iv Jean-Jacques Szczeciniarz
déployées devant nous. Nous nous adresserons successivement à ces
trois personnages.
Aux philosophes. Il est impossible de nier le lien qui existe entre philo-
sophie et mathématiques, lien d’une nature extrêmement complexe. Ce
que ne fait pas la philosophie — au stade de son histoire — et ce qui
n’est pas en son pouvoir ni de son ressort : elle ne résout pas de ques-
tions mathématiques. Elle ne peut que décrire et amplifier les modes
d’ouverture théorique à cette singulière et pourtant universelle forme de
pensée que sont les mathématiques. Elle ne peut que reproduire sur son
propre terrain de déploiement la réflexivité qui caractérise le travail ma-
thématique en profondeur. Elle produit donc un autre type de réflexion
et de réflexivité. En aucun cas comme philosophie elle ne peut recourir
aux arguments d’autorité des résultats produits par les mathématiques.
En revanche, le type de réflexion et de réflexivité que les mathéma-
tiques produisent est en mesure de permettre, et par ressemblance et par
différence, la problématisation philosophique. La divergence se mani-
feste là où la réflexivité philosophique se replie sur elle-même et sur son
questionnement, en interrogeant par exemple, la nature des types d’êtres
qu’elle se voit constituer, pour rejoindre de façon particulière le corpus
philosophique de questionnements classiques qu’elle renouvelle.
De ce point de vue, Riemann (et c’est aussi le cas de Lie), se situe
bien en deçà, et au-delà en même temps, des philosophies mathéma-
tiques qui se sont développées et opposées au début du 20ème siècle :
le logicisme, l’intuitionnisme et le formalisme. Par delà les fossilisa-
tions aseptisantes auxquelles elles ont donné lieu, elles présentaient
elles aussi dans la virtualité de leurs déploiements et dans les dévelop-
pements de leurs premiers tenants un authentique questionnement phi-
losophique. Entendons-nous bien : une théorie des modèles ou même
une forme de logique peut avec intérêt pour le mathématicien et pour
le philosophe reproduire des résultats mathématiques sur les groupes
de transformations en ouvrant des développements dans le cadre de la
théorie des langages formels par exemple, cela ne ferait qu’un élément
de plus à prendre en compte pour le philosophe dans sa réflexion.
Il est impossible de nier également le sentiment de malaise dans le-
quel la philosophie dite des mathématiques met le mathématicien. Dans
la majorité des cas, il ne reconnaît rien, ni de sa pratique ni de sa théo-
rie : les philosophes parlent de loin, dans le suave mari magno d’une
extériorité rassurante, de mathématiques qui ne sont que rarement dif-
ficiles, et même quand c’est le cas, le problème de déployer l’ouver-
ture qui fait la profondeur de la difficulté n’est pas même abordé. Or la