abordées ici. Maintenir et améliorer l’état nutritionnel peut jouer un rôle important dans la pré­vention et la guérison des infections. D’un autre côté, la plupart des infections influencent l’état nutrition­nel. Enfin, certains traitements à visée nutritionnelle, en particulier la nutrition parentérale, présentent des risques infectieux qu’il faut connaître. Rev Med Suisse 2009 ; 5 : 1975-8 R. Rakotoarimanana Dr Riana Rakotoarimanana Département de médecine interne Hôpital neuchâtelois-La Chauxde-Fonds 2300 La Chaux-de-Fonds [email protected] Nutrition and infection Undernutrition leads to a global immune defi­ ciency. What is the influence of undernutrition on the occurence and development of an infec­ tious disease ? How does an infection act on nutritional state of a patient ? Is it possible to improve nutritional state by treating an infection and inversely, is it possible to prevent the arrival of an infectious disease by improving nutritional state ? This article summarizes ans­ wers to these questions and takes up the sub­ ject of infectious complications related to nutritional treatment and parenteral nutrition in particular. Some exemples of pharmaconu­tri­ tion are also mentioned. 0 influence de l’état nutritionnel sur l’immunité Au siècle passé, si l’amélioration des conditions d’hygiène a permis une dimi­nution de certaines infections, ce n’est qu’en améliorant la quantité et la qualité de l’alimentation que la prévalence d’autres pathologies infectieuses a diminué. Des infections à germes opportunistes (par exemple : Pneumocystis jirovecii) ont été identifiées à plusieurs reprises chez des personnes dénutries sans autre déficit immunitaire connu. Ces observations ont incité à rechercher un phénomène d’alté­ration de l’immunité spécifiquement lié à la dénutrition.2-4 Plusieurs travaux ont démontré que la dénutrition altère l’immunité cellulaire mais également nombre d’autres processus, notamment la phagocytose et l’immu­ nité humorale.2,5 L’observation de populations en situation de famine ainsi que le suivi de personnes suivant une grève de la faim ont permis de décrire l’évolution naturelle d’une dénutrition non traitée.2,6 Celle-ci se caractérise par une dégradation fonctionnelle progressive et par l’apparition de pathologies infectieuses entraînant fina­lement le décès (figure 1). La dénutrition est une pathologie fréquente dans nos hôpitaux, elle touche 20 à 40% des patients à l’admission.7 Les patients souffrant de dénutrition sévère présentent un taux d’infections nosocomiales cinq fois plus élevé 8 et ce phénomène est à l’origine de surcoûts importants. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 octobre 2009 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 octobre 2009 1975 % du poids usuel 100 90 80 70 60 Diminution de l’immunité cellulaire Bronchopneumopathie Faiblesse pour marcher Infection urinaire Faiblesse pour s’asseoir Escarres Mort Jeûne Anorexie Stress métabolique Etat inflammatoire Catabolisme Dénutrion ogi Pat hol Temps es aig uës 50 Pathologies chroniques Anémie Hypoalbuminémie Complications infectieuses Mauvaise cicatrisation Figure 1. Conséquences de la dénutrition Adaptée de réf.6 Figure 2. Cercle vicieux de la dénutrition influence des infections sur l’état nutritionnel Toute infection, par l’agression qu’elle représente, entraîne des répercussions métaboliques et systémiques (effet anorexigène des cytokines, catabolisme des protéines accru, fièvre, frissons augmentant les pertes énergétiques) qui peuvent entraîner une dénutrition. Par ailleurs, une infection ciblant le système digestif peut avoir des conséquences nutritionnelles, par baisse des apports liée aux symptômes (douleurs, nausées, diarrhées, etc.) ou en lien avec une inflammation de la paroi du tube digestif interférant avec les fonctions de digestion et d’absorption. Chez des personnes en bonne santé, ces phénomènes sont souvent transitoires et n’entraînent en général pas de répercussions cliniques importantes. Lorsqu’ils se prolongent ou qu’ils atteignent des personnes fragilisées ou déjà dénutries, les conséquences peuvent être plus sérieuses car un cercle vicieux s’installe, la dénutrition favorisant les infections et les infections aggravant la dénutrition (figure 2). peut-on améliorer l’état nutritionnel en traitant les infections ? En cas de pathologie infectieuse aiguë, un catabolisme protéique accru est observé. Tant que cet état n’est pas contrôlé, il n’est pas possible d’améliorer l’état nutritionnel. Le traitement d’une infection peut donc avoir un effet bénéfique simplement parce qu’il permet de retrouver un état d’anabolisme indispensable à la renutrition. Une étude allemande 9 a comparé l’indice de masse cor­ porelle et la composition corporelle de patients VIH positifs avant et après l’introduction des trithérapies hautement actives. Les auteurs ont constaté une diminution de la prévalence de la dénutrition de l’ordre de 30 à 50%. Tout récemment une étude réalisée chez environ 5000 patients au Cambodge et au Kenya a démontré que la prise de poids après trois mois de traitement par une trithérapie hautement active était associée à une meilleure survie.10 La dénutrition est donc une comorbidité fréquente en 1976 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 octobre 2009 Adaptée de Pichard C, et al, in Tobin J.M., 1997. cas d’infection. Son évolution est fortement dépendante du traitement de l’infection de base. peut-on prévenir les infections en améliorant l’état nutritionnel ? Plusieurs études observationnelles réalisées au XXe siècle montrent que la prévalence de la tuberculose4 : • était plus basse (1,2%) dans un camp de prisonniers anglais recevant des suppléments alimentaires correspondant à 30 g de protéines et de 1000 kcal/j (contre 19% dans un autre camp) ; • stagnait malgré l’amélioration des conditions d’hygiène chez des recrues norvégiennes mais diminuait après enrichissement de leur alimentation ; • avait augmenté dans la population danoise durant une période de restrictions alimentaires puis diminué lorsque que le blocus a été levé (alors qu’elle restait élevée dans les autres pays toujours soumis aux restrictions). Une étude11 réalisée au Guatemala, dans une population d’enfants préscolaires, a comparé une intervention nu­ tri­tionnelle seule à une intervention médicale seule. L’inter­vention nutritionnelle s’est montrée significativement plus efficace pour diminuer la morbidité infectieuse de cette population. Ces données suggèrent que l’amélioration de l’état nutri­tionnel peut diminuer l’incidence de maladies infectieuses, en particulier de la tuberculose. Les populations étudiées avaient cependant des conditions de vie glo­ balement plus précaires que les nôtres actuellement. Dans le monde con­temporain occidental, les études montrent que si l’adminis­tration systématique de suppléments nutritifs au tout-venant des patients n’a pas d’effet démontrable sur la morbidité infectieuse, une prise en charge nutritionnelle ciblée sur des populations à risque (personnes âgées dénutries et/ou souffrant d’une fracture du col du fémur) permet une diminution des compli­ cations infectieuses.12 Au vu de ces données, un dépistage systématique du risque de dénutrition devrait être réaRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 octobre 2009 0 lisé à l’hôpital afin d’identifier le plus rapidement possible les personnes qui bénéficieront cliniquement d’une prise en charge nutritionnelle.7,12 quelles sont les complications infectieuses des traitements de la dénutrition ? Le choix du type d’assistance nutritionnelle est important car les risques et les bénéfices sur le plan infectieux ne sont pas les mêmes. Il existe trois types d’assistance nutritionnelle : • les suppléments nutritifs oraux, sous forme de boissons hypercaloriques et parfois hyperprotéinées. • La nutrition entérale, administrée par une sonde d’alimen­ tation, nasale ou percutanée. • La nutrition parentérale totale, administrée par voie intraveineuse sur un cathéter veineux central. La prise de suppléments nutritifs oraux n’augmente pas en soi les complications infectieuses mais leur présentation sous forme liquide peut majorer le risque de fausse route. En cas de nutrition entérale, il existe un risque de pneumonies d’aspiration lié partiellement à la présence d’une sonde empêchant une fermeture efficace du sphincter du cardia : ce n’est pas le seul mécanisme car la nutrition par gastrostomie percutanée n’a pas d’effet protecteur. La bron­ cho-aspiration massive de liquide nutritif est redoutée mais plutôt rare. Il s’agit le plus souvent de broncho-aspirations à bas bruit qui n’ont pas toujours de retentissement cli­ nique. Hormis un mauvais positionnement ou un déplacement secondaire de la sonde d’alimentation, les facteurs de risque sont la position du patient (risque plus élevé si allongé à plat) et le pH gastrique élevé (attention aux inhi­ biteurs de la pompe à protons).3 La nutrition parentérale consiste à injecter un liquide nutri­ tif dans un milieu stérile (sang veineux), à travers une brèche dans la peau. Elle expose à un risque élevé d’infec­ tions de cathéter, par contamination cutanée (au niveau du point d’insertion) ou endoluminale (sur les manipulations du cathéter). De plus, ces patients sont fréquemment à jeun et l’atrophie de la muqueuse digestive qui en découle aug­ mente le risque de translocations digestives. Un patient sous nutrition parentérale est donc à considérer comme présentant un risque infectieux plus élevé que s’il était porteur d’un abord veineux central pour d’autres traitements. Un état fébrile sans piste doit alors être considéré comme une infection de cathéter jusqu’à preuve du contraire et pris en charge sans délai car l’évolution peut être rapidement catastrophique. Une nutrition «par la veine» est malheureusement souvent mieux acceptée par le patient (et parfois par les soignants…) que la mise en place d’une sonde d’alimentation (perçue comme invasive). Les contre-indications réelles à la nutrition entérale sont pourtant rares et les complications d’une nutrition parentérale, potentiellement sérieuses, ne sont acceptables que si l’indication a été bien réfléchie. En cas de pancréatite aiguë, la pratique consistait à mettre sys­tématiquement le patient à jeun avec une nutrition parentérale, jusqu’à ce que des études mettent en évidence un taux plus faible de complications infectieuses chez les 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 octobre 2009 patients sous nutrition entérale par rapport aux patients sous nutrition parentérale.13 prévention des complications infectieuses chez un patient sous assistance nutritionnelle Dans l’évaluation de tout problème nutritionnel, il est important de dépister des troubles de la déglutition et de les investiguer. Lors de la prescription d’un supplément nutri­ tif oral, des conseils simples (boire lentement, à petites gor­ gées, en étant bien assis) diminuent le risque d’aspiration. En cas de nutrition entérale, à part la vérification systématique de l’emplacement de la sonde d’alimentation, seul un positionnement du patient tête à 30-45° a été démontré efficace pour prévenir les pneumonies d’aspiration.3 La mesure du résidu gastrique est controversée car elle n’a pas prouvé avoir une réelle incidence sur la prévalence des pneumonies d’aspiration. Pour la nutrition parentérale, la meilleure prévention con­ siste à éviter les prescriptions inappropriées car dès que l’intestin fonctionne la règle est de l’utiliser ! Si une nutrition parentérale est initiée, il faut régulièrement réévaluer son indication et la possibilité de passer à la voie entérale. L’application de protocoles pour la pose et les soins des abords veineux centraux ainsi que l’existence d’une équipe spécialisée en nutrition14 sont des facteurs qui diminuent significativement le risque d’infection. pharmaconutrition Voici quelques exemples de micronutriments dont l’effet thérapeutique a été étudié, dans l’espoir que leur utili­ sation en situation aiguë améliore le cours de la maladie. La rougeole est une maladie infantile fréquemment banalisée dans notre société mais dont la mortalité peut atteindre les 10% chez les enfants dénutris. Ce taux est diminué de moitié par l’adjonction de vitamine A mais le mécanisme précis n’a pas encore été élucidé.15 Acide aminé le plus abondant du corps, la glutamine est le principal substrat énergétique des entérocytes. Elle favo­ rise entre autres la trophicité intestinale et joue un rôle dans des systèmes de protéines qui protègent l’intégrité de la cel­lule en cas d’agression. En cas de pathologie aiguë, la capacité de synthèse de l’organisme est dépassée et il devient dépendant d’un apport externe. Chez les grands brûlés et les polytraumatisés sa prescrip­ tion diminue significativement les épisodes infectieux.16 L’immunonutrition est l’appellation donnée à des supplé­ ments nutritionnels enrichis notamment en arginine et en oméga 3. Un effet significatif sur les complications infectieuses a été démontré – indépendamment de l’état nutritionnel – en cas d’intervention élective ORL majeure (laryngectomie, pharyngectomie) ou abdominale majeure (œsophagectomie, gastrectomie, Whipple), ainsi que chez les polytraumatisés sévères.13 De nombreuses autres substances sont en cours d’étude (oméga 3 notamment) mais les données de la litté­ra­ ture ne sont pas encore assez solides pour les recom­ mander. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 octobre 2009 1977 conclusion A part améliorer les apports alimentaires quantitatifs et qualitatifs des populations en situation précaire dans le monde, il est possible de prévenir les infections par la nutrition : • en recherchant et traitant la dénutrition dans des groupes à risque identifiés par dépistage systématique. • En privilégiant la nutrition orale ou entérale à chaque fois que l’intestin est fonctionnel. • En faisant appel à des techniques et des compétences spécialisées pour la gestion des nutritions parentérales. • En sachant reconnaître les situations dans lesquelles une pharnaconutrition est indiquée. Lorsqu’une dénutrition précède ou accompagne une pathologie infectieuse, le traitement de la pathologie de base est indispensable pour assurer une bonne évolution clinique sur le plan nutritionnel. Implications pratiques > Un patient dénutri est à considérer comme potentiellement immunodéprimé > En cas de maladie infectieuse chez un patient dénutri, il est indispensable de traiter les deux pathologies pour que l’évolution de chacune d’entre elles soit favorable > Un état fébrile chez un patient sous nutrition parentérale doit être considéré comme une infection de cathéter jusqu’à preuve du contraire > L’identification et la prise en charge précoces de certaines populations cibles, la présence sur le terrain de personnel spécialisé en nutrition clinique et le strict respect des indications (limitées) à la nutrition parentérale font partie des mesures qui diminuent les complications infectieuses chez les patients hospitalisés Bibliographie 1 Katona P, Katona-Apte T. The interaction between nutrition and infection. CID 2008;46:1582-8. 2 Scrimshaw NS, Taylor CE, Gordon JE. Interactions of nutrition and infection. Monogr Ser World Health Organ 1968;57:3-329. 3 Vasson MP, Reimund JM. 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