degré sans précédent sur tous les fronts. On espère que la paix
signiera un retour à la «normale» et le retour des réfugiés dans
leurs foyers. C’est l’un des thèmes à l’ordre du jour de l’Assemblée
arménienne qui réunit à Petrograd, en mai 1916, les organisations
nationales de l’Empire russe. L’éclatement de l’empire tsariste
consécutif aux défaites et révolutions de 1917 plonge bientôt les
Arméniens orientaux, comme l’ensemble du Caucase dans une
autre tourmente. L’offensive de l’armée ottomane protant du
vide laissé par le départ des troupes russes pour marcher sur
Bakou, à travers le Nakhitchevan, le Zanguezour, le nord de l’Iran
et le Karabagh, prolonge les massacres d’Anatolie et démontre la
volonté d’anéantissement de l’ensemble des Arméniens au-delà
des frontières de l’Empire ottoman. Dans la région de Erévan,
le sursaut de résistance d’une population consciente du sort
qui l’attend en cas de victoire turque, pour avoir été confrontée
aux ux de réfugiés depuis le printemps 1915, permettra la
naissance de l’Etat arménien. Entre le 21 et le 25 mai 1918, les
Turcs sont ainsi repoussés aux portes de Erévan par les forces
nationales, constituées par les soldats arméniens de l’ancienne
armée tsariste et les légions de volontaires, soutenues par une
levée en masse, lors de batailles désespérées aux portes de
Erévan. L’éphémère tentative de Fédération transcaucasienne
ne résiste pas à la poussée turque et aux intérêts divergents de
ses composantes arménienne, géorgienne et azérie. Et après les
proclamations unilatérales d’indépendance par la Géorgie, forte
de la protection allemande (26 mai), suivie par l’Azerbaïdjan, les
représentants arméniens se résignent, à leur tour, à proclamer
l’indépendance le 28 mai. Une indépendance qui n’avait pas
été envisagée pour l’ancien gouvernorat tsariste de Erévan,
province arriérée et à la population mixte, mais devenue
nécessaire pour conclure la paix avec la Turquie, et nalement
assumée comme une nécessité historique pour réaliser le projet
historique de rassemblement des terres et des hommes.
Un héritage douloureux pour un Etat nouveau-né
Comme pour les Juifs, le génocide, même si on ne le nomme
pas encore ainsi, est un des éléments constitutifs de l’identité
nationale des Arméniens à l’époque contemporaine. Cependant,
à la différence des Juifs, il ne constitue pas un des arguments de
légitimation de la création ou de la renaissance d’un Etat national,
un lieu où il existerait la possibilité de vivre normalement, sans
discrimination et en sécurité, un lieu qui permettrait le retour
et la n de la diaspora, conçue comme une situation «hors
norme», sinon «dangereuse». Pour les Arméniens, le génocide
symbolise l’échec du projet national d’émancipation, plus
fédéraliste qu’indépendantiste à l’origine, un projet prônant une
plus grande autonomie locale et des réformes en vue d’établir
l’égalité des droits et la sécurité des personnes et des biens
dans un cadre impérial rénové, respectueux des minorités. Le
génocide signie la disparition des terres ancestrales, du cœur
de la «vraie» patrie située dans l’Empire ottoman, là où devait
s’incarner ce projet. La république créée autour de Erévan,
dans une province périphérique du Yerkir (pays), ne s’imposera
pas d’emblée comme République d’Arménie : elle est désignée
à ses débuts comme «République araratienne» ou «République
de Erévan», ne recouvrant qu’une partie du projet d’»Arménie
intégrale» présenté à la Conférence de la Paix de Paris, devant
laquelle se présentent deux délégations, celle de la République
et des Arméniens de Russie, menée par Avétis Aharonian, et