L`Écriture sainte et l`Église catholique

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Le défi du fondamentalisme
au coeur des trois religions abrahamiques
PROF CLAUDIO MONGE
Université de Fribourg
Faculté de Théologie
SP. - AA. 2013-2014
L’Écriture sainte et l’Église catholique
Le renouveau biblique engagé difficilement depuis plus d’un demi-siècle avait déjà
reçu, en pleine seconde guerre mondiale, un appui décisif de Pie XII (encyclique Divino
Afflante Spiritu, 1943). Avec Dei Verbum (Parole de Dieu, désormais DV), il trouvait un
aboutissement. Dans les années qui suivirent, la recherche universitaire s’est
déployée, libérée des soupçons qui l’entravaient encore, la théologie de la Parole de
Dieu a été repensée, la pastorale biblique – de pair avec le renouveau liturgique –
encouragée. Nul doute que le dialogue œcuménique d’une part, le dialogue
judéo-chrétien de l’autre en ont beaucoup bénéficié.
Le texte en son contexte
En 1965, la relation du Magistère de l’Église catholique à la Sainte Écriture, surtout
quand il s'agissait de son interprétation, traversait des turbulences qui étaient loin
d’être terminées. Depuis le XVII e siècle, le texte biblique était soumis au feu roulant
des questions posées par l'histoire et la critique scientifique. Parmi les points
névralgiques : les sources et la rédaction du Pentateuque, l’historicité des évangiles,
l’inspiration des Écritures et leur inerrance (elles ne peuvent pas se tromper)…
Soucieux de maintenir le caractère sacré des Écritures, le Magistère soufflait le chaud
et le froid, alternant raidissements et signes d’ouverture. Signe d’ouverture fut
l’encyclique Divino Afflante Spiritu qui encourageait les exégètes catholiques à
s'engager dans la recherche scientifique. Son impact ne fut pas seulement
académique mais pastoral. Qu’il suffise ici de citer, dans l’ère francophone des années
cinquante, les efforts de la Ligue catholique pour l’Évangile et la naissance
des Cahiers Évangile – les fameux cahiers rouge – , la parution de la Bible “ Lienard ”
(1950) et bientôt celle de la Bible de Jérusalem (1955).
Les questions d'interprétation continuèrent néanmoins à faire l'objet de discussions et
de polémiques. Le débat fut particulièrement vif pendant la période qui s’étend de
janvier 1959 – date de l'annonce du Concile par Jean XXIII – à octobre 1962 – qui
correspond au moment de son ouverture officielle.
Ainsi, en 1961, avec l'approbation de la Commission Biblique Pontificale, le
Saint-Office (devenu en 1965 la “ Congrégation pour la Doctrine de la Foi ”) publia un
bref document intitulé De germana veritate historica et obiectiva S. Scripturae (La
vérité historique et objective de l'Écriture Sainte). À côté de remarques positives sur
l’intérêt nouveau des catholiques pour la Bible, le texte alertait les exégètes
catholiques contre une approche trop historique de la vie et de l'activité de Jésus, y
voyant une source de confusion et d’affaiblissement de la foi. L’impact de “ l’histoire
de la rédaction ” – en particulier les travaux des protestants Bultmann et Dibelius –
inquiétait. Comme un avertissement, deux professeurs de l'lnstitut Biblique Pontifical
furent suspendus d’enseignement.
Trois ans plus tard, en 1964, la Commission Biblique Pontificale rédigea une instruction
intitulée De historica evangeliorum veritate (La vérité historique des évangiles). À la
différence du texte de 1961, ce document reconnaissait la valeur et l'utilité de la
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méthode historico-critique et, citant Divino Afflante Spiritu, encourageait les exégètes
catholiques à y recourir. En outre, il proposait un modèle à trois niveaux pour mieux
comprendre l’Évangile, distinguant le temps du Jésus de l’histoire, le temps de la
communauté post-pascale et le temps de la mise par écrit des premières traditions. La
proposition était assortie d’une mise en garde contre un usage non-critique des
approches historiques, mais l’avancée était de taille.
Chez les Pères conciliaires, les débats sur l’interprétation historique de la Bible, ses
bienfaits et ses dangers croisaient des questions sur l’apostolat biblique ou sur le
ministère. DV est issu de ces débats, alimentés par les fruits des mouvements
biblique, patristique et liturgique, ou encore les échanges entre les exégètes
catholiques et protestants, etc.
DV a été l’un des textes conciliaires les plus discutés. Un avant-projet fut mis en
débat le 14 novembre 1962. Intitulé De fontibus revelationis (Des sources de la
révélation), il reçut les critiques les plus vives, résumées par l’apostrophe célèbre du
cardinal Liénart (Lille) : “ Hoc schema mihi non placet ” (Cet avant-projet ne me
convient pas). Mais le rejet ne fut pas unanime. Jean XXIII, dans la nuit, décida
cependant de retirer le texte et de nommer une nouvelle commission formée à parts
égales de représentants de l’aile conservatrice menés par le Cardinal Ottaviani et ceux
de l’aile progressiste menés par le cardinal Bea. Trois ans et cinq moutures plus tard,
le 18 novembre 1965, DV était voté par 2344 voix contre 6.
Les fil du texte
La constitution comporte un préambule et six chapitres. Dans le court préambule, le
Concile dit se soumettre aux paroles de St Jean : “ Nous vous annonçons la vie
éternelle qui était auprès du Père et qui nous est apparue : ce que nous avons vu et
entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous ;
quant à notre communion elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ ” (1 Jn 1,
2-3). Cette citation scripturaire contient déjà tout ce qui sera développé dans le
chapitre 1.
Le chapitre 1 porte sur la Révélation elle-même. Le P. de Lubac l’a résumé ainsi :
“ Dans l’abondance de son amour, Dieu a voulu dévoiler son dessein de faire
participer les hommes à sa propre Vie. Préparé par une longue histoire, que nous
appelons ‘histoire du salut’, Jésus Christ, Verbe fait chair, est à la fois le médiateur de
cette Révélation et son objet, sa ‘consommation’, sa ‘plénitude” 1.
Le chapitre 2 est celui dont l’élaboration a été la plus difficile. Il se donne pour tâche
de résoudre une question dont l’enjeu œcuménique était important : y a t-il deux
sources de la Révélation, la Bible et la Tradition de l’Église ? Depuis la Réforme, les
protestants tenaient au caractère unique de la Bible – la “ scriptura sola ” – et les
catholiques défendaient le rôle de la Tradition. C’est par une nouvelle compréhension
de la Révélation de Dieu, définie auparavant dans le chapitre 1, que l’antagonisme a
été dépassé.
1
H. de Lubac, La révélation divine, appendice 1, “ traditions chrétiennes ”, Le Cerf, Paris, 1983, p. 172.
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Ainsi DV 2 peut-il montrer la complémentarité entre Écriture et Tradition. L’Écriture est
la Parole de Dieu en tant que “ sous le souffle de l’Esprit divin elle est consignée par
écrit ”. Quant à la Tradition, elle transmet la même Parole de Dieu aux successeurs des
apôtres “ afin que sous l’illumination de l’esprit de vérité ils la gardent et la répandent
fidèlement par leur prédication ” (DV 9). Le Magistère, lui, a pour fonction
“ d’interpréter authentiquement la Parole de Dieu, écrite ou transmise ” (DV 9). Cette
tâche d’interprétation ne peut se faire que sous l’action de l’Esprit Saint. C’est donc
par l’action de l’Esprit Saint que la Parole de Dieu vit dans l’Église et que l’Église vit de
la Parole.
En bonne logique, c’est tout naturellement que le chapitre 3 traite alors de
l’inspiration des Livres saints. Il pose des points de repères sur le problème de la
“ véracité ” de l’Écriture et avance des règles d’interprétation, distinguant celles qui
sont d’ordre scientifique et celles qui sont reçues de la foi.
Les chapitres 4 et 5 sont des chapitres de synthèse. Le chapitre 4 est consacré à
l’Ancien Testament et à ses liens avec le Nouveau. Le chapitre 5 reprend les
caractéristiques essentielles du Nouveau Testament, en particulier en ce qui concerne
l’historicité des évangiles.
Le chapitre 6 donne à la constitution, in fine, son orientation décisive. Dans la vie de
l’Église – liturgique, théologique, spirituelle, pastorale – comment tous les chrétiens –
tous, pas seulement les clercs – peuvent-ils mieux écouter la Parole de Dieu pour
mieux la proclamer ? Du début du texte à son terme, la boucle est ainsi bouclée. Non
pas fermée, mais ouverte sur le concret de l’expérience (lire le texte, pages 00 – 00).
La charte des exégètes ?
Dans le chapitre 3, les paragraphes 11 à 13 définissent les rapports entre la recherche
biblique et le Magistère de l’Église et affirment l'utilité et la valeur de l'exégèse
scientifique.
DV 12 expose en particulier les principes fondamentaux de la critique historique, et
c'est une première dans un document conciliaire ! Le caractère historique de la
Révélation et ses modalités de transmission sont mis en évidence de même que, sur
un autre plan, le rôle des exégètes dans les jugements émis par le Magistère. Il n’est
donc pas surprenant qu’un grand nombre de ceux-ci considèrent ce paragraphe
comme la charte de leurs travaux.
La méthode historico-critique, qui à l’époque du Concile était encore au centre des
controverses, a connu nombre de développements ultérieurs. Depuis, on a pu en
mesurer les limites ; les méthodes littéraires ont élargi le champ des recherches (voir
le document de la Commission Biblique Pontificale, L’interprétation de la Bible dans
l’Église paru en 1993). Néanmoins des acquis sont aujourd’hui bien ancrés dans la
conscience de l’Église catholique, comme la prise en compte de la genèse des textes
bibliques, leur émergence dans un contexte historique et religieux particulier, la
nécessité de connaître ce contexte pour un interprétation correcte.
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La pastorale biblique
Alors que depuis le moyen âge la lecture de la Bible passait par le filtre des clercs,
Vatican II a approuvé le renouveau biblique et les changements spirituels qu’entraînait
le contact entre l’Écriture Sainte et la vie des chrétiens. À plusieurs reprises, les seize
documents officiels du Concile évoquent la nécessité d’une animation biblique de la
pastorale. Mais c’est le chapitre 6 de DV qui lui donne la plus grande place.
Il s’ouvre par une affirmation fondamentale : “ L’Église a toujours témoigné son
respect à l’égard des Écritures, tout comme à l’égard du Corps du Seigneur lui-même,
puisque, surtout dans la Sainte Liturgie, elle ne cesse, de la table de la Parole de Dieu
comme de celle du Corps du Christ, de prendre le pain de vie et de le présenter aux
fidèles ” (DV 21). Ce premier paragraphe trouve un écho dans le dernier (DV 26). L’un
et l’autre établissent un parallèle entre la vénération de la Parole de Dieu et la
vénération du Corps du Christ. L’Église reçoit sa vie de l’Écriture et de l’Eucharistie.
D’où l’affirmation selon laquelle la Sainte Écriture doit constituer la “ règle suprême de
la foi ” et servir de base à toute la prédication chrétienne. D’où l’importance accordée
à l’étude régulière de la Bible par les clercs comme par tous les croyants.
DV 22 exprime la nécessité et la spécificité de la pastorale biblique : que “ l’accès à la
Sainte Écriture soit largement ouvert aux chrétiens ”. Cette directive suppose non
seulement l’encouragement à la traduction et à la diffusion de la Bible, mais elle
implique de donner aux fidèles les explications indispensables. Ceci afin que tous
puissent entrer en dialogue avec la Parole de Dieu, un dialogue porteur de sens pour la
vie. DV 25 forme le vœu que les versions des textes sacrés “ soient munies
d'explications nécessaires et vraiment suffisantes, pour que les fils de l’Église
fréquentent les Écritures en toute sécurité et de manière profitable, et se pénètrent de
leur esprit. ” DV 25 ajoute même – et cela a été peu commenté jusqu’à présent,
même si cela est pratiqué – que l’on devrait composer “ des éditions de la Sainte
Écriture, munies de notes convenables, à l'usage même des non-chrétiens, et
adaptées à leur situation ”.
Si DV 12 peut être considéré comme la charte de l’exégèse biblique, DV 22 à 25 est
peut-être la charte de la pastorale biblique où, sous l’action de l’Esprit Saint,
s’engagent ministres ordonnés, biblistes (les exégètes sont parfois des hommes de
terrain !), prédicateurs, catéchistes, animateurs de groupes bibliques, éditeurs,
artistes…
D’autres points abordés mériteraient d’être développés : importance de la Bible pour
la liturgie et pour la formation des clercs ; redécouverte de l’unité de l’Ancien et du
Nouveau Testament ; rappel que la collaboration interconfessionnelle pour la
traduction biblique ; encouragement à la lectio divina. L’histoire de ces quarante
dernières années montre que tout cela n’est pas resté lettre morte…
La déclaration de Chicago et l’inerrance biblique
Cette déclaration sera suivie, en 1982, d’une deuxième portant sur l’herméneutique.
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Elle reprend et développe les principes qui sont déjà exprimés dans notre texte. Enfin,
en 1986, une troisième déclaration portera sur « l’application de l’enseignement
biblique » et tentera de tirer plus largement les conclusions théologiques de ces
principes2. Nous nous limiterons, dans cette présentation à la première déclaration qui
pose l’ensemble des principes.
Il faut préciser que ce document ne résume pas, à lui seul, la position de tous les
évangéliques. Sur sa gauche, certains ont une attitude plus ouverte, au point d’être
parfois gênés par le mot d’inerrance. C’est en grande partie leur existence qui a
motivé cette rencontre et la déclaration qui en a résulté. Inversement, sur sa droite,
certains iraient plus loin ; ce sont eux qui revendiquent facilement le terme de
fondamentaliste. Telle qu’elle est cependant, la déclaration de Chicago exprime bien le
courant dominant, majoritaire, de la sensibilité évangélique.
La vérité de la Bible
Le point de départ de cette approche de la Bible est la conception de l’inspiration.
Dieu, qui est lui-même la Vérité, s’est révélé progressivement dans l’histoire des
hommes. Si le mode de cette inspiration est en grande partie un mystère, l’action de
l’Esprit dans les auteurs, souligné par la Bible elle-même, garantit la vérité des écrits
qu’ils nous ont transmis. Le Saint Esprit, auteur ultime de l’Écriture, nous assure de sa
vérité par son témoignage intérieur et nous ouvre en même temps l’intelligence pour
que nous percevions le sens des parole.
Parce qu’inspirée par le Dieu vrai, l’Écriture est donc exempte d’erreurs ou de fautes
dans tout son enseignement.
La Parole écrite est donc, dans son intégralité, révélation venant de Dieu. La
déclaration rejette expressément toute conception qui ne ferait de l’Écriture qu’un
témoignage rendu à la révélation ou l’idée qu’elle ne deviendrait révélation que dans
l’expérience de la rencontre ou à cause de la réponse de l’homme.
Dire que le texte biblique est infaillible revient à dire qu’il ne trompe ni ne se trompe.
Parler de son inerrance, c’est le confesser exempt de toute fausseté ou de toute faute.
Cette inerrance du texte – il s’agit, nous y reviendrons, des documents originaux –
n’est pas limitée à certains domaines, comme celui du salut. Elle concerne tout ce que
le texte dit, rapporte ou enseigne.
Si la vérité de l’Écriture n’est pas limitée à certains domaines, elle doit cependant être
justement comprise. La déclaration précise que le Saint Esprit a respecté la
personnalité des auteurs humains. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans les
textes les marques de leurs auteurs. D’autre part, cette inspiration n’accorde pas à
ceux qui ont écrit les textes une sorte d’omniscience, mais simplement nous donne la
garantie que leurs énoncés sont vrais et dignes de foi sur tous les sujets dont ils ont
été conduits à parler ou à écrire.
2
On pourra trouver les trois déclarations dans la Revue Réformée n° 197 – 1998/1, janvier 1998 – Tome XLIX.
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Il est important de ne pas plaquer sur le texte biblique une conception de la vérité qui
lui est étrangère. Ainsi demeurent conformes à l’inerrance : l’absence de précisions
techniques à la façon moderne, les irrégularités de grammaire ou d’orthographe, les
références aux phénomènes de la nature tels qu’ils s’offrent au regard, les mentions
de paroles fausses, mais qui sont seulement rapportées, l’usage de l’hyperbole et de
nombres ronds, l’arrangement thématique des choses racontées, la diversité dans leur
sélection lorsque deux ou plusieurs récits sont parallèles ou l’usage des citations
libres.
Dans l’exposé qui suit les thèses, la déclaration précise qu’on acceptait aux temps
bibliques, comme choses habituelles et qui ne décevaient aucune attente, des récits
dans un ordre non chronologique et des citations imprécises. L’Écriture est donc
inerrante, non pas au sens qu’elle se conformerait aux canons modernes de précision,
mais au sens qu’elle tient ses promesses de véracité et réalise cette expression de la
vérité que les auteurs visaient, sous l’angle qu’ils avaient choisi. On comprend que
cette approche, pour rigoureuse qu’elle soit dans ses affirmations, laisse une assez
grande marge d’interprétation. Il est d’ailleurs de fait que les auteurs de la
déclaration, tous également attachés à l’inerrance, pouvaient avoir des lectures de
l’Écriture différentes dans certains domaines.
L’herméneutique nécessaire
Quand nous déterminons ce que l’auteur (enseigné de Dieu) énonce dans un passage
donné, nous devons prêter la plus grande attention, rappelle la déclaration, à la
présentation et au caractère du texte comme production humaine. Les genres
littéraires sont particulièrement importants. Il faut donc traiter l’histoire comme de
l’histoire, la poésie comme de la poésie, les généralisations et approximations comme
telles et ainsi de suite. À partir de ces principes, le débat sur le premier chapitre de la
Genèse, par exemple, portera sur son genre littéraire : est-il poétique et théologique
ou nous rapporte-t-il littéralement des événements historiques ?
Si un certain usage des moyens critiques est tout à fait nécessaire pour bien
comprendre le texte, encore faut-il que ces moyens soient cohérents avec la
reconnaissance de l’Écriture comme texte inspiré. Abandonner ce principe reviendrait
à vider l’Écriture de son autorité. Ce qui possèderait alors l’autorité, ce serait une Bible
diminuée dans son contenu selon les exigences de la raison critique et que rien, en
principe, n’empêchera de diminuer encore, une fois qu’on a commencé. L’Église ne
serait plus alors soumise à l’autorité de la Parole de Dieu, mais à celle des modes
changeantes de la raison humaine indépendante.
L’interprétation du texte devra également être christocentrique. La déclaration affirme
en effet que le Christ est le centre de l’Écriture. L’Écriture canonique est le
témoignage divinement inspiré, et partant normatif, rendu au Christ. C’est donc à
partir de lui, comme point focal de toute l’Écriture, que celle-ci doit être comprise.
Jésus lui-même s’est d’ailleurs incliné devant l’instruction de son Père dans la Bible ; il
demande à ses disciples de faire de même. Reconnaître l’autorité du texte biblique,
c’est donc se conformer à la pratique et à l’enseignement de Jésus. C’est pourquoi il
ne faut jamais opposer l’autorité du Christ et celle des Écritures. La déclaration précise
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ainsi qu’en s’authentifiant mutuellement, le Christ et l’Écriture deviennent de façon
solidaire une unique source d’autorité. Ce que l’Écriture dit, Dieu le dit ; ce que
l’Écriture dit, le Christ le dit.
Nous avions précisé que l’inerrance ne concernait, à strictement parler, que les
documents originaux qui sont, naturellement, hors d’atteinte. Si la déclaration
mentionne que la critique textuelle est donc nécessaire pour détecter toute altération
introduite dans le texte au cours de sa transmission, elle souligne que ce texte a été
étonnamment bien conservé et qu’il est aujourd’hui, pour tout ce qu’il comporte
d’essentiel, digne de confiance. Par ailleurs, les excellentes traductions qui sont
aujourd’hui disponibles en de nombreuses langues mettent la Parole de Dieu à la
portée de tous.
Importance de cette conception
C’est la vie de l’Église comme celle de l’individu qui souffre gravement lorsque cette
doctrine est perdue de vue. Il ne s’agit donc pas seulement, aux yeux des signataires,
de l’insistance d’une théologie particulière, mais de la défense d’un point essentiel de
la foi – certes non nécessaire au salut – d’où cette déclaration. Car, derrière l’abandon
de ce point, c’est toute la théologie chrétienne qui peut être remise en cause. La
déclaration reconnaît que certains théologiens évangéliques se sont peu ou prou
éloignés de cette doctrine sans remettre en cause l’essentiel. Mais,
méthodologiquement, ils se sont, aux yeux des rédacteurs, détachés du principe
évangélique de la connaissance, ont commencé à verser dans un subjectivisme
instable et auront du mal à ne pas glisser plus loin.
Les signataires de la déclaration ont conscience de se situer dans la grande tradition
chrétienne et de se ranger derrière le Christ et ses apôtres, en fait derrière toute la
Bible et la majeure partie de l’Église depuis les premiers jours jusqu’à tout récemment.
On voit bien que la controverse sur l’inerrance ne porte pas un point de détail, mais
sur une manière d’approcher la Bible dans sa totalité, de reconnaître son inspiration et
donc son entière autorité sur la foi et la théologie.
De quelques difficultés catholiques à lire la Bible
J’ai découvert la constitution conciliaire Dei Verbum lorsque je suis entré au Grand
Séminaire de Dax, en 1974. Ce fut un éblouissement qui m’entraîna à la découverte
de la Bible, un livre que je ne connaissais qu’à travers quelques morceaux choisis et
les lectures dominicales. La lecture de Dei Verbum, accompagnée par une initiation à
l’exégèse, me permit de mieux comprendre la nature de ce livre « écrit par des
hommes à la manière des hommes ». J’étais surtout heureux de constater que nombre
de mes interrogations trouvaient ainsi une réponse, dès lors que j’apprenais à situer
les passages bibliques qui pouvaient poser problème dans le contexte culturel où ils
avaient été rédigés. Ma foi n’en était que plus forte, et, par certains côtés, plus
humaine.
Aridité de la critique historique ?
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Les années qui suivirent m’amenèrent à approfondir l’étude de la Bible. Tout en étant
passionné par les cours que je suivais, je dois reconnaître que certaines méthodes ou
approches me gênaient par leur aridité ou leur sécheresse. Je ne comprenais pas que
l’on ne s’intéresse pas à la foi véhiculée par les textes étudiés, ou à l’image de Dieu
qui les traversait. Je m’étonnais aussi que l’étude de la Bible ne débouche pas sur le
souci de mieux saisir l’actualité de textes qui, bien qu’ayant été écrits il y a plus de
2000 ans, peuvent éclairer des questions très actuelles. Disons-le, je me situais
davantage en théologien qu’en exégète pur et dur. Mais sans nier pour autant
l’importance d’étudier les textes, pour eux-mêmes, en faisant preuve de la plus
grande rigueur.
Enseignant depuis maintenant près de 20 ans, je constate que je retrouve cette
difficulté chez un certain nombre d’étudiants. Avec une différence, selon que ces
étudiants sont très jeunes ou que ce sont des laïcs engagés dans une vie
professionnelle ou familiale. Ces derniers ont en effet plus de facilité à comprendre le
poids de l’histoire qui traverse la Bible, avec les relectures successives des
événements fondateurs. Ils savent d’expérience ce que veut dire « relire son
histoire ». Les étudiants plus jeunes craignent souvent que la relecture porte atteinte à
la vérité révélée, et on les sent méfiants à l’égard d’une approche critique de la Bible.
Heureusement, la méthode narrative, très en vogue aujourd’hui, permet d’apaiser ces
craintes. Lorsqu’elle est accompagnée d’un savant dosage de méthode
historico-critique, les étudiants sont initiés à une étude critique du texte biblique dont
ils peuvent découvrir, par le fait même, les différentes facettes.
À cela il faut ajouter l’approche canonique et l’attention à la manière dont les textes
bibliques ont été reçus et interprétés dans l’histoire du christianisme. Très appréciée,
l’attention à la réception du message biblique rend compte de l’originalité de la Bible,
comme livre révélé, en même temps qu’elle répond à l’attente de beaucoup de ceux
qui s’intéressent aujourd’hui à l’étude de la Bible.
Bible et évangélisation
Dans la constitution Dei Verbum, il est dit de la Parole de Dieu qu’elle est pour l’Église
« son point d’appui et sa vigueur, pour les enfants de l’Église, la force de leur foi, la
nourriture de leur âme, la source pure et permanente de leur vie spirituelle » (DV 21),
les pères conciliaires ajoutant même qu’elle est « l'âme de la théologie » (DV 24).
Dans sa Lettre apostolique, Au début du Nouveau Millénaire (2001), le Pape Jean Paul
II a rappelé également le « rôle prééminent de la Parole de Dieu dans la vie de
l'Église ». Se réjouissant des « grands pas en avant qui ont été faits dans l'écoute
assidue et dans la lecture attentive de l'Écriture Sainte », notamment parce que « les
fidèles et les communautés y recourent désormais dans une large mesure, et que,
parmi les laïcs eux-mêmes, nombreux sont ceux qui s'y consacrent avec l'aide
précieuse des études théologiques et bibliques », le Pape concluait : « Nous nourrir de
la Parole, pour que nous soyons des "serviteurs de la Parole" dans notre mission
d'évangélisation, c'est assurément une priorité pour l'Église au début du nouveau
millénaire ».
Si l’on peut, à ce propos, se réjouir que la lecture de la Bible éclaire de plus en plus
l'ensemble des activités qui constituent la vie des Églises (vie liturgique et
sacramentelle, catéchèse etc.), on peut regretter que cela ne soit pas toujours le cas,
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notamment lorsqu’il s’agit de la vie ou du fonctionnement des paroisses (Conseils
Pastoraux, Conseils Économiques, Services divers etc.), ou plus largement encore de
l’évangélisation. C’est donc par un souhait que je terminerai ces quelques réflexions :
celui que l’on continue à tout mettre en œuvre pour faire connaître la Bible, et que l’on
n’hésite pas, pour cela, à inventer de nouveaux moyens d'en parler, et à proposer de
nouveaux lieux où chacun puisse la découvrir et s'en nourrir. Car – et nous sommes ici
au cœur du message de Dei Verbum–, si elle est le fondement de la vie du baptisé et
l’âme de la vie communautaire, la Parole de Dieu doit être aussi le moteur de
l'évangélisation.
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