N° 06 · Juin 2015 COMMENTAIRE DE MARCHÉ Godot était sans doute Grec >> Les marchés attendent la fin de la tragédie grecque et le relèvement de taux de la Réserve fédérale. Mais que se passera-t-il si l’attente est vaine ? Actuellement, deux choses tourmentent les marchés de capitaux : la Grèce et la Réserve fédérale américaine. Alors que le problème grec, si nous pouvons nous permettre de l’appeler comme ça, est plutôt un problème d’ordre politique, la Fed met les marchés durement à l’épreuve. Nous reviendrons sur ce point par la suite. Parlons tout d’abord de la Grèce : le nouveau gouvernement grec, et surtout son ministre des Finances Yanis Varoufakis, met continuellement les pieds dans le plat, tels les acteurs d’une pièce de Samuel Beckett. Il pourrait sembler peu honorable, pour l’écrivain, de comparer son chef d’œuvre de 1952, En attendant Godot1, avec le cirque qui prévaut dans la politique grecque, mais il existe toutefois des parallèles. Car si Athènes nous rappelle quotidiennement que l’accord entre le débiteur (la Grèce) et ses créanciers (le reste du monde) est presque imminent, il pourrait tout aussi bien être aussi éloigné que ledit Godot. Nous prions par la présente nos amis grecs de nous excuser par avance de notre raisonnement (Συγγνώμη !). Afin de pouvoir mieux se représenter la dimension (économique) du problème, il faut souligner que la production économique grecque totale en 2014 représentait seulement 1,6 % de la puissance économique de l’Union européenne, et seulement 0,3 % du PIB mondial. En revanche, la dimension politique n’est clairement pas la même, sinon le pouvoir de négociation du gouvernement grec serait considérablement plus faible. Quel que soit le scénario qui prévaut : Grexit, Graccident, ou seulement interventions inadéquates, tant que l’on fait miroiter aux citoyens grecs que tout peut continuer comme avant, on ne leur rend dans tous les cas pas service. Mais ce n’est pas ici que cette discussion doit avoir lieu. En revanche, ce qui a indéniablement sa place dans ce Commentaire de Marché, c’est la question de l’identification d’un risque de contagion sur les marchés de capitaux. Dire que jusqu’ici, toutes les crises grecques et les prétendues solutions ont renforcé Sommaire >> >> Godot était sans doute Grec >> Perspectives macroéconomiques >> Positionnement des Ethna Funds La pièce de théâtre En attendant Godot raconte l’histoire de Vladimir et Estragon, qui passent leur temps à ne rien faire et à attendre une personne nommée Godot qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne savent même pas si elle existe vraiment. Dans les faits, Godot lui-même n’apparaît pas jusqu’à la fin. Le titre de la pièce est passé dans le langage courant et désigne une attente vaine de quelque chose qui n’arrivera sans doute pas. Source : http://de.wikipedia.org/wiki/Warten_auf_Godot. 1 ETHENEA | Commentaire de Marché N° 06 · Juin 2015 10 10 8 R²: 0.82 6 6 4 4 2 2 Greece Italy 8 0 -2 0 -2 -4 -4 -6 -6 -8 -8 -10 -10 -10 -5 0 5 10 R²: 0.25 -10 -5 0 5 10 Spain Daily 10-year Yield Percentage Changes, 2011 to now Spain Daily 10-year Yield Percentage Changes, 2011 to now Source: Bloomberg, ETHENEA Source: Bloomberg, ETHENEA Graphique 1 : Rapport entre les changements de rendements quotidiens des obligations espagnoles et italiennes à 10 ans Graphique 2 : Rapport entre les changements de rendements quotidiens des obligations espagnoles et grecques à 10 ans précisément cette incertitude et donc la volatilité sur les marchés de capitaux est sûrement un truisme. En revanche, nous allons vérifier à l’aide des graphiques suivants si l’on peut parler d’une contagion au sein du groupe supposé homogène des états PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) depuis 2011. Le graphique 2 montre également le rapport décrit ci-dessus, mais cette fois-ci entre les rendements espagnols et les changements de rendement des obligations grecques à 10 ans. Le nuage de points est visiblement plus rond et paraît ainsi beaucoup plus aléatoire que le nuage du graphique 1. La corrélation plus basse de 0,25 le confirme. On peut en conclure qu’une hausse nette des rendements des obligations d’État grecques en cas de Grexit ou de Graccident n’entraînerait vraisemblablement pas de mouvement similaire pour les obligations espagnoles ou italiennes. En effet, le marché différencie très bien les États du groupe des PIGS considéré à tort comme homogène. Ainsi, du moins du point de vue des investisseurs, le risque de contagion devrait être considéré avec un peu plus de détachement. Le graphique 1 présente le rapport entre les changements de rendements des obligations espagnoles à 10 ans (abscisse) et des obligations italiennes à 10 ans (ordonnée). Afin de clarifier la relation, nous calculons les modifications quotidiennes en pourcentage de début 2011 à aujourd’hui. L’examen du nuage de points confirme notre hypothèse : Quand les rendements italiens évoluent à la hausse, les rendements espagnols ont un mouvement ascendant correspondant (et réciproquement). La corrélation (R²) est clairement positive (0,82). Nous tirons accessoirement parti de ce rapport en couvrant nos positions obligataires en Espagne avec des contrats à terme sur des obligations italiennes. 7 Source: ETHENEA ∗ ∗ 0.8% Nous en arrivons maintenant au deuxième problème évoqué en introduction pour les marchés de capitaux : la Réserve fédérale américaine. La relation suivante permet d’apporter des éléments d’explication : ∗ ∗ ∗ ∗ Graphique 3 : Calcul du taux de croissance du PIB américain pour l’année 2015* -0.8% 0.8% 5.0% 5.0% 0.998 1.002 1.0125 1.0125 107,500,000,000,000 284,300,000,000 17,610,000,000,000 1.61% 0.26% 2.52% 2 ∗ -1 N° 06 · Juin 2015 1.0 11 160 0.8 10 140 9 120 8 100 7 80 6 60 5 40 4 20 3 0 -0.4 2 -20 -0.6 1 -40 0 -60 0.6 0.2 CPI in % Index 0.4 0.0 -0.2 -0.8 -1.0 -1 08 09 Source: Bloomberg, ETHENEA 10 11 12 13 14 15 85 90 95 00 05 10 15 WTI in % ETHENEA | Commentaire de Marché -80 CPI OECD Countries, YoY in %, LHS West Texas Intermediate, YoY in %, RHS Bloomberg Economic Surprise Indicator USA Source: Bloomberg, ETHENEA Graphique 4 : Indicateurs de surprise pour les États-Unis* Graphique 5 : Évolution des prix à la consommation dans les pays de l’OCDE par rapport à l’évolution des prix du pétrole brut Le 29 mai 2015, la croissance du premier trimestre 2015 a été révisée à -0,7 %. Actuellement, la meilleure prévision pour le deuxième trimestre s’inscrit à 0,8 %.2 Dans le cas où ces taux de croissance se maintiendraient, il sera assez difficile d’atteindre les 2,5 % prévus par la Fed pour l’ensemble de l’année 2015. Nous invitons le lecteur à programmer la formule présentée au graphique 3 dans une feuille de calcul et à essayer simplement différentes valeurs pour x et y. On peut rapidement constater qu’il faut des valeurs autour de 5 % pour parvenir à approcher les taux de croissance prévus. Nous laissons la probabilité de ce scénario à l’appréciation du lecteur. ou le contexte économique très négatif – soit, ce qui paraît plus vraisemblable, nous avons affaire à une combinaison des deux. C’est cette dernière hypothèse qui serait justement caractéristique d’un retournement de tendance, et appuierait ainsi la thèse selon laquelle l’économie des États-Unis est en train de s’affaiblir. La probabilité que la Réserve fédérale ne procède pas au relèvement de taux unanimement attendu en cas de ralentissement et fasse preuve ainsi du même discernement que ces dernières années est forte. La majorité des économistes des grandes banques – tous des macroéconomistes hautement qualifiés et expérimentés - attend toutefois le lift off, le début du cycle de relèvement des taux par la Réserve fédérale américaine, en septembre de cette année. Il paraît difficile d’imaginer que ce groupe d’experts pourrait se tromper. Toutefois, il est vraisemblable que la Fed, comme elle l’a toujours prouvé par le passé, agisse avec plus d’intelligence que ce qui est supposé. Les marchés attendraient donc vainement Godot, ici le relèvement des taux, et toutes les réactions consécutives à ce mouvement. Tant que l’inflation dans les pays industrialisés reste faible, les rendements des obligations à plus long terme auront tendance, dans ce scénario, à baisser plutôt qu’à augmenter. Le prix du pétrole brut, qui a été de nouveau corrigé à la hausse en début d’année, ne semble pas non plus tendre vers un renversement de tendance. Cette hypothèse est soutenue par le rapport constaté entre l’évolution du prix du pétrole brut et l’inflation (graphique 5) sur les 30 dernières années. Dans la mesure où aucune forte hausse des prix du pétrole brut n’est prévue et où l’économie mondiale, entraînée par les États-Unis, traverse en même temps une phase de faiblesse, les obligations émises par des émetteurs de premier rang devraient continuer à recevoir une recommandation d’achat. Malgré tout, nous tentons de pousser plus loin la réflexion et nous formulons l’hypothèse que l’économie américaine est rentrée dans une phase de récession après six ans d’essor continu (la dernière récession a pris fin en juin 2009). Le graphique 4 montre l’indicateur de surprise, souvent utilisé, à ses niveaux les plus bas, enregistrés lors de la dernière récession de 2008/2009. Malgré toutes les restrictions, on ne peut s’empêcher de constater que soit les prévisions sont très positives, 2 Source : GDPNow – Federal Reserve Bank of Atlanta, https://www.frbatlanta.org/cqer/research/gdpnow.aspx 3 ETHENEA | Commentaire de Marché N° 06 · Juin 2015 Croissance économique et marché des actions dans le no man’s land Ce fort niveau de marge est sûrement l’une des principales raisons pour lesquelles le marché américain connaît encore une tendance légèrement positive sur l’année. Les marchés ont cependant raison de s’inquiéter: un relèvement des taux directeurs de la Fed pour la première fois depuis sept ans, dans cet environnement de croissance faible, pourrait peser sur les secteurs de l’économie qui se portent bien. Les indicateurs avancés pour le marché des actions semblent également pointer les problèmes imminents. L’indice Dow Jones Transportation Average a ainsi formé le lundi 25 mai 2015 une Death Cross, un signal technique de retournement de tendance négatif. Par le passé, par exemple lors des krachs de 2000 et 2007, cet indice sensible à la conjoncture a affiché très tôt les pertes de cours du marché plus large. L’indice a perdu près de 10 % depuis le début de l’année et la situation pour les entreprises qui le composent est plutôt sombre.3 Évolution actuelle aux États-Unis À l’inverse des marchés actions européens dopés par les injections de liquidités de la BCE, les États-Unis souffrent depuis des mois des effets du sevrage. Depuis que la Fed a suspendu ses achats d’obligations à l’automne 2014, le S&P 500 n’évolue plus guère face à une suite continue de mauvaises nouvelles. Le recul de la croissance de 0,7 % au premier trimestre 2015 s’est ressenti aussi dans les résultats des entreprises. Les chiffres d’affaires se sont par exemple contractés pour la première fois depuis longtemps, perdant environ 3 % par rapport à l’année précédente, alors que les bénéfices du S&P 500 ont malgré tout progressé, mais d’un faible 1,5 %.1 Si l’on ne prend pas en compte le secteur de l’énergie pour lequel les bénéfices ont été plus que divisés par deux, en grande partie en raison de l’effondrement des prix du pétrole et qui est donc responsable d’une grande part des mauvais chiffres, l’image est malgré tout positive. Les chiffres d’affaires des autres entreprises ont augmenté d’environ 3 % malgré un dollar américain fort et des bénéfices par action d’environ 8 %. De nombreuses entreprises des secteurs de la consommation, de la pharmacie ou des technologies font toujours belle figure. La marge bénéficiaire additionnelle avant impôt de ces entreprises clés en dehors des secteurs de la finance, de l’énergie et de l’approvisionnement en électricité s’élevait même à 28 % au premier trimestre de cette année, nettement au-dessus de son niveau de marge globale de 13 %. Cela signifie que chaque dollar de chiffre d’affaires supplémentaire continue de générer une hausse de la rentabilité supérieure à la moyenne.2 Le niveau de valorisation général du marché incite aussi à la prudence. Les actions sont encore relativement attractives par rapport aux obligations, mais si l’on considère les indicateurs absolus et en particulier les indicateurs cycliquement ajustés, elles sont cependant assez onéreuses par comparaison historique. Le P/E de Shiller (ratio cours sur bénéfices) s’inscrit désormais à un robuste 28x.4 Depuis la Seconde Guerre mondiale, le marché a été plus cher qu’aujourd’hui seulement 15 % du temps, années de la bulle technologique comprises. D’un point de vue statistique, la prévision moyenne de rendements des marchés actions américains pour les dix prochaines années est seulement comprise entre -1,7 % et +0,4 %.5 Une autre statistique donne un peu plus d’espoir. Depuis la Seconde Guerre mondiale également, les rendements moyens des marchés actions après chaque hausse de taux de la Fed ont 40 30 20 10 0 Aug 58 Aug 61 Nov 67 Mar 71 Mar 72 Mar 74 Jun 75 Apr 76 Apr 77 Aug 80 May 81 Jan 82 May 83 Feb 85 -10 -20 Yield (%) Source: Empirical Research Partners Graphique 6 : Rendement de l’indice S&P 500 sur 12 mois après le relèvement de taux directeur par la Fed Source : Bloomberg Source : Empirical Research Partners LLC 5 Source : Bloomberg 6 P/E de Shiller : PER basé sur les bénéfices moyens des dix dernières années 7 Source : BCA Research 3 4 4 Dec 86 Mar 88 Feb 94 Mar 97 Jun 99 Jun 04 ETHENEA | Commentaire de Marché N° 06 · Juin 2015 toujours atteint près de 7,8 %. Dans 16 cas sur 22, l’indice S&P 500 était ensuite plus élevé qu’avant. La crainte qu’un relèvement de taux puisse à lui seul casser l’élan du marché est très exagérée, car cette hausse reflète principalement un niveau de croissance élevé et une accumulation des bénéfices.6 La faible performance du marché américain pourrait aussi être liée à des facteurs complètement différents - par exemple à la hausse des impôts sur les dividendes et les plus-values, de 15 à 23 %, ce qui a peut-être entraîné des ventes supplémentaires motivées par des raisons fiscales.7 récente faiblesse est de nature temporaire. De plus, la hausse brusque du nombre de nouveaux ménages laisse augurer une accélération de l’activité B.T.P.,8 alors que les élections proches stimulent les dépenses budgétaires et qu’une stabilisation du dollar pourrait faire rapidement oublier le choc monétaire et que l’accord transpacifique pourrait revigorer le commerce avec l’Asie.9 Les bénéfices des entreprises pourraient alors continuer à augmenter et donner une nouvelle impulsion au marché en lien avec une activité de fusions et acquisitions record. Par conséquent, nous maintenons une allocation solide aux actions américaines, bien que nous fassions preuve de circonspection dans la sélection des titres, en raison principalement des valorisations élevées et du faible dynamisme économique. Il existe en effet dans l’ensemble des données macroéconomiques des indices suffisants montrant que la performance économique pourrait bientôt s’améliorer de nouveau et que la Auteurs >> En savoir plus >> >> Perspectives macroéconomiques >> Positionnement des Ethna Funds Source : Empirical Research Partners LLC Source : Strategas Research Partners 10 Source : Empirical Research Partners LLC 11 Source : Strategas Research Partners 8 9 5 Guido Barthels Yves Longchamp, CFA Portfolio Manager, CIO Head of Research ETHENEA Independent Investors S.A. ETHENEA Independent Investors (Schweiz) AG Auteurs >> (de gauche à droite) : Daniel Stefanetti, Guido Barthels, Luca Pesarini, Arnoldo Valsangiacomo, Peter Steffen et Yves Longchamp Contact >> Nous nous tenons à votre entière disposition pour vos questions ou suggestions éventuelles. ETHENEA Independent Investors S.A. 16, rue Gabriel Lippmann · 5365 Munsbach · Luxembourg Phone +352 276 921 10 · Fax +352 276 921 99 [email protected] · ethenea.com Remarques importantes >> Comme pour tous les investissements dans des titres ou des actifs équivalents, les placements dans les fonds d’investissement comportent un risque de change et de cours. Conséquence : les prix des parts du fonds et la hauteur du revenu fluctuent et ne peuvent pas être garantis. Les coûts du placement influent sur sa performance réelle. Les documents de vente officiels constituent la seule base contraignante pour l’achat de parts. Toutes les informations publiées ici servent uniquement pour la description des produits et ne constituent pas des conseils de placement. Elles ne comportent pas d’offre de contrat de conseil ou de contrat de renseignement, ni une d’offre d’achat/vente de titres. Le contenu a été soigneusement recherché, compilé et vérifié. Aucune garantie ne saurait être assumée quant à leur justesse, leur exhaustivité ou leur exactitude. Munsbach, le 31/05/2015. [email protected] ethenea.com