Tableau didactique sur l`évolution de la maladie d`Alzheimer

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Tableau didactique sur l’évolution de
la maladie d’Alzheimer
Soigner les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, c’est accompagner longuement une
famille souffrante dans le voyage périlleux qui consiste à perdre inéluctablement la pensée,
caractéristique de l’espèce humaine. Les professionnels de la santé méritent donc d’être
formés « pointilleusement », étant donné leur exposition quotidienne à cette progressive
dépersonnalisation et le fait que ce qui arrive aux patients les interpelle, car cette situation
pourrait leur arriver à eux personnellement ou encore à leurs proches. Bref, la formation des
soignants est un gage de succès dans les soins de la maladie d’Alzheimer. Dans cet article, je
vous présenterai donc un tableau didactique qui pourrait devenir un outil indispensable pour
tous ceux qui prennent soin de patients atteints de cette maladie.
par André Tanguay, M.D.
L
Le Dr Tanguay est membre actif du
conseil des médecins, dentistes et
pharmaciens (CMDP) du
CHSLD Drapeau-Deschambeault, à
Sainte-Thérèse. De plus, il est le
médecin responsable du
pavillon Hubert-Maisonneuve, affilié
au CHSLD Drapeau-Deschambeault,
à Rosemère (Québec).
es omnipraticiens ont fréquemment à répondre aux interrogations des proches des patients atteints
de la maladie d’Alzheimer. Quelle est
la nature de la maladie? Sa durée?
Qu’est-ce qui va arriver? Dans quel
ordre? Comment aborder le malade?
Les connaissances scientifiques sur
le sujet sont largement diffusées. Les
familles peuvent trouver de l’information à différentes sources : sur le Web,
au café-rencontre Alzheimer, auprès
d’un professionnel de la santé (médecin, ergothérapeute, infirmière), etc.
L’aidant naturel peut ainsi trouver des
réponses à ses questions, mais, en
s’adressant à l’une et à l’autre de ces
sources, parfois s’y perd. Un tableau
évalue certains paramètres de la maladie, alors qu’un autre se penchera sur
d’autres aspects. Tel professionnel
utilise son propre jargon qui n’est pas
tout à fait celui de l’autre. L’aidant a
donc des impressions d’incohérence
dans le discours des différents professionnels et entre les diverses sources,
de là un malaise, un questionnement :
s’entendent-ils entre eux?
10 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Juin 2002
Traitant de la démence de longue
date, je me suis rendu compte que,
dans le cas de cette maladie où les
idées du patient s’embrouillent, la
communication à son plus simple
dénominateur est la plus souhaitable.
Il y a donc lieu de mettre l’équipe
soignante sur la « même longueur
d’onde », c’est-à-dire privilégier un
discours uniformisé et consensuel. À
cette fin, je vous propose un tableau
didactique (Tableau 1) qui synthétise
les multiples facettes de la maladie
d’Alzheimer en tentant d’être simple
et exhaustif. Il permet non seulement
de suivre l’évolution de la maladie
d’Alzheimer mais aussi celle de la
démence mixte avec composante de
maladie d’Alzheimer et de démence à
corps de Lewy.
Éléments du tableau
L’encadré Stade Fast (Functional Assessment Staging) ou appréciation de
l’autonomie fonctionnelle, une subdivision fonctionnelle détaillée de
l’échelle de détérioration globale de
Reisberg [DGR]1,2), énumère briève-
Tableau 1
Tableau didactique sur l’évolution de la maladie d’Alzheimer
Stade Fast
3 Avoir un emploi
4 Faire des calculs simples
5 Choisir les vêtements appropriés
6a S’habiller seul
A
Stade fast
B
C
6b
6c
6d
6e
7a
Prendre une douche sans aide
Aller à la toilette sans aide
Continence vésicale
Continence fécale
Langage : 5 ou 6 mots
4
5
6a b c d e
7a
7b
7c
7d
7e
7f
Durée du stade
7
ans
2
ans
18
mois
5 5 5 4 10
mois
12
18
12
mois
12
18
12+
Âge mental
du stade
12+
12 à 8
7à5
15
12
12
8
ans
ans
ans
5 44 3 2
à à
41/2 3
ans
2
à
4
1
à
3
Durée de la maladie en années
0
E
Pointage au mini-examen de l’état mental (MMSE)
29
25
20
19
7
Maladie légère
F
2
Langage : 1 seul mot
Marcher
S’asseoir
Sourire
Tenir sa tête
3
D
1
7b
7c
7d
7e
7f
9
10,5
14
10
mois
13
5
0
Modérée
Affect
dépressif
19
Grave
Affect agité
Terminale
Affect plat
Symptômes cognitifs
Vide cognitif
Diagnostic
3
4
Perte d’autonomie fonctionnelle
Perte de motricité
5
6
Troubles de comportement
Placement en CHSLD
7
8
ment la compétence résiduelle du
patient souffrant de la maladie d’Alzheimer selon un ordre numérique et
l’évolution progressive.
Les lettres sous l’encadré et à
gauche dans le tableau, quant à elles,
se rapportent aux différentes caractéristiques de l’évolution de la maladie.
Mort
A : la gradation des pertes Stade Fast
B : la durée des stades
C : l’âge mental en regard de la gravité du stade
D : la durée de la maladie en année
(mais on sait que les accidents de
parcours, tels que les fractures de
la hanche et les pneumonies par
aspiration, sont nombreux et que
la durée sera généralement plus
courte)
E : le pointage au mini-examen de
l’état mental, épreuve neuropsychologique effectuée par les
médecins
F : le langage habituel utilisé par les
médecins dans le but de graduer
la gravité de l’état
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Juin 2002 • 11
Pour leur part, les lignes 1 à 8 évoquent les événements cliniques et les
situent chronologiquement sur une
durée de 20 ans. À noter que le
Dr Serge Gauthier et ses collaborateurs3,4 ont largement contribué aux
notions présentées dans cette partie
du tableau.
Au début (ligne 1), le patient
souffre souvent de dépression qu’il
faut traiter. Plus tard, la personne
atteinte de démence, qui ne se
comprend plus et qui risque de ne pas
se faire comprendre des gens qui
l’entourent, réagit avec excitation,
agitation. Ceci est corroboré à la
ligne 6 par des troubles de comportement. Mentionnons que, au stade 7a,
à la ligne 1, l’affect est plat; à la
ligne 2 et en E, il n’y a plus de vie cognitive évaluable; à la ligne 5, il y a
perte de motricité, et, comme nous
sommes à la fin de la ligne 6, il n’y a
plus de trouble de comportement.
Ainsi, au début du stade 7, il est
temps de réduire la médication qui
sert à prévenir ou à maîtriser les
troubles neurocomportementaux, soit
respectivement les inhibiteurs de la
cholinestérase et les neuroleptiques,
les antiépileptiques, les inhibiteurs
sélectifs du recaptage de la sérotonine
(ISRS), etc.
À la ligne 6, ici particulièrement,
le tableau prend toute son importance. Bien coter le Stade Fast et
garder à l’esprit l’âge mental du
patient, lequel passera en dix ans
d’un âge mental de douze ans à
deux ans, permettent au soignant
d’adopter l’attitude pertinente, celle
qui tente de ne pas « agresser » le
malade en surestimant sa capacité
résiduelle, que ce soit au moment du
bain, à la salle à manger ou à l’occasion des activités récréatives.
L’attitude appropriée du soignant
évite l’apparition de comportements
agressifs, mal vus de la part de tous.
Ne pas tenir compte de l’âge mental
du patient souffrant de maladie
d’Alzheimer dans les soins devient à
ce moment une approche inadéquate
qui risque grandement d’amener une
réaction en conséquence de la part
du patient.
Précisons enfin que la période qui
correspond à la ligne 6 du tableau est
celle où le milieu de vie doit s’adapter au patient. C’est le moment des
médications neuroleptiques et psychoactives. Il est recommandé alors
d’agir sur le milieu physique (serrure électronique, éclairage modulé
et peintures aux teintes douces et
mates afin d’éviter l’hyperstimulation) et d’adapter ses attitudes
(donner le bain à l’heure qui
convient au patient, s’adresser à lui
avec douceur et des phrases courtes
en lui faisant face). Les médications
d’appoint sont ajoutées en dernier
lieu. À la fin de la ligne 6, et au
début du stade 7a, l’approche
devient palliative.
Quand utiliser le tableau?
À l’occasion de n’importe quelle
communication, à n’importe quel
moment que ce soit au cours de la
maladie d’Alzheimer. Ainsi, au
centre hospitalier de soins de longue
durée (CHSLD), on peut l’utiliser à
la réunion pluridisciplinaire d’admission (dans les trois mois suivant
l’admission du patient), puis tous les
six mois par la suite et dès qu’un
événement se produit, car cet outil
permet de percevoir l’écart par
rapport au déroulement habituel de
la maladie.
Où installer cet outil didactique?
• Au mur du poste infirmier, lieu de
rencontre des professionnels et
des autres intervenants.
• Au mur des locaux des différents
professionnels.
12 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Juin 2002
Où inscrire la cote Stade Fast?
Bien en vue dans le dossier. Par
exemple, vous pourriez la noter à
l’endos de la page couverture ou
l’ajouter à la liste des problèmes
datée de moins de six mois.
Qui former à l’utilisation de cet
outil didactique?
Tous les membres du personnel sans
exception.
Exemple pratique d’utilisation du
tableau didactique
Prenons le cas de Rémi, un patient
atteint de la maladie d’Alzheimer au
stade 7a, lequel est associé à un âge
mental de 15 mois. Voici les
questions et les aspects qui devraient
intéresser chaque professionnel de la
santé.
1) Le préposé aux soins : « Pour
l’entrée dans le bain, je mettrai
l’eau tiède, puis je la réchaufferai
lorsqu’il y sera. Je le surveillerai.
Il y aura des éclaboussures. Je lui
donnerai un objet pour l’occuper
et le distraire, comme un jouet... Il
faut tenter de faire du bain une
occasion de jeu, plutôt qu’un
enfer. »
2) La diététiste : « Il mangera maladroitement avec ses ustensiles,
bientôt il ne saura plus s’en servir.
Devrais-je opter pour des aliments hachés? Faudrait-il lui
donner un seul plat à la fois? »
3) L’ergothérapeute : « Il parle
encore, mais cinq ou six mots à
peine. Je ne tenterai pas de le rééduquer pour ce qui est de la continence fécale. Je dois évaluer le
risque de chute, car il commence
à perdre sa motricité. »
4) Le récréologue : « Quelle activité
récréative cibler à 15 mois d’âge
mental? Quelle musique pourrait
lui plaire? Devrais-je recourir à la
zoothérapie? »
5) L’infirmière : « Est-ce qu’une
doudou, une poupée au lit le
rassurera assez pour lui permettre
un sommeil plus réparateur, sans
somnifère? »
6) Le médecin : « Il est temps de
diminuer la dose des antipsychotiques atypiques et des inhibiteurs
de la cholinestérase donnés dans
le but d’éviter l’apparition de
troubles comportementaux, car, à
ce stade-ci, c’est le vide cognitif
et affectif en plus du début de la
perte des activités fonctionnelles.
Il ne pourra plus manifester
d’agressivité. »
7) La fille du patient : « Les
soignants sont tous d’accord. Il
parle très peu, bientôt un seul mot.
Au moins, je sais comment l’aborder : comme un bébé. À cet âge,
c’est normal de porter une couche,
d’avoir une poupée. Je suis moins
anxieuse, car je connais la suite et
je peux me préparer. »
Autres applications de l’outil
didactique
Compilez toutes les cotes Stade Fast
des patients de l’unité de soins et
faites une moyenne. Affichez le
tableau dans un endroit privé du poste
de soins où il est possible pour tous
les soignants de le consulter. Ceci
permet d’organiser les loisirs, de
structurer, de décorer et d’aménager
le salon communautaire et la salle à
manger ainsi que de former des sousgroupes à l’occasion d’activités
ciblées.
Bienfaits de l’application de cet
outil didactique
Un patient atteint de la maladie
d’Alzheimer, mais qui est stimulé
adéquatement fonctionne mieux dans
son milieu. Ainsi, entre autres
bienfaits, le groupe de patients sera
moins perturbé.
En ce qui concerne la famille et
les aidants, grâce au tableau didactique, ils peuvent suivre le cheminement de la maladie elle-même et les
soins du personnel de la santé. Il y a
donc moins d’incompréhension et de
culpabilité de leur part.
De son côté, le personnel soignant
est plus et mieux informé, plus
confiant et plus compétent. Les cas de
détresse professionnelle sont à la
Références
1. REISBERG, B. « Functional assessment staging (FAST) », Psychopharmacol.
(bulletin), vol. 24, 1988, p. 653-659.
2. REISBERG, B. et coll. « Longitudinal of course-mortality and temporal
course of probable Alzheimer’s disease, a five-year prospective study »,
International Psychogeriatrics, vol. 8, 1996, p. 291-311.
baisse. Le personnel est plus stable à
l’unité de soins. « L’énergie » de
chacun est utilisée à bon escient.
Comme je le disais au début de cet
article, soigner les patients atteints de
la maladie d’Alzheimer, c’est aussi
accompagner longuement une famille
dans le voyage périlleux qui consiste à
perdre inéluctablement la pensée,
caractéristique de l’espèce humaine. Il
importe donc de former les professionnels de la santé, étant donné leur
exposition quotidienne à cette progressive dépersonnalisation et le fait
que ce qui arrive aux patients les interpelle, car cette situation pourrait leur
arriver à eux ou encore à leurs
proches. Bref, la formation des
soignants est un gage de succès dans
les soins de la maladie d’Alzheimer.
L’outil didactique que je viens de vous
proposer permet d’aborder cette maladie de façon globale, et ce, à n’importe quel stade de son évolution. Son
apprentissage est simple, et son application au quotidien, tout à fait « conviviale ». Même les proches du patient
atteint de la maladie d’Alzheimer
devraient être initiés au fonctionnement de ce tableau.
3. GROULX, Bernard. « Le traitement non pharmacologique des troubles
du comportement dans la démence », La Revue de la maladie
d’Alzheimer, vol. 2, no 1, 1998, p. 6-8.
4. GAUTHIER, S. Alzheimer’s Disease in Primary Care, 2e édition, Martin
Dunitz ltée, London, 1999.
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Juin 2002 • 13
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