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2007 46: 471Social Science Information
Jacques Hamel
Réflexions sur la réflexivité en sociologie
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Theory and methods
Théorie et méthodes
Jacques Hamel
Réflexions sur la réflexivité en sociologie
Résumé. Cet article envisage la réflexivité surgie de l “individualisation de la vie
sociale” née des mutations des sociétés actuelles et qui, par exemple, oblige la sociologie à
concevoir son objet à nouveaux frais. Comment définir exactement l’individualité dans
cette perspective? Quel statut conférer aux propos des individus qui évoluent dans ce
cadre? Après avoir cerné ce à quoi correspond exactement la réflexivité, l’auteur cherche
à nuancer les thèses en vogue sur le sujet en prenant pour illustration les théories de
P. Bourdieu et d’A. Giddens qui lui permettent de concevoir le sens commun comme
connaissance pratique et l’individualité comme médiation obligée pour atteindre le
social. La réflexivité de la sociologie est finalement abordée afin de montrer que, de nos
jours, la connaissance sociologique alimente la connaissance pratique que mobilisent les
individus pour, à leur niveau, rendre raison de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font.
Mots-clés. Individualisation de la vie sociale – Réflexivité – Théorie sociologique
Abstract. This article considers the reflexivity that arises from the
“individualization of social life,” which is the result of changes in current societies and
which, for example, forces sociology to consider its purpose at a new cost. How exactly is
individuality to be defined from this perspective? What status is to be conferred on the
statements of individuals who are operating in such a framework? Having defined
precisely to what reflexivity corresponds, the author seeks to qualify the theses currently
held on this topic, as illustrated by the theories of P. Bourdieu and A. Giddens, which
provide an opportunity to conceive of common sense as practical knowledge and
individuality as the mediation required to attain the social. The reflexivity of sociology
is finally addressed in order to show that today, sociological knowledge fuels the
practical knowledge that individuals mobilize to make sense, at their own level, of
what they are and what they do.
Key words. Individualization of social life – Reflexivity – Theory of sociology
Social Science Information © SAGE Publications 2007 (Los Angeles, London, New Delhi and
Singapore), 0539–0184
DOI: 10.1177/0539018407079727 Vol 46(3), pp. 471–485; 079727
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La réflexivité semble à bien des égards la question à l’ordre du jour de la
sociologie, qu’elle soit du reste d’obédience française ou anglo-saxonne
(Beck, Giddens et Lash, 1994; Woolgar, 1988). Les considérations de
toutes sortes abondent sur le sujet. En effet, la notion, surgie des muta-
tions des sociétés contemporaines, vient relancer les débats à propos du
statut conféré à la réflexion des individus et celui concédé aux individus
eux-mêmes dans l’élaboration de la connaissance sociologique. Tout
compte fait, les discussions en la matière mettent en cause l’objet même
de la sociologie qu’on cherche, pour ainsi dire, à concevoir à nouveaux
frais. Si, à l’évidence, elle s’emploie à expliquer la société, force est d’ad-
mettre que celle-ci n’est saisissable que par le truchement des individus
qui gravitent dans son orbite, sinon de ce que ces derniers en disent à la
lumière de leur propre expérience de la vie sociale. Comment se conçoit
dès lors l’objet des études sociologiques? Quel statut conférer aux propos
de tout un chacun qui évolue forcément en société? Comment définir
exactement l’individualité dans cette perspective?
Voilà quelques-unes des questions que la réflexivité ramène sur le
tapis. On doit, en outre, reconnaître que la notion semble en vogue afin
de battre en brèche les théories sociologiques dites classiques, celle de
Pierre Bourdieu par exemple, pour le motif de la vision déterministe de
la vie sociale qu’elle sous-tend d’emblée et qui réduit à néant la figure
de l’individu et sa capacité réflexive en société. Cet article cherche à
envisager et à nuancer les questions que soulève la réflexivité en y voy-
ant même de faux débats.
Qu’est-ce que la réflexivité?
La réflexivité paraît chez nombre d’auteurs comme la propriété de la vie
sociale née du développement des sociétés actuelles. En bref, elle
correspond à l’“individualisation de la vie en société” qu’Ulrich Beck
associe étroitement à la “décomposition et à l’abandon des modes de vie
de la société industrielle (classe, strate, rôle sexué, famille)” pour ceux
sur la base desquels “les individus construisent, articulent et mettent en
scène leur propre trajectoire individuelle” (Beck, 2001: 283) à la lumière
de leur connaissance de la vie sociale. La société devient ainsi “liquide”
puisque, aux yeux de Zygmunt Bauman (2006: 7), “les conditions dans
lesquelles ses membres agissent changent en moins de temps qu’il n’en
faut aux modes d’action pour se figer en habitudes et en routines”.
En d’autres termes, les parcours biographiques des individus en société
“deviennent ‘autoréflexifs’; ce qui était le produit de déterminations sociales
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devient objet de choix et d’élaboration personnelle” (Beck, 2001: 290). Sur
la lancée, “il faut développer, pour les besoins de sa propre survie, une
image du monde centrée sur le moi, qui renverse en quelque sorte le rapport
entre le moi et la société, et l’adapte aux objectifs de l’organisation indi-
viduelle de l’existence” (2001: 291).
Aux yeux de Beck, les ratés des vecteurs de socialisation que
représentent notamment la famille et la classe sociale contribuent large-
ment à rendre aujourd’hui l’individu responsable de sa vie en société à
son échelle et sous son propre chef. De nos jours, les valeurs et les
normes ne parviennent plus à être la règle en société et, faute d’un
régime normatif commun, chaque individu se voit conséquemment
obligé de “bricoler” son programme de vie aux couleurs de sa propre
individualité. Autrement dit, il est désormais contraint de souscrire à
l’injonction d’“agir de soi-même” en mobilisant d’office sa réflexion
afin d’établir son individualité face à la gamme des choix qu’il doit
régulièrement faire.
L’érosion des religions et des traditions, l’éclatement de la famille, la
flexibilité du travail et la fragmentation de la culture ont rendu caducs les
modes de vie qui, jadis, s’étaient tour à tour imposés à l’échelle de la
société et à chacun de ses membres. La vie individuelle s’axe dorénavant
sur l’ego (Kaufmann, 2001) et, par ricochet, revêt, comme la société, des
formes à géométrie variable. En effet, l’individu n’est désormais plus
imbibé par les règles sociales induites sous la pression de la socialisation
et peut de ce fait ménager lui-même ses motivations pour agir. La société
peut difficilement en contrepartie leur offrir un “programme unique”,
mais une sorte de menu à la carte. La réflexivité s’accroît en conséquence
à l’échelle individuelle puisque tout un chacun demeure libre de con-
cevoir son action à sa guise selon le sens qu’il a le loisir de lui conférer.
La sociologie fourmille à cet égard d’études qui scrutent la vie quot-
idienne dans l’intention de débusquer en acte la “démocratisation de la
vie individuelle” en vertu de laquelle “l’individu choisit sa vérité, sa
morale, ses liens sociaux et son identité” (Kaufmann, 2001: 112). La vie
des individus se forge au gré d’une série d’épreuves (Martuccelli, 2006)
qui forment leur personnalité, leur identité et leur position sociale à la
lumière de leurs expériences subjectives dont la singularité naît de leur
compréhension de soi et de leur propre intelligence de la société.
Le relâchement des instances et des médiations collectives, pour ne
pas dire sociales, a apparemment induit une “distance subjective”
(Dubet, 1994: 96) propice à la réflexivité devenue responsable de l’ind-
ividualité. En effet, le déclin de la normativité a immanquablement jeté
du lest entre l’individu et la société, le forçant à se reconnaître en et pour
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lui-même, et l’obligeant à réfléchir sur sa vie afin que celle-ci ait la
touche d’une élection personnelle qui aujourd’hui vaut sésame.
Un nouvel objet pour la sociologie?
Selon toute vraisemblance, la sociologie est forcée en pareilles condi-
tions de redéfinir l’objet même qui lui donne sa raison d’être et son droit.
En effet, comment étudier la société sous son égide en laissant l’individu
dans l’ombre comme il semble de rigueur depuis ses débuts? Comment
l’expliquer en faisant fi de la réflexion des individus tenue péjorative-
ment pour sens commun sous le coup de la rupture épistémologique pro-
pre au métier de sociologue (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 1968)
en vertu de laquelle la théorie sociologique doit d’emblée s’opposer à la
connaissance individuelle peuplée de prénotions vues comme “représen-
tations schématiques et sommaires qui sont formées par la pratique et
pour elle, et qui tiennent leur évidence et leur autorité des fonctions
sociales qu’elles remplissent” (1968: 28) et que Bourdieu associe à une
“sociologie spontanée” dont il faut se méfier à tout prix.
L’objet de la sociologie, on le sait, correspond depuis Marx et
Durkheim non pas aux individus qui composent la société, mais aux rela-
tions qu’ils nouent et en vertu desquelles s’érigent des “forces” ou des
“contraintes” dont les propriétés se révèlent irréductibles à l’action et à la
conscience individuelles. Selon Durkheim, par exemple, la société, aux
yeux des sociologues, est “plus et autre chose” que la “somme des rela-
tions concrètes que nouent les individus entre eux”. La sociologie prend
pour objet un “ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux:
ils consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à
l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel
ils s’imposent à lui” (Durkheim, 1988: 96). Par le fait, il affirme dans
cette veine que la “vie sociale doit s’expliquer, non pas par la conception
que s’en font ceux qui y participent, mais par des causes profondes qui
échappent à la conscience” (Durkheim, 1897: 648). Bref, l’objet suscep-
tible de produire la connaissance sociologique ne peut nullement être
élaboré à l’échelle individuelle et sur la base de la conscience des indi-
vidus qui évoluent dans le rayon de la société.
L’anthropologie est venue conforter cette vision à bien des égards,
elle qui, avec notamment Margaret Mead et Ruth Benedict, avance que
les rites et les traditions qui, à leur niveau, orchestrent la vie des indi-
vidus en société induisent en eux, dans leur corps, les règles qui les gou-
vernent sous la forme de patterns qui outrepassent leurs actions et
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