L'Europe économique à mi-chemin. Jean-Marc Vittori, chroniqueur & éditorialiste. Les Échos C'était à Rome, il y a soixante ans. Les émissaires de six pays ont signé dans la capitale italienne un traité instituant une « Communauté économique européenne ». Tout avait, en réalité, commencé six ans plus tôt, avec une Communauté du charbon et de l'acier. L'économie devait entraîner la politique, jeter les fondations d'« une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». D'abord, pour éviter les guerres qui avaient ravagé le continent pendant les décennies, les siècles précédents. Ensuite, pour tracer ensemble la voie de l'avenir, dans un monde où les grandes puissances étaient déjà bien plus grandes que chacun des pays de la CEE. Charbon, acier, agriculture, régions en retard... Ce n'est pas un hasard si l'aventure européenne a commencé par ces chantiers. Dans un continent encore très rural, en pleine reconstruction, il s'agissait de défis économiques et sociaux majeurs. Les Six ont créé un embryon de budget commun pour financer ces priorités, une Commission pour impulser les projets, un Parlement. Ils ont ensuite avancé sur les deux voies où il était le plus facile d'avancer : la concurrence et l'élargissement. L'idée d'une monnaie commune, formalisée dès le plan Werner au début des années 1970, a abouti plus tard, après la réunification de l'Allemagne en 1990. L'euro et la Banque centrale européenne ont été lancés début 1999. Ce sont aujourd'hui la monnaie et la banque centrale de dix-neuf pays parmi les vingt-huit qui font aujourd'hui l'Union européenne. La Banque centrale européenne est aujourd'hui la seule institution puissante de l'Europe. Elle a sauvé l'Union monétaire en 2012 en faisant « ce qu'il faut », à savoir acheter des centaines de milliards d'euros de titres pour éviter l'explosion des dettes publiques. Mais une banque centrale ne suffit pas à faire une union. Pas de monnaie commune possible sans mécanismes de solidarité. L'union bancaire, bâtie suite à la crise financière, l'a bien prouvé. L'histoire des États-Unis est aussi une expérience éclairante, menée dans l'autre sens : les États ont d'abord fusionné leurs dettes, en 1790 avant de créer des impôts fédéraux pour la financer, d'instaurer des transferts entre Etats, puis des institutions monétaires, et enfin une vraie banque centrale en 1913. Plus d'un siècle plus tard ! A long terme, pas d'Europe monétaire sans Europe budgétaire. De même, l'Europe ne peut pas être seulement un marché, elle doit aussi être un lieu de production. Elle ne peut pas être seulement économique, elle doit aussi être politique et sociale (c'est pour cette raison qu'elle pourra mieux avancer sans le Royaume -Uni). L'Europe est à mi-chemin. Mais après tout, elle est encore jeune. Rome non plus ne s'est pas faite en un jour.