Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 40, No 1, 2013 Ibn Khaldoun: Le Printemps arabe des sciences sociales et humaines Mahmoud Dhaouadi Résumé Cet essai vise à présenter un bref portrait d’Ibn Khaldoun; le penseur arabo-musulman du Moyen Age (13321406) considéré comme le précurseur des sciences sociales et humaines à travers toute l’histoire du monde . Il était très critique à l’égard de la méthodologie des historiens musulmans. Ceci avait motivé Ibn Khaldoun de réformer la méthodologie de l’histoire en inventant sa Nouvelle Science (Ilmu al umran al bashari): la science de la civilisation et la société humaine .Il s’agit d’une science de perspective sociohistorique. C’est–à-dire l’étude des données sociales qui donneraient ou ne donneraient pas une crédibilité aux événements historiques de se produire en réalité. Pour Ibn Khaldoun, pour être un bon historien il faut être d’abord un bon sociologue. C’est dans un esprit sociologique et interdisciplinaire qu’Ibn Khaldoun avait rédigé son fameux livre (La Muqaddima) où ses observations et ses analyses des phénomènes sociaux et autres dans les sociétés arabomusulmanes montrent qu’il était un précurseur crédible des sciences sociales et humaines. Sa construction et son bon usage de son concept central al-assabiyya (l’esprit du corps) prouve sa grande originalité qui lui permettait d’être un grand sociologue plusieurs siècles avant August Comte. Mots Clés: Précurseur, La Muqaddima, nouvelle science, al-assabiyya, sociologie historique. INTRODUCTION Ibn Khaldoun le Printemps arabe des sciences sociales et humaines La plupart de ceux et celles qui ont étudié la pensée d’Ibn Khaldoun s’entendent de dire qu’il constitue un phénomène très spécial dans l’univers des idées sociales. Il est un vrai pionnier à la fois en Orient et en Occident dans l’invention au Moyen Age d’une Nouvelle Science (ilmu al-umranu al-bashari) qui s’occupe de la compréhension et l’explication articulées des comportements humains et des organisations sociales. En d’autres termes, Ibn Khaldoun représente le Printemps arabe des nouveaux concepts, théories et analyses de la vie sociale des sociétés arabo-musulmanes surtout au Maghreb. Il avait provoqué un vaste ébranlement dans le monde des idées sociales chez les élites intellectuelles arabes de sa période. Il avait réussi de mener une révolte/révolution contre les idées reçues des historiens musulmans. Il n’est pas impossible à cet égard de faire dans ce texte une comparaison entre le Printemps des révoltes arabes en cours depuis la fin de 2010 et le Printemps khaldounien de son nouveau paradigme en sciences * Sociologue, Université de Tunis, Tunis. Received on 28/11/2011 and Accepted for Publication on 26/5/2012. sociales et humaines. Il s’agit ici de deux Printemps arabes dont le grand changement est le caractère commun distinct entre eux. Toutefois, la qualité du changement de chaque Printemps est différente de celle de l’autre. D’une part, le Printemps des révoltes arabes se manifeste dans un changement sociopolitique global dans les sociétés arabes révoltées. D’autre part, l’impact du Printemps khaldounien se limitait aux élites intellectuelles de son temps et après jusqu’aujourd’hui. D’où le Printemps intellectuel d’Ibn Khaldoun mérite, donc, une exploration modeste dans l’univers de son paradigme novateur que souligneront les sections suivantes de cet article. I -La naissance des sciences sociales en terre arabe. En 2006, six siècles se sont déjà écoulés depuis la mort du sociologue arabo-musulman Ibn Khaldoun(13321406). Il était légitime que les sciences sociales le commémoraient à cette occasion en organisant des congrès, des colloques, des séminaires à travers surtout les pays arabo-musulmans. Le but principal de cet article s’insère dans la volonté de commémorer de ma part la pensée de l’auteur de la Muqaddimah après six siècles et six ans depuis sa mort au Caire en Egypte. Je ne traiterai ici que certains aspects de la pensée sociale d’Ibn Khaldoun afin d’identifier sa place intellectuelle à l’échelle universelle dans le parcours des sciences sociales et humaines. - 174 - © 2013 DAR Publishers/The University of Jordan. All Rights Reserved. Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 40, No. 1, 2013 Ibn Khaldoun est né à Tunis et meurt au Caire. Comme nous allons voir, il avait inventé dans son fameux livre (La Muqaddima : Les Prolégomènes) une nouvelle science : ilmu al-umran al-bashari / science de la civilisation et la société humaine. Malgré son invitation explicite et implicite aux autres intellectuels de son temps de poursuivre son projet scientifique dans les sciences sociales et humaines, personne après lui n’a vraiment pris la tâche au sérieux dans la civilisation arabomusulmane ou ailleurs jusqu’au VIIIXé siècle qui témoignait de la re-naissance de la sociologie en France avec August Comte (1798-1657). La perspective de la sociologie de la connaissance aiderait, certes, à comprendre les raisons derrière l’absence de la poursuite du projet khaldounien parmi les intellectuels arabomusulmans jusqu’à la période moderne. Quelles que soient les causes, il est juste de dire que la sociologie en tant que discipline scientifique est née d’abord en terre arabe : en Afrique du Nord au IVXé siécle dans La Muqaddima d’Ibn Khaldoun. Il y a un consensus académique universel que les concepts, les théories et les méthodes d’analyses des phénomènes sociaux et autres qu’on trouve dans les chapitres de La Muqaddima reflètent un esprit sociologique solide qui ressemble à certains égards à celui de la sociologie contemporaine. II. L’éloge du raisonnement khaldounien Il est clair aujourd’hui que l’Occident domine toutes les branches des connaissances et sciences modernes. Sa domination dans la connaissance sociologique ne fait pas l’exception. Les sociologues contemporains de toutes les nationalités font toujours référence aux Pères fondateurs de la sociologie occidentale tels que Comte, Marx, Durkheim, Weber, Parsons, Merton, …La grande dépendance de la sociologie du tiers monde à la sociologie occidentale a fait sous-développer, en partie, l’émergence d’une vraie sociologie indigène dans les sociétés du Sud. C’est le phénomène que j’appelle L’autre sous-développement (LASD) (Dhaouadi 2002). Dans ce contexte, la pensée sociale authentique d’Ibn Khaldoun pourrait être considérée aujourd’hui comme le seul vrai héritage tiers-mondiste de pensée sociale classique, indigène, originale et fondatrice en sciences humaines et sociales. La plupart de ses commentateurs disent que sa méthode d’observations et d’analyses des phénomènes sociaux et politiques est d’un étonnant modernisme, en avance de plusieurs siècles sur la pensée occidentale de la fin du Moyen Âge. Deux auteurs occidentaux confirment cette opinion. Yves Lacoste croit que l’œuvre principale d’Ibn Khaldoun (La Muqaddima) présente une étude systématique et articulée de l’histoire et des civilisations humaines. Lacoste affirme que La Muqaddima n’a pas eu de semblable dans toute l’histoire de la pensée sociale des sociétés et des civilisations précédentes (Lacoste, 1998 : 257). De son côté, le grand historien britannique Arnold Toynbee juge aussi très favorablement l’œuvre d’Ibn Khaldoun: «Il a conçu et formulé une philosophie d’histoire qui est sans doute l’œuvre intellectuelle la plus imposante qui n’ait jamais été écrite par aucun auteur dans aucun temps et aucun espace» (Toynbee, 1956 : 372). Pourtant, la personnalité intellectuelle imposante d’Ibn Khaldoun demeure quasi-absente dans la littérature des sciences sociales et humaines occidentales contemporaines. Il est rarement mentionné dans les manuels (Textbooks) universitaires sociologiques des étudiants occidentaux ou dans les livres des référence des sciences sociales et humaines ( Dortier 2004 , 2005 ) De plus, la majorité des spécialistes occidentaux en sciences sociales et humaines modernes connaissent très peu ou rien de la pensée sociologique ou interdisciplinaire khaldounienne bien élaborée dans les six chapitres de la Muqaddima où Ibn Khaldoun présente une analyse sociologique mature et innovatrice des sociétés arabo-musulmanes el leurs dynamiques . Pour en citer qu’un seul exemple, la revue Sciences Humaines ne fait aucune référence à la contribution majeure d’Ibn Khaldoun dans le domaine de La Sociologie Historique alors que la perspective d’analyse de sa Muqaddima est entièrement socio-historique (Sciences Humaines 2006: 54-57). L’originalité des thèses khaldouniennes a étonné un grand nombre des chercheurs qui ne sont pas parvenus à lui trouver une explication convaincante. Pour certains, Ibn Khaldoun ne pourrait pas écrire une telle œuvre magistrale des sciences sociales et humaines alors qu’il était un musulman très pieux, voire dévot (Pérez 1991). Pour d’autres, le phénomène intellectuel khaldounien est vu simplement comme une sorte de caprice de l’histoire ou un astre égaré dans le monde arabo-musulman. Mais, ces deux points de vue manquent de rigueur et fuient devant leur responsabilité de comprendre et expliquer les racines de l’innovation scientifique en sciences sociales ou naturelles dans les sociétés humaines. - 175 - Ibn Khaldoun … Mahmoud Dhaouadi III- L’éducation et la carrière d’Ibn Khaldoun Pour mieux comprendre le parcours intellectuel de l’auteur de La Muqaddima , il est pertinent d’avoir une idée à propos de son éducation . Ibn Khaldoun est né en 1332 à Tunis d’une famille de notables andalous chassés de Séville lors de la reconquête espagnole. Durant sa jeunesse, il avait reçu son éducation à Tunis dans trois domaines principaux: (1) des études islamiques portant sur le Coran, le Hadith (les actes et la parole du prophète Mahommed, et le droit musulman (Le Fiqh) malékite;(2) la science de la langue arabe qui étudie la grammaire, la conjugaison ainsi que l’art de l’éloquence écrite et orale (al-balaagha); (3) la logique, la philosophie, les sciences naturelles et les mathématiques ( Ibn Khaldûn 1980 : 4551). Cette formation scolaire avait crée chez Ibn Khaldoun ce qu’on pourrait appeler un raisonnement / intellect cognitif qui utilise à la fois la raison (al-Aql) et la révélation sacrée (al-Naql) pour fonder la connaissance et expliquer les phénomènes. Ibn Khaldoun avait bien réussi avec cet intellect dualiste ( Aql-Naql) d’établir il y a plus de six siècles une nouvelle science sociale et humaine. Certes, ceci devrait soulever des questions embarrassantes pour l’approche occidentale moderne qui rejetait la cohabitation entre science et religion, alors qu’il y a aujourd’hui un nouveau intérêt croissant concernant la relation entre religion et science (Clayton & Simpson 2009). Ibn Khaldoun était témoin de la grande peste de Tunis (1348) ui avait fait un grand nombre de victimes y compris ses parents. La plupart des survivants parmi les savants étaient forcés de quitter Tunis pour le Maroc. Obligé d’interrompre ses études, il entama une carrière très mouvementée auprès des souverains rivaux du Maghreb et de Grenade. Sa vie fut menacée à plusieurs reprises. Il décida de s’enfuir de Maghreb pour aller s’installer en Egypte où il devient grand cadi (juge suprême). Avant sa mort en 1406 au Caire, Ibn Khaldoun avait l’occasion de rencontrer à Damas en 1401 Tamerlan le chef turco-mongol afin de libérer cette ville du siège du Vainqueur. IV- L’origine d’une pensée sociale créatrice Selon ce bref profil, Ibn Khaldoun était loin, d’une part, d’avoir un grand succès en tant que politicien sur la scène maghrébine. D’autre part, il était témoin de l’affaiblissement continu des états arabo-musulmans surtout au Maghreb et en Andalousie/ Espagne. Ce double échec au niveau personnel et collectif semble être la source principale qui avait motivé Ibn Khaldoun d’écrire ses réflexions sur l’état des choses de cette civilisation de son temps (al –Jabri , 1992 : 63,93) et inventer sa nouvelle science sociale ( ilmu al-umran al-bashari) . Ceux qui ont étudié l’originalité de la pensée sociale/sociologique d’Ibn Khaldoun l’ont souvent attribuée à son expérience et aux crises et aux conflits que connaissaient les états arabo-musulmans surtout au Maghreb. Par conséquent, il est rare de trouver des études qui portent sur les traits de personnalité en tant que facteurs déterminants pour la créativité et l’innovation chez les humains. Le psychologue américain Morris Stein, par exemple, a trouvé 19 traits de personnalité qui sont en bonne corrélation avec les phénomènes de la créativité (Hunt 1982: 284). De mon coté, en étudiant le profil de la personnalité d’Ibn Khaldoun, j’ai pu identifier en lui plusieurs de ces traits de personnalité (Dhaouadi1997 : 85-97). Donc, la créativité humaine dans le domaine intellectuel est le résultat d’un mariage harmonieux entre des facteurs psychologiques et sociaux. En d’autres mots, il ne faut pas exagérer le poids du déterminisme social dans l’explication de la créativité humaine. Ceci est pour la simple raison que d’autres intellectuels avaient été exposés aux mêmes facteurs sociaux qu’Ibn Khaldoun sans pouvoir, pourtant, écrire une œuvre intellectuelle magistrale en sciences sociales et humaines comme La Muqaddima. V- L’histoire et la sociologie chez Ibn Khaldoun La démarche créatrice d’Ibn Khaldoun, en tant qu’historien, avait commencé par ses critiques des historiens musulmans qui l’ont précédé : « les grands historiens de l’islam ont recueilli exhaustivement les récits des jours glorieux ; ils les ont réunis et consignés dans leurs livres. De intrus y ont subrepticement introduit des mensonges, fruits de leur illusion ou de leur invention, ornementés de traditions falsifiées ou fabriquées. Leur emboîtant le pas, nombre de leurs successeurs nous ont transmis leurs propos tels qu’ils les avaient appris de leur bouche. Ils n’observèrent point les causes des événements et du cours des choses ; ils ne les privent guère en considérations. Ils ne refusèrent pas les traditions les plus insignifiantes » (Cheddadi, 2002 :5-6). Ibn Khaldoun était à la recherche d’une nouveau - 176 - Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 40, No. 1, 2013 paradigme qui pourrait réformer la discipline de l’histoire en lui donnant une bonne crédibilité. Selon Ibn Khaldoun, ceci peut être accompli si les historiens changent de méthode. Il s’agit ici d’abandonner la méthode utilisée dans la vérification de la transmission intacte du Hadith. Le pourquoi de cet abandon nécessite une brève explication. Le Hadith est jugé vrai dans la mesure où son appartenance au Prophète est confirmée à travers une série complète de narrateurs honnêtes bien connus dans leur milieu pour leur piété et bonté (al-Jabri, 1992 : 99). Cette méthode était adoptée par les historiens musulmans dans leurs œuvres majeures ; bien même que dans plusieurs cas, il n’était pas possible pour les historiens de suivre, à travers la série des narrateurs, l’information nécessaire liée aux événements historiques jusqu’à leur première source, comme c’est le cas dans le Hadith., Ibn Khaldoun découvrait aussi que la démarche adoptée par les experts du Hadith n’est pas la bonne voie pour vérifier, sur le terrain, l’authenticité des événements historiques du passé et du présent. Il proposait, donc, une nouvelle façon qui permettrait aux historiens d’accepter ou de nier la plausibilité des événements historiques. « Lorsqu’il s’agit des événements matériels, il faut reconnaître, avant tout leur conformité avec la réalité (al-moutabaqa), c’est-à-dire se demander s’ils sont possibles… en se fondant sur l’appréciation du possible et de l’absurde, consiste à étudier la société humaine, c’est-à-dire la civilisation. On aura ainsi une norme pour séparer, dans les récits, le vrai du faux, grâce à une méthode probante incontestable. Dès lors, à propos de chaque événement, on saura quelle partie prendre. On aura un critère authentique, grâce auquel les historiens resteront sur le chemin de la vérité » (Monteil, I, 1968 : 74-75). La nouvelle perspective khaldounienne fait, donc, des paramètres sociaux et matériels de la société, les instruments essentiels qu’on doit connaître avant d’admettre ou rejeter la plausibilité des événements historiques de se produire en réalité. En d’autres termes, pour être un historien crédible, il faut être d’abord un bon sociologue. D’où s’affirmait la légitimité de la découverte de la nouvelle science par Ibn Khaldoun qu’on appelle aujourd’hui La Sociologie Historique (Sciences Humaines 2006 : 54-57). Il s’agit de la science de la société/civilisation humaine (ilmu al-umran al bashari). C’est dans ce sens qu’Ibn Khaldoun est connu en premier lieu comme un sociologue, puis comme historien et enfin comme savant ayant une connaissance encyclopédique en sciences sociales et humaunes. Ainsi Ibn Khaldoun posait-il la question de la relation entre la sociologie et l’histoire de la manière suivante. D’une part, il affirme que l’intégrité et la validité de la discipline de l’histoire dépendent beaucoup du verdict critique de la sociologie vis-à-vis la plausibilité des événements historiques de se produire réellement en société. La nouvelle science de la civilisation humaine (La Sociologie Historique) d’Ibn Khaldoun joue le rôle arbitre quant à la véracité des événements que les historiens racontent et citent dans leurs travaux. D’autre part, les historiens modernes ont été longtemps réticents à l’idée d’utiliser les méthodes de la sociologie dans leurs études. Certains historiens affirment encore leur méfiance à l’égard de la sociologie. Ils ont tendance à reprocher à cette dernière son dogmatisme et son caractère subjectif. Finalement, cette position négative vis-à-vis la sociologie commence à changer parmi plusieurs historiens modernes comme c’était le cas d’Ibn Khaldoun. Les tenants aujourd’hui de la sociologie historique croient fortement que l’apport de la sociologie à l’histoire est très fondamental. Ceci est en grand accord avec l’esprit sociologique qu’Ibn Khaldoun utilise dans ses analyses des événements historiques et les phénomènes sociaux dans les six parties de sa Muqaddima. Cette relation entre la sociologie et l’histoire pourrait devenir avec le temps très importante chez les historiens de ce siècle comme elle l’était chez Ibn Khaldoun il y a plus de six siècles. Il convient ici de mettre en relief les différents facteurs aboutissant à la naissance de la sociologie contemporaine et ilmu al-umran al-bashari de l’auteur de la Muqaddima. D’un côté, l’émergence et le développement intense et continu de la discipline de la sociologie contemporaine étaient le résultat des grands changements et transformations que les sociétés occidentales ont subis depuis La Renaissance. Le besoin a été, donc, urgent pour les sociologues d’en faire les analyses intellectuelles, les études empiriques et construire des théories. De l’autre côté, la découverte de la Nouvelle Science de la civilisation humaine par Ibn Khaldoun était le résultat de deux crises : la crise de la discipline de l’histoire déjà soulignée et les crises dont témoignaient les états arabo-musulmans surtout au Maghreb et en - 177 - Ibn Khaldoun … Mahmoud Dhaouadi Andalousie/Espagne. D’où l’émergence et l’établissement d’une nouvelle science pleinement indigènes. VI- Le changement social et la sociologie La grande préoccupation que les sociologues manifestent envers le phénomène du changement social est un acte très légitime. Parce que les sociétés humaines ne peuvent pas complètement résister aux aspects variés du changement social. A travers toute l’histoire humaine, le changement constitue une force de vie ou de mort pour les sociétés et les civilisations humaines. Le processus du changement a bien montré qu’il est capable, dans certaines conditions, de transformer l’état des sociétés et des civilisations humaines à un niveau bien avancé ou très décadent. D’où l’intérêt pour les sociologues de se pencher sur la question du changement social. Autrement dit, l’analyse de la dynamique du changement social constitue un thème central et irrésistible chez les sociologues. Ainsi, l’étude et la théorisation concernant l’évolution, le développement et le changement social des sociétés humaines susciteraient un grand intérêt chez Ibn Khaldoun ainsi que les sociologues contemporains. Ibn Khaldoun semble avoir été captivé par le grand phénomène du changement qu’avait connu l’Afrique du Nord durant le IVXè siècle. Il le décrit longuement de la façon suivante : « …de nos jours,en cette fin du viiiè siècle (ivxe), les conditions du Maghreb se sont transformées sous nos yeux et ont changé du tout au tout. Aux nations berbères, ses habitants depuis les temps anciens, se sont substituées les nations arabes qui, après avoir commencé leur pénétration dans le Maghreb au vé siècle (xiè ) , les ont surpassées en nombre , dominées et dépouillées de la plus grande partie de leur territoire et ont partagé le pouvoir avec elles sur le Reste. Cette situation s’aggrava au milieu de viiiè siècle ( ivxè) par la peste dévastatrice qui frappa la civilisation en Orient comme en Occident , affaiblit les nations, emporta toute une génération, annula et effaça beaucoup de ce qui fait la beauté de la civilisation . Survenant au moment où les Etats étaient atteints par la vieillesse et approchaient de leur terme, ce fléau acheva de ruiner leur puissance, émoussa leur vigueur, mina leur autorité et les mit à un doigt de l’anéantissement et de la disparition. A cause de la diminution de la population, la civilisation s’altéra. Les villes les ouvrages d’art tombèrent en ruine, les chemins et les indications routières s’effacèrent, les lieux d’habitation et de campement se dépeuplèrent, les dynasties et les tribus s’affaiblirent, les habitants changèrent. L’Orient, fut, semble t-il, atteint par le même fléau, mais en proportion de l’expansion de sa civilisation. Ce fut, dans le monde, comme si la voix de l’existence avait appelé à la torpeur et au repli sur soit, et que le monde se fut hâté de répondre à l’appel .C’est Dieu l’héritier de la terre et se de ceux qu’elle porte. Lorsqu’il se produit un changement général des conditions, c’est comme si la Création avait changé à la racine comme si le monde entier s’était transformé. C’est alors comme une Création nouvelle, un recommencement de la vie, l’avènement d’un monde. Pareille époque requiert quelqu’un qui enregistre les conditions et celles des différentes régions du monde et des nations qui les peuplent, qui décrive les usages et les croyances qui ont changé…. » ( Cheddadi 2002 :45-46 ). Le portrait khaldounien du grand changement social au Maghreb exprime un intérêt majeur et continu pour les sociologues indépendamment des facteurs du temps, d’espace et de culture. VII- La typologie sociologique dualiste et le changement social Sans doute, La Muqaddima présente tant d’analyses sur la dynamique du changement et de l’évolution des sociétés arabo-musulmanes. Ibn Khaldoun a réussi à faire une typologie sociologique de la nature du changement social dans ces sociétés. Les typologies des sociologues contemporains ressemblent beaucoup à celle d’Ibn Khaldoun .Il s’agit d’une typologie sociologique dualiste. L’auteur de La Muqaddima parle de deux catégories de sociétés arabo-musulmanes : la société bédouine et la société sédentaire. Quant aux sociologues occidentaux, ils utilisent une variété de termes comme : traditionnelle moderne, pré-industrielle-industrielle, GemeinschaftGeselleschaft pour décrire surtout les deux états de la société occidentale contemporaine. La classification des sociétés en deux types par Ibn Khladoun et les sociologues occidentaux pourrait être interprétée en tant que signe d’une certaine maturité sociologique et intellectuelle. D’une part, La Nouvelle Science d’Ibn Khaldoun était établie sur un nombre de principes, d’idées, de méthodologie d’histoire et d’étude de la société avec un esprit plutôt moderne. D’autre part, les sociologues occidentaux ont adopté des méthodes de recherches d’esprit scientifique où Le Positivisme domine depuis La Renaissance la majorité des disciplines aussi bien dans les sciences sociales et - 178 - Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 40, No. 1, 2013 humaines que naturelles. Le tableau suivant illustre la nature des typologies dualistes utilisées par Ibn Khaldoun et les sociologues occidentaux dans leurs analyses du changement social dans les sociétés humaines. Enfin, dans son troisième livre Ibn Khaldoun traite de l’histoire des Berbères et des Zénètes, leurs voisins, ainsi que de leur commencement, de leurs différentes générations, de leur pouvoir et de leurs dynasties surtout au Maghreb. Le nombre des pages du Livre des Exemples dépasse 8000 pages dans l’édition arabe. Le Tableau Les typologies dualistes chez Ibn Khaldoun et les sociologues Occidentaux Nom du Nature de la typologie dualiste sociologue Ibn Khaldoun société bédouine /sédentaire Durkheim société de solidarité Mécanique/Organique Tonnies société Gemeinschaft/Geselleschaft Parsons Société particulariste/ universaliste Daniel Lerner société traditionnelle / moderne VIII- La solitude et la naissance de l’Oeuvre d’Ibn Khaldoun Les troubles et les conflits entre les souverains maghrébins avaient poussé Ibn Khaldoun à quitter la scène politique et à s’installer chez ses amis ( Bani Arif ) à Qal’at Ibn Salama ; proche d’Oran en Algérie .Il y avait passé quatre ans en véritable retraite de la politique tourmentée au Maghreb , afin de méditer, réfléchir et écrire sur l’histoire, la sociologie, et le malaise de la civilisation arabo-musulmane. Il rédigea durant la courte période de quatre ans son livre volumineux qui s’intitule : Exemples (Ibar/Leçons) : Traité des commencements et de l’histoire relatif aux jours des Arabes, des non-Arabes, des Berbères et de grands souverains de leurs temps. Ibn Khaldoun divise cette œuvre monumentale en une introduction et trois livres. L’introduction souligne la supériorité de la science de l’histoire et présente un exposé de ses méthodes et fait mention critique des erreurs des historiens. Dans son premier livre (La Muqaddima), Ibn Khaldoun traite de la civilisation et de ses accidents majeurs : le pouvoir et le gouvernement, l’acquisition des richesses, les moyens de substance et les arts et les sciences. Il y explique les raisons et les causes de ces phénomènes et bien d’autres. C’est le livre d’esprit sociologique par excellence, comme il a été déjà souligné. Quant au deuxième livre, il est consacré à l’histoire des Arabes, avec leurs générations et leurs dynasties, depuis le commencement de la Création jusqu’à la fin du XIVè siècle. IX - La Nouvelle Science et la célébrité d’Ibn Khaldoun C’est le premier livre (La Muqaddima) de cette grande œuvre qui a donné une notoriété universelle à Ibn Khaldoun durant son temps et après jusqu’à nos jours. C’est dans ce livre qu’il avait bien réussi à inventer la nouvelle science de la civilisation humaine (Ilmu alumran al-bashari). Sa nouvelle science lui donne une bonne légitimité pour être le précurseur ou Le Printemps arabe des sciences sociales et humaines. Ibn Khaldoun en était très conscient. On lui donne la parole afin de décrire sa nouvelle science qui le distingue des autres penseurs non seulement dans la civilisation arabo-musulmane mais dans toute l’histoire intellectuelle humaine. Ibn Khaldoun explique l’originalité de sa nouvelle science en ces termes : « Tel est, en tout cas, l’objet du Livre premier de notre présent ouvrage. Il s’agit, en effet, d’une science indépendante dont l’objet spécifique est la civilisation humaine et la société humaine … Notre propos actuel est d’une conception nouvelle d’une grande originalité et d’une extrême utilité. Je l’ai abordé dans un esprit de recherche en profondeur… Je n’ai jamais rencontré personne qui ait traité le même sujet de la même façon... Je ne sais si c’est faute d’y avoir pensé et je n’ai aucun moyen de le savoir. Peut-être quelqu’un a-t-il écrit làdessus à fond, et son livre s’est-il perdu ? Après tout, il y a bien des sciences, et il y a bien des sages parmi les nations de l’espèce humaine. Les connaissances scientifiques qui se sont perdus sont plus nombreuses que celles qui nous sont parvenues » (Monteil, I, 1968 : 7576). Le contenu de La Muqaddima traite des thèmes et des phénomènes que les sciences sociales et humaines modernes étudient et analysent. Les sujets de ses six chapitres en témoignent fortement. Ibn Khaldoun fait explicitement le point à cet égard : « On a choisi de diviser ce premier livre en six chapitres : 1-sur la civilisation humaine en général, avec ses différentes variétés et ses aires de dispersion. 2-la civilisation bédouine, avec ce qui concerne les tribus - 179 - Ibn Khaldoun … Mahmoud Dhaouadi et les nations sauvages. 3-les dynasties, le califat, la monarchie et la hiérarchie du pouvoir. 4-la civilisation sédentaire, les pays et les cités. 5-les métiers, les moyens d’existence et les occupations lucratives. 6-les sciences, avec la façon de les acquérir et de s’instruire (Ibid : 82-83). L’analyse de l’ensemble de ces chapitres soulève deux constatations à l’égard de la nature de la nouvelle science khaldounienne. D’une part, chacun des titres de ces chapitres pourrait représenter respectivement une branche de la discipline de la sociologie moderne de la façon suivante : sociologie générale, sociologie de la société bédouine, sociologie politique, sociologie urbaine, sociologie économique et sociologie des sciences. L’ordre de cette classification des thèmes sociologiques dans La Muqaddima est loin d’être un ordre arbitraire sans fondement et logique. Ibn Khaldoun s’explique ainsi : « J’ai mis en tête la civilisation bédouine, parce qu’elle est la première à se manifester (sur la terre). Même priorité pour la monarchie, sur l’étude des pays et des cités. Les sciences sont précédées par l’examen des moyens d’existence, parce que ceux-ci sont naturels et nécessaires, tandis que l’étude est un luxe ou une commodité : ce qui est naturel doit passer avant le superflu. J’ai mis les métiers avec les occupations lucratives, parce qu’ils sont aussi bien des produits de la civilisation (c’est un point sur lequel je reviendrai plus tard). Et maintenant que Dieu me soit en aide ! »( Monteil I, 1968: 83). D’autre part, l’étude profonde de chacun des soustitres des chapitres de La Muqaddima montre bien que Ibn Khaldoun adopte plutôt une approche d’analyse qui se qualifie aisément à être l’approche utilisée par les sciences sociales et humaines contemporaines. Il s’agit d’une approche interdisciplinaire qu’on trouve dans son analyse et sa discussion des thèmes et des phénomènes soulevés dans les six parties de sa Muqaddima. X - L’esprit interdisciplinaire chez Ibn Khaldoun Les thèmes très variés traités dans les chapitres de La Muqaddima Illustrent bien qu’Ibn Khaldoun avait une connaissance encyclopédique lui permettait d’utiliser une approche interdisciplinaire qui se manifeste dans un grand nombre de ses analyses comme un économiste, un psychologue et un pédagogue. Il consacre le chapitre cinq de la Muqaddima à la vie économique de la société . Ce chapitre s’intitule « Comment gagner sa vie : le profit et les métiers« Il élabore sa pensée économique complexe dans 90 pages .Quelques citations suffisent de souligner l’importance de cette pensée. Ibn Khaldoun commence son chapitre ainsi : « L’homme est, par nature, obligé de se nourrir et à subsister, à toutes les époques de sa vie, de sa naissance à sa maturité et à sa vieillesse .. » ( Monteil II, 1968: 783 ) . » Par le mot ‘ tijara ‘/ commerce, on désigne la recherche du profit par l’augmentation du capital en achetant bon marché ce qu’on revend très cher. Les denrées peuvent être aussi bien des esclaves, de grain, des bestiaux, des armes ou des étoffes. La différence ainsi réalisée est le bénéfice‘ ribh’ « (Moneil II 1968 : 807-808 ) . En tant que psychologue, il suffit de citer l’analyse d’Ibn Khaldoun du phénomène de l’imitation parmi les humains. Il écrit à ce propos : « Et le vaincu toujours imite le vainqueur. On voit toujours la perfection (réunie) dans la personne d’un vainqueur. Celui-ci passe pour parfait, soit sous l’influence du respect qu’on lui porte, soit parce que ses inférieurs pensent, à tort, que leur défaite est due à la perfection du vainqueur. Cette erreur de jugement devient un article de foi. Le vaincu adopte alors tous les usages du vainqueur et s’assimile à lui : c’est l’imitation pure et simple… »(Monteil I 1968 : 291). Dans le dernier chapitre de La Muqaddima consacré aux sciences, Ibn Khaldoun analyse et discute les méthodes de l’enseignement. En tant que pédagogue, il aborde la question de la punition des élèves en expliquant « des punitions trop sévères, en cours d’instruction, sont préjudiciables aux élèves, surtout aux jeunes enfants, parce qu’elles engendrent de mauvaises habitudes. Elever des étudiants, des esclaves ou des domestiques avec injustice et brutalité, c’est les accabler, les opprimer, les rendre faibles, paresseux, portés au mensonge et à l’hypocrisie. De peur d’être châtiés (s’ils disent la vérité). Ils pensent d’une façon et se conduisent d’une autre. C’est ainsi qu’ils deviennent trompeurs et tricheurs. Ces vices deviennent une seconde nature « (Monteil III 1968 : 1227). En revanche, il souligne les principes d’une bonne pédagogie. Il écrit : » on ne peut enseigner avec profit que graduellement et peu à peu. Le maître doit donc commencer par présenter les principaux problèmes d’une science donnée, chapitre par chapitre. Pour faciliter les choses, il expose sommairement, en tenant compte des possibilités intellectuelles de ses élèves et de leur capacité - 180 - Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 40, No. 1, 2013 à recevoir les notions mises à leur portée, jusqu'à la fin du cours » (Monteil III 1968: 1218-19). XI-al Assabiyya : le concept clé d’Ibn Khaldoun Sans doute le concept d’al-assabiyya est le concept clé de La Muqaddima. Sa traduction précise n’a pas été facile dans les langues étrangères. En français, on le traduit, selon le contexte, par les termes suivants : esprit tribal, ou de clan ; esprit de corps ; tribalisme ; consanguinité ; liens du sang. En anglais, Franz Rosenthal utilise « group feeling ». Le concept d’alassabiyya dérive du mot arabe « assab » qui veut dire tout ce qui crée une solidarité, une cohésion et des liens forts entre les individus, les groupes et les plus grandes communautés humaines. Ibn Khaldoun identifie un nombre de facteurs déterminants du phénomène d’alassabiyya. Les liens du sang sont considérés par Ibn Khaldoun comme une force primordiale pour une forte solidarité entre les humains. Il explique : « Le sentiment du matrilignage est naturel aux hommes – sauf rares exceptions. On aime ses parents et sa famille maternelle. On a l’impression qu’aucun mal ne peut leur arriver, aucun désastre les atteindre ( ?). On partage leur humiliation s’ils sont traités injustement ou attaqués, et l’on voudrait intervenir en leur faveur, si quelque danger les menace. C’est là une tendance naturelle à l’homme – depuis que l’homme est homme (Monteil I 1968 : 257). Cet argument pourrait appartenir bel et bien à la perspective de la psychologie évolutionniste d’aujourd’hui. Une autre source de la présence d’esprit de corps entre les humains est le milieu bédouin où la vie des habitants est difficile et pleine des risques. Ceci exige une forte solidarité de la part des bédouins pour affirmer leur propre existence (Monteil I 1968 : 255). Al-assabiyya est présente et vivante aussi dans la vie citadine des dynasties, des monarchies, le califat et la fonction publique… «la monarchie est une position noble et enviable. Elle permet de jouir de tous les biens de ce monde, des plaisirs du corps et des joies de l’âme. Il y a donc, en général, une grande compétition pour y parvenir. Elle est rarement accordée de plein gré, mais elle peut être prise de force. Ce qui conduit au désordre, à la guerre, aux combats, aux efforts pour l’emporter. Rien de tout cela ne se peut sans esprit de clan » (Monteil I 1968: 303). L’auteur de La Muqaddima souligne l’importance des facteurs religieux en tant que source de solidarité entre les humains. L’Islam est considéré par Ibn Khaldoun comme la force principale qui avait permis aux Arabes d’avoir une solidarité collective énorme sans laquelle ils ne pouvaient pas établir leur grand empire : « Les Arabes ne peuvent régner que grâce à quelque structure religieuse, de prophétie ou de sainteté »( Monteil I 1968:298 ). Toutefois, Ibn Khaldoun semble demeurer silencieux vis -à- vis du rôle que joue le facteur linguistique dans l’émergence d’al-assabiyya entre les individus, les groupes et les collectivités. Ibn Khaldoun montre bien dans ces exemples qu’alassabiyya est une base fondamentale de regroupement des humains à la fois au niveau micro et macro sociologique : la famille, la tribu, le groupe et la société.. Ceci justifie fortement l’extrême importance qu’occupe le concept d’al-assabiyya dans la nouvelle science de la civilisation humaine présentée dans La Muqaddima. Puisque le rôle déterminant d’al-assabiyya dans l’existence sociale des humains est partout, du plus simple niveau au plus complexe. Le concept d’alassabiyya impose, donc, sa légitimité d’être l’instrument clé pour toute l’analyse khaldounienne des divers aspects sociaux des sociétés arabo-musulmanes. Conclusion La réussite d’Ibn Khaldoun à inventer une nouvelle science sociale, il y a plus de six siècles, laisse plusieurs intellectuels en Orient et en Occident voir en Ibn Khaldoun un phénomène très spécial hors contexte. C’est à dire, la pensée sociale originale de l’auteur de la Muqaddima constitue une grande surprise dans le contexte des circonstances objectives de l’état des sciences sociales et humaines de son temps .Tel qu’il est souligné dans cet article, Ibn Khaldoun était un vrai créateur, inventeur et fondateur d’une nouvelle science qui s’adresse à l’Homme et sa société. Les études modernes sur les racines de la créativité humaine montrent que celle-ci dépend plutôt plus des traits de la personnalité de l’inventeur que des facteurs sociaux / externes. Certes, Ibn Khaldoun n’était pas le seul ni dans les sociétés maghrébines troublées ni face à la crise de la discipline de l’historiographie musulmane. Donc, sa personnalité créatrice est un élément déterminant qui le prédisposait de percevoir et concevoir les enjeux des sociétés arabo-musulmanes d’une nouvelle manière (Dhaouadi 1997 : 66-70 , 85-97 , Wilson , Keil 2001 : 206). La nouvelle science sociale d’Ibn Khaldoun - 181 - Ibn Khaldoun … Mahmoud Dhaouadi présente une nouvelle perception et conceptualisation, d’une part, des forces déterminantes de la dynamique des sociétés arabo-musulmanes et, d’autre part, de la relation entre la discipline de l’histoire et celle de la sociologie (ilmu al-umran al-bashari ). Les Références Dortier, J.F. 2005. Histoire des sciences humaines, Auxerre, Editions Sciences Humaines. Hunt, M. 1982. The Universe Within: A New Science Explores The Human Mind, New York, Simon & Schuster. Ibn Khaldûn. 1980. Le Voyage d’Occident et d’Orient, traduit de l’arabe et présenté par Abdessalem Cheddadi, Sindbad, Paris. Lacoste, Y. 1998. Ibn Khaldoun: Nassance de l’Histoire ; passé du tiers-monde , Editions La Découverte & Syros, Paris. Monteil, V. 1967-68. Traduction, Ibn Khaldoun : Discours sur l’Histoire Universelle , Vols I, II, III, Paris, Sindbad. Pèrez , R. 1991. Ibn Khaldoun: La Voie et la foi ou Le Maitre et Le Juriste , Paris: Editions Islam /Sindbad. Sciences Humaines, No.177, Décembre 2006. Toynbee, A. 1956. The Study of History, London, Oxford University Press. Wilson, R. and A., Keil, F.C. 2001. The MIT Encyclopedia of Cognitive Sciences, Cambridge, Mass., The MIT Press. Al-Jabri, M. A. 1992. La pensée d’Ibn Khaldoun: Al -Assabiyya et l’Etat; dimensions théoriques khaldouniennes dans l’histoire musulmane (en arabe). Center for Arab Unity Studies, Beyrout. Cheddadi, A. 2002., Ibn Khaldûn : Le Livre des Exemples, 1 Autobiographie, Muqaddima, Gallimard, Paris. Clayton, P. and Simpson, Z 2009, The Handbook of Religion and Science, Oxford, Oxford University Press. Dhaouadi, M. 2002. Globalization of The Other Underdevelopment: Third World Cultural Identities, Kuala Lumpur, A.S. Noordeen. Dhaouadi, M. 1997. New Explorations into The Making of Ibn Khaldoun’s Umran Mind , Kuala Lumpur, A.S. Noordeen. Dortier, J.F. 2004. Le Dictionnaire des sciences humaines, Auxerre, Sciences Humaines Editions. Ibn Khaldoun: The Arab Spring in Social and Human Sciences Mahmoud Dhaouadi ABSTRACT This article intends to present a brief outlook on Ibn Khaldoun, the leading Arab-Muslim social thinker of the Middle Ages (1332-1406. He is considered to be the first pioneer of the entire profile of world’s social and human sciences. Ibn Khaldoun was very critical of the methodology of Muslim historians and this had led him to the promotion of a reform in the discipline of history through the invention of a New Science called in Arabic Ilmu al umraan al bashari (science of civilization and human society). It is a socio-historical perspective which gives priority to the social variables as the crucial determining factors for the making of historical events in human societies and civilizations. In a nutshell, for the author of the Muqaddimah to be a good historian one must be first a good sociologist. It was within this sociological and interdisciplinary framework that Ibn Khaldoun had written his famous Muqaddimah where his observations and analyses of social phenomena in the Maghreb societies in particular had enabled him to establish credible paradigm of social and human sciences in his time. His creation and useful use of his concept of al-assabiyya/group feelings shows his creative original social thinking which allowed him to be the great sociologist many centuries well ahead of August Comte. Keywords: The Muqaddimah, al-assabiyya/group feelings, pioneer, New Science, historical sociology. - 182 - Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 40, No. 1, 2013 . ________________________________________________ 8118 5 82 8111 11 82 - 183 -