C. Berlier
V. Erard
introduction
Les hémopathies malignes affectant le patient âgé de plus de
65 ans sont incluses parmi les syndromes lymphoprolifératifs,
les dyscrasies plasmocytaires, les syndromes myéloprolifératifs
et myélodysplasiques. Les traitements oncologiques que nécessitent les hémo-
pathies malignes, y compris celles réputées incurables, sont désormais envisagés
chez des patients au-delà de 65 ans et/ou présentant des comorbidités significa-
tives, ou autrement dit, des patients pour lesquels une greffe, qu’elle soit auto-
logue ou allogénique, n’est pas envisageable. Les infections impliquant différents
organismes pathogènes ou opportunistes restent la complication la plus fréquente
et redoutée des hémopathies malignes.
Nous aborderons, dans cet article, les différents types de pathologies infec-
tieuses associées à certaines hémopathies en considérant les désordres immuni-
taires inhérents à l’hémopathie et/ou à son traitement. Nous limiterons notre revue
aux pathologies chroniques que sont la leucémie lymphatique chronique (LLC),
l’ensemble des hémopathies constituant le syndrome myélodysplasique (SMD)
et le myélome multiple (MM).
immunité et pathogenèse
La pathogenèse des infections rencontrées dans les hémopathies malignes est
liée prioritairement à une dysfonction des mécanismes de l’immunité innée et/ou
adaptative, inhérente à la maladie primaire et au traitement de celle-ci. La défense
immunitaire consiste en une intrication des différents mécanismes de l’immunité
innée et adaptative dont l’implication dans la défense contre l’infection dépend
du pathogène en cause. Ou, autrement dit, l’altération fonctionnelle de l’un ou de
l’autre des mécanismes de défense est associée à un spectre défini d’infections.
Immunité innée
Elle correspond à la phagocytose, fonction dédiée aux cellules dendritiques, aux
macrophages et aux granulocytes, notamment les granulocytes neutrophiles. Ces
cellules possèdent un éventail fixe de récepteurs invariants envers des molécules
Infectious complications in elderly with
chronic hematological malignancies
Chronic blood malignancies in the elderly re-
main incurable diseases. However, recent ad-
vances in therapies allow not only to extend
treatment at advanced ages and in presence
of significant comorbidities, but also to induce
prolonged remissions. However, this is achie-
ved at the cost of increased risk of infectious
diseases, due to disease – and treatment –
related immunosuppression. This article will
review the infectious diseases associated with
chronic lymphatic leukemia, myelodysplastic
syndrome and multiple myeloma. Furthermore
we will discuss the recommendation of anti-
infectious prophylaxis and vaccination for each
of the conditions listed above.
Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 1821-6
Les hémopathies malignes chroniques de la personne âgée
restent des maladies incurables. Cependant, les progrès thé-
rapeutiques récents permettent non seulement d’envisager
des traitements aux âges avancés et en présence de comorbi-
dités significatives, mais également d’induire des rémissions
prolongées. Ceci est réalisé cependant au prix d’un risque
augmenté de maladies infectieuses dues à l’immunosuppres-
sion inhérente et à la maladie hématologique, et aux traite-
ments oncologiques. Dans cet article seront présentées les
complications infectieuses associées à la leucémie lymphati-
que chronique, au syndrome myélodysplasique et au myélome
multiple. En outre, seront énumérées les prophylaxies anti-in-
fectieuses et les vaccinations recommandées pour chacune
des pathologies énumérées ci-dessus.
Complications infectieuses
chez la personne âgée présentant
une hémopathie maligne chronique
pratique
Drs Charlotte Berlier
et Véronique Erard
Département de médecine interne
HFR-Fribourg – Hôpital cantonal
1708 Fribourg
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antigéniques, tels les lipopolysaccharides des bactéries
Gram négatives, le peptidoglycan et l’acide teichoïque des
bactéries Gram positives, les mannanes des champignons.
L’immunité innée a ainsi la perception intrin sèque de ce qui
est microbien. Elle maîtrise à elle seule un grand nombre de
micro-organismes de l’environnement et de la flore endo-
gène, est nécessaire à l’activation de l’immu nité adaptative
et contrôle l’infection durant le délai néces sité par la mise
en fonction de l’immunité adaptative.
Immunité adaptative
Impliquant l’action des lymphocytes B (immunité humo-
rale) et des lymphocytes T (immunité cellulaire), l’immunité
adaptative possède quatre propriétés fondamentales : la
spécificité antigénique, la diversité des antigènes reconnus,
la mémoire et la discrimination du
soi
et du
non-soi
. Il existe
ainsi un seul récepteur de structure donnée dans une cel-
lule et son clone, correspondant à un antigène donné. Les
immunités humorale et cellulaire sont impliquées dans la
défense contre les antigènes extracellulaires (bactéries,
toxines, certaines infections virales au stade précoce) et in-
tracellulaires (virus, bactéries intracellulaires).
Si, fréquemment, on attribue à l’immunité innée la dé-
fense contre les bactéries et à l’immunité adaptative la
défense contre les infections virales, la distinction de fonc-
tion n’est de loin pas si tranchée.
Infections virales
L’immunité innée fait entrer en scène essentiellement les
cellules NK dont l’activité favorisée par la production d’inter-
féron induit la lyse des cellules infectées. L’immunité adap-
tative humorale se manifeste précocement dans l’infection.
Les anticorps empêchent l’entrée du virus dans les cellules
et participent à l’opsonisation des particules virales essen-
tielle à la phagocytose. L’immunité adaptative cellulaire est
surtout importante dans les infections virales chroniques.
Infections bactériennes extracellulaires
La destruction du pathogène est assurée par les acteurs
de l’immunité innée impliqués dans la phagocytose.
Infections bactériennes intracellulaires
La destruction du pathogène est assurée par l’immunité
adaptative cellulaire. L’immunité innée est inefficace.
Infections parasitaires
Le contrôle de l’infection implique presque exclusive-
ment le système immunitaire adaptatif, la réponse cellu-
laire ou humorale dépend du pathogène. L’immunité innée
est inefficace.
Il est désormais compréhensible que le risque d’infec-
tion par tel ou tel pathogène dépendra du type d’altérations
immunitaires induites par la pathologie onco-hématologi-
que et son traitement (tableau 1).
hémopathies et infections
Nous présentons ici les infections secondaires aux déficits
immunitaires induits par la maladie hématologique en soi
et/ou par le traitement oncologique associé.
Leucémie lymphatique chronique
La leucémie lymphatique chronique (LLC), la plus fré-
quente des leucémies au-delà de 50 ans, est une néoplasie
lymphoproliférative de cellules B matures. La LLC est une
maladie hétérogène sur les plans moléculaire et clinique,
caractérisée par une évolution soit indolente, soit rapide en
fonction de la signature moléculaire. La progression de la
maladie est associée à une altération progressive de la
fonction immunitaire humorale et cellulaire et à l’appari-
tion de manifestations auto-immunes (par exemple, anémie
hémolytique).
Déficits immunitaires inhérents à la maladie
L’immunosuppression de la LLC se caractérise principa-
lement et quel que soit le stade de la maladie par une
altération de l’immunité adaptative humorale. Les désor-
dres de l’immunité adaptative cellulaire, de l’activité du
complément et de la fonction neutrophilique et monocytaire
sont la conséquence de l’envahissement médullaire et ne
surviennent que dans les stades tardifs de la maladie.
Immunité adaptative humorale
L’hypogammaglobulinémie est commune. L’hypogam-
maglobulinémie, affectant négativement l’opsonisation,
aug mente la sensibilité aux bactéries encapsulées
(Strepto-
coccus pneumoniae, Haemophilus influenzae, Klebsiella pneumoniae)
,
se traduisant par des infections récurrentes des voies res-
piratoires (sinusite, otite, bronchite, pneumonie), urinaires
et des tissus mous. L’immunité humorale est essentielle au
con trôle de la phase virémique des infections aux entéro-
virus (picornavirus, poliovirus, virus cocksakie, virus de
l’hépatite A). Si la sévérité du déficit humoral est corrélée
avec la durée et le stade de la maladie, la réponse au trai-
tement oncologique n’améliore pas le déficit immunitaire
humoral. La substitution intraveineuse d’immunoglobulines
(IVIG) permettrait de diminuer significativement les infec-
tions de peu de gravité, mais ne semble avoir d’impact ni
sur la fréquence des infections majeures ni sur la mortalité.1
Immunité adaptative cellulaire et innée
Les infections opportunistes telles que les infections
par
Pneumocystis jirovecii (P. jirovecii)
et les infections fongi-
ques ne surviennent que dans les stades tardifs de la ma-
ladie.
Déficits immunitaires inhérents au traitement
oncologique
La LLC reste une maladie incurable, pour laquelle l’ini-
tiation d’un traitement est différée jusqu’au développement
de symptômes ou signes cliniques et biologiques. En raison
de l’âge et des comorbidités, pour bon nombre de patients,
la prise en charge se limite à des traitements de support.
Limité jusque récemment aux agents alkylants, le traitement
standard actuel de la LLC concerne les analogues des pu-
rines. Les anticorps, anti-CD52 et anti-CD20 sont réservés
aux thérapies de seconde ligne.
Agents alkylants
Le chlorambucil (Leukeran), par l’adjonction d’un grou-
pement alkyle sur l’ADN cellulaire, empêche la division
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Tableau 1. Déficits immunitaires et infections secondaires associés aux hémopathies malignes du sujet âgé
de plus de 60 ans
Pathogènes
Déficits immunitaires Hémopathie Traitement
Bactéries Mycoses Virus Parasites
associé
Neutropénie SMD rr rr Staphylocoques Candida spp s s
Lymphome s w à rr Streptocoques Aspergillus spp
MM s w à rr
Entérobactéries
LLC w w
Anaérobes
Phagocytose SMD r Staphylocoques Candida spp
Lymphome r Streptocoques Aspergillus spp
MM r
Entérobactéries
LLC r
Anaérobes
Splénique Lymphome w Si splénectomie Gram r
LLC w rr
s Staphylocoques
s Streptocoques
Cellulaire SMD s r Legionnella Candida spp VZV, CMV, HSV, Toxoplasma
Lymphome rrr rr Salmonella Cryptococcus EBV Cryptosporidium
MM w rr
Nocardia Histoplasma Virus respiratoires Strongyloides
LLC w rr
Mycobactéries Coccidioides Vaccins vivants
Pneumocystis
Humorale SMD w s S. Pneumoniae s Entérovirus Giardia
Lymphome w rr Kl. pneumoniae
MM rrr rr
H. influenza
LLC rrr rr
N. meningitidis
Entérobactéries
S. aureus
rr à rrr : significatif à très significatif ; r : connu ; w : non prédominant.
SMD : syndrome myélodysplasique ; MM : myélome multiple ; LLC : leucémie lymphoïde chronique ; VZV : virus varicelle-zona ; CMV : cytomégalovirus ;
HSV : Herpes simplex virus ; EBV : virus d’Epstein-Barr.
cellulaire non seulement des cellules tumorales, mais éga-
lement des cellules avec un taux élevé de réplications cel-
lulaires (cellules des épithélia et hématopoïétiques). Admi-
nistrées seules ou en association avec des corticostéroïdes,
ces substances sont responsables d’infections bactériennes
affectant particulièrement les muqueuses, notamment celles
des voies aériennes. Les pathogènes prédominants sont
Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniae, Haemophilus in-
fluenzae, Klebsiella pneumoniae
et
Escherichia coli
.2 Les infections
à
Herpes simplex virus
(HSV) localisées aux muqueuses sont
fréquentes.3 Les infections à
Aspergillus
sp,
Candida P. jirovecii
surviennent rarement en l’absence de neutropénie ou d’un
traitement corticoïde associé.
Analogues des purines
Les analogues des purines (fludarabine, cladribine, pen-
tostatin), utilisés depuis les années 1990, ont eu un impact
majeur dans le traitement de la LLC, mais ceci au prix d’un
risque accru d’infections opportunistes.4
La pathogenèse infectieuse liée à l’utilisation de la flu-
darabine est multifactorielle. Elle est la conséquence d’une
atteinte quantitative et qualitative de l’immunité cellulaire
impliquant en primeur les lymphocytes T CD4 et CD8, de
façon transitoire les lymphocytes NK, de façon variable les
lymphocytes B et les monocytes. L’action immunosuppres-
sive sur les sous-populations cellulaires T majoritairement
CD4 est non seulement présente dès les premiers cycles
de traitement, mais également prolongée jusqu’à deux ans
après la fin du traitement.
Le spectre des infections secondaires aux analogues des
purines inclue notamment
Listeria monocytogenes, Nocardia
sp,
Mycobacterium
sp,
Candida
sp,
Aspergillus
sp, ainsi que les
infections virales du groupe herpès (HSV, VZV, CMV).
P.
jirovecii
survient surtout lors de l’utilisation conjointe de
corticostéroïdes.
Anticorps monoclonaux
Au cours de la dernière décennie, un grand intérêt a été
suscité par l’utilisation des anticorps monoclonaux, en mono-
thérapie pour l’alemtuzumab (anti-CD52, Campath) ou en
association pour le rituximab (anti-CD20, Mabthera), dans
les traitements de certaines maladies lymphoprolifératives,
dont la LLC. L’alemtuzumab est un anticorps monoclonal
humanisé visant l’antigène CD52 exprimé sur les lympho-
cytes (B, T, NK), les monocytes et quelques granulocytes.
L’alemtuzumab entraîne une dysfonction de l’immunité adap-
tative cellulaire en réduisant le pool de cellules lympho-
cytaires CD4, CD8, NK et lymphocytes B. Le nadir survient
quatre semaines après le début du traitement, l’immuno-
suppression sévère (CD4 l 400 cell/mm3) persiste quatre
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mois. La restauration du compte de CD4 nécessite au mi-
nimum neuf mois.5
Le
rituximab
, en se fixant à l’antigène CD20 présent sur
les lymphocytes B, conduit à une lyse cellulaire soit directe,
soit impliquant le complément et l’immunité cellulaire. La
déplétion lymphocytaire B est rapide (l 24 heures) et pro-
longée (6-9 mois). La normalisation du compte cellulaire B
résulte en la restauration de cellules B naïves, alors que la
restauration de cellules B mémoire est différée.6 La déplé-
tion lymphocytaire B résulte en une réduction significative
des immunoglobulines circulantes persistant plusieurs mois
(5-12 mois). Les résultats des études sur l’incidence d’in-
fection associée aux anti-CD20 sont conflictuels. On tend
cependant à s’accorder qu’il existe un réel risque de neutro-
pénie dans la population âgée de plus de 70 ans et/ou
souffrant d’une infection par le virus VIH. Par ailleurs, l’utili-
sation de rituximab est associée à la réactivation du virus
de l’hépatite B, CMV et virus JC responsable de la leuco-
encéphalopathie multifocale progressive.7,8
Prophylaxie et prévention anti-infectieuse
Une prophylaxie anti-infectieuse n’est indiquée ni dans
la LLC non traitée ni lors de monothérapie par chloram-
bucil.
Un traitement par fludarabine et analogues justifie une
prophylaxie contre
P. jirovecii
(pentamidine aérosol 1 x/mois
ou TMP160/SMX800, 3 x/semaine). La prophylaxie anti-her-
pétique pour les patients VZV positifs (valaciclovir 500 mg
1 x/jour) est raisonnable pour un compte de CD4 l 50 cell/
mm3, ou indépendamment du compte de CD4 lors de l’admi-
nistration conjointe de corticostéroïdes, ou lors de neutro-
pénie au long cours. La prophylaxie est également souhai-
table lorsque les analogues des purines entrent dans un
traitement de seconde ligne. Les prophylaxies sont à main-
tenir au minimum six mois après l’arrêt du traitement et
pour autant que le compte de CD4 soit L 200 cell/mm3.
Un traitement par alemtuzumab justifie une prophylaxie
contre
P. jirovecii
(pentamidine aérosol 1 x/mois ou TMP160/
SMX800 3 x/semaine) ainsi qu’une prophylaxie anti-herpé-
tique (valaciclovir 500 mg 2 x/jour). Certains considèrent
également une prophylaxie antifongique par fluconazole.9
Concernant la réactivation cytomégalovirus (CMV), une stra-
tégie préemptive, impliquant une surveillance régulière de
la virémie et l’initiation d’un traitement en fonction de la
cinétique de la virémie, est conseillée.
Un traitement par rituximab justifie d’effectuer au préala-
ble une sérologie pour l’hépatite B. En cas d’hépatite chro-
nique, une prophylaxie par lamivudine (Zeffix) est recom-
mandée durant le traitement et jusqu’à 9-12 mois après
l’arrêt des anti-CD20.10 Une approche préemptive est adé-
quate en cas d’ancienne hépatite B guérie. Sous traitement
de rituximab, l’administration de facteurs de croissance est
recommandée chez le patient M 70 ans ou en cas d’infec-
tion par le virus VIH.
Syndrome myélodysplasique
Les SMD sont des affections clonales de cellules souches
pluripotentes ou myéloïdes, caractérisées par une hémato-
poïèse inefficace (insuffisance médullaire qualitative), res-
ponsable de cytopénies sanguines, et pouvant évoluer vers
la leucémie myéloïde aiguë. Les SMD prédominent chez le
sujet âgé, avec une médiane d’âge au diagnostic de l’ordre
de 70 ans. Les options thérapeutiques dépendent de fac-
teurs cliniques, hématologiques et cytogénétiques. La greffe
allogénique est le seul traitement curatif ; celui-ci est dis-
cuté pour des patients de moins de 65 ans. En dehors de
l’allogreffe, il existe un consensus pour séparer les patients
selon un score de risque (IPSS) d’évolution vers une leucose
aiguë ou le décès, en «haut risque» versus «faible risque».
Chez le sujet âgé à haut risque, les agents hypométhylants
(azacitidine, Vidaza et décitabine, Dacogen) prolongent la
survie. Chez le sujet âgé à «faible risque», le traitement
consiste surtout en une correction des cytopénies, principa-
lement l’anémie, comprenant les érythropoïétines recom-
binantes, le lénalidomide (Revlimid) et la thalidomide.
Déficits immunitaires inhérents à la maladie
Le risque infectieux est lié principalement à la dysgra-
nulopoïèse médullaire entraînant une anomalie de la fonc-
tion des neutrophiles, et un risque augmenté d’infections
bactériennes identiques à celles rencontrées chez les pa-
tients neutropéniques.
Déficits immunitaires inhérents au traitement
oncologique
Agents hypométhylants
L’hyperméthylation liée à l’action de l’ADN-méthyltrans-
férase de certains gènes est une caractéristique des SMD
et a comme conséquence de favoriser la transformation
leucémique des cellules. L’azacitidine est un inhibiteur de
l’ADN-méthyltransférase. Alors qu’à haute dose l’azaciti-
dine induit l’apoptose, à dose inférieure elle permet la dif-
férenciation cellulaire. L’effet secondaire principal de l’aza-
citidine est une myélosuppression transitoire de grade 3-4
selon l’OMS, présente dans les quatre semaines suivant
l’administration du traitement. La toxicité hématologique
affecte les plaquettes chez plus de 50% des patients, les
neutrophiles chez plus de 40% des patients. Les complica-
tions bactériennes liées au traitement surviennent chez
20% des patients.11
Prophylaxie et prévention anti-infectieuse
L’utilisation prophylactique de facteurs de croissance ou
d’une antibiothérapie n’est recommandée ni chez le patient
atteint de SMD avec neutropénie chronique, ni chez le pa-
tient présentant une neutropénie au décours d’un traitement
d’azacitidine.12 Une prophylaxie antibiotique peut être ce-
pendant discutable lors d’épisodes itératifs d’agranulocytose
fébrile.
Tout état fébrile, toute suspicion de foyer infectieux sur-
venant chez un patient atteint de SMD avec neutropénie ou
se trouvant au décours d’un traitement d’azacitidine, né-
cessite l’administration sans délai d’un traitement antibio-
tique. En l’absence de possibilité d’avoir recours au milieu
médical rapidement, les patients répondant aux critères
ci-dessus devraient disposer par avance d’antibiotique à
débuter au moindre problème infectieux. Par analogie aux
patients ayant une neutropénie fébrile après chimiothéra-
pie, l’association amoxicilline-acide clavulanique 3 x 1 g/jour
et ciprofloxacine 2 x 500 mg/jour est raisonnable.
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Myélome multiple
Le myélome multiple (MM) est caractérisé par une pro-
lifération maligne de cellules B matures (plasmocytes) pro-
duisant une paraprotéine monoclonale en excès (protéine
M). Il survient à l’âge médian de 70 ans.
Déficits immunitaires inhérents à la maladie
L’immunosuppression du MM se caractérise principale-
ment par une hypogammaglobulinémie, dont la sévérité
est associée au stade de la maladie. Dans les stades tardifs
de la maladie survient également une dysfonction de l’im-
munité adaptative cellulaire.
Immunité adaptative humorale
L’hypogammaglobulinémie est secondaire à une diminu-
tion de la synthèse et à une augmentation du métabolisme
des immunoglobulines polyclonales. Les infections classi-
ques rencontrées chez les patients nouvellement diagnos-
tiqués sont les infections impliquant les pathogènes en-
capsulés que sont
Streptococcus pneumoniae, Haemophilus in-
fluenzae, Neisseria
sp.
Immunité adaptative cellulaire
Si le MM n’affecte pas l’immunité cellulaire, il est cepen-
dant à noter que l’insuffisance rénale survenant au stade
avancé de la maladie est délétère pour l’immunité adapta-
tive cellulaire. Par ailleurs, l’insuffisance rénale altère la fonc-
tion des granulocytes neutrophiles.13 Lors d’insuffisance ré-
nale, de maladie avancée ou réfractaire, les complications
infectieuses se manifestent fréquemment par une bacté-
riémie ou une pneumonie et impliquent
S.aureus
et les ba-
cilles Gram négatifs.14
Déficits immunitaires inhérents au traitement
oncologique
Le traitement oncologique du MM n’est initié qu’à l’ap-
parition de symptômes ou signes cliniques et biologiques
(hypercalcémie, lésions osseuses, anémie, insuffisance ré-
nale). Le traitement standard du MM consiste en une chimio-
thérapie aplasiante, suivie d’une autogreffe. Cependant, bon
nombre de patients au-delà de 65 ans ne sont pas éligibles
pour une telle stratégie. Outre les traitements palliatifs ou de
support, dont font partie les corticostéroïdes, les traitements
en l’absence de greffe incluent l’administration conjointe
sur plusieurs cycles de 28 jours de melphalan et cortico-
stéroïdes, associés ou non au bortézomib, thalidomide ou
lénalidomide. Les traitements de maintenance/consolidation
consistent en l’administration, seule ou combinée, de bor-
tézomib, thalidomide, lénalidomide.
Association melphalan-glucocorticoïdes
Le melphalan, agent alkylant, induit une myélosuppres-
sion transitoire et sévère, responsable d’une neutropénie
profonde. Les glucocorticoïdes inhibent la migration des
neutrophiles au site d’infection, diminuent leur adhérence
aux endothlélia et affaiblissent à haute dose la fonction bac-
téricide. Les glucocorticoïdes induisent une monocytopénie
sanguine, diminuent le chimiotactisme et la production de
cytokines. Finalement, les glucocorticoïdes altèrent sévère-
ment la fonction des lymphocytes et induisent une migration,
notamment des lymphocytes T CD4, hors de la circulation.
A haute dose, les glucocorticoïdes diminuent la production
d’immunoglobulines. Les cycles melphalan-glu cocorticoïdes
se compliquent classiquement d’infections bactériennes à
bacilles Gram et
S. aureus
. L’exposition aux corticoïdes aug-
mente les risques d’infection par
Aspergillus
spp,
Nocardia
spp,
Candida
spp et
P. jirovecii
.
Bortézomib
Il s’agit d’un inhibiteur du protéasome possédant un
puissant effet suppresseur sur les lymphocytes T, dont la
conséquence clinique est une incidence élevée de réacti-
vation des virus VZV et HSV.
Thalidomide et lénalidomide
Ces deux médicaments ont des effets immunomodula-
teurs qui n’influencent pas le risque infectieux de manière
significative.
Prophylaxie et prévention anti-infectieuse
La prophylaxie contre
P. jirovecii
est justifiée par l’utilisa-
tion prolongée de corticoïdes (M 20 mg/jour pendant L 4 se-
Tableau 2. Recommandations pour la prophylaxie anti-infectieuse et l’immunisation active
Prophylaxies
Maladies Traitements
P. jirovecii HSV-VZV Fongique
Vaccins
LLC Chlorambucil s s s S. pneumoniae 3
Fludarabine1,2 r r
4 s Influenza (grippe)
Alemtuzumab1,2 r r r
Hépatites A et B
Rituximab1 s s s
SMD Azacitidine s s s Influenza (grippe)
MM Melphalan-prednisone 2 r s s S. pneumoniae 3
Bortézomib s r s H. influenza type b 3
Influenza (grippe)
Hépatites A et B
1 Vaccination inutile dans les six mois qui suivent le traitement. 2 Les prophylaxies sont à poursuivre six mois après l’arrêt du traitement. 3 Vérifier la
réponse sérologique. 4 Seulement si CD4 l 50, si traitement de corticoïdes associé ou si traitement de 2e ligne.
LLC : leucémie lymphoïde chronique ; SMD : syndrome myélodysplasique ; MM : myélome multiple ; HSV : Herpes simplex virus ; VZV : virus varicelle-zona.
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