par le traité de Lausanne (1923). Deux anciens protectorats britanniques –
Chypre et la Palestine – vivent depuis des décennies dans la tragédie et la
division. Les Etats arabes, eux, n’ont jamais résolu leur problème
d’intégration des populations dans leur territoire. Inutile donc de
s’étonner de l’accumulation des guerres qui transforment cet espace post-
ottoman en malédiction de l’Histoire.
Que pourrait-on impulser comme dynamique pour parvenir à coudre un récit
collectif où le respect de la dignité humaine l’emporterait sur la violence
endémique ? Car ne nous leurrons pas : Etat connu pour ses crimes impunis,
l’Empire ottoman a transmis à l’Etat héritier (la Turquie) et aux Etats
successeurs une tradition de violence structurelle qui les empêche de
penser l’altérité comme source de paix et d’égalité.
Contamination du corps social
C’est là, dans cette convulsion géopolitique, qu’intervient la catastrophe
du génocide des Arméniens. Pourquoi ? Car, sous l’impulsion d’historiens
turcs courageux, une nouvelle historiographie du génocide de 1915 est
apparue, faisant de ce dernier l’événement majeur de la première guerre
mondiale. Un génocide, quel qu’il soit, est une telle amputation dans
l’histoire d’un Etat, une telle faillite du système international, que,
tant qu’il n’est pas reconnu et condamné, les traces qu’il laisse dans les
mentalités continuent de contaminer l’ensemble du corps social – en
l’occurrence post-ottoman. Et les marques qu’il laisse dans les strates de
l’appareil d’Etat continuent de défigurer les pouvoirs régaliens incapables
de modérer leurs pratiques ,de surcroît quand leur expérience coloniale a
aggravé les relations interethniques et interconfessionnelles.
La Turquie, en tant qu’Etat héritier de ce crime sans précédent dans la
région, aurait tout à gagner à franchir ce pas décisif pour l’Histoire
De même que les Européens se sont saisis de la Shoah pour asseoir l’Etat de
droit en Europe occidentale, le monde serait bien inspiré d’utiliser le
thème du génocide des Arméniens afin d’extraire cette part de violence
structurelle des Etats post-ottomans et de favoriser une amorce de paix.
Certes, cela ne suffira pas. Mais la Turquie, en tant qu’Etat héritier de
ce crime sans précédent dans la région, aurait tout à gagner à franchir ce
pas décisif pour l’Histoire et à rompre avec cette violence structurelle
qui, des sultans à M. Erdogan, maintient la société turque dans sa faille
collective. Cette approche à la portée de chacun ne peut se confiner au
rapport turco-arménien. Elle sert d’abord à briser les nationalismes
d’Etat, y compris celui des Arméniens.
Grecs, Serbes, Bulgares, Caucasiens, Turcs, Kurdes, Arabes et juifs savent
ce qui s’est passé entre 1915 et 1918, de Constantinople à la Mésopotamie
: l’assassinat à huis clos d’une nation dont l’extinction est restée un
crime impuni dans l’histoire et le droit. Un siècle après, à la vue des
images de massacres commis par l’organisation Etat islamique en Syrie et en
Irak, on mesure les dégâts d’hier avec d’autant plus d’inquiétude que nul
n’ignore que le négationnisme d’Etat constitue un culte de la violence par
d’autres moyens. Non, le génocide de 1915 n’est pas un problème du passé,
mais concerne bien l’avenir de la paix dans la region.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/28/de-la-chute-des-ottomans-a-
la-paix-au-proche-orient_4910375_3232.html