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INTRODUCTION
tandis que la seconde accompagnerait l’intensification des modes de production
qui positionnerait favorablement agriculteurs sur les marchés mondiaux.
À la fin des années 1960, tandis que l’augmentation et la concentration des
productions agricoles vidaient les campagnes de leurs habitants, les programmes
du logement de masse furent finalement abandonnés. Au cœur des villes, des
opérations plus réduites, constitutives de la forme urbaine, encouragèrent la diver-
sité formelle 4 pendant que l’expansion de l’habitat pavillonnaire colonisait les
espaces périphériques et les campagnes. L’architecture rurale, qui depuis plus d’un
siècle avait fait l’objet d’une attention soutenue de la part des géographes, des
ethnologues et des architectes 5, finit alors par être promue au rang de patrimoine,
allant jusqu’à constituer la principale référence d’un habitat individuel porté par
la vogue du néo-régionalisme 6.
Moins étudiés que l’habitat des hommes, les nouveaux bâtiments d’exploitation
ne s’en révélèrent pas moins de véritables marqueurs de l’évolution des campagnes.
Conçus comme des modèles standardisés, ils firent l’objet de sérieuses critiques
qui, durant les années 1970, poussèrent milieux agricoles, habitants, associations,
collectivités et législateurs à s’accorder sur la nécessité de prendre en compte
l’environnement dans leur conception. À quelques exceptions près 7, ce consensus
ne modifia cependant pas fondamentalement l’approche architecturale : la prise
en compte des contraintes environnementales se réalisa dans la continuité d’une
conception spécialisée héritée des trente glorieuses, tandis que l’application de
recettes concourait à ce que les spécialistes appelèrent pudiquement « l’intégration
paysagère ». Force est de constater qu’ainsi dissimulés, les ateliers de production
n’émurent pas outre mesure avant que des scandales environnementaux et alimen-
taires – du veau aux hormones à la vache folle – ne s’ajoutassent aux outrances
paysagères. Les bâtiments agricoles de la seconde partie du XXe siècle apparurent
alors dans leur réalité : des outils modernes mais d’une étonnante banalité archi-
tecturale, conçus pour assurer l’augmentation des productions en correspondance
avec le rôle économique et social donné à l’agriculture durant les quatre décen-
nies de l’après-guerre. Si dans les espaces urbains, les possibilités offertes par les
techniques nées de la révolution industrielle avaient ouvert un immense espace de
créativité architecturale, comment la révolution agricole avait-elle pu engendrer
une pauvreté formelle telle que l’on ait dû s’employer à dissimuler les lieux de
production ? Assurément, il y avait là matière à s’interroger.
Entre l’intensification des trente glorieuses et les grands enjeux environnemen-
taux d’aujourd’hui, les constructions agricoles connurent d’importantes évolutions
conceptuelles. Elles se transformèrent progressivement en répondant à l’évolu-
tion des pratiques agraires, mais aussi aux bouleversements des campagnes. Ainsi
les nouveaux ateliers de production témoignent de la révolution qui a radicale-
ment transformé l’agriculture durant le dernier demi-siècle en donnant quitus à
Nikolaos Pevner pour qui « l’architecture n’est pas le produit des matériaux et des
programmes – ni même des conditions sociales – mais de l’évolution de l’esprit
aux différentes époques 8 ».
Au-delà de la vocation des bâtiments, de leurs objectifs économiques et de
leurs enjeux environnementaux, le contexte socio-historique est déterminant
[« Architectures agricoles », Hervé Cividino]
[ISBN 978-2-7535-1747-9 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]