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V. Duclert, "La France face au génocide des
Arméniens", éd. Fayard
mercredi 8 avril 2015, par Clémentine KERFRIDEN
24 avril 1915 - 24 avril 2015. Un siècle après le début du génocide arménien il importe de
remettre à la fois en perspective les faits et l’attitude de la France face à cette tragédie qui
amorce une longue série de génocides au XXe siècle.
Présentation du livre de Vincent Duclert, La France face au génocide des Arméniens, Paris,
Librairie Arthème Fayard, 2015, 424 p. ISBN 978-2-213-68467-3
EN 1915, un événement – l’extermination d’une large partie des Arméniens ottomans – fait
basculer le monde dans l’ère des tyrannies et des crimes de masse. Le traité de Lausanne signé avec la
Turquie, huit ans plus tard, scelle la disparition de l’Arménie plurimillénaire, à l’exception de la Petite
République des régions russes, soumise à la terreur stalinienne. Parmi les Alliés, la France porte une
lourde responsabilité dans le premier génocide du XXe siècle et l’abandon des survivants.
En février 1915, les autorités ottomanes mettent au point un plan secret de destruction des Arméniens,
présenté officiellement comme un transfert vers le sud de la population arménienne, accusée de
collaborer avec l’ennemi russe dans le contexte de la Première Guerre mondiale.
Critiques d’une telle politique impériale, des savants, des écrivains, des intellectuels, des parlementaires
et diplomates français, des hommes de foi, rejoints par leurs homologues belges et suisses, choisissent de
défendre un devoir d’humanité. Dès la fin du XIXe siècle, ils s’engagent contre l’injustice des grands
massacres qui se répètent dans l’Empire ottoman. À la suite de Séverine, Jaurès ou Anatole France, une
majorité de dreyfusards se mobilisent. La solidarité devient une cause morale et politique majeure,
débouchant sur la formation d’un large « parti arménophile ». Il faut cependant attendre le 29 janvier
2001 pour que le Parlement, retrouvant la mémoire de ses engagements pour les Arméniens, adopte une
loi de reconnaissance, tandis qu’intellectuels et historiens réinvestissent le champ de la connaissance du
premier génocide. C’est donc à l’occasion du centenaire de ce massacre que Vincent Duclert révèle
l’histoire française de ce génocide tombé dans l’oubli. Historien à l’École des hautes études en
sciences sociales (CESPRA), Vincent Duclert est venu à l’étude du génocide des Arméniens par l’affaire
Dreyfus, Jean Jaurès et la recherche sur les engagements démocratiques dont il est l’un des spécialistes.
Tout d’abord, qui sont les arméniens ? C’est un peuple chrétien estimé à près de deux millions de
personnes et concentré dans trois régions centrales de l’Empire ottoman, Constantinople, les villes
côtières de la mer Égée et la grande Anatolie ou Arménie.
Mais avant d’aller plus loin, une petite chronologie pour mieux appréhender la thèse de l’auteur. En
février 1915, les autorités ottomanes mettent au point un plan secret de destruction des Arméniens,
présenté officiellement comme un transfert vers le sud de la population arménienne, accusée de
collaborer avec l’ennemi russe dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Le 24 avril 1915 ont eu
lieu les premières arrestations de plusieurs centaines de notables arméniens : intellectuels, journalistes,
membres de professions libérales, hommes d’affaires sont fusillés.
Le bilan du génocide : 1 million à 1,5 million de morts
Peu de temps après, en mai 1915, c’est le début du génocide, en deux phases successives : de mai à juillet,
dans les sept provinces orientales d’Anatolie et à la fin de l’année 1915 dans les autres provinces
éloignées du front. Dans le reste de l’Empire, les Arméniens sont déportés vers Alep, en Syrie, où une
Direction générale de l’installation des tribus et des déportés répartit les familles selon deux axes : vers le
Sud ou vers l’Est, le long de l’Euphrate, où des mouroirs sont improvisés. Le bilan du génocide fait état de
1 million à 1,5 million de morts, selon diverses estimations qui font autorité. La Turquie, elle, reconnaît le
massacre de 300 000 personnes mais nie sa responsabilité dans le génocide. Seuls survivent un tiers des
Arméniens : ceux de Constantinople, de Smyrne, de la province de Van sauvés par l’avance des Russes et
quelque 100000 déportés des camps du sud de l’Empire. Le 18 mai 1915 : La Grande-Bretagne, la France
et la Russie font savoir qu’elles tiendront personnellement responsables des crimes de la Turquie « contre
l’humanité et la civilisation » tous les membres du gouvernement ottoman. En novembre 1915, la
France s’engage "en accord avec les Alliés" à ne pas oublier "les souffrances atroces des
Arméniens", "lorsque viendra l’heure des réparations légitimes" et "à assurer à l’Arménie une
vie de paix et de progrès". Le 24 juillet 1923 a lieu la signature du Traité de Lausanne qui ne fait
mention ni de l’Arménie, ni des Arméniens. Le départ des troupes françaises provoque de nouveaux
massacres d’Arméniens par les troupes kémalistes. Enfin, en 2001 : La France reconnaît
officiellement le génocide par la loi du 29 janvier mais sans en spécifier l’auteur.
Lors des grands massacres de 1894 et 1897, « Il est convenu que la France ne fera rien » écrit Marcel
Proust.
Ainsi, après avoir détaillé en profondeur le questionnement face à ces évènements, l’auteur en vient à
critiquer le peu de réaction de la politique française face à la persécution arménienne dans l’Empire
ottoman. En effet, tous ces massacres et implications politiques sont le résultat d’un long processus de
conflits prenant place entre la Grèce et la Turquie bien avant 1915. Vincent Duclert note que la
préoccupation française commence à se faire ressentir, mais par le biais d’une mobilisation intellectuelle.
Par exemple, les récits de voyages en Arménie se multiplient. Pourtant lors des grands massacres de 1894
et 1897, « Il est convenu que la France ne fera rien » comme l’écrit Marcel Proust. En effet, Vincent
Duclert pointe du doigt la défaillance des puissances européennes. « La connaissance de première
main issue du travail des diplomates est ignorée, rejetée par les ministres des Affaires
étrangères européens et leur gouvernement. » (p. 62)
Mais pourquoi la France est-elle particulièrement impliqué dans le cas arménien et détient-elle une telle
responsabilité envers ce peuple ? Car Paris refuse de considérer la gravité des massacres dans l’empire
ottoman, et persiste à soutenir le pouvoir hamidien, de plus, le parlement rejette la protestation
grandissante contre l’abandon des arméniens. Pour un pays qui se prétend soutenir les droits de
l’homme, c’est un peu osé. C’est ainsi que l’intervention de grands défenseurs tels que Jean Jaurès,
Anatole France, Paul Cambon expriment un réel engagement parlementaire et commencent à se faire
entendre, en plus de la France des missions à l’appui de personnalités catholique tel que le père
Charmetant, qui interviennent dans un « devoir d’humanité et de patriotisme ». George Clemenceau, au
nom du « droit et de la justice pour tous les hommes sans distinction de race ni de confessions religieuses
» condamnent les gouvernements qui n’ont rien fait. Les intellectuels veulent maintenant faire l’histoire
des Arméniens, mobilisant la force politique des historiens. Une propagande savante est alors mise à
l’œuvre. Le mouvement « Arménophile » est en marche. Comme le précise Vincent Duclert, « L’attitude
publique face aux événements d’Arménie révolte ces intellectuels avant la lettre, motivés par la
recherche et la reconnaissance de la vérité. » (p. 138) et « Les socialistes français ont pour
mission d’obliger les gouvernements à doter la France républicaine d’une diplomatie digne de
cette démocratie. » (p. 146) et enfin « Toutes des intentions exigent de créer un « parti
arménophile » dont le centre sera la France libérale, sortie vainqueur de l’affaire Dreyfus. » (p.
152).
Malheureusement, lors de l’avènement de la révolution « jeunes-turcs », qui enclenche le processus
génocidaire, on constate l’échec « arménophile », puisqu’en 1915, les intellectuels français ne peuvent
rien tenter contre la révolution, suite à quoi l’Arménie subie son extermination. D’où la profonde
culpabilité française dans ces événements. De plus, en 1915, la France est en pleine guerre, et doit alors
faire le choix entre soit se concentrer sur l’effort de guerre, soit s’impliquer dans un devoir d’humanité.
Vincent Duclert se rend compte de la triste vérité : « Alors que s’achève le plus sanglant des conflits,
rares sont ceux qui ont conscience du génocide qui s’est déroulé. La guerre totale a empêché de
voir ce qui était au-delà d’elle. La paix agit de même. » (p. 239) En effet, la France est victorieuse et
ceci a déclenché l’abandon de l’Arménie. Au final, les Arméniens n’auront ni la justice ni
l’indépendance. La France comme les puissances européennes ne se battront pas pour la justice, en
opposition avec leur engagement, notamment ceux du 24 mai 1915, face aux attentes arméniennes de
réparation, même la SDN est impuissante. Le mouvement arménophile témoigne pourtant d’une fidélité
avec leurs soutiens en accueillant quelques réfugiés. La réparation est malheureusement impossible pour
l’Arménie. En 1923 le traité de Lausanne signe le triomphe Turc.
La France devant le génocide des Arméniens est une histoire de France, une histoire de combats
intellectuels, une histoire de la recherche savante, une histoire des Arméniens confrontés à leur
disparition programmée, et enfin, dessine l’humanité à travers les lois et les valeurs qu’elle inspire.
De la connaissance à la reconnaissance, en 2015 a vu le jour, un colloque international le 25 mars, dans le
grand amphithéâtre de la Sorbonne, inauguré par François Hollande, témoignant à la fois de l’importance
que la France accorde au génocide des Arméniens, à la place de son histoire dans l’imaginaire civique et
national et au pouvoir de la recherche, dans le souvenir des engagements des intellectuels au début du
XXème siècle. Vincent Duclert conclue alors en montrant que la France devant le génocide des Arméniens
est une histoire de France, une histoire de combats intellectuels, une histoire de la recherche savante, une
histoire des Arméniens confrontés à leur disparition programmée, et enfin, dessine l’humanité à travers
les lois et les valeurs qu’elle inspire.
Cet ouvrage relate donc la réception du premier génocide des temps contemporains, dans une société
européenne qui a montré une solidarité progressive avec les Arméniens exterminés et une volonté d’en
protéger la mémoire, voire de les faire accéder à la justice.
*
Très détaillé sans pourtant nous assommer, ce livre malgré sa densité, explique clairement le malaise
français. En effet, en plus de nous éclairer sur les évènements qui ont secoués le peuple arménien,
Vincent Duclert reste très professionnel dans ses écrits, sans être larmoyants dans la description des
épisodes violents. En se concentrant sur l’implication française, il est dès lors plus facile de rebondir sur
des personnalités du XXème siècle en France, consolidant nos connaissances sur la politique de l’époque.
Outre la qualité rédactionnelle de l’œuvre, qui se lit très facilement et avec agrément, grâce à
l’organisation en chapitres et sous-parties reflétant le mouvement évolutif de l’Histoire, cet ouvrage reste
un livre de 400 pages, très long à lire, surtout dans le détail des procès ; il est donc plus adapté pour un
public averti qui cherche particulièrement à renforcer ses connaissances sur le sujet.
Copyright Avril 2015-Kerfriden/Diploweb.com
Plus
Le livre de Vincent Duclert, La France face au génocide des Arméniens, Paris, sur le site de la
Librairie Arthème Fayard.
P.-S.
Etudiante en Hypokhâgne à l’ENC Blomet (Paris).
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