INTRODUCTION La France est le pays européen où la

publicité
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
med.harvard.edu/wmh/). Nous remercions l’équipe coordinatrice World Mental Health (WMH) pour leur aide concernant
les outils de mesure et pour leur conseil en matière de procédures opérationnelles.
INTRODUCTION
La France est le pays européen où la prescription et
l’usage de médicaments psychotropes sont les plus élevés (26). L’analyse des ventes en pharmacie en France
a montré que cinq psychotropes, trois antidépresseurs
(AD) et deux antipsychotiques (AP), figuraient parmi les
cinquante médicaments les plus coûteux pour l’Assurance-maladie en 2002. En outre, pour la même année,
sept psychotropes, deux AD, deux hypnotiques (HY) et
trois anxiolytiques (AX), se trouvaient parmi les cinquante
médicaments les plus vendus (2).
Parallèlement, diverses enquêtes épidémiologiques
conduites en population générale en France ont décrit une
prévalence d’usage des benzodiazépines et des AD relativement élevée par rapport aux autres pays européens (7,
17, 32, 33, 35, 36). Une étude d’un large échantillon
d’ordonnances a été réalisée en 2000 concernant la population bénéficiaire du régime général de l’Assurance-maladie. Celle-ci conclut que 25 % de la population de l’analyse
a bénéficié d’au moins un remboursement suite à la prescription d’un psychotrope dans l’année (17 % pour les AX,
10 % pour les AD, 9 % pour les HY et 3 % pour les AP) (24).
Cependant, une telle étude, à partir d’ordonnances, ne permet pas d’estimer l’utilisation réelle des psychotropes du
fait de l’inobservance particulièrement importante en
France dans ce domaine thérapeutique (4, 9, 15).
Par ailleurs, une augmentation de l’usage de certaines
classes de psychotropes depuis dix ans a été rapportée en
France, comme dans d’autres pays (22, 42), notamment
pour les AD et, à un moindre degré, pour les AP et les HY
(2). Au total, les AD et les AP font partie des dix classes
thérapeutiques contribuant le plus à la croissance annuelle
des dépenses liées aux médicaments en France (1, 3).
Cette augmentation a accompagné de récentes innovations thérapeutiques, qui ont conduit à la mise sur le
marché de nouveaux médicaments psychotropes plus
coûteux, mais aussi plus facilement prescrits. C’est
notamment le cas en médecine générale (5), du fait de la
meilleure tolérance des produits récents comparée aux
médicaments plus anciens (11, 34).
Des études menées en France ou ailleurs, quoique relativement anciennes, suggèrent que la part de la consommation d’AD non cliniquement justifiée serait faible (20, 37,
38). En revanche, la proportion des sujets déprimés non
traités qui pourraient bénéficier d’un traitement serait élevée (18, 28, 35, 41).
Dans le contexte thérapeutique actuel, on peut se
demander si cette facilité d’utilisation contribue soit à un
« dérapage des prescriptions », soit à une facilité d’accès
au traitement (16). À notre connaissance, aucune étude
permettant de répondre à ces deux questions n’a jamais
été réalisée, en population générale, en France. Une
Usage des psychotropes et troubles psychiatriques en France
grande étude européenne sur la santé mentale, ESEMeD/
MHEDEA 2000 (appelée ci-après ESEMeD) nous offre la
possibilité d’apporter des réponses à cette problématique.
Notre étude visait trois objectifs. Premièrement, elle cherchait à décrire l’usage des psychotropes déclarés (globalement et par classe thérapeutique) afin d’en évaluer la prévalence annuelle, les durées de traitement et les facteurs
démographiques associés à leur utilisation. Deuxièmement,
nous avons voulu estimer la proportion des sujets présentant un trouble anxieux, dépressif ou lié à l’alcool (abus ou
dépendance) qui sont effectivement traités par AD ou AXHY. Enfin, nous avons cherché à évaluer la proportion des
usagers de psychotropes répondant aux critères diagnostiques de troubles dépressif, anxieux, ou lié à l’alcool.
Les résultats globaux de l’étude ESEMeD analysant
l’ensemble des six pays européens ont été récemment
publiés (14). Certains sont représentés ici, parallèlement
aux résultats de l’échantillon français, afin de pouvoir mettre en perspective la situation en France par rapport à celle
des six pays européens dans leur ensemble.
MÉTHODES
La méthodologie de l’étude ESEMeD a été largement
décrite par ailleurs (13) et dans l’article publié dans ce
même numéro (29).
Population et mode d’enquête
Il s’agit d’une enquête transversale réalisée entre 2001
et 2003 en population générale, auprès de sujets de plus
de 18 ans, non institutionnalisés et ayant un domicile fixe,
en Allemagne (n = 3 555), en Belgique (n = 2 419), en
Espagne (n = 5 473), en France métropolitaine (n = 2 894),
aux Pays-Bas (n = 2 372) et en Italie (n = 4 712). Dans chaque pays, la base de sondage disponible la plus représentative a été utilisée : la liste électorale en Italie, le registre
postal aux Pays-Bas, une liste de numéros de téléphone
générés aléatoirement en France et des registres de résidents pour l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Les sujets
ont été interrogés à domicile en face-à-face par des enquêteurs professionnels de l’institut IPSOS, préalablement formés à l’utilisation du WMH-CIDI (19) par une équipe de
l’OMS.
En France, 6 796 personnes ont été incluses et 2 894
interrogées, ce qui correspond à un taux de participation
pondéré de 46 % (ce taux est de 61 % pour les six pays).
Parmi les non-participants, 705 n’ont jamais pu être contactés par téléphone, malgré 50 tentatives d’appels à des
jours et heures différents.
Les caractéristiques démographiques de l’échantillon
français et des six pays réunis sont présentées dans le
tableau I. L’échantillon français est comparable à celui des
six pays ESEMeD. Les femmes sont légèrement sur-représentées en France comme dans l’échantillon total ; l’âge
moyen est de 46,3 ans dans l’échantillon français et de
47,0 ans dans l’échantillon total. Les caractéristiques démo197
I. Gasquet et al.
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
TABLEAU I. — Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon français (n = 2 894) et de l’ensemble des six pays
ayant participé à l’étude (n = 21 425).
France
n = 2 894
n
Six pays
n = 21 425
% pondérés
n
% pondérés
Age
18-24 ans
25-34 ans
35-49 ans
50-64 ans
233
510
942
719
11,6
19,0
28,8
20,7
1 790
3 798
6 450
4 986
11,4
18,4
27,8
21,8
> 65 ans
490
20,0
4 401
20,7
Sexe
Homme
1 329
47,8
9 953
48,2
Femme
1 565
52,2
11 472
51,8
Nombre d’années de scolarité
manquant
2
72
0-12 ans
1 876
66,1
13 407
65,3
> 13 ans
1 016
33,9
7 946
34,7
Statut matrimonial
1 978
70,8
14 552
66,4
Précédemment marié
Marié/vie maritale
409
11,6
2 802
11,6
Jamais marié
507
17,7
4 071
22,0
Mode de vie
Vit seul
Vit avec quelqu’un
554
15,8
3 554
15,4
2 340
84,2
17 871
84,6
Zone d’habitation
< 10 000 habitants
1 564
49,1
6 269
33,2
10 000-100 000 habitants
870
33,9
9 292
38,7
> 100 000 habitants
460
17,0
5 864
28,1
Situation professionnelle
1 738
59,0
11 471
53,8
Chômeur/sans emploi
Emploi rémunéré
174
6,4
1 299
6,8
Retraité
658
24,8
4 854
23,6
Au foyer
161
4,6
2 358
9,0
Etudiant
57
2,1
516
2,9
Congé maternité
30
0,8
130
0,8
Congé maladie
27
1,1
170
0,7
Invalide/handicapé
31
0,7
454
1,5
Autre
9
0,2
87
0,3
Ne sait pas/refuse de répondre
9
0,3
86
0,6
graphiques de l’échantillon français sont proches des caractéristiques de la population nationale décrite dans le dernier
recensement de l’INSEE (INSEE, Paris ; http://www.insee.fr)
(tableau I). Ces caractéristiques sont décrites de manière
plus détaillée dans l’article ci-joint (29).
198
Données recueillies
Le WMH-CIDI-2000 (Composite International Diagnostic Interview) (19) a été utilisé pour le recueil des données
sur les troubles psychiatriques. Il s’agit d’un questionnaire
structuré qui permet de générer les diagnostics DSM IV
des troubles psychiatriques les plus fréquents. Nous
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
avons identifié les troubles présents dans les douze derniers mois ainsi qu’au cours de la vie entière.
Les sujets ont été interrogés sur leur usage de psychotropes au cours des douze derniers mois. Les noms des
spécialités et le nombre de prises ont été notés. Cinq classes de psychotropes se sont distinguées : AD (tricycliques, inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine, autres), HY (benzodiazépines et apparentés) et AX
(benzodiazépines, buspirone), AP (antipsychotiques) et
thymorégulateurs (TY) (lithium, valproate, carbamazépine). Un livret de photographies en couleur des boîtes
des produits, des blisters et du produit lui-même, pour les
spécialités les plus largement utilisées dans chaque pays,
était réalisé. Celui-ci était présenté aux sujets lors de
l’entretien afin de faciliter la remémoration et l’identification des médicaments psychotropes. L’enquêteur avait
pour consigne d’encourager le sujet à contrôler directement son traitement (vérification des boîtes ou de l’ordonnance).
Un contrôle qualité, indépendant de la société de sondage en charge des entretiens, a été réalisé. Il a comporté,
entre autre, une vérification des réponses auprès d’un
sous-groupe aléatoire de sujets, une analyse systématique
de cohérence interne des données et une surveillance en
temps réel des durées moyennes des entretiens.
Analyse des données
Des pondérations ont été appliquées sur les données
afin de prendre en compte, d’une part, l’écart entre les
caractéristiques sociodémographiques de chaque échantillon national et celles de la population nationale et, d’autre
part, de corriger la proportion relative de chaque pays dans
l’échantillon des six pays. Les poids optimaux ont été utilisés, prenant en compte les échantillons ayant répondu
à la version complète du questionnaire (1 436 sujets en
France et 8 796 pour les 6 pays). La même méthode et le
même mode de calcul des poids ont été utilisés par l’OMS
dans l’étude World Mental Health (WMH ; http://
www.hcp.med.harvard.edu/wmh/). Les analyses effectuées ici intégraient ces poids, sauf indication contraire.
Toutes les données ont été contrôlées, validées et calculées de façon centralisée. Des analyses descriptives classiques ont été réalisées (effectif, pourcentage, moyenne,
écart-type et médiane).
La prévalence de la prise d’un traitement psychotrope
a été évaluée, en fonction du sexe, sur les douze derniers
mois et sur les trente derniers jours. Le nombre moyen de
jours de prise de traitement, pour la France et pour
l’ensemble des six pays, a été noté. Pour les sujets ayant
pris au moins une fois un AX-HY ou un AD au cours des
douze derniers mois, la répartition en fonction du nombre
de jours de prise a été représentée. Les relations entre la
prise d’un psychotrope au cours des douze derniers mois
et les caractéristiques sociodémographiques ont été étudiées par le calcul des prévalences et des odds ratios
associés, ajustés sur l’âge et le sexe. Parmi les sujets
Usage des psychotropes et troubles psychiatriques en France
ayant un trouble psychiatrique (sur douze mois ou au
cours de la vie), la proportion des sujets ayant pris un psychotrope au cours des douze derniers mois a été étudiée,
ainsi que le nombre moyen de jours de prise correspondant. Parmi les sujets ayant pris au moins une fois un AXHY ou un AD au cours des douze derniers mois, la proportion de sujets présentant un trouble psychiatrique (sur
douze mois ou au cours de la vie) a été représentée.
Le risque de première espèce (alpha) a été fixé à 5 %.
L’analyse a été réalisée à l’aide des logiciels SAS (version
8.2) et SUDAAN (version 8.0.1).
RÉSULTATS
Prévalence et durée d’utilisation des psychotropes
Sur les 2 894 personnes interrogées en France, 21,4 %
(n = 590) ont déclaré avoir pris au moins un médicament
psychotrope au cours des douze derniers mois et 14,1 %
(n = 399) au cours du mois précédent. La prévalence
annuelle de l’usage d’AX ou d’HY était de 19 %. Parmi les
usagers de psychotropes, 87 % ont pris au moins une fois
un AX ou un HY dans l’année. Pour les AD, la prévalence
annuelle était de 6,0 %, ce qui représente 28 % des usagers
de psychotropes. Pour les AP et les TY, les prévalences
annuelles étaient respectivement de 0,8 % et 0,4 %
(tableau II).
Par rapport à l’ensemble de la population des six pays
de l’étude, les prévalences annuelles et mensuelles sont
plus élevées en France pour toutes les classes thérapeutiques, à l’exception des AP dont les taux sont équivalents
(tableau II).
Chez les sujets ayant pris un psychotrope au moins une
fois au cours des douze derniers mois en France, la durée
moyenne de traitement était la plus courte pour les AXHY (105 jours sur l’année), intermédiaire pour les AD et
les AP (182-198 jours) et la plus longue pour les TY
(239 jours) (tableau II).
Les durées de traitement étaient systématiquement
plus courtes en France que dans l’ensemble des six pays
de l’étude pour toutes les classes, à l’exception des AP,
pour lesquels le nombre moyen de jours de prise était plus
élevé en France (tableau II).
Pour les AX-HY et les AD, les médianes étaient beaucoup plus courtes que les moyennes, ce qui suggère une
distribution non gaussienne des durées de traitement
(tableau II). En effet, comme l’illustre la figure 1, la distribution des AX-HY était plutôt bimodale, 44 % des sujets
ayant une durée cumulée de prise très courte (≤ 15 jours)
et 23 % ayant pris un médicament de ces classes plus de
six mois. Pour les AD, 21 % ont eu une durée de traitement
inférieure à deux semaines et 42 % une durée de traitement supérieure à six mois (figure 1).
La proportion des traitements de très courte durée
(≤ 15 jours) était plus élevée en France que dans l’ensemble de la population des six pays d’ESEMeD pour les AXHY (44 % vs 40 %) et les AD (21 % vs 16 %).
199
I. Gasquet et al.
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
TABLEAU II. — Prévalence sur le mois et sur l’année de la consommation des différentes classes de psychotropes en France
et dans l’ensemble des six pays ayant participé à l’étude.
France
n = 2 894
Six pays
n = 21 425
Nombre de jours
de traitement
n
%*
Nombre de jours
de traitement
Moyenne
(écart type)*
Médiane*
n
%*
Moyenne
(écart type)*
Médiane*
105 (175)
182 (167)
30
126
2 329
856
10,2
3,5
127 (187)
202 (168)
30
180
Au moins une prise dans les 12 derniers mois
AX ou HY
511
18,6
AD
180
6,0
AP
36
0,8
198 (150)
180
269
1,0
171 (171)
90
TY
9
0,4
239 (200)
365
30
0,2
281 (169)
365
590
21,4
111 (174)
30
2 853
12,4
134 (191)
42
158 (196)
60
1 697
7,0
175 (191)
100
Tout psychotrope
Au moins une prise dans les 30 derniers jours
AX ou HY
320
AD
138
4,9
211 (176)
210
661
2,7
241 (162)
362
AP
28
0,8
215 (163)
365
186
0,7
213 (170)
280
8
0,4
238 (213)
365
28
0,2
281 (172)
365
399
14,1
155 (190)
70
2 120
8,7
178 (194)
120
TY
Tout psychotrope
11,3
AX : anxiolytique ; HY : hypnotique ; AD : antidépresseur ; AP : antipsychotique ; TY : thymorégulateur.
* Statistiques pondérées.
1 - 15 jours
16 - 30 jours
31 - 90 jours
91 - 180 jours
181 - 365 jours
50
45
44,2
40
41,6
TABLEAU III. — Prévalence sur le mois et sur l’année
de la consommation des différentes classes de psychotropes
en France en fonction du sexe.
Prévalence (% pondérés)
OR [IC
95 %]*
% pondérés
35
Total
30
22,7
25
20,8
20
15
17,6
12,9 13,5
10
12,3
6,7
7,8
Au moins une 1 prise dans les 12 derniers mois
AX ou HY
18,6
6,1
12,6 2,2 [1,8-2,7]
AD
6,0
2,2
3,8 1,7 [1,2-2,3]
AP
0,8
0,4
0,4 1,0 [0,4-2,2]
TY
5
Tout psychotrope
0
AX-HY
AD
FIG. 1. — Répartition du nombre de jours de prise de traitement
au cours des douze derniers mois pour les anxiolytiqueshypnotiques (AX-HY) et pour les antidépresseurs (AD).
L’analyse par sexe et par classe thérapeutique montre
que la probabilité d’utilisation des AD et des AX-HY, au
cours des douze derniers mois, était deux fois supérieure
chez les femmes que chez les hommes. En revanche,
aucune différence significative selon le sexe n’était mise
en évidence pour les AP et TY (tableau III).
200
0,4
0,1
0,3
1,7 [0,5-5,5]
21,4
7,1
14,3
2,2 [1,8-2,6]
Au moins une 1 prise dans les derniers 30 jours
AX ou HY
11,3
3,3
8,0
2,4 [1,9-3,1]
AD
4,9
1,9
3,0
1,5 [1,1-2,1]
AP
0,8
0,4
0,3
0,7 [0,3-1,6]
0,4
0,1
0,3
1,6 [0,5-5,4]
14,1
4,6
9,5
2,1 [1,7-2,6]
TY
Facteurs démographiques et usage de psychotropes
Hommes Femmes
Tout psychotrope
AX : anxiolytique ; HY : hypnotique ; AD : antidépresseur ; AP : antipsychotique ; TY : thymorégulateur.
* Classe de référence = hommes.
Les Odds ratios notés en gras sont statistiquement significatifs.
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
Usage des psychotropes et troubles psychiatriques en France
L’usage de psychotropes augmente avec l’âge et il est
globalement plus élevé chez les femmes que chez les
hommes (tableau IV). De même, nous constatons un
nombre d’usagers plus important dans les groupes de personnes précédemment mariées, vivant seules, ayant suivi
des études supérieures, vivant en milieu urbain ou sans
emploi rémunéré (tableau IV).Pour l’ensemble de ces facteurs, les mêmes associations étaient observées au sein
de l’échantillon français et dans l’ensemble des six pays
ESEMeD (tableau IV).
TABLEAU IV. — Relation entre les caractéristiques démographiques et l’usage de psychotropes (prévalence annuelle) en France
et dans l’ensemble des 6 pays ayant participé à l’étude.
France
n = 2 894
Six pays
n = 21 425
n
%*
ORa [IC 95 %]**
n
%*
ORa [IC 95 %]**
590
21,4
–
2 853
12,4
–
Homme
180
14,9
1
884
8,7
1
Femme
410
27,4
2,2 [1,8-2,6]
1 969
15,7
1,9 [1,7-2,1]
18-24 ans
31
15,4
1
127
6,4
1
25-34 ans
76
15,6
1,0 [0,7-1,5]
318
8,2
1,3 [1,1-1,6]
35-49 ans
194
22,6
1,6 [1,1-2,3]
746
11,1
1,8 [1,5-2,2]
50-64 ans
167
26,7
2,0 [1,4-2,8]
770
14,5
2,5 [2,1-2,9]
> 65 ans
122
23,1
1,6 [1,1-2,2]
892
18,9
3,2 [2,7-3,9]
Total
Sexe
Age
Nombre d’années d’études
manquant
0
8
0-12 ans
379
20,8
1
> 13 ans
211
22,5
1,3 [1,1-1,6]
Marié/vie maritale
376
20,0
1
Précédemment marié
123
35,9
91
Vit seul
Vit avec quelqu’un
-
1 932
12,7
1
913
11,7
1,3 [1,2-1,5]
1 817
12,2
1
1,9 [1,4-2,5]
617
19,2
1,2 [1,1-1,4]
17,3
1,2 [0,9-1,6]
419
9,2
1,2 [1,0-1,4]
137
29,1
1
621
15,8
1
453
19,9
0,6 [0,5-0,8]
2 232
11,7
0,8 [0,8-0,9]
< 10 000 habitants
302
18,5
1
871
12,0
1
10 000-100 000 habitants
183
23,8
1,3 [1,1-1,6]
1 144
13,2
1,1 [1,0-1,2]
> 100 000 habitants
105
24,8
1,7 [1,3-2,1]
838
11,6
1,0 [0,9-1,1]
300
18,6
1
1 067
9,3
1
44
21,9
1,5 [1,0-2,3]
172
10,0
1,3 [1,1-1,6]
Retraité
164
25,1
1,6 [1,1-2,2]
905
17,9
1,4 [1,2-1,6]
Autre***
82
28,4
1,4 [1,0-1,9]
709
15,6
1,4 [1,2-1,6]
Statut matrimonial
Jamais marié
Mode de vie
Zone d’habitation
Situation professionnelle
Emploi rémunéré
Chômeur/sans emploi
* Pondéré.
** Odds ratios ajustés sur le sexe et sur l’âge.
*** Au foyer, étudiant, congé maternité, congé maladie, invalide/handicapé, ne sait pas et refuse de répondre.
Les Odds ratios notés en gras sont statistiquement significatifs.
201
I. Gasquet et al.
Diagnostics psychiatriques et usage de psychotropes
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
Diagnostic dans les 12 mois
Parmi les sujets correspondant aux critères diagnostiques de troubles dépressifs, anxieux ou liés à l’alcool dans
l’année, 49 % ont pris au moins une fois au cours des
douze derniers mois un psychotrope, 42 % un AX-HY et
18 % un AD. Par rapport à un diagnostic au cours de la
vie entière, les taux sont respectivement de 32 %, 26 %
et 12 % (tableau V).
L’analyse par type de diagnostic dans l’année montre
un taux d’utilisation de psychotropes élevé dans tous les
groupes diagnostiques : 52 % pour les sujets déprimés,
49 % pour les sujets anxieux et 63 % pour les sujets avec
un trouble lié à l’alcool. L’usage des AD était plus élevé
chez les déprimés que chez les anxieux (28,5 % vs
16,4 %), tandis que celui des AX-HY était à peu près similaire dans les deux groupes (43,4 % vs 42,5 %). L’usage
des AX-HY était important chez les personnes ayant un
problème lié à l’alcool, mais celui des AD beaucoup plus
rare (63 % et 9,3 % respectivement) (tableau V). Le
tableau V fournit également les données d’usage en fonction des troubles diagnostiqués sur la vie entière. Il est intéressant de noter que, parmi les sujets ne répondant à
aucun des critères diagnostics sur leur vie entière, 14 %
et 2,0 % ont respectivement pris au moins un AX-HY et
un AD dans les douze derniers mois (tableau V).
Pour l’ensemble des sujets ayant pris un AX-HY dans
l’année, un tiers a présenté un trouble caractérisé
anxieux, dépressif ou lié à l’alcool dans les douze derniers mois (32,4 %) ; concernant les AD, cette proportion
s’élève à 44 % (figure 2). Ainsi, les sujets ayant présenté
un trouble dépressif, lors des douze derniers mois, correspondent à 15,7 % des utilisateurs d’AX-HY et à
30,8 % des utilisateurs d’AD. Les sujets ayant reçu un
diagnostic de trouble anxieux dans l’année précédente
représentent respectivement 22,2 % et 27,2 % d’utilisateurs de ces deux classes de médicament. Les sujets
ayant présenté dans l’année un trouble lié à l’alcool ne
constituent qu’une faible minorité des consommateurs
(2,5 % pour les usagers d’AX-HY et 1,1 % pour les usagers d’AD). La proportion de sondés pour lesquels aucun
des diagnostics cités n’a été établi dans l’année est de
67,6 % chez les usagers d’AX-HY et de 56 % chez les
usagers d’AD (figure 2).
Nous avons également réalisé cette même analyse par
rapport aux sujets qui ont reçu un diagnostic au cours de
la vie. Les résultats diffèrent de ceux déclinés ci-dessus
pour les diagnostics sur une année, tout particulièrement
en ce qui concerne les AD. Ainsi, près des deux tiers des
usagers d’AD ont présenté au cours de la vie un trouble
dépressif (64,1 %) et la moitié un trouble anxieux (50,1 %).
En revanche, 20,3 % des usagers d’AD n’ont jamais
répondu, à aucun moment de leur vie, aux critères diagnostiques de troubles anxieux, dépressifs ou liés à
l’alcool. En ce qui concerne les usagers d’AX-HY, plus
d’un tiers a présenté un trouble dépressif (38,6 %) et un
tiers un trouble anxieux (36,7 %) au cours de la vie, tandis
que près de la moitié n’ont jamais rempli aucun de ces
diagnostics dans leur vie (45,6 %).
202
15,7
30,8
22,2
27,2
2,5
1,1
67,6
56,0
% pondérés
Diagnostic au cours de la vie
Trouble
dépressif
38,6
Trouble
anxieux
36,7
Trouble lié
à l’alcool
Aucun
trouble
64,1
50,1
6,6
7,8
45,6
20,3
% pondérés
FIG. 2. — Prévalence sur douze mois et au cours de la vie des
troubles dépressifs, anxieux ou liés à l’alcool chez les usagers
d’anxiolytiques-hypnotiques (AX-HY ; ⵧ) et d’antidépresseurs
(AD ; 䊏) au cours des douze derniers mois.
DISCUSSION
Limites de l’étude
Le taux de participation à l’étude est faible (46 %) malgré la mise en place d’une procédure de motivation des
enquêteurs et des enquêtés adaptée au fur et à mesure
de l’enquête. Ce faible niveau de participation est lié à la
nature même de l’enquête (thème abordé, entretien long
à domicile…). Ceci peut avoir induit un biais de sélection
lié à un taux de participation différent selon la présence
ou non d’un trouble psychiatrique et, par conséquent, de
la prise ou non de psychotropes. Cependant, la prévalence a été pondérée de manière à tenir compte de la
répartition de la population nationale par sexe et par tranche d’âge, deux variables connues pour être associées à
la prévalence des troubles psychiatriques étudiés et à la
consommation de psychotropes. Ce biais serait ainsi minimisé.
Par ailleurs, les données sont obtenues à partir des
déclarations des sujets. Ces informations peuvent s’avérer imprécises du fait d’oublis ou d’erreurs d’appréciation.
Néanmoins, les autres sources d’information (médecins
prescripteurs, pharmaciens, ordonnances…) sont également entachées d’erreurs, qui sont probablement encore
plus importantes (prescription non achetée, médicaments
achetés ou remboursés non consommés ou partagés
entre diverses personnes, sous-déclaration des prescriptions de la part du prescripteur…) (8). L’utilisation d’un
questionnaire totalement structuré et la réalisation des
entretiens en face-à-face ont, néanmoins, permis de standardiser le recueil d’informations et d’assurer une bonne
comparabilité des sujets, notamment, entre les pays participants.
Enfin, cette étude ne reflète pas les prescriptions
médicales du fait des phénomènes d’inobservance et
d’autoadministration relativement importants pour ce
type de médicaments. Ceci a peut-être entraîné une
sous-estimation du nombre de sujets présentant un
29,3 %
(214)
30,4 %
(188)
22,0 %
(30)
26,1 %
(291)
13,9 %
(220)
43,4 %
(87)
42,5 %
(105)
63,0 %
(8)
41,9 %
(157)
14,7 %
(354)
% (n)
80 (205)
119 (159)
116 (205)
122 (166)
115 (140)
93 (185)
117 (156)
70 (189)
127 (159)
21
30
10
30
30
20
30
10
60
30
15,7 %
(116)
13,5 %
(79)
7,2 %
(11)
12,3 %
(135)
2,0 %
(45)
28,5 %
(60)
16,4 %
(47)
9,3 %
(3)
18,2 %
(81)
3,9 %
(99)
% (n)
Moyenne
Médiane
(écart type)
115 (142)
Usager
Nombre de jours
de priseb
178 (277)
177 (154)
152 (155)
158 (152)
193 (149)
192 (195)
160 (144)
240 (110)
137 (135)
210
120
90
90
160
160
90
240
90
90
36,0 %
(262)
36,5 %
(216)
24,7 %
(36)
31,8 %
(347)
14,9 %
(243)
51,9 %
(104)
49,0 %
(119)
63,0 %
(8)
49,0 %
(184)
16,7 %
(406)
% (n)
Moyenne
Médiane
(écart type)
172 (145)
Usager
83 (216)
129 (159)
120 (172)
118 (158)
141 (147)
106 (192)
120 (150)
73 (174)
119 (147)
136 (145)
15
30
12
30
60
16
36
10
60
60
Moyenne
Médiane
(écart type)
Nombre de jours
de priseb
Tout psychotropea
Nombre de jours
de priseb
AD
a. Anxiolytique, hypnotique, antidépresseur, antipsychotique ou thymorégulateur.
b. Nombre de jours de prise dans les 12 derniers mois.
c. Épisode dépressif majeur ou dysthymie.
d. Agoraphobie, trouble anxieux généralisé, trouble panique, état de stress post-traumatique, phobie sociale, phobie spécifique.
e. Trouble dépressif, anxieux ou abus-dépendance à l’alcool.
* Les données observées ne sont pas toujours conformes aux indications validées en France pour ces différentes classes thérapeutiques. Les durées globales de traitement à ne pas
dépasser en France, pour la majorité des patients, sont de 4 à 12 semaines pour les AX, de 2 à 4 semaines pour les HY et de plusieurs mois pour les AD.
AX : anxiolytique ; HY : hypnotique ; AD : antidépresseur.
1 781
Aucun trouble
202
Abus ou dépendance d’alcool
1 113
603
Trouble anxieux d
Au moins un trouble e
721
2 497
397
Trouble dépressif c
Diagnostic vie entière
Aucun trouble
Au moins un troublee
39
254
Trouble anxieuxd
Abus ou dépendance d’alcool
186
Trouble dépressifc
Diagnostic dans les 12 derniers mois
n
Usager
AX ou HP
TABLEAU V. — Usage dans les 12 derniers mois de psychotropes (anxiolytique-hypnotique, antidépresseurs, tous psychotropes) chez les sujets présentant
un trouble dépressif, anxieux, un abus-dépendance d’alcool ou aucun de ces troubles (n = 2 894) *.
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
Usage des psychotropes et troubles psychiatriques en France
203
I. Gasquet et al.
trouble anxieux ou dépressif et auquel un traitement psychotrope a effectivement été prescrit. Cependant, la procédure de recueil des données utilisée (entretien à domicile avec la possibilité de contrôle des boîtes et utilisation
de photos des médicaments) minimise ce risque d’erreur.
Prévalence et durée de la prise de psychotropes
L’étude ESEMeD est la première enquête menée en
France métropolitaine dont l’échantillon est de taille suffisante pour estimer, avec précision, à la fois l’usage des
psychotropes et la prévalence des troubles psychiatriques
en population générale. La prévalence de la prise d’au
moins un médicament psychotrope dans l’année était globalement de 21 %. Celle-ci est plus élevée que la prévalence rapportée pour l’ensemble des six pays participant
à l’étude (12 %). Ceci s’explique par une importante différence de prévalence entre, d’une part, les trois pays dont
la consommation est proche de celle de la France (16 %
pour l’Espagne, 14 % pour l’Italie et 13 % pour la Belgique)
et, d’autre part, deux pays dont la consommation s’avère
beaucoup moins importante (6 % pour l’Allemagne et 7 %
pour les Pays-Bas) (14).
Cette étude confirme l’augmentation sensible du nombre d’usagers d’AD en France depuis vingt ans. Les taux
sont, en effet, passés de 2 % environ dans les années
1980 (17, 35) à plus de 3 % (7) dans les années 1990 et
à 6 % en 2002. Le taux estimé dans l’étude ESEMeD est,
cependant, inférieur à celui de 9 % issu de l’enquête
menée en 2000 à partir des remboursements de médicaments prescrits (24). Ceci est probablement lié au fait que,
d’une part, tous les médicaments achetés ne sont pas consommés et que, d’autre part, la population de cette
enquête est plus âgée que celle de notre étude. En effet,
les deux études montrent une augmentation importante,
avec l’âge, de l’usage de toutes les classes de psychotropes.
En revanche, les taux d’usage des AX et des HY semblent plutôt avoir diminué ces dernières années. La prévalence de 19 % identifiée dans notre étude contraste
avec celles de 25 % à 30 % observées dans les années
1990 (17, 36). Par ailleurs, nos résultats concordent avec
ceux d’autres études récentes (22) et sont, notamment,
proches des taux rapportés par l’étude de l’Assurancemaladie (18 % pour les AX et 8 % pour les HY). La prévalence d’usage des AX et des HY est, cependant, plus
élevée que celle de 7,5 % rapportée pour les benzodiazépines en 2001 par Lagnaoui et collaborateurs (21).
Cette incohérence peut s’expliquer, d’une part, par la différence de période de référence (actuel vs douze mois)
entre les deux études et, d’autre part, par une utilisation
indéterminée de médicaments non benzodiazépiniques
dans notre étude.
Pour les TY et les AP, les données obtenues sont moins
précises du fait d’effectifs plus faibles, mais sont, néanmoins,
très proches de celles obtenues pour l’ensemble de l’échantillon européen (14). Comme précédemment, les taux de pré204
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
valence issus de l’étude de l’Assurance-maladie sont, à nouveau, plus élevés que ceux de notre étude. En effet, le taux
d’usage des AP est le triple du nôtre (2,7 % vs 0,8 %). Les
raisons de cette discordance sont probablement les mêmes
que celles déjà avancées, par exemple, un effet lié à l’âge
ou à des médicaments achetés non consommés.
L’analyse des durées de traitement montre que la consommation plus importante des AX-HY en France par rapport à la moyenne européenne de l’étude ESEMeD s’explique, en bonne partie, par un usage ponctuel plus fréquent
(moins de 15 jours de traitement par an).
D’après nos données et celles de l’étude de la CNAM,
5 % de la population française utiliseraient les AX-HY de
manière chronique. Il s’agit, soit de sujets utilisant ces
médicaments pour au moins six mois dans notre étude,
soit de sujets remboursés plus de six fois au cours de
l’année dans l’étude CNAM. Néanmoins, cette utilisation
chronique semble avoir diminué par rapport à des études
plus anciennes qui montraient des valeurs plus élevées
(7 % pour les AX et 4 % pour les HY) (17, 36).
Démographie et usage de psychotropes
La prise de médicaments psychotropes s’avère plus élevée chez les femmes que chez les hommes pour les AXHY et les AD. Cette différence en fonction du sexe est également retrouvée dans l’ensemble des six pays de l’étude
ESEMeD (14), dans l’étude CNAM menée en France (24),
ainsi que dans de nombreuses autres études (30). Cette
différence peut s’expliquer par le fait que les troubles pour
lesquels seraient prescrits des traitements AX et AD sont
plus fréquents chez les femmes (troubles anxieux et
dépressifs), alors que les troubles psychotiques et bipolaires, qui représentent les indications principales des AP et
des TY, sont mieux répartis entre les sexes (6, 31).
L’usage de psychotropes est également plus important
dans les tranches d’âge les plus élevées, malgré une diminution de la prévalence des troubles mentaux avec l’âge
au sein de cette même population (14, 24, 29).
Comme dans l’ensemble des six pays de l’étude, nous
observons une consommation de psychotropes plus élevée chez les individus divorcés ou veufs, vivant seuls,
sans emploi rémunéré, ayant suivi des études supérieures
ou vivant en milieu urbain. En revanche, l’étude CNAM ne
montre aucune différence dans les taux de remboursement de psychotropes entre les différentes régions et
départements de la France métropolitaine (25).
Usage de psychotropes et diagnostic psychiatrique
La proportion de sujets ayant présenté un trouble
dépressif au cours de l’année précédente et qui ont été
traités par AD pendant cette même période était de 29 %.
Cette valeur est comparable à celle issue de l’étude
DEPRES, menée en France en 1995 (40), mais supérieure à celles observées ailleurs, par exemple, l’étude
NEMESIS menée aux Pays-Bas en 1996 (39), une étude
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
finlandaise menée en 1996 (23) ou encore une étude réalisée aux États-Unis entre 1988 et 1994 (10).
L’usage des AX-HY reste élevé chez le sujet déprimé
et supérieur à celui des AD, ce qui traduit probablement
des difficultés encore importantes dans l’établissement du
diagnostic de la dépression ou dans sa prise en charge,
en médecine générale.
En ce qui concerne la prise en charge des troubles
anxieux (anxiété généralisée, phobie sociale ou phobie
spécifique, trouble panique, agoraphobie, état de stress
post-traumatique), notre étude révèle également une faible
proportion de sujets effectivement traités, avec seulement
la moitié déclarant avoir pris au moins un traitement psychotrope.
Par ailleurs, nous avons constaté qu’aucun trouble, ni
dépressif, ni anxieux ni lié à l’alcool, n’a jamais été diagnostiqué au cours de la vie chez 15 % des usagers de
psychotropes. Cet usage pourrait, en partie, correspondre
à un traitement d’autres troubles exclus de cette analyse,
tels que les troubles de sommeil, dont la prévalence en
population générale est estimée à 19 % (27), les troubles
psychotiques, les troubles obsessionnels-compulsifs, les
troubles bipolaires et les troubles alimentaires. Il est également à noter qu’un biais de remémoration des troubles
anciens pourrait mener à une surestimation de la proportion d’utilisateurs non diagnostiqués.
Bien que la moitié des usagers d’AX-HY aient présenté
un trouble dépressif, anxieux ou lié à l’alcool au cours de
la vie, cette proportion s’élève à 80 % chez les usagers
d’AD. Ce dernier résultat va à l’encontre de l’impression
actuelle de certains médecins et des autorités sanitaires,
selon laquelle il existerait une utilisation massive et inappropriée des AD comme médicaments de confort dans
des situations cliniques qui ne relèveraient pas d’un tel traitement. D’autres études spécifiques devront être menées
pour vérifier ce résultat très important, qui représente une
évaluation directe du niveau du service médical rendu par
ces médicaments en France.
CONCLUSION GÉNÉRALE
L’étude ESEMeD montre que 21 % de la population
française a utilisé un psychotrope dans l’année, une proportion plus élevée que celle observée dans les cinq
autres pays inclus. L’usage des AX-HY (19 %) semble
avoir diminué ces dernières années. Il s’agit d’un usage
ponctuel dans près de la moitié des cas, ce qui pourrait
suffire à expliquer un usage plus fréquent en France que
dans les autres pays de l’étude. En revanche, l’usage des
AD (6,0 %) a augmenté en France depuis vingt ans. Les
AX-HY sont plus fréquemment utilisés que les AD dans
les troubles dépressifs ou anxieux récents. Enfin, 80 %
des usagers d’AD ont présenté au moins un épisode
pathologique anxieux, dépressif ou lié à l’alcool au cours
de la vie, alors que ce n’est le cas que pour la moitié des
usagers d’AX-HY. Ces résultats ne soutiennent pas
l’hypothèse d’un mésusage généralisé des AD.
Usage des psychotropes et troubles psychiatriques en France
Références
1. AMAR E. Les dépenses de médicaments remboursables en 2002.
In. Paris : DRESS (ministère de la santé) ; 2003 : 1-8. Adresse
Internet : http://sante.gouv.fr, rubrique : Recherche, Études et Statistiques.
2. AFSSAPS. Analyse des ventes de médicaments aux officines et aux
hôpitaux en France, 1998-2000. 2002 ; 1-93, téléchargeable sur le
site de l’AFSSAPS : http://agmed.sante.gouv.fr/pdf/5/med2004.pdf.
3. BALSAN D, CHAMBARETAUD S. La croissance des dépenses de
médicaments remboursables entre 1998 et 2001. Études et résultats, Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (ministère de l’emploi et de la solidarité) 2002 ; 166 : 1-8.
Adresse Internet : http://sante.gouv.fr, rubrique : Recherche, Études
et Statistiques.
4. BAUMANN M, TRINCARD M. Autonomy attitudes in the treatment
compliance of a cohort of subjects with continuous psychotropic drug
administration. Encephale 2002 ; 28 : 389-96.
5. BEARDSLEY RS, GARDOCKI GJ, LARSON DB et al. Prescribing
of psychotropic medication by primary care physicians and psychiatrists. Arch Gen Psychiatry 1998 ; 45 : 1117-9.
6. BEBBINGTON P, RAMANA R. The epidemiology of bipolar affective
disorder. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1995 ; 30 : 279-92.
7. BOUHASSIRA M, ALLICAR MP, BLACHIER C et al. Which patients
receive antidepressants ? A 'real world' telephone study. J Affect
Disord 1998 ; 49 : 19-26.
8. BROWNE RA, MELFI CA, CROGHAN TW et al. Issues to consider
when conducting research using physician-reported antidepressant
claims. Drug Benet Trends 1998 ; 10 : 37-42.
9. DIMATTEO MR, LEPPER HS, CROGHAN TW. Depression is a risk
factor for non-compliance with medical treatment : meta-analysis of
the effects of anxiety and depression on patient adherence. Arch
Intern Med 2000 ; 160 : 2101-7.
10. DRUSS BG, HOFF RA, ROSENHECK RA. Underuse of antidepressants in major depression : prevalence and correlates in a national
sample of young adults. J Clin Psychiatry 2000 ; 61 : 234-7 ; quiz
238-9.
11. DUNN RL, DONOGHUE JM, OZMINKOWSKY RJ et al. Longitudinal
patterns of antidepressant prescribing in primary care in the UK :
comparison with treatment guidelines. J Psychopharmacol 1999 ;
13 : 136-43.
12. THE ESEMED/MHEDEA 2000/MHEDEA 2000 INVESTIGATORS.
Prevalence of mental disorders in Europe : results from the European Study of Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD/MHEDEA 2000) project. Acta Psychiatr Scand 2004c ; 109 (Suppl 420) :
21-7.
13. THE ESEMED/MHEDEA 2000/MHEDEA 2000 INVESTIGATORS.
Sampling and methods of the European Study of Epidemiology of
Mental Disorders (ESEMeD/MHEDEA 2000) project. Acta Psychiatr
Scand 2004b ; 109 (Suppl 420) : 8-20.
14. THE ESEMED/MHEDEA 2000/MHEDEA 2000 INVESTIGATORS.
Psychotropic drug utilization in Europe : results from the European
Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD/MHEDEA
2000) project. Acta Psychiatr Scand 2004a : 109 (Suppl 420) : 55-64.
15. GASQUET I, BLOCH J, CAZENEUVE B et al. Determinants of compliance with antidepressive drugs. Encephale 2001 ; 27 : 83-91.
16. GUELFI JD, FALISSARD B, LELLOUCH J. Are too many antidepressants being prescribed in France ? Presse Med 1998 ; 27 :
2126-8.
17. GUIGNON N, MORNICHE P, SERMET C. La consommation régulière de psychotropes. Rapport INSEE n° 310, avril 1994.
18. KATZ SJ, KESSLER RC, LN et al. Medication management of
depression in the United States and Ontario. J Gene Intern Med
1998 ; 13 : 77-85.
19. KESSLER RC, USTUN TB. The World Mental Health (WMH) Survey
Initiative Version of the World Health Organization (WHO) Composite International Diagnostic Interview (CIDI). Int J Methods Psychiatr
Res 2004 ; 13 : 93-121.
20. KESSLER RC, ZHAO S, KATZ SJ et al. Past year use of outpatient
service for psychiatric problems in the National Comorbidity Survey.
Am J Psychiatry 1999 ; 156 : 115-23.
205
I. Gasquet et al.
21. LAGNAOUI R, DEPONT F, FOURRIER A et al. Patterns and correlates of benzodiazepine use in the French general population. Eur
J Clin Pharmacol 2004 ; 60 : 523-9.
22. LAPEYRE-MESTRE M, CHASTAN E, LOUIS A et al. Drug consumption in workers in France : a comparative study at a10-year
interval (1996 versus 1986) J Clin Epidemiol 1999 ; 52 : 471-8.
23. LAUKKALA T, ISOMETSA E, HAMALAINEN J et al. Antidepressant
treatment of depression in the Finnish general population. Am J
Psychiatry 2001 ; 158 : 2077-9.
24. LECADET J, VIDAL P, BARIS B et al. Médicaments psychotropes :
consommation et pratiques de prescription en France métropolitaine.
I. Données nationales, 2000. Rev Med Assu Mal 2003a ; 34 : 75-83.
25. LECADET J, VIDAL P, BARIS B et al. Médicaments psychotropes :
consommation et pratiques de prescription en France métropolitaine. II. Données et comparaisons régionales, 2000. Rev Med Assu
Mal 2003b ; 34 : 233-48.
26. LECOMTE T. Consommation de pharmacie en Europe. CREDES,
Paris 1992.
27. LEGER D, GUILLEMINAULT C, DREYFUS JP et al. Prevalence of
insomnia in a survey of 12,778 adults in France. J Sleep Res 2000 ;
9 : 35-42.
28. LÉPINE JP, GATSPAR M, MENDLEWICZ J et al. First pan-european
study of depression in the community : Depression Research in European Society. Intern Clinical Psychopharmacol 1997 ; 12 : 19-29.
29. LÉPINE JP, GASQUET I, KOVESS V et al. Prévalence et comorbidité des troubles psychiatriques dans la population générale française : résultats de l’étude épidémiologique ESEMeD/MHEDEA
2000/(ESEMeD). Encephale 2005 ; 30 (2) : 182-94.
30. MORABIA A, FABRE J, DUNAND JP. The influence of patient and
physician gender on prescription of psychotropic drugs. J Clin Epidemiol 1992 ; 45 : 111-6.
31. MUESER KT, McGURK SR. Schizophrenia. Lancet 2004 ; 363 :
2063-72.
206
L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206
32. OHAYON MM, LADER MH. Use of psychotropic medication in the
general population of France, Germany, Italy, and the United Kingdom. J Clin Psychiatry 2002 ; 63 : 817-25.
33. OLIE JP, ELOMARI F, SPADONE C et al. Antidepressant consumption in the global population in France. Encephale 2002 ; 28 : 411-7.
34. OLFSON M, MARCUS SC, DRUSS B et al. National trends in the
outpatient treatment of depression. JAMA 2002 ; 287 : 203-9.
35. PARIENTE P, LÉPINE JP, LELLOUCH J. Self-reported psychotropic drug use and associated factors in a French community sample.
Psychol Med 1992 ; 22 : 181-90.
36. PELISSOLO A, BOYER P, LÉPINE JP et al. Epidémiologie de la
consommation des anxiolytiques et des hypnotiques en France et
dans le monde. Encephale 1996 ; 22 : 187-96.
37. REGIER DA, NARRROW WE, RAE DS et al. The stability of mental
disorder prevalence data from the NIMH ECA program. Presented
at the Annual Meeting of the American Psychiatric Association. 1991.
38. ROUILLON F, BLACHIER C, DREYFUS JP et al. Pharmaco-epidemiologic study of the use of antidepressant drugs in the general
population. Encephale 1996 ; Spec n° 1 : 39-48.
39. SPIJKER J, BIJL RV, DE GRAAF R et al. Care utilization and outcome of DSM III-R major depression in the general population.
Results from the Netherlands Mental Health Survey and Incidence
study (NEMESIS). Acta Psychiatr Scand 2001 ; 104 : 19-24.
40. TYLEE A, GASTPAR M, LÉPINE JP et al. Depres II. A patient survey
of the symptoms, disability and current management of depression
in the community. Int Clin Psychopharmacol 1999 ; 14 : 139-51.
41. WELLS KB, KATON W, ROGERS B et al. Use of minor tranquilizer
and antidepressant medications by depressed outpatients : results
from the medical outcomes study. Am J Psychiatry 1994 ; 151 :
694-700.
42. ZITO JM, SAFER DJ. Services and prevention : pharmacoepidemiology of antidepressant use. Biol Psychiatry 2001 ; 49 : 1121-7.
Téléchargement