1315 – 1515 – 1815 – 1915
Trois événements apparaissent comme des jalons décisifs pour l'indépendance et la neutralité
de la Suisse, ainsi que pour notre identité en tant qu’Etat souverain: la bataille de Morgarten,
celle de Marignan et le Congrès de Vienne. Il y aurait également 515, date de fondation de
l’abbaye de Saint-Maurice, la plus ancienne constamment occupée…
L'histoire de nos origines nationales baigne à tel point dans l'épopée, elle fut tant de fois
empruntée par le sublime pompier des discours de cantine, qu'on sent sa plume répugner à
reprendre un sujet si usé! Mais la fatalité des années 15 nous invite. Elles partagent en effet
curieusement les volets de ce triptyque. 1315-1515, de Morgarten à Marignan, deux cents ans
de rudes batailles pour acquérir son droit à l'indépendance. 1515-1815 de Marignan au traité
de Vienne, trois siècles de contradictions, religieuses et politiques, pour trouver une
cohérence. 1815-2015, deux cents ans de neutralité affirmée et armée, pour assurer une
existence au sein de nouvelles dimensions du monde.
1315 - La réalité de la bataille de Morgarten
Le 15 novembre 1315 au défilé de Morgarten, un événement inattendu, mais important, se
produit. Débarrassons l'histoire de cette avalanche de pierres que peintres et poètes trop
romantiques ont imaginé comme lâchées du ciel par quelque dieu mythologique, et jetons un
œil critique, voire sceptique, sur cette étrange aventure de la plus brillante chevalerie anéantie
par une poignée de pâtres qui doivent vendre leurs produits et s’approvisionner à Lucerne et à
Zurich. Ces deux centres se trouvent aux mains de leurs ennemis qui les ont fermés. Les
pâtres répliquent en fermant le Gothard et, comme ils voient qu'on va en venir aux armes, ils
construisent sur tous les chemins qui mènent chez eux les fameux letzi, ces murs de 3-4
mètres de hauteur qui barrent le passage pour les chevaux, là où les forêts ou les rochers ne
les interdisent pas naturellement. Tout cela relève d'une politique militaire avisée… Les
Waldstaetten profitent de ce que l'élection de l’empereur Louis de Bavière est contestée par
les Habsbourg. Ils prennent fait et cause pour le Bavarois qui renouvelle et étend la
reconnaissance de leurs privilèges et de l’immédiateté impériale.
On va de toute évidence vers la guerre et les Schwytzois ne font rien pour l'éviter. Ils
revendiquent des droits contre l'abbaye d'Einsiedeln dont les Habsbourg sont avoués et
bénéficiaires. Leurs prétentions sont discutables, ce qui ne les empêche pas de descendre en
1314, le soir des Rois, mettre à sac la vénérable abbaye. Une véritable provocation!
Le duc Léopold ne reste pas inactif: il prépare une expédition. Accordant des faveurs, il
rassemble à Zoug environ 2000 chevaliers, toute la fleur de la noblesse de l'époque, qui espère
une guerre fraîche et joyeuse. Cette expédition punitive promet un fameux pillage: on
s'est abondamment pourvu de cordes pour emporter le bétail. L’armée compte dix hommes
de pied par lance, c'est considérable pour l'époque. Le plan du duc, vite établi, vise à attaquer
Schwytz avec le gros des forces en utilisant le seul passage non encore fortifié et barré par un
letzi, celui de Morgarten. Une trahison permet aux Waldstaetten de le connaître. Ils semblent
avoir un service de renseignement bien organisé.Quoi qu’il en soit, ils ne sont pas surpris et se
massent dans les forêts qui dominent le défilé. Les chevaliers du duc, mésestimant leurs
adversaires, s’engagent tête baissée dans le terrain le plus défavorable pour la cavalerie. Ils
sont faits comme rats entre des pentes abruptes, des forêts, un marécage et un lac.