
Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 40, No. 1, 2013
- 177 -
paradigme qui pourrait réformer la discipline de l’histoire
en lui donnant une bonne crédibilité. Selon Ibn
Khaldoun, ceci peut être accompli si les historiens
changent de méthode. Il s’agit ici d’abandonner la
méthode utilisée dans la vérification de la transmission
intacte du Hadith. Le pourquoi de cet abandon nécessite
une brève explication.
Le Hadith est jugé vrai dans la mesure où son
appartenance au Prophète est confirmée à travers une
série complète de narrateurs honnêtes bien connus dans
leur milieu pour leur piété et bonté (al-Jabri, 1992 : 99).
Cette méthode était adoptée par les historiens
musulmans dans leurs œuvres majeures ; bien même que
dans plusieurs cas, il n’était pas possible pour les
historiens de suivre, à travers la série des narrateurs,
l’information nécessaire liée aux événements historiques
jusqu’à leur première source, comme c’est le cas dans le
Hadith., Ibn Khaldoun découvrait aussi que la démarche
adoptée par les experts du Hadith n’est pas la bonne voie
pour vérifier, sur le terrain, l’authenticité des événements
historiques du passé et du présent.
Il proposait, donc, une nouvelle façon qui permettrait
aux historiens d’accepter ou de nier la plausibilité des
événements historiques. « Lorsqu’il s’agit des
événements matériels, il faut reconnaître, avant tout leur
conformité avec la réalité (al-moutabaqa), c’est-à-dire se
demander s’ils sont possibles… en se fondant sur
l’appréciation du possible et de l’absurde, consiste à
étudier la société humaine, c’est-à-dire la civilisation. On
aura ainsi une norme pour séparer, dans les récits, le vrai
du faux, grâce à une méthode probante incontestable. Dès
lors, à propos de chaque événement, on saura quelle
partie prendre. On aura un critère authentique, grâce
auquel les historiens resteront sur le chemin de la vérité »
(Monteil, I, 1968 : 74-75).
La nouvelle perspective khaldounienne fait, donc, des
paramètres sociaux et matériels de la société, les
instruments essentiels qu’on doit connaître avant
d’admettre ou rejeter la plausibilité des événements
historiques de se produire en réalité. En d’autres termes,
pour être un historien crédible, il faut être d’abord un bon
sociologue. D’où s’affirmait la légitimité de la découverte
de la nouvelle science par Ibn Khaldoun qu’on appelle
aujourd’hui La Sociologie Historique (Sciences
Humaines 2006 : 54-57). Il s’agit de la science de la
société/civilisation humaine (ilmu al-umran al bashari).
C’est dans ce sens qu’Ibn Khaldoun est connu en premier
lieu comme un sociologue, puis comme
historien et enfin comme savant ayant une
connaissance encyclopédique en sciences sociales et
humaunes.
Ainsi Ibn Khaldoun posait-il la question de la relation
entre la sociologie et l’histoire de la manière suivante.
D’une part, il affirme que l’intégrité et la validité de la
discipline de l’histoire dépendent beaucoup du verdict
critique de la sociologie vis-à-vis la plausibilité des
événements historiques de se produire réellement en
société. La nouvelle science de la civilisation humaine
(La Sociologie Historique) d’Ibn Khaldoun joue le rôle
arbitre quant à la véracité des événements que les
historiens racontent et citent dans leurs travaux.
D’autre part, les historiens modernes ont été
longtemps réticents à l’idée d’utiliser les méthodes de la
sociologie dans leurs études. Certains historiens
affirment encore leur méfiance à l’égard de la sociologie.
Ils ont tendance à reprocher à cette dernière son
dogmatisme et son caractère subjectif.
Finalement, cette position négative vis-à-vis la
sociologie commence à changer parmi plusieurs
historiens modernes comme c’était le cas d’Ibn
Khaldoun. Les tenants aujourd’hui de la sociologie
historique croient fortement que l’apport de la sociologie
à l’histoire est très fondamental. Ceci est en grand accord
avec l’esprit sociologique qu’Ibn Khaldoun utilise dans
ses analyses des événements historiques et les
phénomènes sociaux dans les six parties de sa
Muqaddima. Cette relation entre la sociologie et l’histoire
pourrait devenir avec le temps très importante chez les
historiens de ce siècle comme elle l’était chez Ibn
Khaldoun il y a plus de six siècles.
Il convient ici de mettre en relief les différents
facteurs aboutissant à la naissance de la sociologie
contemporaine et ilmu al-umran al-bashari de l’auteur de
la Muqaddima.
D’un côté, l’émergence et le développement
intense et continu de la discipline de la sociologie
contemporaine étaient le résultat des grands changements
et transformations que les sociétés occidentales ont subis
depuis La Renaissance. Le besoin a été, donc, urgent pour
les sociologues d’en faire les analyses intellectuelles, les
études empiriques et construire des théories.
De l’autre côté, la découverte de la Nouvelle Science
de la civilisation humaine par Ibn Khaldoun était le
résultat de deux crises : la crise de la discipline de
l’histoire déjà soulignée et les crises dont témoignaient
les états arabo-musulmans surtout au Maghreb et en