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150 ans après lémancipation des juifs de Suisse, la communauté genevoise compte
des Ashkenazes et de Séfarades, des traditionnalistes et des liraux
L’unité dans la diérence
OLIVIER CHRISTE
Genève est non seulement le théâtre de ren-
contres entre diplomates, distributeurs et
exposants internationaux, mais aussi entre
Séfarades et Ashkénazes, et ce, depuis près de
100 ans. Une réunion d’une telle ampleur est
exceptionnelle pour la Suisse et entraîne la
coexistence de mondes qui se sont dévelop-
pés séparément pendant de nombreux siècles.
Mais le débat qui s’est ouvert autour de cee
cohabitation genevoise s’est très rapidement
intéressé à des aspects allant bien au-delà des
simples diérences d’origine et d’histoire. Il
a impulsé une forte dynamique dans la dis-
cussion sur les réformes du judaïsme, ce qui
s’est finalement traduit par une forte diversi-
fication de la communauté juive à partir des
années 1970, laquelle se maintient encore
aujourd’hui.
Le récit des juifs de Genève
Jean Plançon vit dans la périphérie de Genève,
dans la commune de Veyrier. Cee dernière est
accolée à la frontière française, et le cimetière
juif dont la garde est assurée par Jean Plançon
se trouve précisément sur la frontière. Outre
le logement du gardien, Jean Plançon occupe
également un cabinet de travail dans le bâti-
ment administratif du cimetière. Le bureau
et les étagères sont revêtus d’un placage syn-
thétique d’un rouge tropical. Les livres bien
souvent des éditions académiques luxueuses
inscrites en leres d’or et encadrées de part et
dautre par d’importants voisins s’alignent
sur de nombreux mètres. C’est dans cee pièce
que Jean Plançon entreprend ses voyages dans
le passé, dans l’histoire juive de Genève. L’«His-
toire de la Communauté juive de Carouge et de
Genève» comprend trois tomes. Deux d’entre
eux sont déjà parus et couvrent la période de
l’Antiquité à l’an 1946. C’est l’un des travaux les
plus vastes et les précis sur une communau
juive de Suisse.
Genève fait ainsi figure d’exception locale,
puisque la majorité des juifs qui y résident
sont d’origine séfarade. Mais cela na pas tou-
jours été ainsi. Durant la deuxième moitié du
XVIIIe siècle, le roi de Sardaigne rêvait de bâtir
une cité d’envergure dans sa petite exclave à
l’extrême ouest du lac de Genève. La petite ville
de Carouge devait aeindre un rayonnement
similaire à celui de la métropole de Genève. Il
s’est mis en quête des habitants nécessaires à
ce projet dans toutes les couches de la popu-
lation et dans toutes les régions, même parmi
les juifs. Il leur a permis de s’y implanter, une
exception en Europe à cee époque. Ce sont
principalement les juifs dAlsace qui se sont
installés dans l’actuelle banlieue genevoise de
Carouge pour y former une communauté ash-
kénaze active.
L’émancipation accrue qui a mené à la révi-
sion partielle de la Constitution fédérale en
1866, laquelle accordait aux juifs de Suisse la
liberté d’établissement et le plein exercice des
droits civiques, s’est traduite par la croissance
et l’élargissement de la petite communauté
juive. Beaucoup de ses membres ont quié
Carouge pour Genève, où ils ont bâti l’une des
premières synagogues de Suisse en 1859. Le lieu
de culte qui porte le nom de Beth Yaacov se
trouve, comme jadis, en plein centre de la ville.
Jean Plançon aime évoquer le passé. Cepen-
dant, plus il intègre le présent dans ses récits,
plus ceux-ci sont brefs. «En tant qu’historien,
j’ai été confronté au passé. À des thèmes cli-
vants. Mais de l’eau a coulé sous les ponts
depuis. Le présent est plus épineux. C’est plus
dicile d’en parler.» Jean Plançon veut dire
par qu’il est dicile davoir du recul sur des
événements qui ont perdu en impact au fil des
décennies. Néanmoins, il évoque en parallèle
la diversification du judaïsme genevois que
l’on observe depuis les années 1970. Une situa-
tion qui s’est traduite par une indignation
collective et par la construction de nouvelles
synagogues.
La synagogue Beth Yaacov illustre parfai-
tement cee diversification. «Celle-ci est en
grande partie vide aujourd’hui», explique Jean
Plançon. En eet, toute la place de la Syna-
gogue sur laquelle a été érigé le lieu de culte
renvoie une impression d’abandon en plein
centre de la Genève dynamique. Un îlot de
tranquillité si l’on peut dire. «Mais la tranquil-
lité, c’est avant tout le délaissement», ajoute-
t-il. La synagogue Beth Yaacov est gérée par la
Communauté Israélite de Genève (CIG), hier
l’unique et aujourd’hui la plus grande commu-
nauté juive de la ville. La CIG adopte dailleurs
une approche traditionnelle ou orthodoxe
de la foi. Pour expliquer le délaissement, son
Grand Rabbin, Izhak Dayan, utilise l’image
d’une île. Il raconte l’histoire d’un juif solitaire
qui construit deux synagogues sur cee même
île. L’une dans laquelle il se rend pour prati-
quer son culte et l’autre, dont il se tient éloigné.
Beth Yaacov a été remplacée par sept nouvelles
synagogues ou salles de prière. La plupart
dentre elles ont été construites au cours des 50
dernières années, notamment Hekhal Haness
qui peut recevoir 1 200 croyants.
Genève accueille environ 4 500 juifs. La ville
de Zurich est le deuxième lieu d’implantation
de juifs en Suisse, mais cee communauté
reste limitée. Que se passe-t-il lorsque l’iden-
tité commune est remise en question dans le
cadre de cee diversification?
Première migration séfarade
Les membres de la petite communauté ash-
kénaze avaient à peine terminé de bâtir leur
synagogue Beth Yaacov que des événements à
Andrinople (l’actuelle Edirne située à la fron-
tière gréco-turque) ont airé bon nombre de
nouveaux visages dans le lieu de culte. Parmi
eux, Henri de Tolédo. Ce dernier a émigré à
Genève en compagnie de ses trois frères au
début du siècle dernier pour y ouvrir les pre-
mières pharmacies. Sa petite-fille, Anne-Au-
dard de Tolédo, est elle aussi pharmacienne et
dirige la Pharmacie Principale, une entreprise
familiale d’envergure. À l’instar de Jean Plan-
çon, son récit commence loin dans le passé.
Pour être précis, aux origines de son nom, dans
la ville espagnole de Tolède. Nous sommes en
l’an 1492. Les chrétiens espagnols ont recon-
quis Grenade, le dernier émirat islamique, et
ainsi réuni l’Espagne sous la Croix. Les mino-
rités religieuses sont forcées de quier le pays.
C’est ainsi que les ancêtres d’Anne-Audard de
«Cee vague dimmigration
a doublé la population
juive de Genève en un rien
de temps.»
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À mi-chemin entre
Ashkénazes et
Séfarades: la vie d’Anne-
Audard de Tolédo se
lit tel le récit de la
communauté juive à
Genève.
Un lieu souvent
délaissé: le grand rabbin
Izhak Dayan dans la
synagogue Beth Yaacov
de Genève.
Tolédo se rendent à Andrinople sur l’invita-
tion du sultan ooman Bajazet II. Quatre cents
ans plus tard, le maillon faible du Bosphore ne
veut cependant plus rien entendre de sa tolé-
rance passée. Lantisémitisme se propage, et
les de Toledo – sans accent sur le E à l’époque –
émigrent. Grâce à l’engagement de l’Académie
Israélite Universelle, fondée en 1860 à Paris
dans le but daider les juifs de la Méditerranée,
la France et l’espace francophone constituent
la destination privilégiée. C’est la première
vague migratoire de juifs séfarades à Genève,
ceux-ci rencontrent une communauté ash-
kénaze. «Malgré ses origines séfarades, mon
grand-père s’est révélé dans ce monde ashké-
naze», raconte Anne-Audard de Tolédo. Il a
épousé une Ashkénaze alsacienne. C’est ainsi
que dans son enfance genevoise, Anne-Audard
de Tolédo na pas entendu de ladino, mais du
yiddish. «Je me sentais à 100 % Ashkénaze et on
ma souvent rappelé que cela nétait pas pos-
sible vu mon nom».
La résurrection des Séfarades et la pensée
libérale à Genève
Les choses ont seulement changé dans les
années 1960 avec la «résurrection des Séfa-
rades de Genève», comme l’explique Anne-Au-
dard de Tolédo. Les événements observés dans
la ville oomane d’Andrinople semblaient
se reproduire. Les mouvements indépendan-
tistes au Maghreb s’accompagnaient une nou-
velle fois d’une intolérance religieuse, ce qui a
poussé des centaines de milliers de juifs à émi-
grer. Et, encore, la France et Genève faisaient
figure de destination privilégiée.
Cee vague a doublé la population juive de
Genève en un rien de temps et a confronté
Anne-Audard de Tolédo à de nombreuses
questions. D’une part, cela a remis en question
ses origines juives (séfarades ou ashkénazes).
Cee question a cependant été rapidement
supplantée par ce qu’elle, jusqu’à présent
membre de la CIG, a vécu lors de sa participa-
tion à une Bar Mitzvah libérale aux États-Unis:
«J’ai immédiatement senti que cela reflétait
ma vision du judaïsme. Un sentiment que je
nai ressenti que très rarement dans ma com-
munauté d’origine.»
Les juifs séfarades d’Afrique du Nord,
même s’ils étaient originaires de régions et de
cultures diérentes, adoptaient une interpré-
tation du culte juif plus traditionaliste que la
plupart des juifs de Genève jusque-là. Cela
PHOTOS: DR
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a provoqué des tensions au sein de la commu-
nauté juive et deux événements importants
au début des années 1970, qui y étaient direc-
tement ou indirectement liés. D’une part, une
poignée de juifs de Genève, en majeure partie
des Ashkénazes anglo-saxons, ont fondé la
Communauté Juive Libérale de Genève (GIL)
sous l’égide du Rabbin François Garaï. D’autre
part, la CIG a érigé une nouvelle synagogue,
Hekhal Haness, en 1972. Celle-ci pouvait
accueillir 1 200 croyants et a été en grande par-
tie subventionnée par l’influent homme d’af-
faires Nessim Gaon. À l’instar de la majorité
des membres de la communauté, ce dernier
est un Séfarade originaire d’Afrique du Nord.
Ces deux événements constituaient deux
engagements clairs en faveur de l’indépen-
dance religieuse et ont ainsi marqué le début
de la diversification du judaïsme genevois.
Après son retour aux États-Unis, Anne-Au-
dard de Tolédo s’est aliée à la GIL, dont elle
est par la suite devenue la présidente. «La GIL
ma donné la possibilité de vivre pleinement
mon judaïsme.» La communauté s’est for-
tement développée et compte aujourd’hui
quelque 1 500 membres. Cet essor considé-
rable a finalement poussé à la construction
d’un nouveau centre communautaire doté de
sa propre synagogue en 2010. François Garaï,
Rabbin de la GIL, a inauguré le complexe en
ces termes: «Tout le monde peut s’asseoir
il le souhaite. En haut ou en bas.» Il évoque
ici l’égalité entre la femme et l’homme et sou-
ligne qu’un tel point de vue est aujourd’hui
bien plus décisif que la catégorisation entre
Séfarades et Ashkénazes. Ces catégories ne
jouent dailleurs qu’un rôle mineur dans sa
communauté.
C’est ce que confirme Izhak Dayan, grand
rabbin de la CIG, depuis son bureau dans le
tout nouveau centre communautaire: «Pour-
quoi parler d’Ashkénazes et de Séfarades?»,
demande-t-il sur un ton conciliant. Il adopte
cependant un ton décidé lorsqu’il évoque peu
de temps après d’éventuels compromis avec la
GIL. «Sur certains points, comme la sécurité,
nous pouvons travailler ensemble. Lorsqu’il
est question de culte, aucun compromis n’est
possible.»
Le rassemblement des Séfarades et des Ash-
kénazes à Genève na ainsi pas entraîné une
évaluation des avantages et inconvénients de
ces diérents courants du judaïsme. Comme
le dit Jean Plançon, cee appartenance ne joue
qu’un rôle mineur à Genève, par exemple lors
de mariages juifs, et l'usage de l’arabe, qui est
principalement le fait de la première généra-
tion d’immigrants d’Afrique du Nord, ne vise
aucunement le rejet. «Cela prouve que l’arabe
se transmet à peine à la deuxième et à la troi-
sième génération. Aujourd’hui, les juifs de
Genève parlent quasi exclusivement anglais,
français ou hébreu.» Malgré ce rapproche-
Plutôt que d’unifier des
personnes partageant
les mêmes idées, Eric
Ackermann souhaite
une unification dans la
diérence pour les juifs
de Genève.
Les livres de l’historien
Jean Plançon font partie
des recherches les plus
précises sur la vie des
juifs en Suisse.
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ment, l’existence parallèle sous forme de ser-
vices diérents, par exemple, nest pas remise
en question.
Comme le dit Izhak Dayan lorsqu’il parle
de l’impossibilité de trouver des compromis
sur les questions de culte, la diversification a
plutôt pour visée le débat sur la réforme du
judaïsme. Il s’agit de l’intemporalité de la
Torah ou de son adaptation progressive. Du
traditionalisme ou du libéralisme. Une évo-
lution que Jean Plançon qualifie de réforme
majeure du culte judaïque depuis le schisme
des chrétiens et qui constitue un processus
global. Celui-ci a été tellement stimulé par
le rassemblement de Séfarades d’Afrique du
Nord majoritairement traditionalistes et de
la communauté moins religieuse de Genève,
principalement ashkénaze, à partir des
années 1950 que la situation nest aucune-
ment comparable avec celle d’une autre com-
munauté en Suisse.
Une communauté plurielle
Toujours plus de synagogues, de centres
communautaires et d’écoles ont vu le jour.
Aujourd’hui, la pluralité est de mise dans la
ville de Genève, et la collaboration est quasi
inexistante. «Impossible», arme Izhak
Dayan. «Une dépense inutile», répond à son
tour Isaac Benguigui, membre de la CIG et
professeur d’université. «Il est important que
les juifs de la région soient de nouveau enfin
réunis. Sur ce plan, nous nous trouvons à un
tournant décisif. Diérentes approches de la
foi ne peuvent faire barrage à cee unité.» Eric
Ackermann, deuxième hazan de la synagogue
Beth Yaacov, vise lui aussi l’unité. Mais, il se
prononce paradoxalement en faveur d’une
diversification: «Afin que nos jeunes – notam-
ment – puissent réfléchir de façon autonome,
il est indispensable de leur orir plusieurs
lieux de formation.» Il est convaincu que faire
barrage à la pluralité nentraînera pas l’uni-
fication, mais que cee dernière naît de la
rencontre, justement parce que nous sommes
tous diérents: «Il s’agit de former une com-
munauté dans la diérence.»
Il décrit en ces termes la diérence entre
assimilation et intégration. Alors que pour
la première les traditions et les croyances
sont abandonnées au profit d’autres, la deu-
xième tolère leur existence parallèle. Une
explication qui va de pair avec la deuxième
vague d’immigration de juifs séfarades ori-
ginaires d’Afrique du Nord dont Genève a été
le témoin. La poursuite de la diversification
malgré cee intégration réussie prouve que
le rassemblement des Séfarades et des Ashké-
nazes était le catalyseur, et non la raison de
la diversification de la communauté juive de
Genève. Celle-ci doit être mise sur le compte
du débat sur la réforme.
PHOTO: DR
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Suisse-Israël Un ambassadeur et une bonne
nouvelle à l'Assemblée nérale
LAssemblée Générale de l’Association
Suisse-Israël, section Genève, présidée par
Joel Herzog, s’est tenue le 20 mars 2017 à
l’hôtel Warwick . S.E Jacob Keidar, ambas-
sadeur d’Israël en Suisse, a développé bril-
lamment le thème «Israël, le conflit Syrien
et l’influence régional». Il a présenté la
politique d’Israël dans le dossier syrien, et
notamment ce qu’Israël fait pour aider les
réfugies syriens. Joël Herzog s’est félicité du
vote par le Conseil National de la motion
de 41 parlementaires appelant à interdire le
versement des subventions aux ONG prô-
nant des propos racistes, antisémites, ayant
des liens ou soutenant des mouvements ter-
roristes, ou appelant au boyco. Il a rappelé
le rôle majeur qu’a joué jouer l’ Association
Suisse-Israël et sa présidente, Corina Eichen-
berger, dans le vote de cee motion, ainsi
que le rôle de la section de Genève qui sou-
levé le problème et mis en place les études
permeant de relever les dérapages des
aributions concernées. Le président de la
section à rappelé les conférences organisées
par la section, les conférences prévues en
2017, ainsi que le soutien de l’association à la
présentation du film Israélien «une semaine
et un jour» le 30 mars. Il a évoqué la Journée
de solidarité avec Israël que la section pla-
nifie de concert avec les autres associations
et communautés à Genève, pour juin 2018.
LAssemblée Générale a élu Madame Adina
Jamme au comité comme nouvelle secré-
taire de la section succédant à Shoshana
Troyon que l’Assemblée a remercié pour son
engagement en faveur de l’association. Joël
Herzog a demandé à chaque membre de l’as-
sociation de recruter un nouveau membre
afin d’accroitre et rajeunir les nombres de
membres. M.E.
Le président Joel Herzog en compagnie de S.E Jacob
Keidar Ambassadeur d’Israël en Suisse.
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