Le juge administratif : juge de l`action des acteurs économiques

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Dîner-débat
Hommage d’Agorena
Mardi 2 février 2016, Hôtel Le Marois – Salons France Amériques
Le juge administratif :
juge de l’action des acteurs économiques
Avec Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État
Invité comme grand témoin d’Agorena, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil
d’Etat, a devisé sur le pouvoir du juge administratif, son étendue mais aussi ses
limites, au regard de l’action des acteurs économiques.
Jean-Marc Sauvé
Avec clarté et concision, Jean-Marc Sauvé a tout d’abord mis en
exergue les principales missions du juge administratif en matière
d’action publique économique : « Le juge administratif veille à
ce que l’action économique des personnes publiques respecte la
liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’entreprendre
qui est protégée par notre Constitution. Il fait par ailleurs une large
application des règles de la concurrence aux interventions des
personnes publiques, qu’elles passent commande ou bien qu’elles
proposent des biens ou des services. Enfin, le juge administratif
vérifie que, même dans l’exercice de prérogatives de puissance
publique et, par exemple, en matière de police administrative, les
autorités publiques ne portent pas atteinte même indirectement
aux règles de la concurrence ».
Cette idée selon laquelle le principe de la liberté du commerce et de
l’industrie s’impose aux personnes publiques remonte aux sources
mêmes du droit public. « Celles de la Révolution française et, en
particulier, le décret d’Allarde, qui date de mars 1791, et dont
l’axe majeur était la suppression des
entraves aux initiatives privées. Depuis
la Révolution française, les conditions
des inter ventions économiques
des personnes publiques ont été
progressivement assouplies, sans pour
autant leur lâcher totalement la bride. ».
Autrement dit, les personnes publiques
ne peuvent pas tout faire en matière
économique et le juge administratif vérifie
qu’elles ne méconnaissent pas le champ
de leurs compétences et qu’elles ne
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Paris, et non pas du Conseil d’Etat :
« Seul, le contentieux des concentrations économiques relève de la
compétence du Conseil d’Etat ».
Préser ver un écosystème
juridique favorable aux acteurs
économiques
Plus globalement, le juge administratif
veille à promouvoir de façon transparente
les exigences de la sécurité juridique,
et notamment en cas de changement de jurisprudence en cours
d’instance. Dans ce cas, le juge administratif ne peut pas régler
une affaire en appliquant une règle jurisprudentielle nouvelle, sans
en informer les parties et sans recueillir leurs observations sur
l’application de cette nouvelle règle à leur situation. « Le Conseil d’Etat
impose clairement que les parties puissent en discuter utilement »,
note-t-il. Cette volonté de promouvoir la sécurité juridique s’exprime
aussi au moment de l’exécution des décisions de justice : « Le juge
administratif peut prononcer l’annulation d’un acte administratif
avec un effet différé, afin de laisser à l’administration le temps de
régulariser les vices relevés et, ainsi, d’éviter un vide juridique ».
Animation : Rémi Godeau, rédacteur en chef de L’Opinion.
Le juge administratif : quelles missions, quelles
prérogatives ?
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bénéficient pas d’un avantage anticoncurrentiel, c’est-à-dire qu’elles
agissent sur les marchés à armes égales avec les personnes privées.
« On passe alors d’un principe de non concurrence à un principe
d’égale concurrence ». Les personnes publiques ont par ailleurs des
obligations particulières en matière de commande publique.
En outre, le juge administratif contrôle que les mesures de régulation
économique prises par les autorités publiques soient justifiées
et proportionnées. Sur ce point, Jean-Marc Sauvé a illustré son
propos en prenant l’exemple des décisions de la Commission de
régulation de l’énergie : le juge administratif contrôle la légalité des
tarifs réglementaires et notamment que ces tarifs permettent aux
entreprises de couvrir leurs coûts de production. Jean-Marc Sauvé
en conclut que le Conseil d’Etat ne décide pas de l’augmentation ou
de la diminution du prix de l’électricité, mais qu’il ne fait que faire
respecter la loi, rien que la loi.
Le juge administratif exerce également sa compétence en matière
de concentrations économiques, il a ainsi été saisi d’un litige portant
sur la fusion TPS – Canal + ou encore d’un litige relatif au rachat
d’AB par TF1. Le juge administratif exerce désormais un entier
contrôle de proportionnalité sur les décisions refusant ou autorisant
de telles opérations. Ce qui signifie qu’il soupèse dans chaque cas
les exigences du principe de libre concurrence. « Un contrôle très
approfondi est opéré par le juge, en tenant compte des marchés
pertinents et de l’ensemble des effets anticoncurrentiels d’une
opération de concentration et ce contrôle s’exerce aussi sur le
caractère nécessaire et proportionné des injonctions prises par
l’Autorité de la concurrence pour prévenir ces effets concurrentiels ».
Jean-Marc Sauvé précise toutefois que les décisions de
l’Autorité de la concurrence sur les pratiques anticoncurrentielles
relèvent en principe de la compétence de la Cour d’Appel de
Des contentieux de plus en plus nombreux
Jean-Marc Sauvé relève une profonde transformation de la
jurisprudence en matière économique, « une modification profonde
du regard du juge sur le contentieux des actes unilatéraux et
des contrats publics. Cela éclaire aussi d’un jour nouveau la
question de la responsabilité des personnes publiques. Aujourd’hui,
les contentieux sont de plus en plus nombreux, remarque-t-il :
ceux des impôts, de la fonction publique, de l’urbanisme et de
l’environnement, les contentieux sociaux. Le droit de la concurrence
impacte une multitude de contentieux qui relèvent de catégories
différentes ».
Quid de la nouvelle économie et de ses acteurs ?
Un nouveau champ d’intervention pour le Conseil d’Etat concerne
la nouvelle économie qui bouleverse nos modes de production et de
consommation. Comment le droit l’appréhende-t-il ?
Le conflit en cours entre les taxis et Uber est un bel exemple des
rapports ambivalents entretenus par la nouvelle économie avec les
droits fondamentaux. « Si peu de décisions ont été prises dans ce
secteur des transports, le juge des référés a suspendu en février 2014
le décret qui instaurait un délai minimal
entre la réservation d’une voiture de
tourisme avec chauffeur et la prise en
charge effective du client » souligne
Jean-Marc Sauvé. « Le législateur
a ensuite repris la main. Dans ces
domaines, les outils forgés au cours
des dix dernières années seront utilisés.
Le rôle du Conseil d’Etat, comme celui
de tout juge, est de déterminer dans
chaque cas ce qu’exigent les règles
de la concurrence et, ainsi, de faire
respecter la loi : en matière de concurrence, la loi n’est pas la loi
de la jungle ».
L’articulation de notre jurisprudence avec le droit de
l’Union européenne
Autre sujet abordé lors du dîner-débat, celui de l’articulation de la
jurisprudence administrative avec le droit de l’Union européenne qui
influence des secteurs de plus en plus diversifiés des législations des
Etats membres. Ainsi, la Cour de Justice de l’Union européenne, par
sa jurisprudence, donne une pleine effectivité au droit de l’Union.
Pour Jean-Marc Sauvé, le Conseil d’Etat veille efficacement au respect
du droit de l’Union européenne et, en particulier, du droit européen
de la concurrence. Il ne saurait y avoir de manquement au droit de
l’Union sans engager la responsabilité de l’Etat. « Le Conseil d’Etat
est attentif à cette question du respect du droit de l’Union, d’où
l’importance de ses actions de coopération avec les institutions
européennes et les autres Etats membres. Les échanges et les
forums de correspondants sont très utiles pour nourrir notre réflexion
lorsqu’apparaissent des questions nouvelles. En revanche, dans le
domaine des activités de puissance publique, nous sommes dans
le domaine du droit national. Cependant, si nous portons atteinte
au droit de la concurrence, nous nous plaçons dans le périmètre
du droit de l’Union européenne. Nous sommes par conséquent
très attentifs à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union
européenne ».
Concernant la commande publique et la prise en compte du droit
de l’Union européenne, Jean-Marc Sauvé constate que les règles
françaises de la commande publique ont été rendues plus claires et
plus maniables grâce aux ordonnances du 23 juillet 2015 relative
aux marchés publics et du 29 janvier 2016 relative aux contrats
de concession, qui ont transposé en droit interne trois nouvelles
directives européennes du 26 février 2014. « Aujourd’hui, nous
sommes en train de procéder à la reconstruction du droit de la
commande publique en identifiant des blocs de contrats. Cette
année, nous allons élaborer un code de la commande publique qui
va appréhender l’ensemble de la commande publique, y compris
les contrats de partenariat. Il aura fallu 25 ans de recherches et
de tentatives, mais nous arrivons enfin au port ».
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Propos recueillis et mis en forme par Philippe Brousse
/ mars 2016 / n°458
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