LE RETOUR DE ZAMPA DANS SA « MAISON »

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LE RETOUR DE ZAMPA DANS SA « MAISON »
Un dossier de Yonel Buldrini – Mars 2008
Zampa, opéra-comique type, et autrefois si célèbre, revient
au Théâtre national de l’Opéra-Comique (lui-même sorti de
pas mal de vissicitudes). Un genre lyrique florissant à
l’époque romantique de ces années 1820-30 et aujourd’hui
un peu oublié, à part quelques sursauts de vie de la touchante
Dame blanche de Boïeldieu, ou de l’espiègle Fra Diavolo
d’Auber. Les opéras-comiques de Ferdinand Herold,
pourtant aussi estimés et célébrés, n’ont pas connu la même
longévité, il est donc temps de découvrir ce que cache une
ouverture incroyablement pétulante, que les bons vieux
orgues de foire, infatigables malgré la poussière meurtrière,
font encore retentir, autrefois stridents et aujourd’hui
dérisoires, attendrissants face à la sonorisation monstrueuse :
l’ouverture de Zampa, ou La Fiancée de marbre…
« Herold avait la qualité, moi j’ai la quantité »
Daniel Auber
« Plus j’écris et plus les idées me viennent. »
Ferdinand Herold
SOMMAIRE
I.
FERDINAND HEROLD,
UN (AUTRE) ROMANTIQUE TRONQUE PAR LE DESTIN
p. 2
II. MONSIEUR DE MELESVILLE
p. 10
III. ZAMPA OU LA FIANCEE DE MARBRE
p. 11
IV. LA FORTUNE DU CORSAIRE
p. 21
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
1
I. FERDINAND HEROLD,
UN (AUTRE) ROMANTIQUE TRONQUE PAR LE DESTIN
L’origine alsacienne des Herold explique l’absence d’accent aigu dans leur nom, s’écrivant à
l’allemande. Louis Joseph Ferdinand Herold est né à Paris le 28 janvier 1791. Son grand-père
était organiste et son père pianiste et compositeur mais opposé à laisser Ferdinand suivre la
même voie !
Sa disparition en 1802 permet à ce dernier d’envisager une carrière dans la musique et
d’entrer au Conservatoire en 1806. Il suit l’enseignement de musiciens ou de compositeurs
estimés comme Méhul, Kreutzer, Catel et Louis Adam, père d’un Adolphe destiné à la
célébrité.
En 1810 il remporte le premier prix de piano puis le fameux Prix de Rome en 1812. Alors que
la plupart des musiciens obligés par les règles des institutions vivaient le séjour romain
comme un exil, voici ce que pensait Herold du ciel de Rome, « sous lequel il lui semblait
qu’on ne devait trouver que de belles inspirations. Aussi a-t-il souvent avoué depuis lors que
le temps qu’il avait passé dans la capitale du monde chrétien était le plus heureux de sa vie.
Après trois années d’études et de travaux, il quitta cette terre classique de l’antiquité pour se
rendre à Naples. Là, il lui sembla qu’il vivait d’une autre vie. Un ciel incomparable, un air
pur, vif et léger, un site admirable, l’enthousiasme naturel des habitans, tout enfin était fait
pour lui donner, dans ce pays, cette fièvre de production qu’on n’éprouve point ailleurs avec
autant d’intensité. Le désir d’écrire pour le théâtre le tourmentait ; l’occasion se présenta
bientôt à lui1 ».
A Naples, précisément, où il se trouve pour des raisons de santé (à cause du mal qui devait
l’emporter, a-t-on dit), il donne son premier opéra, La Gioventù di Enrico Quinto (La
Jeunesse de Henri V). L’estime des Napolitains gagne Joachim Murat qui lui confie
l’éducation musicale de ses filles. La chute de Murat le contraint à fuir mais le fameux prince
de Metternich l’emploie à Vienne.
Revenu en France, il écrit un acte de Charles de France… et Boïeldieu l’autre !
Selon Fétis, « cet ouvrage, qui fut joué en 1816, fit connaître avantageusement Hérold, et le
livret des Rosières lui fut confié ». L’impact de l’œuvre est apapremment important, puisque
Les Rosières, dédiées à Méhul, devenu son ami, sont « représentées vers la fin de 1816 à
l’Opéra-Comique, et leur succès décida du reste de la vie de l’artiste. »
La Clochette est également bien accueilli, mais, nous dit Fétis, « là, il y avait bien plus de
force dramatique que dans le premier ouvrage, bien plus de passion, et l’on y apercevait
d’immenses progrès faits par Hérold dans l’art d’appliquer la musique à la scène. Le gracieux
et piquant petit air « Me voilà, me voilà », un duo au deuxième acte et plusieurs phrases
charmantes répandues dans quelques autres morceaux démontraient qu’il y avait de la
mélodie dans la tête du compositeur; l’air d’Azolin annonçait une âme passionnée, et le finale
du premier acte, ainsi que plusieurs morceaux du second et du troisième, faisaient pressentir
un compositeur dramatique d’un ordre élevé. Il y avait d’ailleurs dans cette partition des effets
d’instrumentation d’un genre neuf ; mais rien du tout cela ne fut compris. La pièce réussit,
mais plutôt à cause du sujet et du spectacle que par le mérite de la musique. »
Le même Fétis nous conte ensuite la traversée du désert que connut Herold, tant dans la
recherche de livrets que dans leur mise en musique : « Près de dix-huit mois se passèrent
avant qu’Hérold obtînt un poème d’opéra après la Clochette, et ce temps fut employé par lui à
écrire des fantaisies de piano et d’autres pièces, genre dans lequel il a produit de jolies choses
qui n’ont pas obtenu le succès qu’elles méritaient. Son goût le reportait toujours vers le
1
J. Fétis in : Biographie universelle des musiciens, Bruxelles 1839 ; tome V, page 136.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
2
théâtre, et quelquefois il s’irritait contre l’injustice qui lui en rendait les abords si difficiles.
Fatigué d’attendre le bon ouvrage après lequel il soupirait, il finit par consentir à écrire la
musique du Premier venu [si l’on peut dire !], comédie en 3 actes, spirituelle, mais froide, et
la pièce la moins propre à être mise en opéra. Cet ouvrage n’avait point d’ailleurs le mérite de
la nouveauté ; depuis longtemps il était au répertoire du théâtre Louvois en comédie, d’où
Vial l’avait retiré pour le transporter a l’Opéra-Comique. Rien n’était moins favorable au
développement des facultés chaleureuses d’Hérold que cette pièce ; aussi ne put-il parvenir à
la réchauffer, et peut-être lui-même fut-il pris de froid en l’écrivant [!] ; mais comme il faut
toujours que l’homme de talent se manifeste, même dans l’ouvrage le plus médiocre, il y avait
dans la partition du Premier venu un trio excellent de trois hommes qui feignent de dormir.
Cet opéra fut représenté vers la fin de l’année 1818. »
Comme on va le voir, il semble que la fantaisie du créateur ne se stimule que par la présence
d’un livret sous les yeux… « Le désir de produire tourmentait Hérold, mais l’aliment lui
manquait toujours ; les auteurs semblaient n’avoir pas de confiance en son talent et ne lui
proposaient pas de poèmes. Ce fut cet abandon où on le laissait qui le décida à reprendre
l’ancien opéra-comique des Troqueurs2, et à lui adapter une musique nouvelle. Cette pièce fut
jouée en 1819 : le talent des acteurs lui procura quelques représentations, mais le genre de
l’ouvrage ne convenait plus au goût de notre époque ; il ne put se soutenir au théâtre. Une
sorte de fatalité semblait poursuivre celui dont les débuts avaient annoncé une carrière
brillante. Un opéra en 1 acte, dont le titre était L’Amour platonique, lui avait été confié ; la
musique en fut composée rapidement, mise à l’étude, et bientôt arriva la répétition générale
(en 1819) où l’on remarqua des choses charmantes ; mais la pièce était d’une faiblesse
extrême, et les auteurs la retirèrent avant qu’elle fût jouée. » Cas extrême ! rarement
rencontré, que le retrait pour cause de faiblesse… du sujet, il faut l’espérer.
Heureusement, « Hérold ne se laissait point encore abattre par sa mauvaise fortune, et le
besoin d’écrire le tourmentait toujours.
M. PIanard lui donna en 1820 une jolie comédie intitulée L’Auteur mort et vivant ;
malheureusement cette pièce était d’un genre peu favorable à la musique ; le compositeur ne
put y développer son talent, et le succès assez froid des représentations n’ajouta rien à sa
renommée. Il paraît que cette sorte d’échec acheva de jeter le découragement dans l’âme
d’Hérold, car pendant les trois années suivantes, il se condamna au silence et sembla avoir
renoncé au théâtre. Dans cet intervalle la place de pianiste-accompagnateur de l’Opéra-Italien
devint vacante, Hérold la demanda el l’obtint. Dès lors les devoirs de cette place s’emparèrent
de la plus grande partie de son temps ; le reste fut employé à écrire un assez grand nombre de
morceaux de piano. »
On sait que ses fonctions l’amenèrent à voyager en Italie, à la recherche de chanteurs… et de
la santé. Thomas Betzwieser nous apprend3 que le Théâtre-Italien recherchait une prima
donna et un buffo cantante et que grâce à Herold, rien moins que la basse Filippo Galli4 et la
grande Giuditta Pasta furent ainsi engagés et vinrent à Paris. En attendant, il put se régaler de
succès rossiniens comme La Donna del lago, qu’il entend à Milan et produit sur lui une forte
impression, La Gazza ladra à Mantoue, et à Florence, le superbe Ricciardo e Zoraide. T.
Betzwieser ne nous dit pas les petites merveilles que Herold dut entendre à Vérone, Venise,
2
Les Troqueurs, opéra-comique en 1 acte avait été mis en musique par Bauvergne. Ce fut le premier
ouvrage de ce genre qu’on écrivit en France. (Note de Fétis)
3
Dans le « site » Internet : http://phonoarchive.org/grove/Entries/S12881.htm
4
Créateur des rôles de basse dans L’Italiana in Algeri, La Gazza ladra, Maometto Secondo,
Semiramide, Anna Bolena, La Sonnambula…
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
3
Rome et Naples (!), mais nous informe qu’il entendit même, à Munich, la Emma di Resburgo
de Meyerbeer.
Occupations certes passionnantes et louables (il semble même que Paris lui dut de connaître le
fameux Mosè de Rossini), mais n’oublions pas qu’il était compositeur… dans l’âme et de
fait ! Fétis le rappelle : « Cet artiste, dans la fleur de l’âge et du talent, se voyait en quelque
sorte repoussé du théâtre pour lequel il était né. Il y a de ces phases de mauvaise fortune dans
la vie de presque tous les hommes de mérite.
Le repos de trois années auquel Hérold s’était condamné lui avait rendu cette ardeur de
production qui est ordinairement le présage des succès. Son premier ouvrage, après ce long
silence, fut le Muletier, représenté en 1823, à l’Opéra-Comique, avec un succès qui ne
s’établit point sans contestation, mais qui finit par se consolider, et qui fut dû seulement au
mérite de la musique. Cette musique est colorée, dramatique, et remplie de traits heureux et
d’effets nouveaux. Lasthénie, composition d’un genre gracieux, qui n’avait d’autre défaut que
d’avoir pour base un sujet grec, à l’époque où ce genre ne jouissait d’aucune faveur,
Lasthénie fut jouée à l’Opéra dans le cours de la même année. Cet ouvrage ne fit point une
vive sensation sur le public, mais les connaisseurs rendirent justice au talent du musicien, et la
pièce obtint un certain nombre de représentations. Les succès de l’armée française dans la
guerre d’Espagne de 1825 donnèrent lieu à la composition d’un opéra (Vendôme en Espagne)
auquel Hérold prit part conjointement avec M. Auber. Les morceaux improvisés qu’il écrivit
pour cette partition renfermaient de jolies choses qu’il a employées depuis avec succès dans
d’autres ouvrages.
En 1824, Hérold fut encore chargé, par l’administration de l’Opéra-Comique, de la
composition d’un opéra de circontance qui a survécu au moment qui l’avait vu naître ; cet
ouvrage est intitulé Le Roi René. L’année suivante il écrivit pour le même théâtre un acte qui
avait pour titre Le Lapin blanc. Rien ne fut jamais moins musical que cette bluette ; aussi le
musicien fut-il mal inspiré : paroles et musique, tout était également faible dans cet
ouvrage. »
Charles de Bernard ajoute5 que : « Le Lapin blanc eut une chute complète à l’Opéra-Comique.
Le sujet était celui de Tony, joué avec tant de succès depuis au théâtre des Variétés.
L’ouverture de cet ouvrage a été employée pour Ludovic. »
Fétis interrompt alors son récit biographique et critique de la carrière de Herold pour aborder
la question du style : « C’est ici le lieu de faire remarquer le changement qui s’était opéré
dans la manière d’Hérold pendant les trois années où il s’était abstenu de travailler pour le
théâtre. Témoin des brillants saccès des oeuvres de Rossini, dont il accompagnait la musique
an Théâtre-Italien, i1 se persuada qu’il n’existait plus qu’un moyen d’obtenir les
applaudissements du public, et que ce moyen consistait dans l’imitation plus ou moins exacte
des formes de la musique à la mode. Beaucoup d’autres partageaient son erreur, mais ils
n’avaient pas son talent ; pour lui cette erreur fut déplorable, car elle le détourna pendant
quelque temps de la route qui seule lui convenait.
Marie, opéra en 3 actes, représenté à l’Opéra-Comique en 1826, marqua le retour d’Hérold
vers le genre qui lui appartenait ; ce fut à la fois et son plus bel ouvrage jusqu’à cette époque,
et son plus beau succès. Sa sensibilité s’était livrée dans cette production à plus d’expansion
qu’elle n’avait fait jusque-là ; de là vient que tous les morceaux obtinrent dans le monde une
vogue que n’avait point eue auparavant la musique d’Hérold. »
5
Dans Un homme sérieux, Paris 1856.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
4
Si les commentaires de l’époque concourent à dire de Marie (créé le 12 août) qu’il est un
opéra particulièrement inspiré, Olivier Bara a récemment6 écrit qu’« Herold imagine avec
Marie une œuvre au romantisme frémissant, au carrefour de l’Italie et de l’Allemagne, bâtie
autour d’un constant jeu contrastif entre les scène légères et les grandes scènes d’ensemble, le
divertissement offert par les morceaux de genre et les épisodes dramatiques. Ces derniers
contribuent à arracher les personnages d’« Amoureux » aux archétypes et à les humaniser
grâce aux déferlements d’une passion sans retenue. La nature ne renvoie plus seulement à ce
monde immuable et à cette société harmonieuse idéalisés par la bourgeoisie urbaine ; la
musique par ses couleurs et ses rythmes tend à rendre sa présence sensible, tandis que la
subjectivité de l’héroïne, dans le déchaînement de l’orage sur le lac, déteint sur les
convulsions des éléments. »
A la lecture de ces lignes, on a décidément envie d’en lire (ou d’en entendre) plus. Le texte de
Marie fut adapté par le romancier et librettiste Eugène de Planard d’après son propre roman
Almédan, ou Le Monde renversé et pour donner une idée du succès que l’ouvrage rencontra, il
faut savoir qu’il rattrapait, en nombre de représentations, La Dame blanche, créé un an
auparavant et atteignant sa centième au moment de la propre création de Marie.
A l’époque, Ferdinand est toujours employé au Théâtre-Italien où il devient Maître de Chœur,
puis passe à l’Opéra en 1828. Entre temps il s’était marié et avait eu un fils (il aura également
deux filles). « Dès lors, continue Fétis, fatigué de mille devoirs incompatibles avec la liberté
nécessaire aux travaux de l’imagination, il se vit hors d’état de profiter des circonstances
favorables qui s’offraient à lui pour mettre le sceau à sa réputation, et ses loisirs ne furent plus
employés qu’à écrire la musique de quelques ballets. C’est ainsi qu’il donna à l’Opéra
Astolphe et Joconde, ballet en 3 actes, en 1827 ; La Somnambule, ballet en 3 actes, dans la
même année ; Lydie, ballet en 1 acte, en 1828 ; Cendrillon, ballet en 3 actes, dans la même
année. C’est aussi vers la même époque qu’il écrivit l’ouverture, les chœurs et quelques autres
morceaux pour le drame de Missolonghi, représenté à l’Odéon. Trois années s’étaient
écoulées depuis qu’Hérold avait donné son opéra de Marie à l’Opéra-Comique, lorsqu’il
écrivit en 1829 un acte rempli de choses charmantes sons le titre de L’Illusion. La musique de
cet ouvrage était mélancolique et passionnée ; Hérold y transporta l’ouverture qu’il avait
écrite autrefois pour L’Amour platonique. Dans cette même année, le roi lui accorda la
décoration de la Légion d’Honneur, distinction qui lui était due à juste titre.
Emmeline, opéra en 3 actes, représenté en 1830, ne réussit pas ; mais l’année suivante [le 31
mai 1831], Hérold prit une éclatante revanche par Zampa, en 3 actes ; production digne d’un
grand maître et qui plaça enfin l’artiste au rang des compositeurs français les plus renommés.
Abondance de motifs heureux, passions bien exprimées, force dramatique, génie de
l’instrumentation et de l’harmonie, tout se trouve dans cet ouvrage, dont le succès n’a pas été
moins brillant en Allemagne qu’en France. Peu de temps après, Hérold prit part arec plusieurs
autres musiciens, à la composition de la Marquise de Brinvilliers, opéra en 3 actes.
Soit à cause de ses travaux de l’Opéra, soit par suite de la fatigue occasionnée par ses derniers
ouvrages, Hérold commençait à ressentir quelque altération dans sa santé. Jeune encore, il
aurait pu arrêter les progrès du mal par le repos et le changement de climat ; mais rien ne put
le décider à s’éloigner du théâtre de ses succès récents, et à cesser de travailler. Malgré les
représentations de ses amis, il continua le genre de vie qu’il avait adopté, et ce ne fut que
lorsque la maladie eut abattu ses forces, que la crainte commença à s’emparer de lui. La
6
En 2001, dans l’ouvrage : Le Théâtre de l’Opéra-Comique sous la Restauration – Enquête autour
d’un genre moyen
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
5
nouvelle administration de l’Opéra-Comique éprouvait le besoin d’avoir des opéras nouveaux
qui fussent appris en peu de temps ; Hérold avait en portefeuille la partition du Pré aux Clercs
; mais elle exigeait des études et des préparatifs trop longs pour la situation du théâtre ;
Hérold le comprit et improvisa le petit opéra de La Médecine sans médecin, bagatelle où l’on
retrouve la touche d’un maître. Cette dernière production de l’artiste précéda de peu de temps
la représentation du Pré aux Clercs, ouvrage d’un genre plus doux que Zampa, mais non
moins heureusement conçu. Ce fut le chant du cygne. La maladie de poitrine qui dévorait les
jours d’Hérold faisait chaque jour d’effrayants progrès. Les agitations de la mise en scène et
du succès en hâtèrent le développement, et moins d’un mois après le dernier triomphe de
l’artiste, elle le précipita dans la tombe, laissant dans une douleur profonde tous ceux qui
avaient pu apprécier les qualités de l’homme de bien, et dans le regret d’une existence si
courte ceux qui ne connaissaient que son génie. »
Ferdinand Herold entouré de ses opéras
Le Pré-aux-Clercs est créé le 15 décembre 1832 mais Ferdinand Herold disparaît en effet peu
après, le 19 janvier 1833, tronqué par la tuberculose à neuf jours de son 42e anniversaire.
C’est Halévy qui termine son dernier opéra (comique), Ludovic, en 1833.
On sait que l’Opéra-Comique, en tant qu’institution, changea souvent de décor, si l’on peut
dire, et lors de son installation à la Salle Favart, en 1840, inaugurée avec Le Pré-aux-Clercs,
voici le curieux rapprochement que l’on effectua : « En affichant pour son jour d’ouverture le
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
6
Pré-aux-Clercs d’Hérold, l’Opéra-Comique a fait un acte de convenance qui lui a réussi.
C’est ainsi que depuis quelques armées (sic) les Italiens ont pris la coutume d’inaugurer la
saison d’hiver avec les Puritains de Bellini ; et peut-être y aurait-il plus d’un rapprochement à
faire entre ces deux partitions, œuvres suprêmes de deux génies qui se ressemblaient tant.
Ecoutez le Pré-aux-Clercs ; que de mélancolie dans ces cantilènes si multipliées ! que de
pleurs et de soupirs étouffés dans cette inspiration maladive ! comme toute cette musique
chante avec tristesse et langueur ! Il y a surtout au premier acte une romance d’une
mélancolie extrême ; l’expression douloureuse ne saurait aller plus loin. Eh bien ! cette
phrase d’un accent si déchirant, vous la retrouvez dans les Puritains ; et, chose étrange, pour
que rien ne diffère, les paroles sur lesquelles s’élève cette plainte du cygne, les paroles sont
presque les mêmes : Rendez-moi ma patrie ou laisse-moi mourir, chante Isabelle dans le Préaux-Clercs, et dans les Puritains, Elvire : Rendetemi la speme o lasciatemi morir. Quoi qu’il
en soit, le Pré-aux-clercs d’Hérold est, comme les Puritains de Bellini, une partition pénible à
entendre. Cette mélancolie profonde qui déborde finit par pénétrer en vous. Chaque note vous
révèle une souffrance de l’auteur, chaque mélodie un pressentiment douloureux, et votre cœur
se navre en entendant cette musique où l’âme de ces nobles jeunes gens semble s’être exaltée,
cette œuvre écrite pendant les nuits de fière [sic ? ‘fièvre’ ?], et dont la mort recueillait chaque
feuillet. »7
Le Théâtre des Nouveautés, depuis peu siège de l’Opéra-Comique
au moment où Le Pré-aux-Clercs fut donné pour la première fois.
7
Victor de Mars, dans la Revue des Deux Mondes.
http://fr.wikisource.org/wiki/Revue_musicale,_1840_-_I
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
7
Un curieux rapprochement, que l’audition moderne de l’opéra de Herold, dans
l’enregistrement « privé » de l’Opéra de Nantes, par exemple, ne semble pas confirmer… Le
Pré-aux-Clercs ne nous apparaît pas comme « une partition pénible à entendre », et si elle
exhale parfois une mélancolie légère, ou vibre d’une palpitation donizettienne, elle est
éloignée du poignant style de Bellini.
Quelques documents d’époque nous présentent l’Homme Herold, en plus du compositeur et
de ses sympathiques habitudes, et méritent ainsi d’être cités.
Tout d’abord un mystérieux J. A. de L. écrit8 : « Herold avait beaucoup d’amis qu’il conserva
toujours : sa conversation était vive et spirituelle ; plein de modestie et de simplicité dans ses
relations, il sut, dans l’emploi assez difficile de chef des chœurs, se faire chérir de tous par sa
bonté et son impartialité. Il composait avec une prodigieuse facilité, le plus souvent en se
promenant, écrivant quelquefois ses idées sur de petits morceaux de papier ; puis, avec le
produit des promenades du jour, il faisait pendant la nuit plusieurs morceaux avec
accompagnement d’orchestre. Ses manuscrits offrent peu de ratures, souvent aucune. Quand
ses amis lui témoignaient la crainte que son extrême fécondité et l’application qu’il en faisait
à des ballets ou à des œuvres de piano ne nuisît au succès de ses ouvrages futurs : Au,
contraire, disait-il, plus j’écris et plus les idées me viennent. La courte carrière d’Herold n’a
pas cessé d’être progressive ; l’existence de l’homme fut tranchée au moment où le talent de
l’artiste semblait avoir acquis tout son développement, et ne plus devoir, pendant longtemps,
enfanter que des chefs-d’œuvre. »
Joseph Fr. Michaud fait écho à cette opinion lorsqu’il nous dit9 qu’« Hérold était non
seulement un grand artiste, mais un homme d’esprit et un homme aimable. Le caractère de ses
mélodies se distingue par une certaine audace élégante et gracieuse ; on y trouve plus d’élan,
plus de liberté que dans celles de Boïeldieu, qui du reste l’emportaient par la délicatesse
ingénieuse et le fini de l’ensemble autant que des détails. Son orchestre brille toujours par
l’invention, la nouveauté des formes et la science solide. Hérold était appelé par son talent à
composer pour la grande scène lyrique autre chose que de la musique de ballets ; Zampa
révélait en lui un compositeur digne de se mesurer avec les premiers maîtres d’Italie et
d’Allemagne. Une mort prématurée l’empêcha de réaliser l’espoir que tous les amis de l’art
avaient conçu ; le ciel ne lui laissa pas le temps de dépenser toute la somme d’inspirations et
d’idées qu’il lui avait départie ; ses travaux et sa gloire sont restés incomplets, et pourtant il
est peu d’ambitions qui ne se contentassent de son héritage. »
Charles de Bernard, dans Un Homme sérieux 10, nous laisse ce portrait touchant : « Il avait
l’habitude de composer en se promenant, et les Champs-Elysées lui ont souvent servi de
cabinet de travail. Que de gens qui le connaissaient peu se sont formalisés de le voir passer
près d’eux sans avoir l’air de les apercevoir, et continuer sa route en chantonnant ! Comme il
était très spirituel, il laissait quelquefois échapper des mots un peu piquants qui ont blessé
bien des susceptibilités ; mais son caractère était excellent au fond. Il ne se livrait pas
facilement ; mais quand quelqu’un était réellement son ami, il lui était entièrement dévoué. Il
rendait justice à tous ses confrères, et ne connut jamais l’envie. Quoique M. Auber eût
commencé beaucoup plus tard que lui et eût été beaucoup plus heureux au théâtre, il
8
Dans l’Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts.
Dans la Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie
publique et privée de tous les hommes, directeur de publication : Louis-Gabriel Michaud.
10
Op. cit.
9
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
8
reconnaissait franchement que tous les succès de son rival étaient mérités, et qu’il y avait sans
doute dans sa musique des qualités qui manquaient dans la sienne. »
Ferdinand Herold nous laisse, perdus dans la floraison de quelques dix-neuf opéras-comiques,
deux opéras « sérieux », Lasthénie et Vendôme en Espagne, tous deux de 1823, le second
étant composé en collaboration avec Daniel Auber.
Il nous lègue également de nombreuses pièces pour piano, comme ses quatre concertos mais
aussi deux symphonies, des mélodies ou scènes lyriques en italien, des quatuors, des
ouvertures, de la musique de scène, des fantaisies sur des opéra de Rossini, de Weber et de
lui-même…11
Parmi ses opéras-comiques, on se souvient encore, on l’a vu, de Marie (1826), mais Le
Muletier (1823), sur un livret du romancier alors populaire Paul de Kock, a plus de chance. Il
en existe en effet un enregistrement, réalisé par la Radio française O.R.T.F. en 1968, avec
d’infatigables et talentueux chanteurs d’opérettes et d’opéras-comiques, tels André
Mallabrera, Lina Dachary, Joseph Peyron, Claudine Collart…
En fait, c’est le dernier opéra-comique terminé par Ferdinand Herold, Le Pré-aux-Clercs, qui
dispute à Zampa la première place dans les ouvrages ayant fait passer leur compositeur à la
postérité. De fait plusieurs études ayant l’ambition de présenter les opéras courants du
répertoire –c’est là souvent leur titre12- ne mentionnent qu’un opéra de Herold, Le Pré-auxClercs.
De fait, Zampa fut repris jusqu’avant la Première Guerre mondiale, nous dit Michel Parouty13,
tandis que Le Pré-aux-Clercs eut « davantage de chance puisqu’il était encore à l’affiche en
1949 (il dépassait alors les mille six cents représentations mais moins de trente entre 1900 et
1950 !). »
Les temps changent, lieu commun… à l’opéra également ! et aujourd’hui le pauvre Herold
est loin de jouir du même regain d’intérêt qu’un contemporain comme Donizetti, par exemple,
connaît. Les deux « collègues » ont l’élégance et une certaine chaleur du Romantisme en
commun mais, par leur appartenance au genre de l’opéra-comique, avec ses interminables
dialogues coupant la ligne musicale, les œuvres de Herold ne possèdent pas la force
dramatique des opéras du grand Lombard.
De fait, aujourd’hui c’est un autre genre qui voit le nom de Herold sur l’affiche d’une
exécution musicale. En effet, à l’instar de Daniel Auber et de Adolphe Adam, Herold a
composé des ballets ! Le deuxième des six qu’il nous laisse, La Somnambule ou L’Arrivée
d’un nouveau seigneur, sur un livret de Scribe et Aumer, créé à l’Opéra de Paris le 19
septembre 1827, est connu pour avoir servi de source au livret de La Sonnambula de
Vincenzo Bellini. Le Maestro Richard Bonynge a eu la bonne idée de l’enregistrer et de le
proposer ainsi aux passionnés. Le quatrième, créé à l’Opéra de Paris le 17 novembre 1828, est
toujours au répertoire international du ballet : La Fille mal gardée. Il est fort dommage qu’une
réorchestration moderne alourdisse la gracieuse musique de Herold, comme en témoigne
l’enregistrement existant. On ressent en outre l’étonnement d’entendre des parodies de Il
Barbiere di Siviglia et d’Elisabetta regina d’Inghilterra de Rossini, dont l’intégration par
11
On trouvera l’œuvre de Herold détaillée de manière assez exhaustive dans les deux listes contenues
dans les pages Internet suivantes : http://www.operone.de/komponist/herold.html et
http://www.musicologie.org/Biographies/h/herold_ferdinand.html
12
Notamment pour le livre de Louis Oster Les opéras du répertoire courant, Paris 1951 et celui de
Jean Chantavoine, Petit guide de l’amateur de musique – cent opéras célèbres, Paris 1948.
13
Dans son volume L’Opéra-Comique, Asa Editions, Paris 1998.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p.
9
Herold lui-même eût été possible puisque ces opéras datent de 1818 et 1816. En revanche
comment expliquer le clin d‘œil à L’Elisir d’amore, créé plus de trois ans après le ballet ?…
L’arrangeur-destructeur invoqua peut-être le fait que La Fille mal gardée existait avant la
composition de Herold, en tant qu’un ballet-pot-pourri d’airs à la mode ? Ou alors
connaissait-il La Somnambule, qui comporte, cette fois de la main de Herold, la parodie de la
même sublime rêverie « O bell’alme generose », tirée du grand air final d’Elisabetta ?…
L’Opéra de Nantes a repris en 1990 Le Pré aux Clercs, sous la direction d’un vétéran ayant
connu l’époque où l’on donnait encore ces opéras-comiques, Jean Périsson. Zampa fut repris
par le festival irlandais de Wexford en 1993 (la soirée du 3 octobre circule sous le manteau…
des passionnés), puis par le théâtre de Giessen, ville universitaire allemande de la Hesse 2005,
dont la radio diffusa la représentation du 2 avril.
II. MONSIEUR DE MELESVILLE
Un célèbre avocat parisien, le baron
Duveyrier eut un fils, Anne-HonoréJoseph (1787-1865), destiné au barreau,
comme lui…
Honoré embrassa glorieusement la
carrière, puisqu’on lui annonçait qu’il
serait procureur général à l’âge de trente
ans. Le baron devait connaître un gros
revers lorsqu’« A la seconde restauration,
nous dit Louis Huart14, le duc
d’Angoulême destitua brusquement M.
Duveyrier père, de la première
présidence, uniquement parce que c’était
un homme ami de La Fayette, et
fonctionnaire public du temps de
l’usurpateur. »
Le jeune Duveyrier embrassa alors
ouvertement la carrière des lettres, car il
avait déjà fait jouer avec succès, mais
discrètement sous le nom de sa mère,
L’Oncle rival en 1811.
Il eut la délicatesse, afin de ne pas blesser son père qui ne perdait pas l’espoir de voir son fils
magistrat, d’emprunter le nom d’un parent maternel, Mélesville, sous lequel il est connu
aujourd’hui encore comme un infatigable producteur de vaudevilles et de livrets, parfois en
collaboration - notamment avec le célèbre Eugène Scribe. Parmi ses quelques trois-centquarante (!) pièces de théâtre, certaines connurent même le fait d’être elles-mêmes adaptées
14
Dans la Galerie de la presse, de la littérature et des beaux-arts (1839)
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 10
en livrets et un exemple connu est Le Bourgmestre de Saardam, devenu sous la plume de
Gaetano Donizetti un charmant et piquant opéra bouffe, Il Borgomastro di Saardam. La Neige
rappelle le titre d’un opéra-comique de Auber, Le Précepteur dans l’embarras, un autre
ouvrage bouffe de Donizetti. Tony semble être la pièce à succès ayant pourtant abouti à
l’échec de notre Herold, en tant que livret de son opéra-comique Le Lapin blanc.
Michel Perrin pourrait être la source de ce Michele Perrin (1864), opéra italien de l’estimé
Antonio Cagnoni (1828-96) dont Maurizio Giarda15 nous dit : « D’autres opéras d’importance
sont Il Vecchio della montagna (Le Vieillard de la montagne) et Michele Perrin, comédie
sociale mettant en scène les problèmes du travail, le prolétariat milanais, la vaine tentative
d’un jeune homme de quitter la campagne pour s’insérer dans le monde milanais. »
Léocadie et Leicester sont des livrets directement écrits pour Auber, Le Châlet est celui de
l’opéra-comique autrefois célèbre de Adam, et ayant inspiré la délicieuse Betly de Donizetti. Il
semble que son talent ne se limite pas à produire (ce qui est déjà appréciable) mais également
à jouer, et avec un beau succès ! Enfin, la dimension humaine de Monsieur de Mélesville est
contenue dans cette action en tant que trésorier de l’association des auteurs dramatiques dont
il est l’un des fondateurs : « secourir plus d’un confrère que la vieillesse ou des malheurs
immérités réduisent à une misère d’autant plus cruelle qu’elle est obligée de se cacher. »,
conclut Louis Huart.
III. ZAMPA OU LA FIANCEE DE MARBRE
Zampa, corsaire, ténor
Camille, fille de Lugano, riche propriétaire, soprano
Ritta, confidente de Camille et épouse de Daniel, mezzo-soprano
Alphonse de Monza, officier sicilien, ténor
Daniel Capuzzi, contremaître de Zampa, ténor
Dandolo, familier de Lugano, sonneur d’une tour des environs, ténor
L’action se déroule à Melazzo
(aujourd’hui Milazzo, dans la province de Messine) en Sicile, au XVIe siècle
OUVERTURE
Le motif d’attaque si impétueux de l’ouverture est celui de la joie de vivre des corsaires, dans
le Finale I. Une sonnerie de trompette l’interrompt et une phrase descendante puis
mystérieuse introduit le thème apaisé du récit des malheurs d’Alice Manfredi (N°2). Un
moment palpitant de plus en plus, ramène le motif d’attaque qui finit par se résoudre en une
brillante marche. Un passage tourmenté introduit un thème interrogateur à la clarinette puis un
motif sautillant à deux temps, sympathique au possible, fringant comme le corsaire Zampa
chantant la « piquante bayadère » (N°7). Les cuivres retentissent et introduisent un motif
15
Dans : http://www.primonumero.it/musica/classica.php?id=181
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 11
mousseux à la manière de Rossini. Le retour des cuivres conduit à une brillante coda
conclusive.
Il est intéressant de comparer cette ouverture à l’une des (rares) autres de Herold que nous
possédons en enregistrement. Celle qu’il composa, huit années auparavant, pour Le Muletier,
accuse en effet une différence sensible. Elle présente un côté héroïque mais laborieux, un peu
« extérieur » et pas vraiment séduisant, tout à fait dans le style du maître-ami Méhul (La
Chasse du jeune Henri). Certes, parfois perce cette chaleur particulière à Herold : sa manière
tente de se faire jour, mais on est loin de Zampa. Herold atteint ici une expression propre, un
style imbibé d’Italie et de France plus que d’Allemagne, mais qu’il fait sien, de sa grâce
naturelle, de sa retenue dans l’expression de sa passion… à la chaleur mesurée !
Il existe de cette ouverture de Zampa une interprétation étonnante, exécutée par l’Orchestre
symphonique de Limbourg, sous la direction d’André Rieu16. Elle conjugue idéalement, par
les sonorités et la direction, les deux aspects du Romantisme latin, pour ainsi dire, en matière
d’opéra. La tendresse chaleureuse ou espiègle, un peu naïve, et ce côté gentiment m’as-tu-vu,
ce brillant un peu vain mais tout de même charmant. Il faut reconnaître que cet équilibre, cette
réussite complète et idéale ne sont atteints par aucune autre des nombreuses interprétations de
l’ouverture de Zampa qu’il nous ait été donné d’entendre… et pas même par Paul Paray,
pourtant éclatant dans Franz von Suppé, à la tête de son Orchestre symphonique de Détroit.
ACTE I
Une salle gothique avec des niches occupées par des statues. Dans la première niche sur le
devant de la scène, une statue de femme en marbre blanc, habillée d’une longue robe, la tête
ceinte d’un voile retombant en arrière. En dessous, une plaque commémorative de pierre noire
porte les mots suivants :
« ALICE MANFREDI. MDCIV. PRIEZ POUR ELLE. »17
Sur un côté, une grande table jonchée de fleurs et de cadeaux, des tabourets, une chaise ; les
portes face au public mènent à une galerie.
N°1 Introduction. a) Chœur de jeunes filles. Ritta et ses compagnes s’émerveillent de la
splendeur des cadeaux. La pulsation particulière de la mélodie donne immédiatement le
chaleureux ton romantique.
b) Air Camille « A ce bonheur suprême je n’ose ajouter foi ». La clarinette introduit le
mélancolique air de Camille, déçue de ne pas voir venir son fiancé Alphonse. Une partie
centrale animée correspond à l’évocation de l’assurance de bonheur produite par le visage de
son fiancé qu’elle contemple toujours avec exaltation ; elle reprend ensuite la cantilène
mélancolique avant de se lancer dans une brillante conclusion.
16
Le disque (CBS 51021) avait l’avantage de proposer, malgré son titre de Six Ouvertures célèbres, et
à côté des habituelles ouvertures de Si j’étais roi, Leichte Kavallerie (Cavalerie légère) et Dichter und
Bauer (Poète et paysan), des inconnues introuvables, interprétées par le Nederlands Promenade Orkest
dirigé par Benedict Silberman. Il s’agit de celle de l’opérette de Johann Strauss Das Spitenztuch der
Königin (Le Mouchoir de dentelle de la reine), présentant un fort beau thème de la célèbre valse Rosen
aus dem Süden, ainsi que l’ouverture sympathique de Zehn Mädchen und keinen Mann (Dix Jeunes
Filles et pas d’Homme) de Franz von Suppé.
17
La date contredit évidemment l’indication du siècle, que donnent toujours les diverses éditions du
livret ou les résumés de l’intrigue.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 12
Un bref chœur de jeunes Siciliens, amis d’Alphonse, fait son entrée.
c) Couplets Alphonse « Mes bons amis, partagez mon ivresse ». Dans cet air jovial et
sympathique, il les invite à participer à son bonheur. Une reprise du choeur nous fait entendre
des voix féminines puis les chœurs se retirent.
(Parlé) Alphonse s’étonne de l’absence du « bon Lugano », père de sa fiancée, et Ritta
explique qu’il est parti avant le jour afin d’aller au devant d’un riche convoi revenant de
Smyrne. Il sera bientôt là car il n’y a plus de danger, le fameux corsaire Zampa ayant été pris
et condamné à mort. Alphonse considère le portrait du corsaire que le Conseil de Messine lui
a fait parvenir avec des documents et déclare qu’il doit être un bel homme. Ritta se récrie : un
homme qui vit de rapines et hante l’Italie depuis trois lustres ?!… Elle explique ensuite
comment elle lui doit de vivre seule, à 30 ans, car le corsaire lui a ravi son cher époux
Daniel… Elle va s’occuper du banquet mais, désignant la statue, invite d’abord les dames à
prier Alice Manfredi, la protectrice du pays. Alphonse, troublé répète ce nom…
N°2 Ballade Camille « D’une haute naissance ». L’orchestre reprend le thème apaisé du
début de l’ouverture. Camille explique comment cette jeune fille, enterrée ici, est considéré
comme un ange céleste, vénéré dans tout le pays, et particulièrement dans cette chanson qui
raconte comment elle fut séduite. Un parfum d’ancien parcourt délicatement cette mélodie en
trois couplets, donnant une touche de gentillesse et de mystère et nous replaçant à l’époque de
la malheureuse Alice Manfredi.
(Parlé) Alphonse n’a plus de doute : le séducteur est son frère, le comte de Monza, qui par ses
méfaits contraignit leur père à changer de nom et de terre. C’est à lui, à présent enfermé dans
une geôle d’Espagne, qu’ils doivent la perte de leur fortune et c’est pour cela qu’il se présente
à camille, le cœur ardent mais sans fortune ! Camille le rassure gentiment : la « généreuse
Alice » protègera leur amour et son père reviendra assez riche pour tous deux. Ritta survient
et annonce que des gentilhommes demandent à parler à Alphonse dans le bois de cèdres.
Camilla est impatiente de voir revenir son père mais on entend un bruit…
N°3 Trio Camille-Ritta-Dandolo « Qu’as-tu donc ? – Quel effroi ! ». La musique reflète
l’agitation de Dandolo : alors qu’il se rendait ici, un homme l’interpelle, « grand chapeau…
grand manteau… / le visage… le regard vraiment furieux… » : « Imbécile ! où vas-tu ? - Il
te connaissais ! », commente Ritta avec espièglerie. L’inconnu continue, déclarant que
Dandolo se rend certainement au mariage de la fille du « Crésus sicilien », mais s’il va
sonner les cloches pour les noces, ce sera plutôt celles de ses obsèques qui tinteront ! Ces
noces ne doivent pas sefaire dit l’inquiétant personnage, lui montrant deux pistolets… Les
femmes ne semblent pas tellement impressionnées mais Dandolo affirme : « c’est lui !… c’est
lui !… ».
N°4 Quatuor Camille-Ritta-Dandolo-Zampa « Le voilà ! que mon âme est émue ! ». Un
personnage apparaît, enveloppé dans un grand manteau… le début du quatuor unit la
perplexité des trois à l’émotion de l’inconnu, frappé par l’aspect de Camille. Il déclare que ce
mariage ne se fera pas et quand Camille en demande la raison, il lui tend une lettre. La lecture
lui révèle que son père est prisonnier du fameux corsaire Zampa et qu’il mourra si elle se
marie… Camille ne comprend pas, puisque Zampa est en prison. L’inconnu déclare alors
qu’il s’agit d‘une erreur : Zampa, c’est lui !! Herold réussit ici à composer pour Zampa une
musique suffisamment menaçante mais non grandiloquente et traduit dans le même ton,
l’effroi de la pauvre Camille. Elle propose sa fortune mais Zampa demande un prix supérieur,
qu’il lui indiquera plus tard… La fin du quatuor est plus agitée mais à l’effroi des trois
compagnons, répond non pas la menace de Zampa mais son trouble, il se sent faiblir, ému par
Camille…
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 13
(Parlé) Resté seul avec Dandolo, Zampa s’installe sur une chaise, et prend ses aises,
expliquant que retenu, le bon seigneur Lugano lui a proposé son château ! Un dialogue
typique de l’opéra « semiserio » s’engage alors, mélangeant bien les genres, puisque Dandolo,
reconnaisant son « interlocuteur » de tantôt, lui demande avec familiarité quelque chose
comme : « Vous restez un bout de temps avec nous ? ».
Apparemment résigné, Dandolo sort. Zampa introduit Daniele, son capitaine et lui demande
où sont ses gens. Dans le jardin, répond l’autre, confirmant le fait que la place est à eux.
Zampa révèle son projet de ne pas filer après la remise de la rançon, mais bien d’épouser
Camille, car il en est tombé amoureux. Il demande ensuite des nouvelles d’un certain Pietro,
parti pour Messine porter une lettre au vice-roi et Daniel explique que Pietro voulait savoir le
contenu de la missive. « Ne lui as-tu pas cassé la tête ? », s’exclame Zampa, et Daniel
confirme l’avoir menacé de quelque chose de ce genre… Un coup de canon retentit au loin,
signalant que leur bâtiment est ancré à trois lieues du port, explique Daniel.
N°5 Final.
a) Chœur de corsaires « Au signal qui se fait entendre ». A mezza voce, les corsaires se
déclarent aux ordres de leur chef qui commande alors joyeusement le dîner. Un choeur de
serviteurs leur succède, portant ustensiles et plats pour le dîner, avec des lumières qu’ils
disposent sur la table. La musique frémissante rend bien leur sollicitude apeurée.
b Chœur de buveurs « Au plaisir, à la folie, consacrons tous nos instants ». C’est l’impétueux
motif qui débute l’ouverture et représente donc la joie des corsaires s’apprétant à faire
bombance.
c) Couplets « Que la vague écumante ». Le rythme change et la valse convient bien à cette
barcarole décrivant les pires tempêtes s’effaçant devant la joie du verre rempli de bon vin. Sa
belle est infidèle ? Qu’importe ! que son cœur « tourne comme le vent », soit volage : «
Buvons car peut-être un naufrage / Finira demain notre destin ».
d) Suite du Final. Daniel découvre la statue, son regard courroucé… l’inscription, et nous
éclaire : c’est elle que Zampa trahit autrefois ! Le corsaire rit de la frayeur de son capitaine et
s’amuse à réparer sa faute envers Alice, lui passant narquoisement la bague au doigt ! Cela a
lieu sur un fond musical frémissant, suggérant le début du motif initial de l’ouverture. La
musique se fait pourtant plus grave, avec les cuivres, lorsqu’il passe la bague. Zampa les
interroge alors avec ironie : un malheur l’a-t-il foudroyé ? Non ! et donc il reprend
joyeusement le motif impétueux débutant l’ouverture, que le choeur entonne après lui.
Dandolo entre et annonce que la maîtresse des lieux souhaite lui parler. La musique
soulignant les paroles de Zampa montre également sa sensibilité et son trouble lorsqu’il est
question de Camille. Avant de suivre Dandolo, il se souvient de « Cette riche alliance / Qu’à
son doigt [il] veu[t] présenter » et va pour reprendre son anneau… mais la main de marbre se
ferme et se lève !
Les cuivres soulignent le fait et le choeur chuchote, éperdu. Zampa tente bien de mettre ce
prodige sur le compte des effets du vin et se lance dans l’air « Au plaisir, à la folie ». Ici
Herold crée un effet particulièrement intéressant : le chant impétueux de Zampa s’interrompt
et au lieu d‘une reprise du même thème par les corsaires, ceux-ci expriment leur effroi, et à la
fin il le chante seul alors que les corsaires ont une autre mélodie, linéaire, morne… Au point
de vue scénique, Zampa tente d’arracher l’anneau à la statue qui lève la main en un geste de
menace, provoquant un cri des corsaires. Daniel se cache derrière la table ; Zampa demeure
seul au milieu de la scène. Après les cadences finales du chant, l’orchestre se déploie en une
grande vague éperdue, avant de se lancer dans une charge dramatique accompagnant la chute
du rideau.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 14
La « Salle Ventadour », siège du Théâtre de l’Opéra-Comique
au moment de la création de Zampa.
A C T E II
Une campagne sauvage en bord de mer, proche des montagnes du Valdemona dont on voit la
chaîne et l’horizon. A gauche, des pilastres malmenés par le temps et entourés d’arbustes et
de vigne indiquent l’entrée du palais de Lugano. A droite, une chapelle gothique dont les
portes sont fermées et devant laquelle se trouve une tombe.
N°) 6 Prière à 3 voix. Chœur de femmes puis prière « Aux pieds de la Madone ». Une grande
phrase orchestrale apaisée introduit le chœur de prière que l’on entend depuis l’intérieur.
N°) 7 Air Zampa « Toi, dont la grâce séduisante ». Il entend Camille prier mais déclare
qu’elle espère en vain : elle lui appartiendra. La clarinette énonce alors un motif mélancolique
que continue la flûte, exhalant un parfum tout à fait bellinien. Son amour en semble d’autant
plus sincère et profond. Après une transition orchestrale il attaque un Allegro sonnant comme
une cabalette : « Il faut céder à mes lois, / Et comment s’en défendre ? / Quand mon cœur a
fait un choix, / La belle doit se rendre. » Jamais en effet une femme ne plia son vouloir, à lui
« Corsaire », « Roi de la mer ». On entend ensuite l’allègre motif à deux temps de l’ouverture,
accompagnant bien les paroles « Piquante bayadère, / Par sa danse légère m’enchaîna pour un
jour », puis il évoque d’autres conquètes comme « la prude castillane » ou la fière Anglaise
baissant pourtant le regard devant lui.
(Parlé) Daniel, luxueusement vêtu, annonce qu’il n’a pas dormi de la nuit. Zampa déclare que
la statue est toujours en place, immobile mais l’anneau a disparu… Probablement un
audacieux corsaire… peut-être même Daniel qui se récrie et prend le ciel à témoin. Zampa
demande si ses ordres ont été suivis et Daniel en veut pour preuve son habit et celui des
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 15
autres… qu’ils ne garderont peut-être pas longtemps puisque la fuite de Zampa est désormais
découverte. Précisément, ce dernier sort afin de faire avancer le moment de la cérémonie.
Ritta entre, répétant ses paroles d’étonnement : comment ? un autre mariage ?…
N°) 8 Duo Ritta-Daniel, puis Trio avec Dandolo « Juste ciel ! – Ah ! grand Dieu ! ». Un
allant rossinien anime le moment de reconnaissance, heureux surtout pour Ritta, semble-t-il,
plus que pour son mari, Daniel. Du reste, jouant serré, il fait celui qui ne la connaît pas, afin
de sonder l’esprit de Ritta, et tout de même conscient que le jeu est un peu cruel. Celle-ci,
incertaine, trouve que certains traits sont pourtant ceux de son Daniel… L’arrivée de Dandolo
complique la situation car n’apercevant pas Daniel, il annonce à Ritta qu’ils seront dans deux
jours enfin mari et femme ! Daniel, étouffant de colère, interroge avec ironie : « Quoi ! cet
époux ? Ce Daniel ? l’objet de vos amours ? ». Ritta répond avec philosophie qu’« il faut
bien se faire une raison », puisqu’elle le pleure en vain depuis dix ans.
(Parlé) Alphonse paraît, déconcerté, les habits en désordre : ainsi Camille va être l’épouse
d’un autre ? et lui qui leur a échappé avec tant de mal… c’était pour tomber dans les bras
d’un destin plus cruel encore ! Camille entre.
N°) 9 Duo Camille-Alphonse « Pourquoi vous troubler à ma vue ? ». Un motif Allegro deciso
avec des notes rebattues aux violons, à la Rossini, accompagne les questions menaçantes
d’Alphonse qui en vient à accuser le père de ce mystérieux revirement. La souffrance de
Camille, qui ne peut rien dire, n’est pas moins vive que le tourment d’Alphonse. Un superbe
passage à deux, chaleureux Largo donizettien au possible avec la flûte doublant les voix, unit
leur tristesse de devoir se séparer : « Hélas ! ô douleur ! ». Le motif rossinien revient quand
Alphonse presse Camille de lui révéler quels droits sur elle possède le mystérieux nouvel
époux. La vibrante stretta finale, Allegro vivace « Il faut se quitter pour la vie », au tempo
reflétant l’urgence du moment, comporte même une mélancolique phrase montante des
violoncelles venant souligner le chant, exactement comme le faisaient les compositeurs
italiens contemporains de Herold. Dans la « bridge section »18, l’orchestre halète, martèle,
soupire, on réentend un moment de transition de l’ouverture. La cloche sonne ; ils reprennent
le motif de la stretta avec plus de fougue et même les cadences, avec leur élan désespéré à la
Donizetti, sont émouvantes.
(Parlé) Dandolo survient quand Alphonse déclare ne pouvoir abandonner Camilla comme elle
le lui demande. Ainsi, les voilà tous deux sans femmes… mais on n’est pas de taille contre
ces brigands. Dandolo raconte alors qu’il les a entendu discuter au sujet d’un certain Pietro
dont la prise conduirait à leur arrestation. En proie à une idée, Alphonse tire un portefeuille,
écrit un billet et demande à l’autre de le porter à l’officier indiqué, puis de suivre les ordres de
ce dernier et tout devrait bien aller. Il a compris que la jeune fille doit subir une pression et
veut la sauver. Dandolo disparaît entre les rochers et Alphonse se retire derrière la chapelle.
N°) 10 Final Zampa, puis Camille-Ritta-Alphonse-Daniel-Un Corsaire. Zampa, richement
vêtu, fait son entrée avec ses hommes, des pêcheurs, des jeunes filles et des paysans. a)
Chœur « L’écho de nos montagnes ». La joie générale de ce choeur étonne un peu car l’époux
inconnu et le mal être de Camille devrait frapper tous les assitants…
b) Ronde Zampa « Douce jouvencelle, viens sur ta nacelle ». Cet air, indiqué comme
« Barcarola » dans la version italienne raconte en effet l’histoire d’une belle jeune fille à qui
l’on conseille de se montrer moins fière, car si son cœur n’aime, son tour ne saurait tarder.
(Cet air est curieusement coupé à Giessen, probablement pour épargner le ténor assumant le
rôle de Zampa…).
18
Passage musical séparant l’exposition d’un motif, de sa reprise ou da capo.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 16
Camille paraît, émerveillant tout le monde, Zampa compris, qui, brûlant d’amour, ne voit pas
l’instant de lui jurer fidélité. Camille et les paysans s’agenouillent devant la tombe d’Alice
Manfredi. La scène s’obscurcit tout à coup, la musique devient sombre… mais délicatement
grave, avec les cuivres mesurés. De la tombe sort la statue, visible du seul Zampa et tend vers
lui la main portant l’anneau, avant de redescendre dans le sépulcre. Zampa est profondément
troublé par « cette bouche glacée, et cet œil sans regard… l’œil hagard et la main
menaçante ! », Durant ses paroles éperdues, la musique vive reprend, montrant qu’il est le
seul à avoir aperçu l’horrible vision. Daniel est pourtant impressionné : « le diable est de la
partie », et il le presse de remettre la cérémonie mais le corsaire se ressaisit finalement :
« Rien ne peut effrayer Zampa ». C’est alors que paraît Alphonse.
c) Chœur « Que vois-je, c’est Alphonse ». L’appellation de « chœur » ne trompe pas, il s’agit
d’un ensemble concertant exposant les différents sentiments des personnages, que l’on
imagine aisément, mais à la différence de Donizetti, Herold esquisse la « montée »
progressive de l’ensemble mais ne le fait pas culminer sur une extase lyrique et dramatique.
d) Scena. Dans un passage musical dramatiquement animé, Alphonse, déterminé à verser son
sang, s’apprête à inviter le rival à un duel mais reconnaît bientôt en lui, et à la stupéfaction
générale, « ce terrible corsaire, cet infâme Zampa ! ». Tous crient vengeance mais Zampa,
sans se démonter estime que « Pour se défaire d’un rival / Le moyen est original ». C’est alors
que Dandolo survient, avec un officier et des soldats et explique qu’on a pris le mystérieux
Pietro, avec cette lettre destinée à Zampa –l’orchestre soutient ici le chant déclamé par un
motif aux notes rebattues, moussant à la Rossini, mais très légèrement. Le chef des corsaires
ne nie plus et fait signe à Alphonse de lire, sur les violons frémissants. Le message émane du
vice-roi qui accorde « la grâce entière » -les cuivres imagent musicalement le point
d’exclamation de l’écrit- à Zampa et à ses compagnons, pourvu qu’ils entrent dans ses rangs
afin de combattre l’Ottoman ! « A ce prix, son pardon est accordé sur terre / Qu’il l’obtienne
du Ciel. – Le Ciel c’est mon affaire », réplique le hardi Zampa. Il triomphe avec ces mots,
ponctués par des accords dramatiques de l’orchestre : « Que toute crainte soit bannie / Mes
amis, ce Zampa redouté / Désormais consacrera sa vie / A défendre vos jours et votre
liberté ».
e) A ce moment retentit un hymne solennel « Honneur à notre défenseur », immédiatement
suivi d’une prenante stretta finale lancée par Camille en proie à la douleur. Zampa se révèle
en effet moins chevaleresque en lui glissant que son père est encore en son pouvoir…
Alphonse se demande si elle va donner sa main, son coeur à son rival, tandis que la foule
aveugle reprend l’hymne. C’est alors que dans un saisissant changement de rythme, dont
Offenbach se souviendra (et abusera), tous attaquent une grande phrase lyrique fort
impressionnante, suivie de cadences dramatiques : l’orchestre se lance aussitôt dans une
vertigineuse charge, descendante pour une fois, terminée par un seul accord sec, à la Auber.
Zampa conduit Camille dans l’église, suivi de tous – le rideau tombe.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 17
Ferdinand Herold… sans ses habituelles petites lunettes.
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 18
A C T E III
Entracte. Herold a prévu un Andante que la production de Giessen semble délaisser au profit
de la barcarolle qui va suivre, ici jouée au piano pendant que le récitant expose son intrigue.
En revanche, avant cela, l’orchestre a un accord sourd, grave et laissant présager de quelle
atmosphère va se colorer ce début d’acte.
L’intérieur d’un appartement ; au fond, une riche portière conduisant aux pièces retirées de
Camille. A gauche, une galerie ouverte dont les fenêtres sont gothiques et donnant sur un
balcon. Un candélabre éclaire la scène ; une porte de côté avec de riches rideaux semblables à
la portière.
(Parlé) Camille seule, en habit modeste, et « abandonnée », nous dit la didascalie, se répète
comme pour mieux s’en persuader, qu’elle l’a épousé… mais que son père est sauf ! Elle
pense à Alphonse qui doit ignorer ce devoir devant être accompli par elle… Elle perçoit la
voix lointaine, d’un pêcheur, croit-elle, et reconnaît avec émotion l’air qu’elle chantait le soir
avec Alphonse.
N°) 11 Barcarolle Alphonse puis Camille « Où vas-tu, pauvre gondolier ? ». La clarinette
prélude, puis la harpe ondoyante accompagne la triste chanson… le pêcheur n’est autre que
Alphonse !
« Où vas-tu, pauvre gondolier ?
- Je vais sur un autre rivage,
Chercher un sol hospitalier
Que n’ait point flétri l’esclavage !
Adieu donc pour toujours,
Terre chérie,
O ma belle patrie,
Adieu donc, mes amours et mes beaux jours ! »
Une ritournelle revient à l’orchestre où domine la flûte, plus bellinienne que jamais. Le
deuxième couplet est entonné par Camille, le troisième est repris à l’unisson avec tout juste un
peu plus de ferveur (ah ! le sens de la mesure de Herold). Camille s’approche de la galerie.
(Parlé) Alphonse, qui a escaladé le balcon, paraît, en costume de marin ; Camille recule,
effrayée. Il connaît son sacrifice mais revient pour l’enlever et la conduire au pied du trône,
où son mariage sera annulé. Elle répond que c’est devant Dieu qu’elle a juré… et espère dans
le fait que Zampa ait promis de lui accorder la première grâce qu’elle lui demandera. On
vient, Alphonse recule vers le balcon et se cache derrière les parties vitrées, alors qu’on
entend la…
N°) 12 Sérénade en chœur « La nuit profonde couvre le monde », chantant au loin
l’apaisement nocturne avec une naïveté charmante : « Quand tout sommeille / Le bonheur
veille / Pour les amants. »
(Parlé) Zampa survient avec ses corsaires qu’il renvoie, avant de s’abandonner sur une chaise.
Daniel se déclare peu convaincu par ces statues qui marchent et Zampa lui demande s’il a
exécuté ses ordres. Daniel explique que la statue n’est plus à la chapelle où Zampa la fit
transporter et que… elle est revenue dans la galerie, là où elle s’est toujours trouvée ! On l’a
alors réduite en morceaux (!) qu’on jeta dans la mer, conclut-il, à la satisfaction de Zampa.
Camille survient, pâle, et rappelle son serment à Zampa : elle veut se retirer en un couvent.
Zampa réplique qu’aucune force humaine ne la ravira à son amour, Alphonse, préparant son
poignard, pense le contraire… C’est alors que Zampa évoque l’éventuelle aversion, pour son
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épouse, à porter le nom d‘un corsaire, il lui en donnera donc un plus illustre, hérité de son
père :
« Comtesse de Monza » !
Stupéfait, Alphonse réalise, jette le poignard et se montre à… son frère !
Celui-ci s’empare d’une épée et frappe sur un bouclier pour appeler ses hommes.
N°) 13 Final a) Allegro assai (Moment d’ensemble ) Camille-Alphonse-Zampa, puis les
corsaires « Qu’entends-je ? – O ciel ! ». Dans la confusion qui s’ensuit, Alphonse supplie
Camille de ne pas le trahir, sa honte n’aurait pas de fin si Zampa apprenait qu’il est son frère !
On l’entraîne ailleurs.
b) Cavatine Zampa « Pourquoi trembler, c’est moi qui vous implore ». Gracieuse demande
qu’il adresse à une Camille en proie à d’autres préoccupations, puis les violons frémissent
quand il en vient à ces paroles : « Ah dans vos yeux, laissez-moi lire / Ce mot qui doit
combler mes vœux. »
Il reprend l’air, plus tendre encore : « vous adorer sera ma loi ».
c) Stretta de duo [La partition indique seulement Allegro]. L’orchestre palpite quand Camille
presse, non plus Zampa le corsaire, mais le comte son époux, de lui accorder ce bienfait
qu’elle sollicite. Il se lance alors dans un chant passionné, sorte de stretta donizettienne avec
la clarinette doublant le chant, sur ces paroles vibrantes : « Que d’attraits, que de charmes ! /
Sa douleur et ses larmes / Ont redoublé tous mes feux ». La musique ne s’arrête pas à la fin de
la stretta, les contrebassses grondent, l’orchestre martèle…
Camille s’écrie : « Eh quoi ? rien ne vous touche, / Ah sans doute, celui dont l’âme insensible
et farouche causa la mort d’Alice Manfredi, doit être sans pitié ». Le comte est frappé par le
nom mais se montre déterminé : « tu m’appartiendras ». Camille court au prie-Dieu, ne sait où
fuir… la lumière s’éteint, Camille a couru au fond de la scène dont les rideaux se referment
comme sous un coup de vent. L’orchestre attaque une vaste et ample phrase illuminée… Le
comte l’a suivi mais quelqu’un lui prend le bras dans l’obscurité… c’est la statue d’Alice
Manfredi, sa fiancée de marbre ! !
L’obscurité profonde n’est déchirée que par des éclairs illuminant les verrières.
La main glacée étreint le comte, qui frappe désespérément de son poignard… mais il se brise
sur le marbre ! Il demande alors pardon à Alice Manfredi mais, poussant un cri terrible, il
s’enfonce dans les flammes et disparaît avec la statue.
L’orchestre se lance en un thème désolé où éclate le désespoir humain, le choeur chante et
implore… la harpe vient éclaircir le paysage musical…
Une partie du palais disparaît : on voit au loin la statue d’Alice Manfredi revenue à sa place,
entourée de tous les habitants qui se prosternent. Sur les rochers, on aperçoit Camille,
soutenue par Alphonse ; elle ouvre les bras à un personnage qui accoste : son père Lugano !
Le choeur prie sur la mélodie de l’ouverture : « Sainte Alice veillez sur nous / Nous prierons
Dieu pour vous ». La prière s’intensifie en un moment de grande ferveur, apothéose soutenue
par l’orchestre qui charge, d’une ample phrase ascendante, terminée par un coup bref.
Le rideau tombe au moment où Lugano presse Camille et Alphonse contre son cœur.
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IV. LA FORTUNE DU CORSAIRE
L’expression plaisante joue sur les sens du mot fortune, signifiant non seulement la richesse
mais également l’avenir, la carrière d’une œuvre. Or Zampa s’offre rapidement un tour du
monde lyrique puisque Londres le monte en tant que Zampa or The Marble Bride, le 19 avril
1833, au « King’s Theatre in the Haymarket ». L’intéressant site Almanacco de Gherardo
Casaglia19 signale qu’on donna alors l’opéra « avec le Finale op. S 200 du 3e acte de Johann
Nepomuk Hummel ».
Vienne applaudit le 3 mai 1832, la version allemande Zampa oder Die Marmorbraut de
Joseph von Seyfried, au « k. k. Hof-Operntheater nächst dem Kärntnerthor » (Opéra royal et
impérial de Cour à la Porte de Carynthie), mais également au « Theater in der Josephstadt »,
où notamment Richard Wagner assitera à une exécution qui le laissera impressionné.
Sous le titre Zampa or The Marble Betrothed, le « Metropolitan Theatre » de Boston, fenêtre
européenne de l’Amérique du Nord, donnera le 26 juillet 1833 ce qui pourrait être la première
production américaine de l’œuvre. New York, quant à elle, le donne à son « Park Theatre » le
12 août 1833.
Devenu « Melodramma tragi-comico » traduit par Giovanni Federico Schmidt, Zampa o La
Fidanzata di marmo connaît sa première en Italie au Teatro del Fondo de Naples, le 28
décembre 1833, tandis que le prestigieux Teatro San Carlo l’accueille le 24 mars 1834. Turin
le reçoit en son beau Teatro Carignano, le 18 octobre 1834. L’« I. e R. Teatro in via della
Pergola » de Florence le donne lors de la saison de carnaval 1835 et le Teatro alla Scala
l’entend pour la première fois, le 2 septembre 1835. Le Gran Teatro La Fenice de Venise le
monte le 21 mai 1843, le Teatro Regio de Turin en janvier 1852, sous le titre varié en Zampa
ossia la Sposa di marmo…
Le Portugal le reçoit en version italienne, le 31 juillet 1839, au « Real Theatro de São Carlos »
de Lisbonne, lors d’une soirée de gala destinée à fêter l’anniversaire de la duchesse de
Bragance, puis à nouveau le 28 Ottobre.
Le 16 mai 1877, a lieu à l’Opéra-Comique de Paris, alors basé Salle Ventadour ou ThéâtreItalien, la cinq-centième représentation de l’œuvre !
Enfin, rançon du succès, une parodie de Johann Nestroy est créée sous le titre Zampa der
Tagdieb oder Die Braut aus Gibs : Zampa le fainéant ou La Fiancée de plâtre !!
Avec Johann Strauss Père qui saisit toute la nouveauté de l’actualité viennoise dans ses
valses, galops et cotillons, voilà Zampa qui rejoint La Straniera, I Capuleti e i Montecchi,
Anna Bolena, La Muette de Portici et Fra Diavolo, déjà adaptés par ses soins en d’habiles et
gracieuses danses. La fureur que souleva Zampa à Vienne se traduit par au moins trois
morceaux adaptés par Johann Strauss : Zampa-Walzer (opus 57), joué pour la première fois le
2 août 1832, Zampa-Galopp (opus 62a) et Wiener Bürgermarsch Nr. 2, nach Motiven der
Oper Zampa (sans opus).
19
http://www.amadeusonline.net/almanacco.php?Start=0&Giorno=&Mese=&Anno=&Giornata=&Testo
=Zampa&Parola=Stringa
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Outre l’habileté d’adaptation de Johann Strauss, on note dans ces morceaux gentiment
irrévérencieux, une affectueuse parodie, comme le fait de présenter en une valse (délicieuse !)
la ballade célèbre du bandit Fra Diavolo.
Quant à Herold, le titre de Cotillons nach beliebten Motiven aus der Oper « Der Zweikampf »
(opus 72), cache l’adaptation en cotillon des « motifs les plus aimés de l’opéra Le Pré-auxClercs ».
L’intransigeant Berlioz écrit, dans le Journal des débats du 27 septembre 1835, qu’« En outre
le style n’a pas de couleur tranchée; il n’est pas chaste et sévère comme celui de Méhul ;
exubérant et brillant comme celui de Rossini ; brusque, emporté et rêveur comme celui de
Weber; de sorte qu’à bien prendre, tout en participant un peu de chacune des trois écoles
allemande, italienne, française, Hérold, sans avoir un style à lui, n’est cependant ni Italien, ni
Français, ni Allemand. »
Le jugement est sévère, le pauvre Herold méritait mieux… même si Berlioz n’a pas tout à fait
tort dans l’assemblage des trois écoles présenté par le style de Herold. En fait, on peut
considérer la chose d’un autre point de vue : la musique d’Auber frémit délicatement, celle de
Herold bouillonne, plus romantique et chaleureuse, plus passionnée et donc plus proche, à la
fois de l’Italie et de l’Allemagne. C’est probablement cette ferveur… disons donizettienne
(l’audition de Zampa et de Le Pré-aux-Clercs la révèle et confirme), qui faisait tordre le nez,
comme on dit en Italie, à Hector Berlioz, l’intellectuel de la musique !
Il nous reste à espérer que l’aimable lecteur nous ayant accompagné chez Monsieur Herold,
soit touché par sa personnalité et profite mieux des représentations de Zampa20… ainsi qu’à
remercier notre ami Monsieur Roger Lévy, qui tira à notre intention, la partition de Zampa de
la riche bibliothèque de son père, Maître-répétiteur au bon vieux Théâtre de l’OpéraComique.
Yonel BULDRINI
Mars 2008
20
Lire la critique de la production présentée à l’Opéra Comique :
http://www.forumopera.com/concerts/zampa_herold080310.html
Zampa – Dossier de Yonel Buldrini – www.forumopera.com - p. 23
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