
favoriser des conduites suicidaires. Ceux-ci sont résumés
dans le tableau 1 [10, 11].
Quel que soit le type de cancer ou son degré d’évolution, ces
facteurs de risque suicidaire se recoupent. On retrouve des
facteurs inhérents au cancer et des facteurs psychopathologi-
ques.
Les facteurs en lien direct avec le cancer comprennent avant
tout les douleurs non ou peu contrôlées : ainsi sous une
demande d’euthanasie peut se cacher en réalité une de-
mande d’un traitement antalgique plus efficace. De même,
d’autres symptômes incontrôlables peuvent être à l’origine
d’un désir de mort : nausées, vomissements, dyspnée... On
retrouve également l’altération du fonctionnement physique
avec la fatigue, l’épuisement, la diminution des capacités, la
perte d’autonomie et d’indépendance, la modification de
l’image corporelle comme par exemple l’amputation chirur-
gicale, surtout si elle est visible, notamment dans le cadre des
cancers de la sphère ORL ou mammaires, séquelles de cer-
tains traitements affectant la qualité de vie des
patients comme l’alopécie, les lésions dermatologiques et les
problèmes sexuels. La peur de devenir une charge pour autrui
et de perdre sa dignité se rencontre aussi très souvent. Tout
cela peut être corrélé aux sentiments de perdre le contrôle de
sa vie, de désespoir et d’impuissance. D’autres facteurs en-
core interviennent tels que la localisation tumorale (poumon,
voies aérodigestives supérieures, pancréas), l’état d’avance-
ment de la maladie, un pronostic péjoratif ou l’usage de
certains traitements [12]. Ainsi, le risque semble majoré avec
les corticoïdes soit par l’anxiété, l’euphorie, soit par l’excita-
tion qu’ils induisent et par l’immunothérapie (interleukine et
interféron) qui peut provoquer délire, confusion et agitation,
dépression et passage à l’acte suicidaire [13, 14]. L’incidence
est comprise entre 0,2 et 1,5 % associée à une mortalité de
0,1 à 0,65 % [15]. Un tiers des patients n’ont pas d’antécé-
dents psychiatriques. Certains psychotropes comme les anti-
dépresseurs peuvent être responsables aussi de tentative de
suicide par levée d’inhibition ou virage de l’humeur surve-
nant vers le 10
e
jour de leur utilisation comme mentionné
dans le Vidal. Dans une moindre mesure, les benzodiazépi-
nes à demi-vie courte, par le biais d’un syndrome de sevrage
ou d’une réaction paradoxale (agitation, agressivité, troubles
du comportement, délire), sont parfois associées à un passage
à l’acte suicidaire. D’autres thérapeutiques sont également
incriminées : ifosfamide, tamoxifène [16, 17].
À ces facteurs inhérents au cancer viennent s’ajouter des
facteurs psychopathologiques : l’isolement affectif et social,
l’entourage sociofamilial défectueux, le deuil ou le décès
récent du conjoint, d’un proche de la famille, d’un ami ou
d’un animal familier, la perte d’autonomie et d’indépendance
avec ou non le sentiment d’être une charge pour autrui, le
sentiment d’impuissance, de perte de contrôle ou de déses-
poir, la présence de pensées irrationnelles, l’absence com-
plète d’objet d’investissement libidinal.
Par ailleurs la présence d’une confusion mentale qui, par le
biais de la désinhibition psychomotrice et de l’impulsivité,
peut conduire au suicide souvent de manière violente (pen-
daison ou défenestration). Ainsi 20 % des patients atteints de
cancer et décédés par suicide sont confus selon Walter [18].
Enfin les antécédents psychiatriques personnels et familiaux
(dépression, tentative de suicide, suicide familial) sont égale-
ment des facteurs de risque suicidaire. Pour Henriksson [19],
80 % des patients atteints de cancer et décédés par suicide
sont dépressifs et, pour Nezelof et Vandel [20],6à10%
présentent un syndrome dépressif majeur, un trouble de
l’adaptation avec ou sans humeur anxieuse, une schizophré-
nie ou l’existence d’une personnalité pathologique (hystéri-
que, personnalité limite, psychopathique).
Outre la dépression, le praticien devra rechercher une autre
entité décrite initialement par Kissane [21] et dénommée
syndrome de démoralisation. Il se définit par l’existence
d’idéations suicidaires fluctuantes (alors qu’elles seraient
constantes dans le cadre d’un syndrome dépressif majeur).
Celles-ci ne font que traduire la détresse existentielle carac-
térisée par le désespoir, la perte de sens, de valeurs et de buts
accordés à la vie et aux activités quotidiennes. L’importance
du facteur environnement n’est pas à négliger dans ce cadre
où le patient sera amené à réagir sur le moment mais sera
incapable de se projeter dans l’avenir.
Un point particulier à l’oncologie est le risque de passage à
l’acte suicidaire lié à l’annonce faite au malade concernant
son diagnostic et/ou son pronostic. Il semblerait que ce lien
de cause à effet soit surestimé. En effet, en dehors d’une
psychopathologie préexistante, la révélation d’informations
de type « mauvaise nouvelle », si elle est associée à une prise
en charge adaptée sur le plan somatique et psychologique,
doit permettre d’éviter ce risque.
Finalités des conduites suicidaires
Le cancer marque une rupture dans la vie du patient : il est
souvent confronté à l’éventualité de sa propre mort alors que,
jusqu’à présent, il vivait avec un sentiment de toute puis-
sance, d’insouciance, de fantasme d’immortalité décrit par
Freud en 1914 [22]. La vie elle-même se trouve bouleversée :
traitements contraignants, arrêt de travail, incapacité à effec-
tuer ses activités quotidiennes, possible dépendance à autrui.
Tout est alors remis en question, certains projets doivent être
suspendus, voire même annulés. Dès lors que le mot « can-
cer » est prononcé, la vie n’est plus la même et l’avenir
devient incertain. Tout au long de la maladie, le sujet doit
faire face à différents symptômes, des douleurs, des amputa-
tions. Son corps devient alors un étranger qu’il ne peut plus
contrôler : il doit faire le deuil de son corps sain qui lui
permettait d’avoir une vie qu’il qualifiait jusqu’alors de « nor-
male ». Confronté à la nécessité de vivre dans un corps
étranger, douloureux, mutilé et insupportable, le patient doit
développer des stratégies d’adaptation qui ne sont pas tou-
jours efficaces. Ainsi, le suicide peut représenter la seule
solution pour lui d’échapper à toute cette souffrance. Pour
Tableau 1. Facteurs de risque suicidaire en cancérologie.
D’après Breitbart et al. [10] et Chochinov et al. [11]
Douleurs peu ou non contrôlées
Première année qui suit l’annonce du diagnostic
Maladie avancée, pronostic péjoratif
Localisation tumorale : poumon, ORL, pancréas, SNC
Dépression, sentiment de désespoir, charge/autrui
Confusion mentale, désinhibition
Sentiment d’impuissance et de perte de contrôle, dépendance
Antécédents psychiatriques personnels et familiaux :
toxicomanie, troubles de la personnalité, dépression, tentative
de suivi de, suicide familial, deuil récent
Fatigue, épuisement
Isolement social et familial
Sexe masculin et âge avancé
Crise suicidaire en cancérologie
Bull Cancer vol. 93, n° 7, juillet 2006 711