Must Eat !18 /
Offi ciellement, il est à la retraite.
Pourtant, en ce e année 2013, il ouvre
un fast-food. Logique pour le pionnier
de la cuisine végétale ?
Oui, puisque c’est un pionnier.
À force de volonté, il a reconquis
son territoire, l‘Aubrac, pourtant promis
à la désertifi cation dès les années soixante.
À force de volonté, il a imposé, le premier, l’idée
qu’un légume pouvait être le centre de l’assie e.
À force de volonté, il a laissé son fi ls reprendre
les rênes de leur maison. Mais non sans mal.
Car au départ, il n’y avait rien. Comme en ce jour
de fi n avril où le printemps se fait a endre.
Sous la rosée, l’abondance
En bas de chez Michel Bras, à une quinzaine
de kilomètres du restaurant, la terre du potager
est retournée. Dans la brume matinale, rien n’affl eure
de terre. Tout semble sombre. Pourtant, la rosée ourle
quelques feuilles de chou moutarde. Sous la serre,
des « cornes de cerfs » (une salade qui imite exactement
les bois de l’animal) se chatouillent les unes les autres.
En se rapprochant encore du niveau du sol, on tombe
fi nalement nez à nez avec l’abondance. Quelques
pousses de bissap, des pois nain à fl eurs, des fl eurs
de bourrache blanche, de l’arrache, du chou rave,
du chou red passion, des tulipes comestibles,
du chou kale (que Michel prononce « cale »,
à la française, ignorant qu’une diaspora anglo-saxonne
ultra-branchée essaye de faire monter la cote
de ce chou
healthy
à Paris)…
Locavore avant l’heure
Michel Bras est un contemplatif et esthète avant tout,
il aurait bien du mal à défi nir sa démarche, puisqu’il
la vit de l’intérieur. Il l’exprime pourtant chaque jour,
en cueillant les protagonistes de son gargouillou,
sans cesse mouvant. Plat mythique de ce grand
homme, cet enchevêtrement de feuilles, de racines,
de fl eurs, de tubercules, de croquant, de douceur,
de moelleux, de velouté, de succulent, de ragoûtant
et parfois d’écœurant est comme une longue marche
au cœur de ce qui fait la vie, avec ses joies et ses débats,
ses combats et ses repos. C’est une sorte de métaphore
sur l’inconstance inhérente à la naturalité des choses,
un constat quotidien de ce que l’on ne maîtrise pas
et donc une leçon d’humilité qui continue à inspirer
les cuisiniers les plus ouverts à la remise en question.
Au fi l des pages que vous feuilletez, vous verrez
beaucoup de ces chefs douter, ou plutôt utiliser
le doute comme un ressort. C’est pour ce e raison
qu’ils sont tant inspirés par Michel Bras.
Du Tout à partir du Rien
L’hiver n’a rien à envier à l’été chez les Bras. Ils savent
faire de tout à partir de rien. Tout comme Soulages
rend un noir lumineux, Michel Bras (qui fera
le restaurant du musée dédié à l’artiste en 2014) rend
une moelle de chou-fl eur soyeuse, qui e à la cuire trop
longtemps. Il se fout des tendances et « sur-cuit »
ses légumes, si ça lui chante. Les cuisiniers avant-
garde peuvent toujours hurler. De ce e négation
de la mode, il tire, sans le vouloir, le respect de tous
les jeunes chefs qui montent. De René Redzepi jusqu'à
MICHEL BRAS
Du rien naît le tout
NÉ EN : 1946
NOMS DES RESTAURANTS :
La Maison Bras (Laguiole
et Hokkaïdo), Capucin (Toulouse)
PÈRE : la contemplation des territoires
FRÈRES : Olivier Roellinger,
Michel Troisgros, Pierre Gagnaire
ENFANTS : « Ils auront le courage
de se reconnaître et de le dire. »
APPARITION SUR LA SCÈNE FRANÇAISE :
entre 1975 et 1978
SIGNE PARTICULIER :
ne pourra jamais s’arrêter.