
Med Pal 2006; 5: 123-130
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ÉTUDE ORIGINALE
Bénédicte Denoyel, Marie-Pierre Perrin
trent pas d’allongement de la survie sauf pour les patients
les plus dénutris.
Bozzetti [3] fait l’analyse suivante, largement reprise
dans la littérature : des adultes sains, comme l’ont montré
dans l’histoire le siège de Léningrad, le ghetto de Varsovie
ou encore la grève de la faim de dix Irlandais en 1992
[4], décèdent lorsqu’ils ont perdu environ 40 % de leur
poids habituel, c’est à dire après 8 à 10 semaines de jeûne.
Il est donc logique de penser que les patients cancéreux
aphagiques survivants plus de 100 jours
(pourquoi pas
60 jours ? Note des auteurs)
avec une nutrition parenté-
rale ont tiré bénéfice de cette dernière en terme de pro-
longation de survie. Dans l’étude de Pasanisi [5] analysant
le devenir de 76 patients cancéreux sous NP pour occlu-
sion digestive irréversible, les patients qui survivent plus
de deux mois avec une nutrition parentérale à domicile
varient entre 55 % et 90 % en fonction de leur Karnofsky
de départ (55 % pour les Karnofsky entre 40 et 50 et 90 %
pour les Karnofsky entre 60 et 70).
La question qui reste actuellement sans réponse précise
est la suivante : pouvons-nous identifier ces patients qui
seraient morts de jeûne avant de mourir de leur cancer ?
Quels sont les facteurs prédictifs de survie ?
Puisque la plupart des auteurs s’accordent pour dire
qu’une espérance de vie de deux ou trois mois est le mi-
nimum pour commencer une alimentation parentérale, il
est important de disposer de facteurs prédictifs de survie
fiables.
Il est intéressant de noter que, sauf pour les derniers
jours de vie, les médecins surestiment en général l’espé-
rance de vie de leurs patients. Dans l’étude de Christakis
[6], globalement seulement 20 % des estimations étaient
convenables, 17 % étaient pessimistes, 63 % étaient opti-
mistes.
Bozzetti [7] fait une revue des études évaluant la pré-
cision de l’estimation de l’espérance de vie chez des patients
avec un cancer en phase avancée, concluant qu’aucun in-
dice prédictif n’est exempt de défaut, car insuffisamment
précis. La précision est meilleure pour les issues fatales à
court terme ; elle est nettement moins bonne lorsqu’il
s’agit de patients non moribonds.
L’analyse de 24 études sur les facteurs prédictifs de
survie chez les patients en phase terminale de cancer a
fait apparaître comme facteurs prédictifs indépendants :
l’indice de Karnofsky, l’altération cognitive, la dyspnée,
l’anorexie, la dysphagie, la xérostomie et la perte de poids
[8].
Dans l’étude italienne de Pasanisi publiée en 2001 [5],
les auteurs ont étudié les paramètres cliniques, anthropo-
métriques et biologiques de 76 patients en occlusion di-
gestive irréversible suite à un cancer à un stade avancé,
sous NP à domicile ; dans cette étude, l’albuminémie et
l’indice de Karnofsky émergent comme de bons prédic-
teurs de survie, les auteurs préconisent de les utiliser en
association. L’indice de Karnofsky pris isolément n’est pas
un indicateur assez fiable de survie ; en effet dans cette
étude, parmi les patients ayant un Karnofsky à 40 ou
50 %, 31 % ont vécu plus de 3 mois et 17 % plus de
4 mois.
La nutrition parentérale améliore-t-elle la qualité
de la fin de vie ?
On peut signaler la première étude prospective sur la
qualité de vie réalisée par une équipe italienne dirigée par
Bozzetti [9]. Il s’agit d’une étude prospective multicentri-
que concernant 69 patients atteints de cancer avancé en
phase palliative, tous dénutris, quasiment aphagiques. Ont
été étudiés chez ces patients sous NP, leur état nutrition-
nel, leur durée de vie et leur qualité de vie selon le ques-
tionnaire RSC (
Rotterdam Symptom Checklist
), avant le
début de la NP, puis mensuellement. L’apport était d’en-
viron 30 calories non protéiques/kilo/jour. Les résultats
montrent que les indices nutritionnels restent stables
jusqu’au décès, la médiane de survie est de 4 mois (1 à 14)
et 1/3 des patients survivent plus de 7 mois, les paramètres
de qualité de vie restent stables jusqu’à 2-3 mois avant le
décès. Les auteurs concluent que la NP peut bénéficier aux
patients qui vivent plus longtemps que ne l’aurait permis
une mort par dénutrition ; autre conclusion : pourvu que
les patients vivent plus de trois mois, la qualité de vie
attendue est acceptable.
Buchman [10] critique la conclusion de cette étude qui
est faite sur un petit nombre de patients, la plupart non
métastatiques et la plupart en occlusion digestive sur car-
cinose péritonéale. Il critique le fait que la NP ne soit pas
comparée à un groupe témoin et à d’autres traitements
visant le confort comme la gastrostomie de décharge. Il
pense que la NP est plus souvent délétère que bénéfique
chez des patients qui sont à domicile et qui, s’ils étaient
informés de leur pronostic, n’accepteraient pas ce traite-
ment. Il souhaiterait une étude plus fine des critères pré-
dictifs d’une amélioration de la qualité de vie sous NP.
Nous pensons que l’étude de Bozzetti ne nous apporte
aucun élément sur la qualité de vie des deux derniers mois
de vie, période qui nous concerne en USP.
La nutrition parentérale peut-elle inverser
le processus catabolique ?
Le syndrome de cachexie des patients cancéreux [11]
est un phénomène complexe, aggravant le pronostic, lié
à une diminution des apports et à des perturbations mé-
taboliques spécifiques de l’hôte. Ces perturbations méta-
boliques sont dues à une production anormale de média-
teurs produits par l’hôte et la tumeur : cytokines, hormones
et substances « cachectisantes » d’origine tumorale (PIF).