nous essayons de - Perspectives Agricoles

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LES INNOVATIONS
JULIE FIEVET, AGROPARISTECH
« NOUS ESSAYONS DE
© L. Monteillet, Perspectives Agricoles
mieux prédire l’effet hétérosis »
LES INNOVATIONS
DANS LES TUYAUX
Julie Fievet, qui partage son temps
entre l’enseignement et la recherche,
est spécialisée dans la culture du maïs.
Très développées en maïs, les variétés hybrides commencent à faire
leur apparition en blé. Ces croisements de variétés sont guidés par la
recherche de l’effet d’hétérosis. Explications avec Julie Fievet, maître
de conférences à AgroParisTech et chercheuse à l’UMR de génétique
végétale, à la ferme du Moulon.
Perspectives Agricoles : Qu’entend-on par « effet
hétérosis » en sélection végétale ?
Julie Fievet : L’effet hétérosis, qu’on appelle aussi
vigueur hybride, consiste en un gain de vigueur
résultant du croisement entre deux variétés. Il
s’agit d’un phénomène universel qui touche toutes
les espèces à reproduction sexuée, pour les caractères quantitatifs. L’effet hétérosis est bien connu
pour le maïs, mais il est aussi observé chez le colza, la levure, les huîtres ou encore les ovins.
P.A. : Comment ce phénomène a-t-il été découvert ?
J.-F. : L’hétérosis est un phénomène observé depuis
très longtemps. Il a notamment été mis en évidence
au niveau interspécifique par Kölreuter en 1794
puis au niveau de croisements intra-spécifiques par
Darwin en 1876. La formalisation de cette observation remonte elle au début des années 1900 via
les travaux de deux agronomes américains : Shull
et East. Leurs travaux de recherches ont montré
qu’en croisant deux maïs peu productifs, on pouvait obtenir un descendant plus vigoureux et que les
autofécondations successives étaient défavorables.
La base génétique principale de ce phénomène est
donc la complémentation entre les deux parents
pour des gènes dominants favorables. Un point important : l’effet hétérosis s’exprime surtout lorsque
les variétés sont éloignées génétiquement.
N°408 - Février 2014
PERSPECTIVES AGRICOLES
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LES INNOVATIONS
30
%, c’est le gain de
rendement potentiel
obtenu avec une variété
de maïs hybride.
DANS LES TUYAUX
P.A. : comment a-t-il été exploité dans les schémas de sélection ?
J.-F. : Au début du XXe siècle, les champs de maïs
étaient composés d’un mélange de variétés, de
faible vigueur. Les rendements étaient faibles. Il
fallait lever des verrous : les plantes mères restaient peu productives, n’offrant qu’une quantité de
semences limitée, et le résultat des croisements
était difficilement prévisible. Pour contourner le
premier obstacle, des hybrides à trois ou à quatre
voies ont été créés. Ainsi, deux variétés étaient
croisées, puis leur descendant, un hybride, était à
nouveau croisé avec une variété pure (pour donner
un hybride 3 voies) ou un autre hybride (pour donner un hybride 4 voies). En parallèle, la sélection
des variétés lignées, qui servent de parents aux
hybrides, s’est développée. Ce travail sur les lignées parentales a permis de produire des lignées
plus vigoureuses et donc d’avoir des semences
d’hybrides simples (hybrides F1) en quantité suffisante, et de structurer la diversité génétique de
façon à pouvoir choisir les lignées qui allaient le
mieux se combiner et donc permettre d’observer
le maximum d’hétérosis.
Nous souhaitons mieux utiliser la
diversité génétique pour produire
de nouvelles lignées. »
Le développement des hybrides en maïs a été très
important. Les premières variétés sont arrivées en
France peu après la seconde guerre mondiale. Au-
jourd’hui, les variétés hybrides concernent autour
de 98 % du marché.
P.A. : Pour développer des hybrides, il faut donc
au préalable obtenir des lignées…
J.-F. : Au niveau génétique, à force de réaliser des
autofécondations de variétés, nous sommes arrivés à fixer des lignées en six ou sept générations.
L’objectif était d’obtenir des variétés homozygotes
(des lignées), c’est-à-dire porteuses pour chaque
gène de deux copies identiques dans le cas du
maïs. Les lignées pures de maïs sont un matériel
de travail qui n’est pas du tout intéressant d’un
point de vue agronomique, ce qui n’est pas le cas
des lignées de blé. Mais ce sont des variétés qui
vont être croisées pour donner des hybrides, dont
la première génération est 100 % hétérozygote.
C’est sur cette génération que l’effet d’hétérosis
est le plus fort, quand les parents ont réussi à donner leurs bons éléments respectifs à leur descendant. En maïs, on peut obtenir jusqu’à 30 % de gain
de rendement par rapport à des variétés population. Mais cela ne marche pas à tous les coups,
c’est pour cela qu’il faut tester des combinaisons.
P.A. : Les nouvelles technologies, telles que le
marquage moléculaire, facilitent-elles le travail
de sélection ?
J.-F. : Oui, car les marqueurs moléculaires peuvent
être comparés à des bornes kilométriques, qui
nous permettent de nous repérer sur le génome
et d’identifier des zones impliquées dans le déterminisme d’un caractère. Notre travail de sélection
se pratique maintenant « moins à l’aveugle ». Les
© D.R.
Un maïs hybride entre ses deux parents :
l’effet hétérosis est plus grand lorsque
les parents sont distants génétiquement.
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zones favorables peuvent être suivies au cours des
programmes de sélection, ce qui permet un développement plus rapide des complémentarités entre
parents.
P.A. : Doit-on encore attendre un progrès génétique
grâce à l’effet hétérosis ?
J.-F. : En maïs, il y a encore des découvertes. Le potentiel des lignées augmente, à tel point que le rendement de certaines lignées a rejoint celui des premiers
hybrides… Mais les hybrides ne cessent de progresser
parallèlement. L’écart entre lignées et hybrides reste
important ce qui justifie le développement de variétés hybrides pour le maïs. Aujourd’hui, nous travaillons sur la base des groupes hétérotiques, qui rassemblent des lignées génétiquement assez proches.
Dans les schémas de sélection classiques du maïs,
une variété est choisie pour représenter son groupe
hétérotique, on la nomme testeur, et elle est croisée avec les lignées d’autres groupes hétérotiques
de façon à tester de nouvelles combinaisons. La recherche continue d’explorer des voies d’amélioration,
notamment grâce au projet investissement d’avenir
Amaizing. Depuis 2011 et pour une durée de huit ans,
celui-ci fédère tous les acteurs de la filière pour améliorer la résistance des variétés au déficit hydrique, au
froid ou encore leur capacité à valoriser la nutrition
azotée. Nous essayons de mieux prédire l’effet hétérosis. De plus, nous souhaitons mieux utiliser la diversité génétique pour produire de nouvelles lignées.
P.A. : Est-il opportun de développer des variétés
hybrides en céréales ?
J.-F. : Il faut bien distinguer les espèces allogames,
telles que le maïs, le tournesol ou le seigle, des espèces autogames comme le blé ou le riz. Ces dernières
se reproduisent par autofécondation. Les variétés distribuées pour les espèces autogames sont majoritairement des lignées homozygotes. Pour cette catégorie
de plantes, l’effet heterosis est très diminué. Pour un
blé hybride, les gains de rendement dépassent rarement 10 %. Il faut quand même ne pas oublier que l’effet d’hétérosis est plus fort lorsque les conditions sont
peu favorables, les « mauvaises années ». L’avantage
de ces variétés hybrides doit donc être étudié en pluriannuel car il risque d’y avoir peu d’avantage à investir
dans des semences hybrides les bonnes années mais
cet investissement sera payant les mauvaises années.
Les premiers blés hybrides
commercialisés en France
ne datent que de 1993.
© N. Cornec
P.A. : Les variétés hybrides permettent-elles seulement de gagner en rendement ?
J.-F. : Non, un effet hétérosis peut être observé
au niveau de bien d’autres caractères : hauteur de
plante, résistance à la maladie, résistance au déficit
hydrique, nombre de feuilles, précocité de floraison…
Il est cependant plus important pour les caractères
les plus complexes tels que le rendement.
Les variétés hybrides sont certes plus chères à produire mais elles restent le moyen le plus rapide de
combiner dans un même génotype les gènes dominants favorables. Les blés hybrides, par exemple,
permettent de réunir plusieurs gènes de résistance
aux maladies.
Pour un blé hybride, les gains
de rendement dépassent
rarement 10 %. »
Les premiers blés hybrides commercialisés en
France ne datent que de 1993. Ce développement
récent s’explique par le fait que des semences
hybrides sont beaucoup plus difficiles à produire.
En maïs, il suffit de couper les panicules (fleurs
mâles) des plantes qui serviront de femelles (elles
ne peuvent plus produire de pollen) pour croiser
les variétés. En blé, c’est une autre histoire. Deux
solutions sont envisageables : utiliser des variétés
mâles stériles puis restaurer la fertilité ou bien utiliser un agent chimique d’hybridation. Néanmoins,
le développement d’hybrides en blé peut-être une
piste pour obtenir des variétés mieux adaptées aux
conditions de production ou économes en intrants.
Propos recueillis par Lise Monteillet
[email protected]
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