La dimension sociale de l`évangélisation selon le pape François

La dimension sociale de l’évangélisation selon le pape François
Posté par Dominique Greiner le 11 août 2014 LA CROIX
Dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium (La joie de l’Evangile), le pape François consacre de
nombreuses pages à des thèmes comme le travail, l’État, la promotion humaine… Il souligne de la sorte la
dimension sociale de l’évangélisation.
Le texte que le pape a lui-même désigné comme un « programme » et qui contient donc les clés
d’interprétation de son pontificat est touffu. Le livre-entretien entre le recteur de l’Université catholique
pontificale de Buenos Aires, Mgr Victor Manuel Fernandez, et Paolo Rodari, journaliste italien de La
Repubblica, permet d’en mieux saisir la cohérence et les intuitions profondes (1).
Un proche du pape
Mgr Fernandez est un proche du pape. Les deux hommes ont travaillé ensemble à la rédaction du Document
d’Aparecida lors de la Ve conférence épiscopale d’Amérique latine et des Caraïbes (2007), un texte qui
définit l’orientation pastorale de l’Église catholique sur le continent latino-américain. Il peut donc
légitimement dire quelles sont les sources d’inspiration du pape (l’Évangile, François d’Assise, le jésuite
Pierre Favre…), son rapport aux théologies de la libération (« il a toujours refusé de réduire la vision de la
réalité à une analyse purement sociologique »), sa vision de l’Église et des réformes – intérieures et
extérieures à conduire, l’importance accordée à l’œcuménisme et au dialogue interreligieux, son insistance
sur la dimension sociale de l’évangélisation. Des sources qui sont autant de clefs de lecture de l’exhortation
Evangelii Gaudium.
L’option préférentielle pour les pauvres
On lira avec un intérêt particulier le chapitre 8, intitulé « L’Eglise, la politique et l’économie ». Mgr
Fernandez explique notamment en quoi l’insistance du pape sur la dimension sociale de l’évangélisation et
l’option pour les pauvres n’est pas idéologique mais bien évangélique : « D’un point de vue pragmatique, le
meilleur choix semblera toujours de se consacrer aux classes dominantes de la société, à ceux qui
détiennent le pouvoir. Dans le modèle en vigueur, celui de la réussite individuelle, s’employer à ce que ceux
qui restent en arrière, les faibles ou les moins pourvus, puissent se frayer un chemin dans la vie semble ne
pas avoir beaucoup de sens. L’option pour les pauvres brise ce paradigme et devient une question de foi.
C’est ce que n’a pas compris ce haut représentant du Vatican qui disait à des religieuses vivant dans un
quartier pauvre que ce n’était pas là qu’elles auraient de l’avenir. »
La théorie de la « rechute favorable » critiquée
Mgr Fernandez revient aussi sur les virulentes critiques des néo-libéraux américains à l’encontre du pape qui
a pu être qualifié par certains de marxiste. Le passage de l’exhortation apostolique qui a notamment mis le
feu aux poudres est sa critique de la théorie de la «rechute favorable» (en anglais «trickle down», expression
mieux traduite en français par «théorie du ruissellement»). « Certains défendent encore les théories de la
‘rechute favorable’, qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit
à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde, écrit le pape François. Cette
opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté
de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique
dominant. Mais, pendant ce temps, les exclus continuent à attendre.» (EG 54)
Refus de l’autonomie absolue des marchés
Le recteur de l’université catholique commente en soulignant que pour comprendre ce que dit le pape au
sujet de l’économie, il faut lire tout son programme et ne pas s’arrêter à quelques expressions sorties de leur
contexte. On voit alors que « sa position est équilibrée« , estime-t-il. Il commente : « D’une part, il accorde
une grande valeur à l’entreprise, quand il dit que ‘la vocation d’entrepreneur est un noble travail, par ses
efforts de multiplier et de rendre plus accessibles à tous les biens de ce monde’ (EG 203). D’autre part, et
ceci est essentiel, ses paroles concernant l’économie doivent être lues en lien avec ses affirmations sur la
nécessité pour les sciences de contribuer au magistère (EG 40, 133, 182) en conservant leur propre
méthodologie et leur légitime autonomie (EG 243). Ceci vaut pour l’économie. De façon cohérente, le pape
reconnaît qu’il ne doit pas ‘présenter une analyse détaillée et complète de la réalité contemporaine’ (EG
51) et qu’il ne possède pas ‘le monopole de l’interprétation de la réalité sociale ou de la proposition de
solutions’ (EG 184). »
Entendre le cri des pauvres
Le pape François ne prétend pas à l’infaillibilité en matière économique. Mais il est guidé par la conviction
que les marchés à eux seuls ne peuvent pas régler les difficultés des pays les plus pauvres. « La croissance
dans l’équité exige quelque chose de plus que la croissance économique, bien qu’elle la suppose », écrit le
pape (EG 204). La théorie du ruissellement est de ce point de vue insuffisante : elle accorde une confiance
aveugle à l’autonomie absolue des marchés et envisage la croissance des pays les plus pauvres que comme
une « retombée » mondiale spontanée de la croissance des pays riches. Comme si les pauvres ne
pouvaient prétendre qu’aux miettes qui tombent de la table du banquet des riches. Or c’est bien à leurs cris
que le pape nous appelle à ouvrir nos oreilles (EG 190). Et c’est en cela qu’il est évangélique et non pas
idéologique.
(1) Victor Manuel Fernandez, entretien avec Paolo Rodari, Ce que nous dit François, Éditions de
l’Atelier, 142 p., 10 €
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