L’Encéphale, 2005 ; 31 : 195-206 Usage des psychotropes et troubles psychiatriques en France
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med.harvard.edu/wmh/). Nous remercions l’équipe coordina-
trice World Mental Health (WMH) pour leur aide concernant
les outils de mesure et pour leur conseil en matière de pro-
cédures opérationnelles.
INTRODUCTION
La France est le pays européen où la prescription et
l’usage de médicaments psychotropes sont les plus éle-
vés (26). L’analyse des ventes en pharmacie en France
a montré que cinq psychotropes, trois antidépresseurs
(AD) et deux antipsychotiques (AP), figuraient parmi les
cinquante médicaments les plus coûteux pour l’Assu-
rance-maladie en 2002. En outre, pour la même année,
sept psychotropes, deux AD, deux hypnotiques (HY) et
trois anxiolytiques (AX), se trouvaient parmi les cinquante
médicaments les plus vendus (2).
Parallèlement, diverses enquêtes épidémiologiques
conduites en population générale en France ont décrit une
prévalence d’usage des benzodiazépines et des AD rela-
tivement élevée par rapport aux autres pays européens (7,
17, 32, 33, 35, 36). Une étude d’un large échantillon
d’ordonnances a été réalisée en 2000 concernant la popu-
lation bénéficiaire du régime général de l’Assurance-mala-
die. Celle-ci conclut que 25 % de la population de l’analyse
a bénéficié d’au moins un remboursement suite à la pres-
cription d’un psychotrope dans l’année (17 % pour les AX,
10 % pour les AD, 9 % pour les HY et 3 % pour les AP) (24).
Cependant, une telle étude, à partir d’ordonnances, ne per-
met pas d’estimer l’utilisation réelle des psychotropes du
fait de l’inobservance particulièrement importante en
France dans ce domaine thérapeutique (4, 9, 15).
Par ailleurs, une augmentation de l’usage de certaines
classes de psychotropes depuis dix ans a été rapportée en
France, comme dans d’autres pays (22, 42), notamment
pour les AD et, à un moindre degré, pour les AP et les HY
(2). Au total, les AD et les AP font partie des dix classes
thérapeutiques contribuant le plus à la croissance annuelle
des dépenses liées aux médicaments en France (1, 3).
Cette augmentation a accompagné de récentes inno-
vations thérapeutiques, qui ont conduit à la mise sur le
marché de nouveaux médicaments psychotropes plus
coûteux, mais aussi plus facilement prescrits. C’est
notamment le cas en médecine générale (5), du fait de la
meilleure tolérance des produits récents comparée aux
médicaments plus anciens (11, 34).
Des études menées en France ou ailleurs, quoique rela-
tivement anciennes, suggèrent que la part de la consom-
mation d’AD non cliniquement justifiée serait faible (20, 37,
38). En revanche, la proportion des sujets déprimés non
traités qui pourraient bénéficier d’un traitement serait éle-
vée (18, 28, 35, 41).
Dans le contexte thérapeutique actuel, on peut se
demander si cette facilité d’utilisation contribue soit à un
« dérapage des prescriptions », soit à une facilité d’accès
au traitement (16). À notre connaissance, aucune étude
permettant de répondre à ces deux questions n’a jamais
été réalisée, en population générale, en France. Une
grande étude européenne sur la santé mentale, ESEMeD/
MHEDEA 2000 (appelée ci-après ESEMeD) nous offre la
possibilité d’apporter des réponses à cette problématique.
Notre étude visait trois objectifs. Premièrement, elle cher-
chait à décrire l’usage des psychotropes déclarés (globale-
ment et par classe thérapeutique) afin d’en évaluer la pré-
valence annuelle, les durées de traitement et les facteurs
démographiques associés à leur utilisation. Deuxièmement,
nous avons voulu estimer la proportion des sujets présen-
tant un trouble anxieux, dépressif ou lié à l’alcool (abus ou
dépendance) qui sont effectivement traités par AD ou AX-
HY. Enfin, nous avons cherché à évaluer la proportion des
usagers de psychotropes répondant aux critères diagnosti-
ques de troubles dépressif, anxieux, ou lié à l’alcool.
Les résultats globaux de l’étude ESEMeD analysant
l’ensemble des six pays européens ont été récemment
publiés (14). Certains sont représentés ici, parallèlement
aux résultats de l’échantillon français, afin de pouvoir met-
tre en perspective la situation en France par rapport à celle
des six pays européens dans leur ensemble.
MÉTHODES
La méthodologie de l’étude ESEMeD a été largement
décrite par ailleurs (13) et dans l’article publié dans ce
même numéro (29).
Population et mode d’enquête
Il s’agit d’une enquête transversale réalisée entre 2001
et 2003 en population générale, auprès de sujets de plus
de 18 ans, non institutionnalisés et ayant un domicile fixe,
en Allemagne (n = 3 555), en Belgique (n = 2 419), en
Espagne (n = 5 473), en France métropolitaine (n = 2 894),
aux Pays-Bas (n = 2 372) et en Italie (n = 4 712). Dans cha-
que pays, la base de sondage disponible la plus représen-
tative a été utilisée : la liste électorale en Italie, le registre
postal aux Pays-Bas, une liste de numéros de téléphone
générés aléatoirement en France et des registres de rési-
dents pour l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Les sujets
ont été interrogés à domicile en face-à-face par des enquê-
teurs professionnels de l’institut IPSOS, préalablement for-
més à l’utilisation du WMH-CIDI (19) par une équipe de
l’OMS.
En France, 6 796 personnes ont été incluses et 2 894
interrogées, ce qui correspond à un taux de participation
pondéré de 46 % (ce taux est de 61 % pour les six pays).
Parmi les non-participants, 705 n’ont jamais pu être con-
tactés par téléphone, malgré 50 tentatives d’appels à des
jours et heures différents.
Les caractéristiques démographiques de l’échantillon
français et des six pays réunis sont présentées dans le
tableau I. L’échantillon français est comparable à celui des
six pays ESEMeD. Les femmes sont légèrement sur-repré-
sentées en France comme dans l’échantillon total ; l’âge
moyen est de 46,3 ans dans l’échantillon français et de
47,0 ans dans l’échantillon total. Les caractéristiques démo-