Sous la direction de Jean-Marc Daniel et Frédéric Monlouis

Sous la direction de
Jean-Marc Daniel et Frédéric Monlouis-Félicité
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Sociétal
2014
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© Groupe Eyrolles, 2014
ISBN : 978-2-212-55833-3
> Réinventer l’économie de marché 41
© Groupe Eyrolles
Réinventer
l’économie de
marché
Crise systémique
du capitalisme ou
soubresauts passagers ?
denis Kessler
La crise financière de 2008 a été mal diagnostiquée,
donnant lieu à des mesures thérapeutiques classiques
qui n’ont fait qu’aggraver la situation. Face à cette
crise structurelle, profonde et mondiale, les « vieux »
pays d’Europe, qui n’en ont pas pris la mesure et n’ont
adapté ni leurs institutions, ni leur système productif,
sont en grande difficulté. Les solutions sont loin de
n’être que nationales et passent en particulier par
l’approfondissement de la construction européenne, à
l’heure où celle-ci se voit politiquement contestée par
les peuples qui en auraient le plus besoin.
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> Politique économique
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© Groupe Eyrolles
UNE ERREUR DE DIAGNOSTIC
SE TRADUISANT PAR UNE
ERREUR DE THÉRAPEUTIQUE
Lorsque la crise financière de 2008 a éclaté et dégénéré en crise écono-
mique, une erreur de diagnostic a été commise. On a cru déceler un
business cycle, de nature conjoncturelle, assez classique, perçu progres-
sivement comme violent. Au début, on a simplement détecté la crise de
certains prêts hypothécaires aux États-Unis, les fameux subprimes; on
pensait que cette crise n’allait pas se généraliser au reste du monde finan-
cier américain, puis que cette crise n’allait pas traverser lAtlantique… Au
fond, ce retournement était, comme d’autres avant lui, la conséquence
logique de l’éclatement d’une gigantesque bulle de crédit, en l’occur-
rence celle produite par la politique trop accommodante conduite par la
FED de 2001 à 2007. Ce n’est qu’un an après avoir détecté les difficultés
des subprimes que l’on s’est rendu compte de la gravité de la crise, en
septembre 2008 exactement, lorsque Lehman Brothers a fait faillite. La
crise prenait alors une tournure systémique.
Cette erreur de diagnostic a amené les responsables publics à puiser dans
les remèdes classiques de la pharmacopée keynésienne pour lutter contre les
ralentissements cycliques. On a laissé filer les dépenses publiques et sociales
pour soutenir la demande intérieure, on a laissé dériver les déficits publics et
sociaux, et on a laissé les banques centrales augmenter la masse monétaire
en inondant le marché de liquidités et en se livrant à des opérations dites
«non conventionnelles». Dans le même temps, on a multiplié les régle-
mentations pour encadrer les banques et réguler les marchés financiers. Les
contraintes de solvabilité ont été partout renforcées. Mais sur le fond macro-
économique, la politique suivie a été tout à fait traditionnelle.
C’est avec les effets pervers de cette thérapeutique inadaptée à la crise que
nous nous débattons actuellement. Ces effets se manifestent pleinement.
Il est facile de laisser filer dépenses collectives et déficits, il est plus difficile
de les maîtriser… Comme il n’y a pas eu de retour significatif à une crois-
sance durable, les ratios de dette se sont envolés et on s’est rendu compte
que la dette n’était pas «soutenable», car son service allait progressive-
ment absorber une part croissante du revenu national. Il est bien connu
que la résorption des déficits et des dettes publiques est économiquement,
socialement et surtout politiquement très difficile, d’où les débats actuels
sur l’austérité. Le soutien à la demande intérieure, illustré en France par
des mesures comme la «prime à la casse» automobile, s’est traduit par
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> Réinventer l’économie de marché 43
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des déficits importants des balances commerciales et des balances des paie-
ments. En économie ouverte, le soutien à la demande intérieure se traduit
inéluctablement par un déficit de la balance commerciale. Ce qui a été fait
– malheureusement – dans certains pays, dont la France, a beaucoup
profité aux producteurs étrangers, sans impact sur l’emploi national. Le
keynésianisme en économie ouverte ne marche pas, sauf à faire le postulat
irréaliste d’une action européenne et internationale totalement coordonnée.
Quant aux politiques monétaires actuelles, elles engendrent des taux d’in-
térêt réels historiquement bas – en réalité négatifs à court terme – qui
illustrent une forme de répression financière à l’encontre des épargnants,
des sociétés d’assurances et des fonds de pension, au profit des gouverne-
ments (et des établissements de crédit) qui peuvent ainsi se refinancer à
bas coût.
Non seulement la thérapeutique a des effets pervers, mais elle est en outre
inefficace. L’Europe n’arrive toujours pas à rebondir, l’amélioration des
chiffres du chômage américain cache une baisse
historique du taux de participation au marché
du travail, et les pays émergents ralentissent. Les
politiques monétaires très «accommodantes»
créent de nouvelles bulles, notamment sur le
marché boursier, l’excès de liquidité créé, assorti
de taux obligataires très faibles, ne trouvant
d’autre emploi que de s’investir en actions… et
dans les pays émergents.
La gestion de la phase historique qui s’ouvre désormais s’avère délicate.
Les crises qui durent se traduisent toujours par des difficultés politiques
croissantes: la triple montée du populisme, du (mauvais) patriotisme
et du protectionnisme, menace. Après des années de mondialisation, le
risque de fragmentation du monde refait son apparition.
La gestion de la politique monétaire est périlleuse et renvoie à un
dilemme: la laisser inchangée pose à moyen terme le risque d’un retour
de l’inflation, la masse monétaire créée pendant la crise ne pouvant
plus être «épongée» par les banques centrales, tandis que l’arrêt de la
perfusion monétaire (le désormais fameux tapering) pourrait entraîner la
rechute d’économies très fragiles, encore convalescentes.
La gestion réglementaire de la crise n’est pas plus aisée. Alors que
les défaillances de la régulation ont joué un rôle dans l’explosion des
subprimes, beaucoup de réglementations adoptées depuis sont suscep-
tibles d’avoir des effets pervers. C’est le cas de Bâle3 et de Solvabilité2,
dont le calibrage en matière d’actifs, notamment, pénalise le financement
C’est avec les
effets pervers de cette
thérapeutique inadaptée
à la crise que nous nous
débattons actuellement.
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> Politique économique
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de l’économie. C’est aussi le cas du Dodd-Franck Act1 qui, avec 848pages
de texte de niveau législatif et des dizaines de milliers de pages de textes
d’application, entraîne des coûts démesurés et une absence de lisibilité
pour les acteurs concernés… sans effets réels positifs perceptibles. La
désignation par le Financial Stability Board (FSB) d’assureurs «systé-
miques», quant à elle, est pour le moins paradoxale lorsqu’on voit le rôle
de stabilisateurs joué par les sociétés d’assurances pendant la crise. La
seule exception notable, AIG, qui a été secouru par l’État américain, s’ex-
plique par des activités financières logées dans une filiale spécifique et
qui n’avaient rien de commun avec l’assurance traditionnelle. Sur la base
d’un raisonnement erroné, on s’apprête ainsi à augmenter les exigences
de capital, ce qui conduira à renchérir le coût de l’assurance et à freiner la
croissance des capacités, donc la croissance tout court.
UNE MONDIALISATION RAPIDE À
LAQUELLE LES ÉTATS NE SE SONT PAS
ADAPTÉS
Erreur de diagnostic, donc… En réalité, nous ne faisons pas face à une
crise conjoncturelle, même sévère, mais à une crise profondément struc-
turelle qui résulte largement du fait que beaucoup de pays n’ont pas
su tirer les conséquences de la nouvelle réalité de la mondialisation.
Tous les pays de la planète participent désormais à l’économie globale.
En les mettant en résonance les uns avec les autres, on a aussi mis en
concurrence leurs systèmes judiciaires, admi-
nistratifs, éducatifs, fiscaux… Le monde est
entré dans l’ère inédite de la compétition géné-
ralisée, marquée par la concurrence exacerbée
entre entreprises mais aussi par la confronta-
tion des systèmes publics et sociaux au sens
large du terme. Or certains pays ne se sont pas adaptés à cette nouvelle
donne, voire se sont installés dans le déni, aboutissant à des déséquilibres
mondiaux croissants et à la redistribution rapide des forces économiques
et financières dans le monde.
Les modèles sociaux de beaucoup de pays européens, mis en place au
moment des Trente Glorieuses et confrontés au double choc de la perte
1 Loi américaine visant une re-régulation de la sphère financière après la crise de 2008. Elle a été
promulguée par le président Obama le 21juillet 2010.
Le monde est entré
dans l’ère inédite de la
compétition généralisée.
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