Jean-Pierre Camuzard ENGREF Paris
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Conclusions
Le “sol” est un état intermédiaire, stationnaire, qui s’établit aux confins de la
sphère minérale et de la sphère organique (biosphère). La compensation quasi-exacte
entre les effets de transformations multiples liées aux processus bio-physico-chimiques
est obligatoire. L'homme, en tant qu'exploitant les ressources naturelles du sol, en devient
l'acteur principal et le responsable, ce que des générations d'agriculteurs ont compris et
appliqué par défaut.
L’un des objectifs de la science, de l'agronomie ou de la pédologie, serait de prévoir
l’évolution de cette compensation surtout si elle est alimentée par des apports extérieurs
au système. En cela le sol constitue un objet d’étude thermodynamique qui repose sur
deux notions : l’énergie (qui se conserve) et l’entropie qui, au niveau de l’univers, ne peut
qu’augmenter. Tout apport de matière est source d’énergie, toute évolution spontanée est
source d’entropie, toute structure n’est pas le fruit d’un hasard mais celui de la nécessité
d’un état transitoire, intermédiaire, métastable, répondant aux conditions locales de
l’évolution du système. Connaissant les principes fondamentaux qui permettent aux sols
(donc aux écosystèmes) de maintenir leur structure et leur potentiel il resterait aux
hommes le devoir d'agir en conséquence.
Mais le sol est un milieu complexe et l'objet d'une relation particulière avec
l'homme. Jusqu'où peut-on exploiter, aménager, fertiliser, jusqu'où peut-on grâce à la
connaissance reculer les limites de notre emprise sur le milieu et quel sens peut-on
donner à cette action?
La réponse à ces questions nécessitent de prendre un recul historique et de
séparer ce qui est nature et ce qui est culture. En d'autres termes si l'on veut comprendre
la relation que l'homme a entretenue et entretient désormais avec le sol il appartient de
distinguer ce que Darwin appelait à propos d'un autre sujet, “l’ordre des causes et l’ordre
des fins”.
En effet le système sol émerge de contingences variables et mal définies, qui
peuvent schématiquement s’établir à deux niveaux différents :
• le premier est celui des interactions physico-chimiques ou organo-
minérales et il constitue l’ordre des causes ;
• le second est celui de l’économie de la nature (l'écologie) face à
l’économie des hommes (le développement) et il constitue l’ordre des fins.
De ce fait l'homme devient l’un des facteurs prépondérants de l’évolution des sols,
en leur attribuant plusieurs finalités, historiquement emboîtées :
• celle de s'approprier un espace et d'affirmer une culture,
• celle de pourvoir à ses besoins alimentaires,
• celle de réguler la production de ses déchets.
Dans la logique de la relation que l'homme entretient avec la terre nourricière et
"salvatrice des effluves" il y a donc “conspiration du hasard et des contraintes” (J Arnoult,
1997). Cette "conspiration" génère les structures qui prennent la signification d’une
réaction du sol aux conditions du milieu. Elles constituent les témoins de cette réponse,
celle-là même qui devrait constituer l’objet de notre attention en tant que révélateur de
perturbations de l'agro-écosystème.
L'homme est le seul être vivant dont le souci n'est pas uniquement celui de
satisfaire ses instincts, d'où le sentiment de solitude qui le domine et l'angoisse, face à la
nature à la fois si complexe dans son organisation et si simple dans son projet. Incapable
de maîtriser les écosystèmes, il exploite néanmoins leurs ressources et réalise aux dépens
de leur équilibre diverses opérations d'aménagement justifiées par l'émergence de besoins
nouveaux, la logique de la croissance économique et la recherche sans cesse renouvelée
d'inaccessibles bonheurs. Il ne s’agit plus de hasard mais de nécessité.
S'agissant de l'homme et de sa place dans une nature qui n'est plus naturelle
(F.Dagognet) c'est bien de nécessité dont il s'agit et nous sommes contraints de la
défendre au péril de notre civilisation.