Le Nigeria, `l`éléphant` résiste à la pression européenne - twn

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Le Nigeria, ‘l’éléphant’ résiste
à la pression européenne
Le Nigeria a résisté à la pression implacable exercée par l’Union
européenne de signer l’Accord de Partenariat Economique (APE). La
deuxième économie la plus importante de l’Afrique sub-saharienne affirme
qu’elle ne signera pas un tel accord avec l’UE à moins que celui-ci ne se
conforme aux aspirations du pays et au programme de développement de
l’Afrique de l’Ouest, écrit *Kwesi W. Obeng.
L’Afrique de l’Ouest, qui représente 40 pour cent des échanges commerciaux entre
l’Union européenne (UE) et le groupe des pays de l’Afrique, des Caraïbes et du
Pacifique (ACP), est à elle seule la région la plus importante pour l’Europe sur le plan
du commerce, en ce qui concerne les négociations de l’Accord de Partenariat
Economique (APE).
Les APE sont des pactes qui demanderaient aux nations ACP d’ouvrir davantage leurs
marchés qui sont déjà largement libéralisés aux biens et services européens en échange
d’accès libre au marché européen. Six blocs économiques au sud constituent les 77
membres de l’ACP, un groupe d’anciennes colonies des grandes puissances
européennes.
Le Nigeria peut être un pays tendu du point de vue politique et socio-économique. Mais,
il se situe au cœur même de l’économie ouest-africaine. Le Nigeria est l’économie la
plus importante de la sous-région. Le pays le plus peuplé de l’Afrique est aussi la
deuxième plus grande économie de l’Afrique sub-saharienne.
Le Nigeria est l’un du petit nombre de pays de l’Afrique qui ont fait montre de la plus
grande ténacité (et en effet au sein de tous les pays de l’ACP) pour rejeter la signature
d’un ACP avec l’Union européenne, en particulier en tant que pays unique.
A milieu des indications de la reprise de l’économie mondiale à la suite de la récession
qui a touché l’économie mondiale il y a deux ans, l’Union européenne a accéléré la
pression en vue de signer des accords de libre-échange avec l’Afrique de l’Ouest et
d’autres régions de l’Afrique.
En Afrique de l’Ouest, seuls la Côte d’Ivoire et le Ghana ont paraphé les APE
intérimaires à la date limite du 31 décembre 2007. Le Nigeria, riche en ressources
pétrolières et pays qui ne fait pas partie des Pays les Moins Avancés (PMA), avait
refusé de signer un APE intérimaire (APEi) avec l’Union européenne, en faisant
remarquer que signer un tel accord mettrait en danger l’intégration régionale,
compromettrait les efforts d’industrialisation déployés par la Communauté des États de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et aggraverait le niveau de la pauvreté dans la région.
Jusqu’à présent, l’UE n’a pas réussi à signer un APE complet avec l’un ou l’autre des
quatre blocs régionaux africains de négociation.
Pendant la période qui a précédé la date limite de décembre 2007 pour qu’expire la
dérogation accordée par l’Organisation Mondiale du Commerce à propos du Système
préférentiel du Commerce entre le Groupe ACP et la CE, l’Europe a déclenché une
pression sans précédent sur tous les six régions de l’ACP, en particulier sur l’Afrique de
l’Ouest, pour elles signent au moins un APE intérimaire. Le Nigeria a rejeté l’offre de
l’UE et a demandé à titre officiel, avec quelques autres pays ACP, qu’il soit accordé
l’accès au Système Général de Préférence plus (AGP+). L’UE a carrément rejeté l’offre
du Nigeria et a imposé des tarifs plus élevés aux produits nigérians, bien que l’accord de
Cotonou de 2000 demande qu’un pays ne soit traité pire que les conditions stipulées
dans le cadre de l’Accord de Cotonou. Le Nigeria est, de façon automatique, revenu au
Système Général de Préférence (SGP) moins favorable qui est beaucoup pire que
l’Accord de Cotonou.
La Côte d’Ivoire a signé un APE intérimaire avec l’UE. Le Ghana a aussi paraphé un
APE intérimaire en 2007, bien que ce pays n’ait pas encore signé l’APE intérimaire. Les
deux APE intérimaires portent essentiellement sur l’accès aux marchés. Sur les seize
pays que compose la CEDEAO, treize d’entre eux font partie des PMA, ce qui signifie
qu’ils n’ont pas besoin de signer un APE, car cela leur donne qualité de bénéficier de
l’accord « Tout Sauf les Armes (TSA) ».
Les trois pays de la région qui ne font pas partie des PMA sont la Côte d’Ivoire, le
Ghana et le Nigeria. Cette scission apparente au niveau de l’Afrique de l’ouest menaçait
de compromettre l’intégration régionale et les pouvoirs minimes de négociation du bloc
économique régional.
Le Nigeria représente presque les deux tiers du Produit Intérieur Brut réel de l’Afrique
de l’Ouest. Au lendemain de la signature et du paraphe d’un APEi par la Côte d’Ivoire
et le Ghana, le Nigeria qui constitue un marché régional très important pour les deux
pays, a menacé d’imposer des tarifs élevés aux produits en provenance de ces pays, car
ces accords menaçaient l’économie nigériane. En guise de réaction directe aux APEi, le
Nigeria a aussi menacé en 2008 de suspendre les négociations d’un tarif externe
commun pour la région. Les pourparlers à propos du tarif externe commun ont repris
une fois les pays de la région ont convenu de négocier les APE en tant que groupe avec
l’UE. Ainsi, depuis 2008, l’Afrique de l’Ouest négocie les APE en tant que bloc unique.
Jusqu’à présent, seule une région a signé un APE ‘complet’. L’accord complet de la
région des Caraïbes signé en octobre 2008 couvre les biens, les services, les règles liées
au commerce et la coopération au développement.
Le Nigeria est l’un des dix pays qui ne font pas partie des PMA qui font le commerce
avec l’UE, selon les termes du SGP uniquement. Les échanges commerciaux de
l’Afrique du Sud avec l’UE restent inchangés. L’Afrique du Sud, le pays le plus nanti
du continent, a déjà signé un Accord de libre-échange bilatéral avec l’UE.
La réduction de la pauvreté, le développement durable et l’intégration régionale
constituent les trois objectifs de l’APE prévus dans l’Accord de Cotonou. En effet, le
Nigeria dit que Ken Okaoha a sonné l’alarme aux parties aux négociations à chaque
moment où les négociations s’écartaient de ces objectifs « et c’est ce que je vois comme
la résistance de la part du Nigeria ». Okaoha est président de l’Association Nationale
des Commerçants Nigérians (NANTS).
La NANTS abrite le secrétariat technique de l’APE du gouvernement nigérian à Abuja.
Comme on pourrait s’y attendre, l’UE a exprimé son mécontentement vis-à-vis de cette
évolution de la situation.
NANTS est une coalition de fabricants locaux de biens de consommation, de
commerçants de matières premières, de biens industriels et finis ainsi que de réseaux
des agriculteurs locaux.
L’obstination du Nigeria a enragé l’UE, en particulier l’ancien Commissaire au
commerce du bloc économique le plus puissant du monde, Peter Mandelson, qui a lancé
une attaque pleine de mépris contre le Nigeria, qualifiant le pays à un moment donné de
« un éléphant assis au beau milieu de la route » à la conclusion d’un APE. Le Nigeria a
maintenu sa position même au moment où ses voisins, la Côte d’Ivoire et le Ghana, ont
cédé à la pression incessante de la part de l’UE.
L’Accord de Cotonou recommande à l’UE d’assurer un autre moyen à tout pays ou à
toute région de l’ACP qui n’était pas en mesure ou ne voulait carrément pas conclure un
APE à la date limite du 31 décembre 2007. En guise de réponse à cette liberté d’action,
le Nigeria a mené la compagne ouest-africaine contre la signature de tout accord, en
partie parce que la période préparatoire de l’APE a été tronquée par le manque de
souplesse, l’égoïsme et la tactique purement capricieuse de négociation de l’UE.
Contrairement aux soupçons de l’UE, le Nigeria a été toujours confiant qu’un APE plus
équitable et bien négocié qui reconnaît les défis de développement auxquels fait face la
région de la CEDEAO pourrait faire avancer l’intégration régionale et promouvoir le
développement durable en Afrique de l’Ouest.
Selon Okaoha, ‘ne fût-il pas l’APE, je peux vous assurer que la CEDEAO serait restée
entièrement engagée à la poursuite de la paix et de la sécurité dans la région et aurait
ignoré les questions économiques et les problèmes liés à la pauvreté qui provoquent les
crises au niveau de la région’. Il a en outre ajouté qu’il se peut que la CEDEAO n’ait
pas encore discuté de la question du Tarif Externe Commun, par exemple une union
douanière commune, la nécessité d’harmoniser les politiques régionales communes qui
pourraient faire avancer les économies, la nécessité d’accélérer le processus
d’intégration et de surmonter les défis en vue d’améliorer le commerce intra-régional.
L’UE a depuis abandonné l’idée de chercher à conclure un APE avec les pays
individuels pour privilégier les négociations à l’échelle de la région de la CEDEAO, et
ceci en guise de réponse à la pression de la part du public, en particulier de la société
civile en Afrique et en Europe. La position du Nigeria reste fondamentalement
inchangée, à savoir ‘un APE qui favorise le développement’ ; un accord qui reflète
suffisamment les priorités développementales de l’Afrique de l’Ouest serait approuvé
par ce pays. « C’est la raison pour laquelle nous préconisons une meilleure
compréhension et une souplesse de la part de nos négociateurs, en particulier du côté de
l’UE ».
Le Nigeria a maintenu sa position même face à la crise politique qui a survenu pendant
l’hospitalisation du président du Pays, Omaru Yar’ Adua, qui a duré plus de cinq mois
et le décès de celui-ci. L’approbation des positions du Nigeria par les Chefs d’Etat et de
Gouvernement de la CEDEAO pendant le processus de négociations, comme démontré
par les réunions de mai 2009 et de février 2010, semblerait avoir renforcé la position du
Nigeria, car cela indique en termes très clairs que la région approuve la position du
Nigeria.
En guise de réponse évidente aux demandes à l’échelle de la région, la Commission de
la CEDEAO a également revu son mécanisme de négociation en vue de combler les
lacunes apparentes au niveau de l’équipe régionale de négociation. De plus, l’organe
régional a ouvert ses portes à d’autres acteurs non-étatiques en tant qu’observateurs des
négociations en cours. Avant la signature des APE en 2007, il était interdit à ces acteurs
non-étatiques d’assister aux réunions entre l’UE et les pays concernés.
La position du Nigeria à propos des APE lui a coûté cher. En effet, le secteur du cacao
du pays riche en ressources pétrolières en particulier a été durement touché depuis le 1er
janvier 2008. Le Nigeria exporte jusqu’à 90 pour cent de son beurre de cacao et de ses
produits de cacao au marché européen, et depuis 2008 ces produits attirent des tarifs
élevés, à savoir 4,3 pour cent pour le beurre de cacao et 6,3 pour cent pour d’autres
produits de cacao. Cette hausse d’impôts signifie que les producteurs perdent environ
6$EU la tonne de cacao qu’exporte le pays. Selon le Nigeria Cocoa Processor
Association, le pays a perdu 5$EU millions en mars 2008, trois mois après que l’UE a
imposé les tarifs dissuasifs.
Mais le prix que le Nigeria devait payer aurait pu être plus élevé si le pays avait signé
les APE dans l’état où ils se trouvaient vers la fin de l’année 2007. Il n’y a pas eu de
modifications significatives au niveau des APE en négociations.
Selon la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CENUA), le
Nigeria à lui seul représenterait un cinquième de la perte de revenu totale prévue de plus
de 2$EU milliards qui sera encourue par les quatre régions africaines qui négocient les
APE pendant la première année de la mise en œuvre des APE.
L’exécution des APE dans leur état disproportionné actuel comme le demande l’UE
mettrait en danger les économies africaines pendant des générations à vernir, car elle
imposerait un coût plus élevé à ces économies fragiles. L’UE encourirait à peine des
coûts.
Mais pendant combien de temps le Nigeria peut-il maintenir ses positions ? D’abord, le
Nigeria négocie depuis 2008 l’APE avec les pays de la sous-région en tant que groupe.
Les responsables nigérians affirment que le pays poursuivrait sa participation aux
négociations d’un APE dans le cadre du groupe de la CEDEAO tant que l’UE fait
montre de la sincérité et de la souplesse et permet un APE qui favorise le
développement et qui se conforme aux principes prévus dans l’Accord de Cotonou. La
NANTS a noté que toute chose moins que ceci obligerait le Nigeria à abandonner le
processus de l’APE et tout ce qui en résulterait.
Ceci a plutôt poussé l’UE à exercer davantage de pression sur la région, notamment au
niveau de chaque pays, ‘pour conclure des APE bilatéraux, tactique que la NANTS
estime que son objectif est d’exercer la pression sur le Nigeria pour qu’il s’écarte de sa
position tenace’.
L’UE a accéléré la pression qu’elle exerce au niveau de chaque pays en Afrique de
l’ouest. En novembre 2009, l’UE a conclu ce qu’elle qualifie d’une transaction ‘de paix
et d’anti-corruption’ et de ressource d’un montant de 1$EU milliard avec le Nigeria.
Plusieurs experts européens en matière de politique étrangère estiment qu’il ne s’agit là
que d’une stratégie européenne visant à amener le Nigeria à adoucir sa position à
l’égard des négociations de l’APE. Toutefois, on pourrait aussi interpréter cette
démarche européenne comme une tentative tardive pour conclure des transactions
juteuses que la Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie et d’autres économies émergeantes
ont pu conclure au cours de ces dernières années avec des pays africains stratégiques, à
partir de l’Algérie au nord jusqu’en Afrique du Sud au sud du continent.
‘Bien qu’il comprenne le cas de la Côte d’Ivoire et du Ghana en particulier, le Nigeria
estime toujours qu’approuver les APE qui ne favorisent pas le développement
hypothèquerait plutôt l’intérêt économique régional de l’Afrique de l’Ouest. Pour moi,
en tant que Nigérian, en ce qui concerne l’intégration régionale ouest-africaine, la seule
autre solution face à la position tenace du Nigeria serait de ne pas du tout conclure un
APE’, a dit Okaoha
‘Quels que soient les dégâts qui ont été causés à l’intégration régionale ouest-africaine
par ces accords bilatéraux individuels pourraient être remédiés par la signature d’un
APE entre la région ouest-africaine et l’Union européenne, accord qui favoriserait le
développement.
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Kwasi W. Obeng est Rédacteur Adjoint, African Agenda.
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