Quand le théâtre se rend conte

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SERVICE ÉDUCATIF DE LA SCENE NATIONALE DE CHÂLONS EN CHAMPAGNE
DOSSIER PÉDAGOGIQUE A DESTINATION DES ENSEIGNANTS
Quand le théâtre se rend conte
Eléments autour du cycle "contes"
La Comète – Service Éducatif
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Dossier Pédagogique
Sommaire
p. 03 – À voir dans ce cycle
p. 04 – LE GOLEM
p. 05 – LE ROI NU
p. 06 – LE PROJET ANDERSEN
p. 07 – LA JEUNE FILLE, LE DIABLE ET LE MOULIN
L’EAU DE LA VIE
p.08 – LE NOM SUR LE BOUT DE LA LANGUE
p. 09 – Conte et théâtralité par Pascal Vey
1. La rencontre
2. La violence et ses illustrations
p.11
3. Une question de genre
p. 12 - Pour aller plus loin…
4. Les personnages.
p. 14 5. Le merveilleux est loin de l’être
p. 15 6.Conclusions provisoires.
p. 16 7. Analyse structuraliste du conte.
p. 18
Morphologie du conte
p. 24
Tableaux simplifiés
p. 27 - Bibliographie
Conception et réalisation :
Joséfa Gallardo
Nadia Hmouche
Pascal Vey
Service éducatif de la Comète, Scène Nationale de Châlons en Champagne
La Comète – Service Éducatif
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Dossier Pédagogique
A voir dans ce cycle
Le Golem
De Paul Wegener
Le Projet Andersen
De Robert Lepage
Le roi nu
De Evguéni Schwartz
L’eau de la vie
La jeune fille, le diable et le moulin
D’Olivier Py
Le nom sur le bout de la langue
De Pascal Quignard
La Comète – Service Éducatif
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Dossier Pédagogique
Les données du Spectacle
LE GOLEM
CINÉ-CONCERT
Réalisation : Paul Wegener – 1920
Film muet N&B
Accompagnement musical: Ami Flammer, violon
Mardi 18 octobre – 20h30
En 1915, Gustav Meyrink, grand maître de
la littérature fantastique, exhuma la légende
du Golem, métaphore de la destruction de
l’ancien quartier juif de Prague au XVIe
siècle .Le Grand rabbin et astrologue Loew
est inquiet pour l'avenir de sa communauté.
Il façonne un colosse d'argile, le Golem,
auquel il donne la vie par magie en
inscrivant sur son front EMETH (« vérité »
en hébreu). Supprimer le E suffisait à faire
disparaître le Golem (METH : « mort » en
hébreu).
Mais la créature, concurrente de l’œuvre de
Dieu, devient vite maléfique, provoque les
pires catastrophes et son créateur en l’anéantissant meurt étouffé par sa masse. Véritable
rareté du cinéma fantastique allemand, ce film adapte la célèbre légende qui inspira le livre de
Meyrink. Par la grâce des lignes mélodiques et de l’étendue du registre propre au violon, Ami
Flammer insuffle à son tour une nouvelle vie au Golem ; loin de la musique d’ambiance
propre au genre du cinéma-concert à l’ancienne, il improvise, en totale immersion dans
l’image, donnant aux personnages une incroyable présence.
La Comète – Service Éducatif
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LE ROI NU
D’Evguéni Schwartz
dans une nouvelle traduction d’André Markowicz
Mise en scène : Laurent Pelly
Jeudi 20 et vendredi 21 octobre – 20h30
Henriette, princesse ingénue, tombe amoureuse d’un porcher débrouillard nommé Henri. Le
roi, son père, l’a promise au souverain du pays voisin, un despote aussi bête que méchant.
Heureusement, le porcher et son compère se déguisent en tisserands pour proposer au roi une
étoffe merveilleuse, invisible aux yeux des imbéciles et des traîtres.
Inspiré de trois contes de Grimm (Le garçon porcher, La princesse au petit pois, et Le
costume neuf de l’empereur) Le roi nu, d’Evguéni Schwartz emprunte aux fables une
singulière aventure, celle d’un peuple qui s’interroge face au ridicule de son roi pour
finalement prendre son destin en main. Ce qui lui valut la censure stalinienne !
Laurent Pelly traite la pièce avec la rigueur et le rythme sans faille d’une partition de musique.
Il n’est pas un tableau, pas un dialogue qui ne dévoilent une surprise, des allusions emboîtées
comme des poupées russes.
Dans un décor ingénieux
plein de chausse-trappes,
entre surréalisme, musichall et cabaret, l’absurde et
le burlesque sont rois. Fête
des yeux et de l’esprit, Le
roi nu est un spectacle
enchanteur pour toute la
famille.
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LE PROJET D’ANDERSEN
De Robert Lepage
Vendredi 18 samedi 19 novembre – 20h30
Les œuvres du metteur en scène québécois Robert Lepage sont internationalement saluées
comme les plus inventives et le plus poétiques de notre temps.
Ses spectacles visionnaires bouleversent les codes de la mise en scène par l’utilisation de
nouvelles technologies.
Le projet Andersen est une féerie moderne.
Répondant à une commande de l’Opéra Garnier,
un auteur québécois s’installe à Paris afin de créer
le livret d’une œuvre lyrique pour enfants tirée
d’un récit d’Andersen. Son séjour provoque de
surprenantes rencontres, avec le directeur de
l’Opéra, un jeune concierge maghrébin passionné
de graffitis, et enfin un chien qui semble être le
guide du récit.
Robert Lepage a choisi de s’intéresser aux aspects
les moins connus d’Andersen. A tout ce qui, sans
voyeurisme mais avec humour sans détour permet
de comprendre l’œuvre dans toute sa complexité
et sa beauté farouche, bien au-delà de l’imagerie
enfantine.
Une plongée fantasmagorique dans l’intime qui
nous dévoile l’extrême lucidité d’Andersen sur le
genre humain.
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LA JEUNE FILLE, LE DIABLE ET LE MOULIN
L’EAU DE LA VIE
D’Olivier Py
D’après les Contes de Grimm
Les 2 et 3 mars – 14h30 et 20h30
Si les contes de Grimm nous fascinent encore incroyablement, c’est sans doute parce que,
dans les décors convenus du merveilleux, ils murmurent des vérités inébranlables. Le désir, la
guerre, la mort, l’absence de Dieu, la soif de connaissance, la beauté y sont interrogés le plus
simplement du monde.
Les enfants ont sans doute confiance en cette étrange poésie qui ose leur dire ce qu’ils n’osent
demander.
La puissance de la convention, les péripéties spirituelles des héros, l’enjeu vital des combats
en font aussi une parfaite initiation au mystère théâtral.
Ces deux contes de Grimm sont joués en alternance par la même équipe de comédiensmusiciens et avec les mêmes armes.
La Jeune Fille, le diable et le moulin
Cette histoire inquiétante s’ouvre dans le lieu de l’obscur
et du refoulé : la forêt.
Le père y converse avec un homme (dont il ne sait pas
encore qu’il est le Diable) sur les misères de la condition
humaine. L’inconnu lui propose un pari stupide. Il
obtiendra tout de la Fortune s’il promet de lui donner
dans trois ans ce qui se trouve aujourd’hui derrière son
moulin.
« Qu’y a-t- il derrière mon moulin si ce n’est un vieux
pommier ? ». Il accepte ; les choses s’engagent en dépit
d’un terrible pressentiment. En effet, à l’heure du pacte,
sa jeune fille lavait le linge derrière le moulin. Tout
s’accomplit, la richesse avec le désarroi.
Trois ans plus tard, le Diable vient réclamer son dû. Le
père doit couper les mains de sa fille dont la pureté
éloigne le Malin, et voilà la malheureuse errant à travers
champs, mutilée, dans le début de l’hiver...
L'Eau de la vie
Il était une fois un roi très malade et personne ne pensait qu'il puisse s'en sortir vivant. Le roi
avait trois fils et ils se mirent tous les trois en quête du seul remède qui pouvait sauver leur
père : l'eau de la vie. Seul le cadet avait le cœur pur et voulait sincèrement sauver son père.
Mais les deux autres ne désiraient que s'attirer les faveurs de leur géniteur pour hériter du
royaume. Avancer les yeux bandés, dompter un lion redoutable, survivre au naufrage, déjouer
la calomnie, autant d'ordalies pour une seule arme : la confiance. Croire que tout est bien
même lorsque la fortune semble jouer contre vous, telle est la grande force de notre héros. Car
ce cœur pur n'a pas seulement contre lui ses deux frères, l'un ambitieux et l'autre calculateur,
il a contre lui toute la malignité de la nature, tout le découragement propre à la condition
humaine et pour finir toute la cruauté d'un monde désenchanté.
La Comète – Service Éducatif
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LE NOM SUR LE BOUT DE LA LANGUE
De Pascal Quignard
Mise en scène : Marie Vialle
Les 16, 17, 18 et 19 mai – 20h30
Trois contes de Pascal Quignard : Fête des chants du marais, Paradis, Le nom sur le bout de
la langue. Musiques : Sarabande de la 5e suite de Bach, Le Chant des oiseaux adapté par
Pablo Casals.
"J’admire le travail de Marie Vialle. J’ai associé trois contes pour elle. Ces trois contes n’en
forment à vrai dire qu’un seul puisqu’ils concernent tous les trois l’origine de la voix.
Dans la Fête des Chants du Marais la mue fait perdre au jeune garçon la voix. L’arrivée de
la sexualité chez tous les garçons est mêlée de voix perdue et d’un terrible dépit. À jamais un
monde avant nous, perdu en nous, chante en nous.
Le deuxième conte, Paradis, est consacré au coït et au cri qui le trahit. Comme nous sommes
tous les fruits de la volupté sexuelle, cette joie crie dans chaque corps.
Dans le conte du nom sur le bout de la langue enfin le nom propre se perd dans l’effroi.
Comme dans la mort. Nous ne sommes pas une espèce qui « possède » le langage. Nous
l’acquérons tant bien que mal à partir de l’âge de dix-huit mois jusqu’à l’âge de sept ans.
Nous le perdons dans l’angoisse et plus encore en vieillissant. Le langage ne nous définit
pas : il défaille en nous."
Pascal Quignard
"Quand j’ai lu Le nom sur le bout de la langue,
je m’y suis crue. être sans cesse à la recherche
de quelque chose d’impalpable et de perdu.
Retenir indéfiniment les mots et les oublier sans
cesse. Se sentir nue et fragile. Affronter une
immense vague de peur qui vient se briser sur
moi et dans le même temps m’enrouler autour.
C’est avec ces questions que je rentre dans les
histoires de Pascal Quignard. Je veux être au
plus près du dénuement et du silence. Partir de
presque rien : un tabouret, mon violoncelle et la
lumière. Je joue du violoncelle, je joue la
comédie, je joue tout court, je suis heureuse, j’ai
raccroché les wagons. Mon violoncelle
m’entraîne dans un autre monde auquel je n’ai
pas accès avec des mots."
Marie Vialle
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Dossier Pédagogique
Conte et théâtralité
Synthèse réalisée par Pascal Vey
"Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en
résulte un état de déséquilibre ; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli ;
le second équilibre est bien semblable au premier, mais les deux ne sont jamais identiques. Il y a par
conséquent deux types d'épisodes dans un récit : ceux qui décrivent un état (d'équilibre ou de
déséquilibre) et ceux qui décrivent le passage d'un état à l'autre."
Tzvetan Todorov
1. La rencontre.
On voit assez bien pourquoi le conte et le théâtre se sont rencontrés aussi fructueusement. On
se dit que le monde merveilleux souvent à l’œuvre dans le récit du conte trouve dans les
conventions de la représentation théâtrale un équivalent assez fidèle pour permettre la
transposition commode du conte en spectacle vivant.
Mais, à y regarder de plus près, les processus qui interviennent dans ce cadre si délicat de
l’adaptation sont si complexes que l’on peut craindre de conclure bien hâtivement et de passer
à côté de l’essentiel. Le cycle « conte » de la saison 2005-2006 de la Scène Nationale de
Châlons nous invite à prendre le temps de la déclinaison et de l’approfondissement. Il faut
donc y regarder de plus près.
Le conte merveilleux a ceci de remarquable qu’il se présente comme un pacte de lecture
radical où le lecteur, qu’il soit enfant ou adulte ne changeant rien à l’affaire, doit pour pouvoir
« entrer » dans l’histoire, accepter d’emblée des repères radicalement différents de ceux du
monde réel ou du moins réaliste auquel la littérature fait très fréquemment écho.
Ainsi, un conte merveilleux nous abstrait d’un monde dans lequel nous nous reconnaissons
une place pour nous plonger dans un autre espace-temps aux règles inédites, profondément
étranges. A la différence du conte fantastique, le conte merveilleux va faire de cette étrangeté
une norme dans laquelle le lecteur va entrer très vite, sans renâcler ou s’étonner. Au contraire,
le monde merveilleux nécessite un accord plein et entier, quasi- immédiat, du lecteur… sans
quoi, il n’accroche pas, se désintéresse d’une histoire invraisemblable, sans queue ni tête.
Récemment, le regard dubitatif et hostile de quelques adultes sur le Seigneur des Anneaux 1
dit bien la limite de leur capacité à admettre d’autre références, un autre univers aux règles
différentes, à l’étrangeté manifeste devenue tout à coup norme par la force immédiate de
l’image cinématographique. Alors que le succès planétaire et quasi unanime d’Harry Potter
révèle quant à lui une capacité d’absorption plus grande. Pourquoi ? Parce le jeune Harry
Potter vit autant dans un monde merveilleux que dans le nôtre dont il s’échappe au plus vite,
certes, comme Alice avant d’entrer dans le Pays des Merveilles ou Cendrillon avant de
rencontrer une marraine-fée et un prince charmant.
On le voit bien, le merveilleux fonctionne d’autant mieux qu’il établit une barrière entre
normalité et merveilleux, barrière signalée pour mieux être transgressée et ainsi pouvoir
s’affranchir des règles de notre monde afin de vivre dans un ailleurs qui ressemble, malgré ses
dangers, à une fuite radicale.
Les lecteurs ou spectateurs hostiles à l’heroïc fantasy de Tolkien le sont aussi souvent à la
Science-Fiction (et pas à l’Anticipation beaucoup plus facilement acceptée) car aucune
1
J.R.R. Tolkien.
La Comète – Service Éducatif
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transition n’est ména gée, aucun « sas » ne permet une plongée jubilatoire dans un ailleurs en
claire rupture avec le monde « normal ».
Le théâtre et son rituel de la représentation, l’entrée dans la salle, la présence du public dans
lequel on se fond petit à petit, ménage à sa manière cette transition. Les traditionnels trois
coups, le lever du rideau, la lente mise au noir de la salle sont autant de signes avant-coureurs
qui conditionnent l’entrée du spectateur dans le monde conventionnellement autre de l’espace
scénique. Tous ces signes dramatiques sonnent comme autant de variantes de l’incipit du
conte merveilleux : « Il était une fois » qui signale l’entrée dans un autre univers où l’on se
doit d’abolir nos références pour tout accepter.
Jusqu'ici, on sent bien la similarité des processus, on perçoit bien l’analogie qui a conduit les
contes à passer plutôt aisément au théâtre.
2. La violence et ses illustrations.
D’un point de vue structurel, on sait depuis le travail de Propp et de Todorov que le conte
obéit à une structure normalisée forte, qui se présente comme une structure complexe (voir
tableau annexe) où la narration, qui passe, quoiqu’il en soit, par des étapes repérables et
identifiées, classifiées même par Propp, se fraye un chemin original dans une arborescence de
possibles très nombreux.
Ce schéma narratif, dont on sait bien qu’il n’est qu’une grille de référence permettant d’établir
des écarts signifiants et non pas un carcan contraignant, a montré assez son efficience
pédagogique lorsqu’on le simplifie en quelques étapes-clés (voir tableau annexe) pour le
recommander chaudement au collège comme au lycée.
Son utilisation permet de donner à la lecture du conte une distance analytique qui révèle
d’autant mieux, après une première lecture au 1er degré, l’efficacité du conte merveilleux pour
gagner l’empathie du lecteur, pour faire naître ces processus d’identification où, comme chez
Andersen2, on pleurera sur la mort d’un morceau de plomb et d’un bout de papier,
soudainement érigés par la magie du pacte de lecture propre au merveilleux, en Roméo et
Juliette de la malle aux jouets.
Dès que l’on prend la peine de remplir les cases de ces schémas, loin de caricaturer le conte et
sa trame narrative, on voit surgir un monde jonché d’embûches, d’épreuves cruelles, de
personnages méchants, un monde de noirceur infinie, violent où, pêle- mêle, on notera
moquerie, anthropophagie, harcèlement, humiliation, impudeur, meurtres, suicides comme
autant de péripéties ramassées en quelques pages. Une telle violence, aux limites - parfois
dépassées - de l’acceptable si on la projette dans notre réalité, où elle deviendrait glauque,
viciée, intolérable, reste pourtant, à l’analyse, le moteur de l’intérêt du conte, ce qui fait que le
pacte de lecture tient, que l’on, pleure à la fin, que l’empathie tient bon. Lire à haute voix tel
conte d’Andersen ou de Grimm et recueillir juste après les réactions des adultes et des enfants
présents conduit presque toujours à une empathie innocente et naïve très respectable puis au
rire gêné lorsqu’on la pointe du doigt. Qu’est-ce à dire ? Sans doute qu’entrer dans l’ailleurs
du conte, qu’accepter le pacte merveilleux est un moyen de s’apitoyer cathartiquement sur des
tabous sociaux, de s’en débarrasser donc, et à bon compte, puisque la clôture des contes vaut
bien l’incipit : « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » qui expédie en une
phrase un bonheur très normal et donc sans intérêt. Aucun doute, le conte n’est pas un outil à
peindre en rose ou bleu le réel mais au contraire à en exhiber – mais dans une autre dimension
– la dure noirceur, l’infinie violence, la toujours imaginative cruauté à produire du malheur.
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L’intrépide soldat de plomb.
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3. Une question de genres.
Le théâtre, qui depuis les origines les plus anciennes, s’appuie sur les mythes héroïques et les
célébrations dionysiaques les plus transgressives, s’évertue à resserrer les liens d’une polis à
normaliser et moraliser pour la rendre pérenne, ne pouvait longtemps passer à côté d’un
corpus aussi dense et aussi proche de ses préoccupations originelles.
Certes, le théâtre est allé puiser, au 17ème siècle et pour ce qui concerne la tragédie,
directement aux sources fondamentales des mythes grecs ou romains, voire chrétiens et
n’avait donc pas besoin de puiser dans le corpus des contes qui pourtant se développait déjà
avec force et succès. Cela avait occasionné une forme d’écriture tragique très stricte, à la
noble hauteur des sujets traités. La comédie se permet – elle ! - d’être plus licencieuse du fait
de la trivialité des sujets traités.
Néanmoins, Perrault (1628-1703), les frères Grimm (1785/1786 – 1859/1863), deux tout
petits siècles plus tard, mais aussi La Fontaine ont tous décliné à leur manière cette définition
du Dictionnaire de l’Académie Française de 1694 selon laquelle le conte est une « narration,
[un] récit de quelque adventure, soit vraye, soit fabuleuse, soit sérieuse, soit plaisante. Il est
plus ordinaire pour les fabuleuses et les plaisantes.[…] Le vulgaire appelle, conte au vieux
loup. conte de vieille. conte de ma mère l’oye. conte de la cigogne, à la cigogne. conte de
peau d’asne. conte à dormir debout. conte jaune, bleu, violet. conte borgne, Des fables
ridicules telles que sont celles dont les vieilles gens entretiennent et amusent les enfants.[…]
On appelle encore, contes, Tous les entretiens et discours impertinents et desraisonnables ».
Ils avaient tous en tous cas comme précepte de base d’écrire un texte foncièrement tourné vers
l’oralité. On trouve souvent chez les auteurs de conte des tournures familières, des répétitions,
des redondances, des éléments de parataxe, des libertés d’accord, de concordance, etc. qu’un
Vaugelas3 censeur et édificateur de la norme poétique condamnait vertement :
« Je ne parle point ici des fautes qui se commettent contre la pureté et la netteté du style. Ce
sont des choses toutes distinctes de ce qu’on appelle négligence. Il y en a de plusieurs sortes.
Voici celles que j’ai remarquées. La principale est quand on répète deux fois dans une même
page une même phrase sans qu’il soit nécessaire, car quand il est nécessaire, comme il arrive
quelquefois, tant s’en faut que ce soit une faute que c’en serait une de ne le faire pas, outre
que la nature des choses nécessaires est telle, comme a remarqué excellemment Cicéron,
qu’elles sont toujours accompagnées d’ornement. Mais quand il n’est pas besoin, c’est une
très grande négligence de répéter une phrase deux fois dans une même page et de dire deux
fois, par exemple, sans en pouvoir venir à bout. Que si la phrase est plus noble, la faute est
encore plus grande, parce qu’étant plus éclatante elle se fait mieux remarquer.
La seconde sorte de négligence c’est de répéter deux fois un même mot spécieux dans une
même page sans qu’il en soit besoin, car il faut toujours excepter cela. Si le mot est simple et
commun, il n’en faut pas faire scrupule, pour peu qu’il soit éloigné du premier ; pourvu
néanmoins qu’il ne commence pas deux périodes, car alors c’est une vraie négligence, comme
par exemple si l’on met deux fois cependant dans une même page, au commencement de deux
périodes. »
Mais le conte, en dehors de ces marques claires d’oralité qui favorisent la transposition
théâtrale, développe dans la construction des personnages une forme de symbolique qui les
rapproche fortement de figures proches de celles de la Commedia dell’arte.
En somme, dans le conte, l'action dramatique est communiquée par un récit qui repose sur une
structure archétypique : la structure fait sens par elle- même indépendamment de tel ou tel
acteur. ("Sémantique structurale" de Greimas )
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Des négligences dans le style
La Comète – Service Éducatif
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Dossier Pédagogique
Pour aller plus loin…
4. Les personnages.
Ici, les personnages se réduisent à leur fonction dramatique c'est-à-dire que leur existence ne
déborde pas leur utilité pour l'avancée de l’intrigue ; cette réduction du personnage à sa valeur
d'action (Greimas la nomme "actant") donne au conte une facture d'apparence simple, très
rentable du point de vue de la pédagogie du récit.
En cela, on le voit bien, le personnage du conte et le personnage théâtral partagent beaucoup
de similitudes.
Le phénomène de reproduction d’élé ments physiques sur des personnages est courant dans les
contes : il s’agit de participation au merveilleux, d’éléments qui rendent les personnages hors
du commun, irréalistes, « magiques » même. Il peut s’agir d’évoquer des éléments cosmiques
(ciel, astres…), climatiques (pluie, soleil…), végétaux (fleurs, arbres…), ou encore divers
matériaux qui peuvent, par leur présence insistante devenir des éléments caractéristiques,
essentiels pour le personnage, voire un moyen de dénomination et de « réalisation » de
l’animé à travers ces éléments inanimés. En cela les personnages de conte peuvent tirer leur
forme vers celle des caractères théâtraux dont la dimension archétypale est plus prégnante
qu’une prétendue profondeur psychologique à laquelle un psychologisme de bas étage tente
parfois de faire croire.
Dans le conte, les quatre premières possibilités (cosmiques, climatiques, animales, végétales)
sont évoquées généralement de manière très poétique et participent toutes d’un style précieux,
fleuri même : elles se trouvent, en effet, toutes dans les contes en vers de Perrault, qui est
encore très influencé par la préciosité à cette époque, ainsi que dans ceux de Mme d’Aulnoy,
dont le style est toujours assez affecté, à l’image de toutes les conteuses de la fin du XVIIème
siècle et ce jusqu’au début du XVIIIème siècle. On retrouve cette tendance dans nombre
d’œuvres baroques du théâtre européen comme chez Shakespeare, Calderon et même
Corneille en France. Cependant, la cinquième possibilité (les éléments divers, plus courants,
du quotidien en général), renvoie véritablement cette fois à l’univers du conte traditionnel, de
transmission orale. Ils sont en effet concentrés dans quelques contes, souvent repris par
Perrault, par exemple, au folklore. Il s’agit chez la plupart d’entre eux d’une correspondance
matériel / humain à valeur morale comme aussi dans l’ensemble des contes qui cherchent à
démontrer que la beauté morale, la vertu et l’intelligence n’ont rien à voir avec la beauté
physique. La monstruosité physique ou morale des personnages du théâtre européen du 17ème
siècle est en cela un biais de rapprochement passionnant.
Dans la majorité des contes, c’est un élément matériel (vestimentaire, physique, un objet
fréquemment utilisé…) qui donne son nom au personnage ; c’est aussi parfois l’entourage le
plus souvent hostile ou démuni, qui dénomme ce personnage par un surnom. On est ici tout
près des personnages de théâtre de Molière, des pantomimes propres au théâtre italien comme
à ses origines grecques antiques. Cependant, au théâtre, ce sera plutôt la figure morale qui
dénommera le personnage qui restera néanmoins un type. Par exemple, dans Le petit Poucet,
c’est un caractère du physique général qui crée le nom : « il n’était guère plus gros que le
pouce, ce qui fit qu’on l’appela le petit Poucet ».
La Comète – Service Éducatif
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Dans Cendrillon, avec les expressions « s’asseoir dans les cendres », « on l’appelait (…)
Cucendron », « la cadette (…) l’appelait Cendrillon », nous constatons que c’est l’objet
caractéristique de l’endroit habituel où se tient la jeune fille qui lui donne son nom, sa
dénomination par et pour autrui. Le conteur la nomme toujours Cendrillon, mais dans la
bouche de ses sœurs (dans un dialogue au discours direct) c’est le nom de « Cucendron » qui
est utilisé, révélant qu’il s’agit du véritable nom usité entre les personnages et que l’auteur
cherche à adoucir le mépris lié au nom plus négatif, ou bien à se conformer à l’esprit des
salons où le vulgaire est proscrit. La sœur la plus malhonnête traite l’héroïne de Cucendron.
Comme Michel Serres l’a proposé facétieusement, Cendrillon serait « un immense jeu de
mots » 4 : les termes latins désignant les lieux où se
tient Cendrillon, les tâches qu’elle accomplit dans
la maison, les objets magiques utilisés par sa
marraine comportent tous la même syllabe « cu »
de Cucendron. Voici ce qu’il nous dit dans son
article :
Cendrillon est un premier surnom, donné par la
cadette des demi-sœurs à une demoiselle qui
demeure anonyme pendant tout le récit ; l’aînée,
fort malhonnête, l’appelait, révérence parler,
Cucendron, pour ce que, sa tâche finie, elle avait
accoutumé de s’asseoir au coin de l’âtre.
Cucendron est le sobriquet du sobriquet,
l’ignominie de l’ignominie (…). Le transport va du
surnom au surnom, pour qui n’a point de nom, du
sobriquet local au sobriquet postural. Méchantes
langues, mauvaises fées, les deux sœurs acculent la
belle à la crémaillère, et l’affublent du toponyme.
L’appellation consacre la métamorphose ; mieux,
sans doute, elle la produit. La baguette désigne, le mot magique nomme, d’où la
transmutation. Cendrillon est humiliée, ravalée, jusqu’à terre ; ceci, dans l’acte et la
nomination : ainsi je t’appelle, ainsi tu es. Or, je te réduis, par métonymie, au bas quartier de
la maison et du corps : tu deviens les deux, indistinctement. Accroupie dans l’excrément.
Métamorphose : métaphore ou métonymie (…). Et si la métamorphose n’était que jeu de
mots, calembour, à peu près phonétique ?(…) Cendrillon, Cucendron, c’est la clef de
l’anamorphose. Parti de là, souffrez que le latin me serve de cache-misère, de modestie, non,
plutôt de révélateur (…). Que fait la belle ainsi nommée ? Elle nettoie la vaisselle - cucuma,
cucumella, cucumula - ; frotte les montées – cochlea ou cuchlea - , les chambres de ces
dames – cubiculum, cubare, cubile, cubitus - ; leur sert de valet – cubicularius - ; couche tout
au haut des étages – cenaculum est une pièce où l’on accède par une montée - , dans un
réduit sans miroir – speculum - : et sachez que la grande Javotte en a un si long qu’on s’y
peut voir des pieds jusqu’à la tête. Reste à la pauvrette la cheminée, l’âtre, le foyer – focus -.
D’or est tout ce que touche le roi Midas. Le mot envahit les choses.
Il faut se délivrer de ce premier enchantement. Partir de ses prémisses, de la forme banale où
le monde est saisi. Exeunt (au bal) les mauvaises langues, survient la bonne marraine, qui
reprend l’affaire où elle fut laissée. Prenez une citrouille – cucurbita, hélas ! – pratiquez-y un
trou, on ne commande à la nature qu’en lui obéissant, et voici un carrosse – currus -,
véhicule à courir – cucurri, de curro – ou à prendre la fuite – curriculum -, l’heure brève
Michel Serres, Les métaphores de la cendre ou l’introduction à la féerie expérimentale, Critique, Novembre
1967, n°246.
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La Comète – Service Éducatif
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passée. Courez au bal, belle humiliée, dansez maintenant, c’est la fête, et prenez un galant –
cuculus – comme vos sœurs. Elles en trouveront, les cupides envieuses, mais vous aurez le fils
du roi: souillon, vous devenez princesse des princesses… Et le prince vous offre oranges et
citrons, des pommes d’or, chacun le sait – citrium, c’est concombre, comme cucurbita, et
citrouille ignoble devient pomme d’amour. Prenez garde, pourtant ! Revenez sur le minuit, au
premier cri du coq – cucurrio -, où le rêve passe : vous n’avez pas encore tout à fait quitté la
cendre, la terre et la prosternation.
Premier bilan qui varie, comme on voit, sur le thème qu’on sait. Bel attachement au deuxième
stade : assis dans la crotte, on ne s’en lève pas si vite.(…)Approchez, je vous prie, la
souricière – mustricula - ; l’expérience va requérir quelque virtuosité supérieure, une
baguette – culticula ? – plus savante.(…) Donnons fouette cocher, le carrosse s’ébranle.
Pardon, il y manque des chevaux ; non, ils piaffent déjà, délivrés écumant de la souricière :
mus-culus, ou mus-equus, voyez combien vos sœurs m’y ont aidé. Voyez encor comme ils sont
gris – cinereus - : leur robe même est votre nom, si leur nature est l’autre nom. La ratière est
vide ? Que non pas ! Elle reste laqueus, le bel à-peu-près pour laquais – mais laqueus veut
dire lambrissé, parqueté, cela vous fera souvenir des chambres de vos sœurs, où vous fûtes
laissée. Elle reste pedica, et vous savez bien que laquais, c’est pedisecus : vous devinez ici ce
que je cache, et ce qui reste d’ignominie.(…)
Cendrillon, c’est un mot, un immense jeu sur un mot. Les objets s’y regroupent avec une
cohérence quasi mathématique, forment un réseau où circule un son unitaire. La variation
française est, à son tour, une variation modulant sur un thème « à condition de voir qu’elle
est un thème ».
La thèse n’est pas invraisemblable. Non seulement Perrault était excellent latiniste et amateur
de plaisanteries grasses, comme en témoigne L’Énéide burlesque qu’il composa dans sa
jeunesse avec son frère Claude ; le « jeu » parfois grivois, avec les contes traditionnels est un
élément essentiel de ses Contes. Mais de plus, Perrault rejoindrait là, sans le savoir, une
certaine tradition orale puisque les contes grecs surnomment souvent l’héroïne Athopouta,
Athopoutaki, Stathopouta, « fille », »putain », « sexe des cendres », Achilopoutoura, « vagin
des cendres ». Cendrillon donc s’ident ifierait à sa mère morte, de qui elle tient toutes ses
vertus puisqu’elle reste attachée au foyer de son père et que son sexe est souillé de cendres,
« les cendres évoquant à la fois le deuil et l’ardeur étouffée ».
5. le meveilleux est loin de l'être.
Tous ces éléments finissent par établir avec efficacité que le conte n’est pas si près de
l’apparence angélique que lui a donné sa spécialisation tardive vers le public enfantin et son
appropriation par Walt Disney. Il a plus à faire avec une tragédie grecque, un drame bourgeois
à la Furetière ou une pièce élisabéthaine qu’avec une bluette enfantine.
Car, malgré tout cela, les personnages des contes ont une « pseudo- identité » comme tout
personnage pris dans une narration, que le récit fusse dramatique n’y changerait rien. Mais le
reflet de ces personnages est possible de manière presque «magique » dans les contes, à
travers des éléments matériels, et notamment grâce aux motifs des portraits et miroirs qui
répètent l’identité du personnage jusqu’à devenir presque une nouvelle entité indépendante.
Le regard d’autrui est aussi de ce point de vue extrêmement fort. Que l’on pense au regard
que l’on porte sur le Roi nu, au prince charmant et sa pantoufle de vair de Cendrillon qui sait
voir au-delà des apparences, etc. En effet, les portraits sont généralement à l’origine d’actions,
d’événements du conte par les sentiments qu’ils suscitent sur d’autres personnages : la
représentation picturale devient un alter ego du personnage représenté, et même peut devenir
autonome. Le miroir, quant à lui, crée une relation plus intime avec le personnage dédoublé,
puisque celui-ci « rencontre » son double. Ceci est particulièrement vrai dans la littérature
russe de conte, chez Schwartz ou Gogol en particulier.
La Comète – Service Éducatif
14
Ainsi les portraits interviennent en premier dans la narration et possèdent la même valeur que
les personnages eux- mêmes, et la même fonction dans l’action. Pensons à L’Illusion comique
par exemple où cela est particulièrement probant.
Le motif du miroir ou de la fenêtre ouverte sur un ailleurs mis en abyme présente une forte
symbolique. Il reflète la vérité, la sincérité, le contenu du cœur et de la conscience. Ce rôle est
souvent utilisé dans les contes initiatiques et dans le théâtre. La vérité révélée par la fenêtre
ouverte sur l’ailleurs peut évidemment être d’un ordre supérieur. Il est dès lors symbolique de
la sagesse et de la connaissance.
6. Conclusions provisoires.
Dans les contes que nous proposons au public, le motif du reflet, de la fenêtre ouvrant sur soi
comme sur le monde est un élément crucial qui permet le dédoublement des personnages. Il
s’agit dans les différents cas d’un révélateur du « moi profond », révélant la vanité, la vérité (à
travers le physique), ou la réalité horrifique, ou encore un reflet de l’époque (ainsi dans la
jeune fille, le diable et le moulin, dans Le Roi nu).
Ainsi le portrait, la quête de l’apparence et le miroir sont les éléments matériels du
dédoublement possible des personnages de contes de fées. Ces derniers accèdent à la
reconnaissance de leur être à travers ces motifs, ou nous révèlent leur intérieur grâce au reflet
extérieur. Le théâtre est donc bien le vecteur idéal d’une approche moderne du conte, de son
infinie cruauté mise en images d’enfance, d’innocence particulièrement efficace dans le
processus initiatique et cathartique toujours présent dans le spectacle vivant.
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15
Dossier Pédagogique
L’analyse structuraliste du conte
Pour aller plus loin…
Wladimir Propp est un savant russe qui, en 1928, dans son ouvrage Morphologie du conte, fut
le premier à proposer une analyse scientifique des contes merveilleux. Sa méthode, dite
«structurale», est applicable, avec certains réajustements, à l’ensemble des contes du monde.
Le premier mérite de Propp est de récuser l’analyse et surtout la classification des
contes selon leur sujet (/thème) ou leurs personnages. Pour remplacer cette dernière, il met
en avant la notion de «fonction» qu’il définit comme suit : «Par fonction, nous entendons
l’action du personnage, définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de
l’intrigue». En cela il n’est pas loin d’une définition du personnage théâtral d’André
PETITJEAN : « Le personnage théâtral est une entité à double manifestation possible, sous
la forme d'un être « virtuel » à l'intérieur du texte dramatique et d'un être « concrétisé » au
moment de son incarnation scénique par le comédien. Le personnage de théâtre possède les
propriétés, intentionnelle, ontologique et anthropologique, inhérentes à toute fiction. »
Et Propp de montrer trois choses :
1. Les invariants des contes (= ce qui ne change pas) sont les fonctions.
2. Les variables (= ce qui change) sont les sujets (/thèmes) ou les personnages.
3. Les fonctions sont en nombre limité quels que soient les contes envisagés.
La notion de fonction est un acquis indéniable de la narratologie moderne. Ainsi Propp
identifie 31 fonctions dans les contes, celles-ci s’enchaînant entre elles du début à la fin. Deux
remarques toutefois : les contes ou l’on trouve la totalité de ces fonctions sont rares ; les 8
premières fonctions sont dites «facultatives». En fait, la plupart des contes commencent
directement avec la Fonction A telle qu’elle est définie par la méthode de Propp à savoir la
fonction MANQUE. Cette dernière semble être le moteur de la narration dans les contes car
c’est à partir d’elle que s’enclenche le récit.
On peut donner parmi, d’autres nombreux exemples de «Manque» la famine dans le pays, la
mort du père, l’insatisfaction existentielle du héros quant à sa situation etc…
Voici les principales fonctions suivantes :
? Fonction «Mandatement du héros» : quelqu’un demande au héros de trouver une
solution au manque, il le mandate. En cas de famine, c’est le père qui peut inciter son
fils aîné à partir à la chasse ou en cas de décès du père, c’est la mère qui peut
demander à son fils d’aller à la ville ou dans un autre pays pour gagner de l’argent.
? Fonction « Début de l’action réparatrice » : le héros prend sa décision, il se résout,
par exemple, à partir.
? Fonction « Départ du héros » : le héros quitte le domicile familial.
? Fonction « Mise à l’épreuve du héros » : le héros rencontre un diable ou un géant sur
sa route.
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16
?
?
?
?
?
?
?
Fonction « Affrontement de l’épreuve » : le héros se bat avec son adversaire lequel
est appelé l’opposant dans la théorie de Propp.
Fonction « Réception de l’objet magique » : le héros reçoit, par exemple, une épée
magique ou un talisman des mains d’un personnage appelé adjuvant (= qui aide).
Fonction « Voyage du héros » : le héros fait un long périple, traverse de nombreux
pays.
Fonction « Combat du héros » : le héros affronte un nouvel opposant, cette fois-ci
son principal adversaire.
Fonction « Héros marqué » : le héros est «marqué» et s’empare d’une partie de son
adversaire (ses bras ou sa tête, par exemple).
Fonction « Victoire » : le héros terrasse son adversaire.
Fonction « Réparation du manque » : le héros regagne le domicile familial et répare
le manque initial. Par exemple, l’or qu’il ramène permet à sa famille de vivre à l’aise.
On trouve encore onze autres fonctions mais tout comme les 8 premières, elles sont
facultatives. Le noyau du conte fonctionne donc autour des 12 fonctions que l’on vient de
décrire. ON RETROUVE CES FONCTIONS DANS TOUS LES CONTES et l’on comprend
pourquoi Propp récuse la classification des contes par thème ou d’après les personnages. En
effet, ces fonctions sont valables quelles que soient le thème particulier du conte (histoire de
sorcier, histoire érotique, histoire humoristique etc…) et quels que soient les personnages (le
héros peut être un enfant, un homme, une jeune fille, un prince, un bandit etc…).
Nous vous donnons ci-dessous pour information la présentation exhaustive du système
structural (ou morphologie) du conte selon W. Propp. Ainsi que des schémas plus simples
beaucoup mieux adaptés à un usage pédagogique direct.
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17
MORPHOLOGIE DU CONTE
TABLEAUX DES ABRÉVIATIONS DE W. PROPP
Partie préparatoire
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
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?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
?
A
A1
A2
AII
A3
A4
A5
A6
A7
AVII
A8
A9
A10
A11
A12
A13
A14
Situation initiale
Eloignement des Parents
Mort des Parents
Eloignement des enfants
Interdiction
Ordre
Transgression de l’interdiction
Exécution de l’ordre
L’agresseur interroge le héros
Le héros interroge l’agresseur
Interrogation par une tierce personne, au autres cas semblables
L’agresseur reçoit l’information sur le héros
Le héros reçoit l’information sur l’agresseur
Autre cas
Tentatives de persuasion de l’agresseur avec l’intention de tromper sa victime
Utilisation de moyens magiques par l’agresseur
Autres formes de tromperie
Le héros réagit à la proposition de l’agresseur
Le héros se soumet mécaniquement à l’action magique
Le héros se soumet ou réagit mécaniquement à la tromperie de l’agresseur
Méfait préalable au cours du pacte trompeur
Méfait
Enlèvement d’un être humain
Enlèvement d’un auxiliaire ou d’un objet magique
Séparation forcée d’avec l’auxiliaire
Vol ou destruction des semences
Vol de la lumière du jour
Autres formes de vol
Mutilation, aveuglement
Disparition provoquée
Oubli de la fiancée
Information exigée ou extorquée ; la victime est emmenée
Expulsion
Abandon sur l’eau
Ensorcellement, transformation
Substitution
Ordre de tuer
Meurtre
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18
A15 Emprisonnement
A16 Menace de mariage forcé
AXV Menace de mariage forcé entre parents
I
A17 Cannibalisme ou menace de cannibalisme
AXV Cannibalisme ou menace de cannibalisme entre parents
II
A18 Vampirisme (maladie)
A19 Déclaration de guerre
0
A Formes liées à le chute d’Ivan poussé au fond d’un précipice (méfait de la seconde
séquence)
a
a1
a2
a3
a4
a5
a6
Manque
D’une fiancée, d’un être humain
D’un auxiliaire, d’un objet magique
D’une curiosité
De l’œuf à la mort (à l’amour)
D’argent, de nourriture
Sous d’autre formes
B
B1
B2
B3
B4
B5
B6
B7
Médiation, moment de liaison
Appel
Envoi du héros
Autorisation de partir donnée au héros
Annonce du méfait sous diverses formes
Le héros est emmené
Le héros épargne ou laisser partir un animal ou une personne
Chant plaintif
C
Début de l’opposition à l’agresseur
?
Départ du héros
D
D1
D2
D3
D4
0 4
D
D5
D6
d6
D7
Première fonction du donateur
Mise à l’épreuve
Salutation, questions
Demande de service à rendre après la mort
Un prisonnier demande qu’on le libère
La même chose, avec un emprisonnement préalable
Demande de grâce
Demande de partage entre personnages qui se disputent
Dispute sans demande de partage formulée
Autres demandes
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19
0
D7 La même chose, le demandeur étant mis préalablement dans une situation d’impuissance
d7 Le donateur est dans une situation d’impuissance mais ne formule aucune demande ;
possibilité de rendre un service
8
D
Tentative d’anéantir le héros
9
D
Bataille avec un donateur hostile
10
D
Proposition d’un objet magique en échange d’autre chose
E
E1
E2
E3
E4
E5
E6
EVI
E7
E8
E9
E10
Réaction du héros
Epreuve réussie
Réponse affable
Service rendu au mort
Libération du prisonnier
La grâce est accordée
Partage entre les querelleurs
Le héros trompe ceux qui se querellaient
Divers autres services rendus, demandes remplies, actions pieuses accomplies
La tentative de destruction est détournée, etc.
Victoire sur le donateur hostile
Tromperie au cours de l’échange
F
F1
f1
F2
F3
F4
F3 4
F5
F6
FVI
F7
F8
F9
f9
F6 9
Un objet magique est mis à la disposition du héros
L’objet est transmis
Don ayant une valeur matérielle
Le lieu où se trouve l’objet magique est indiqué
L’objet magique est fabriqué
Il se vend, s’achète
On le fabrique sur commande
Le héros le trouve
Il apparaît spontanément
Il sort de terre
L’objet magique se boit ou se mange
L’objet magique est volé par le héros
L’auxiliaire magique offre ses services, se met à la disposition du héros
La même chose sans formule d’appel (" le temps viendra où je serai utile ", etc.)
Rencontre de l’auxiliaire, qui propose ses services
G
G1
G2
G3
G4
G5
G6
Transfert jusqu’au lieu fixé
Vol dans les airs
Transport à cheval, portage
On conduit le héros
On lui indique le chemin
Le héros utilise des moyens de communication immobiles
Des traces sanglantes indiquent le chemin
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20
H
H1
H2
H3
H4
Combat contre le méchant
Combat en plein champ
Compétition
Jeu aux cartes
Pesée
I
I1
I2
I3
Marque imposée au héros
Marque imposée sur le corps
Don d’un anneau ou d’un mouchoir
Autres formes de marque
J
J1
0 2
J
Victoire sur l’agresseur
Victoire au cours du combat
Victoire sous une forme négative (le faux héros n’accepte pas le combat, il se cache, et
le héros remporte la victoire).
Victoire ou supériorité dans la compétition
Gain aux cartes
Supériorité pendant la pesée
L’agresseur est tué sans combat
Expulsion de l’agresseur
J2
J3
J4
J5
J6
K
K1
KI
K2
K3
K4
K5
K6
K7
K8
K9
KIX
K10
KF
Réparation du méfait ou du manque
Prise immédiate utilisant la force ou la ruse
La même chose, un personnage obligeant l’autre à effectuer la prise
La prise est effectuée par plusieurs auxiliaires à la fois
Prise de certains objets avec l’aide d’un appât.
La réparation du méfait est le résultat immédiat des actions précédentes
Le méfait est réparé instantanément grâce à l’utilisation de l’objet magique
Il est porté remède à la pauvreté grâce à l’utilisation de l’objet magique
Chasse
Rupture de l’ensorcellement
Résurrection
La même chose avec recherche préalable de l’eau vivante
Libération
Réparation sous une des formes de F, c’est à dire : KF1 – l’objet de la quête est transmis
; KF2 – l’endroit où se trouve l’objet de la quête est indiqué, etc.
?
Retour du héros
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21
Pr
Pr1
Pr2
Pr3
Pr4
Pr5
Pr6
Pr7
Le héros est poursuivi
Vol dans les airs
Le coupable doit être livré
Poursuite avec une série de transformations en divers animaux
Poursuite avec transformation en objets attrayants
Tentative d’avaler le héros
Tentative de supprimer le héros
Tentative d’abattre un arbre en en rongeant le tronc
Rs
Rs1
Rs2
Rs3
Rs4
Rs5
Rs6
Rs7
Rs8
Rs9
Rs10
Le héros est secouru
Fuite rapide
Le héros jette un peigne, etc.
Fuite avec transformation en église, etc.
Fuite au cours de laquelle le héros se cache
Le héros se cache chez des forgerons
Série de transformations en animaux, en plantes, et en pierres
Le héros résiste à la tentation des objets attrayants
Le héros échappe à la tentative de l’avaler
Le héros échappe à la tentative de le tuer
Saut sur un autre arbre
O
Arrivée incognito
L
Prétentions mensongères du faux héros
M
Tâche difficile
N
0
N
Accomplissement de la tâche
Accomplissement dans un délai fixé
Q
Reconnaissance du héros
Ex
le faux hé ros est démasqué
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22
T
T1
T2
T3
T4
Transfiguration
Nouvelle apparence corporelle
Construction d’un palais
Nouveaux vêtements
Formes humoristiques et rationalisées
U
Châtiment du faux héros ou de l’agresseur
W0 0
W0
W0
w1
w2
w3
Mariage et montée sur le trône
Mariage
Montée sur le trône
Promesse de mariage
Mariage renouvelé
Rétribution en argent (à la place de la main de la princesse) et autres formes
d’enrichissement au dénouement.
Y
Formes obscures ou empruntées
<
Séparation devant un poteau indicateur
S
Transmission d’un objet signalisateur
Mot. Motivations
§
Liaisons
Pos.
Résultat positif de la fonction
Nég. Résultat négatif de la fonction
Contr. Résultat opposé à la signification de la fonction
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23
Tableaux simplifiés en vue d’un usage pédagogique
Le Schéma narratif merveilleux
ÉTAT INITIAL
Caractérisé par une situation
d’emblée en rupture avec le
monde réel par l’intrusion du
PREMIÈRE FORCE
DE TRANSFORMATION
Voir schéma classique
INTRIGUE
Voir schéma classique : la
magie, le surnaturel y joue un
rôle accru.
SECONDE - ultime ! FORCE
DE
TRANSFORMATION
ÉTAT FINAL
Stabilité recouvrée ou nouvelle
Impression de clôture.
La Comète – Service Éducatif
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Le Schéma actantiel
DESTINATEUR
DESTINATAIRE
ADJUVANTS
HÉROS
OBJET
Quête du
héros
OPPOSANTS
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Le Schéma narratif classique.
ÉTAT INITIAL
Stabilité – Cadre spatio-temporel
–personnages centraux
PREMIÈRE FORCE
DE TRANSFORMATION
Déclenchement de l’intrigue par
un événement perturbateur fort
rompant
l’état
initial,
contraignant au mouvement
INTRIGUE
Déroulement des épisodes
(péripéties) selon la lo gique
événementielle ou par le biais
parfois de coups de théâtre.
Logique de quête du héros.
Épreuves initiatiques.
SECONDE - ultime ! - FORCE
DE TRANSFORMATION
Dénouement de l’intrigue par un
élément perturbateur décisif et
souvent inattendu
ÉTAT FINAL
Stabilité recouvrée ou nouvelle
Impression de clôture.
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26
Dossier Pédagogique
Bibliographie
On pourra se référer de manière profitable aux sites internet suivants :
http://www.chez.com/feeclochette/theorie.htm
http://www.cafe.umontreal.ca/genres/n-conte.html
Et aux ouvrages suivants :
Morphologie du conte de Vladimir Propp, Points SEUIL
Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim, Points SEUIL
Contes de Hans Christian Andersen, Régis Boyer
Introduction à la littérature fantastique de Tzvetan Todorov, Points SEUIL
Des dieux et des hommes : Étude de mythologie lithuanienne de Algirdas Julien Greimas,
PUF
Sémantique Structurale de Algirdas Julien Greimas, PUF
Sémiotique figurative et sémiotique plastique de A.-J. Greimas, PUF
Maupassant, la sémiotique du texte de Greimas, SEUIL
Contes des Mille et Une nuits (recueil de contes arabes).
G. F. Straparola (1480?-1557?, écrivain italien), les Facétieuses nuits.
Charles Perrault (1628-1703), Contes de ma mère l'Oye.
Hoffmann (1776-1822, écrivain allemand), Contes.
Charles Nodier (1780-1844), Contes.
J.& W. Grimm (1785-1863 pour Jacob et 1786-1859 pour Wilhelm, écrivains allemands), les
Contes.
Honoré de Balzac (1799-1850), Contes drolatiques.
H.C. Andersen (1805-1875, écrivain danois), Contes.
A.N. Afanassiev (???), Contes russes.
Alphonse Daudet (1840-1897), Contes du lundi.
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