Le créationnisme, version 5 - Eglise catholique et société

1
1
Le créationnisme
Début 2007, la presse donnait l’information suivante : La plupart des universités, lycées et
collèges de France ont reçu un livre luxueux, intitulé L'Atlas de la Création, qui réfute sur 770
pages très richement illustrées le darwinisme et la théorie de l'évolution. Écrit par un certain
Harun Yahya (de son vrai nom Adnan Oktar), de nationalité turque [Le Créationnisme
musulman est assez actif, en particulier en Turquie ; il distribue nombre de plaquettes et
d'ouvrages, et cherche à faire bannir de l'enseignement l'idée d'évolution], l'ouvrage,
directement expédié à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires depuis la Turquie et
l'Allemagne, entend dénoncer « l'imposture des évolutionnistes, leurs affirmations trompeuses
» et surtout « les liens occultes existant entre le darwinisme et les sanglantes idéologies telles
que le fascisme et le communisme ». (Le Figaro, 2 février 2007).
Les pages qui suivent donnent quelques points de repère permettant de saisir les enjeux de
cette question. Elles ont bénéficié d’une collaboration avec François Euvé s.j., Jean-Michel
Maldamé o.p. et Maurice Vidal pss. Nous les remercions vivement pour leur relecture
attentive sur un sujet difficile.
Paul-Ivan de Saint Germain Jacques Turck
Le créationnisme est une forme de fondamentalisme religieux, relativement populaire, surtout
aux Etats-Unis. Pour les créationnistes, la théorie de l’évolution, qu’ils appellent néo-
darwinisme, est fausse ; ils lui opposent une des lectures de la création proposées par tel ou tel
courant religieux, en particulier par la Genèse, dont ils font une interprétation littérale.
Pour les fondamentalistes comme pour nous la Bible est une révélation de Dieu, ce qui en
garantit l’infaillibilité et la vérité dans tous les domaines. La notion de fondamentalisme se
réfère à un radicalisme qui s’abrite derrière l’adage fondateur de la Réforme « sola
scriptura ». Cette expression de grande valeur théologique n’a cependant jamais voulu
signifier une lecture simpliste des récits bibliques. C'est-à-dire une lecture qui exclurait tout
effort de compréhension de la Bible qui tienne compte des apports de la science. La
commission biblique pontificale souligne fort justement (cf. l’encarté ci-après) en quoi les
fondamentalistes ont raison « en insistant sur l’inspiration divine de la Bible et sur l’inerrance
1
de la Parole de Dieu » ; mais les fondamentalistes ont tort lorsqu’ils refusent de tenir compte
du caractère historique de la Révélation.
1
du latin inerrantia : qualité de l’Écriture de n'enseigner aucune erreur.
Le terme « fondamentalisme» se rattache au Congrès Biblique Américain qui s’est tenu à
Niagara, dans l’Etat de New York, en 1895. Les exégètes protestants conservateurs y
définirent « cinq points de fondamentalisme » : l’inerrance verbale de l’Ecriture, la divinité du
Christ, sa naissance virginale, la doctrine de l’expiation vicaire et la résurrection corporelle
lors de la seconde venue du Christ. >>> sq
Le fondamentalisme fuit l’étroite relation du divin et de l’humain dans les rapports avec Dieu. Il est
marqué par un attachement intemporel à une vision de la création qui fut longtemps traditionnelle…
Il tend à traiter le texte biblique comme s’il avait été dicté mot à mot par l’Esprit et n’arrive pas à
reconnaître que la Parole de Dieu a été formulée dans un langage et une phraséologie conditionnés par
telle ou telle époque. …
Le fondamentalisme insiste aussi d’une manière indue sur l’inerrance des détails dans les textes bibliques,
spécialement en matière de faits historiques ou de prétendues vérités scientifiques.
(Interprétation de la Bible dans l’Eglise Commission biblique pontificale Editions du Cerf 1993 p. 61
et sq).
2
2
Le créationnisme se rapproche du fondamentalisme quant à « l’inerrance verbale de
l’Ecriture », qui est l’un des cinq points qui le définissent. Mais ce qui caractérise les
créationnistes, c’est qu’ils tiennent pour conforme à la réalité le récit de la Genèse, qui serait
le compte-rendu exact de la formation de l’univers et de la vie.
La théorie de l’évolution
Jusqu’à la fin du 18ème siècle, on avait une conception fixiste des espèces vivantes ce qui
était cohérent avec l’idée que l’on avait à l’époque du Créateur . Linné disait en
1737 : « Toutes les espèces tiennent leur origine… de la main même du Créateur
[qui]…imposa à ses créatures une loi éternelle de reproduction et de multiplication dans les
limites de leur propre type ». En 1809, Lamarck publie sa Philosophie zoologique, dans
laquelle il fait part d’une de ses plus pénétrantes découvertes : les êtres vivants se
transforment très progressivement au fur et à mesure des générations sous l’impulsion d’une
« force organisatrice » qui tend à les rendre toujours plus complexes et plus élaborés. Pendant
longtemps, cette idée d’une évolution le hasard n’a pas sa place restera très à la mode
notamment en France (avec en particulier Bergson dans L’évolution créatrice et Teilhard de
Chardin dans Le phénomène humain
2
). En 1859, Darwin introduit l’idée que c’est à une
sélection naturelle qu’est due l’évolution des espèces, une sélection qui vient de ce que ceux
qui sont les mieux adaptés transmettent leur avantage à leurs descendants.
Ce n’est qu’au milieu du 20ème siècle que sera proposée ce qu’il convient d’appeler « la
théorie synthétique de l’évolution », qui rassemble les résultats de la paléontologie, de la
biologie et de la génétique (issue des travaux de Mendel) pour proposer une théorie selon
laquelle l’évolution des êtres vivants une évolution progressive et continue au cours des
générations part d’un fondement génétique : des mutations génétiques aléatoires, mais
ensuite passées au crible de la sélection naturelle qui sélectionne les individus les mieux
adaptés à leur environnement.
Cette théorie est la base des travaux actuels ; elle n’est pas le dernier mot et d’autres
explications sont proposées toutes dans le prolongement de la théorie synthétique. Par
exemple la théorie « neutraliste » introduite en 1970 par le généticien japonais Kimura, et son
avatar plus récent, le « néo-mutationnisme », qui donnent une place plus centrale au simple
2
Toutefois, Teilhard reconnaissait que, jusqu’à l’apparition de l’humain, le hasard est un élément important du
mécanisme évolutif.
3
3
hasard (et moins à la sélection naturelle). D’autres encore estiment que l’évolution n’est pas
continue : les formes de vie restent généralement stables, la formation de nouvelles espèces
s’effectuant au cours d’événements ponctuels et rares ; c’est la « théorie des équilibres
ponctués » des deux paléontologues américains, Nils Eldredge et Stephen Jay Gould,
également en 1970…
Le créationnisme aux Etats-Unis
Les idées créationnistes sont surtout présentes dans le monde anglo-saxon, Australie mais
encore plus Etats-Unis elles se sont propagées depuis le sud agricole de la Bible Belt
ceinture de la Bible »), cette zone géographique et sociologique vit un pourcentage
élevé de fondamentalistes (en particulier Baptistes du Sud et Adventistes du 7ème jour), pour
atteindre les couches diplômées de la population des États du nord.
Jusqu’à récemment, l’histoire des Etats-Unis a été marquée par de nombreuses querelles entre
créationnistes et évolutionnistes, voire des procès. La présence des créationnistes s’est
manifestée de diverses façons :
- instauration dès 1962 de la creation research society (CRS), qui veut refonder la
science sur des concepts de création divine (cf. l’encarté ci-dessous), et publier des
manuels scolaires ;
- sondage Gallup en 1993 qui montre
que 47% des Américains estiment
que « Dieu a créé les hommes à peu
près dans leur forme actuelle et en une
fois, il y a moins de 10 000 ans », 35%
que « les hommes se sont développés à
partir de formes de vie moins
avancées, sur des millions d’années, et
Dieu a guidé ce processus », et 11%
seulement que « les hommes se sont
développés à partir de formes de vie
moins avancées, sur des millions
d’années, mais Dieu n’a eu aucun rôle
dans ce processus » ;
- et surtout lois dans certains Etats
réclamant l’égalité entre
l’enseignement de la « science de la
création » et celle de l’évolution (ce
que Ronald Reagan demandait déjà
lors de sa campagne présidentielle en
1980, de même que la candidat
républicain Pat Buchanan en 1995) ;
revendications qui, jusqu’à
aujourd’hui, ont conduit à des harcèlements feutrés sur le système éducatif américain.
CRS Statement of Belief
All members must subscribe to
the following statement of
belief:
1. La Bible est la parole écrite de
Dieu, et puisqu’elle est totalement inspirée
toutes ses assertions sont historiquement
et scientifiquement vraies dans les textes
originaux. Pour celui qui étudie la nature, cela
signifie que le récit des origines dans la
Genèse est une présentation factuelle de
simples vérités historiques.
2. Tous les types fondamentaux
d’êtres vivants, homme inclus, ont été créés
par des actes directs de création divine
durant la Semaine de la Création décrite
dans la Genèse. Tous les changements
biologiques survenus depuis la Création n’ont
pu s’accomplir qu’à l’intérieur des types créés
à l’origine.
3. La grande inondation décrite
dans la Genèse, qu’on désigne communément
sous le mot de Déluge, fut un événement
historique mondial dans son étendue et dans
son effet.
4
4
D’une manière générale, les mouvements créationnistes ont un réel pouvoir politique. Ils ont
en effet une dimension sociale, qui tient au lien entre expression religieuse et vision
scientifique du monde, ainsi qu’à leur conservatisme moral ; ils sont proches de ceux qui
rêvent d’une Amérique chrétienne et du rétablissement d’une véritable morale ; ils craignent
qu’à remettre en cause un seul des versets de la Bible, c’est la mettre tout entière en danger
porte ouverte à l’hérésie et à l’apostasie et, pour nos sociétés, menace des pires maux que sont
fascisme, communisme, homosexualité, drogue… ; ils diffusent leurs idées dans les écoles
publiques ; et ils ont d’importants moyens financiers.
Il existe différentes « écoles » créationnistes :
- les young-earth creationists, aujourd’hui très répandus, selon lesquels l’Univers a été
créé en 6 jours de 24 heures, il y a de 4 000 à 20 000 ans (selon les écoles), et non il y
a des milliards d’années
3
; toutes les espèces ont été créées ex nihilo sous leur forme
actuelle, ce qui n’exclut pas qu’il y ait pu y avoir quelques évolutions au sein de
chaque espèce (par exemple pour expliquer la domestication) ; quant aux roches
sédimentaires et aux fossiles, leur formation aurait eu lieu lors du Déluge (qui tient
une place cruciale dans les thèses créationnistes);
- les old-earth creationists, qui cherchent à tenir compte de certaines données
scientifiques, par exemple en imaginant que la création actuelle aurait été précédée par
une première création et un long intervalle de temps au cours duquel se seraient
déposés les sédiments ; ou encore en expliquant que chaque jour de la création a duré
bien plus que 24 heures (« pour le Seigneur, un jour est comme 1000 ans… »), par
exemple autant qu’une ère géologique ; les uns comme les autres rejetant néanmoins
toute idée d’évolution, surtout appliquée à l’espèce humaine ;
- les progressive creationists, qui cherchent à tenir compte des incohérences entre Bible
et données scientifiques, mais qui estiment que la théorie de l’évolution ne permet
cependant pas d’expliquer les événements les plus importants de l’histoire de la vie :
l’apparition des mammifères, de l’homme…, événements qui impliquent des
interventions divines successives.
L’intelligent design
Il faut distinguer des mouvements qui viennent d’être mentionnés d’autres groupes apparus
depuis une vingtaine d’années. Le plus important et le plus actif est actuellement celui que
l’on appelle Intelligent Design (dessein intelligent) qui regroupe des scientifiques cherchant à
renouer avec la tradition de la théologie naturelle selon laquelle la science permet de mettre en
évidence l’ordre du monde et renvoie à l’action d’un créateur. Pour ce mouvement, l’extrême
complexité (appelée aussi l’irréductible complexité) du vivant ne peut être le fruit d’une
évolution soumise au seul hasard et qui aurait trouvé son origine dans une atmosphère et un
océan primordiaux ; ce ne peut être, au contraire, que la réalisation d’un dessein, d’une
intelligence supérieure présente au cœur même de la réalité. Le mouvement du « dessein
intelligent » s’emploie en particulier à critiquer le « matérialisme méthodologique » inhérent à
3
L’âge de l’Univers est estimé à 14 milliards d’années, et celui de la Terre à environ 4,5 milliards.
5
5
une approche seulement scientifique des origines du monde naturel
4
, et l’idée que c’est sous
l’action de facteurs contingents que les espèces se transforment au cours du temps. Il
reconnaît une « Intelligence suprême » mais sans référence aucune à la Bible. C’est une forme
de théisme ou de déisme.
Dans ce mouvement, on trouve plusieurs écoles : - les évolutionnistes théistes, qui pensent
que, si Dieu a créé le monde, il ne cesse de continuer à intervenir (la création est donc
continue) ; - les évolutionnistes déistes, pour lesquels Dieu a créé la matière, la vie, mais aussi
les processus d’évolution, et les a ensuite laissés fonctionner.
Aux Etats-Unis ce mouvement d’idées a un projet politique au service de la politique des
conservateurs et, par là, un financement important qui envahit l’Europe et se constitue en
groupe de pression par divers projets.
Dans la même mouvance il faut citer Michael Denton, un médecin australien, et son livre paru
en 1997 : L’évolution a-t-elle un sens ? (The long chain of coincidences). Il s’agit d’un essai
de « théologie naturelle », selon laquelle « la vie, l’homme et tout le phénomène de l’évolution
ont été engendrés par… un but, mystérieusement inscrit dans la nature des choses dès
l’origine ». Pour le vivant, Denton soutient ainsi l’idée d’une évolution dirigée, d’un dessein,
avec au centre et au sommet, l’apparition de l’homme ; tout se passe comme si quelqu’un
avait pensé et mis en place les lois de la physique et de la biologie ; s’il y a pu y avoir des
mutations aléatoires, toutes ne le sont pas, et l’apparition de la vie est un phénomène de
nature « transcendante ».
Le créationnisme en France
En France l’influence créationniste ne vient pas seulement de l’extérieur (Turquie…); elle se
manifeste aussi de façon endogène. Si la sphère publique et le monde scolaire y échappent
largement (les programmes sont élaborés de manière centralisée et sont, dans une certaine
mesure, protégés des prosélytismes), en revanche l’extension du créationnisme dans la sphère
privée est perceptible. On peut citer :
- le centre d’étude historique et scientifique (CESHE), fondé en 1971 et qui revendique
600 membres, qui « professe l'inerrance scientifique et historique de la Bible, en
relation avec les associations qui reconnaissent la place privilégiée de l'homme et de
la terre au sein de la Création » ;
- l’association « Au commencement », dont le « but est de faire connaître le point de
vue créationniste, qui est basé sur le texte de la Genèse ainsi que sur les observations
scientifiques »
- Guy Berthault, un polytechnicien qui mène des recherches scientifiques visant un
double projet : rajeunir la terre de 4 milliards d’années, et rendre vraisemblable
4
Le matérialisme de la théorie darwinienne de l’évolution n’est pas spécifique à cette théorie : toute démarche
scientifique est matérialiste.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !