PRATIQUE Fiche n° 45 n° 45 4 LA LETTRE DU CHIRURGIEN Fiche Grossesse et cancer du sein Le cancer du sein est la tumeur la plus fréquente retrouvée chez la femme enceinte : 1 cas pour 2 000 à 3 000 grossesses environ. Cela concerne en France 300 à 400 patientes par an. Les perspectives thérapeutiques ont beaucoup évolué ces dernières années, et même si son pronostic reste grave, il devient dans certains cas possible d’envisager une issue favorable à la grossesse associée à un traitement du cancer. ÉRIC SEBBAN Chirurgien gynécologue et oncologue Clinique Hartmann, Neuilly-sur-Seine « Aux États-Unis, sur les 178 000 nouveaux cas de cancer du sein, 15 % des cas vont survenir chez des femmes en âge de procréer en 1998. » L ’examen des seins (œdème mammaire, augmentation de volume et densité de la glande mammaire) de la femme enceinte est difficile. Et les médecins craignent de prescrire une mammographie. La mammographie peut être effectuée pendant la grossesse en n’omettant pas la radioprotection abdominale et en n’effectuant qu’un seul cliché oblique (dose d’irradiation : 10 mGy par incidence) Elle doit être souvent couplée à une échographie mammaire car la mammographie est parfois illisible compte tenu de la densité des seins. L ‘échographie peut guider la ponction et doit être pratiquée au moindre doute. On peut être amené à effectuer une microbiopsie. En général, il s’agit de cancers évolutifs, avec des facteurs pronostics péjoratifs. Les formes anatomopathologies n’ont aucune spécificité pendant la grossesse. ◗ Les types histologiques sont les mêmes qu’en dehors de la grossesse Compte tenu du retard diagnostique, près de la moitié de ces cancers sont diagnostiqués à un stade avancé, avec 50 à 80 % d’atteinte ganglionnaire, un grading SBR est plus élevé (10 % de SBR1, 40 % de SBR 2 et 50 % de SBR 3). De plus, la fréquence des formes inflammatoires est augmentée : environ 20 % (4 % en dehors), de même que les formes métastatiques : 11 % (2.5 % en dehors). ◗ De façon générale, le cancer du sein survenant chez la femme enceinte est de mauvais pronostic Les taux de survie à 5 ans vont de 10 à 40 %. Le pronostic est d’autant plus péjoratif qu’il existe une atteinte ganglionnaire et que la patiente est jeune : - Bonnier (9) : 154 patientes comparées à un groupe témoin de 308 : survie à 5 ans de 68 % si grossesse et 77 % dans le groupe témoin, et si N+, différence très en défaveur de la grossesse : survie respective de 31 et 63 %. C’est la seule série qui montre que la grossesse est un facteur pronostique péjoratif indépendant, surtout en cas d’atteinte ganglionnaire. - Giacalone (10) : 178 cas avec survie abaissée par rapport aux femmes non enceintes à 3 ans (57 % contre 74 %) et à 5 ans (43 % contre 64 %). La grossesse n’exerce apparemment pas d’influence péjorative sur le développement du cancer, sauf dans une étude française (9) ou la grossesse semble être un paramètre pronostique indépendant avec une survie diminuée mais seulement en cas d’atteinte ganglionnaire associée. Quoi qu’il en soit, il est démontré que le jeune âge de la patiente est en soi un facteur pronostique péjoratif indépendant en dehors de toute grossesse. ◗ Et la grossesse ? En cas de survenue du cancer lors du premier trimestre de la grossesse, l’interruption de grossesse est fréquemment proposée, dans plus de la moitié des cas, et ce de façon concertée entre les différents praticiens et la patiente. Cette interruption de grossesse n’améliore pas le pronostic du cancer du sein mais permet d’appliquer les différentes modalités thérapeutiques. En cas de survenue en fin de grossesse, l’accouchement à terme reste la règle. Un accouchement prématuré provoqué peut parfois être proposé quand la grossesse en cours risque d’entraver les différentes thérapeutiques. ■ Le traitement doit tenir compte de plusieurs paramètres La gestation en cours et l’urgence du traitement du cancer sont à prendre en compte en priorité. L’IMG ne doit pas être systématique car elle n’a aucun effet thérapeutique pour la mère et le choix entre interruption ou poursuite avec traitement dépend de nombreux éléments dont la taille de la tumeur, la notion de PEV, le grade SBR, le statut ganglionnaire, le terme de la grossesse, la parité et le souhait de la patiente. ◗ La chirurgie Elle est toujours possible à tous les stades de la maladie : l’anesthésie chez la femme enceinte ne pose pas de problème particulier. ◗ La radiothérapie Elle est à déconseiller en cours de grossesse car il existe un risque de diffusion avec risque létal ou tératogène. Elle doit être différée à la période qui suit l’accouchement ou après l’ITG. GENESIS - N°125 - novembre 2007 • 27 4 LA LETTRE DU CHIRURGIEN « La chimiothérapie comporte des risques tératogènes limités au premier trimestre de la grossesse du fait de la diffusion des drogues anticancéreuses… » ◗ La chimiothérapie La chimiothérapie comporte des risques tératogènes limités au premier trimestre de la grossesse du fait de la diffusion des drogues anticancéreuses, les malformations fœtales retrouvées étant essentiellement dues aux agents alkylants et aux anti métabolites (5 fluoro uracile, méthotrexate) (7 à 17 % des cas). On peut, par contre, administrer des produits tels que les anthracyclines et le cyclophosphamide. Les protocoles FAC ou FEC peuvent être administrés à partir du 4e mois. De façon générale, on ne propose pas de chimiothérapie au premier trimestre et après 13 SA, elle est possible, type FAC ou FEC. En cas de chimiothérapie en cours de grossesse, une consultation de diagnostic anténatal avec surveillance fœtale et obstétricale rapprochée est nécessaire. Certains risques sont à prévoir chez le nouveau-né (risque infectieux, problèmes de croissance, surveillance gonadique et endocrinienne). • Premier cas de figure : la grossesse est très avancée, au 3e trimestre Il est parfois préférable de proposer une chimiothérapie non fœto toxique qui permettra d’attendre un accouchement souvent prématuré et provoqué, mais dans des délais raisonnables en terme de prématurité, sans pour autant laisser évoluer une tumeur pendant des semaines. • Deuxième cas de figure : la grossesse est débutante, au 1er trimestre - En cas de tumeur évolutive, métastatique ou de mauvais pronostic, il est préférable de proposer une interruption de grossesse, permettant la mise en œuvre la thérapeutique adaptée. - La chimiothérapie ne peut être entreprise sans risque tératogène majeur, de même que la radiothérapie qui est contre-indiquée. - Le premier trimestre est donc le cas typique ou l’indication à une interruption médicale de grossesse va être portée (www.motherisk.org). - Dans certaines situations très sélectionnées, avec des patientes souhaitant conserver la grossesse et averties des risques, il est possible de proposer une chirurgie suivie d’une chimiothérapie non tératogène. - La décision finale revient toujours à la mère. Tableau 1 : influence de la grossesse sur un cancer du sein préalablement traité. Études rétrospectives. White 1954 Holleb 1962 Rissanen 1969 Cooper 1970 Cheek 1973 Harvey 1981 Ariel 1989 Clarck 1989 28 • GENESIS - N°125 - novembre 2007­­­­ N Survie 5 ans Survie 10 ans 12 52 53 32 85 41 47 136 67 % 52 % 77 % 75 % 50 % 80 % 58 % 78 % 69 % 77 % N- 56 % N+ 68 % • Cas intermédiaire - La chimiothérapie est possible jusqu’à la fin de la grossesse, avec parfois des risques d’hypotrophie fœtale ou de sensibilité aux infections. On utilisera alors des drogues non toxiques car il est préférable de ne pas laisser évoluer une tumeur potentiellement agressive en attendant l’accouchement. Il existe en revanche un risque d’hypotrophie fœtale, ainsi qu’un risque théorique d’infection. Il n’y a pas de risque rapporté de retard psychomoteur. - La dernière cure doit être programmée 3 semaines si possible avant la naissance programmée. ■ Désir de grossesse après un cancer du sein D’après la littérature, 7 % des patientes de 40 ans et moins traitées pour cancer du sein vont entreprendre une grossesse. 2 questions essentielles se posent en cas de cancer du sein traité chez une femme jeune désireuse de grossesse : - la possible grossesse après ce cancer du sein peutelle modifier le pronostic de la maladie ? - les traitements adjuvants de ce cancer du sein peuvent-ils influer sur la fertilité de la patiente ? ◗ La grossesse modifie-t-elle le pronostic du cancer du sein ? Jusqu’aux années soixante-dix, il était admis qu’une femme traitée pour un cancer du sein ne devait absolument pas être enceinte et une castration était alors largement proposée. Cependant, aucune étude n’a montré d’influence péjorative de la grossesse sur la survie d’une patiente traitée pour cancer du sein (11,12). En cas de tumeur de bon pronostic, la survie à 5 ans est excellente, aux alentours de 90 %. En cas de tumeur N+ ou de grade histo pronostic élevé, le pronostic est sombre (50 %) mais reste identique dans les 2 groupes, que la patiente ait eu une grossesse ou non (10). Le rôle des hormones dans la carcinogenèse mammaire est bien reconnu : - diminution du risque de cancer du sein de 25 % par année de ménarche retardée - RR de 0.73 pour les femmes dont la ménopause survient avant l’âge de 45 ans par rapport à celles ménopausées entre 45 et 54 ans - diminution du risque de cancer du sein de 50 % pour les femmes subissant une ovariectomie avant 35 ans. Plusieurs études rétrospectives ne montrent pas de taux de survie catastrophique en cas de grossesse après cancer du sein (Tableau 1). Mais : petits effectifs, études rétrospectives et biais liés à la sélection de patientes de bon pronostic. Plusieurs études cas contrôles montrent l’influence de la grossesse sur un cancer du sein préalablement traité (Tableau 2). Les études rétrospectives cas contrôle montrent PRATIQUE une survie équivalente pour les cancers du sein suivis ou non de grossesse à stade égal. ■ La chimiothérapie modifie-elle la fertilité ultérieure ? Nous ne reviendrons pas sur les bénéfices apportés par la chimiothérapie adjuvante chez ces femmes jeunes, même lorsque le pronostic du cancer est bon (pas d’invasion ganglionnaire, faible grade histo pronostic, hormono dépendance…). Mais cette chimiothérapie a un impact sur la fertilité ultérieure : près de 30 % des patientes ont une ménopause précoce dans les 2 ans qui suivent la chimiothérapie (13), ce qui limite les possibilités de grossesse ultérieure. En revanche, il n’existe aucun effet démontré d’augmentation de la fréquence des accidents génétiques en cas de grossesse future. 6 cures de CMF ou de FAC - après 40 ans : aménorrhée dans 90 % des cas ; - avant 40 ans : aménorrhée dans 30 % De plus, il est fréquent en cas de tumeur hormono sensible de prescrire des agonistes de LHRH pendant 2 ans à des fins de suppression de la fonction ovarienne, ce qui retarde d’autant plus la survenue d’une grossesse ultérieure. ◗ Quelle contraception proposer après cancer du sein ? La grossesse après un cancer du sein doit être désirée et non un accident dû à un arrêt de contraception. La contraception doit être systématiquement proposée. Méthodes locales, DIU (bien adapté après cancer du sein), contraception hormonale : Les EP combinés sont en théorie contre-indiqués. Les progestatifs microdosés entraînent une hyper­ estrogénie relative. Les progestatifs macrodoses discontinus peuvent être prescrits. ◗ Quel est le délai optimal pour une grossesse après traitement ? La survie longue après traitement est en soi un indicateur de bon pronostic avec ou sans grossesse. Seule une étude prospective ou les jeunes femmes atteintes de cancer du sein seraient enrôlées au moment du diagnostic fournirait des informations précises. Une telle étude est en cours aux USA : les résultats seront connus dans 10 ans. Des données concernant plus de 1 000 femmes enceintes après cancer du sein ne montrent pas d’effet néfaste de cette grossesse sur le pronostic de la maladie. Pour les patientes N- , nous conseillons d’attendre 2 ans et pour les patientes N+, 3 ans. ■ En pratique La grossesse ne semble pas influencer le pronostic du cancer du sein antérieurement traité. L’ITG ne modifie pas le pronostic. S’il s’agit d’un cancer de bon pronostic, la survie Tableau 2 : influence de la grossesse sur un cancer du sein préalablement traité : études cas contrôles. Les 2 groupes sont similaires quant à l’âge et au stade de la maladie. Peters 1965 Cooper 1970 Mignot 1986 Velengtas 1999 N Groupe contrôle similaire Survie 96 40 68 53 Oui Oui Oui Oui Meilleure survie groupe cancer Survie idem Survie idem Survie idem après grossesse est excellente, quel que soit le délai entre traitement anticancéreux et conception.On n’impose donc pas de délai. En cas de cancer de moins bon pronostic, avec notamment atteinte ganglionnaire, le pronostic est relativement sombre (50 % de rechute à 10 ans) et il est conseillé aux patientes d’attendre un délai d’au moins 2 ou 3 ans avant d’entreprendre une grossesse. ■ Quel rôle la femme joue-t-elle ? Le désir d’enfant chez une femme soignée ou devant être soignée pour un cancer du sein n’est pas comparable au désir habituel : - L’atteinte physique des seins est une agression à sa féminité à la fois dans l’imaginaire et dans la réalité ; - Dans l’imaginaire, la représentation des seins est intimement liée à la référence à l’allaitement donc à la maternité ; - Dans la réalité, l’atteinte physique directe du sein induite par les différents traitements est réelle. Les différents traitements vont engendrer dans un certain nombre de cas une ménopause précoce avec castration retentissant sur le statut de la femme (sur le plan physique, sexualité…) Le désir d’enfant participe à la réparation, la reconstruction de la féminité, comme un combat, une sorte de réflexe de vie. Le cancer du sein de la femme jeune se caractérise par une fréquence plus élevée de prédisposition génétique, avec un pronostic globalement moins bon que si ce cancer survient après la ménopause, probablement en rapport avec les caractéristiques propres de la tumeur. Les traitements sont sensiblement identiques à ceux de la femme ménopausée, avec une attention accrue à la castration hormonale. La grossesse ne semble pas influencer le pronostic d’un cancer du sein traité. La PMA est CI si on utilise des traitements de stimulations. En cas de cancer de bon pronostic, il n’y a pas de délai à respecter entre la fin du traitement de ce cancer et la conception. En cas de moins bon pronostic, l’évolutivité reste péjorative, avec ou sans grossesse, et il semble raisonnable de conseiller aux patientes d’attendre un délai d’au moins 2 ans après la fin des traitements avant de concevoir. En l’absence de désir de grossesse, il est conseillé de prescrire une contraception. ■ « DONNER LA VIE APRÈS UN CANCER DU SEIN » C’est une enquête auprès des femmes concernées que, l’AFACS, l’Association Francophone pour l’Après Cancer du Sein (1901) s’apprête à lancer, entre autres grâce à votre aide dès le début du mois de décembre. Cette enquête est une grande première : jamais un tel projet ne fut conçu auparavant. Je demande ici à toutes et tous les fidèles de Genesis de nous aider dans ce projet ambitieux. Si vous connaissez une ou des femmes ayant été enceinte(s) (ayant accouché ou non) après un cancer du sein, merci de lui suggérer de téléphoner au : ➤ N° Vert 0800 770 736 Un questionnaire anonyme conçu par l’AFACS lui sera alors proposé par la Société FOLLOW UP afin de connaître dans le détail les circonstances, le vécu de son cancer et de sa grossesse, l’impact physique et affectif de cet événement dans sa vie quotidienne sociale et conjugale. Nous comptons retrouver et interroger entre 2000 et 5000 femmes. Bien entendu je vous tiendrai informé(e) de l’évolution du projet. BIBLIOGRAPHIE 1. Bonnier P, Romain S et al. Société Française de Sénologie et de Pathologie Mammaire Study Group. Int. J. Cancer 1997, 72, 720-727. 2. Mignot L, Morvan F, Berdah J et al. Presse. Med. 1986, 15, 1961-1964. 3. Kroman N, Jensen MB, Melbye M. et al. Lancet 1997, 350, 319-322. 4. Malamos NA, Stathopoulos GP, Keramopoulos A Oncology, 1996, 53, 471-475. 5. Valagussa P, De Candis D, Antonelli G : Anticancer Drugs, 1995, 6 : 47. GENESIS - N°125 - novembre 2007 • 29