4 LA LETTRE DU CHIRURGIEN Ganglion sentinelle et cancer du sein : doutes et certitudes DR La technique du ganglion sentinelle fait presque toujours partie de la chirurgie du cancer du sein. Mais cette généralisation n’est pas sans poser problèmes. Quelle technique de détection choisir ? Quelle conduite à tenir face à des micro métastases ? Quelles sont, en 2010, les indications et les contre indications de la technique ? Dr Eric Sebban chirurgien gynécologue et oncologue Institut du sein Henri Hartmann (ISHH) Clinique Hartmann, neuilly Dr Laurent Zerat médecin pathologiste Laboratoire Lavergne et ISHH « Jusque récemment, l’idéal était de coupler les méthodes radio isotopique et colorimétrique pour obtenir de façon reproductible l’identification du GS, avec un taux d’identification de 95 % et un taux de faux négatif inférieur à 5 %. » 14 • GENESIS - N°146 - février 2010 N ous n’aborderons ici que les problèmes rencon- La technique isotopique donne de bons taux de détectrés depuis l’avènement et la généralisation de tions, aux alentours de 90 %, avec des taux de faux négala technique sentinelle dans la prise en charge tifs meilleurs que la technique colorimétrique, inférieur chirurgicale des cancers du sein. Les différents problèmes à 10 %. Jusque récemment, l’idéal était de coupler les abordés porteront sur : deux méthodes pour obtenir de façon reproductible - la technique l’identification du GS, avec un taux d’identification de - les micro métastases : 95 % et un taux de faux négatif inférieur à 5 % (4-5). - conduite à tenir Des publications récentes telles que l’étude ALMANAC - valeur pronostique ont recensé des cas d’allergie avérée au bleu patenté avec - la réévaluation des indications et des contre indications des réactions allergiques allant de : du ganglion sentinelle (GS) : - réactions allergiques modérées. - la taille - jusque de véritables chocs anaphylactiques nécessitant - l’absence de tumeur réanimation et arrêt de l’intervention et ce dans 0.4 % - la chimiothérapie néo adjuvante des cas. - la multifocalité De plus, l’injection du bleu patenté peut laisser des - le carcinome canalaire in situ cicatrices bleutées indélébiles sous cutanées en regard du lieu d’injection. La tendance actuelle est donc de ne plus forcément utilin Problèmes posés par la technique ser la méthode colorimétrique pour déceler ce ganglion En préambule, il est impératif de rappeler que la tech- sentinelle mais de se contenter de la méthode isotopique nique du GS est une technique d’équipe dite filière sen- dont la fiabilité a fait ses preuves. tinelle concernant le chirurgien, l’anatomopathologiste et le médecin nucléaire. Résultats : Technique au bleu Deux techniques sont proposées à l’heure actuelle, radio Auteurs NB Taux détection Faux négatifs isotopique et colorimétrique, à l’aide de traceurs lym- GIULIANO 94 174 66 % 12 % phophiles, que l’on va injecter au contact de la tumeur GIULIANO 95 107 93 % 0 % et qui vont migrer de cette tumeur vers le GS où ils vont KAPJEIN 98 26 87 % 0 % se concentrer : FLETT 68 88 % 6 % • la procédure colorimétrique utilise le bleu patenté KOLLER 99 98 98 % 17 % • la procédure isotopique le technecium 99 SALMON 99 86 91% 8% La fiabilité de cette technique se mesure sur deux paramètres : Résultats : Technique Isotopes • le taux de détection Auteurs NB Taux détection Faux négatifs • le taux de faux négatifs (GS négatif alors qu’il existe des KRAG 93 70 71% 0 ganglions axillaires métastatiques au curage axillaire). VERONESI 97 163 98% 4,7% La colorimétrie au bleu seule permet la détection dans KRAG 98 443 93% 11,4% 70 à 93 % des cas mais avec un taux de faux négatifs trop BORGSTEIN 98 130 94 % 7 % élevé, autour de 10 %. VERONESI 99 376 98 % 7 % Le seul avantage de la technique colorimétrique est sa SANDRUCCI 2000 87 86% 9% simplicité de mise en œuvre et son faible coût. Résultats : Technique combinée Auteurs NB Taux détection ALBERTINI 96 62 92% BARNWELL 98 42 90% HILL 99 500 92% BASS 99 700 95% COX 2000 466 96,5% TAÏRA 2001 529 87% - 90% Faux négatifs 0 0 4,5% 1% 0,3% 13% - 4,3% Les micro métastases sont définies par l’american joint comitte of cancer comme une atteinte ganglionnaire allant de 0.2 à 2 mm. Le concept de cellules tumorales isolées (CTI) concerne une atteinte inférieure à 0,2 mm Dans le passé, la technique usuelle était l’HES (hématoxyline éosine standard) mais l’avènement et la généralisation du GS ont permis la généralisation et la mise au point de nouvelles techniques anatomo pathologiques dont l’immuno histo chimie (IHC) qui permet la détection des micro métastases. L’extemporané des GS se fait par les techniques standard Pour l’instant et en dehors d’essais prospectifs, la règle est de réopérer les patientes présentant des micro métastases. pour déceler les macro métastases. En cas de détection de macro métastase en extemporané, il faut effectuer un curage axillaire. L’IHC est faite dans un second temps mais faut il réopé- compare les recommandations établies aux USA. Recommandations rer les malades quand on décèle ces micro métastases ? ASCO 2005 : on peut effectuer une procédure sentinelle actuelles Le risque d’atteinte de ganglion non sentinelle en cas de entre 2 et 3 cm. et contre indications micro métastase est de 20 % dans la littérature. Question : Sommes nous prudents ou sont-ils inconsRecommandations classiques Il s’agit d’un risque général fon ction notamment de l’age, cients ? concernant le ganglion sentinelle : de la taille, du grade et autres paramètres. Premier argument : il existe un risque de sous traitement nécessité du diagnostic pré opératoire Les nomogrammes ont essayé de répondre à cette des patientes lié au problème des faux négatifs. (micro biopsie) question : il s’agit de prédire la possibilité de ganglions aucune étude n’a démontré que le taux de faux négatif cancer de petite taille de moins de résiduels positifs en fonction de certains paramètres et était plus important (KIM cancer 2006, NSABP B32 20 mm chaque centre de cancérologie a crée son propre nomo- Krag Lancet 2007) aisselle cliniquement indemne gramme mais ils sont peu applicables car d’utilisation ces patientes ont déjà une indication de traitement adjutechnique combinée (bleu et isotopes) complexe et fastidieuse. vant systémique de part la taille Pour l’instant et en dehors d’essais prospectifs, la règle Second argument : cela entraine une augmentation du cancer unifocal est de réopérer les patientes présentant des micro métas- nombre de réinterventions dites difficiles. tumeur en place tases. On peut diffuser cette technique chez des patientes faire un curage axillaire en cas de GS Quelle valeur pronostique accorder à une micro métas- dont la tumeur est entre 2 et 3 cm (risque d’atteinte positif tase ? La survie est elle moins bonne ? Cela change il la ganglionnaire inférieur à 50 %). Les contre indications découlent stratégie thérapeutique ? des indications mais sont elles Le travail hollandais du groupe MIRROR confirme cette toujours d’actualité ? n Peut on effectuer un GS tendance sur 1 744 patientes dans des cancers supposés volumineuses tumeurs (plus de 20 mm) après tumorectomie ? de bon pronostic : La survie sans maladie chute de 9 % N + clinique selon qu’il y ait ou pas des micro métastases et elle chute Il s’agit encore d’une contre indication classique (St Paul Tumeurs multicentriques de 9.6 % selon qu’il y ait ou pas chimiothérapie adjuvante. De-Vence 2007). ATCD de chimio ou de radiothérapie néo Les patientes présentant des micro métastases doivent Or, la procédure sentinelle après tumorectomie n’affecte adjuvante donc bénéficier d’une chimiothérapie. pas la fiabilité de la technique mais diminue le taux ATCD de chirurgie axillaire (prothèses, d’identification sans affecter le taux de FN. ganglions) il faut opter pour une technique fiable et rigoureuse. n Peut on effectuer un GS Grossesse faire un curage axillaire en cas de non identification. en cas de tumeur volumineuse ? En fait, il s’agit d’un faux problème : la bonne question ATCD de tumorectomie Il s’agit d’un problème franco français : le GS n’est pas est la suivante : le GS est il détectable ? Souhait de la patiente indiqué si la tumeur est supérieure à 2 cm comme l’a si oui : la procédure est réalisable défini la RCP de Saint-Paul-De-Vence en 2005. si non, 2 hypothèses : La taille constitue un critère majeur mais discutable si on • section des canaux lymphatiques par la chirurgie de la GENESIS - N°146 - février 2010 • 15 DR n Le probleme des micro métastases (mm) 4 LA LETTRE DU CHIRURGIEN ••• tumeur initiale. • macro métastase dans un ganglion. • dans les 2 cas : il faut effectuer un curage axillaire. n Peut on proposer un GS avant chimiothérapie néo adjuvante ? Y a-t-il un intérêt à connaître le statut ganglionnaire avant chimiothérapie néo adjuvante ? Cox et al en 2006 ont comparé un groupe avec atteinte ganglionnaire prouvée (42 patientes) par ponction avant chimiothérapie néo adjuvante et un autre groupe sans adénopathie palpable avec GS avant CNA : il existait plusieurs problèmes : - la majorité de ces patientes sont N + (40 sur 47 sont GS - cette procédure sentinelle impose une intervention chirurgicale avec un risque théorique de retard à l’instauration de la chimiothérapie en cas de complication du GS. Les conclusions de cet auteur étaient d’ailleurs surprenantes : « la disparition des métastases ganglionnaires après CNA constitue un facteur pronostique » ??? « En cas de carcinome canalaire in situ, le ganglion sentinelle est plus fiable que le mini curage. » n Peut on proposer un GS après chimiothérapie néo adjuvante ? Il s’agit d’une contre indication classique. 9 études sont recensées dans la littérature (708 patientes) - le taux d’identification est modeste : 72 à 100 %. - les taux de faux négatifs vont de 5 à 11 %. - de plus, ces patientes sont porteuses de volumineuses tumeurs avec un risque élevé d’atteinte ganglionnaire. - il s’agit donc de 3 bonnes raisons de ne pas effectuer cette technique dans cette indication à part dans le cadres d’essais. n Faut il effectuer un GS en cas de carcinome canalaire in situ ? Cette situation est de plus en plus fréquente puisque prés de 20 % des cancers traités en France actuellement sont des carcinomes intra canalaires. Avant l’existence du GS, certaines équipes effectuaient un mini curage (curage axillaire inférieur) en cas de carcinome canalaire in situ (CCIS) diffus. Le GS est plus fiable que ce mini curage. On peut donc dans certains cas effectuer un GS si le risque de micro invasion ou d’invasion n’est pas nul (entre 3 et 5 %) : - lorsque un mammectomie est programmée pour un CCIS diffus ou multifocal (en effet, le GS est impossible à réaliser après ce type de chirurgie en cas de découverte fortuite de lésion infiltrante ce qui conduirait à effectuer un curage axillaire) (ASCO 2005). - dans certains cas de CIC de haut grade de plus de 20 mm, associé à la tumorectomie (comédo carcinome) - on peut aussi diagnostiquer une micro métastase occulte et trouver après relecture de la pièce mammaire une micro invasion passée inaperçue+++ 16 • GENESIS - N°146 - février 2009 n Que faire en cas de tumeur multifocale ? NB Identification Faux négatifs BERGKVIST 56 95 % 21 % FERRARI 31 100 % 7 % GOYAL 75 95 % 9 % MANSEL 75 95 % 8 % La multicentricité est définie comme la présence au moins de 2 foyers dans 2 quadrants différents alors que la multifocalité se définit par la présence de 2 foyers invasifs dans le même quadrant. Comme on le voit dans le tableau, le risque de faux négatif est trop élevé pour accepter cette procédure en routine (conclusion de San Antonio Breast Cancer Study 2006). n Faut il faire un curage mammaire interne ? Les GS mammaires internes ne sont pas rares : 10 à 20 % des cas en cas de tumeur centrale ou interne. Le curage mammaire interne effectué de routine par certains il y a 30 ans nécessite un abord de l’espace intercostal avec abord para sternal au niveau des cartilages costaux. Il existe 2 risques théoriques : - léser le pédicule intercostal. - ouvrir la plèvre. De plus, ce curage n’a aucun effet thérapeutique et n’a donc plus d’indication. En cas de GS uniquement décelable en mammaire interne sans GS décelable au niveau axillaire (tumeur centrale ou interne), il faut effectuer un curage axillaire même si l’exérèse du GS mammaire interne est réalisable sans grand risque. L’intérêt pour certains serait d’éviter d’irradier la chaine mammaire interne pour éviter les effets indésirables cardiaques en cas de cancer du sein G ? n Une technique fiable La technique du ganglion sentinelle est une technique fiable à faible morbidité permettant une stadification axillaire réelle sans curage axillaire. Le pré requis pour l’appliquer de manière quotidienne est le suivant : • Bonne expérience du chirurgien • Bonne courbe d’apprentissage • Bonne indication • Bonne coordination (chirurgien, scintigraphiste, et oncologue) avec une filière sentinelle • Bonne anatomopathologie (IHC pour les micrométastases) • Les indications et la technique évoluent et on tendance à s’élargir. n