Economie et Institutions – n°16 – 1
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semestre 2011
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abandonnée ensuite, sous l’influence de la large adhésion que
rencontrent les thèses de l’école monétariste parmi les économistes,
et même au-delà. Ce consensus, qu’illustre Tobin en écrivant en
1972 “An economic theorist can, of course, commit no greater crime
than to assume money illusion.” est dicté par le postulat d’un agent
économique rationnel et maximisateur. Il ne sera remis en cause
qu’au début des années 1990, à la faveur d’un regain d’intérêt,
essentiellement empirique, pour l’illusion monétaire.
Ce renouveau se produit en grande partie sous l’influence de
la psychologie expérimentale appliquée à l’économie qui s’intéresse à
l’illusion monétaire parce qu’elle cherche à rendre compte de
l'ensemble des biais cognitifs qui éloignent les agents du modèle de
l’homo oeconomicus. En effet, admettre que les agents puissent
éprouver de l’illusion monétaire revient à les doter d’une rationalité
limitée et chercher à mettre en évidence ce biais cognitif impose de
s’interroger sur la fonction d’unité de compte.
Concrètement, le fait que la monnaie serve d’unité de compte
signifie que les agents pensent en termes monétaires. Les contrats
(de travail, de prêt, les baux) comportent des clauses libellées en
monnaie, les comptes des entreprises sont présentés en monnaie, les
impôts réglés en monnaie… Dans chacun de ces cas, les agents
pourraient ajuster les quantités nominales de telle façon que
l’utilisation de la monnaie comme unité de compte n’ait pas d’effet
réel. Ils pourraient prévoir par exemple des ajustements
automatiques de l’inflation, une indexation sur le niveau général des
prix mais cela n’est généralement pas le cas ainsi que le soulignent
Shiller, Shultze et Hall (1997). Pourquoi ? En raison de la sensibilité
des agents à l’illusion monétaire ?
Notre article a pour objet de comprendre la réalité
économique et psychologique de ce phénomène. Dans cet objectif,
nous rappellerons dans une première partie les aléas de l’analyse de
l’illusion monétaire au sein de la pensée économique, tantôt ignorée
en raison du postulat de rationalité parfaite des comportements qui
interdit aux agents d’en être victimes, tantôt reconnue, en particulier
par des travaux empiriques récents de différente nature, et prise en
compte, notamment pour justifier les effets réels des politiques
monétaires, au gré de l’oscillation entre la tentation de dire ce qui
doit être et le désir de rendre intelligible la réalité des faits. Dans la
seconde partie de cet article, nous mobiliserons les apports récents
de l’économie expérimentale et de la neuroéconomie qui s’avèrent
particulièrement adaptées à la compréhension de la réalité
psychologique de ce phénomène, au niveau individuel, voire infra-
individuel.
Bien que les données psychologiques et neurobiologiques,
acquises en vue d’une compréhension de nos comportements
monétaires, n’aient eu jusqu’ici qu’un effet minime sur l’analyse et la